Mécaniquement, le principe de libre disposition des gains et salaires prévu par le régime primaire s’en trouve réduit, dans son champ d’application, aux seuls gains et salaires non encore économisés. Par ailleurs, la Cour de cassation exclut la requalification d’un contrat d’assurance-vie mixte en donation malgré l’acceptation du bénéficiaire, par application du critère de la révocabilité de l’acte.
Voilà plusieurs années que l’on attendait la position de la Cour de cassation sur une question d’importance : celle de la validité des donations consenties par un époux marié sous un régime de communauté à l’aide de ses gains et salaires. Si la réponse est on ne peut plus claire, elle n’emportera certainement pas les louanges unanimes de ses commentateurs.
L’arrêt comporte également un autre volet, concernant la requalification d’un contrat d’assurance-vie en libéralité. Sur ce point, la solution rendue est plus classique : elle écarte la requalification en raison de la faculté de rachat laissée au souscripteur malgré l’acceptation par le tiers bénéficiaire de sa désignation. La solution, toutefois, est éminemment liée à l’état des textes antérieurs à la loi du 17 décembre 2007 et ne saurait perdurer sous l’empire du droit en vigueur depuis cette réforme.
Dans cette affaire, un époux marié sous le régime de la communauté universelle avait consenti deux libéralités, puisées sur des comptes en banque ouverts à son nom, à une femme avec laquelle il entretenait une relation adultère. Il avait par ailleurs désigné cette même femme comme bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie mixte, et elle avait accepté cette désignation. Postérieurement au décès de l’époux, sa conjointe a agi en nullité des libéralités consenties, afin d’obtenir la restitution des sommes. L’action a été poursuivie par le légataire universel de l’épouse, après le décès de cette dernière.
Les juges du fond ont accueilli les demandes en nullité des différentes libéralités, notamment celles résultant des contrats d’assurance-vie mixte requalifiés en donations indirectes. La bénéficiaire des libéralités a formé un pourvoi en cassation.
Dans un premier moyen, elle a contesté la décision rendue au sujet des donations directes en soutenant que ces libéralités portaient, au moins pour partie, sur les gains et salaires de l’époux donateur, lesquels sont soumis à la libre disposition de celui qui les perçoit, dès lors qu’il s’est acquitté de sa part des charges du mariage.
Pour la première fois depuis 1984, la Cour de cassation a donc été amenée à se prononcer sur la validité d’une donation consentie par un époux commun en biens au moyen de ses gains et salaires. Elle a rejeté le moyen du pourvoi en considérant, aux termes d’un attendu de principe limpide dans sa formulation, que « ne sont pas valables les libéralités consenties par un époux commun en biens au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires lorsque ces sommes ont été économisées ».
Dans un second moyen, la demanderesse au pourvoi reprochait à la cour d’appel d’avoir requalifié les contrats d’assurance-vie en libéralités au motif que le fait, pour le souscripteur, de consentir à l’acceptation, par le bénéficiaire, de sa désignation, traduit une volonté de se dépouiller de manière irrévocable au profit du bénéficiaire, dès lors que le souscripteur se trouve privé de toute possibilité de rachat du fait de cette acceptation. Cette solution, qui aurait sans doute été approuvée sous l’empire du droit positif, a été censurée par la Cour de cassation, qui a fait application de l’article L. 132-9 du code des assurances, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 décembre 2007.
Aux termes d’un second attendu de principe, la haute juridiction rappelle que, sous l’empire des textes anciens, « en l’absence de renonciation expresse de sa part, le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie mixte est fondé à exercer le droit de rachat prévu au contrat même en présence de bénéficiaires ayant accepté le bénéfice de ce contrat ». Dès lors, la cour d’appel ne pouvait retenir l’existence d’une libéralité sans constater une renonciation expresse du souscripteur à l’exercice de son droit de rachat.
L’arrêt est donc partiellement cassé, en ce qu’il a requalifié les contrats d’assurance-vie en donations indirectes et prononcé leur nullité, mais il n’est pas remis en cause en ce qu’il a prononcé la nullité des donations directes.
Les deux questions abordées par l’arrêt étant très différentes, il conviendra d’envisager successivement les deux solutions rendues par la Cour de cassation : d’une part, la nullité des donations consenties à l’aide de gains et salaires économisés ; d’autre part, l’éviction de la qualification de donation au sujet des contrats d’assurance-vie mixte.
La nullité des donations consenties à l’aide des gains et salaires économisés
La Cour de cassation fait ici œuvre créatrice en retenant une solution de principe que la lettre des textes n’imposait pas, et qui laisse planer des incertitudes, tant sur sa mise en œuvre que sur ses incidences.
