Application de la loi de réforme pour la justice en matière de procédures civiles d’exécution

Le décret n° 2019-992 du 26 septembre 2019 tire principalement les conséquences réglementaires des modifications apportées par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice à la procédure simplifiée de recouvrement des petites créances, aux procédures de saisie-attribution, d’expulsion et de saisie conservatoire de créances.

La procédure simplifiée de recouvrement des petites créances

La procédure simplifiée de recouvrement des petites créances est née de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques et permet à un huissier de justice ayant reçu l’accord du créancier et du débiteur sur le montant et les modalités du paiement d’une créance ne dépassant pas 4 000 € en principal et intérêts, de délivrer sans autre formalité un titre exécutoire. Elle est initiée par une invitation faite au débiteur de participer à la procédure qui, à l’origine, ne pouvait être formalisée que par l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception. L’article 14 de la loi du 23 mars 2019 est venu modifier l’article L. 125-1 du code des procédures civiles d’exécution, en permettant l’engagement de la procédure par voie dématérialisée.

Le décret du 26 septembre 2019 adapte en ce sens la partie réglementaire du code et fixe la date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions au 1er janvier 2020. À compter de cette date, il sera loisible à l’huissier de justice chargé de mettre en œuvre une procédure simplifiée de recouvrement de petites créances, d’inviter le débiteur à participer aux négociations par l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou d’un message par voie électronique.

La procédure de saisie-attribution

L’article 15 de la loi du 23 mars 2019 a inséré un article L. 211-1-1 dans la partie législative du code des procédures civiles d’exécution, lequel oblige les huissiers de justice, à compter du 1er janvier 2021, à transmettre leurs actes de saisie-attribution de manière dématérialisée (et non plus sur format papier), lorsqu’ils sont régularisés entre les mains d’un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôts.

Le décret présentement commenté n’apporte, sur ce point, aucune modification substantielle si ce n’est qu’il simplifie la formulation de l’article R. 211-4 relative à l’obligation déclarative du tiers saisi, lorsque l’acte de saisie-attribution lui est signifié par voie électronique, formulation qui se retrouve à l’identique dans les nouvelles dispositions relatives à la procédure de saisie conservatoire de créances (V. infra).

La procédure d’expulsion

Le code des procédures civiles d’exécution prévoit des dispositions spécifiques lorsque l’huissier de justice chargé des opérations d’expulsion trouve, sur place, des meubles. L’article L. 433-1 lui permet, en effet, de les faire transporter dans un lieu désigné par la personne expulsée et à ses frais. Mais si cette dernière n’est pas présente ou qu’elle n’apporte aucune précision en ce sens, l’huissier de justice doit, dans l’acte d’expulsion, dresser inventaire de ces meubles et préciser s’ils paraissent ou non avoir une valeur marchande. Il peut alors choisir, soit de les laisser sur place, soit de les entreposer en un autre lieu approprié. Dans tous les cas, sommation est faite à la personne expulsée d’avoir à les retirer dans un certain délai, faute de quoi il sera décidé de leur sort. C’est sur ce point que l’article 14 de la loi 23 mars 2019 est venu apporter une modification majeure, en supprimant le passage obligatoire devant le juge de l’exécution pour qu’il soit statué sur le sort des meubles non retirés dans le délai prévu.

Le décret du 26 septembre 2019, pris pour l’application de ces dispositions, augmente tout d’abord le délai imparti à la personne expulsée pour retirer ses biens. Celle-ci dispose, comme il est dit à l’article R. 433-2 du code des procédures civiles d’exécution, d’un délai de deux mois pour ce faire (et non plus un mois), à compter de la remise ou de la signification de l’acte d’expulsion.

Le décret ouvre, par ailleurs, la possibilité de contester l’absence de valeur marchande des biens. L’article R. 433-3 du code précise, dans sa nouvelle rédaction, que la contestation doit être portée devant le juge de l’exécution (celui du lieu de situation de l’immeuble), à peine d’irrecevabilité dans le délai d’un mois à compter de la remise ou de la signification du procès-verbal d’expulsion. Elle suspend, en outre, le délai de deux mois mentionné à l’article R. 433-2 au terme duquel les biens déclarés sans valeur marchande sont réputés abandonnés. Enfin, l’huissier de justice peut être entendu à l’audience sur cette contestation.

Le texte tire les conséquences de ces changements en modifiant les dispositions de l’article R. 433-1 du code des procédures civiles d’exécution, relatives aux mentions additionnelles que doit comporter le procès-verbal d’expulsion, lorsque des meubles ont été laissés sur place ou ont été entreposés dans un lieu choisi par l’huissier de justice.

Tous les actes d’expulsion établis à compter du 1er janvier 2020, peu important que la procédure ait été initiée avant cette date, devront donc contenir, en sus des mentions générales de l’article R. 432-1 du code (description des opérations, identification des personnes concourant à la mesure, désignation de la juridiction compétente pour connaître des contestations relatives aux opérations d’expulsion) :

un inventaire des biens, avec l’indication qu’ils paraissent avoir ou non une valeur marchande ; la mention du lieu et des conditions d’accès au local où ils ont été déposés ; une sommation, en caractères très apparents, d’avoir à les retirer dans le délai de deux mois non renouvelable à compter de la remise ou de la signification de l’acte, faute de quoi les biens qui n’auront pas été retirés seront vendus aux enchères publiques dans le cas où l’inventaire indique qu’ils paraissent avoir une valeur marchande ; dans le cas contraire, les biens seront réputés abandonnés, à l’exception des papiers et documents de nature personnelle qui seront placés sous enveloppe scellée et conservés pendant deux ans par l’huissier de justice ; la mention de la possibilité de contester l’absence de valeur marchande des biens, à peine d’irrecevabilité dans le délai d’un mois à compter de la remise ou de la signification de l’acte ; l’indication du juge de l’exécution territorialement compétent pour connaître de cette contestation ; la reproduction des dispositions des articles R. 121-6 à R. 121-10, R. 442-2 et R. 442-3.

