Procédure collective : qualité pour saisir la juridiction compétente en cas de contestation sérieuse de créance

Dans le cadre du déroulement d’une procédure collective, le juge-commissaire est amené à statuer sur les discussions intéressant les créances déclarées au passif du débiteur. Ce principe souffre toutefois de deux limites. D’une part, la discussion ne doit pas relever de la compétence d’une autre juridiction. D’autre part, le juge-commissaire ne peut statuer s’il s’élève devant lui une « contestation sérieuse ». Cette dernière notion impose de s’intéresser au pouvoir juridictionnel de ce juge.

Il résulte de l’analyse de la jurisprudence de la Haute juridiction que lorsque le juge-commissaire doit connaître du fond de la créance, il doit statuer en juge de l’évidence, comme le ferait le juge des référés. Ceci permet d’expliquer qu’en présence d’une contestation sérieuse, le juge-commissaire doit constater le dépassement de son office juridictionnel (C. com., art. L. 624-2). Concrètement, dans cette hypothèse, il sursoit à statuer sur le sort de la créance et désigne la partie qui doit saisir le juge « compétent » dans le délai d’un mois de la notification de sa décision sous peine de forclusion (C. com., art. R. 624-5).

Au demeurant, la mise en œuvre de cette règle a déjà fait l’objet d’une jurisprudence abondante et notamment lorsque le juge-commissaire s’abstient de désigner la partie ayant qualité pour saisir le juge compétent. Dans cette hypothèse, il appartient au juge de la vérification du passif d’apprécier les conséquences de la forclusion en cas d’inaction des parties afin de déterminer, en fonction de la contestation, qui avait intérêt à agir (Com. 23 sept. 2020, n° 19-13.748 NP). L’on s’aperçoit ici que la détermination de cet intérêt est cruciale, car la sanction en dépend : si le créancier s’abstient d’agir, sa créance peut être rejetée (Com. 13 mai 2014, n° 13-13.284 P, D. 2014. 1093, obs. A. Lienhard image ; ibid. 2147, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas image ; Rev. sociétés 2014. 405, obs. L. C. Henry image). Au contraire, si l’inaction provient du débiteur, la créance contestée peut être admise (Com. 23 sept. 2014, n° 13-22.539 P, D. 2014. 1936, obs. A. Lienhard image ; RTD civ. 2014. 941, obs. P. Théry image).

L’arrêt ici rapporté s’inscrit dans la continuité de ces règles, mais pose la question sous un angle différent. En l’occurrence, il s’agissait de savoir, en l’espèce, si la désignation du débiteur au sein de l’ordonnance du juge-commissaire était exclusive de la qualité pour agir du mandataire pour saisir le juge compétent.

En l’espèce, une société a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires les 14 avril 2016 et 5 octobre 2017. Une banque créancière a déclaré, au titre de prêts, quatre créances qui ont été contestées sur le seul plan des intérêts calculés. Par une ordonnance du 18 décembre 2017, le juge-commissaire a admis ces créances pour leur montant en capital restant dû et, pour le surplus, dit que la société débitrice soulevait une contestation sérieuse et l’invitait à saisir le tribunal territorialement compétent de ses demandes formées contre la banque, et ce, dans le délai d’un mois suivant réception de la notification de l’ordonnance, à peine de forclusion. Face à l’inertie du débiteur, le 19 janvier 2018, le liquidateur de la société débitrice a assigné la banque en déchéance du droit aux intérêts contractuels et en responsabilité pour inexécution de...

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Sanction du défaut d’acquittement de la taxe fiscale : office du juge

Dans le cadre d’une action en résolution de vente automobile, le vendeur fait appel, et obtient le débouté du demandeur, intimé.

Au soutien de son pourvoi, le demandeur se prévaut des dispositions l’article 963, et fait reproche au juge d’appel d’avoir statué au fond alors qu’il aurait dû relever d’office l’irrecevabilité de l’appel.

La Cour de cassation accueille le moyen et casse l’arrêt d’appel.

Une irrecevabilité que les parties ne peuvent soulever…

Quelle étrange fin de non-recevoir que celle du non-acquittement de la taxe fiscale !

Alors que les parties ont à leur disposition de nombreux moyens de procédure pour mettre un terme prématurément à l’instance d’appel, l’irrecevabilité de l’article 963, pour non-acquittement de la taxe fiscale de l’article 1635 bis P du code général des impôts, leur échappe.

En effet, l’article 963, in fine, prévoit que « les parties n’ont pas qualité pour soulever cette irrecevabilité ». C’est donc une affaire entre le juge et la partie, sans que l’autre partie s’en mêle.

On comprend que la finalité de cette sanction n’est pas de faire tomber des procédures d’appel, mais de faire tomber des sous dans les caisses du fonds qui a permis de mettre en place la réforme tendant à la suppression de la profession d’avoués. Par conséquent, la sanction doit être dissuasive, pour contraindre les parties à payer la dîme.

Il n’existe donc pas d’incident entre les parties pour s’expliquer sur cette irrecevabilité.

Pour autant, il existe un contentieux, qui alimente une jurisprudence assez confidentielle (v. Civ. 2e, 22 mars 2018, n° 17-12.770, Procédures 2018, n° 136, obs. P. Croze ; 16 mai 2019, n° 18-13.434 P, Dalloz actualité, 3 juin 2019, obs. R. Laffly ; D. 2019. 1111 image ; 1er juill. 2021, n° 19-10.668 P, Dalloz actualité, 22 juill. 2021, obs. C. Lhermitte).

Mais rares sont ceux qui s’y intéressent, précisément en raison du fait que les parties ne peuvent s’en prévaloir.

… mais qu’elles peuvent néanmoins invoquer ?

Mais l’arrêt de cassation rendu le 3 mars 2022 aura peut-être pour conséquence que les parties vont s’intéresser davantage à la question de l’acquittement de la taxe fiscale.

En l’espèce, l’appelant n’avait pas réglé la taxe fiscale, sans que la cour d’appel s’en inquiète. Et le jugement dont appel a été infirmé.

C’est sur ce moyen de procédure que porte le pourvoi.

Par...

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Billets volés, accession mobilière et contrat d’entreprise

Rares sont les décisions autour de l’accession mobilière, mécanisme qui intéresse les « principes de l’équité naturelle » selon la jolie formule de l’article 565 du code civil qui doit être combinée avec les trois sortes d’accessions par adjonction, par spécification et par mélange (F. Terré et P. Simler, Droit civil. Les biens, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 212 s., n° 234). Encore plus rares sont les décisions mêlant dans leurs faits contrat d’entreprise, mise en jeu d’une assurance et cette même accession mobilière. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 mars 2022 fait partie de ces solutions tranchant une situation originale qui permet de rappeler quelles règles doivent s’appliquer quand les faits mêlent plusieurs qualifications juridiques propres en concours, ici l’accession mobilière et le contrat d’entreprise. L’arrêt rendu s’appuie sur des données dont la portée pratique est considérable puisque plusieurs millions d’euros étaient en jeu. Rappelons brièvement les faits pour comprendre pourquoi de telles sommes étaient au cœur du débat.

Par contrat conclu le 8 février 2013, la banque centrale de la République dominicaine (la banque, dans la suite du commentaire) a chargé une société française très connue d’imprimer 180 millions billets de banque. Toutefois, des billets ont été volés pendant la réalisation du contrat, l’affaire ayant été relayée dans la presse française en raison du caractère rocambolesque de la situation et de la découverte par un numismate d’un billet qui n’avait pas à être en circulation en 2013. La soustraction des billets a été officiellement constatée les 12 et 25 juillet 2013. La société française d’impression a déclaré ce vol le 2 août 2013 auprès de sa société d’assurance.

Le 10 janvier 2014, la banque a assigné la société d’impression des billets en dommages-intérêts devant le tribunal de Saint-Domingue. La société d’impression des billets a fait assigner, quant à elle, le 12 février 2016 la société d’assurance devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir sa garantie à hauteur de 50 millions d’euros. La banque et la société d’imprimerie finissent par conclure, le 17 juillet 2018, une transaction mettant fin à leur litige pour une somme de...

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L’action en réduction d’une donation-partage est-elle soumise au dessaisissement ?

Le dessaisissement auquel est soumis le débiteur en liquidation judiciaire n’est pas absolu. Le principe souffre de deux grandes catégories d’exceptions : les droits propres procéduraux, d’une part (B. Ferrari, « La notion de droits propres », in Les grands concepts du droit des entreprises en difficulté, Dalloz, 2019, p. 145 s.), et les droits personnels au débiteur, d’autre part. Les premiers, souvent présentés comme la catégorie d’exceptions au principe du dessaisissement la plus problématique, semblent camoufler quelque peu les difficultés inhérentes à la détermination et au régime des droits personnels au débiteur. Pourtant, ces derniers emportent également leur lot de difficultés, ce dont témoigne l’arrêt ici rapporté.

Précisons pour commencer que, d’un point de vue sémantique et dans la pureté des notions, il vaudrait mieux parler de « droits rattachés à la personne du débiteur » pour qualifier les droits qui lui sont personnels. Au demeurant, la notion n’est pas propre au droit des entreprises en difficulté, puisqu’elle est également présente au sein de l’article 1341-1 du code civil au titre des exceptions à la mise en œuvre d’une action oblique.

Les droits rattachés à la personne du débiteur sont en principe des droits dont les considérations personnelles, morales et familiales sont trop importantes pour qu’ils soient soumis au dessaisissement et partant, pour que leur exercice soit confié au liquidateur par le jeu normal de la mesure. Au demeurant, admettre le contraire conduirait à l’établissement de situations cocasses. Imaginons un liquidateur divorcer en lieu et place du débiteur. Figurons-nous encore un mandataire se constituer partie civile pour le débiteur victime d’un fait infractionnel !

Cela étant, cette première présentation de la notion est beaucoup trop brute pour être exacte. Du reste, la réalité pratique est différente, déjà, parce qu’un droit personnel n’est pas obligatoirement de nature extrapatrimoniale !

À cet égard, certains droits sont qualifiés de « mixtes » avec un régime aménagé de façon à pondérer les intérêts en présence en liquidation judiciaire. Tel est par exemple le cas de la convention de divorce. Le divorce est, certes, un droit personnel au débiteur, mais le liquidateur doit intervenir à la convention relativement aux incidences patrimoniales de la rupture (Com. 26 avr. 2000, nº 97-10.335 P, D. 2000. 263 image, obs. A. Lienhard image).

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’arrêt sous commentaire avec la question de savoir si une action en donation-partage est soumise au périmètre du dessaisissement ou, au contraire, si le débiteur conserve la qualité pour l’exercer au titre d’un droit rattaché à la personne.

Les faits de l’arrêt sont assez simples. Le 20 août 2013, un débiteur en liquidation judiciaire, depuis 2006, a assigné ses frères et sœurs en réduction d’une donation-partage dont ils avaient été gratifiés par leurs parents du vivant de ces derniers. Le débiteur n’a obtenu gain de cause ni en première instance ni en appel et se pourvoit en cassation.

Le demandeur reprochait à la cour d’appel d’avoir constaté la nullité de l’acte introductif d’instance et de le débouter de sa demande. Pour cela, la cour d’appel avait estimé qu’en raison du dessaisissement, l’appelant était dépourvu de « capacité » et de « qualité à agir » en réduction de la donation-partage.

Au contraire, pour le demandeur, il disposait là « d’un droit propre », dont il n’était pas dessaisi par l’effet de l’ouverture de la liquidation judiciaire, pour exercer les droits liés à sa qualité d’héritier....

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Comment magistrats et greffiers ont survécu à une nouvelle semaine noire de l’informatique de la justice

Un sérieux dysfonctionnement informatique a plombé, la semaine dernière, l’activité judiciaire pénale. De nombreux magistrats ou greffiers s’en sont fait l’écho sur les réseaux sociaux, dénonçant des arrêts intempestifs de Cassiopée, inutilisable pendant plusieurs jours. Pourtant, selon le ministère de la Justice, le logiciel pour les services pénaux n’était pas à l’origine des ratés. Pour la Place Vendôme, c’est une saturation de l’accès au réseau informatique de l’État permettant un accès sécurisé à internet qui a entraîné en cascade des problèmes de connexion au centre de données ministériel de Nantes. Une explication amère pour les personnels concernés. Car quelque soit l’origine de la panne, de nombreuses juridictions n’ont pas pu travailler normalement pendant plusieurs jours. Trois jours, par exemple au tribunal judiciaire de Pontoise, avec plusieurs logiciels défaillants, une durée « déjà connue, mais assez rare », remarque Stéphanie Caprin, secrétaire nationale de l’USM.

Gêne majeure

A Paris, la gêne a également été « majeure » au pénal, remarque ainsi la greffière principale Fadila Taieb, la représentante de l’Unsa-services judiciaires. « Une journée de travail avec des dysfonctionnements informatiques, c’est déjà une catastrophe, alors imaginez trois jours d’arrêt du logiciel », remarque-t-elle. Même constat à Bobigny, deuxième tribunal de France. Les incidents ont là aussi eu des conséquences fortes sur le travail du greffe, à l’arrêt sur deux jours à cause de l’impossibilité d’enregistrer des trames judiciaires ou de fusionner des jugements, détaille Alexandra Vaillant, la déléguée locale de l’USM dans cette juridiction. La permanence pénale du parquet a également été entravée: la vérification des antécédents des personnes en garde à vue n’était plus possible, par exemple.

Pour réussir à s’en sortir, les greffiers et magistrats ont eu recours au système D. « Les collègues bidouillent, en travaillant à partir de trames déjà enregistrées sur leur poste de travail, mais c’est une perte de temps importante car c’est une saisie très chronophage », remarque Fadila Taieb. Sans Cassiopée, les greffiers doivent en effet rentrer manuellement, par exemple dans le cas d’un jugement, une série d’informations, telles que l’identité, les textes visés, habituellement importées par le logiciel. « Pour les comparutions immédiates, les mandats de dépôts ne sortaient plus, il fallait donc le faire manuellement, au risque d’oublier un article qui devait être visé », complète Alexandra Vaillant. Quant au travail non urgent, comme le post-sentenciel, il a tout simplement été repoussé, soit autant de retard pris sur la formalisation des jugements ou du rôle. « On le fera plus tard, mais on se met alors en difficulté, car cela rajoute de la masse à la masse », observe Fadila Taieb.

Des problèmes récurrents

Des problèmes récurrents qui exaspèrent les personnels judiciaires. « Nous sommes rompus aux dysfonctionnements informatiques, mais d’habitude, cela ne dure que quelques heures », indique Stéphanie Caprin. Dans un mail à la presse le syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires dénonçait récemment des incidents informatiques multiples et hebdomadaires. Ainsi, un deuxième incident informatique, cette fois-ci lié au pare-feu, a été également déploré en milieu de semaine dernière. Mais il est passé presque inaperçu après la galère des premiers jours.

« L’informatique dysfonctionne souvent, que ce soit le réseau ou les logiciels métiers, résume Alexandra Vaillant. Ces pannes usent les agents alors qu’on leur dit que nous allons passer au tout numérique ». Dans un récent rapport, les magistrats de la Cour des comptes avaient relevé les attentes très fortes du personnel du ministère de la Justice sur la transformation numérique de leurs outils de travail, « tout en appréhendant » leur déploiement. Ce qui s’explique aisément: selon la dernière enquête de satisfaction consultée par les magistrats financiers, qui date de janvier 2020, seul un quart des agents du ministère se déclare « très satisfait » du système d’information.

Vente d’un immeuble occupé et dol de l’acheteur

Il arrive fréquemment que l’acquéreur d’un bien immobilier sollicite l’annulation de la vente ou le versement de dommages-intérêts sur le fondement du dol aux motifs que le vendeur a surpris son consentement par des manœuvres positives de tromperie (actes ou mensonges) ou des silences fautifs (réticence dolosive). L’hypothèse d’une action du vendeur sur ce fondement est beaucoup plus rare dans la mesure où il est censé connaître mieux que quiconque la valeur et les qualités substantielles du bien qu’il propose sur le marché. Le dol de l’acheteur se manifeste d’ailleurs généralement dans la rétention d’une information relative au bien convoité qui lui permet de réaliser une bonne affaire. Cette configuration a donné lieu à l’élaboration d’une jurisprudence fournie. Après avoir décidé qu’« aucune obligation d’information ne pèse sur l’acheteur, même professionnel sur la valeur du bien acquis » (Civ. 3e, 17 janv. 2007, n° 06-10.442, D. 2007. 1051 image, note D. Mazeaud image ; ibid. 1054, note P. Stoffel-Munck image ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson image ; AJDI 2007. 416 image, obs. S. Bigot De La Touanne image ; RTD civ. 2007. 335, obs. J. Mestre et B. Fages image ; v. déjà l’arrêt Baldus, Civ. 1re, 3 mai 2000, n° 98-11.381, D. 2002. 928 image, obs. O. Tournafond image ; RTD civ. 2000. 566, obs. J. Mestre et B. Fages image), la Cour de cassation a exceptionnellement retenu la réticence dolosive de l’acquéreur s’il détient une information privilégiée sur le bien vendu (v. sur la connaissance de la richesse du sous-sol d’un bien, Civ. 3e, 15 nov. 2000, Bull. civ. III, n° 171 ; v. déjà, sur la connaissance de la révision prochaine du plan d’occupation des sols, CIv. 3e, 27 mars 1991, n° 89-16.975, D. 1992. 196 image, obs. G. Paisant image ; RTD civ. 1992. 81, obs. J. Mestre image). C’est exactement dans ce champ d’exception que s’inscrit la présente décision, mais les faits apportent à la solution un relief particulier.

Résiliation amiable du bail sous condition suspensive

En l’espèce, le bien litigieux est constitué de cinq lots d’un immeuble en copropriété. Le 5 octobre 2011, il fait l’objet d’une promesse unilatérale de vente conclue en la forme authentique qui stipule que les lots sont à vendre pour un montant 1 100 000 € et qu’ils sont assortis d’un contrat de bail d’habitation en cours au profit d’un tiers. Le 23 novembre 2011, l’acheteur conclut avec le locataire un accord de résiliation amiable du bail sous condition suspensive de la réalisation de la vente en contrepartie du versement de la somme 100 000 €. Le 17 janvier 2012, la vente est conclue dans les mêmes conditions que celles prévues dans la promesse unilatérale de vente sans que l’acheteur n’informe la venderesse de l’accord conclu avec le locataire.

La venderesse agit alors en dommages-intérêts après avoir pris connaissance du contrat entre l’acheteur et le locataire, puisqu’elle estime que si elle avait eu connaissance de cet accord, elle n’aurait pas accepté de céder le bien litigieux au prix de 1 100 000 €. Contrairement aux juges de première instance, la cour d’appel de Paris accueille sa demande en condamnant l’acquéreur au paiement de 300 000 € de dommages-intérêts.

Moment où le consentement du vendeur est acquis

Le moyen au pourvoi soulevé par l’acheteur, divisé en quatre branches, se concentre sur le moment où il convient de considérer comme acquis le consentement du vendeur à l’opération de vente. Il défend que ce consentement s’apprécie au moment où est conclue la promesse unilatérale de vente, soit...

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Chronique d’arbitrage : et pour quelques dollars de plus

L’arrêt Tagli’apau est déjà l’un des arrêts les plus importants de l’année (Civ. 1re, 9 févr. 2022, n° 21-11.253, D. 2022. 358 image). Il mérite une attention particulière de la part des praticiens. On sait, d’ores et déjà, qu’il fera l’objet d’une appréciation divergente par la doctrine (plutôt favorable, J. Clavel, Gaz. Pal., à paraître ; M. de Fontmichel, JCP à paraître). Nous serons de ceux qui exprimeront de vives réserves à son encontre.

Au-delà de cet arrêt, plusieurs décisions méritent une fois de plus l’attention des lecteurs. On mentionnera d’ores et déjà l’arrêt Couach rendu en matière d’obligation de révélation (Paris, 22 févr. 2022, n° 20/08929), l’arrêt Armanenti à propos de l’inconciliabilité des décisions (Paris, 1er févr. 2022, n° 19/22977) ou encore l’arrêt Privinvest sur les règles matérielles (Paris, 25 janv. 2022, n° 20/12332). Enfin, on signalera la dernière banderille de la Cour de justice avec l’arrêt Micula (CJUE 25 janv. 2022, aff. C-638/19).

I - L’arrêt Tagli’apau

Un contrat de franchise a été conclu en 2011 entre un franchiseur, Pastificio (dont la société La Tagliatella vient aux droits) et un franchisé, Taglia’Apau. En 2015, le franchisé a sollicité une révision des conditions économiques et un dédommagement à la suite d’une perte de marge. Une procédure collective a été ouverte à son encontre en 2016, transformée en liquidation en 2018.

En avril 2016, le franchisé a saisi la Chambre de commerce internationale (CCI) d’une demande d’arbitrage. Le franchiseur a refusé de payer la provision. En conséquence, en 2018, le liquidateur judiciaire du franchisé a assigné le franchiseur devant le tribunal de commerce. Le franchiseur a soulevé l’incompétence du juge judiciaire au profit de la justice arbitrale. En somme, le franchiseur a refusé de payer les frais d’arbitrage et s’oppose, dans le même temps, à la compétence des juridictions étatiques.

En appel, la cour accueille l’exception d’incompétence et renvoie les parties à mieux se pourvoir (Pau, 5 nov. 2020, n° 20/01175, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). En substance, elle énonce que le refus du franchiseur « de régler [sa] part de provision » ne constitue pas « une renonciation irrévocable à la clause compromissoire au regard de l’exception d’incompétence soulevée valablement devant la juridiction de l’État ». Elle ajoute que « la force obligatoire de la clause compromissoire est indépendante de la santé financière de l’une des parties signataires […]. La partie qui fait état de son impécuniosité ne peut donc tirer argument de ce fait pour se soustraire à la compétence arbitrale ».

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel (Civ. 1re, 9 févr. 2022, n° 21-11.253, préc.). Elle consacre un nouveau visa : « Vu le principe de loyauté procédurale régissant les parties à une convention d’arbitrage ». Sur ce fondement, elle estime que « les sociétés Pastificio service, La Tagliatella et Amrest Holdings, qui avaient elles-mêmes provoqué le retrait de la demande d’arbitrage par la CCI en ne s’acquittant pas de la part de provision sur frais leur incombant, n’étaient pas recevables, pour décliner la compétence de la juridiction étatique, à invoquer la clause compromissoire, la cour d’appel a violé le principe susvisé ». Par ailleurs, elle censure la cour sur un autre motif. Au visa de l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit, elle reproche à la cour d’appel d’avoir énoncé que « les intimées pouvaient valablement ne pas avancer leur quote-part de provision ». Au contraire, la Cour de cassation retient que « l’article 36 [du Règlement 2012 de la CCI] prévoit, en son paragraphe 2, que la provision pour frais fixée par la CCI est due en parts égales par le demandeur et le défendeur, la cour d’appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé ».

La solution de l’arrêt Tagli’apau est donc le fruit d’une mécanique très simple : un principe, celui de loyauté procédurale et sa sanction, l’irrecevabilité. Aucun des deux n’est inconnu de la procédure civile. À ce titre, on peut croire que l’arrêt est faiblement innovant. En réalité, il ne l’est plus qu’il n’y paraît. Il opère un double pas de côté.

Sur la loyauté procédurale, l’article 1464, alinéa 3, du code de procédure civile, qui résulte du décret de 2011, a consacré ce principe : « les parties et les arbitres agissent avec célérité et loyauté dans la conduite de la procédure ». Dans ces circonstances, pourquoi la Cour de cassation n’y fait pas référence, alors que le pourvoi l’y invite ? L’explication réside dans la portée accordée au principe. Dans le code de procédure civile, la loyauté est un principe procédural aux conséquences procédurales dans une même instance. Dans l’arrêt Tagli’apau, la loyauté devient un principe procédural entraînant des conséquences substantielles sur les clauses d’un contrat et des conséquences procédurales dans une autre instance. Il en résulte que l’article 1464, alinéa 3, du code de procédure civile est insuffisant pour fonder la solution de l’arrêt.

Pour ce qui est de la sanction, la Cour de cassation tranche en faveur d’une irrecevabilité. Cette fois, le parallèle avec l’article 1466 du code de procédure civile est frappant : « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ». Pourtant, une fois de plus, cette disposition est trop étriquée pour embrasser les faits de l’espèce. D’ailleurs, l’explication semble devoir être la même : la renonciation porte sur une clause contractuelle – la clause compromissoire – plutôt que sur une irrégularité de la procédure. Il s’agit encore d’une extension des prévisions du code de procédure civile.