Le principe posé
Par cet arrêt, la Cour de cassation tranche un débat bien connu dont on rappellera brièvement les termes. La difficulté provient d’une contradiction entre deux textes de loi dont les champs d’application, à première vue, se recoupent. D’un côté, l’article 223 du code civil, siège de l’autonomie professionnelle, octroie à chaque époux un droit de disposer librement de ses gains et salaires après s’être acquitté de sa part des charges du mariage. Une majeure partie de la doctrine en déduit que ce texte soumet les gains et salaires à la gestion exclusive de l’époux qui les perçoit. D’un autre côté, pour les couples mariés sous un régime de communauté de biens, l’article 1422 du code civil pose une règle de cogestion en subordonnant à l’accord des deux époux la validité des donations portant sur des biens communs. Les gains et salaires étant qualifiés de biens communs (Civ. 1re, 8 févr. 1978, n° 75-15.731, Bull. civ. I, n° 53), ils ont vocation à être soumis, en tant que tels, à cette règle de cogestion.
Toute la question est donc de savoir comment doivent s’articuler ces deux textes contradictoires qui ont une égale vocation à s’appliquer, en cas de donation des gains et salaires. La façon la plus simple de résoudre ce conflit eût été de se référer au caractère impératif du régime primaire (arg. C. civ., art. 226), dont relève l’article 223 du code civil. En tant que disposition impérative applicable à tous les couples mariés, quel que soit leur régime matrimonial, l’article 223 aurait très bien pu l’emporter sur l’article 1422, qui relève du régime de la communauté de biens. C’est d’ailleurs ce que soutenait la demanderesse au pourvoi, qui faisait valoir que « chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires à titre gratuit ou onéreux après s’être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage ». De fait, l’article 223 pose un principe de libre disposition sans opérer de distinction selon que l’époux souhaite en disposer à titre gratuit ou onéreux, ce qui autorise à lui conférer une portée large, par application de l’adage ubi lex non distinguit.
Telle n’est toutefois pas la voie retenue par la Cour de cassation, qui a choisi de combiner les deux textes contradictoires, plutôt que de faire primer l’un sur l’autre. Pour ce faire, elle a eu recours à une notion qui ne figure dans aucun des textes en cause : la notion d’économie. Ainsi, il ressort de sa décision que la règle de cogestion de l’article 1422 du code civil s’applique aux gains et salaires à partir d’un certain seuil : le moment où ils ont été économisés. Sont donc frappées de nullité les libéralités consenties par un seul époux, commun en biens, au moyen de sommes économisées provenant de ses gains et salaires. A contrario, il faut en déduire que, tant que les gains et salaires n’ont pas été économisés, ils sont soumis au principe de libre disposition de l’article 223 du code civil, de sorte qu’un époux, quel que soit son régime matrimonial, pourra valablement en disposer à titre gratuit ou onéreux, après s’être acquitté des charges du mariage.
La solution n’est pas totalement inédite : elle transparaissait déjà dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 février 1984, dont l’interprétation avait toutefois divisé la doctrine (Civ. 1re, 29 févr. 1984, n° 82-15.712, Bull. civ. I, n° 81 ; JCP 1985. II. 20443, note Le Guidec ; D. 1984. 601, note Martin ; Defrénois 1984, art. 33379, p. 1074, obs. Champenois ; RTD civ. 1985. 721, obs. Rubellin-Devichi ; GAJC, t. 1, 2015, 13e éd., Dalloz, n° 90, p. 503 s., obs. H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette). La haute juridiction avait alors admis la validité de libéralités consenties par un époux au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires, sur le fondement de l’article 224 du code civil (devenu 223 avec la loi du 23 déc. 1985), en retenant précisément la formule invoquée par le moyen du pourvoi dans la présente affaire : « chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires, à titre gratuit ou onéreux, après s’être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage ». À époque, le demandeur au pourvoi avait reproché aux juges du fond de n’avoir pas recherché si ces gains et salaires accumulés pendant plusieurs années n’avaient pas le caractère de fonds communs dont un époux ne pouvait disposer en fraude des droits de son conjoint. La Cour de cassation avait balayé cet argument en retenant qu’il n’avait pas été allégué devant les juges du fond que ces sommes auraient été économisées. Autrement dit, les juges n’avaient pas à procéder à une recherche qui ne leur avait pas été demandée. De cette précision incidente, une partie de la doctrine a déduit, par une lecture a contrario, que la solution aurait été différente si les sommes avaient été économisées (v. not. R. Le Guidec, art. préc. ; G. Champenois, art. préc. ; adde P. Malaurie et L. Aynès, Droit des régimes matrimoniaux, 7e éd., LGDJ, 2019, spéc. n° 419, estimant que les économies faites sur les gains et salaires ne peuvent être données sans le consentement des deux époux). Une autre partie de la doctrine, plus circonspecte, se montrait prudente sur l’interprétation de cet arrêt, dont la solution n’avait jusqu’à présent pas été réitérée (v. not. D. Martin, note préc., estimant que le constat de l’irrecevabilité du moyen n’autorise pas à préjuger, au fond, de l’opinion de la Cour de cassation ; F. Terré et P. Simler, Régimes matrimoniaux et statut patrimonial des couples non mariés, 8e éd., Dalloz, 2019, spéc. n° 102, estimant que chaque époux peut disposer de ses gains et salaires sans le consentement de son conjoint et que cette solution doit être admise au sujet des économies faites sur les gains et salaires, tant qu’elles n’ont pas été confondues avec d’autres liquidités ou employées à l’acquisition d’autres biens).