Pour en terminer avec l’expulsion, le décret met en conformité la partie réglementaire du code avec les modifications apportées, dans la partie législative, par la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. Les formulations « locaux d’habitation » ou « locaux affectés à l’habitation principale » sont remplacés par celle de « lieux habités ». Ces rectifications sont entrées en vigueur immédiatement.

La procédure de saisie conservatoire de créances

Comme en matière de saisie-attribution, la loi du 23 mars 2019 a rendu obligatoire, à compter du 1er janvier 2021, la transmission par voie électronique des actes de saisie conservatoire de créances régularisés entre les mains d’établissements habilités par la loi à tenir des comptes de dépôts. Elle a inséré, en ce sens, un article L. 523-1-1 dans la partie législative du code des procédures civiles d’exécution.

Le décret du 26 septembre 2019 est donc venu adapter la procédure de saisie conservatoire de créances à cette nouvelle exigence, en complétant tout d’abord les dispositions de l’article R. 523-3 du code, relatives aux mentions de l’acte de dénonciation de la saisie. Cet acte doit ainsi comporter, s’il a été signifié par voie électronique, une copie du procès-verbal de saisi et la reproduction des renseignements communiqués par le tiers saisi.

Le texte modifie également l’article R. 523-4 du code qui fixe l’étendue et les modalités de l’obligation déclarative du tiers saisi, en prévoyant l’hypothèse d’une transmission dématérialisée de la saisie : « Si l’acte de saisie est signifié par voie électronique, le tiers saisi est tenu de communiquer à l’huissier de justice, par la même voie, les renseignements et pièces justificatives mentionnés au premier alinéa. Cette communication doit être effectuée au plus tard le premier jour ouvré suivant la signification, sous réserve des dispositions prévues à l’article 748-7 du code de procédure civile ».

Ces nouvelles dispositions s’appliquent aux actes de saisie conservatoire de créances signifiés aux tiers à compter du 1er janvier 2021.

Pas de sursis à la licitation après la décision de partage judiciaire irrévocable

par Mélanie Jaoulle 16 octobre 2019

Civ. 1re, 3 oct. 2019, FS-P+B+I, n° 18-21.200

Hériter n’est pas toujours un bienfait et il arrive bien souvent que la succession devienne le cimetière des liens d’adelphité, ces derniers ne survivant pas au décès du dernier parent. Dans cette affaire, une femme décède en 2002 laissant pour lui succéder un fils et une fille. Six ans après le décès de leur mère, soit en 2008, un jugement confirmé par la suite par un arrêt du 27 octobre 2009, a notamment ordonné le partage de la succession. Suite à cela, un jugement du 26 juin 2013 – confirmé par un arrêt du 27 janvier 2015 – a ordonné la licitation de deux immeubles dépendant de l’indivision successorale à la barre du tribunal, sur des mises à prix d’un certain montant. Malheureusement pour les héritiers, la situation ne touchait pas à sa fin. En effet, par deux jugements de 2016 et 2017, le juge de l’exécution a constaté la carence d’enchères pour chacun des biens en question. Le fils a alors assigné sa sœur afin de voir ordonner une nouvelle vente sur licitation sur des mises à prix d’un montant inférieur aux précédentes mais cette dernière a demandé reconventionnellement qu’il soit sursis à la licitation pour une durée de deux ans. En première instance (TGI Foix, 7 juin 2017, n° 17/00329), le juge a ordonné qu’il soit sursis pour une période de deux ans à la procédure de vente sur licitation en se fondant sur les...

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Le projet de loi Bioéthique franchit le palais Bourbon sans embûche

Le projet de loi Bioéthique concrétise les mesures phares voulues dans ce texte par le gouvernement. En premier lieu, l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes qui, en l’état du droit, est uniquement accessible aux couples hétérosexuels sur indication médicale. Dans le même temps, l’Assemblée a voté le droit d’accès aux origines. Le projet de loi permet à un enfant né de PMA avec tiers donneur d’accéder à un certain nombre de données non identifiantes le concernant, et, s’il le souhaite, à l’identité de celui-ci. Tout donneur devra manifester son consentement exprès à la communication à l’éventuel enfant de ses données non identifiantes et de son identité avant de procéder au don. En parallèle, la PMA post-mortem – c’est-à-dire l’utilisation des gamètes d’un conjoint décédé – a été refusée de justesse par l’Assemblée nationale. Les conditions du don de gamètes sont assouplies. Actuellement, il est autorisé uniquement de couple à couple et nécessite l’assentiment du conjoint. Cette condition est supprimée par le projet de loi, qui instaure la possibilité d’un choix individuel en matière de don de gamètes.

Le projet de loi continue de conditionner le recours aux tests génétiques à une finalité soit médicale, soit scientifique. Un amendement qui visait à rendre possible la réalisation de tests génétiques « récréatifs », une pratique prohibée en France, a été retiré.

A été retoquée par les députés la possibilité d’étendre le diagnostic pré-implantatoire à la trisomie 21. Ils ont également supprimé la possibilité, offerte aux parents, mais très rarement utilisée, de recourir à un « bébé médicament » pour tenter de guérir un frère ou une sœur malade.

Respect du principe du contradictoire par le juge civil

Au visa d’une règle générale, l’article 16 du code de procédure civile et de deux règles spéciales, les articles 338-12 et 1222 du code de procédure civile, la Cour de cassation censure les juges du fond pour violation du principe du contradictoire. Cette censure est parfaitement justifiée car elle sanctionne de mauvaises pratiques judiciaires.

Dans la première espèce, il s’agissait d’une procédure visant à statuer sur la résidence d’un enfant né d’un couple qui s’était séparé. Alors que l’on était en cours de délibéré, le juge aux affaires familiales se voit adresser le compte rendu de l’audition de l’enfant qui avait eu lieu après la clôture des débats. Dans ses motifs, le juge aux affaires familiales se fonde notamment sur ce compte rendu pour rendre sa décision. La cassation était certaine tant la violation du principe du contradictoire est flagrante.