C’est toute la particularité de l’affaire Tagli’apau que d’être à cheval entre les considérations procédurales et substantielles. C’est aussi la raison pour laquelle la solution est en partie inattendue. Elle répondra aux espérances de ceux attentifs à la conciliation entre les intérêts des parties à l’arbitrage, en particulier lorsque l’une est impécunieuse. Il est vrai que, telle que présentée par la Cour de cassation, l’affaire semble être idéale pour consacrer un tel principe : d’un côté, un franchisé en liquidation – et donc probablement impécunieux – et, d’un autre côté, un franchiseur qui refuse de payer sa part de la provision. Face à ce refus du défendeur à l’arbitrage de payer sa part de la provision et à l’absence de prise en charge de celle-ci par le demandeur, les demandes ont été retirées par l’institution conformément au règlement d’arbitrage. En somme, c’est un déni de justice organisé par le défendeur et l’institution auquel le demandeur est confronté, ce qui peut justifier la réouverture du forum étatique. Dans l’absolu, on ne peut être hostile à une telle solution. Comme le dit excellemment le Professeur Maximin de Fontmichel, la convention d’arbitrage ne doit pas être utilisée « comme arme d’impunité contentieuse » (M. de Fontmichel, L’articulation de la protection des parties faibles avec la convention d’arbitrage à la lumière d’une décennie d’application du décret, Rev. arb. 2022, à paraître). Cette préoccupation est importante et appelle des réponses fortes.

Reste que l’arrêt de la Cour de cassation n’emporte aucunement la conviction. En effet, cette présentation presque romantique de l’affaire ne résiste pas à l’analyse. Loin d’être une version moderne de David contre Goliath à la sauce arbitrage, le litige présente des zones grises que la Cour de cassation refuse d’explorer. En cassant l’arrêt pour violation de la loi, indépendamment de toute nuance, la solution bouleverse les équilibres. Il faut le dire d’emblée : l’arrêt Tagli’apau ne consacre pas une solution favorable aux parties impécunieuses. Il consacre une solution indépendante de la situation financière des parties. La raison à cela est simple : ce sont les troisième et quatrième branches du moyen qui sont accueillies par la Cour. Ni l’une ni l’autre ne discutent de l’impécuniosité. Seule la cinquième branche en fait état et la Cour n’a pas jugé opportun de la retenir. À aucun moment la Cour de cassation ne fait référence à l’impécuniosité. C’est donc une solution qui va au-delà des parties faibles. La Cour de cassation pose un nouveau principe. Un principe corrosif. Un principe qui corrode le régime de la convention d’arbitrage et le principe compétence-compétence.

A - L’effet corrosif sur le régime de la clause compromissoire

La solution n’est pas limitée aux parties faibles. Admettons néanmoins, pour les besoins de la démonstration, que tel soit l’objectif implicitement recherché par la Cour de cassation. Dans cette perspective, la protection envisagée vient s’ajouter aux dispositifs déjà reconnus par le droit français pour protéger les parties faibles. Il s’agit donc d’une protection supplémentaire qui, par la tournure qu’elle prend, est inadéquate.

1 - Une protection supplémentaire

Le droit français de l’arbitrage, sous l’impulsion d’une doctrine stimulante et persuasive (J. Clavel, Le déni de justice économique dans l’arbitrage international. L’effet négatif du principe de compétence-compétence, thèse, ss la dir. de G. Khairallah, Paris 2, 2011 ; M. de Fontmichel, Le faible et l’arbitrage, préf. T. Clay, Économica, 2013) a multiplié les outils de protection en faveur des parties faibles dans la dernière décennie. Il a bâti une construction duale entre, d’une part, les parties structurellement faibles et, d’autre part, les parties financièrement faibles (pour un résumé éclairant du droit positif : M. de Fontmichel, L’articulation de la protection des parties faibles avec la convention d’arbitrage à la lumière d’une décennie d’application du décret, Rev. arb. 2022, à paraître).

Pour les premières, les textes et la jurisprudence ont progressivement consacré un régime protecteur articulé autour de deux piliers : d’abord, des règles spéciales applicables à la clause compromissoire ; ensuite, la mise à l’écart du principe de compétence-compétence. Si le régime n’est pas encore finalisé, le récent arrêt PWC constitue la pierre la plus importante de cet édifice (Civ. 1re, 30 sept. 2020, n° 18-19.241, PWC, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2501 image, note D. Mouralis image ; ibid. 2484, obs. T. Clay image ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; ibid. 923, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; AJ contrat 2020. 485 image, obs. D. Mainguy image ; Rev. prat. rec. 2021. 39, chron. R. Bouniol image ; Rev. crit. DIP 2021. 202, note E. Loquin image ; RTD civ. 2020. 845, obs. L. Usunier image ; RTD com. 2021. 529, obs. E. Loquin image ; Procédures 2021, n° 1, p. 19, obs. L. Weiller ; RLDC 2021, n° 190, p. 29, note C. Marilly ; RLDA 2020, n° 164, p. 4, note S. Koulocheri ; ibid. 2020, n° 165, p. 14, note J. Clavel-Thoraval ; Gaz. Pal. 2020, n° 41, p. 27, note S. Bollée ; JCP 2020. 2100, note M. de Fontmichel ; LPA 2020, n° 254, p. 7, note S. Akhouad-Barriga ; CCC 2020, n° 12, p. 69, note S. Bernheim-Desvaux ; ibid. 2021, n° 1, p. 3, obs. E. Fohrer-Dedeurwaerder ; LPA 2021, n° 12, p. 5, note J. Lefebvre ; JCP E 2021, n° 10, p. 33, obs. C. Nourissat).

Pour les secondes, le régime applicable ne présentait, naguère, presque aucune spécificité par rapport au droit commun. D’abord, la validité de la clause compromissoire n’était pas menacée par l’impécuniosité d’une partie. Ensuite, le principe compétence-compétence s’appliquait à de telles parties. Toutefois, la période récente a permis l’émergence de nouveaux mécanismes au profit des parties impécunieuses. D’une part, la jurisprudence développe des moyens de défense pour contester la clause compromissoire. Ceux-ci reposent, premièrement, sur le déséquilibre significatif de la clause (il s’agit de la saga Subway, Paris, 15 sept. 2020, n° 18/01360, Dalloz actualité, 19 oct. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 2 juin 2020, n° 17/18900, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2421, obs. C. de droit de la concurrence Yves Serra (CDED Y. S.EA n° 4216) image ; ibid. 2484, obs. T. Clay image ; Paris, 11 sept. 2018, n° 16/19913, D. 2018. 2448, obs. T. Clay image ; AJ contrat 2018. 491, obs. J. Jourdan-Marques image ; CCC 2018, n° 11, p. 21, obs. N. Mathey ; Gaz. Pal. 2018, n° 38, p. 25, obs. D. Bensaude ; RLDA 2019, n° 145, p. 35, note J. Clavel-Thoraval) et, deuxièmement, sur l’accès au juge inclus au sein de l’ordre public international (Paris, 19 oct. 2021, n° 18/01254, Monster Energy, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Ainsi, une partie peut contester la compétence du tribunal arbitral sur ces deux fondements, d’abord devant l’arbitre et ensuite devant le juge de l’annulation. D’autre part, pour éviter qu’une partie impécunieuse se trouve dans l’impossibilité de saisir le tribunal arbitral, la jurisprudence impose « aux acteurs de l’arbitrage d’écarter tout risque de déni de justice face à un plaideur aux moyens financiers limités » (Paris, 30 juin 2021, n° 21/02568, Carrefour Proximité France, Dalloz actualité, 4 févr. 2022, obs. J. Jourdan-Marques).

La question de savoir si ces dispositifs sont efficaces et répondent aux enjeux de l’impécuniosité est légitime et mérite de faire l’objet d’un examen approfondi. À notre connaissance, cette enquête n’a pas encore été réalisée. Récemment, le Professeur Maximin de Fontmichel a mis en lumière le caractère erroné de la croyance selon laquelle l’intervention de tiers financeurs serait de nature à combler ce manque (M. de Fontmichel, L’articulation de la protection des parties faibles avec la convention d’arbitrage à la lumière d’une décennie d’application du décret, Rev. arb. 2022, à paraître). Pour autant, ce seul constat est insuffisant à condamner le mécanisme.

La Cour de cassation se désintéresse de ces acquis antérieurs. Il est frappant de constater que la cassation est également obtenue sur le fondement d’une dénaturation du Règlement d’arbitrage 2012 de la CCI. Celui-ci ne dit pas, contrairement à ce qu’a laissé entendre la cour d’appel, que la provision est seulement assumée par le demandeur. La dénaturation sur ce point n’est pas imméritée. Pour autant, il est dommage que la Cour ne réalise pas une lecture complète de l’ancien article 36 du Règlement (désormais article 37 dans le Règlement 2021), même s’il n’est pas certain que les parties l’y aient invité. Si cette disposition prévoit le retrait des demandes à défaut de paiement complet de la provision d’arbitrage, elle n’écarte pas certaines garanties. Ainsi, l’article 36.6 du Règlement 2012 (désormais 37.6) énonce que « Si la partie concernée entend s’opposer à cette mesure [de retrait], il lui appartient de demander, dans le délai ci-dessus, que la question soit tranchée par la Cour ». Ainsi, le Règlement d’arbitrage ouvre la voie à un débat sur les conséquences du défaut de paiement de la provision et rend possible la mise en œuvre de la jurisprudence française sur la faculté qui doit être préservée de garantir l’accès à un tribunal arbitral. À cet égard, l’arrêt d’appel a reconnu que « les appelantes n’ont nullement introduit de demande afin de faire trancher par la Cour les contestations relatives au paiement des frais ». Autrement dit, toute la jurisprudence incitant les acteurs de l’arbitrage à contribuer à l’accès au juge est balayée, dès lors que les dispositifs permettant d’y faire droit ne sont pas tenus pour impératifs. Ainsi, la Cour de cassation entérine peu ou prou une violation du règlement d’arbitrage en actant la renonciation indépendamment des modalités qui y figurent. C’est pour le moins une vision singulière, à une époque où l’on consacre le caractère central du règlement d’arbitrage et où l’on entend faire peser sur les institutions un rôle dans l’accès au juge, que de permettre à une partie de s’en émanciper.

Par ailleurs, la solution tranche avec celle qui a été retenue dans l’affaire Garoubé. Dans cette dernière, le juge d’appui a accepté de prêter main-forte à une partie pour adresser une injonction à l’institution d’arbitrage de faire rétablir des demandes réputées retirées (TGI Paris, 16 nov. 2015, n° 15/55644, D. 2015. 2588, obs. T. Clay image ; Cah. arb. 2015. 129, note M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2016. 258, note C. Jarrosson et F.-X. Train). Las, la solution a été écartée en appel puis en cassation (Paris, 24 mai 2016, n° 15/23553, D. 2016. 2589, obs. T. Clay image ; Rev. arb., 2017. 533, 1re esp., note V. Chantebout ; Cah. arb. 2016. 641, note M. de Fontmichel ; Gaz. Pal, 15 nov. 2016, p. 33, obs. D. Bensaude ; Civ. 1re, 13 déc. 2017, n° 16-22.131, Garoubé, CD. 2018. 18 image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; RTD com. 2019. 39, obs. E. Loquin image ; Cah. arb. 2017. 701, note H. Barbier ; Procédures 2018, n° 2, p. 18, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 370, note V. Chantebout ; JDI 2019. 627, note K. Mehtiyeva). En consacrant la renonciation à la clause, la Cour de cassation retient une solution bien plus radicale que celle qu’elle a refusé dans l’affaire Garoubé.

Ainsi, depuis dix ans et le fameux arrêt Pirelli (Paris, 17 nov. 2011, n° 09/24158, Licensing Projects SL c/ Pirelli & C. SPA, D. 2011. 3023, obs. T. Clay image ; RTD com. 2012. 530, obs. E. Loquin image ; JDI 2012. 41, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet ; Cah. arb. 2012. 159, note D. Cohen ; LPA 2012, n° 142, p. 11, obs. M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2012. 392, comm. F.-X. Train), il résulte de la jurisprudence que la mise en œuvre de la clause d’arbitrage est confiée, en présence d’une partie impécunieuse, aux acteurs de l’arbitrage et en particulier aux institutions, à l’exclusion expresse des juridictions étatiques. De ces solutions, la Cour de cassation fait abstraction. À tout le moins, elles ne sont plus exclusives.

2 - Une protection inadéquate

Désormais, le débat peut être placé autour de la question d’une éventuelle renonciation à la convention d’arbitrage à défaut de paiement de la provision. La solution paraît intuitive : celui qui ne paie pas renonce à l’arbitrage. En réalité, elle n’emporte pas l’adhésion.

La renonciation à un droit substantiel est un acte de volonté unilatérale conduisant à renoncer à un droit. La convention d’arbitrage est susceptible de faire l’objet d’une telle renonciation (Civ. 1re, 23 janv. 2007, Rev. arb. 2007. 290, obs. E. Teynier et P. Pic ; 20 avr. 2017, n° 16-11.413, D. 2017. 2559, obs. T. Clay image ; AJ contrat 2017. 343, obs. M. de Fontmichel image ; Procédures 2017, n° 7, p. 37, obs. L. Weiller ; JCP 2017. 1201, note D. Mouralis). Pour autant, la renonciation à la convention d’arbitrage, si elle peut être tacite ne doit pas être équivoque (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., Lextenso éditions/Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2019, n° 697).

C’est là une considération à laquelle la Cour de cassation est insensible. En effet, les défendeurs allèguent, pour justifier l’absence de paiement de la provision, son caractère disproportionné. Dans la procédure d’appel, les défendeurs soulignent que « les demandes financières exorbitantes des appelants d’un montant en principal de plus de 2 millions d’euros ont directement et nécessairement augmenté les frais d’arbitrage, qui sont proportionnels, pour aboutir à des provisions d’un montant de 245 000 $ ». Il est toujours délicat de se prononcer a priori sur le caractère disproportionné des prétentions d’une partie (même si l’on peut s’interroger sur le montant de ces demandes pour une partie dont le chiffre d’affaires en 2017 – d’après les sites spécialisés – est inférieur à 500 000 €). Il serait évidemment choquant d’imposer à une partie de les réduire au seul prétexte de diminuer les frais d’arbitrage qu’un défendeur refuse de payer. Pour autant, on ne peut feindre d’ignorer qu’une surévaluation volontaire des demandes est une arme économique très puissante pour un demandeur afin de mettre sous pression un défendeur. Il peut être un outil efficace pour pousser à la transaction, en particulier si le montant de la provision correspond peu ou prou à celui qui est recherché par le demandeur. Naturellement, on pourra dire que les arbitres ont la possibilité, à l’issue de la procédure et à défaut de transaction, de sanctionner un tel comportement, en particulier à travers la répartition des frais de l’arbitrage. Il n’en demeure pas moins que cette solution est théorique en présence d’un demandeur en liquidation judiciaire. Dès lors, on pouvait espérer que la cour de renvoi puisse vérifier l’absence d’équivoque de la renonciation du défendeur en examinant les raisons du refus de paiement de la provision. Telle ne semble pas être la voie dessinée par la Cour de cassation.

Par ailleurs, la solution soulève des interrogations quant à sa portée exacte, au-delà du défaut de paiement de la provision. Ainsi, on peut s’interroger sur la portée de ce nouveau principe de loyauté procédurale régissant les parties à une convention d’arbitrage. Est-il, par exemple, susceptible d’entraîner un revirement de jurisprudence sur les conséquences d’un refus par une partie de désigner un arbitre ? À ce jour, un tel refus n’équivaut pas à une renonciation (Paris, 14 nov. 1991, Rev. arb. 1994. 545, note P. Fouchard). Demain, faudra-t-il y voir un nouvel avatar de la renonciation ? Quid, ensuite, d’un refus de participer à l’instance, de fixer un calendrier de procédure ou de signer un acte de mission ? En réalité, la pente deviendra glissante et, sous couvert de loyauté procédurale, les parties n’hésiteront pas à instrumentaliser tout comportement de l’adversaire pour faire état d’une renonciation. Cette solution n’est pas saine. Elle l’est d’autant moins qu’elle conduit à une confusion entre le comportement procédural des parties et l’efficacité des clauses contractuelles.

Surtout, on l’a déjà évoqué, l’arrêt est indifférent à la situation financière du demandeur. Le message est en effet brouillé par l’état de liquidation de celui-ci. En appel, l’impécuniosité était discutée. Elle ne l’est pas devant la Cour de cassation. Ainsi, la solution retenue vaut indépendamment des considérations financières relatives aux parties et s’applique à tous les différends. Autrement dit, l’arrêt Tagli’apau n’est pas à l’origine d’une règle spéciale protectrice des intérêts d’une partie faible ; elle est une règle générale au bénéfice de tous. Ce constat soulève de très sérieuses interrogations. D’une part, il n’est aucunement exclu qu’elle se retourne contre une partie faible au profit d’une partie forte. Ainsi, une partie forte qui, pour diverses raisons, souhaite échapper à l’arbitrage pourrait se prévaloir de l’impossibilité pour le défendeur faible de payer la provision pour saisir le juge étatique. D’autre part, il viendra un moment où la question se posera des conséquences du refus d’une partie de prendre à sa charge l’intégralité de la provision. On trouvera des plaideurs pour dire que ce refus de paiement est révélateur d’une déloyauté – en particulier en cas de moyens inégaux entre les parties – et constitutif d’une renonciation à la convention d’arbitrage.

En somme, la solution retenue par l’arrêt est triplement décevante. Premièrement, parce qu’elle tire d’un comportement procédural des conséquences substantielles. Deuxièmement, car elle ne se limite pas aux seules hypothèses d’impécuniosité, là où elle a éventuellement un intérêt. Troisièmement, car elle réduit à néant les efforts de la jurisprudence pour encourager les acteurs de l’arbitrage à garantir l’accès au juge en offrant une solution simpliste à un problème complexe.

Toutefois, l’essentiel n’est pas là. La décision Tagli’apau a en effet des conséquences lourdes sur le principe de compétence-compétence.

B - L’effet corrosif sur le principe compétence-compétence

On ne reviendra pas de façon approfondie sur le principe compétence-compétence, qui est connu des lecteurs de cette chronique. Simplement, on rappellera qu’en dehors des hypothèses concernant les parties structurellement faibles, la jurisprudence s’est opposée à une remise en cause de l’effet négatif. L’arrêt Lola Fleurs l’a bien exprimé en énonçant que « le caractère manifestement inapplicable de la clause compromissoire ne saurait davantage se déduire de l’incapacité alléguée [du demandeur] à faire face au coût d’une telle procédure en raison de sa situation financière et au déni de justice qui en résulterait » (Paris, 26 févr. 2013, Lola Fleurs, n° 12/12953, D. 2013. 2936, obs. T. Clay image ; Cah. arb. 2013. 479, note A. Pinna ; Rev. arb. 2013. 756, note F.-X. Train). Cette solution a encore été récemment reprise par la cour d’appel de Paris : « l’impécuniosité ne constitue, en effet, pas un critère de nature à caractériser l’inapplicabilité manifeste d’une clause compromissoire » (Paris, 30 juin 2021, n° 21/02568, Carrefour Proximité France, préc.).

La solution de l’arrêt Tagli’apau ignore le principe compétence-compétence. Implicitement, mais nécessairement, la Cour de cassation considère que l’examen du comportement procédural du défendeur conduisant à retenir l’irrecevabilité de son exception d’incompétence échappe à l’effet négatif. Pourtant, habituellement, la renonciation est considérée comme une question d’inapplicabilité de la clause, soumise à l’exigence du caractère manifeste (Civ. 1re, 20 avr. 2017, n° 16-11.413, préc.). Cette atteinte est grave. Elle l’est d’autant plus qu’elle ne vise pas seulement à protéger les parties impécunieuses et a vocation à s’appliquer à tous les différends.

À la vérité, une telle solution n’est pas totalement nouvelle. Elle a déjà été retenue par la Cour de cassation dans un arrêt qui a finalement peu attiré l’attention (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-27.823, D. 2018. 2448, obs. T. Clay image ; RTD civ. 2018. 482, obs. N. Cayrol image ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude ; JDI 2018. Comm. 18, note J. Jourdan-Marques). Dans cette décision, la cour a, au visa du « principe de l’estoppel », cassé un arrêt d’appel ayant accueilli l’exception d’incompétence. Si elle ne se prononce pas sur la nature de la sanction, elle signifie clairement que le comportement procédural d’une partie (assigner devant le juge, se rétracter et introduire l’instance devant un arbitre puis soulever une exception d’incompétence devant le juge) peut la priver du droit de se prévaloir de la clause. L’arrêt Tagli’apau est dans la même veine. Toutefois, il innove doublement par rapport à ce précédent.

D’abord, il est explicite sur la sanction, en considérant que les défendeurs « n’étaient pas recevables » pour décliner la compétence du juge judiciaire. Cette qualification permet à la Cour de cassation d’échapper à l’article 1448 du code de procédure civile. En effet, ce dernier n’autorise un juge à retenir sa compétence que lorsque la clause est manifestement nulle ou inapplicable. Cette restriction interdit de se prononcer sur le bien-fondé de l’argumentation du demandeur au soutien de la compétence. En plaçant le débat sur le terrain de la recevabilité – en amont – la Cour de cassation contourne la difficulté. Dès lors, une dichotomie se dessine au stade de la saisine du juge au stade pré-arbitral : son office est limité par le jeu de l’article 1448 du code de procédure civile sur le bien-fondé de l’exception, mais ne l’est pas lorsqu’il s’agit de s’intéresser à la recevabilité de l’exception.

En première analyse, cette solution n’est pas choquante. La recevabilité d’une exception d’incompétence est en effet soumise à conditions. L’article 74, alinéa 1er, du code de procédure civile énonce ainsi une double condition : « les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ». Ces conditions objectives ne sont pas les seules. Il existe également des conditions subjectives qui tiennent au comportement des plaideurs (Rép. pr. civ., v° Défenses, exceptions, fins de non-recevoir, par I. Pétel-Teyssié, n° 85). Parmi les comportements stigmatisés, on retrouve celui du plaideur qui a formé une demande devant une juridiction, qui ne peut soulever ensuite son incompétence (Civ. 1re, 28 avr. 1982, n° 81-11.438 P ; Civ. 2e, 7 déc. 2000, n° 99-14.902 P, D. 2001. 178, et les obs. image).

Pour autant, il ne faut pas se laisser abuser par cette apparente rectitude juridique. La notion de recevabilité est infiniment malléable. La tendance actuelle est de qualifier tout – et surtout n’importe quoi – de recevabilité. Rien qu’en prenant la présente...

[PODCAST] Les valeurs des magistrats - Entretien avec Sandra Travers de Faultrier

À l’heure où le positivisme juridique comme le légicentrisme tendent à réduire l’acte de juger à une pratique relevant d’une automaticité et alors que les disciples zélés de l’IA (intelligence artificielle) proclament la fin des biais cognitifs par congédiement progressif du juge de chair, qu’en est-il des valeurs...

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Précisions sur les modalités du bénéfice du droit viager au logement du conjoint survivant

par Mélanie Jaoul, Maître de conférences, Université de Montpellierle 18 mars 2022

Civ. 1re, 2 mars 2022, FS-B, n° 20-16.674

Un homme décède le 24 avril 2010, en laissant pour lui succéder son fils, M. J…, né d’une première union, et son épouse commune en biens, Mme L…, qui occupait alors un bien acquis par les deux époux. Le règlement de la succession traîne : le fils, sans domicile fixe, n’apprend la mort de son père qu’en mars 2012 et les rapports avec sa belle-mère se tendent jusqu’au conflit, celui-ci contestant la jouissance du domicile par la veuve. Il se trouve que cette dernière continue d’occuper le logement du couple après le décès mais n’a pas formulé de façon expresse sa volonté de bénéficier de son droit viager au logement. Ce n’est qu’à l’occasion de la procédure de première instance, par conclusions notifiées le 30 août 2016, qu’elle formalise expressément la demande. En première instance, les juges du fond rejettent la demande de la veuve tendant à se voir reconnaître le droit viager au logement visé à l’article 764 du code civil. Cette décision fait l’objet d’un appel et les juges (Grenoble, 19 mars 2019, n° 17/05304) infirment la décision rendue en première instance. La cour d’appel considère que la veuve a formé une demande tacite de bénéficier du droit au logement résultant des dispositions de l’article 764 du code civil en restant dans les lieux. Les juges précisent, par ailleurs, que concernant l’immeuble commun, la veuve jouit donc d’un droit d’usage et d’habitation sur la partie du bien dépendant de la succession. L’héritier forme alors un pourvoi à l’encontre de la décision. Il invoque que la cour d’appel a violé les articles 764 et 765-1 du code civil en considérant que par son seul maintien dans les lieux, sa belle-mère avait manifesté sa volonté de bénéficier du droit d’usage et d’habitation en viager du conjoint survivant sur le logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de...