Par le présent arrêt, la Cour de cassation vient de trancher le débat de la manière la plus explicite qui soit : elle consacre très clairement la notion d’économie des gains et salaires, pour régir leur gestion. La position retenue implique que les gains et salaires changent de régime, si ce n’est de nature, à compter du moment où ils ont été économisés. Communs dès leur entrée dans le patrimoine des époux (en ce sens, v. Civ. 1re, 6 déc. 2005, n° 03-13.799, Dalloz jurisprudence), les gains et salaires sont soumis dans un premier temps à un principe de libre de disposition qui déroge aux règles applicables aux autres biens communs. Pour peu que l’on voie dans l’article 223 du code civil une règle de gestion exclusive, la dérogation sera complète puisqu’elle conduira à écarter tant la règle de cogestion posée par l’article 1422 pour la donation de biens communs que le principe de gestion concurrente de l’article 1421 du code civil (qui veut que chacun des époux puisse administrer et disposer seul des biens communs, et aurait donc impliqué qu’un époux puisse disposer des gains et salaires de l’autre, à titre onéreux). Dans un second temps, dès lors qu’ils ont été économisés, les gains et salaires échappent à leur régime dérogatoire et se retrouvent soumis aux règles applicables aux autres biens communs.
Certains auteurs s’interrogent sur le point de savoir si ce changement de régime n’implique pas que les gains et salaires, qui sont, à l’origine, des biens communs « extraordinaires », deviendraient des biens communs « ordinaires » dès lors qu’ils ont été économisés (v. not. J. Antippas, La notion d’économie en droit des régimes matrimoniaux, RRJ 2009. 1275 s., spéc. n° 5 ; évoquant également la notion de biens communs « ordinaires » au sujet des gains et salaires économisés, v. G. Champenois, obs. in Defrénois 1984, art. 33379, p. 1074 s., spéc. p. 1078 ; J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., Armand Colin, 2001, spéc. n° 431 : « En cas de thésaurisation […] de revenus sur un compte, le capital ainsi constitué est un bien ordinaire » ; adde V. Barabé-Bouchard, Article 1415 c. civ. : de la saisissabilité des comptes de l’époux caution, D. 2003. 2792 , énonçant que, d’après l’arrêt du 29 février 1984, le stade de l’économie transforme les gains et salaires en acquêts ordinaires). Dans l’arrêt commenté, les juges du fond semblent plutôt avoir considéré que les gains et salaires, une fois économisés, avaient disparu en tant que tels pour devenir d’autres biens (« même si certains de ces fonds provenaient des gains et salaires de [l’époux donateur], ils étaient devenus des économies et ne constituaient donc plus des gains et salaires »). La Cour de cassation ne prend pas parti sur cette question de la nature des gains et salaires : elle se contente de juger que « l’arrêt se trouve légalement justifié », sans marquer davantage son approbation du raisonnement tenu, limitant sa prise de position au seul régime applicable aux gains et salaires économisés.
Très clair dans sa formulation, le principe posé n’en est pas moins générateur d’incertitudes.
Les incertitudes subsistant
Deux zones d’ombres demeurent. La première tient à la notion même d’économie consacrée par l’arrêt, la seconde à la portée de la solution, notamment sur le sort des gains et salaires en matière de passif.
La notion d’économie est évoquée par le droit des régimes matrimoniaux à travers l’article 1401 du code civil, qui range parmi les acquêts de communauté les biens acquis grâce aux « économies » faites sur les fruits et revenus des biens propres des époux. En revanche, les textes ne mentionnent pas les gains et salaires économisés. Ils n’en donnent, a fortiori, aucune définition ; l’économie n’est pas définie par la loi. D’où les difficultés présidant à sa mise en œuvre concrète : à partir de quand les gains et salaires doivent-ils être considérés comme économisés ? Faut-il qu’ils soient placés sur un compte bancaire producteur d’intérêts ? Suffit-il qu’un salaire soit stocké pendant un mois sur un compte quelconque pour qu’il soit considéré comme économisé ? Un compte en banque crédité d’un montant supérieur à un mois de salaire doit-il être considéré comme comportant des biens communs ordinaires, au-delà du montant du salaire mensuel ? Cette question avait déjà été soulevée par les commentateurs de l’arrêt du 29 février 1984.