Dans la seconde espèce, il s’agissait d’une procédure concernant la tutelle d’une femme dont la fille demandait à être désignée comme subrogée tuteur. Déboutée de sa demande, elle fait valoir dans son pourvoi en cassation qu’elle n’avait pas été avisée de son droit de prendre connaissance du dossier avant l’audience et notamment des pièces présentées à la juridiction par le tuteur dont elle demandait justement le remplacement. Là encore, la cassation était certaine puisque le plaideur a été privé de son droit de prendre connaissance des pièces à partir desquelles le juge des tutelles a pris sa décision.

On peut être étonné de constater que certaines cours d’appel n’hésitent pas à valider des atteintes manifestes au principe du contradictoire commises par les premiers juges obligeant ainsi les plaideurs faisant preuve d’opiniâtreté à aller plaider jusque devant la Cour de cassation. En général, les cassations portent sur le moyen d’office soulevé par le juge sans que les parties aient été préalablement invitées à présenter leurs observations. Ici, il s’agit d’une violation de l’alinéa 2 de l’article 16 du code de procédure civile : « Il (le juge) ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement ».

Dans les deux espèces, il s’agit de pièces essentielles concernant le contentieux familial : le compte rendu d’audition du mineur concernant la fixation de sa résidence habituelle après la séparation de ses parents et les pièces du dossier produites par le tuteur judiciairement désigné dont la gestion était contestée. Dans ces deux cas, cela n’a pas choqué les juges d’appel qu’un juge aux affaires familiales et qu’un juge des tutelles se dispensent d’assurer le respect du contradictoire.

Dans la première espèce, c’est l’organisation des débats qui pose question. Comment se fait-il que l’audition de l’enfant, élément essentiel dans ce type de procédure, ait lieu après les débats pendant la phase des délibérés ? Dans la seconde espèce, la requérante n’a pas été informée par le greffe qu’elle pouvait prendre connaissance du dossier. Dans les deux cas, la violation du contradictoire est tellement évidente que seule la précipitation à vouloir expédier certaines procédures peut expliquer ces incongruités procédurales.

C’est la philosophie du « à quoi bon » suivie par certains juges qui estiment que le respect du contradictoire est une perte de temps et que son application purement formelle n’est pas de nature à modifier une décision qui est déjà prise. Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a eu l’occasion de censurer un arrêt d’appel qui avait déclaré irrecevables des conclusions prises pour modifier ses fondements juridiques à la suite d’un moyen soulevé d’office au motif que l’ordonnance de clôture s’y opposait (Civ. 1re, 10 oct. 2018, n° 16-16.548 et n° 16-16.870, D. 2018. 2022 image ; JCP 2018. Chron. Droit judiciaire privé, n° 6, obs. L. Veyr). Cette pratique judiciaire n’est pas réservée aux juridictions françaises comme on a pu le voir de la part du juge fédéral suisse (CEDH 22 janv. 2019, Rivera Vazquez et Calleja Delsordo c/ Suisse, req. n° 65048/13, Dalloz actualité, 7 févr. 2010, obs. A. Bolze).

On ne rappellera jamais assez que le contradictoire n’est pas seulement une règle de procédure fondamentale. C’est le procès lui-même (M.-A. Frison-Roche, Généralité sur le principe du contradictoire, thèse Paris II 1988). Le litige naît d’une contradiction sur les faits et par conséquent sur la règle de droit applicable. Cette contradiction est tranchée par une discussion au cours de laquelle chaque partie contredit son adversaire sur les éléments de preuve à l’appui des prétentions respectives et sur les règles de droit applicables. Ce sont les éléments du débat. Autrement dit, c’est le champ de ces éléments qui fixe celui de la contradiction. Face à cette contradiction qui engendre un litige juridique, le juge est appelé à trancher celle-ci par application de la règle de droit après examen des faits. Seul et seulement ce qui a été débattu peut servir à fonder la décision du juge. D’ailleurs, où sinon le juge irait puiser les éléments dont il a besoin pour prendre sa décision ? Les règles de procédure lient de manière indéfectible la phase de discussion entre les parties qui précède et justifie la décision qui sera rendue par le juge. Et c’est la qualité de la discussion qui garantit la qualité de la décision. C’est pour cette raison que le juge ne peut pas fonder sa décision sur des éléments qui n’ont pas été débattus contradictoirement, que ce soit pour modifier d’office le fondement juridique d’une prétention ou priver une partie de son droit de prendre connaissance des éléments du dossier sur lequel le juge est appelé à statuer.

La Cour de cassation précise le mode du bon emploi du contradictoire. Dans la première espèce, il est rappelé que le juge a la possibilité de rouvrir les débats ou, a minima, de solliciter les observations des parties en les autorisant à déposer une note de délibéré. Dans la première espèce, la mère de l’enfant était allée plus loin car elle avait déposé des conclusions pour demander le rabat de la clôture et la réouverture des débats. Elle avait aussi produit de nouvelles pièces à l’appui de ses demandes. La cour d’appel avait sèchement rejeté ces demandes au motif qu’une cause grave n’était pas caractérisée et qu’aucune autorisation n’avait été donné de conclure après la fin des débats. S’agissant du procès-verbal de l’audition de l’enfant, l’article 338-12 du code de procédure civile précise lui-même in fine qu’il est soumis au respect du contradictoire. S’agissant de la protection juridique des majeurs, il incombe au greffe de mentionner en caractères très apparents dans les convocations que le requérant a la faculté de consulter le dossier. Il est vrai cependant que cette formalité n’est pas précisée par l’article 1222 du code de procédure civile.