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Nommer l’enfant sans vie

Le 6 décembre 2021 était promulguée la loi issue de la proposition de loi de Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, visant à nommer les enfants nés sans vie (L. n° 2021-1576, 6 déc. 2021, JO 7 déc.). L’unique article de cette loi ajoute à l’article 79-1 du code civil la possibilité de nommer l’enfant sans vie : « peuvent également y figurer, à la demande des père et mère, le ou les prénoms de l’enfant ainsi qu’un nom qui peut être soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. Cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ». Outre diverses dispositions d’application de la loi relative à la bioéthique, le décret du 1er mars 2022 tire certaines conséquences de cette loi et en précise le champ d’application.

Depuis la loi du 8 juillet 1993, l’article 79-2 du code civil donne la possibilité aux parents d’un enfant mort avant d’avoir vécu de demander à l’officier de l’état civil d’établir un « acte d’enfant sans vie ». Un décret du 20 août 2008 et une circulaire du 19 juin 2009 ont précisé que, pour qu’il puisse y procéder, il lui faut disposer d’un certificat médical attestant que l’accouchement spontané ou provoqué pour raison médicale est intervenu à partir de la treizième semaine de grossesse. Même si la personnalité juridique ne lui est pas reconnue, faute d’être né vivant et viable, l’enfant sans vie peut alors être inscrit dans le livret de famille. Ce faisant, la délivrance de cet acte permet, symboliquement, un accueil de ce petit être dans sa famille. Il s’agit alors de prendre en compte la douleur de la famille en lui permettant de faire son deuil. Cet accueil n’est cependant pas parfait. En effet, la circulaire du 19 juin 2009 précise que, « si les parents en expriment le désir », « un ou des prénoms peuvent être donnés à l’enfant sans vie ». Elle indique toutefois qu’« aucun nom de famille ne peut lui être conféré et aucun lien de filiation ne peut être établi à son égard » car, dit-elle, « la filiation et le nom de famille constituent des attributs de la personnalité juridique ».

C’est donc l’une de ces lacunes que la loi a comblée en permettant que l’enfant sans vie dispose, en plus de son prénom, de ce nom qui est le signe le plus visible de l’appartenance à une famille.

Le décret du 1er mars 2022 en tire alors les conséquences en apportant plusieurs modifications au décret du 15 mai 1974 relatif au livret de famille. La plus importante est celle qui concerne l’article 9 qui dispose désormais que « l’indication d’enfant sans vie, le cas échéant ses prénoms et nom, ainsi que la date et le lieu de l’accouchement peuvent être apposés sur le livret de famille, à la demande d’un ou des parents, par l’officier de l’état civil qui a établi l’acte ». Est par ailleurs modifié l’article 4 prévoyant la délivrance du livret de famille aux parents qui en sont dépourvus, au moment de la remise de l’acte d’enfant sans vie. Le texte dispose désormais que ce livret « comporte un extrait d’acte de naissance du ou des parents ainsi que l’indication d’enfant sans vie, le cas échéant ses prénoms et nom, la date et le lieu de l’accouchement ». Aux termes de l’article 5 du décret du 1er mars, ces dispositions s’appliquent, quelle que soit la date de l’acte d’enfant sans vie. Très concrètement, cela signifie que les dispositions permettant de nommer l’enfant sans vie ne s’appliqueront pas uniquement aux enfants nés postérieurement à la promulgation de la loi du 6 décembre 2021 ou du décret du 1er mars 2022, mais à tout enfant né sans vie. Ce large champ d’application des nouvelles dispositions doit être salué.

Il conviendra désormais d’aller plus loin en consacrant également le lien de filiation entre cet enfant et ceux que l’article 79-1 désigne d’ores et déjà comme « ses père et mère ». D’un point de vue rationnel, on peut en effet s’interroger sur la pertinence de la désignation des parents de l’enfant quand la filiation à son égard est écartée. Les notions sont en effet réciproques : s’il y a un père et une mère, c’est qu’il y a un fils ou une fille ; le lien existant entre les premiers et le second est le lien de filiation qu’il faut donc reconnaître. Ensuite, d’un point de vue technique, il est tout à fait envisageable de procéder à l’établissement du lien de filiation de l’enfant sans vie sans heurter les principes du droit de la filiation. C’est à cette solution qu’invite la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dont l’influence sur le droit de la famille n’est plus à démontrer (v. not. J.-R. Binet et A. Gouëzel, La CEDH et le droit de la famille, IFJD, 2021). Elle a en effet décidé, dans un arrêt Znamenskaya contre Russie du 2 juin 2005, que le refus d’admettre l’existence d’un lien de filiation entre un parent et un enfant mort-né constituait une violation du droit au respect de la vie privée et familiale (CEDH 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie, n° 77785/01, AJDA 2006. 466, chron. J.-F. Flauss image ; RTD civ. 2005. 737, obs. J.-P. Marguénaud image ; JCP 2005. I. 159, n° 14, obs. F. Sudre). 

Un demandeur d’emploi suivant une formation professionnelle n’est pas un consommateur

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du Premier Président de la Cour d'appel d'Aix-en-Provencele 17 mars 2022

Civ. 1re, 9 mars 2022, FS-B, n° 21-10.487

L’effort de définition de l’article liminaire du code de la consommation permet notamment de savoir comment appréhender le consommateur « principal destinataire » de ce corps de règles (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 17, n° 11). Des problèmes subsistent toujours toutefois dans le cadre de certaines espèces aux confins des définitions envisagées par le législateur. Nous allons étudier l’une de ces difficultés dans l’analyse de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 mars 2022. Rappelons très brièvement les faits pour comprendre l’enjeu du problème. En l’espèce, une personne inscrite à Pôle emploi décide de conclure le 10 septembre 2016 avec une société (la SARL, dans la suite du commentaire) un contrat de formation professionnelle portant sur des activités de naturopathie. Par lettre recommandée en date du 1er février 2017, la personne suivant la formation a résilié le contrat pour raisons personnelles. Le 8 février 2017, la SARL sollicite par conséquent le paiement de la somme de 4 587,80 € qui correspond au prix de la formation contractée. Le 30 juillet 2018, Pôle Emploi règle sa part dans la formation du demandeur d’emploi, à savoir une somme de 820,08 €. C’est dans ce contexte que la SARL fait assigner son cocontractant en paiement du reliquat restant dû soit 3 525,72 €. Le cocontractant demandeur d’emploi invoque la prescription des demandes en arguant du délai biennal de l’article L. 218-2 du code de la consommation. Le tribunal d’instance de Dole refuse d’appliquer la prescription biennale puisque le défendeur à l’instance n’a pas la qualité de consommateur selon lui. Il le condamne au paiement de la somme de 3 525,72 € demandée par la SARL pour régler la formation convenue en septembre 2016. C’est dans ce contexte que le cocontractant débiteur du paiement du prix de la formation se pourvoit en cassation, faute de pouvoir interjeter appel en pareille situation...

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Recherches sur l’embryon, les cellules souches embryonnaires et pluripotentes induites humaines

Article


par Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, Conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologiesle 16 mars 2022

Décr. n° 2022-294, 1er mars 2022, JO 2 mars

La loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a amplifié l’évolution de la législation en faveur de la recherche sur l’embryon humain et ses cellules souches et créé un régime à peu près similaire pour les cellules souches pluripotentes induites humaines. Le volet réglementaire devait cependant être mis à jour car, remanié en dernier lieu par un décret du 11 février 2015, il n’était plus adapté sur divers points aux nouvelles dispositions légales.

Tel est l’objet du décret n° 2022-294 du 1er mars 2022 relatif à la recherche sur l’embryon humain, les cellules souches embryonnaires humaines et les cellules souches pluripotentes induites humaines. Son objet principal est de fixer les modalités d’application du régime d’autorisation des recherches sur l’embryon humain, du régime de déclaration préalable à une recherche sur les lignées de cellules souches embryonnaires humaines existantes, ainsi que du régime de déclaration de certaines recherches à enjeux éthiques spécifiques sur les cellules souches pluripotentes induites humaines. Sont concernés dans le code de la santé publique les articles...

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Pour le gouvernement, il n’y a pas de problème de sur-transposition

Le rapport « étudie les différentes formes de sur-transposition pratiquées, leurs causes, leurs effets ainsi que leurs justifications et identifie les adaptations de notre droit nécessaires pour remédier aux sur-transpositions inutiles ou injustifiées ». Il insiste tout d’abord sur le fait que la « sur-transposition » est une notion protéiforme qui implique deux critères : « l’existence d’un écart par rapport au standard minimum imposé par la directive », et « l’existence d’une norme plus contraignante pour les personnes concernées que le standard européen ».

L’échec de la loi contre les sur-transpositions

La sur-transposition était un chantier important au début du quinquennat. La circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 traitait spécifiquement la question des sur-transpositions. Une mission inter-inspection (IGAS, IGA, CGEDD, IGF, CGE, CGAAER) avait dressé un inventaire des sur-transpositions en avril 2018. Sur 1 400 textes entrant dans le champ de la mission, 137 directives faisaient l’objet d’au moins une mesure de sur-transposition avec un effet pénalisant pour la compétitivité des entreprises, l’emploi, le pouvoir d’achat ou l’efficacité des services publics. Pour 40 d’entre elles, l’effet pénalisant a ensuite été écarté. Puis, dans un certain nombre de cas, il a été jugé préférable de maintenir une sur-transposition (paquet neutre pour les cigarettes, congé maternité, délai de rétractation de 8 jours en matière de crédits).

Un projet de loi avait retenu la suppression de 30 mesures. Étudié par le Sénat en novembre 2018, il n’a jamais été mis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Mais plusieurs de ces articles ont été intégrées dans d’autres textes, comme les lois Pacte, ASAP, LOM ou la loi d’organisation et de transformation du système de santé. D’autres suppressions de sur-transposition interviendront dès qu’un vecteur législatif approprié sera disponible. « Au niveau réglementaire, il n’a pas été possible d’adopter un texte interministériel unique ».

Si elle ne figure pas dans le rapport, la directive sur la protection des lanceurs d’alerte est un bon exemple de sur-transposition. Le projet de directive s’inspirait de la législation française. En 2019, le gouvernement français s’est mobilisé pour éviter que la directive aille au-delà de cette législation, cédant sur plusieurs points. Mais, au final, les propositions de loi adoptées vont au-delà de la directive.

La sur-transposition, un choix politique assumé et justifié

« Aux termes des différents travaux menés relatifs à la sur-transposition, notamment la mission inter-inspections conduite en 2017-2018, il est apparu que ce phénomène, souvent dénoncé, est en réalité moins important que ce qui avait pu être envisagé et correspond dans la majorité des cas à un choix politique assumé », mentionne le rapport. « Si les raisons présidant au phénomène de « sur-transposition » sont multiples, certaines sur-transpositions sont délibérées. Il serait « inopportun » voire « néfaste » de remettre en cause cette volonté car cela « conduirait, le plus souvent, à s’aligner sur le niveau minimal d’harmonisation au niveau européen ». Il est donc « totalement assumé de maintenir des règles qui vont au-delà des normes minimales européennes », afin de mieux « protéger les entreprises et les citoyens, que ce soit en matière économique, sociale, environnementale ou en terme de sécurité ».

Les travaux menés par le gouvernement en matière de lutte contre la sur-transposition ont donc été menés au cas par cas : ainsi, si la suppression de certaines contraintes pesant sur les annonceurs est apparue justifiée car « elles n’apportaient aucune protection supplémentaire aux consommateurs », celles permettant de lutter contre le surendettement et certaines escroqueries ont été maintenues. Le gouvernement assume également la réglementation française restreignant le commerce de l’ivoire ou le fait que la loi de transition énergétique – qui prévoit de porter la part des énergies renouvelables en France à 32 % de la consommation finale brute d’énergie en 2030 – sur-transpose le droit européen.

Le suivi des directives

Pour l’avenir, une équipe projet est normalement constituée dès la publication d’une proposition de directive. Cette équipe doit évaluer l’impact de la proposition de directive y compris concernant sa transposition et doit être opérationnelle jusqu’à la phase de transposition. Mais « il existe une trop grande déconnexion entre les équipes chargées de la négociation d’un texte et celles chargées de sa transposition notamment en raison des délais de négociation et de transposition ».

Le recours aux outils que sont les fiches d’impact simplifiée (FIS1) et stratégique (FIS2) est donc « inégal ». Or, la réalisation et l’actualisation d’un tableau de concordance doivent « faciliter la distinction entre les dispositions qui transposent strictement la directive et celles qui relèvent d’une sur-transposition ». À la suite d’un arrêt rendu par la CJUE en juillet 2019, les États membres doivent désormais accompagner les mesures nationales de transposition « d’informations claires et précises » à l’attention de la Commission européenne. Ce qui a conduit le gouvernement a systématiser la réalisation de tableaux de concordance. Cette nouvelle « norme » conduira-t-elle finalement à réduire les sur-transpositions ? 

 

ActuEL Direction juridique, 14 mars 2022

L’usufruitier-bailleur et le congé pour reprise

Bail d’habitation et usufruit

Aux termes de l’article 578 du code civil, l’usufruit est « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété […] ». Ce droit de jouissance reconnu à l’usufruitier lui permet d’user et de jouir de la chose soit directement soit indirectement, en la donnant en bail et en percevant les fruits générés. En effet, l’article 595 du même code offre à l’usufruitier la possibilité de conclure des baux et il s’en déduit sa qualité de bailleur dans ces contrats (même s’il s’agit pour l’usufruitier d’une liberté encadrée car la durée d’un bail est susceptible de porter atteinte aux droits du nu-propriétaire lorsque celui-ci retrouvera la pleine propriété ; aussi, le consentement du nu-propriétaire est-il parfois requis. Pour une illustration, v. par ex. F. Planckeel, La combinaison de l’usufruit et du bail. Éléments pour une nouvelle théorie des biens, RTD civ. 2009. 639 image).

Pour autant, il arrive que des baux sur un bien immobilier, objet de l’usufruit, n’aient pas été consentis directement par l’usufruitier mais par le nu-propriétaire lui-même. Certes, comme indiqué, certains baux offrant une forme de stabilité aux preneurs à bail imposent, outre l’intervention de l’usufruitier, l’accord du nu-propriétaire pour leur conclusion. C’est ce qui résulte du dernier alinéa de l’article 595 du code civil précisant que « l’usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal ». En revanche pour les autres baux pouvant être qualifiés d’« actes d’administration », tels que les baux d’habitation soumis à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (conclus pour une durée de trois ou six ans selon que le bailleur est une personne physique ou morale en application de l’art. 10), le principe est celui de la liberté et l’usufruitier, qui aura la qualité de bailleur, peut les consentir seul (sauf fraude des droits du nu-propriétaire : Civ. 3e, 3 avr. 2007, n° 06-13.581, AJDI 2007. 500).

La question du bail conclu par le nu-propriétaire et de ses suites

Quid néanmoins lorsque le nu-propriétaire décide de conclure un bail d’habitation sur un bien faisant l’objet d’un usufruit et qu’ensuite il souhaite reprendre ce bien immobilier, notamment pour en faire bénéficier un de ses proches ? Cette question s’est...

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De l’utilisation stratégique de la subrogation personnelle en matière de cautionnement

La question des recours de la caution est fondamentale pour ce garant personnel qui accepte de payer la dette d’autrui (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 202, n° 208). On sait que l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a supprimé la catégorie discutable et désuète des recours avant paiement (J.-D. Pellier, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, Dalloz actualité, 21 sept. 2021 ; L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, 15e éd., LGDJ, Droit civil, 2021, p. 88, n° 80). Les recours après paiement occupent alors une place désormais unique pour assurer le remboursement de la caution après désintéressement du créancier.

Cette question de pure contribution à la dette est d’autant plus essentielle qu’au stade du passif définitif, la caution ne doit rien là où un codébiteur solidaire aurait une part contributive qui viendrait diminuer l’assiette du remboursement exigible aux autres débiteurs. La possibilité de se retourner contre le débiteur principal reste donc cruciale pour la caution qui n’est pas liée au créancier dans le rapport de droit fondamental entre le débiteur et ce dernier. La caution personnelle dispose donc, pour ce faire, de deux actions : la première est personnelle tandis que la seconde lui permet de revêtir les habits juridiques du créancier à travers ce que l’on appelle la subrogation personnelle. Ce mécanisme essentiel du régime général de l’obligation implique que la créance n’est pas éteinte par le paiement du solvens mais lui est transmise. Ainsi le point de départ de l’action du subrogé est identique à celui du créancier originaire, question que nous avons eu l’occasion d’étudier il y a un peu plus d’un mois dans ces colonnes (Civ. 1re, 2 févr. 2022, n° 20-10.855, Dalloz actualité, 11 févr. 2022, obs. C. Hélaine).

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 mars 2022 nous donne une très bonne illustration de l’usage raffiné de la...

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Le rapport de l’avantage indirect consenti à l’héritier occupant et nu-propriétaire indivis

Lorsqu’en 2012, la Cour de cassation avait mis fin à sa jurisprudence relative au rapport des avantages indirects objectifs (consentis sans intention libérale), les observateurs s’avouaient soulagés qu’un contentieux aussi lourd soit ainsi éludé. Dix ans plus tard, les difficultés reviennent sur le devant de la scène jurisprudentielle, d’autant plus ténues lorsque le successible occupe, à titre gratuit, une partie d’un bien dont il est nu-propriétaire indivis. Tel est le cas dans ce riche arrêt rendu le 2 mars 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation qui mêle le droit des successions, des libéralités, de l’usufruit, de l’indivision, du bail et du mandat.

En l’espèce, une mère était usufruitière d’un bien immobilier dont ses deux fils étaient nu-propriétaires indivis. Depuis 1971, l’un des fils occupait une partie du bien à titre personnel et professionnel, sans verser de loyer mais en prenant à sa charge de nombreuses dépenses d’entretien et d’amélioration. Au décès de l’usufruitière, survenu en 2015, des difficultés se sont élevées quant au règlement de la succession.

Aux termes d’un arrêt rendu le 9 septembre 2020, la cour d’appel de Poitiers fit droit aux demandes du frère de l’occupant. Elle reconnut d’abord que l’occupant était tenu de rapporter à la succession l’avantage indirect résultant de l’occupation gratuite du bien immobilier pendant quarante-quatre ans. Elle estima l’indemnité de rapport à la somme de 261 536,49 €, correspondant au montant des loyers impayés, déduction faite des réparations et frais d’entretien incombant normalement à l’usufruitière et qui avaient été acquittés par l’occupant nu-propriétaire.

La cour d’appel énonça ensuite que le frère de l’occupant était créancier d’une somme de 92 600 € au titre de sa gestion de l’indivision.

Le succombant forma un pourvoi en cassation. La Cour de cassation estima les deux premiers moyens infondés mais accueillit les deux derniers, et prononça donc une cassation partielle. En somme, l’occupant était bien débiteur d’une indemnité de rapport mais son frère n’était pas créancier d’une indemnité de gestion.

L’existence d’une dette de rapport

La question de la dette de rapport est centrale dans cette décision, tant en ce qui concerne son existence de principe que son montant.

La reconnaissance d’une dette de rapport

Selon l’article 843 du code civil, tout héritier doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement, sauf dispense de rapport. L’institution du rapport permet de préserver la vocation légale des héritiers (et non l’égalité entre héritiers, contrairement à une opinion communément admise). Pendant longtemps, la Cour de cassation soumettait au rapport le successible ayant bénéficié d’avantages qui ne constituaient pas des libéralités, faute d’intention libérale ou de déséquilibre économique. Tel était le cas lorsqu’il occupait gratuitement un bien mis à disposition par le de cujus. Par une série de quatre arrêts rendus le 18 janvier 2012, la Cour de cassation avait opéré un retour salutaire à l’orthodoxie juridique en énonçant en attendu de principe que « seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession » (Civ. 1re, 18 janv. 2012, n° 09-72.542, Dalloz actualité, 6 févr. 2012, obs. N. Le Rudulier ; D. 2012. 283 image ; ibid. 2476, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2012. 234, obs. A. Bonnet image ; RTD civ. 2012. 353, obs. M. Grimaldi image ; n° 10-27.325, Dalloz actualité, 31 janv. 2012, obs. J. Marrocchella ; D. 2012. 283 image ; ibid. 2476, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; RTD civ. 2012. 353, obs. M. Grimaldi image ; n° 11-12.863, Dalloz actualité, 10 févr. 2012, obs. N. Le Rudulier ; D. 2012. 283 image ; ibid. 2476, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2012. 235, obs. E. Buat-Ménard image ; RTD civ. 2012. 307, obs. J. Hauser image ; ibid. 353, obs. M. Grimaldi image ; n° 10-25.685, Dalloz actualité, 30 janv. 2012, obs. J. Marrocchella ; D. 2012. 283 image ; ibid. 2476, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2012. 156, obs. N. Régis image ; JCP 2012. 835, note F. Sauvage ; Dr. fam. 2012. 3. Comm. 50, note B. Beignier ; RJPF 2012. 2. 6, note D. Martel ; RLDC 2012. 94. 43, note R. Mésa ; Lexbase Hebdo 2012. 478, note S. Deville). Depuis lors, il lui arrive fréquemment de censurer des arrêts d’appel n’ayant pas pris la mesure de ce revirement.

En l’espèce, c’est bien d’un avantage indirect par occupation gratuite dont il était question. Les juges du fond ayant souverainement estimé que la de cujus était animée d’une intention libérale, c’est le critère matériel que le premier moyen du pourvoi tentait de contester (§ 3). La de cujus ne se serait pas appauvrie car...

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Information par le notaire, choix du nom, livret de famille : conséquences réglementaires de l’ouverture de l’AMP

Le décret du 1er mars 2022 modifie plusieurs dispositions du code de procédure civile pour les adapter à l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes non mariées. Il précise en outre la teneur des informations délivrées par le notaire. L’article 1157-2 du code de procédure civile, qui prévoyait antérieurement que « les époux ou concubins » recourant à une AMP avec donneur devaient y consentir devant notaire, vise désormais « le couple ou la femme non mariée » ayant recours à une AMP nécessitant l’intervention d’un tiers donneur. Le fond est inchangé : une déclaration devant notaire est exigée et, pour les couples, il doit s’agir d’une déclaration conjointe.

Informations délivrées par le notaire

Dans le même ordre d’idées, l’article 1157-3 du code de procédure civile modifié précise que l’information du notaire, préalable au recueil de la déclaration, a vocation à s’adresser aux membres d’un couple ou à une femme non mariée. La teneur de ces informations est complétée. Sans changement, le notaire doit délivrer une information concernant :

• l’impossibilité d’établir un lien de filiation entre l’enfant issu de la procréation et l’auteur du don, ou d’agir en responsabilité à l’encontre de celui-ci (C. civ., art. 342-9) ;

• l’interdiction d’exercer une action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation au nom de l’enfant, sauf à soutenir que celui-ci n’est pas issu de l’AMP ou que le consentement a été privé d’effet (C. civ., art. 342-10, al. 2) ;

• les cas où le consentement est privé d’effet ;

Remarque : le consentement est privé d’effet en cas de décès, d’introduction d’une demande en divorce ou en séparation de corps, de signature d’une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ou de cessation de la communauté de vie, survenant avant la réalisation de l’insémination ou du transfert d’embryon, ou encore lorsque l’un des membres du couple le révoque, par écrit et avant la réalisation de l’AMP (C. civ., art. 342-10, al. 3) ;

• la possibilité de faire déclarer judiciairement la paternité hors mariage de celui qui, après avoir consenti à l’AMP, ne reconnaît pas l’enfant qui en est issu, et d’exercer contre lui une action en responsabilité (C. civ., art. 342-13, al. 1 et 2).