Le présent arrêt n’apporte pas véritablement de réponse à ces interrogations, tant il est évident que l’on était en l’espèce en présence de gains et salaires économisés. On pourrait d’ailleurs se demander s’il s’agissait toujours de gains et salaires ou s’ils n’avaient pas plutôt été transformés en véritables acquêts de communauté. En effet, il ressort des constatations des juges du fond que les sommes utilisées pour la réalisation des donations provenaient, en premier lieu, du rachat d’un contrat d’assurance sur la vie souscrit en cours d’union et, en second lieu, de la liquidation d’un compte-titre ouvert au nom des deux époux. Dans un cas comme dans l’autre, les gains et salaires ont été utilisés pour acquérir un produit d’épargne (versement de primes dans le cadre du contrat d’assurance-vie ; acquisition de titres dans le cadre du compte-titre). Ils ont ensuite été remplacés par le fruit de cette épargne, lors du rachat de l’assurance-vie et de la liquidation du compte-titre. C’est d’ailleurs probablement ce qui a poussé les juges du fond à considérer que les gains et salaires utilisés pour acquérir ces sommes étaient devenus des « économies » et ne constituaient donc plus des gains et salaires.
Au vu des faits de l’espèce, la même solution aurait pu être rendue sans passer par le détour de la notion de gains et salaires économisés, en retenant la qualité d’acquêts des sommes issues du produit du rachat de l’assurance-vie et de la revente des titres. Du reste, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de juger qu’un compte-titres tout comme un plan d’épargne logement constituent des acquêts, quand bien même ils seraient alimentés exclusivement par les gains et salaires d’un époux (Civ. 1re, 14 janv. 2003, n° 00-16.078, Bull. civ. I, n° 2 ; D. 2003. 2792 , note V. Barabé-Bouchard ; AJ fam. 2003. 109, obs. S. D.-B. ; RTD civ. 2003. 339, obs. B. Vareille ; ibid. 534, obs. B. Vareille ; JCP 2003. II. 10019, concl. Sainte-Rose ; ibid. I. 124, n° 4 ; ibid. 158, n° 9, obs. P. Simler ; JCP N 2003. 1605, obs. Casey ; Gaz. Pal., 8-9 août 2003, obs. Piedelièvre ; Defrénois 2003. 544, obs. Champenois ; Dr. fam. 2003, n° 48 [2e esp.), note Beignier ; RD banc. fin. 2003. 95, obs. Legeais). Elle a alors appliqué à ces acquêts le régime des biens communs ordinaires, et non celui des gains et salaires de l’époux concerné. De même, la Cour de cassation considère que la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie mixte alimenté par des fonds communs représente un actif patrimonial qui doit être intégré dans la masse commune (Civ. 1re, 31 mars 1992, Praslicka, n° 90-16.343, Bull. civ. I, n° 95 ; D. 1993. 219 ; RTD civ. 1992. 632, obs. F. Lucet et B. Vareille ; ibid. 635, obs. F. Lucet et B. Vareille ; ibid. 1995. 171, obs. B. Vareille ; Defrénois 1992, art. 31348, obs. Champenois ; JCP 1992. II. 376, note P. Simler ; RGAT 1993. 137, note Aubert) ; il est possible d’en déduire que, lorsque le contrat d’assurance-vie alimenté par des fonds communs est racheté au cours de l’union, le produit de ce rachat intègre lui aussi la masse commune (en ce sens, v. not. M. Grimadi, Réflexions sur l’assurance-vie et le droit patrimonial de la famille, Defrénois 1994. 737, spéc. n° 27). Mais ce produit du rachat représente un nouveau bien issu de la transformation des gains et salaires.
En somme, on perçoit bien, dans la présente espèce, pourquoi il a été jugé que les donations ont été faites à partir de sommes économisées. Au-delà des seuls faits de l’espèce, la logique semble être que le versement sur un compte d’épargne, quel qu’il soit, suffit à caractériser l’économie des gains et salaires. En revanche, la question reste entière de savoir si, et dans quelle mesure, des gains et salaires simplement versés sur un compte de dépôt doivent être considérés comme économisés.
La seconde incertitude que fait naître la solution posée tient à son incidence sur le traitement des gains et salaires en matière de passif, et plus spécifiquement de passif provisoire. On sait que les gains et salaires obéissent à un régime dérogatoire en ce qui concerne les droits de poursuite des créanciers, dans les régimes communautaires. En effet, aux termes de l’article 1414 du code civil, le créancier d’un époux ne peut exercer ses poursuites sur les gains et salaires du conjoint de son débiteur, sauf en cas de dette ménagère solidaire (sur les difficultés d’interprétation posées par ce texte, v. not. J. Antippas, Pour une autre lecture de l’article 1414 du code civil, Dr. fam. déc. 2008, p. 16 s.). À l’inverse, en cas de cautionnement ou d’emprunt (non solidaire) souscrit par un époux sans le consentement de l’autre, le créancier ne peut exercer ses poursuites sur aucun bien commun, sauf les revenus (en ce compris les gains et salaires et les revenus des biens propres) de l’époux qui a souscrit la dette (C. civ., art. 1415). De même en va-t-il pour les dettes propres de chacun des époux, visées par les articles 1410 et 1411 du code civil. La notion et l’identification des gains et salaires des époux sont donc importantes pour délimiter le droit de gage général des créanciers.