La Cour de cassation le fait à la place du législateur en indiquant qu’il ne résultait pas des énonciations de l’arrêt, ni des pièces de la procédure que la requérante avait été avisée de la faculté qui lui était ouverte de prendre connaissance du dossier. Dans une espèce récente, la Cour de cassation a encore montré sa volonté de préserver intégralement le principe du contradictoire. Ainsi, même lorsque des conclusions d’intimé sont irrecevables comme tardives par application de l’article 909 du code de procédure civile, l’audition de l’enfant qui conduit le juge à rouvrir les débats impose d’entendre l’intimé sur ce point (Civ. 2e, 16 mai 2019, n° 18-10.825, D. 2019. 1112 image ; Procédures 2019. Comm. 193 obs. M. Douchy-Oudot). Autrement dit, le contradictoire est plus fort que le respect drastique des délais d’appel. Enfin, cette jurisprudence révèle une faiblesse dans les procédures familiales sans représentation obligatoire par un avocat. Elle révèle aussi une incohérence de la loi qui impose un avocat seulement en cas de divorce. Cette différence avec les couples non mariés concernant la garde habituelle de l’enfant est difficile à justifier. Si l’on souligne ce point, c’est que dans les deux espèces, il y a fort à parier que la procédure n’aurait pas déraillé si un avocat avait été mandaté.

De la distinction entre les clauses illicites et les clauses abusives

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 26 septembre 2019 fait apparaître une distinction insuffisamment mise en lumière entre les clauses illicites et les clauses abusives (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., 2019, Dalloz, coll. « Cours », n° 98 ; v. égal. C.-L. Péglion-Zika, La notion de clause abusive. Étude de droit de la consommation, préf. L. Leveneur, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », 2018, nos 176 s., plaidant contre le cumul des deux notions). En l’espèce, l’association Union fédérale des consommateurs - Que Choisir (l’UFC) a assigné la société GDF Suez, devenue Engie, en suppression de clauses illicites ou abusives contenues dans ses conditions générales de vente de gaz naturel de décembre 2011 et septembre 2013. En cours d’instance, la société a émis de nouvelles conditions générales de vente en juin 2014, octobre 2015 et janvier 2016. Déboutée de ses prétentions par un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 16 novembre 2017, l’association de défense des consommateurs se pourvut en cassation.

Sur l’ensemble des moyens du pourvoi, seuls certains retiendront notre attention. La Cour de cassation considère tout d’abord, au titre du premier moyen, que la demande de suppression portant sur ces clauses était irrecevable, mais elle admet l’action en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs, celle-ci étant « distincte de celle en suppression des clauses illicites ou abusives » (V. égal. en ce sens, Civ. 1re, 26 sept. 2019, n° 18-10.890. Pour un commentaire de ces solutions, v. Dalloz actualité, 10 oc. 2019, obs. J.-D. Pellier).

Mais ce sont essentiellement les troisième et cinquième moyens qui permettent de mesurer la différence entre une clause illicite et une clause abusive. S’agissant du troisième, il nous apprend que l’article 3.3 des conditions générales de vente de juin 2014 prévoyait que « Le délai prévisionnel de fourniture est convenu entre le Fournisseur et le Client, dans le respect des contraintes imposées par le Distributeur. Il figure dans le catalogue des prestations du distributeur ». Les juges du fond avaient rejeté la demande de suppression de cette clause ainsi que les demandes indemnitaires de l’UFC en retenant que si le délai prévisionnel de fourniture de l’énergie n’y est pas mentionné, une telle information figure dans les conditions particulières du contrat. L’arrêt est censuré au visa de l’article L. 121-87, 8°, devenu L. 224-3, 8°, du code de la consommation : après avoir rappelé « qu’il résulte de ce texte que l’offre de fourniture d’électricité ou de gaz naturel doit préciser, dans des termes clairs et compréhensibles, le délai prévisionnel de fourniture de l’énergie », la cour en conclut « qu’en statuant ainsi, alors que la clause litigieuse ne permettait pas au consommateur de connaître, avant la conclusion du contrat, le délai prévisionnel de fourniture de l’énergie, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». Il s’agit bien là d’une clause illicite en ce qu’elle est directement contraire à ce que prévoit désormais l’article L. 224-3, 8°, du code de la consommation.

Quant au cinquième moyen, il fait état d’une clause, contenue dans les conditions générales de vente de juin 2014, qui stipulait qu’« À défaut de paiement intégral dans le délai prévu, les sommes dues sont majorées sans mise en demeure de pénalités égales aux sommes restant dues multipliées par le nombre de jours de retard, que multiplie 1,5 fois la valeur journalière du taux de l’intérêt légal en vigueur ». Pour valider cette clause et rejeter en conséquence les demandes indemnitaires de l’UFC, l’arrêt de la cour d’appel de Versailles avait retenu que le défaut de réciprocité de la pénalité infligée au consommateur en cas de retard de paiement ne crée aucun déséquilibre significatif à son détriment, dès lors que la société n’a pas la maîtrise du réseau de distribution, qu’elle subit d’importantes contraintes techniques et que la pénalité infligée au client apparaît modérée.

Là encore, la décision est cassée, mais cette fois-ci au visa des articles L. 132-1 et R. 132-1, 5°, devenus L. 212-1 et R. 212-1, 5°, du code de la consommation : « Qu’en statuant ainsi, alors que la pénalité encourue par le consommateur en cas de retard de paiement ne s’accompagnait d’aucune pénalité réciproque en cas de manquement de la société à son obligation principale de fourniture d’énergie, peu important son défaut de maîtrise du réseau de distribution, l’ampleur de ses contraintes techniques et la modicité de la pénalité infligée au consommateur, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». La solution est parfaitement justifiée au regard de l’article R. 212-1, 5°, du code de la consommation, présumant irréfragablement abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet de « contraindre le consommateur à exécuter ses obligations alors que, réciproquement, le professionnel n’exécuterait pas ses obligations de délivrance ou de garantie d’un bien ou son obligation de fourniture d’un service » (il s’agit d’une clause dite noire). Elle illustre la tendance du droit de la consommation à condamner les clauses ne prévoyant pas une réciprocité dans les droits respectifs des professionnels et des consommateurs (V. à ce sujet, C.-L. Péglion-Zika, op. cit., nos 396 s.).