Cette information doit désormais s’accompagner de deux autres :

• s’agissant des couples de femmes, le notaire doit les informer que la femme qui fait obstacle à la remise de la reconnaissance conjointe mentionnée à l’article 342-11 du code civil à l’officier de l’état civil engage sa responsabilité. Il doit également signaler la possibilité de faire apposer cette reconnaissance sur l’acte de naissance de l’enfant sur instruction du procureur de la République à la demande de l’enfant majeur, de son représentant légal s’il est mineur ou de toute personne ayant intérêt à agir en justice (C. civ., art. 342-13, al. 3 et 4).

Aucune indication n’est donnée sur une éventuelle initiative d’office du procureur de la République pour faire inscrire la reconnaissance conjointe à l’état civil (à la différence de ce que prévoient les dispositions transitoires de la loi du 2 août 2021 pour des reconnaissances conjointes consécutives à des AMP réalisées à l’étranger avant l’entrée en vigueur de la loi ; la mention de la reconnaissance conjointe en marge de l’acte de naissance de l’enfant ne peut alors intervenir que sur instruction du procureur de la République, qui doit s’assurer que les conditions du dispositif transitoire sont bien respectées) ;

• l’autre information concerne la possibilité qu’aura l’enfant d’accéder à sa majorité aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur (CSP, art. L. 2143-2).

L’acte notarié doit mentionner que ces informations ont été données.

Adaptation des règles relatives à la délivrance du livret de famille

Parallèlement, le décret du 1er mars 2022 (art. 2, 5°, a) complète l’article 9 du décret n° 74-449 du 15 mai 1974 relatif au livret de famille et à l’information des époux et des parents sur le droit de la famille. Cet article prévoit que les actes ou jugements qui ont une incidence sur un acte ou un certificat en tenant lieu, dont l’extrait figure au livret de famille, doivent être mentionnés par l’officier de l’état civil à la suite de cet extrait. Au titre des actes devant ainsi être mentionnés figurent désormais les déclarations conjointes faites en application des premier et quatrième alinéas de l’article 342-12 du code civil, c’est-à-dire la déclaration conjointe par laquelle deux femmes choisissent le nom de famille qui sera dévolu à l’enfant au moment de la déclaration de naissance, ou la déclaration conjointe par laquelle elles indiquent vouloir ne transmettre qu’un seul nom à l’enfant. Ces déclarations sont portées sur le livret de famille par l’officier de l’état civil qui les reçoit ou par l’officier de l’état civil dépositaire de l’acte de naissance.

Adaptation des règles relatives au nom

Enfin, le décret du 1er mars 2022 (art. 3) complète le décret n° 2004-1159 du 29 octobre 2004 portant application de la loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille et modifiant diverses dispositions relatives à l’état civil. L’objectif est de rendre applicables au nom de l’enfant issu d’une AMP ayant bénéficié à un couple de femmes les dispositions concernant les modalités de la déclaration conjointe de choix du nom de l’enfant, au plus tard au moment de la déclaration de naissance, qui sera annexée à son acte de naissance (Décr. n° 2004-1159, 29 oct. 2004, art. 1er, al. 1er), spécialement lorsque l’enfant est né à l’étranger. La déclaration conjointe de choix de nom doit alors être remise à l’officier de l’état civil du ministère des affaires étrangères compétent pour transcrire l’acte de naissance (Décr. n° 2004-1159, 29 oct. 2004, art. 4). Ce renvoi permet aussi de préciser un point négligé par la loi du 2 août 2021. En effet, si la loi a bien prévu une possible absence de déclaration conjointe à l’officier de l’état civil mentionnant le choix du nom de l’enfant (l’article 342-12, alinéa 1, du code civil prévoit que l’enfant prend alors leurs deux noms, dans la limite du premier nom de famille de chacune d’elles, accolés selon l’ordre alphabétique), elle n’a pas envisagé l’hypothèse d’un désaccord des deux femmes sur ce point (hypothèse qui devrait être rare et n’augure rien de bon pour la suite, mais qui ne peut pour autant être exclue). Le décret du 1er mars 2022 reprend la solution de droit commun prévue par l’article 311-21 du code civil (modifié sur ce point par la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe). Si l’une des deux femmes fait connaître son désaccord (par écrit) devant l’officier de l’état civil de son choix lors de la déclaration de naissance, il appartient à l’officier de l’état civil de viser le document et de le restituer. Le parent remet ce document à l’officier de l’état civil du lieu de naissance de l’enfant, et ce dernier indique dans l’acte de naissance le nom de l’enfant constitué du premier nom de chacun des parents accolés selon l’ordre alphabétique. Si le désaccord vient à être porté à la connaissance de l’officier de l’état civil après l’établissement de l’acte de naissance, ce dernier saisit le procureur de la République afin qu’il ordonne la rectification du nom.

 

Dictionnaire permanent Santé, bioéthique, biotechnologies, 4 mars 2022

Pensions alimentaires : généralisation de l’intermédiation financière à compter du 1[SUP]er[/SUP] mars 2022

En cas de séparation d’un couple avec enfants, la question du non-paiement de la pension alimentaire fait partie des contentieux les plus fréquents et plus oppressants. Le devoir d’entretien est une conséquence obligatoire de l’établissement du lien de filiation car « qui fait l’enfant le nourrit » et il vise tous les enfants mineurs, ainsi que les jeunes majeurs encore dans le besoin (C. civ., art. 371-2). En cas de séparation au sein du couple parental ou entre le couple et leur enfant, la contribution à son entretien et à son éducation prend généralement la forme d’une pension alimentaire, somme forfaitaire destinée à couvrir les besoins de l’enfant (C. civ., art. 373-2-2), mais le couple peut aussi s’accorder sur la mise à disposition d’un bien immobilier par exemple.

Ne pas payer la pension alimentaire due peut conduire à une condamnation pour abandon de famille, sauf si la personne parvient à prouver être dans une impossibilité absolue de verser la contribution à l’entretien et à l’éducation de ses enfants (Crim. 19 janv. 2022, n° 20-84.287, Dalloz actualité, 3 févr. 2022, obs. M. Dominati ; D. 2022. 168 image ; AJ fam. 2022. 62, obs. Léa Mary image ; AJ pénal 2022. 89 et les obs. image ; ibid. 97 et les obs. image). En effet, l’obligation de subvenir à l’entretien et à l’éducation des enfants ne peut cesser que si les parents démontrent qu’il leur est impossible de s’en acquitter mais non « en cas de disparité sensible de leurs facultés contributives » (Civ. 1re, 21 nov. 2018, n° 17-27.054, Dalloz actualité, 22 janv. 2019, Q. Guiguet-Schielé ; D. 2018. 2306 image ; AJ fam. 2019. 35, obs. M. Saulier image).

Pour soutenir les familles et simplifier les démarches de recouvrement des impayés, le législateur a mis en place une intermédiation financière des pensions alimentaires, dispositif affiné au fil des années pour que davantage de personnes puissent en profiter, car les statistiques montrent en la matière que beaucoup de pensions devant être versées demeurent impayées. Dans un communiqué de presse du 1er mars, date de l’entrée en vigueur du nouveau dispositif, Éric Dupond-Moretti, Olivier Véran, Élisabeth Moreno et Adrien Taquet ont en effet rappelé que près d’un million de familles sont concernées par le versement d’une pension alimentaire, sachant que 30 % d’entre elles familles souffrent d’impayés : « au 1er février 2022, plus de 73 000 demandes d’intermédiation ont été déposées auprès de l’Aripa ».

Les difficultés relatives au paiement des pensions alimentaires

Le recouvrement des pensions alimentaires est un point sensible car, une fois le couple parental séparé, le parent chez lequel est fixée la résidence habituelle de l’enfant devient un parent solo, élevant l’enfant dans une famille monoparentale de fait et avec des ressources qui ont forcément diminué. En cas de séparation des parents, celui qui n’accueille pas leurs enfants chez lui est tenu d’aider l’autre à assumer les charges financières liées au quotidien des enfants mineurs, voire jeunes majeurs dans le besoin.

En pareille circonstance, il est très douloureux de ne pas percevoir la pension alimentaire due par l’autre parent. Depuis longtemps, le législateur a été sensibilisé à ces questions et, pour soutenir les familles, il a introduit des mesures pour renforcer la prévention et la lutte contre les impayés de pension alimentaire.

Il était prévu au départ que le parent débiteur verse les sommes dues directement au créancier. Face aux situations d’impayés ou de retard, les textes avaient mis en place un dispositif d’aide au recouvrement des créances alimentaires (L. n° 84-1171, 22 déc. 1984), puis des mesures d’exécution, notamment diligentées par l’intermédiaire d’un huissier de justice, mais aussi depuis janvier 2017, entrée en vigueur de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016, par l’Agence de recouvrement des impayés de pension alimentaire (ARIPA). La loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 a ensuite créé un véritable service public de versement des pensions alimentaires confié à l’ARIPA (D. Everaert-Dumont, Le nouveau service public de versement des pensions alimentaires. D’une logique de récupération à une logique de prévention, Dr. fam. juin 2020, p. 10 ; A. Schaaf, Le service public des pensions alimentaires des CAF : au plus près des besoins des familles, AJ fam. 2020. 555 image), les décrets n° 2020-1201 et n° 2020-1202 du 30 septembre 2020 précisant les modalités de mise en œuvre (I. Corpart, Nouvelle aide accordée aux parents séparés en cas d’impayés des pensions alimentaires, RJPF 2020-12/18). Désormais, la caisse d’allocation familiale (CAF) et la mutuelle sociale agricole (MSA) proposent un service public des pensions alimentaires, géré par l’ARIPA, afin de venir en aide aux parents qui se retrouvent seuls à élever des enfants, tout en misant sur la prise en compte de l’intérêt de l’enfant. Le législateur a en effet œuvré pour étendre cette intermédiation, laquelle vise tous les parents séparés (C. Rieubernet, Extension de l’intermédiation financière des pensions alimentaires, LPA, 5 mai 2021, n° 160s2, p. 12). Comme le rappelle la circulaire du 28 février 2022, cette intermédiation « consiste pour le parent débiteur d’une pension alimentaire à en verser mensuellement le montant à l’organisme débiteur des prestations familiales (la CAF ou la caisse de la MSA), qui se charge de le reverser au parent créancier ». Cela permet de prévenir les retards de paiement et, pire encore, les impayés, « en incitant au versement régulier et à bonne échéance de la pension alimentaire ». Si le débiteur ne paye pas, la CAF entame des démarches pour recouvrer la dette, et verse en attendant à l’autre parent une allocation minimale.

La nouveauté, c’est que, depuis le 1er mars 2022, ce système d’intermédiation financière est devenu automatique.

Le fonctionnement de l’intermédiation financière du versement des pensions alimentaires (IFPA)

L’intermédiation financière des pensions alimentaires des organismes débiteurs des prestations familiales (CAF et MSA) prévue pour soutenir les parents solos a été étendue grâce au décret du 25 février 2022, complété par la circulaire du 28 février 2022. Dans une logique de prévention des impayés, prévoir que le versement de la pension sera fait par un tiers est sécurisant.

Complétant l’article 100 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, ce décret définit les modalités de mise en œuvre de la systématisation de l’intermédiation. Optant pour une généralisation du dispositif, ce texte prévoit désormais que, pour toutes les pensions alimentaires fixées par décision judiciaire, l’organisme des prestations familiales devra collecter le montant de la pension alimentaire auprès du débiteur et le transmettre le lendemain au créancier. Dès que la pension alimentaire sera fixée par le juge, le greffe transmettra la décision de justice directement à l’ARIPA et la CAF ou la MSA organiseront l’intermédiation financière. Les parents n’auront plus de démarche à accomplir dans la mesure où les professionnels de justice vont transmettre directement les décisions aux caisses, de façon dématérialisée.

En conséquence, l’un des parents n’a plus à verser directement la somme prévue à l’autre, même quand le couple entretient encore de bonnes relations, sauf si les parents avaient fait part au juge de leur opposition à ce dispositif ou s’il avait été écarté par le juge (C. civ., art. 373-2-2, II). Cette intermédiation financière est très précieuse lorsque de graves conflits subsistent au sein du couple, notamment en cas de violences conjugales ou familiales, auquel cas l’IFPA est obligatoire.

Le système applicable change car, jusqu’à présent, le versement par les CAF et MSA supposait que l’un au moins des parents en ait fait la demande ou que ce soit sur décision du juge en cas de violences au sein de la famille (Liens entre les violences conjugales et l’intermédiation financière des pensions alimentaires. Décr. n° 2020-1797, 29 déc. 2020, JO 31 déc., RJPF 2021-3/30). Rendre le dispositif obligatoire évitera de fragiliser des familles et de devoir traiter ensuite des dossiers de mise en place de l’IFPA à la demande de parents rencontrant de graves difficultés familiales.

Ce service public gratuit bénéficiera aux intéressés tant qu’une pension alimentaire devra être versée, sauf si les parents se réconcilient ou encore si un décès intervient au sein de la famille (de l’autre parent ou de l’enfant).

L’entrée en vigueur de la généralisation de l’intermédiation financière

La lutte contre les impayés en matière de pensions alimentaires a été affinée au fil des réformes, les avancées en la matière se faisant étape par étape. Précisément, instaurée par le décret n° 2022-259 du 25 février 2022, la généralisation de l’intermédiation financière a démarré dès le 1er mars 2022 dans le cadre des décisions judiciaires de divorce rendues à compter de cette date (divorces en cours ou à venir). Elle vise dorénavant les pensions alimentaires instaurées dans le cadre d’un divorce rendu par le juge, y compris lorsqu’il homologue la convention dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel. L’intermédiation est automatique maintenant, sauf si elle a été expressément écartée. Elle peut l’être soit par le couple parental, soit par le juge aux affaires familiales dans le cadre de l’article 373-2-2, II, 1° et 2°. Selon ce texte, le versement de la pension fixée en numéraire passe par l’intermédiaire de l’organisme débiteur des prestations familiales conformément aux modalités prévues par le chapitre II du titre VIII du livre V du code de la sécurité sociale (CSS, art. R. 582-5 à 582-11 ; dossier AJ fam. 2020. 551 image). Dans tous ces cas, les CAF et MSA se voient confier le rôle d’intermédiaires dans le versement de la somme due au parent qui élève l’enfant. Si la généralisation ne vise pas les pensions fixées antérieurement à cette date, il reste néanmoins possible aux intéressés de contacter directement le service de l’ARIPA.

Il faudra attendre encore un peu pour élargir encore le champ d’application. En effet, c’est à compter du 1er janvier 2023 que la généralisation concernera l’exécution des autres décisions judiciaires rendues à compter de cette même date, ainsi que des titres mentionnés aux 2° à 6° du I de l’article 373-2-2 du code civil émis à compter du 1er janvier. L’IFPA sera dès lors mise en œuvre pour les divorces par consentement mutuel sans juge, en cas de décision judiciaire relative à l’autorité parentale, notamment pour des couples non mariés ou des époux n’envisageant pas de divorcer, mais aussi en présence d’actes reçus en la forme authentique par un notaire ou de titres exécutoires délivrés par les CAF ou les MSA. Elle visera tous les cas de versement de pensions alimentaires pour un enfant, sauf si les deux parents s’y opposent ou encore si le juge écarte l’IFPA, sachant que, dans un contexte de violences conjugales ou familiales, ce dispositif sera obligatoirement mis en place.

Cette réforme est à saluer en termes de soutien à la parentalité et de protection des familles les plus fragiles. Aider les familles est essentiel, notamment sur le plan financier et une telle avancée permet de bien faire valoir le droit du parent et du ou des enfants avec lesquels il cohabite. Les parents, en particulier les mères, qui élèvent seuls un enfant appartiennent de fait à une famille monoparentale, laquelle est souvent fragile et précaire. Le fait d’avoir parachevé la création du service public des pensions alimentaires, grâce à l’extension de l’IFPA, montre que le gouvernement est sensible aux difficultés rencontrées par les familles monoparentales.

Garantir le versement d’une pension alimentaire est un enjeu économique majeur. C’est important aussi pour les enfants car le non-paiement entraîne des tensions au sein du couple parental et cette situation risque de rejaillir sur l’enfant, perturbant son éducation et nuisant à son bien-être.

Pour accompagner les juridictions dans la mise en œuvre de cette réforme, Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, garde des Sceaux, a obtenu une autorisation exceptionnelle de recrutement de deux cents emplois de greffe, qui permettra de renforcer dès le 1er mars 2022 les tribunaux judiciaires et cours d’appel (www.solidarités-sante.gouv.fr). L’amélioration de la situation financière des parents solos est donc en bonne voie.

Directive 2011/83/UE : de la qualité de professionnel de l’intermédiaire

On sait que la directive 2011/83/UE génère un certain contentieux tant sa portée est importante à travers la définition donnée du professionnel en droit de la consommation (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 186, n° 169). À l’été dernier, nous avions évoqué au sujet de ce texte une question prioritaire de constitutionnalité qui n’avait pas été transmise au Conseil constitutionnel (Civ. 1re, 1er juill. 2021, n° 21-40.008, Dalloz actualité, 15 juill. 2021, obs. C. Hélaine). C’est aujourd’hui une difficulté d’interprétation du champ de la directive qui retient notre attention en examinant l’arrêt Tiketa rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 24 février 2022. Cet arrêt vient préciser la réponse à une question sujette à débat à propos de l’intermédiaire, en l’espèce un distributeur de billets agissant pour le compte d’un professionnel organisant un événement culturel. La solution de ce renvoi préjudiciel intéressera bien évidemment les spécialistes de droit de la consommation et les praticiens de ce contentieux.

Pour correctement poser le problème, il faut rappeler les faits ayant conduit à la question préjudicielle qui provient de Lituanie. Le 7 décembre 2017, une personne physique domiciliée en Lituanie acquiert un billet pour un événement culturel programmé le 20 janvier 2018. Le ticket a été acheté auprès d’une société qui exerce une activité de distribution de billets (la société Tiketa). Le site internet de Tiketa indiquait que l’événement culturel en question était organisé par « Baltic Music » et renvoyait vers un site internet distinct concernant cet événement. Sur le site internet de la billetterie figuraient également en lettres rouges des indications précisant que l’organisateur de l’événement portait l’entière responsabilité de celui-ci et que Tiketa n’agissait qu’en « qualité d’intermédiaire ostensible ». Les conditions générales du site de distribution de billets venaient compléter ces informations, notamment à travers les conditions de remboursement. Le billet final reçu par l’acheteur ne comportait toutefois qu’une partie des conditions générales en indiquant que les billets ne peuvent être ni échangés ni remboursés. Le support final indiquait également qu’en cas d’annulation, ce serait l’organisateur de l’événement qui se chargerait du remboursement des billets puisque la société Tiketa n’agissait qu’en qualité d’intermédiaire « ostensible ».

Voici où le problème commence à apparaître : l’événement n’a finalement pas lieu. Le 22 janvier 2018, la société Tiketa est informée de l’annulation de l’événement si bien que cette dernière a proposé le remboursement des billets aux acheteurs. Le 23 janvier 2018, notre acheteur déçu sollicite non seulement le remboursement de son billet mais également l’indemnisation du préjudice moral subi par l’annulation de l’événement en cause. La société de distribution des billets lui indique que c’est la société organisatrice de l’événement qui devait répondre du préjudice moral consécutif à l’annulation. La société organisatrice de l’événement ne répond pas à l’acheteur.

Devant ce refus et ce silence, le 18 juillet 2018, l’acheteur du billet déçu saisit le Vilniaus miesto apylinkės teismas (le...

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Prélever plus pour donner plus : du nouveau sur le prélèvement de peau en vue d’un don

Destiné essentiellement aux établissements de santé et aux équipes de greffe, aux établissements de santé autorisés à prélever des tissus et établissements ou organismes autorisés à préparer et conserver des tissus, un décret du 17 février 2022 relatif aux conditions dans lesquelles des tissus peuvent être prélevés sur des donneurs vivants a été adopté et publié en vue d’élargir les situations dans lesquelles un prélèvement de peau peut être effectué sur un donneur vivant.

On rappellera que la peau est le seul tissu pouvant être prélevé sur une personne vivante en application du premier alinéa de l’article L. 1241-1 (CSP, art. R. 1241-3-1). Le premier alinéa de l’article L. 1241-1 du code de la santé publique prévoit quant à lui les finalités pour lesquelles un prélèvement de tissus ou de cellules ou la collecte de produits du corps humain sur une personne vivante en vue de don est permis. S’agissant d’un prélèvement en vue d’un don à des fins thérapeutiques, seuls peuvent être prélevés à cette fin les tissus figurant sur une liste prévue à cet effet. La peau en fait partie.

Le prélèvement de peau sur un donneur vivant est toutefois subordonné à des conditions particulières.

Jusqu’à présent, du moins depuis un décret du 8 juin 2018, le prélèvement de la peau sur une personne vivante ne pouvait être effectué que sur un donneur majeur dans le but de greffer son jumeau monozygote pour le traitement de lésion ou brûlure, étendue et engageant son pronostic vital, sous réserve que l’établissement ou l’organisme chargé de la préparation et de la conservation du tissu greffé satisfasse aux conditions d’autorisation prévues à l’article L. 1243-2 (CSP, art. R. 1241-3-2, anc.).

Le décret rapporté du 17 février 2022 vient modifier l’article R. 1241-3-2 précité. Désormais, le prélèvement de la peau sur un donneur vivant peut être effectué si trois conditions sont réunies.

D’une part, le prélèvement est réalisé, en l’absence d’alternative thérapeutique disponible, pour le traitement de brûlures étendues ou de lésions à caractère nécrosant engageant le pronostic vital du receveur.

D’autre part, le prélèvement s’effectue soit sur le jumeau homozygote du receveur, soit, lorsque celui-ci a préalablement bénéficié de leur part d’un don de cellules souches hématopoïétiques dont la prise de greffe sur sa personne a été constatée au vu de la production lymphocytaire induite, sur son frère, sa sœur, son père, sa mère, son oncle, sa tante, son neveu, sa nièce, son cousin germain ou sa cousine germaine.

Enfin, ces donneurs doivent être majeurs et ne pas faire l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne.

Comme auparavant, l’établissement ou l’organisme chargé de la préparation et de la conservation du tissu greffé doit satisfaire aux conditions d’autorisation prévues à l’article L. 1243-2 du code de la santé publique.

 

Dictionnaire permanent, Santé, bioéthique, biotechnologies, 3 mars 2022

ASL : formalités de la mise en conformité des statuts

La Cour de cassation infléchit une solution précédemment adoptée à propos des formalités à accomplir à l’occasion de la mise à jour des statuts des associations syndicales libres. L’enjeu est important, car cette mise à jour est requise à peine, pour ces associations, de perdre leur capacité à agir en justice (Civ. 3e, 13 févr. 2014, n° 13-22.383, AJDA 2014. 890 image ; D. 2014. 484, obs. Y. Rouquet image ; ibid. 1000, chron. A.-L. Collomp, A. Pic, V. Georget et V. Guillaudier image).

Les précédents jurisprudentiels

Par un arrêt du 6 septembre 2018 (Civ. 3e, 6 sept. 2018, n° 17-22.815, D. 2018. 1754 image ; Loyers et copr. 2018, n° 234, obs. A. Lebatteux ; Constr.-Urb. 2018, n° 137, obs. P. Cornille), la Cour de cassation avait estimé qu’il ne résulte ni des articles 7 et 60 de l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 ni de l’article 3 du décret n° 2006-504 du 3 mai 2006 « que les associations syndicales libres soient dispensées, lorsqu’elles mettent leurs statuts en conformité avec ces textes, de respecter les formalités qu’ils imposent ». Sur ce motif, elle censurait un arrêt d’appel qui avait exempté une association syndicale libre d’annexer le plan parcellaire et une déclaration de chaque adhérent spécifiant les désignations cadastrales ainsi que la...

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Les critères d’appréciation de la faute de la victime conductrice

Un conducteur de moto-cross conduit au milieu de la route et avec un casque non attaché. Arrivé à une intersection, il percute une voiture et se trouve ainsi impliqué dans un accident de la circulation lui causant des dommages.

Les victimes (le conducteur et son épouse, victime par ricochet) assignent le conducteur de l’autre véhicule impliqué en réparation ainsi que son assureur.

La Cour d’appel de Versailles fait application de la loi de 1985 sur les accidents de la circulation et reconnaît l’existence, sur le fondement de son quatrième article, de fautes de la part du conducteur victime, susceptibles de réduire son droit à indemnisation de 60 %.

Les victimes forment un pourvoi devant la Cour de cassation.