La solution rendue dans le présent arrêt, sur une question de gestion, aura-t-elle un impact sur le sort des gains et salaires en matière de passif ? Les gains et salaires, une fois économisés, devront-ils toujours être traités comme des biens communs ordinaires ? Si tel est le cas, il pourrait suffire à un époux ayant souscrit seul un emprunt ou un cautionnement de placer ses salaires sur un compte épargne pour les faire échapper aux poursuites de son créancier. Inversement, pour une dette ordinaire, le créancier pourrait exercer ses poursuites sur tous les comptes épargne, y compris ceux qui sont exclusivement alimentés par les gains et salaires du conjoint non débiteur… S’interrogeant sur cette question, un auteur a parfaitement montré le rôle perturbateur que jouerait la notion d’économie des gains et salaires, à l’égard des règles de passif (J. Antippas, La notion d’économie en droit des régimes matrimoniaux, art. préc., spéc. nos 15 s.).
Faut-il conférer une telle portée à l’arrêt ? Il est vrai que la Cour de cassation ne se prononce que sur une question de gestion et s’en tient à affirmer l’invalidité des libéralités portant sur des sommes économisées à partir des gains et salaires. Mais cette solution repose sur une logique de changement de statut des gains et salaires économisés : originellement biens communs extraordinaires soumis à un régime dérogatoire, ils deviendraient, une fois économisés, des biens communs ordinaires soumis au même régime que les autres biens communs. De là, il n’y a qu’un pas pour considérer qu’une fois économisés, ils doivent être soumis à toutes les règles applicables aux autres biens communs, y compris les règles de passif. À travers cet arrêt, c’est donc tout le régime des gains et salaires qui se trouve remis en question. Si la problématique de la validité des libéralités consenties sur les gains et salaires est assez peu fréquemment soumise aux juges, celle du droit de poursuite des créanciers, en revanche, devrait donner lieu, avant longtemps, à de nouvelles décisions…
L’exclusion de la requalification des contrats d’assurance-vie mixte en libéralités
Sur le volet assurance-vie, l’arrêt commenté offre une solution plus classique au regard de la jurisprudence développée en ce domaine. Commençant par rappeler que la faculté de rachat du souscripteur ne disparaît pas du fait de l’acceptation du bénéfice du contrat, la Cour de cassation en déduit que le contrat d’assurance-vie ne pouvait être qualifié de libéralité, faute d’irrévocabilité.
Le maintien de la faculté de rachat malgré l’acceptation du bénéficiaire
L’article L. 132-23 du code des assurances ménage au souscripteur de certains contrats d’assurance-vie une faculté de rachat ou de réduction. Le souscripteur peut ainsi percevoir, par anticipation par rapport au terme prévu, le montant de la créance qu’il détient contre l’assureur sur la provision mathématique du contrat. Cette faculté de rachat ménagée par la loi permet au souscripteur de conserver une certaine maîtrise sur son contrat d’assurance, instrument de prévoyance et/ou de capitalisation. Or, en parallèle et conformément aux règles applicables à la stipulation pour autrui, l’article L. 132-9 du code des assurances confère un caractère irrévocable au droit du bénéficiaire lorsque celui-ci accepte sa désignation par le contrat d’assurance-vie.
La question s’est donc posée de savoir si la faculté de rachat du souscripteur ne devait pas être neutralisée en cas d’acceptation, par le bénéficiaire, de sa désignation. En effet, l’exercice de la faculté de rachat a pu être assimilé à une révocation de la désignation du bénéficiaire, en ce qu’elle aboutit à la restitution des sommes à l’assuré (en ce sens, v. Com. 25 oct. 1994, n° 90-14.316, Bull. civ. IV, n° 311, affirmant que « la demande de rachat, en exécution de laquelle le souscripteur d’une police d’assurance sur la vie obtient de l’assureur le versement immédiat du montant de sa créance, par un remboursement qui met fin au contrat, constitue une révocation de la désignation du bénéficiaire »). Le droit conféré au bénéficiaire ne serait donc véritablement révocable que si le souscripteur était privé, une fois l’acceptation intervenue, de sa faculté de rachat.