La distinction entre les clauses illicites et abusives ainsi mise en lumière n’est pas seulement d’ordre pédagogique, elle présente également un intérêt d’ordre procédural : l’article R. 632-1 du code de la consommation dispose en effet que « Le juge peut relever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application. Il écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat » (l’al. 1er de ce texte est issu de la loi n° 2008-3 du 3 janv. 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs et l’al. 2 a été ajouté par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation afin de consacrer la jurisprudence européenne. V. CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08, Sté Pannon GSM Zrt c/ Mme Erzsébet Sustikné Gyorfi, D. 2009. 2312 image, note G. Poissonnier image ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero image ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay image ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais image. V. déjà CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05, Mme Mostaza Claro c/ Centro Movil Milenium SL, D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 3026, obs. T. Clay image ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages image ; ibid. 633, obs. P. Théry image). Aussi surprenant que cela puisse paraître, le juge est donc tenu de soulever le caractère abusif d’une clause, mais pas l’illicéité, à propos de laquelle il ne jouit que d’une simple faculté.

Cela étant dit, cette distinction doit être relativisée à un double titre : sur le plan substantiel, les clauses noires, en ce qu’elles sont irréfragablement présumées abusives (tel était le cas en l’occurrence), ne laissent au juge aucune marge de manœuvre si bien qu’il est possible de se demander pourquoi elles ne sont pas tout simplement déclarées contraires à la loi, donc illicites (V. en ce sens, J.-D. Pellier, op. cit., n° 102). Sur le plan procédural, on peut tout d’abord observer que les associations de défense des consommateurs peuvent agir en suppression non seulement des clauses abusives, mais également des clauses illicites (C. consom., art. L. 621-8. Comp. art. L. 621-2, visant, en matière d’action civile, une « clause illicite ») et il en va de même pour l’action de la DGCCRF (C. consom., art. L. 524-1, visant une clause « illicite, interdite ou abusive »). Ensuite, la Cour de justice de l’Union européenne estime que le juge national doit relever d’office toutes les dispositions protectrices du consommateur. Elle a en effet consacré une telle obligation en matière de garantie de conformité (CJUE 4 juin 2015, aff. C-497/13, D. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image) et de crédit à la consommation (CJUE 21 avr. 2016, aff. C-377/14, D. 2016. 1744 image, note H. Aubry image ; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image).

Ainsi, comme l’affirme le professeur Carole Aubert de Vincelles, « il faut donc en conclure que désormais, quel que soit le domaine de protection des consommateurs, l’effectivité de celle-ci justifie que le juge national soit tenu d’apprécier d’office le respect des exigences découlant des normes de l’Union en matière de droit de la consommation » (C. Aubert de Vincelles, La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de droit de la consommation in Picod Y. (dir.), Le droit européen de la consommation, 2018, Mare et Martin, p. 35, n° 21).

Il faudrait donc que le législateur se décide à consacrer l’obligation de soulever d’office les dispositions protectrices des consommateurs. Que la clause soit illicite ou abusive n’aurait donc plus d’incidence procédurale.

Nullité de la déclaration de pourvoi : grief résultant d’une difficulté relative à l’exécution

La nullité des actes de procédure est une question de procédure au carrefour d’intérêts divergents qu’il convient de concilier pour garantir la bonne marche du procès.

D’un côté, tout le monde peut convenir qu’une bonne justice ne peut se satisfaire d’un formalisme excessif et rigoriste qui aurait pour effet de nuire à la progression de l’instance. La forme doit servir le fond, non l’entraver. C’est ce qui explique que le code de procédure civile impose certaines conditions à la nullité pour vice de forme. Parmi celles-ci, deux sont essentielles : pas de nullité sans texte et sans grief (C. pr. civ., art. 114).

De l’autre, le formalisme est une impérieuse nécessité. D’abord parce qu’il concourt à l’efficacité de la procédure. Il leur indique précisément la marche à suivre pour faire « vite et bien » (N. Cayrol, Procédure civile, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 685, p. 334) : tel acte doit être rédigé de telle façon et être transmis dans tel délai pour son effet. Ensuite parce qu’il est un gage d’égalité et de liberté  en ce qu’il les soumet à la même discipline procédurale. Ce faisant, il les met à l’abri « des caprices et des manœuvres déloyales de l’adversaire ou de l’arbitraire du juge » (N. Cayrol, op. cit., n° 688, p. 336).

En l’occurrence, c’est l’attitude du demandeur qui posait difficulté.

La mère d’un enfant né en Suède avait quitté ce pays pour la France. Le père avait saisi les autorités suédoises à l’effet d’obtenir le retour de l’enfant en Suède en application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.

Par requête, la mère a demandé au juge aux affaires familiales de fixer les modalités d’exercice de l’autorité parentale à l’égard de l’enfant commun. Le procureur de la République l’a assignée aux fins de voir ordonner le retour immédiat de l’enfant au domicile du père en Suède.

Infirmant une première décision, une cour d’appel a accueilli cette demande. Statuant sur la requête déposée par la mère devant le juge aux affaires familiales, elle avait estimé que le juge français était incompétent.

La mère avait formé un pourvoi en cassation dont le père contestait la recevabilité au motif que, dans sa déclaration de pourvoi, la mère de l’enfant avait déclaré être domiciliée en France à une adresse à laquelle l’huissier de justice ne l’a pas trouvée. Il arguait que cette irrégularité lui avait causé un grief en faisant obstacle à l’exécution de l’arrêt qui a ordonné le retour immédiat de l’enfant en Suède.

La Cour de cassation lui donne raison. Au visa de l’article 975 du code de procédure civile, elle commence par observer que l’absence ou l’inexactitude de la mention relative au domicile du demandeur en cassation exigée par le texte précité constitue une irrégularité de forme susceptible d’entraîner la nullité de la déclaration de pourvoi s’il est justifié que cette irrégularité cause un grief au défendeur. Or, il résultait d’un procès-verbal de recherches infructueuses que la mère avait déclaré être domiciliée à une adresse qui n’était pas la sienne, de sorte que le père justifiait bien du grief que lui causait cette irrégularité, laquelle avait nuit à l’exécution de la décision de retour. Il s’en suivait que la déclaration de pourvoi était nulle et que celui-ci n’était pas recevable.