Dans leur moyen, elles reprochent à la Cour d’appel d’avoir violé l’article 4 de la loi Badinter en prenant en compte l’attitude de l’autre conducteur pour évaluer le droit à réparation du motard.

La question était de savoir si les juges du fond avaient bien pris le soin de faire abstraction du comportement du conducteur de la voiture pour apprécier les fautes de la victime dans la réalisation de son propre dommage.

L’argument développé dans le moyen est rejeté par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Elle effectue un contrôle normatif lourd de la décision des juges du fond pour rejeter le pourvoi. Les juges du quai de l’Horloge considèrent que la cour d’appel ne fait référence à la voiture que pour déterminer la position du moto-cross et non pour apprécier le rôle de la faute de la victime dans la réalisation de son dommage.

Les conditions du droit à indemnisation

Pour engager le régime d’indemnisation prévu par la loi Badinter, il est nécessaire de démontrer l’existence d’un accident de la circulation impliquant un ou plusieurs véhicules terrestres à moteurs (VTM). Les conducteurs de VTM introduisent du risque dans la vie des non-conducteurs et même s’ils sont les premières victimes des accidents de la route, ils sont moins bien protégés par la loi que les non-conducteurs (F. Chabas, Le droit des accidents de la circulation après la réforme du 5 juillet 1985, 2e éd, Paris, Litec, n° 179). Le meilleur exemple de cette discrimination se trouve dans le fait que le conducteur peut se voir opposer ses simples fautes afin de voir son droit à indemnisation réduit. Au contraire, pour diminuer le droit à indemnisation des victimes non conductrices, il faudra prouver une faute inexcusable ou volontaire de sa part et cela est rigoureusement apprécié par la Cour de cassation (Civ. 2e, 28 mars 2019, nos 18-14.125 et 18-15.855, D. 2019. 695 image ; ibid. 2020. 40, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; 28 mars 2019, n° 18-15.168, D. 2019. 695 image ; ibid. 2020. 40, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image). Cette dernière juge ainsi que : « seule est inexcusable au sens de ce texte [L. n° 85-677, 5 juill. 1985, art. 3] la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ». L’article 3 de la loi ajoute même une catégorie de victimes « super-protégées ». En effet, les victimes non-conductrices âgées de moins de seize ans ou de plus de soixante-dix ans, ou, quel que soit leur âge, celles titulaires, au moment de l’accident, d’un titre leur reconnaissant un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à 80 %, sont, dans tous les cas, indemnisées des dommages résultant des atteintes à la...

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Comment rédiger une déclaration d’appel après la réforme de l’article 901 du code de procédure civile ?

Après la décision de la Cour de cassation du 13 janvier 2022 (Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-17.516, Dalloz actualité, 20 janv. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 325 image, note M. Barba image ; AJ fam. 2022. 63, obs. F. Eudier et D. D’Ambra image) selon laquelle un appel formé par une déclaration d’appel qui ne contient pas, dans le fichier XML lui-même (l’avantage de ce type de fichier est qu’il fait l’objet d’un traitement automatisé par l’application informatique du greffe de la cour d’appel), l’énoncé des chefs du jugement expressément critiqués jusqu’à hauteur de 4 080 caractères, éventuellement complété par un fichier PDF, ne produit aucun effet dévolutif, une réforme est intervenue. Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et modifiant certaines dispositions et l’arrêté du 25 février 2022 modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel, sont entrés en vigueur le lendemain de leur publication (soit le 27 février 2022) et sont applicables aux instances en cours (ce qui régularise les déclarations d’appel antérieures dès lors que l’instance est en cours et que la déclaration d’appel renvoyait expressément au fichier joint listant les chefs du jugement).

Quelles mentions doivent figurer dans la déclaration d’appel ?

Une déclaration d’appel est un acte de procédure qui, le cas échéant lorsque la communication électronique est imposée, peut prendre la forme de deux fichiers, un fichier XML et un fichier PDF contenant une annexe éventuelle. Conformément au premier alinéa de l’article 901 du code de procédure civile (il est rappelé que, selon le Guide de légistique [3e éd., Doc. fr., 2017, p. 286] : « Constitue un alinéa toute phrase, tout mot, tout ensemble de phrases ou de mots commençant à la ligne, précédés ou non d’un tiret, d’un point, d’une numérotation ou de guillemets, sans qu’il y ait lieu d’établir des distinctions selon la nature du signe placé à la fin de la ligne précédente, point, deux-points ou point-virgule » ; il en résulte que l’article 901 du code de procédure civile contient...

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Loi applicable à un contrat de vente d’arbres plantés sur un terrain loué

Les circonstances

L’arrêt de la Cour de justice du 10 février 2022 porte sur une hypothèse peu banale.

Un consommateur, résidant en Autriche, a conclu avec une société ayant son siège en Suisse un contrat-cadre ainsi que quatre contrats de vente portant sur l’achat de tecks et de balsas au Brésil. Le contrat-cadre contenait deux aspects très spécifiques : un contrat de bail conférant le droit de faire pousser les arbres concernés, avec un loyer compris dans le prix de vente des arbres ; et un contrat de fourniture de services prévoyant que la société se chargeait de faire pousser les arbres, de les gérer, de les récolter et de les vendre ainsi que de reverser le bénéfice net de cette vente au consommateur. De surcroît, le consommateur pouvait, à tout moment, vendre les arbres, avec ou sans le contrat de services, à un tiers et lui en transmettre la propriété ainsi que le bail rural.

Les parties ont décidé de soumettre le contrat-cadre et les contrats de vente au droit suisse.

Par la suite, l’un des contrat de vente a été résilié d’un commun accord entre elle.

La problématique juridique

Le consommateur a toutefois introduit une action en responsabilité contre la société et a en outre soutenu qu’en tant que consommateur, il disposait, en vertu des dispositions du droit autrichien, du droit de résilier les trois autres contrats de vente. Pour invoquer la loi autrichienne et non la loi suisse, il s’est fondé sur les dispositions du règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) et en particulier sur son article 6 qui énonce que :
« 1. Sans préjudice des articles 5 et 7, un contrat conclu par une personne physique (ci-après le consommateur), pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, avec une autre personne (ci-après le professionnel), agissant dans l’exercice de son activité professionnelle, est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, à condition que le professionnel :
a) exerce son activité professionnelle dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, ou
b) par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays, dont celui-ci,
et que le contrat rentre dans le cadre de cette activité.
2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les parties peuvent choisir la loi applicable...

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Audition demandée par l’enfant : le contrôle du refus du juge

La reconnaissance progressive des droits de l’enfant au cours de la seconde moitié du XXe siècle a sans doute trouvé l’une de ses expressions les plus marquantes dans la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 et en particulier dans son article 12 : « 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. 2. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié ». Ce droit d’être entendu se retrouve tant au niveau européen qu’au niveau national, l’article 388-1 du code civil prévoyant que, « dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande ». Le juge est donc lié par la demande d’audition formulée directement par le mineur, sauf à ce que les conditions de cette audition ne soient pas remplies, à savoir que le mineur ne soit pas doué de discernement ou que la procédure ne le concerne pas, ce que rappelle précisément l’article 338-4 du code de procédure civile. Être entendu constituant un droit du mineur, le refus de sa demande d’audition doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle, lequel est au cœur de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 février 2022.

En l’espèce, à la suite du divorce de ses parents, une petite fille a vu sa résidence fixée par le juge aux affaires familiales au domicile de sa mère, un droit de visite et d’hébergement étant accordé au père. Par la suite, la mère a déménagé dans une région éloignée de sa région d’origine, emmenant avec elle la petite fille et portant ainsi de fait atteinte au droit de visite et d’hébergement du père. Celui-ci a donc...

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Assurance emprunteur : des évolutions favorables aux consommateurs

Après un parcours semé d’embûches, la loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur a définitivement été adoptée et vient d’être publiée au Journal officiel du 1er mars. Plus juste, plus simple et plus transparent : comment atteindre ces objectifs ? Tout d’abord, en permettant à l’emprunteur de résilier à tout moment son contrat d’assurance emprunteur sans frais ni pénalités. Ensuite, en renforçant les obligations de transparence et de motivation à l’égard des organismes prêteurs à peine de sanctions administratives. Et enfin, en faisant évoluer les règles existantes sur le droit à l’oubli et en supprimant, sous conditions, le questionnaire de santé.

Cette loi concerne uniquement les prêts immobiliers des particuliers.

Un droit de résiliation infra-annuel

Pour rappel, à l’heure actuelle, l’emprunteur dispose de trois possibilités, qui se superposent, pour substituer et/ou résilier son contrat d’assurance emprunteur :

la loi « Lagarde » (L. n° 2010-737, 1er juill. 2010) qui autorise jusqu’à la signature de l’offre de prêt la possibilité de substituer à l’offre d’assurance faite par la banque une offre d’un assureur concurrent ;
  la loi « Hamon » (L. n° 2014-344, 17 mars 2014) qui permet à l’assuré de résilier son contrat dans les douze mois suivant la signature de l’offre de prêt ;
  l’amendement « Bourquin » (L. n° 2017-203, 21 févr. 2017) qui étend le droit de résiliation au-delà de la première année et permet donc de résilier le contrat à chaque échéance annuelle.

Malgré ces différentes interventions du législateur, l’effectivité du droit de résiliation est demeurée très limitée et réservée à un public particulièrement initié et relevait en pratique d’un véritable parcours du combattant. Résultat, la place respective des banques et des nouveaux acteurs a peu évolué : près de 88 % du marché est détenu par les acteurs bancaires contre 12 % pour les acteurs alternatifs alors même que leur positionnement tarifaire peut être plus attractif, notamment sur certains segments de population.

La loi nouvelle entend donc simplifier les choses en créant un droit de résiliation infra-annuel (RIA) pour les contrats d’assurance emprunteur pour les crédits immobiliers. Il s’agit, autrement dit, d’autoriser la résiliation de l’assurance emprunteur à tout moment à compter de la signature de l’offre de prêt (C. assur., art. L. 113-12-2 et C. mut., art. L. 221-10 mod. par L. n° 2022-270, 28 févr. 2022, art. 1er). Ainsi, à compter du 1er juin 2022 pour les nouveaux contrats et du 1er septembre 2022 pour les contrats en cours (L. n° 2022-270, art. 8), l’emprunteur n’aura plus à se soucier d’une quelconque échéance, il pourra demander la résiliation de son contrat d’assurance à tout moment.

Les modalités de notification de la demande de résiliation sont d’ailleurs modifiées. L’exigence d’une lettre recommandée ou d’un envoi recommandé électronique est supprimée. L’assuré aura dorénavant le choix entre les modalités prévues à l’article L. 113-14 du code des assurances (par lettre ou tout autre support durable ; par déclaration faite au siège social ou chez le représentant de l’assureur ; par acte extrajudiciaire ; lorsque l’assureur propose la conclusion de contrat par un mode de communication à distance, par le même mode de communication ; par tout autre moyen prévu par le contrat).

De nouvelles obligations pour le prêteur et l’assureur

Pour assurer l’effectivité du nouveau droit de résiliation infra-annuelle, les articles 2 et 3 de la loi prévoient un renforcement de l’obligation de motiver les décisions de refus de substitution d’assurance emprunteur et une obligation de transparence sur le droit de RIA à peine de sanctions administratives. Ces dispositions ont la même date d’entrée en vigueur que la RIA.

Renforcement de l’obligation de motiver les décisions de refus de substitution d’assurance emprunteur

L’article L. 313-30 du code de la consommation prévoit que le prêteur ne peut refuser en garantie un autre contrat d’assurance dès lors que ce contrat présente un niveau de garantie équivalent au contrat d’assurance qu’il propose. Selon la nouvelle rédaction de cet article, toute décision de refus devra être explicite et comporter l’intégralité des motifs de refus. Elle devra préciser, le cas échéant, les informations et garanties manquantes.

Remarque : cette précision sur la motivation du refus découle du constat que certains établissements bancaires font preuve de manœuvres dilatoires ou opposent des refus sommaires empêchant de rendre effectif le droit de résiliation ou de substitution.

Le prêteur devra notifier à l’emprunteur sa décision d’acceptation ou de refus dans un délai de dix jours ouvrés à compter de la réception d’un autre contrat d’assurance (C. consom., art. L. 313-31 mod. par L. n° 2022-270, art. 2).

Remarque : on estime à 30 % le nombre de demandes de substitution de contrat qui obtiennent une réponse hors délai.

L’acceptation par le prêteur ne peut donner lieu à aucun frais ni aucune modification des conditions d’octroi du crédit (C. consom., art. L. 313-32 mod. par L. n° 2022-270, art. 2), y compris son mode d’amortissement (C. consom., art. L. 313-32 mod. par L. n° 2022-270, art. 6).

Remarque : cette dernière disposition sur le mode d’amortissement a été introduite par amendement dont l’exposé sommaire explique qu’elle vise à renforcer l’effectivité de cette loi « en empêchant toute modification du crédit à l’occasion d’un changement d’assurance emprunteur et notamment son amortissement. En effet, certains grands établissements prêteurs proposent actuellement des assurances à prix dégressif combinées à un amortissement progressif du crédit. Lorsque l’emprunteur demande à changer d’assurance, ces établissements incluent systématiquement dans l’avenant une modification de l’amortissement du prêt. L’emprunteur est alors privé des économies qu’il envisageait sur son changement d’assurance et l’établissement prêteur lui impose à cette occasion un remboursement plus rapide que prévu ».

Obligation d’information annuelle sur le droit de RIA à peine de sanctions administratives

Selon un nouvel article L. 113-15-3 du code des assurances, l’assureur devra informer chaque année l’assuré, sur support papier ou sur tout autre support durable :

du droit de résiliation infra-annuel de l’assurance emprunteur ;
  des modalités de résiliation du contrat et des différents délais de notification et d’information qu’il doit respecter.

Les manquements à cette obligation sont passibles d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale.

Ces manquements sont constatés et sanctionnés par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et peuvent également être recherchés et constatés par les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Mais c’est la DGCCRF qui est compétente pour prononcer l’amende administrative (C. assur., art. L. 113-15-3, II).

Remarque : des dispositions similaires sont prévues au code de la mutualité (C. mut., art. L. 221-10-4).

Enfin, l’article L. 313-8 du code de la consommation est complété pour que, dans la notice annexée au contrat de prêt, figure également l’information sur la possibilité pour l’emprunteur de résilier son contrat d’assurance à tout moment à compter de la signature de l’offre de prêt (C. consom., art. L. 313-8 mod. par L. n° 2022-270, art. 3, II, 1°). Les sanctions à l’égard du prêteur qui visent les manquements aux obligations prévues par cet article L. 313-8 mais aussi ceux des articles L. 313-30 à L. 313-32 sont traitées dans un paragraphe distinct.

Obligation d’information sur le coût de l’assurance sur une durée de huit ans

L’article L. 313-8 du code de la consommation intègre une recommandation du comité consultatif du secteur financier (CCSF) (v. Assurance emprunteur : les nouvelles recommandations du CCSF) qui oblige les établissements prêteurs à afficher le coût de l’assurance emprunteur sur une durée de huit ans, laquelle correspond à la durée moyenne de remboursement d’un crédit (L. n° 2022-270, art. 4).

Obligation de produire un avenant dans les dix jours

Selon l’article L. 313-31 du code de la consommation, lorsque le prêteur accepte la résiliation du contrat d’assurance, il doit modifier le contrat de crédit par avenant (pour mentionner notamment le nouveau TAEG). Cet article est modifié pour y introduire une condition de délai : l’avenant devra être produit « dans un délai de dix jours ouvrés à compter de la réception de la demande de substitution ».

Sanctions administratives pour le prêteur

Deux paragraphes sur les « sanctions administratives » sont ajoutés à la section portant sur le crédit immobilier du code de la consommation. L’un à la sous-section sur l’information précontractuelle de l’emprunteur (C. consom., art. L. 341-26-1) et l’autre à la sous-section sur la formation du contrat de crédit et du contrat principal (C. consom., art. L. 341-44-1).

Ces deux articles prévoient des amendes administratives, à hauteur de 3 000 € pour les personnes physiques et 15 000 € pour les personnes morales, pour les prêteurs qui ne respecteraient pas leurs obligations que ce soit en matière d’information précontractuelle de l’emprunteur ou de formation du contrat de crédit.

Remarque : l’article L. 341-39 du code de la consommation, qui sanctionnait le prêteur d’une amende de 3 000 € sera en conséquence abrogé.

Réduction du délai du droit à l’oubli

Depuis plusieurs années, la convention AERAS (s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé) agit pour une prise en compte plus rapide des avancées thérapeutiques et une meilleure appréciation par les assureurs des situations de consolidation ou de stabilisation d’affections majeures. Un protocole signé le 24 mars 2015 a élargi le champ de la convention AERAS et fait du droit à l’oubli « la règle pour les cancers guéris ». Depuis, le droit à l’oubli a été consacré par la loi de modernisation de notre système de santé qui fixe des objectifs à atteindre par les parties à la convention (L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, art. 190 ; CSP, art. L. 1141-5).

Ce droit à l’oubli qui se traduit par l’absence d’obligation de déclarer à l’assureur une pathologie cancéreuse s’appliquait, jusqu’à présent, en distinguant l’âge auquel le cancer a été diagnostiqué :

avant 21 ans, le droit à l’oubli s’applique cinq ans à compter de la fin du protocole thérapeutique ;
  après 21 ans, il s’applique dix ans à compter de la fin du protocole thérapeutique.

Dorénavant, il n’y aura plus de distinction selon l’âge auquel le cancer a été diagnostiqué, le droit à l’oubli est fixé à cinq ans pour tous les cancers et est étendu à une maladie chronique, l’hépatite C (CSP, art. L. 1141-5, al. 4, mod. par L. n° 2022-270, art. 9, I).

Aucune précision n’étant apportée quant à l’entrée en vigueur de ces dispositions, elles sont d’application immédiate, soit le lendemain de la publication de la loi, le 2 mars.

Il est en outre prévu que les signataires de la convention AERAS engagent, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi, une négociation sur une possible extension du droit à l’oubli pour des pathologies autres que cancéreuses, notamment les pathologies chroniques comme le diabète, un accès élargi à la grille de référence (qui interdit ou encadre, selon les pathologies, les surprimes et les exclusions de garanties du contrat) pour plus de pathologies non cancéreuses et une hausse du plafond d’emprunt (le chiffre de 500 000 € a été évoqué contre 320 000 € actuellement) pour accéder à l’ensemble du dispositif AERAS (L. n° 2022-270, art. 9, II et III).

Si cette négociation ne devait pas aboutir, le texte prévoit que les conditions d’accès à la convention AERAS seront fixées par décret, au plus tard le 31 juillet 2022, et ce à un niveau au moins aussi favorable pour les candidats à l’assurance que celles en vigueur aujourd’hui (L. n° 2022-270, art. 9, V).

Remarque : un air de déjà-vu… La loi n° 2019-180 du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli prévoyait en son article 7 qu’une négociation entre les signataires de la convention AERAS s’engagerait au plus tard 6 mois après la promulgation de la loi sur l’opportunité d’étendre à l’ensemble des pathologies cancéreuses le droit à l’oubli cinq ans après la fin du traitement. Ce même article précisait qu’en cas de carence des signataires de la convention, l’âge et les délais pourront être fixés par décret en Conseil d’État. L’article ne fixait certes pas de délai, mais aucune mesure n’a été prise par décret. Gageons que cette fois les négociations aboutiront dans le délai imparti ou, qu’à défaut, le décret sera réellement pris.

Enfin, la commission de suivi et de propositions AERAS devra adresser un rapport d’avancement au gouvernement et au Parlement au plus tard neuf mois après la promulgation de la présente loi (L. n° 2022-270, art. 9, IV).

Remarque : pourquoi prévoir un délai de remise de ce rapport plus long que celui fixé pour la publication éventuelle d’un décret imposant ses conditions en cas d’échec des négociations ? De plus, cette obligation vient en cumul, nous semble-t-il, de celles déjà prévues dans le cadre de la stratégie décennale (2021-2030) de lutte contre le cancer (Décr. n° 2021-119, 4 févr. 2021) qui visent à étendre le bénéfice du droit à l’oubli à tous les patients dont la situation le justifie. Ce texte prévoit que des travaux seront poursuivis à cet effet (analyse des modèles de guérison et négociation avec les acteurs) et qu’il sera demandé à la Commission de suivi et de propositions AERAS un état des lieux de la mise en œuvre du droit à l’oubli en lien avec les associations. Il y était même prévu de demander à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), un état des lieux de la mise en œuvre du droit à l’oubli.

Suppression du questionnaire médical

La loi comporte une avancée significative qui a d’ailleurs surpris les acteurs du marché : elle supprime, à partir du 1er juin 2022, la transmission à l’assureur de toute information relative à l’état de santé de l’assuré ou d’un examen de santé pour les prêts dont la part assurée par personne est inférieure à 200 000 € et dont l’échéance arrive avant le soixantième anniversaire de l’assuré. Il est précisé que le plafond s’applique « par assuré » (soit 400 000 € pour un couple) et sur « l’encours cumulé des contrats de crédit » (C. assur., art. L. 113-2-1 créé par L. n° 2022-270, art. 10, I).

Remarque : la précision sur l’encours cumulé a pour objectif de prévenir une utilisation abusive du dispositif conduisant à ce qu’un même assuré multiplie les contrats d’assurance emprunteur pour des montants en deçà du plafond de 200 000 €. Le délai d’entrée en vigueur de ces dispositions doit permettre de laisser le temps aux professionnels de s’adapter au nouveau dispositif notamment pour la révision des offres, la modification de la documentation contractuelle, l’adaptation des outils informatiques, la formation des réseaux. Mais ce délai de trois mois sera-t-il suffisant ?

Un décret pourra fixer un plafond plus favorable pour le montant et l’âge (L. n° 2022-270, art. 10, II).

Remarque : la suppression du questionnaire médical représente une véritable avancée pour les personnes malades qui ne subiront ni surprimes, ni exclusions, ni même refus d’assurance. Autre conséquence non négligeable pour l’avenir : la probable réduction du contentieux très fourni en matière de fausses déclarations sur l’état de santé des assurés.

Le CCSF « évaluateur » du dispositif

Pour s’assurer que l’ensemble de ces mesures ne provoque pas d’effets de bord, notamment de hausse tarifaire pour les assurés, en particulier pour les profils présentant un niveau de risques plus élevé, le comité consultatif du secteur financier est chargé d’évaluer le nouveau dispositif dans un délai de deux ans (L. n° 2022-270, art. 11).

Il devra remettre un rapport mesurant les conséquences tant pour les assureurs que pour les assurés de la mise en œuvre de la résiliation du contrat d’assurance à tout moment et de la suppression du questionnaire de santé. Dans le détail, ce rapport évaluera :

l’impact de la présente loi sur le processus de mutualisation des risques et sur la segmentation des tarifs en fonction des profils de risque, sur l’évolution des tarifs proposés, sur le type et le niveau des garanties proposées aux emprunteurs dans les contrats d’assurance et sur leur évolution depuis six ans ainsi que sur les capacités d’accès à l’emprunt immobilier des emprunteurs selon leur profil de risque ;
  la mise en œuvre de la mesure supprimant le questionnaire médical, notamment en termes d’égalité de traitement entre les emprunteurs, et proposera les ajustements éventuels des conditions relatives à l’âge et à la quotité des prêts ainsi que les conditions d’application de la suppression du questionnaire médical aux prêts professionnels.

Remarque : ce rapport sera très attendu car la question de la mutualisation et donc de la tarification demeure au cœur de la réussite de cette réforme.

Actualités du Dictionnaire Permanent Assurances, 1er mars 2022

Évaluation de la prestation compensatoire : la simple vocation successorale reste exclue

Selon l’article 271 du code civil, « la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible ». Le texte précise ensuite un certain nombre de critères qui doivent être pris en compte pour parvenir à cette évaluation, critères dont la liste n’est pas exhaustive et au sein desquels rien n’est précisé concernant les droits successoraux. Néanmoins, aux termes d’une jurisprudence désormais constante, la Cour de cassation affirme que la vocation successorale ne relève pas des droits prévisibles visés par l’article 271 du code civil (Civ. 1re, 21 sept. 2005, n° 04-13.977, D. 2006. 47 image, note C. Lefranc-Hamoniaux image ; ibid. 336, obs. G. Serra et L. Williatte-Pellitteri image ; AJ fam. 2005. 449, obs. S. David image ; RTD civ. 2005. 766, obs. J. Hauser image ; 6 oct. 2010, n° 09-10.989, Dalloz actualité, 20 oct. 2010, obs. S. Lavric ; D. 2010. 2431 image ; AJ fam. 2010. 493 image ; RTD civ. 2011. 112, obs. J. Hauser image ; 23 oct. 2013, n° 12-24.391), seuls les droits successoraux déjà existants devant être pris en compte (Civ. 1re, 28 févr. 2006, n° 04-17.695 ; 6 oct. 2010, n° 09-65.301).