Dans le silence de textes sur l’articulation entre la faculté de rachat et l’acceptation du bénéfice de l’assurance-vie, la Cour de cassation avait pu laisser entendre qu’elle serait favorable à une neutralisation du droit de rachat du souscripteur en cas d’acceptation du bénéficiaire. Elle retenait en effet que « tant que le contrat n’est pas dénoué, le souscripteur est seulement investi, sauf acceptation du bénéficiaire désigné, du droit personnel de faire racheter le contrat et de désigner ou modifier le bénéficiaire de la prestation » (v. not. Com. 15 juin 1999, n° 97-13.576, Dalloz jurisprudence ; Civ. 1re, 27 mai 1998, n° 96-14.614, Dalloz jurisprudence ; 28 avr. 1998, n° 96-10.333, Bull. civ. I, n° 153 ; D. 1998. 141 ). Bien que la haute juridiction n’en ait pas tiré ces conséquences, cette formule pouvait laisser entendre que l’acceptation du bénéficiaire désigné empêchait non seulement une modification du bénéficiaire mais aussi l’exercice du droit de rachat par le souscripteur.
Le législateur est alors intervenu pour trancher le débat, par la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007 : depuis lors, l’article L. 132-9 du code des assurances dispose que, « pendant la durée du contrat, après acceptation du bénéficiaire, le stipulant ne peut exercer sa faculté de rachat et l’entreprise d’assurance ne peut lui consentir d’avance sans l’accord du bénéficiaire ». Autrement dit, l’acceptation du bénéficiaire empêche le souscripteur d’exercer librement sa faculté de rachat, puisqu’il ne peut la mettre en œuvre qu’avec l’accord du bénéficiaire. L’arbitrage a dont été réalisé en faveur d’une irrévocabilité de l’avantage consenti au bénéficiaire acceptant, au détriment de la liberté du souscripteur.
Par la suite, la Cour de cassation, amenée à se prononcer sur cette même question sous l’empire des textes antérieurs à la réforme du 17 décembre 2007, a tranché dans un sens exactement inverse : elle a jugé, par un arrêt rendu en chambre mixte le 22 février 2008, que, « lorsque le droit de rachat du souscripteur est prévu dans un contrat d’assurance-vie mixte, le bénéficiaire qui a accepté sa désignation n’est pas fondé à s’opposer à la demande de rachat du contrat en l’absence de renonciation expresse du souscripteur à son droit » (Cass., ch. mixte, 22 févr. 2008, n° 06-11.934, Bull. ch. mixte, n° 1 ; Dalloz actualité, 28 févr. 2008, obs. J. Speroni ; D. 2008. 691, obs. J. Speroni ; ibid. 2104, obs. P. Crocq ; ibid. 2009. 253, obs. H. Groutel ; ibid. 1044, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; AJ fam. 2008. 172 ; ibid. 114, étude H. Marck et E. Rivé ). Ainsi, sous l’empire des textes anciens, la seule acceptation par le tiers bénéficiaire ne suffisait pas à priver le souscripteur de sa faculté de rachat ; il fallait, pour qu’il en soit privé, qu’il y renonce expressément (pour des exemples de clauses ne valant pas renonciation expresse, v. Civ. 2e, 3 nov. 2011, n° 10-25.364 ; 4 nov. 2010, n° 09-70.606, Dalloz jurisprudence). La solution rendue par l’arrêt du 20 novembre 2019 n’est donc, à cet égard, qu’une confirmation de la position adoptée depuis 2008, puisqu’il retient « qu’en l’absence de renonciation expresse de sa part, le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie mixte est fondé à exercer le droit de rachat prévu au contrat même en présence de bénéficiaires ayant accepté le bénéfice de ce contrat ».
Ainsi, selon que l’on se place sous l’empire des textes anciens (comme dans l’arrêt commenté, où l’acceptation avait eu lieu en 2004, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi) ou des textes nouveaux, les incidences de l’acceptation du bénéficiaire sur la faculté de rachat du souscripteur sont différentes : sous l’empire du droit ancien, l’acceptation était sans incidence sur la faculté de rachat, à défaut de renonciation expresse du souscripteur à cette faculté ; sous l’empire du droit nouveau, l’acceptation neutralise par principe la faculté de rachat, sauf accord du bénéficiaire. Pour avoir méconnu cette règle, la cour d’appel est ici censurée : devant statuer sur le fondement des textes antérieurs à la réforme, les juges du fond ont considéré, à tort et en contrariété avec la jurisprudence établie de la Cour de cassation, que le souscripteur qui consent à l’acceptation par le bénéficiaire de sa désignation se trouve automatiquement privé de toute possibilité de rachat. Or seule une renonciation expresse par le souscripteur à sa faculté de rachat était de nature à l’en priver, quand bien même le bénéficiaire aurait accepté sa désignation.
Cette question de l’existence de la faculté de rachat a un impact direct sur le caractère révocable ou irrévocable de l’avantage consenti au bénéficiaire, critère retenu par les juges pour statuer sur la requalification du contrat d’assurance-vie en donation.