Comme tout acte de procédure, la déclaration de pourvoi obéit à un formalisme strict. Aux termes de l’article 975 du code de procédure civile, elle doit contenir un certain nombre de mentions obligatoires permettant, notamment, l’identification des plaideurs ou de leurs représentants. Sur ce point, la doctrine a déjà pu mettre en exergue une forme de « libéralisme » de la Cour de cassation qui transparaît de la souplesse avec laquelle elle conçoit ces exigences. En particulier, en ce qui concerne l’indication de l’adresse du demandeur, la jurisprudence l’a déjà montré. Une erreur ou une lacune dans les mentions obligatoires reste parfois sans influence sur la validité de la déclaration et, donc, sur la recevabilité du pourvoi. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle admis la recevabilité du pourvoi formé au nom d’une société, alors que toute la procédure devant les juridictions de fond s’était déroulée au nom d’une personne physique qui exploitait cette firme, parce que cette erreur matérielle se trouvait réparée par les mémoires qui ne laissaient aucun doute sur l’identité du demandeur (Civ. 1re, 21 janv. 1981, Bull. civ. I, no 24 ; V. aussi, Civ. 2e, 6 mai 2004, no 02-17.797, Bull. civ. II, no 207 ; RTD civ. 2004. 766, obs. P. Théry image). Dans le même ordre d’idée, elle a admis qu’une erreur formelle du demandeur pouvait être corrigée hors du délai de pourvoi par une déclaration rectificative (Com. 12 févr. 1985, n° 83-14.282, Bull. civ. IV, no 53).

En ce qui concerne plus spécifiquement l’adresse du demandeur, l’article 975 exige que la déclaration de pourvoi indique précisément son domicile. Le libéralisme de la Cour de cassation s’est traduit par une volonté de sauver l’acte introductif dés lors que les circonstances du litige démontrait qu’aucun grief véritable ne résultait d’une inexactitude de cette mention. Ainsi, par exemple, il a été jugé qu’un pourvoi demeure valide lorsqu’il a été formé par le demandeur sous une adresse qui n’était plus la sienne mais que l’élection de domicile chez son avocat à la Cour de cassation empêchait de contester la recevabilité du recours (Civ. 1re, 17 mai 1982, n° 81-11.744, Bull. civ. I, no 182).

Le libéralisme a cependant des limites qui se trouvent au demeurant posées par l’exigence d’un grief. Si celle-ci nuance et relativise les exigences de forme, elle est aussi ce qui justifie que la sanction soit effectivement prononcée. La haute juridiction a déjà précisé que ce grief peut résulter d’une difficulté dans l’exécution d’une décision de justice. Elle considère que l’absence ou l’inexactitude de la mention du domicile fait grief au défendeur si elle nuit à l’exécution de la décision attaquée (Com. 15 juin 2011, no 09-14.953, Bull. civ. IV, no 97 ; D. 2011. 1771, obs. V. Avena-Robardet image ; Civ. 2e, 7 juin 2012, no 11-30.272). Certains auteurs n’ont pas manqué de souligner que cette solution s’inscrit dans le sillage d’un arrêt rendu en 2001 s’agissant de la déclaration d’appel (Dalloz actualité, 30 juin 2011, obs. V. Avena-Robardet) selon lequel l’absence ou l’inexactitude de la mention du domicile dans l’acte d’appel est aussi de nature à faire grief s’il est justifié qu’elle nuit à l’exécution du jugement déféré à la cour d’appel (Civ. 2e, 14 juin 2001, n° 99-16.582, Bull. civ. II, n° 117 ; D. 2001. 3075 image, note D. Cholet image ; ibid. 2714, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2001. 664, obs. R. Perrot image ; V. égal. Civ. 2e, 21 nov. 2002, n° 01-00.935, Bull. civ. II, n° 262 ; Soc. 30 juin 2004, n° 02-42.032, Dalloz jurisprudence). La position retenue marquait une évolution importante en ce que la Cour de cassation avait par cet arrêt « (bouleversé) les idées reçues en ne fermant plus les yeux sur ce genre de défectuosité » (R. Perrot, RTD civ. 2001. 664, obs. ss. Civ. 2e, 14 juin 2001, 3 arrêts, arrêt n° 1188, Perrin c/ Les Assurances du crédit Namur image). « À dire vrai, ce n’est pas un tremblement de terre » (R. Perrot, ibid.). La solution est parfaitement conforme au régime général de la nullité des actes de procédure et, en particulier, aux dispositions de l’article 114 du code de procédure civile. 

Il ne faudrait pourtant pas minimiser l’intérêt de l’arrêt rapporté qui se prononce de façon très claire sur une application de cette solution à la déclaration de pourvoi, ce que certains auteurs avaient appelé de leurs vœux (D. Cholet, note ss. Civ. 2e, 14 juin 2001, préc.) et que la Cour de cassation avait déjà retenue (Civ. 2e, 7 juin 2012, n° 11-30.212, Procédures 2012. Comm. 240). Il permet ainsi de rappeler que les mentions relatives au demandeur dans l’acte introductif ne vise pas simplement à en permettre l’identification. « L’éventualité d’une exécution est aussi en ligne de mire » (R. Perrot, RTD civ. 2001. 664, préc.). La Cour de cassation suggère ainsi aux juges du fond d’avoir une vision ouverte du grief qu’est susceptible de causer l’irrégularité, lequel grief relève de leur appréciation souveraine (V. par ex., Civ. 2e, 21 oct. 1982, n° 81-13.543, Bull. civ. II, no 129 ; D. 1983. IR 139, obs. Julien). Surtout, ce grief peut résulter d’une difficulté dans l’exécution de la décision. La solution est particulièrement bienvenue dans la mesure où, en plus de préserver le droit (fondamental) à l’exécution du créancier, elle combat les velléités frauduleuses ou déloyales des parties qui chercherait à dissimuler certaines informations pour paralyser, de fait, l’exécution de la décision rendue (en ce sens, v. D. Cholet, note ss. Civ. 2e, 14 juin 2001, préc. ; v. aussi, Rép. pr. civ., v° Pourvoi en cassation, par J. et L. Boré, 2019, n° 677). On retrouve ici la vertu protectrice du formalisme.