C’est cette interprétation constante qui est à l’origine de cet arrêt rendu par la première chambre civile le 16 février 2022. En l’espèce, à la suite du prononcé du divorce, l’homme se voit condamné à verser à son ex-épouse une prestation compensatoire dont le montant est évalué en faisant application de la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la vocation successorale. Contestant l’évaluation réalisée par les juges, il a formulé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) tendant à faire examiner la jurisprudence constante de la Cour de cassation à l’aune du principe d’égalité devant la loi. En effet, selon le demandeur au pourvoi, le fait de prendre en compte les droits successoraux de l’époux dont les parents sont décédés, mais non la vocation successorale de l’époux dont les parents ne sont pas décédés introduit entre eux une rupture d’égalité. La Cour de cassation, après avoir relevé que la disposition contestée est applicable au litige, mais pas nouvelle, rejette la demande aux motifs que la question posée ne présente pas un caractère sérieux....

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Procédure d’appel : une mini réforme pour un maxi bazar procédural ?

Sur les dispositions du décret du 25 février non spécifiques à la procédure d’appel et l’arrêté du 24 février pris en application de l’article 1411 du code de procédure civile, v. F.-X. Berger, Décret d’application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire : répercussions sur la procédure civile, Dalloz actualité, 3 mars 2022.

 

Un peu plus d’un mois après l’arrêt publié du 13 janvier 2022 (Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-17.516, Dalloz actualité, 20 janv. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 325 image, note M. Barba image ; AJ fam. 2022. 63, obs. F. Eudier et D. D’Ambra image), dont la solution avait pourtant été annoncée par la Cour de cassation deux ans plus tôt (Civ. 2e, 5 déc. 2019, n° 18-17.867, Dalloz actualité, 13 janv. 2020, obs. C. Lhermitte ; D. 2019. 2421 image ; ibid. 2020. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; AJ fam. 2020. 130, obs. S. Thouret image ; JCP n° 5, 3 févr. 2020, obs. R. Laffly), le législateur a estimé opportun de modifier les textes relatifs à la procédure d’appel en matière civile.

Certains voudront y voir la réaction d’un législateur, un peu mal à l’aise alors que la pratique de l’annexe résulte d’une circulaire (Circ. 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile, modifié par le décret n° 2017-1227 du 2 août 2017). Mais s’agit-il réellement de réduire à néant la portée d’un arrêt dont les effets sont évidemment désastreux pour les avocats qui ont tout de même fait preuve d’une certaine témérité ? Ou s’agit-il au contraire de tenir compte de cette jurisprudence, de manière à faire oublier cette funeste circulaire dont les avocats s’étaient abusivement emparés ?

Rien n’est certain, si ce n’est que les apparents correctifs de détails peuvent avoir des conséquences plus lourdes que prévu.

Les textes modifiés

Le décret sous commentaire du 25 février 2022 modifie l’article 901 du code de procédure civile, en y ajoutant, au premier alinéa, les mots « , comportant le cas échéant une annexe » (Décr., art. 1er, 16°). L’article 901 est ainsi désormais rédigé comme suit (l’ajout est en gras) :

« La déclaration d’appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité :
1° La constitution de l’avocat de l’appelant ;
2° L’indication de la décision attaquée ;
3° L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;
4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
Elle est signée par l’avocat constitué. Elle est accompagnée d’une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d’inscription au rôle. »

L’arrêté technique du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel est par ailleurs modifié par l’arrêté du 25 février 2022 sous commentaire. Il en résulte que l’article 3 de l’arrêté de 2020 est complété d’un alinéa, de sorte qu’il est désormais rédigé comme suit (ajout en gras) :

« Le message de données relatif à l’envoi d’un acte de procédure remis par la voie électronique est constitué d’un fichier au format XML destiné à faire l’objet d’un traitement automatisé par une application informatique du destinataire.
Lorsque ce fichier est une déclaration d’appel, il comprend obligatoirement les mentions des alinéas 1 à 4 de l’article 901 du code de procédure civile. En cas de contradiction, ces mentions prévalent sur celles mentionnées dans le document fichier au format PDF visé à l’article 4. »

Quant à l’article 4 de l’arrêté, il est réécrit (ajout en gras et suppression en italique) :

« Lorsqu’un document doit être joint à un acte, ledit acte renvoie expressément à ce document. Ce document est communiqué sous la forme d’un fichier séparé du fichier au format XML contenant l’acte sous forme de message de données visé à l’article 3. Ce document est un fichier au format PDF, produit soit au moyen d’un dispositif de numérisation par scanner si le document à communiquer est établi sur support papier, soit par enregistrement direct au format PDF au moyen de l’outil informatique utilisé pour créer et conserver le document original sous forme numérique. »

Quelques légères modifications dont nous pourrons voir qu’elles ne sont pas sans poser quelques problèmes.

901 : l’ajout qui ne sert à rien

La déclaration d’appel peut désormais comporter « le cas échéant » une annexe. Si le terme « annexe » ne mérite pas de précisions particulières, il n’en va pas de même de l’expression « le cas échéant ». Et c’est là que les discussions peuvent s’engager.

Ces termes ne sont pas inconnus du code de procédure civile (v. par ex. art. 909). S’il fallait les remplacer, ils devraient l’être par « si cela est nécessaire ». Par conséquent, l’article 901 prévoit désormais que la déclaration d’appel peut, si nécessaire, comporter un acte joint, appelé « annexe », dont il n’est pas précisé, à ce stade, ce à quoi il peut servir, ni ce qu’il contient, et encore moins sa valeur.

En soi, cet ajout à l’article 901 n’a pas tellement de sens. En effet, cette « annexe » n’a réellement d’intérêt que pour la communication électronique, lorsque l’acte d’appel doit être remis par voie électronique et que l’appelant se heurte à un « empêchement d’ordre technique ». Ce n’est pas pour rien que dans son arrêt du 13 janvier 2022, la Cour de cassation vise les articles 748-1 et 930-1 du code de procédure civile.

Dans ces conditions, plutôt que de modifier l’article 901, pour y prévoir une annexe, c’est seulement l’arrêté du 20 mai 2020, voire l’article 748-7 du code de procédure civile, qui aurait dû prévoir qu’« en cas d’empêchement d’ordre technique, l’appelant peut compléter la déclaration d’appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer ».

Le législateur n’a pas modifié le bon texte. En l’état, la modification concerne toutes les déclarations d’appel, y compris celles qui sont remises sur support papier en cas de cause étrangère (C. pr. civ., art. 930-1) ou lorsque l’appelant est représenté par défenseur syndical (C. pr. civ., art. 930-2). Cependant, nous ne voyons pas dans quel cas il pourrait être nécessaire de joindre une annexe à une déclaration d’appel sur support papier.

La modification de l’article 901 ne présente donc strictement aucun intérêt.

La valeur de l’annexe ?

L’article 901 ne précise pas que l’annexe s’incorpore à la déclaration d’appel à proprement parler, de sorte que nous ignorons si ce document devra être joint à la déclaration d’appel lorsque l’appelant devra, en application de l’article 901 ou de l’article 905-1, signifier la déclaration d’appel.

En effet, l’alinéa 2 de l’article 902 n’a pas été complété d’un « , comportant le cas échéant l’annexe de l’article 901 alinéa 1er ». L’article 905-1 n’a pas davantage été modifié.

Bien entendu, un premier élément de réponse se trouve à l’article 8 de l’arrêté du 20 mai 2020. Mais sa rédaction laisse entendre que l’incorporation de l’annexe à la déclaration d’appel suppose que les services du greffe retournent le récapitulatif du fichier XML avec en accompagnement « la pièce jointe établie sous forme de copie numérique annexée à ce message ». Si cette annexe jointe au fichier XML n’accompagne pas le récapitulatif, elle ne ferait pas corps avec l’acte d’appel, et n’aurait pas à être signifiée dans le cadre de l’article 902 ou 905-1 (v. aussi Civ. 2e, 5 déc. 2019, n° 18-17.867 P, préc.).

Pour la Cour de cassation, l’annexe fait corps avec la déclaration d’appel, et il aurait été opportun que le texte reprenne cette précision. Quitte à modifier l’article 901, il aurait fallu pousser un peu plus la réflexion, et prévoir l’ajout suivant : « , comportant le cas échéant une annexe faisant corps avec elle », qui n’est que la reprise des termes de l’arrêt de la Cour de cassation.

En l’état, le timide ajout est bien inutile, et risque de poser davantage de questions que de réponses.

L’annexe nécessaire ?

Jusqu’alors, la problématique de l’annexe ne se posait pas pour les actes sur support papier, ce qui concerne les actes d’appel émanant d’un défenseur syndical ou l’appelant ayant rencontré une cause étrangère lors de la remise par voie électronique. La nécessité de recourir à une annexe ne se comprend qu’au regard d’une limitation technique du système de communication, qui n’accepte pas de dépasser les 4 080 caractères, dans l’espace prévu pour y mentionner les chefs critiqués.

Au lieu de reprendre la formule de la Cour de cassation, à savoir « l’empêchement d’ordre technique », l’article 901 admet l’annexe en cas de nécessité, ce qui englobe certainement l’empêchement d’ordre technique, mais pas seulement.

Cependant, en pratique, nous ne voyons pas tout à fait dans quel autre cas une annexe sera nécessaire. Et pour une déclaration d’appel sur support papier, il n’y aura donc jamais lieu à une annexe.

Mais le législateur a vraisemblablement perdu de vue que cet acte d’appel pouvait ne pas être un acte électronique. Si l’envie prenait à un défenseur syndical, ou un avocat rencontrant une cause étrangère, de rédiger deux actes, à savoir une déclaration d’appel et un document annexe listant les chefs critiqués, ces représentants se retrouveraient en difficulté pour justifier ce document joint.

Alors que l’arrêt du 13 janvier 2022 ne répondait qu’à un problème technique de communication électronique, le législateur a restreint l’annexe qui sera exclue lorsque la déclaration d’appel est au format papier, la nécessité de procéder de cette manière ne pouvant être démontrée.

En définitive, donc, la réécriture de l’article 901, qui dépasse la communication électronique, a restreint la possibilité de recourir à une annexe pour y mentionner notamment les chefs critiqués.

Une annexe « fourre-tout »

L’article 901 reste vague sur le contenu de l’annexe. Par conséquent, même si ce document a été imaginé à l’origine pour y mentionner les chefs expressément critiqués de l’article 901, 4°, force est de constater que l’on devrait pouvoir y trouver tout autre chose.

Et en pratique, nous verrons vraisemblablement des annexes qui, au lieu de n’être que la liste des chefs critiqués, seront ni plus ni moins qu’un semblant de déclaration d’appel. Plus exactement, le document sera présenté comme une déclaration d’appel sur support papier, sans pour autant en avoir la valeur.

Ce manque de précision dans le texte, qui n’est peut-être pas volontaire, est néanmoins heureux. En effet, ce faisant, le législateur tue dans l’œuf une discussion quant au contenu de l’annexe. Dans bien des cas, l’appelant met tellement de choses dans l’annexe qu’elle dépasse le nombre fatidique de 4 080 caractères. C’est donc l’appelant lui-même qui est à l’origine de cet empêchement. Il en sera ainsi pour les annexes contenant déjà les prétentions, l’identité des parties appelantes et intimés. Dans un tel cas, l’intimé pouvait soutenir que si l’appelant n’avait mentionné que les seuls chefs critiqués, il n’aurait pas été confronté à un empêchement d’ordre technique.

Même si l’appelant avait déjà de quoi répondre à cette argumentation (v. Procédures d’appel, 2022-2023, Dalloz, coll. « Delmas express », n° 21-163), il disposera d’un argument de plus à faire valoir.

Les mentions « obligatoires » de la déclaration d’appel remise par voie électronique

Proposition de lecture

L’article 3 de l’arrêté du 20 mai 2020 précise que la déclaration d’appel, transmise par voie électronique au format XML, comprend « obligatoirement » les mentions des « alinéas 1 à 4 de l’article 901 ».

Nous aurions préféré l’emploi des termes « les mentions des 1° à 4° de l’article 901 » au lieu de « les mentions des alinéas 1 à 4 de l’article 901 ».

Les mentions concernées sont-elles : la constitution de l’avocat de l’appelant, l’indication de la décision attaquée, l’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté et les chefs du jugement expressément critiqués (C. pr. civ., art. 901, 1° à 4°) ? ou alors l’objet de l’appel (C. pr. civ., art. 54, 2°, par renvoi de l’alinéa 1er de l’article 901), l’identité de l’appelant (C. pr. civ., art. 54, 3°, par renvoi de l’alinéa 1er de l’article 901), la date et la signature (C. pr. civ., art. 57, al. 5, par renvoi de l’alinéa 1er de l’article 901), la constitution de l’avocat de l’appelant, l’indication de la décision attaquée, l’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté, à l’exclusion donc du 4° concernant les chefs expressément critiqués ?

Nous pensons qu’il faut lire « les mentions des 1° à 4° de l’article 901 », en attendant une éventuelle rectification à laquelle nous commençons à nous habituer, les textes en procédure étant malheureusement de moins en moins bien écrits.

Ces précisions étant faites, relevons que la déclaration d’appel de l’article 901 prévoit déjà que l’acte de procédure doit contenir les mentions des 1° à 4°, et ce à peine de nullité. L’article 3 de l’arrêté est donc a priori redondant, et ne prévoit pas une nouvelle obligation procédurale à la charge de la partie appelante. Bref, ça ne sert à rien.

Incertitudes

Mais en sommes-nous bien assurés ? Ce qui est un peu dérangeant est que si l’article 901 est édicté à peine de nullité, l’article 3 susvisé n’édicte quant à lui aucune sanction. Et comme il n’y a pas de nullité sans texte (C. pr. civ., art. 114), cette exigence interroge quant à la sanction applicable qui ne serait pas la nullité, non prévue.

Dès lors que l’on considère que l’article 3 de l’arrêté du 20 mai 2020 est distinct de l’article 901, et ne renvoie pas à cette disposition, notamment quant à la sanction, la nullité pour vice de forme serait exclue. En effet, l’article 3, alinéa 2, concerne le fichier XML transmis par voie électronique, et qui contient les données de la déclaration d’appel.

Nous ne pensons pas que le législateur, sournoisement, ait entendu introduire une nouvelle chausse-trappe. Mais ce faisant, volontairement ou non, il a ouvert la porte à une autre sanction, qui ne pourrait donc qu’être l’irrecevabilité de la déclaration d’appel ne comportant pas ces mentions, dont il est dit qu’elles sont « obligatoires ». En effet, le caractère « obligatoire » peut difficilement se passer d’une sanction, sauf à admettre une obligation de fait facultative, et dès lors que la sanction n’est pas prévue dans le texte, elle ne pourrait qu’être une irrecevabilité (v. pour le caractère non limitatif des art. 122 et 124 : Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423 P, D. 2003. 1386, et les obs. image, note P. Ancel et M. Cottin image ; ibid. 2480, obs. T. Clay image ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller image ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages image ; ibid. 349, obs. R. Perrot image).

Est-ce une volonté du législateur ou une erreur de rédaction ? Nous l’ignorons. Mais ces quelques mots interrogent et pourront générer un nouveau contentieux de l’acte d’appel.

À côté de la nullité, qui ne présentait aucun intérêt depuis 2014 (Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-22.088 P, Dalloz actualité, 28 oct. 2014, obs. N. Kilgus ; D. 2014. 2118 image ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero image ; ibid. 517, chron. T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati image ; 1er juin 2017, n° 16-14.300 P, Dalloz actualité, 4 juill. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1196 image ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image), et l’effet interruptif de l’article 2241 du code civil appliqué à la déclaration d’appel, il existerait désormais la possibilité d’invoquer une irrecevabilité de la déclaration d’appel qui ne contient pas les mentions obligatoires des 1° à 4°, lorsqu’elle est transmise par voie électronique. Cela concernerait donc la déclaration d’appel ne contenant pas la constitution de l’avocat de l’appelant, l’indication de la décision attaquée, l’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté et, surtout, les chefs du jugement expressément critiqués.

En revanche, sauf à lire « alinéas 1 à 4 de l’article 901 » et non « 1° à 4° de l’article 901 », le fichier XML contenant les données relatives à la déclaration d’appel ne doit pas « obligatoirement » comprendre l’objet de l’appel (C. pr. civ., art. 54, 2°), l’identité de l’appelant (C. pr. civ., art. 54, 3°), la date et la signature (C. pr. civ., art. 57, al. 5). Pour ces mentions, il continue de s’agir d’une nullité, comme le prévoit l’article 901.

Pourtant, quitte à admettre un nouveau cas d’irrecevabilité, il aurait pu être davantage intéressant de prévoir une irrecevabilité lorsque l’appelant ne précise, au stade de sa déclaration d’appel, l’objet de son appel, c’est-à-dire s’il tend à l’annulation, à la réformation voire à la nullité.

Mais en l’état de cette rédaction malheureuse de l’article 3, il semble que l’intimé pourra envisager une irrecevabilité de la déclaration d’appel qui ne mentionnera pas les chefs critiqués, ce que la Cour de cassation avait évidemment rejeté jusqu’alors (Cass., avis, 20 déc. 2017, nos 17-70.034, 17-70.035 et 17-70.036, D. 2018. 18 image ; ibid. 692, obs. N. Fricero image ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle image ; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean image).

Et comme se pose la question de la recevabilité, se pose celle de la régularisation.

Concernant les chefs critiqués, plusieurs thèses se présentent. La première, la plus sévère, serait que cette régularisation est exclue. Cela ne semble pas cohérent avec la jurisprudence en la matière et priverait de portée toute la construction jurisprudentielle sur l’effet dévolutif de l’appel (Cass., avis, 20 déc. 2017, n° 17-70.034 s. préc. ; 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 image ; ibid. 576, obs. N. Fricero image ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon image ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry image ; ibid. 458, obs. N. Cayrol image ; 2 juill. 2020, n° 19-16.954 P, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero image).

Il pourrait être aussi considéré que la nouvelle déclaration d’appel pourrait être formée dans le délai d’appel. Mais ici encore, l’articulation avec la jurisprudence de la Cour de cassation peut être difficile.

Le mieux serait de retenir une régularisation dans le délai pour conclure. Cette solution a le mérite de la simplicité et de correspondre à la jurisprudence en matière de dévolution.

Mais une autre question demeure, à savoir celle de la nature de la seconde déclaration d’appel. Jusqu’alors, la seconde déclaration était purement rectificative, sans introduire une nouvelle instance puisque la cour d’appel était régulièrement saisie par la première déclaration (Civ. 2e, 21 janv. 2016, n° 14-18.631 P, Dalloz actualité, 16 févr. 2016, obs. R. Laffly ; D. 2016. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati image ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero image ; 16 nov. 2017, n° 16-23.796 P, Dalloz actualité, 7 déc. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; 22 oct. 2020, n° 19-21.186 NP ; v. aussi Procédures d’appel, 2022-2023, op. cit., n° 21-211).

Mais si l’irrecevabilité est encourue, alors la seconde déclaration saisit véritablement la cour d’appel, sans être seulement rectificative.

La problématique est insoluble, alors pourtant que la qualification de ce second appel est essentielle au regard de l’effet interruptif ou du délai pour conclure, par exemple.

Nous ignorons si le législateur a voulu sanctionner par l’irrecevabilité la déclaration d’appel transmise par voie électronique qui ne satisferait pas à l’article 3 de l’arrêté du 20 mai 2020, mais il est certain qu’en opérant cette modification, il a (encore) mis un beau bazar dans cette procédure d’appel qui se complexifie encore.

Il est regrettable que le législateur n’ait pas réfléchi davantage aux conséquences d’une modification qui est moins anodine qu’elle n’y paraît. En attendant une éventuelle correction, la Cour de cassation précisera peut-être que l’article 3 renvoie nécessairement à l’article 901, de sorte que l’obligation est à peine de nullité.

Compte tenu de la menace qui plane, les avocats devront encore redoubler de vigilance quant à la rédaction de leurs déclarations d’appel. 

Le renvoi au document qui doit être joint

L’article 4 de l’arrêté technique, d’une part, supprime la référence au format XML, tout en renvoyant à l’article 3 qui précise ce format, et, d’autre part, précise que l’acte transmis par voie électronique renvoie au document lorsqu’il doit être joint. L’arrêté prévoit également que lorsqu’un document doit être joint à un acte, cet acte renvoie à ce document. L’article 4 ne concerne pas la seule déclaration d’appel, mais c’est évidemment à cet acte de procédure que l’on pense.

C’est une reprise de l’arrêt du 13 janvier 2022 pour lequel « l’appelant peut compléter la déclaration d’appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer ». Rien que nous ne sachions déjà.

Il n’est prévu aucune sanction, mais il pourrait être excessif de prévoir de sanctionner la déclaration d’appel ne contenant pas ce renvoi. Il aurait pu être envisagé, éventuellement, une nullité pour vice de forme, ce qui aurait le mérite d’imposer la démonstration d’un grief.

Nous préférons y voir une bonne pratique, de manière à informer le destinataire de la déclaration d’appel de l’existence de ce document annexe. Quoi qu’il en soit, même si l’article 4 de l’arrêté n’avait pas été modifié, il était de bon sens de porter cette précision dans l’acte d’appel.

Cette disposition concerne tout document devant être joint.

Ainsi, pour les appels en matière d’exception d’incompétence, la déclaration d’appel, si elle n’est pas motivée, devra renvoyer aux conclusions jointes à l’acte en application de l’article 85.

Il faudrait aussi renvoyer au jugement dont appel, qui est un document qui doit être joint (C. pr. civ., art. 901, al. 3).

Au regard de la portée générale de l’article 4, il concerne tous les actes, et non seulement la déclaration d’appel. La déclaration de saisine devra renvoyer à l’arrêt de cassation, annexé à l’acte comme le prévoit l’article 1033.

Nous ne percevons pas bien l’intérêt de cette disposition, imposant une nouvelle obligation procédurale qui, fort heureusement, devrait rester sans sanction.

En définitive…

… le législateur aurait dû se garder de cette réforme, a priori anodine mais qui pose de nombreux problèmes sans en résoudre un seul.

Il est tout de même agaçant que les réformes en procédure civile s’opèrent de cette manière, dans la précipitation et sans concertation.

La réforme d’ampleur de 2009, et même de 2017, reposait sur un rapport dit Magendie du 24 mai 2008, qui avait notamment réuni des professionnels éminents qui savaient de quoi ils parlaient. La méthode a du bon, et il serait opportun de réunir les processualistes pour discuter des vraies réformes, celles qui ne défigurent pas un code de procédure civile dont les rédacteurs de 1975 pouvaient être fiers.

 

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Décret d’application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire : répercussions sur la procédure civile

La plupart des dispositions contenues dans le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 concernent directement la procédure civile. Elles font l’objet du présent commentaire. D’autres constituent des adaptations périphériques à des textes déjà en vigueur. Elles seront simplement rappelées puisque n’appelant pas de commentaire particulier.

I. Les dispositions de procédure civile

Observations liminaires

Ainsi que le rappelle l’intitulé du texte commenté, il constitue, pour l’essentiel, le décret d’application de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire (JO 23 déc.). Sa portée reste cependant plus large puisqu’elle concerne également la mise en œuvre de la médiation judiciaire.

Le décret apporte également une modification à l’article 901 du code de procédure civile relatif au contenu de la déclaration d’appel (Décr. n° 2022-245, 25 févr. 2022, art. 1, 16°). Il est complété par un arrêté du 25 février 2022 modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel (JO 26 févr.). Ces dispositions sont consécutives à un récent arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, susceptible de mettre en péril l’effet dévolutif de certaines déclarations d’appel comportant une annexe (Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-17.516, R. Laffly, Annexe à la déclaration d’appel : tout sauf annexe, Dalloz actualité, 20 janv. 2022 ; D. 2022. 325 image, note M. Barba image ; AJ fam. 2022. 63, obs. F. Eudier et D. D’Ambra image ; CNB, Le CNB demande la suppression de la limitation à 4 080 caractères de la déclaration d’appel via le RPVJ, 14 janv. 2022, en ligne). Compte tenu de leur spécificité, ces dispositions feront l’objet d’un commentaire séparé (v. C. Lhermitte, Procédure d’appel : une mini réforme pour un maxi bazar procédural ?, Dalloz actualité, 3 mars 2022).