L’application du critère de l’irrévocabilité de la donation
La divergence entre les juges du fond et la cour régulatrice ne porte pas sur les critères de qualification de la donation. En effet, sur cette question, les juges du fond ont adopté une position retenue classiquement par la Cour de cassation : celle en vertu de laquelle un contrat d’assurance-vie « peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable » (Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007, n° 06-12.769, Bull. ch. mixte, n° 13 ; Dalloz actualité, 10 janv. 2008, obs. G. Bruguière-Fontenille ; D. 2008. 1314 , note F. Douet ; ibid. 218, obs. G. Bruguière-Fontenille ; ibid. 2009. 253, obs. H. Groutel ; AJ fam. 2008. 79, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2008. 137, obs. M. Grimaldi , réitéré par la suite à plusieurs reprises ; v. not. Civ. 2e, 23 oct. 2008, n° 07-19.550, Dalloz jurisprudence ; Com. 26 oct. 2010, n° 09-70.927, Dalloz jurisprudence ; Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 17-13.269, D. 2018. 1279, obs. M. Bacache, L. Grynbaum, D. Noguéro et P. Pierre ).
Cette formule semble traduire une différence de nature entre le contrat d’assurance-vie et la donation : la « requalification » implique une incompatibilité entre la qualification originelle et la qualification nouvelle. Autrement dit, le contrat d’assurance-vie serait par principe exclusif de toute donation. Cette position serait dictée par l’idée, développée en jurisprudence, suivant laquelle l’aléa chasse la donation. Le raisonnement est le suivant : 1/ toute donation suppose une volonté de se dépouiller irrévocablement au profit d’un tiers ; 2/ or tout contrat d’assurance sur la vie comporte un aléa qui rend incertaine l’identité du destinataire du versement dû par l’assureur ; 3/ donc le contrat d’assurance sur la vie ne peut, en principe, être une donation, à défaut de désignation irrévocable d’un tiers destinataire du versement.
Ce raisonnement est éminemment lié à la position de principe adoptée par la Cour de cassation dans les arrêts du 23 novembre 2004 affirmant que « le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa […] et constitue un contrat d’assurance sur la vie » puis appliquant ce principe au contrat d’assurance-vie mixte : l’aléa tient alors à ce que le souscripteur ignore qui, de lui ou du bénéficiaire, recevra le capital versé à l’assureur, puisque cette donnée dépend du point de savoir si l’assuré sera vivant ou non lors de la survenance du terme du contrat (Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004, n° 01-13.592, BICC 15 févr. 2005, rapp. Crédeville, concl. de Gouttes ; AJDA 2004. 2302 , obs. M.-C. Montecler et P. Seydoux ; D. 2004. 3191, et les obs. ; RDI 2005. 11, obs. L. Grynbaum ; AJ fam. 2005. 70, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2005. 88, obs. R. Encinas de Munagorri ; ibid. 434, obs. M. Grimaldi ; GAJC, 12e éd., n° 132 ; JCP 2005. I. 187, n° 13, obs. Le Guidec ; JCP N 2005. 1003, étude Grosjean ; RLDC 2005/12, n° 504, note Leroy ; RDC 2005. 297, obs. Bénabent ; RGDA 2005. 110, note Mayaux ; v. égal. les autres arrêts du même jour, nos 03-13.673, 02-11.352 et 03-13.673).
Toutefois, comme l’ont fait remarquer plusieurs auteurs, la qualification du contrat d’assurance-vie devrait être indépendante de celle de libéralité (en ce sens, v. par ex., H. Lécuyer, Assurance-vie et droit des successions : dyarchie ou symbiose ?, AJ fam. 2007. 414 s., pour qui il ne faut « pas confondre la question de la déqualification de certains contrats qui, faute d’aléa pour l’assureur, ne seraient pas des contrats d’assurance-vie et la question de l’existence d’une libéralité faite, via ces contrats, par le souscripteur au bénéficiaire »), le critère de l’aléa étant étranger à la qualification de donation indirecte (en ce sens, v. F. Douet, Requalification d’un contrat d’assurance-vie en donation indirecte, D. 2008. 1314 ).
Pourtant, plusieurs arrêts opèrent un lien entre l’existence d’un aléa lors de la désignation du bénéficiaire et l’absence de volonté actuelle et irrévocable du souscripteur de se dépouiller (v. not. Civ. 1re, 26 oct. 2011, n° 10-24.608 ; Civ. 2e, 22 oct. 2009, n° 08-17.793 ; Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007, n° 06-12.769, préc.). Il en ressort que s’il n’est pas certain que le bénéficiaire désigné dans le contrat d’assurance-vie recevra un versement par l’assureur, il ne peut y avoir de donation, faute de dépouillement irrévocable du souscripteur au profit d’un tiers.
Partant, deux analyses de cette jurisprudence sont possibles. D’une part, il peut s’agir d’une véritable requalification. Il aurait alors une incompatibilité entre le contrat d’assurance-vie, empreint d’aléa, et la donation, caractérisée par son irrévocabilité. L’aléa (donc le contrat d’assurance-vie) chasse l’irrévocabilité (donc la donation) ; réciproquement, l’irrévocabilité (donc la donation) est exclusive de tout aléa (donc du contrat d’assurance). Une telle disqualification du contrat d’assurance expliquerait la mise à l’écart des dispositions par lesquelles le code des assurances déroge au droit des libéralités (notamment les art. L. 321-12 et L. 321-13 de ce code) : la donation indirecte prenant appui sur l’assurance-vie serait soumise aux règles du rapport successoral et de la réduction pour excès parce que l’assurance-vie n’en est pas une.