En l’occurrence, la justification du grief ne posait guère de difficulté compte tenu de la particularité des faits litigieux, l’enjeu de l’exécution étant le retour d’un enfant auprès de son père. Or, l’inexactitude des mentions relatives à l’adresse de la mère rendait impossible l’exécution de la décision ordonnant le retour de l’enfant. On notera cependant, comme le souligne très justement un auteur (v. D. Cholet, JCP 2019, n° 40, p. 970, obs. ss. Civ. 1re, 20 sept. 2019, n° 18-20.222, D. 2019. 1845 image), qu’en l’espèce, les difficultés d’exécution ne concernait pas la décision introduite par l’acte vicié – ici le pourvoi- mais une décision précédente ayant ordonné le retour de l’enfant . La difficulté ne semblait cependant pas dirimante dès lors que le grief est apprécié librement par les juges du fond et que rien n’impose qu’il soit lié à la décision rendue à l’issue de la procédure introduite par l’acte vicié. Le grief est une notion de fait, qui renvoie, non à une acte, mais à la situation du plaideur.

Faute pénale intentionnelle du dirigeant : charge des dommages-intérêts

Voilà un bel arrêt, d’une grande richesse, qui se situe au confluent de trois disciplines, droit des sociétés, droit civil et droit pénal. Il aurait même mérité, à notre avis, mieux que l’estampille « F-P+B ». Les faits méritent d’être exposés. Un individu a été déclaré coupable de complicité d’abus de biens sociaux commis au préjudice de la société SLEA. Il a logiquement été condamné à payer à cette dernière une certaine somme à titre de dommages-intérêts. Mais soutenant avoir agi au nom et pour le compte d’une autre société, la société Coprim dont elle était le dirigeant, l’intéressé a alors assigné la société Coprim en remboursement des sommes versées à la société SLEA. Sa demande est rejetée par la cour d’appel de Versailles. La solution est confirmée par la Cour de cassation qui rejette son pourvoi.

Son premier argument n’a pas, à juste titre, convaincu la Haute juridiction. Pour lui, il agissait en vertu d’un mandat de droit commun. Le dirigeant est le mandataire de la société dont il est l’organe ; or, en jugeant que les relations entre une société en nom collectif et son gérant ne résultaient pas d’un contrat de mandat au sens de l’article 1984 du code civil, la cour d’appel a violé ce texte. Si l’on va au bout du raisonnement, il faut se référer à l’article 1998 du code civil, qui prévoit que le mandant – ici la société – est engagé par les actes passés en son nom et pour son compte. Ce raisonnement ne convainc pas la Cour de cassation : bien que le dirigeant social soit doté d’un pouvoir de représentation de la société qu’il administre, ses pouvoirs obéissent au système du pouvoir légal et ne sont pas régis par le droit du mandat. L’attendu mérite d’être reproduit en dépit de la formule quelque peu redondante qu’il emploie : « le dirigeant social d’une société (sic) détient un pouvoir de représentation de la société, d’origine légale, l’arrêt retient, à bon droit, que les dispositions spécifiques du code civil régissant le mandat n’ont pas vocation à s’appliquer dans les rapports entre la société et son dirigeant ».

Le dirigeant ajoute que la cour d’appel a constaté que le contrat litigieux avait été souscrit par lui en sa qualité de représentant légal de la société Coprim, dans l’exercice de ses fonctions, au nom et pour le compte de celle-ci, qui en avait tiré avantage. C’est à tort, selon lui, qu’elle a jugé que ce contrat constitue un acte personnel du dirigeant dont il devait en assumer seul les conséquences. Là encore, l’argument n’emporte pas la conviction de la Haute juridiction. Elle affirme que la cour d’appel, ayant relevé que le dirigeant « avait été définitivement jugé coupable de complicité d’abus de biens sociaux au préjudice de la SLEA, retenu que cette faute impliquait un usage illicite des biens de la société qu’il dirigeait, consistant à rémunérer des commissions occultes avec le patrimoine de celle-ci, et énoncé que la faute pénale intentionnelle du dirigeant est par essence détachable des fonctions, peu important qu’elle ait été commise dans le cadre de celles-ci, ce dont elle a déduit [qu’il] ne pouvait se retourner contre la société […] Coprim pour lui faire supporter in fine les conséquences de cette faute qui est un acte personnel du dirigeant, que ce soit vis-à-vis des tiers ou de la société au nom de laquelle il a cru devoir agir ». La solution n’est pas nouvelle en jurisprudence. Toute faute pénale n’est pas une faute détachable des fonctions de dirigeants, mais seulement si elle est intentionnelle (Com. 28 sept. 2010, FS-P+B+R+I, n° 09-66.255, Dalloz actualité, 1er oct. 2010, obs. A. Lienhard ; D. 2010. 2617, chron. R. Salomon image ; ibid. 2011. 2758, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau image ; RDI 2010. 565, obs. D. Noguéro image ; Rev. sociétés 2011. 97, note B. Dondero image ; RTD civ. 2010. 785, obs. P. Jourdain image), ce qui est le cas de certains délits, comme ici l’abus de biens sociaux, et bien entendu du crime, que ces infractions aient été punies en qualité d’auteur principal ou de complice. Et en cas de faute détachable, c’est le dirigeant qui doit en supporter les conséquences financières. La société qu’il dirige n’est pas engagée ; il ne peut en aucun cas se retourner contre elle pour obtenir le remboursement des dommages-intérêts auxquels il a été condamné. Comme l’affirme la Cour de cassation, « la dette de réparation du préjudice causé par [la faute pénale intentionnelle du dirigeant social] est une dette propre ».