La promotion de la médiation judiciaire devant toutes les juridictions

L’injonction à la médiation

La médiation a été mise en œuvre il y a plus de vingt-sept ans, par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative. Six articles lui étaient alors consacrés (L. préc., art. 21 à 26). Elle a fait l’objet de modifications successives tendant à assurer son développement et à faciliter sa mise en œuvre. La première, par l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale. La deuxième, par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. La troisième, par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Enfin, une quatrième modification a été opérée par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, afin, notamment, d’instituer un Conseil national de la médiation et de faciliter le mode de saisine du médiateur en substituant au processus de consignation un versement direct, par les parties, de la provision à valoir sur sa rémunération (L. n° 2021-1729, art. 45).

Le décret apporte des modifications au titre IV « La conciliation et la médiation (art. 127 à 131-15) » du livre Ier du code de procédure civile dont il sera rappelé qu’il est applicable à toutes les juridictions.

Il n’est pas inutile de rappeler la base législative sur laquelle s’appuient ces nouveaux textes. L’article 22 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 (mod. L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, art. 5) dispose ainsi que :

« Le juge peut désigner, avec l’accord des parties, un médiateur pour procéder à une médiation, en tout état de la procédure, y compris en référé. Cet accord est recueilli dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État. »

L’article 131-1 du code de procédure civile est ainsi réécrit sans que sa portée soit ici modifiée (Décr. n° 2022-245, art. 1er, 2°) :

« Le juge saisi d’un litige peut, après avoir recueilli l’accord des parties, ordonner une médiation.
Le médiateur désigné par le juge a pour mission d’entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose.
La médiation peut également être ordonnée en cours d’instance par le juge des référés. »

L’article 22-1 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 énonce par ailleurs que (mod. L. n° 2019-222, 23 mars 2019, art. 3) :

« En tout état de la procédure, y compris en référé, lorsqu’il estime qu’une résolution amiable du litige est possible, le juge peut, s’il n’a pas recueilli l’accord des parties, leur enjoindre de rencontrer un médiateur qu’il désigne et qui répond aux conditions prévues par décret en Conseil d’État. Celui-ci informe les parties sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation. »

Le nouvel article 127-1 du code de procédure civile (Décr. n° 2022-245, art. 1, 1°) consacre l’hypothèse d’une absence d’accord des parties qui permet au juge de leur enjoindre de rencontrer un médiateur :

« À défaut d’avoir recueilli l’accord des parties prévu à l’article 131-1, le juge peut leur enjoindre de rencontrer, dans un délai qu’il détermine, un médiateur chargé de les informer de l’objet et du déroulement d’une mesure de médiation. Cette décision est une mesure d’administration judiciaire. »

Ce texte vient donner un cadre procédural à une pratique judiciaire déjà en cours, en première instance comme en appel, et consistant à inviter les parties à une réunion sur la médiation. Même s’il s’agit ici d’une injonction, c’est-à-dire un ordre du juge, aucune sanction n’est cependant prévue à l’encontre de la partie qui s’y déroberait. Il ne peut en être autrement puisque la médiation ne peut être imposée. Le rôle du médiateur consistera à identifier les éventuels verrous à ce processus amiable qui souvent se confondent avec ceux nécessaires à un dénouement du différend. L’avenir nous dira si cette modification a pu permettre un développement de la médiation. 

La simplification des modes de rémunération et de saisine du médiateur

Le régime de saisine des médiateurs était, jusqu’à présent, aligné sur celui des experts judiciaires. Les parties consignaient, auprès du service concerné (régie du tribunal judiciaire ou greffe du tribunal de commerce), une provision à valoir sur sa rémunération. Le médiateur n’était saisi qu’après un avis lui confirmant le versement de la provision. Afin de simplifier ce processus et surtout l’accélérer, dans un domaine où toute prédisposition amiable du justiciable peut s’évanouir du jour au lendemain, la loi a été modifiée pour permettre une saisine et un versement direct par les parties. L’article 22-2, alinéa 4, de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 précise désormais (mod. L. n° 2021-1729, art. 45) :

« Le juge fixe le montant de la provision à valoir sur la rémunération du médiateur et désigne la ou les parties qui versent la provision dans le délai qu’il détermine. La désignation du médiateur est caduque à défaut de versement dans le délai et selon les modalités impartis. Lorsque la médiation est ordonnée en cours d’instance, celle-ci est alors poursuivie. »

Par voie de conséquence, le nouvel article 131-6 du code de procédure civile est ainsi rédigé (Décr. n° 2022-245, art. 1er, 4°) :

« La décision qui ordonne une médiation mentionne l’accord des parties, désigne le médiateur et la durée initiale de sa mission et indique la date à laquelle l’affaire sera rappelée à l’audience.
La décision fixe le montant de la provision mentionnée à l’article 131-3 à un niveau aussi proche que possible de la rémunération prévisible, ainsi que le délai dans lequel les parties qu’elle désigne procéderont à son versement, directement entre les mains du médiateur. Si plusieurs parties sont désignées, la décision précise dans quelle proportion chacune effectuera le versement.
À défaut de versement intégral de la provision dans le délai prescrit, la décision est caduque et l’instance se poursuit. »

C’est ce versement direct qui constitue le point de départ de la durée initiale de la médiation ainsi que le rappelle le nouvel article 131-3 du code de procédure civile (Décr. n° 2022-245, art. 1er, 3°) :

« La durée initiale de la médiation ne peut excéder trois mois à compter du jour où la provision à valoir sur la rémunération du médiateur est versée entre les mains de ce dernier. Cette mission peut être renouvelée une fois, pour une même durée, à la demande du médiateur. »

Cette modification est la bienvenue puisque, jusqu’à présent, ce point de départ était fixé au jour de la décision ordonnant la médiation. Or les délais de consignation, de traitement de celle-ci par les services du tribunal, et d’information du médiateur pouvaient aboutir au dépassement du délai de trois mois, obligeant le juge à rendre une décision de prolongation de la mission avant même l’organisation de la première réunion. La réforme devrait donc non seulement décharger le juge, et ses services, de certaines diligences mais également raccourcir le délai dans lequel sera organisée la médiation.

L’article 131-7 du code de procédure civile est également réécrit (Décr. n° 2022-245, art. 1, 5°) :

« Dès le prononcé de la décision désignant le médiateur, le greffe de la juridiction en notifie copie par lettre simple aux parties et au médiateur.
Le médiateur fait connaître sans délai au juge son acceptation. Il informe les parties des modalités de versement de la provision.
Le médiateur convoque les parties dès qu’il a reçu la provision. Les parties qui sont dispensées de ce versement en vertu des dispositions relatives à l’aide juridictionnelle lui en apportent la justification.
Les parties peuvent être assistées devant le médiateur par toute personne ayant qualité pour le faire devant la juridiction qui a ordonné la médiation. »

Deux observations peuvent être faites à la lecture du nouveau texte.

En premier lieu, on rappellera que le processus de médiation judiciaire peut être pris en charge par l’aide juridictionnelle (L. n° 95-125, art. 22-2, al. 3 ; L. n° 91-647, 10 juill. 1991, art. 11-1 ; Décr. n° 2020-1717, 28 déc. 2020, art. 10, 13, 99, 100 et 116). L’article précité impose à la partie bénéficiaire de l’aide juridictionnelle d’en justifier auprès du médiateur.

En second lieu, le dernier alinéa de l’article 131-7 prévoit expressément la faculté pour les parties d’être assistées, devant le médiateur, par toute personne ayant qualité pour le faire devant la juridiction qui a ordonné la médiation. Cette précision était souhaitable. Si la présence des avocats des parties ne semblait pas poser de difficulté, il en allait autrement des personnes habilitées à les assister devant le juge. Le texte lève le doute et permettra d’éviter d’inutiles discussions en début de réunion.

L’article 131-10 du code de procédure civile est complété afin de permettre au juge qui peut déjà mettre fin, à tout moment, à la médiation, sur demande d’une partie ou à l’initiative du médiateur, ou encore d’office lorsque le bon déroulement de la médiation apparaît compromis, d’y procéder, également, « lorsqu’elle est devenue sans objet » (Décr. n° 2022-245, art. 1, 6°).

Le nouvel article 131-13 du code de procédure civile détermine les conditions de fixation de la rémunération finale du médiateur suivant l’existence ou l’absence d’un accord des parties sur ce point (Décr. n° 2022-245, art. 1, 9°) :

« La rémunération du médiateur est fixée, à l’issue de sa mission, en accord avec les parties. L’accord peut être soumis à l’homologation du juge en application de l’article 1565.
À défaut d’accord, la rémunération est fixée par le juge.
Lorsqu’il envisage de fixer un montant inférieur à celui demandé par le médiateur, le juge invite ce dernier à formuler ses observations. S’il y a lieu, le médiateur restitue aux parties la différence entre le montant de la provision et celui de sa rémunération.
La charge des frais de la médiation est répartie conformément aux dispositions de l’article 22-2 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
Le juge ordonne, s’il y a lieu, le versement de sommes complémentaires après déduction de la provision. Il désigne la ou les parties qui en ont la charge.
Une copie exécutoire de la décision est délivrée au médiateur, sur sa demande. »

L’article 1565 du code de procédure civile, tel que visé dans l’article précité en cas d’accord des parties, est complété par un deuxième alinéa (Décr. n° 2022-245, art. 1, 21°, b) :

« L’accord auquel sont parvenues les parties à une médiation, une conciliation ou une procédure participative peut être soumis, aux fins de le rendre exécutoire, à l’homologation du juge compétent pour connaître du contentieux dans la matière considérée.
L’accord sur la rémunération du médiateur conclu conformément à l’article 131-13 peut être rendu exécutoire dans les mêmes conditions, à la demande d’une partie ou du médiateur, par le juge qui a ordonné la médiation.
Le juge à qui est soumis l’accord ne peut en modifier les termes. »

Enfin, l’article 131-15 du code de procédure civile précise que la décision ordonnant ou renouvelant la médiation ou y mettant fin « est une mesure d’administration judiciaire » (Décr. n° 2022-245, art. 1, 10°). L’ancienne rédaction indiquait seulement qu’elle n’était pas susceptible d’appel.

La médiation en appel et la vigilance sur les délais

Jusqu’à présent l’article 910-2 du code de procédure civile, applicable devant la cour en matière de procédure avec représentation obligatoire, disposait que la décision ordonnant une médiation avait pour effet d’interrompre les délais pour conclure.

La Cour de cassation avait jugé, à cet égard, que la simple convocation à une réunion d’information sur la médiation ne rentrait pas dans les prévisions du texte. Elle avait, par conséquent, rejeté un pourvoi à l’encontre d’un arrêt qui avait déclaré une déclaration d’appel caduque faute pour l’appelant, convoqué à une telle réunion, d’avoir conclu dans le délai de l’article 908 (Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 20-13.912, R. Laffly, Délais pour conclure en appel et médiation, Dalloz actualité, 9 juin 2021 ; AJ fam. 2021. 322 et les obs. image).

Le texte de l’article 910-2 du code de procédure civile est opportunément modifié afin de prévenir ce risque en cas d’injonction d’avoir à rencontrer un médiateur (Décr. n° 2022-245, art. 1er, 17°) :

« La décision qui enjoint aux parties de rencontrer un médiateur en application de l’article 127-1 ou qui ordonne une médiation en application de l’article 131-1 interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910. L’interruption produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur. »

Dans les dossiers d’appel complexes, l’incitation à médier aura donc un intérêt direct pour les avocats en différant d’autant les délais pour conclure.

Mais attention ! Il y aura lieu de surveiller le calendrier procédural et à inscrire à l’encre rouge les nouveaux délais d’expiration pour conclure, soit un mois pour une affaire fixée à bref délai (C. pr. civ., art. 905-2 ; sauf réduction intervenue par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président), ou trois mois dans les autres cas (C. pr. civ., art. 908 à 910).

Comment seront calculés ces délais ?

Si l’injonction de rencontrer le médiateur échoue (absence d’un participant, refus de l’un d’entre eux de consentir à la médiation) les délais devraient recommencer à courir dès la décision d’injonction de rencontrer un médiateur (C. pr. civ., art. 127-1 nouv.).

Dans les autres cas, le texte précise que « l’interruption produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur » (C. pr. civ., art. 910-2 nouv.).

En cas de caducité de la désignation du médiateur, faute d’un versement intégral de la provision dans le délai prescrit (C. pr. civ., art. 131-6, al. 3), le point de départ du délai devrait, selon nous, rétroagir à la date à laquelle la médiation a été ordonnée (C. pr. civ., art. 910-2 nouv.).

En cas de mise en œuvre effective d’une médiation, la date d’expiration de la mission du médiateur, renouvelée ou non, devra être calculée en tenant compte de sa durée, à partir du jour où la provision est versée entre ses mains, puisqu’elle constitue le point de départ de la durée initiale de la médiation (C. pr. civ., art. 131-3 nouv.). Il sera alors nécessaire de connaître la date exacte à laquelle ce versement est intervenu ainsi que ses modalités (virement, chèque) avec de possibles difficultés liées à la détermination de la date d’envoi ou de réception dudit paiement.

En revanche, il n’y aura pas de difficulté si une décision met fin à la mission du médiateur (C. pr. civ., art. 131-10 nouv.). Elle constituera le point de départ des délais pour conclure. 

La médiation devant la Cour de cassation

En 2021, Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, a installé un groupe de travail portant sur les conditions d’instauration de la médiation devant la Cour de cassation en matière civile, commerciale et sociale. Le rapport qui a été déposé, issu d’un travail réunissant notamment de hauts magistrats ainsi que des avocats aux conseils, a permis de dégager des propositions (C. Arens et F. Molinié, La médiation devant la Cour de cassation, pourquoi pas ?, Dalloz actualité, 7 juill. 2021). Le décret commenté répond aux vœux de ce groupe de travail.

L’article 1012 du code de procédure civile est complété pour être désormais rédigé en ces termes (Décr. n° 2022-245, art. 1er, 18°) :

« Le président de la formation à laquelle l’affaire est distribuée désigne un conseiller ou un conseiller référendaire de cette formation en qualité de rapporteur.
Il peut fixer aussitôt la date de l’audience.
Il peut, après avoir recueilli l’accord des parties, désigner un médiateur afin d’entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose, conformément à l’article 131-1. La décision ordonnant la médiation est prise après le dépôt des mémoires et, s’il y a lieu, après avis du procureur général. Le président de la formation à laquelle l’affaire a été distribuée fixe la durée de la médiation conformément à l’article 131-3, en considération de la date de l’audience qu’il a fixée. »

Conformément aux préconisations du rapport, le recours à la médiation, après accord des parties, est fixé « à la suite du dépôt des mémoires, ampliatif et en défense » (C. cass., La médiation devant la Cour de cassation, rapport préc. p. 13).

Le texte issu du décret du 25 février 2022 reste très proche de celui qui avait été proposé par le groupe de travail (C. cass., La médiation devant la Cour de cassation, rapport préc. p. 15) :

« Le président de la formation à laquelle l’affaire est distribuée désigne un conseiller ou un conseiller référendaire de cette formation en qualité de rapporteur.
Il peut fixer aussitôt la date de l’audience.
Il peut, après avoir recueilli l’accord des parties, désigner une tierce personne afin d’entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose, conformément à l’article 131-1. La décision ordonnant la médiation est prise après le dépôt des mémoires et, le cas échéant, après avis du ministère public. Le président de la formation à laquelle l’affaire a été distribuée fixe la durée de la mission de médiation conformément à l’article 131-3, en considération de la date de l’audience qu’il aura éventuellement fixée. Il informe sans délai le médiateur de la date de l’audience une fois celle-ci établie. »

S’agissant de l’homologation du constat d’accord le décret suit également les travaux du groupe de travail (C. cass., La médiation devant la Cour de cassation, rapport préc., p. 25) en reprenant, très exactement, sa proposition de modification de l’article 1014 du code de procédure civile qui est ainsi complété par un troisième alinéa (Décr. n° 2022-245, art. 1er, 19°) :

« Après le dépôt des mémoires, cette formation décide qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée lorsque le pourvoi est irrecevable ou lorsqu’il n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Toute formation peut aussi décider de ne pas répondre de façon spécialement motivée à un ou plusieurs moyens irrecevables ou qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
La formation restreinte est compétente pour homologuer le constat d’accord conformément à l’article 131-12 ou pour mettre fin à la mission du médiateur conformément à l’article 131-10. »

La modification souhaitable

La réforme opérée par ce dernier décret vient compléter utilement l’architecture du processus de médiation judiciaire en le simplifiant et en l’accélérant.

Un point mériterait cependant d’être précisé en l’état de décisions, assez fluctuantes, émanant de cours d’appel. Il concerne l’effet de la médiation sur la péremption d’instance et qui semble, à cet égard, incertain.

On sait que l’article 369 du code de procédure civile dispose que l’instance est interrompue, notamment, « par la conclusion d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état y compris en cas de retrait du rôle ». L’article 392 du même code précise que « l’interruption de l’instance emporte celle du délai de péremption » et qu’un « nouveau délai court à compter de l’extinction de la convention de procédure participative aux fins de mise en état ».

Il serait ici utile que ces derniers textes incluent la décision de désignation d’un médiateur comme un événement de nature à interrompre l’instance, au même titre que la conclusion d’une convention de procédure participative de mise en état. L’interruption pourrait alors produire ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur, sur le modèle prévu en matière de délais pour conclure en appel (C. pr. civ., art. 910-2).

Les conditions d’entrée en vigueur

Selon l’article 6, alinéa 1, du décret commenté, celui-ci entre en vigueur le lendemain de sa publication. Ce même article énonce que les dispositions précitées sont applicables aux instances en cours (Décr. n° 2022-245, art. 6, 1°). 

L’extension – aux troubles anormaux de voisinage – de l’obligation de procéder à une tentative de règlement amiable

L’évolution des textes

L’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, a institué l’obligation de procéder à une tentative de règlement amiable, à peine d’irrecevabilité de la demande que le juge peut prononcer d’office, pour certains litiges de voisinage ou dont l’intérêt financier est limité. Cet article dispose in fine : « Un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application du présent article. »

S’en est suivi l’article 750-1 du code de procédure civile, institué par l’article 4 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, et applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020 devant le tribunal judiciaire (Décr. préc., art. 55, II).

Depuis, l’article 46 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a modifié l’article 4 précité de la loi n° 2016-1547 en étendant ce dispositif obligatoire préalable à la demande relative « à un trouble anormal de voisinage » tout en ajoutant à la liste de ses exceptions le cas du créancier qui « a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances ».

Le texte commenté en constitue le décret d’application. Le nouvel article 750-1 du code de procédure civile, compris dans les dispositions communes applicables au tribunal judiciaire, est ainsi rédigé (Décr. n° 2022-245, art. 1, 14°) :

« À peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage.
Les parties sont dispensées de l’obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants :
1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;
2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;
3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ;
4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation.
5° Si le créancier a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances, conformément à l’article L. 125-1 du code des procédures civiles d’exécution. » 

Le danger à venir

La fin de non-recevoir tirée du non-respect de la prescription édictée à l’article 750-1 du code de procédure civile est redoutable à deux égards. D’une part, l’acte de saisine n’aura aucun effet interruptif de prescription. D’autre part, et sous réserve de la solution qui sera donnée par la jurisprudence, elle est susceptible de faire obstacle à l’introduction d’une nouvelle demande. On sait que la Cour de cassation a pu juger que « le caractère nouveau de l’événement permettant d’écarter la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée ne peut résulter de ce que la partie qui l’invoque a négligé d’accomplir une diligence en temps utile » (Civ. 1re, 19 sept. 2018, n° 17-22.678, Dalloz actualité, 3 oct. 2018, obs. C. Bléry ; D. 2018. 2347 image, note J. Jourdan-Marques image ; AJ fam. 2019. 51, obs. J. Casey image ; RTD civ. 2019. 181, obs. N. Cayrol image).

Les exceptions, édictées au 3° de ce même article, vagues et imprécises, restent soumises à l’appréciation du juge. Les invoquer relève d’un funambulisme judiciaire pratiqué sans le moindre filet de sécurité :

« motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative » ;
  « indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ».

Le dispositif tendant à obliger un plaideur à essayer de rechercher une solution amiable, avant de saisir un juge, serait parfaitement louable s’il avait été complété par un mécanisme d’interruption des délais pour agir dès la saisine d’un conciliateur ou d’un médiateur.

L’article 2238, alinéa 1er, du code civil est à cet égard très restrictif. Il prévoit que la prescription est suspendue si les parties conviennent, par écrit, de recourir à un mode amiable de règlement des différends ou, à défaut d’écrit, à compter de la première réunion de médiation ou de conciliation. Différer l’effet suspensif de la prescription à une réunion, future et incertaine, ne peut que générer un risque insupportable pour le praticien.

Face à l’approche de l’expiration d’un délai de prescription ou de forclusion, la solution de fortune qui s’offrait au plaideur était le recours à la procédure judiciaire de tentative préalable de conciliation. L’enregistrement de la demande avait pour effet d’interrompre « la prescription et les délais pour agir » (C. pr. civ., art. 820 anc.). Un décret du 11 octobre 2021 a expressément supprimé cette possibilité (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 2, 2° ; F.-X. Berger, Nouveau décret de procédure civile : du mieux, du moins bon et de l’incertain, Dalloz actualité, 15 oct. 2021).

Jusqu’à présent, le risque était contenu puisque se limitant à des demandes n’excédant pas 5 000 €.

Tout laisse à penser que le législateur a envisagé la notion de « trouble anormal de voisinage » dans son acceptation populaire et non juridique.

L’action fondée sur un trouble anormal de voisinage est soumise à la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du code civil (E. Botrel, Reconnaissance des troubles anormaux de voisinage et prescription de l’action, Dalloz actualité, 29 janv. 2021, et les décis. citées). Elle peut concerner des dossiers à forts enjeux, notamment en matière de glissement de terrain ou d’effondrement d’immeubles, et impliquer, le cas échéant, de nombreuses parties.

Dans ces conditions, toute action relative à un trouble anormal de voisinage imposera une vigilance accrue sur les délais pour agir. Il sera nécessaire de tenir compte du délai nécessaire à la mise en œuvre de cette tentative de règlement amiable obligatoire.

Sous réserve de la jurisprudence à venir, nous considérons qu’une procédure de référé expertise, fondée sur l’article 145 du code de procédure civile, et se rapportant à l’existence d’un trouble anormal de voisinage relève de l’obligation instituée par l’article 750-1 du code de procédure civile. En effet, les termes du nouvel article 750-1 du code de procédure civile apparaissent très larges dans leur portée. On aurait pu espérer, par exemple, une restriction à une demande en réparation d’un trouble anormal de voisinage. Il n’en est rien. Le texte vise toute demande « relative […] à un trouble anormal de voisinage ».

Les conditions d’entrée en vigueur : bug ou réalité ?

L’article 750-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction initiale, avait été rendu applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020 (Décr. n° 2019-1333, 11 déc. 2019, art. 55, II).

S’agissant de l’extension de ce texte à la demande relative à un trouble anormal de voisinage (Décr. n° 2022-245, art. 1er, 14°) on s’attendait à ce que le décret prévoie qu’elle soit applicable aux instances introduites à compter d’une certaine date, ne serait-ce que pour tenir compte des assignations actuellement en cours de délivrance.

L’article 6 du décret qui en fixe les conditions d’entrée en vigueur n’est pas sans poser de difficulté (Décr. n° 2022-245, art. 6, 1°). Il est rédigé en ces termes :

« Le présent décret entre en vigueur le lendemain de sa publication. Toutefois :
1° Les articles 1er, 4 et 5 à l’exception de son 2° sont applicables aux instances en cours […] »

Il résulte de la lecture du 1° que l’article 1er qui modifie l’article 750-1 du code de procédure civile serait applicable aux instances en cours.

Gageons qu’il s’agit là d’une rédaction hâtive et erronée du texte. En effet, nous ne pouvons imaginer que le décret ait pu instituer une tentative de règlement amiable obligatoire, applicable aux instances en cours relatives aux troubles anormaux de voisinage, lesquelles deviendraient irrecevables, ipso jure, dès l’entrée en vigueur du décret. Une rectification urgente du texte est ici souhaitable.