D’autre part, il se peut que la requalification n’en soit pas vraiment une et qu’il s’agisse en réalité d’un cumul de qualifications (en faveur de cette analyse, v. M. Grimaldi, L’attribution du bénéfice d’une assurance-vie peut constituer une donation indirecte passible, comme telle, des droits de mutation à titre gratuit, RTD civ. 2008. 137 ). Le contrat d’assurance-vie, dont la nature n’est pas remise en cause, deviendrait l’instrument d’une donation indirecte. L’absence d’aléa dans l’identité du destinataire des fonds serait de nature à caractériser une donation indirecte, mais pas pour autant à disqualifier le contrat d’assurance-vie (lequel comporte toujours un aléa, à tout le moins quant à la date de la survenance de son terme). Cette adjonction de la qualification de donation indirecte emporterait neutralisation des règles dérogatoires prévues par le code des assurances au droit des libéralités : en principe, le capital versé par l’assureur lors du décès de l’assuré n’intègre pas la succession de l’assuré (C. assur., art. L. 321-12) et, corrélativement, ne doit pas être rapporté par le bénéficiaire à la succession de l’assuré, ni réduit pour atteinte à la réserve héréditaire (C. assur., art. L. 321-13, al. 1er), parce que le contrat d’assurance-vie n’est pas le vecteur d’une libéralité. Par exception, lorsque l’assurance-vie se révèle être l’instrument d’une donation, il convient de le soumettre cumulativement au régime des libéralités et à celui de l’assurance-vie.
Quelle que soit l’analyse retenue, la qualification de donation indirecte aboutit à soumettre la libéralité aux règles du rapport successoral et de la réduction pour excès, en écartant l’application des articles L. 321-12 et L. 321-13 du code des assurances.
Reste à savoir quelles sont les circonstances factuelles de nature à caractériser une donation indirecte, c’est-à-dire la volonté du souscripteur de se dépouiller irrévocablement au profit du bénéficiaire. Un critère, essentiellement, ressort de la jurisprudence : le fait que le souscripteur perde toute possibilité effective d’obtenir la restitution, avant son décès, des capitaux versés sur les contrats d’assurance-vie. Une telle perte peut résulter soit d’une disparition de la faculté de rachat, soit du caractère illusoire de l’aléa sur le destinataire des fonds, au regard notamment de l’âge du souscripteur et de l’imminence de son décès (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 17-13.269 ; 26 oct. 2011, n° 10-24.608 ; Civ. 2e, 23 oct. 2008, n° 07-19.550 ; Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007, n° 06-12.769, préc.). À l’inverse, lorsque le souscripteur conserve une réelle possibilité d’être destinataire du versement de l’assureur, notamment par le maintien de sa liberté de racheter son contrat, toute donation est exclue, faute d’irrévocabilité du dépouillement (Civ. 1re, 10 juill. 2013, n° 12-13.515 ; Civ. 2e, 22 oct. 2009, n° 08-17.793 ; Com. 28 juin 2005, n° 03-18.397, Dalloz jurisprudence).
C’est précisément ce critère de la faculté de rachat, devenu classique dans la jurisprudence, qui est mis à l’œuvre dans l’arrêt du 20 novembre 2019. Dès lors que l’on était sous l’empire du droit antérieur à la loi du 17 décembre 2007, la seule acceptation du bénéficiaire ne privait pas le souscripteur de sa faculté de rachat. Il aurait donc fallu une renonciation expresse du souscripteur à cette faculté pour que soit caractérisée sa volonté de se dépouiller irrévocablement au profit du bénéficiaire. Faute d’avoir constaté une telle renonciation, les juges du fond ont été censurés pour avoir retenu, à tort, la disparition de la faculté de rachat, donc la qualification de donation indirecte.
Tout porte à croire que, sous l’empire des textes nouveaux, la solution serait inversée : désormais, l’acceptation par le bénéficiaire de sa désignation neutralise la liberté, pour le souscripteur, de procéder au rachat de son contrat, puisque le rachat ne peut plus s’opérer qu’avec l’accord du bénéficiaire acceptant. En autorisant le bénéficiaire à accepter sa désignation par le contrat d’assurance-vie, le souscripteur renonce donc à sa liberté de rachat : il s’interdit de révoquer, de quelque façon que ce soit, l’avantage qu’il confère au bénéficiaire. La seule acceptation du bénéficiaire, qui est subordonnée par l’article L. 132-9, II, du code des assurances à l’accord du souscripteur, devrait donc désormais suffire à caractériser une donation indirecte, du fait de la disparition de la liberté de rachat.