On sait, d’ailleurs, depuis la jurisprudence Carignon, que, en cas d’abus de biens sociaux, la société dans le cadre de laquelle a été commis cette infraction n’en tire jamais avantage. L’acte accompli par les dirigeants avec les fonds sociaux est nécessairement contraire à l’intérêt social, même s’il vise, par exemple, à décrocher des marchés publics. En effet, selon la chambre criminelle, « quel que soit l’avantage à court terme qu’elle peut procurer, l’utilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit tel que la corruption est contraire à l’intérêt social en ce qu’elle expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa réputation » (Crim. 27 oct. 1997, n° 96-83.698, D. 1997. 251 image ; Rev. sociétés 1997. 869, note B. Bouloc image ; RSC 1998. 336, obs. J.-F. Renucci image ; RTD com. 1998. 428, obs. B. Bouloc image). Pourquoi la société devrait-elle rembourser une somme d’argent dont elle n’a pas tiré profit ?

Précisions sur l’intérêt collectif des consommateurs

La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu le 26 septembre 2019 deux arrêts nous invitant à revenir sur la notion d’intérêt collectif des consommateurs (v. à ce sujet, J. Calais-Auloy et H. Temple, Droit de la consommation, 9e éd., Dalloz, 2015, n° 669, le définissant comme l’« intérêt qui se trouve à mi-chemin entre les intérêts individuels de quelques consommateurs et l’intérêt général de tous les citoyens ». V. égal., J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., 2019, Dalloz, coll. « Cours », n° 292 : « L’intérêt collectif des consommateurs est donc au droit de la consommation ce que l’intérêt général est au droit pénal ou encore ce que l’intérêt collectif de la profession est au droit du travail »).

En l’espèce, l’association Union fédérale des consommateurs - Que Choisir (l’UFC) a assigné la société Direct énergie (premier arrêt) ainsi que la société GDF Suez, devenue Engie (second arrêt) en suppression de clauses illicites ou abusives contenues dans ses conditions générales de vente d’électricité et de gaz en vigueur au 1er janvier 2013. En cours d’instance, les sociétés ont émis de nouvelles conditions générales de vente. La question se posait donc de savoir si l’action exercée par l’UFC était toujours recevable.

Les juges du fond (Paris, 9 nov. 2017 et Versailles, 16 nov. 2017) ayant déclaré cette action irrecevable, l’association se pourvut en cassation, invoquant plusieurs arguments.

En premier lieu, la Cour régulatrice considère qu’ayant relevé que la société avait substitué aux clauses contenues dans les contrats conclus sous l’empire des conditions générales litigieuses, de nouvelles clauses notifiées à l’ensemble des clients concernés « de sorte qu’il ne subsistait aucun contrat en cours susceptible de contenir les anciennes clauses litigieuses, la cour d’appel en a exactement déduit que la demande de suppression portant sur ces clauses était irrecevable ». Cela est parfaitement justifié, le code de la consommation, en ses articles L. 621-2 (dans le cadre d’une action civile) et L. 621-8 (dans le cadre d’une action en cessation d’agissements illicites) permettant aux associations de défense des consommateurs de demander au juge de déclarer qu’une clause est réputée non écrite dans tout contrat proposé ou destiné au consommateur ou dans tout contrat en cours d’exécution.

Pour que ces dispositions aient vocation à s’appliquer, il faut donc qu’un contrat soit en cours ou bien qu’il ait vocation à être proposé aux consommateurs (v. par ex., Civ. 1re, 3 févr. 2011, n° 08-14.402, D. 2011. 1659, obs. X. Delpech image, note G. Chantepie image ; ibid. 2012. 840, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; JA 2011, n° 435, p. 11, obs. X.D. image ; RTD civ. 2011. 350, obs. B. Fages image ; RTD com. 2011. 404, obs. B. Bouloc image, concernant une action en cessation d’agissements illicites : « l’action préventive en suppression de clauses abusives ouverte aux associations agréées de défense des consommateurs a vocation à s’appliquer aux modèles types de contrats destinés aux consommateurs et rédigés par des professionnels en vue d’une utilisation généralisée »). Il était donc logique que l’action soit...

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Règlement Bruxelles I [i]bis[/i] : certificat de l’article 53 et contrôle de la compétence

Le règlement (UE) Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale prévoit des principes relatifs à la reconnaissance et à l’exécution dans un État membre des décisions prononcées dans les autres États de l’Union.

En matière de reconnaissance, l’article 36 dispose que les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. L’article 37 ajoute que la partie qui entend invoquer, dans un État membre, une décision rendue dans un autre État membre produit : a) une copie de la décision réunissant les conditions nécessaires pour en établir l’authenticité ; et le certificat délivré conformément à l’article 53.

En matière d’exécution, l’article 39 énonce qu’une décision rendue dans un État membre et qui est exécutoire dans cet État membre jouit de la force exécutoire dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire. L’article 42, paragraphe 1, pose qu’aux fins de l’exécution, le demandeur communique à l’autorité compétente chargée de l’exécution : a) une copie de la décision...

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Obligation alimentaire : question de compétence dans l’Union européenne

L’application du règlement (CE), Bruxelles II bis, n° 2201/2003 du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, et l’application du règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, soulèvent parfois des problèmes d’articulation.

Ce n’est pas surprenant compte tenu du fait que la matière des obligations alimentaires a certes un caractère patrimonial mais est directement en lien avec les relations de famille (v. S. Armellini, B. Barel et U. Giacomelli, La famiglia nel diritto internazionale, Guiffrè, 2019, p. 271). Le règlement du 18 décembre 2008 fait d’ailleurs lui-même le lien entre les règles de compétence qu’il édicte et celles issues d’autres matières. Ainsi, son article 3 énonce que sont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres : a) la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou b) la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, ou c) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à l’état des personnes lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties, ou d) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à la responsabilité parentale lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la...

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