L’apposition de la formule exécutoire sur l’acte d’avocat constatant une transaction ou un accord issu d’un mode amiable de résolution des différends

Présentation des nouveaux textes

L’article 44 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a complété l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution d’un 7° ainsi rédigé (JO 23 déc., n° 2) :

« 7° Les transactions et les actes constatant un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente. »

Le décret institue la procédure applicable à l’apposition de la formule exécutoire par le greffe dans les hypothèses ainsi prévues par la loi. Quatre nouveaux articles sont créés dans le code de procédure civile sous une section 2 intitulée « De l’apposition de la formule exécutoire par le greffe » (Décr. n° 2022-245, art. 1er, 21°, c) :

Article 1568 :

« Lorsque l’accord auquel sont parvenues les parties à une médiation, une conciliation ou une procédure participative prend la forme d’un acte contresigné par les avocats de chacune des parties, cet acte peut être revêtu, à la demande d’une partie, de la formule exécutoire.
La demande est formée par écrit, en double exemplaire, auprès du greffe de la juridiction du domicile du demandeur matériellement compétente pour connaître du contentieux de la matière dont relève l’accord.
Le greffier n’appose la formule exécutoire qu’après avoir vérifié sa compétence et la nature de l’acte. »

Article 1569 :

« L’acte contresigné par avocats et revêtu de la formule exécutoire, ou la décision de refus du greffier, est remis ou adressé au demandeur par lettre simple.
Le double de la demande ainsi que la copie de l’acte et, le cas échéant, la décision de refus du greffier sont conservés au greffe. »

Article 1570 :

« Toute personne intéressée peut former une demande aux fins de suppression de la formule exécutoire devant la juridiction dont le greffe a apposé cette formule.
La demande est formée, instruite et jugée selon les règles de la procédure accélérée au fond. »

Article 1571 :

« Les dispositions de la présente section sont applicables à la transaction. »

Cette procédure est simplifiée puisqu’elle permet d’éviter le recours au juge. La demande d’apposition de la formule exécutoire, sur l’acte d’avocat, est soumise au greffe de la juridiction du domicile du demandeur matériellement compétente pour connaître du contentieux de la matière dont relève l’accord. Les contestations relèveront de la juridiction dont le greffe a apposé cette formule et qui statuera selon les règles de la procédure accélérée au fond.

Le nouvel article 1571 du code de procédure civile étend ce processus à l’acte d’avocat constatant une transaction. Il sera donc intéressant pour les avocats de recourir à l’acte d’avocat en matière de transaction là où la pratique les conduisait, jusqu’à présent, à ne la faire signer que par leurs seuls clients.

Le dispositif antérieur, concernant l’homologation judiciaire d’un accord ne rentrant pas dans le cadre d’un acte contresigné par les avocats, est maintenu aux articles 1565 à 1567 du code de procédure civile qui figurent sous une section 1 intitulée « De l’homologation judiciaire » (Décr. n° 2022-245, art. 1er, 21°, a).

Les conditions d’entrée en vigueur

Selon l’article 6, alinéa 1er, du décret commenté, celui-ci entre en vigueur le lendemain de sa publication. Ce même article énonce que les dispositions précitées sont applicables aux instances en cours (Décr. n° 2022-245, art. 6, 1°).

Les frais non compris dans les dépens

La production de justificatifs au soutien de la demande d’application de l’article 700 du code de procédure civile

Le texte législatif, sur lequel se fonde l’article 700 du code de procédure civile, figure à l’article 75, I, de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Il a été complété par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire afin de permettre aux parties de produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent (L. n° 2021-1729, art. 48, V, 2°) :

« I.- Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent et le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. »

S’agissant d’une partie assistée d’un avocat, ces justificatifs ne peuvent résulter que des factures émises par l’avocat ou de la convention d’honoraires qui a été signée. Or l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques édicte un principe de confidentialité :

« En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention “officielle”, les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. »

Il s’ensuit que ces pièces sont normalement couvertes par le secret professionnel.

La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a donc apporté une précision, en complétant comme suit l’article 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique (L. n° 2021-1729, 22 déc. 2021, art. 48, V, 2°) :

« V.- L’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ne fait pas obstacle à la production en justice de tout élément nécessaire à la justification des sommes demandées au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. »

Le décret commenté adapte, en conséquence, l’article 700 du code de procédure civile en le complétant d’un alinéa ainsi rédigé (Décr. n° 2022-245, art. 1, 13°) :

« Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent. »

Nonobstant l’exception apportée à l’article 66-5 précité, relatif au secret professionnel de l’avocat, nous pensons qu’il est de loin préférable que l’avocat obtienne l’accord exprès de son client avant de produire factures ou convention d’honoraires.

L’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et le « minimum garanti »

L’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique permet au juge de condamner la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, à payer à l’avocat pouvant être rétribué, totalement ou partiellement, au titre de l’aide juridictionnelle, une somme qu’il détermine.

Repris à l’article 700 du code de procédure civile ce dispositif, susceptible de décharger d’autant le budget consacré à l’aide juridictionnelle, n’est sollicité ou appliqué que très rarement.

Afin d’inciter à sa mise en œuvre la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a modifié l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique en édictant une sorte de « minimum garanti » : la somme allouée à l’avocat « ne saurait être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50 % » (L. n° 2021-1729, 22 déc. 2021, art. 48, V, 2°).

Le décret complète, comme suit, l’article 700 du code de procédure civile (Décr. n° 2022-245, art. 1, 13°) :

« Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° […] ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
La somme allouée au titre du 2° ne peut être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50 % »

Rappelons qu’il s’agit d’une somme mise à la charge d’une partie au bénéfice direct de l’avocat d’une autre partie. L’avocat présentant une telle demande pourra utilement justifier auprès du juge, tant du calcul précis de ce « minimum garanti » que de son assujettissement, ou non, à la TVA.

Les conditions d’entrée en vigueur

Selon l’article 6, alinéa 1, du décret commenté, celui-ci entre en vigueur le lendemain de sa publication. Ce même article énonce que les dispositions précitées sont applicables aux instances en cours (Décr. n° 2022-245, art. 6, 1°).

La nouvelle procédure d’injonction de payer

Un précédent décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 a sensiblement modifié la procédure d’injonction de payer en prévoyant une entrée en vigueur à une date fixée par arrêté du garde des Sceaux et au plus tard le 1er mars 2022 (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 8, II, 2° ; Dalloz actualité, 15 oct. 2021, obs. F.-X. Berger, préc.)

Il était prévu que l’ordonnance, alors revêtue de la formule exécutoire, soit signifiée au débiteur, avec la requête ainsi que les documents justificatifs produits à l’appui de celle-ci (C. pr. civ., art. 1411 mod. ; Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 3, 3°).

Avant même l’entrée en vigueur de ces dispositions, celles-ci sont modifiées par le décret du 25 février 2022. Le nouvel article 1411 du code de procédure civile est ainsi rédigé (Décr. n° 2022-245, art. 1, 20°) :

« Une copie certifiée conforme de la requête accompagnée du bordereau des documents justificatifs et de l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire est signifiée, à l’initiative du créancier, à chacun des débiteurs. L’huissier de justice met à disposition de ces derniers les documents justificatifs par voie électronique selon des modalités définies par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice.
Si les documents justificatifs ne peuvent être mis à disposition par voie électronique pour une cause étrangère à l’huissier de justice, celui-ci les joint à la copie de la requête signifiée.
L’ordonnance portant injonction de payer est non avenue si elle n’a pas été signifiée dans les six mois de sa date. » 

Le texte institue une communication au débiteur, et par voie électronique, des pièces venant au soutien de la requête.

L’arrêté pris en application de l’article 1411 du code de procédure civile a été signé le 24 février 2022 et publié concomitamment au décret commenté (JO 26 févr., n° 35).

Il édicte les conditions techniques permettant la consultation, par le débiteur, des documents justificatifs, « au moyen d’une plate-forme de services de communication électronique sécurisée dénommée “Mes Pièces” (www.mespieces.fr), mise en œuvre sous la responsabilité de la Chambre nationale des commissaires de justice, et intégrée au réseau privé sécurisé huissiers (RPSH) » (Arr. du 24 févr. 2022, art. 2).

Le texte précise que « l’huissier de justice s’assure que les pièces demeurent disponibles au minimum un mois après la signification faite en application de l’article 1411 du code de procédure civile » (Arr. 24 févr. 2022, art. 5).

Deux critiques peuvent être apportées à ce système.

En premier lieu, l’arrêté ne prévoit pas expressément une prolongation de l’accès aux pièces lorsque la signification n’a pas été faite à la personne du débiteur. Dans cette hypothèse « l’opposition est recevable jusqu’à l’expiration du délai d’un mois suivant le premier acte signifié à personne ou, à défaut, suivant la première mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur » (C. pr. civ., art. 1416, al. 2). Cette omission est anormale.

En second lieu, le texte ne prévoit aucune alternative lorsque le débiteur ne dispose pas d’un accès informatique ou de connaissances suffisantes lui permettant d’utiliser l’outil informatique. Le contentieux des impayés affectant souvent une population susceptible d’être en difficulté, ces nouvelles modalités restent donc perfectibles. Bien plus, elles interviennent au moment même où la Défenseure des droits publie un rapport de suivi sur les inégalités d’accès aux droits provoquées par des procédures numérisées (Défenseur des droits, Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?, 16 févr. 2022). Dans ce rapport, consultable sur le site de la Défenseure des droits, figure une « Recommandation 19 » ainsi rédigée :

« La Défenseure des droits réitère ses recommandations formulées dans sa décision 2020-142, et notamment :
- Garantir plusieurs modalités d’accès effectif aux services publics afin qu’aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée […] »

Le nouveau texte n’y répond pas.

Le régime applicable à la signature électronique du jugement

Le décret commenté complète l’article 456 du code de procédure civile qui édicte les conditions dans lesquelles un jugement peut être signé par voie électronique. Afin de préciser le régime lié à une éventuelle irrégularité du procédé, il ajoute, à cet article, un alinéa ainsi rédigé (Décr. n° 2022-245, art. 1, 11°) :

« Le retrait de la qualification d’un ou plusieurs éléments nécessaires à la production de la signature constitue un vice de forme du jugement. »

Cet ajout ne se comprend qu’en rappelant que la signature électronique des jugements des juridictions civiles repose sur un système dit de « signature qualifiée » dont les conditions de mise en œuvre sont prévues par l’arrêté du 20 novembre 2020 relatif à la signature électronique des décisions juridictionnelles rendues en matière civile (JO 22 nov.) (T. Cassuto, Signature électronique des décisions juridictionnelles rendues en matière civile : nouvel arrêté, Dalloz actualité, 2 déc. 2020).

II. Les autres dispositions du décret

Le décret comprend enfin diverses dispositions, extérieures à la procédure civile, et qui seront ici citées.

La notice figurant en tête du décret précise que « l’article 2 modifie, à l’article 7 du décret n° 2021-1888 du 29 décembre 2021 pris en application de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, la date d’abrogation des dispositions applicables à la publicité des gages de stocks et des nantissements de l’outillage du matériel d’équipement » (Décr. n° 2022-245, art. 2).

Elle précise également que « l’article 3 modifie l’article 20 du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 afin de clarifier le fait que, lors de la signature d’un acte authentique électronique à distance, le client peut être présent physiquement ou être représenté devant le second notaire qui doit recueillir son consentement, comme il aurait pu l’être devant le notaire instrumentaire. Dès lors, la référence au terme comparaître ne fait pas obstacle au recours à la procuration ». On relèvera que le texte précise que « la modification apportée par le présent article à l’article 20 a un caractère interprétatif » de sorte qu’elle est susceptible de valider les actes déjà reçus par les notaires dès lors qu’ils sont conformes à l’interprétation ainsi précisée (Décr. n° 2022-245, art. 3).

[PODCAST] Nouvelle loi de bioéthique - Épisode 6 : reconnaissance ou négation des enfants intersexes ?

Dans ce sixième épisode, Marie-Xavière Catto, maîtresse de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, aborde le sujet sensible et complexe des enfants intersexes, désignés dans la loi de bioéthique du 2 août 2021 comme « présentant une variation du développement génital ».

Écouter le podcast

Voir déjà les épisodes 1, 2, 3, 4 et 5.

Sur la réforme de la loi bioéthique, v. aussi notre dossier « Réforme de la loi de bioéthique ».

Facture électronique entre entreprises : où en est l’Union européenne ?

Tantôt encouragée, tantôt obligatoire, la facture électronique entre entreprises (assujetties à la TVA) se développe dans l’Union européenne. Mais ces pratiques ne sont déployées qu’à l’échelle des États membres qui s’y intéressent et en dehors d’un cadre harmonisé. Car comme le résume la Commission européenne, « la législation actuelle de l’Union en matière de TVA ne contient aucune disposition relative à des obligations de communication d’informations par voie numérique ».

Ainsi, le projet de la France de généraliser la facture électronique entre entreprises assujetties à la TVA, qui vient d’obtenir le feu vert de l’Union européenne, ne pourra être obligatoire qu’entre celles établies en France. Conséquence : ce dispositif, qui, rappelons-le, doit être déployé entre le 1er juillet 2024 et le 1er janvier 2026, ne pourra pas être imposé aux entreprises établies dans d’autres États membres (c’est aussi le cas pour un assujetti hors Union européenne). Concrètement, cela signifie qu’une entreprise française qui vendra à une entreprise allemande devra, sur le plan juridique, obtenir son accord pour lui transmettre...

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Point de départ de la prescription et consolidation du préjudice corporel

Le point de départ de la prescription continue d’être au centre de l’intérêt ces temps-ci. Après la première chambre civile (v. not. Civ. 1re, 5 janv. 2022, nos 20-16.031, 19-24.436, 20-18.893 et 20-16.350, Dalloz actualité, 17 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 4 image) et la chambre commerciale (Com. 9 févr. 2022, n° 20-17.551, Dalloz actualité, 16 févr. 2022, obs. C. Hélaine), c’est désormais la deuxième chambre civile qui vient examiner la question à propos de faits antérieurs à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 sur la réforme de la prescription extinctive. Les faits s’intéressent à une question fondamentale du droit de la responsabilité civile en matière de réparation du préjudice corporel, à savoir la consolidation du dommage qui peut être fonctionnelle et situationnelle (Y. Lambert-Faivre et S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2015, p. 110, n° 119). On connaît le destin de cette notion qui a su s’imposer en droit positif dans plusieurs branches du droit que ce soit dans le code civil lui-même ou dans le code de la santé publique notamment. L’arrêt du 10 février 2022 rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne vient pas contredire ce constat, au contraire. Il est dans la droite lignée des solutions construites par la jurisprudence avant la réforme de la prescription extinctive. La solution est importante car elle permet de rappeler des constantes pour des situations juridiques qui peuvent encore arriver devant les prétoires.

Un enfant de trois ans est victime le 15 juin 1985 d’un très grave accident de la circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur. Un arrêt du 14 avril 1994 condamne le conducteur dudit véhicule à payer une somme de 563 000 F pour la réparation de l’intégralité de ses préjudices, notamment corporels. Le 17 janvier 2001, une nouvelle expertise médicale est ordonnée pour les dix-huit ans de la victime et le médecin-expert dépose son rapport le 15 mai 2002. Dans ce document, le médecin expert décrit des dommages considérables dus à l’accident ayant conduit la victime à une absence quasi totale d’autonomie. Le 18 mai 2015, la victime placée sous curatelle a fait assigner le conducteur et son assurance afin d’obtenir un complément d’indemnisation de...

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Bail d’habitation : le cautionnement n’est régi que par la loi de 1989

Par la décision de rejet rapportée, la haute juridiction précise, à notre connaissance, pour la première fois, que le régime applicable au cautionnement donné dans le cadre d’un bail d’habitation ne relève que des dispositions de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.

Créancier professionnel

En l’espèce, une caution solidaire avait argué de la qualité de créancier professionnel du bailleur (une société civile immobilière) pour tenter d’obtenir l’annulation de son engagement, faute pour le professionnel d’avoir respecté les règles protectrices du consommateur qui, à l’époque des faits, étaient édictées par le code de la consommation.

Plus de 30 000 € étaient en jeu.

Il a été débouté en appel, le juge du fond refusant de considérer que la SCI bailleresse était un créancier professionnel.

La caution s’est alors pourvue en cassation, rappelant, à titre principal, qu’aux termes du code de la consommation un créancier professionnel s’entend de celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession. Or une SCI exerce une activité professionnelle.

De fait, la décision du juge du fond prêtait le flanc à la critique puisque, selon une jurisprudence solidement ancrée, le créancier professionnel s’entend de celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale (Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-15.910, Dalloz actualité, 23 juill. 2009, obs. X. Delpech ; D. 2009. 2198 image, note S. Piédelièvre image ; ibid. 2032, obs. X. Delpech image ; ibid. 2058, chron. P. Chauvin, N. Auroy et C. Creton image ; ibid. 2010. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD civ. 2009. 758, obs....

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Compétence dans l’Union en matière de divorce : prise en compte de la nationalité

Un ressortissant italien et une ressortissante allemande se marièrent à Dublin. À la suite de leur séparation, l’époux s’installa en Autriche puis saisit un juge autrichien d’une demande en divorce après avoir – cet élément est essentiel – résidé dans cet État plus de six mois, mais moins d’un an.

La compétence du juge fut alors discutée au regard des dispositions de l’article 3 du règlement Bruxelles II bis n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, qui énoncent notamment que :

« 1. Sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux, les juridictions de l’État membre :

a) sur le territoire duquel se trouve :

la résidence habituelle des époux, ou
  la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y réside encore, ou
  la résidence habituelle du défendeur, ou
  en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux, ou
  la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande, ou
  la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l’introduction de la demande et s’il est soit ressortissant de l’État membre en question, soit, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, s’il y a son “domicile” ;

[…] ».

La problématique juridique

Le débat s’est porté sur ces deux derniers critères de compétence – formulés dans les cinquième et sixième tirets de l’article 3 – qui prennent tous les deux en compte la localisation de la résidence habituelle du demandeur mais qui diffèrent sur un aspect, à l’origine de l’affaire : alors que le cinquième tiret vise la résidence habituelle du demandeur s’il a résidé sur le territoire de l’État membre considéré depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande, le sixième tiret prend par ailleurs en considération le critère de la nationalité du demandeur, qui doit alors avoir sa résidence habituelle dans l’État membre depuis au moins six mois immédiatement avant l’introduction de la demande mais qui doit par ailleurs en être ressortissant, si l’on écarte le cas spécifique du Royaume-Uni et de l’Irlande (pour des illustrations de mise en œuvre de ce principe, v. Civ. 1re, 2 déc. 2015, n° 14-20.848, Rev. crit. DIP 2016. 649, note E. Gallant image ; 12 juill. 2017,...

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Comparution en procédure sans représentation obligatoire : c’est la première fois qui compte

Dans le cadre d’un litige prud’homal, la salariée fait appel, le 17 mai 2016, d’un jugement rendu le 17 mai 2016 par le conseil de prud’hommes.

L’affaire est appelée à une première audience, le 17 avril 2019, à laquelle seul l’employeur, intimé, comparaît. L’intimé demande alors à la cour d’appel de confirmer le jugement au motif que l’appel n’est pas soutenu.

Un arrêt du 7 août 2019 rouvre les débats avec injonction faite aux parties de conclure et de communiquer les pièces, avec fixation d’une nouvelle audience le 10 décembre 2019.

À l’audience du 10 décembre 2019, l’appelant ne comparaît pas.

La cour d’appel confirme donc le jugement, au motif que l’appelante était ni comparante ni représentée.

La salariée se pourvoit en cassation, reprochant à la cour d’appel d’avoir confirmé le jugement alors que l’employeur n’était pas comparant à l’audience de renvoi du 10 décembre 2019, et qu’il n’a pu, de ce fait, demander la confirmation du jugement pour appel non soutenu.

Le pourvoi est rejeté.

L’état procédural

Cet arrêt nous parle d’un temps que les avocats de moins de cinq ans de barreaux n’ont pas connu.

En effet, jusqu’en 2016, la matière prud’homale, en appel, relevait de la procédure sans représentation obligatoire, avec au surplus des règles de représentation tout à fait spécifique.

L’article R. 1461-2 du code de travail, avant la réforme du 20 mai 2016 (Décr. n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail), prévoyait que « l’appel […] est formé, instruit et jugé suivant la procédure sans représentation obligatoire », ce qui renvoie aux articles 931 et suivants du code de procédure civile.

Et l’article 931 prévoit précisément que « les parties se défendent elles-mêmes », avec la possibilité néanmoins d’être représenté.

L’appel ayant été inscrit avant le 1er août 2016, il relevait donc de la procédure sans représentation obligatoire.

À la première audience, l’appelant n’avait pas comparu, et l’affaire avait été retenue à la demande de l’employeur intimé, comparant, qui invoquait le caractère non soutenu de l’appel.

Toutefois, en cours de délibéré, un avocat s’était manifesté pour la salariée appelante, ce qui avait justifié une réouverture des débats, un calendrier pour conclure et communiquer les pièces, et la fixation d’une nouvelle...

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Pause hivernale

La rédaction de Dalloz actualité fait une petite pause la semaine du 21 février.

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Point de départ de la prescription de l’action contre l’associé d’une SCI

Une société civile avait contracté un prêt bancaire pour financer l’achat de son immeuble par acte authentique en date des 11 et 12 mai 2007. La société ne faisant pas face à ses échéances de remboursement, la banque a engagé des poursuites de saisie immobilière à son encontre.

La vente amiable du bien saisi fut autorisée puis réalisée. Le juge de l’exécution homologua le projet de distribution par ordonnance du 3 janvier 2012.

La banque n’étant pas remplie de l’intégralité de ses droits, elle fit délivrer à la société civile, le 27 février 2017, un commandement de payer aux fins de saisie-vente. Après établissement d’un procès-verbal de carence le 6 mars 2017, la banque assigna le 14 juin suivant l’associée de la SCI en paiement des sommes restant dues.

La cour d’appel déclare recevable l’action engagée par la banque et condamne l’associée au paiement des sommes restant dues. Elle considère en effet que le point de départ du délai de prescription de l’action exercée par la banque contre l’associée au titre du prêt impayé par la société était la date à laquelle les diligences de la banque s’étaient avérées infructueuses, soit celle de l’établissement du procès-verbal de carence.

L’associée se pourvoit en cassation.

Elle fait valoir que l’action en paiement à l’encontre de l’associée de la société civile se prescrit comme l’action en paiement exercée à l’encontre de la société elle-même.

En l’occurrence, elle argue que la prescription quinquennale, certes interrompue par la procédure de saisie immobilière, avait recommencé à courir à compter de la clôture de l’ordre le 3 janvier 2012, si bien que l’action engagée le 14 juin 2017 à l’encontre de l’associée devait être prescrite.

La Cour de cassation devait se prononcer sur le point de départ du délai de prescription de l’action subsidiaire contre l’associé de la société.

Rappelant qu’en vertu de l’article 1857 du code civil, les associés d’une société civile répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date d’exigibilité ou au jour de la cessation en paiement et qu’en application de l’article 1858 du même code, ils ne peuvent être poursuivis que si la société a été préalablement elle-même vainement poursuivie, la haute juridiction affirme que les textes doivent être combinés de sorte que le débiteur subsidiaire puisse opposer au créancier la prescription de la créance détenue contre la société, débiteur principal. La Cour de cassation affirme que la poursuite préalable et vaine ne constitue pas le point de départ de la prescription de l’action contre l’associé.

Les hauts magistrats rappellent encore que l’application de l’article 2231 du code civil a pour conséquence que l’interruption de la prescription efface le délai acquis et fait courir un nouveau délai de la même durée que l’ancien.

L’application des articles 2241 et 2242 du code civil emporte que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription et l’interruption produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance.

Appliqué à l’espèce, la Cour de cassation considère que l’effet interruptif prend fin à la date de l’ordonnance d’homologation du projet de distribution et que le nouveau délai ne court qu’à compter de cette date. Ainsi, la créance de la banque était prescrite le 27 février 2017, à la date du commandement aux fins de saisie-vente, de sorte que l’action engagée à l’encontre de l’associée le 14 juin 2017 était quant à elle irrecevable.

Avec la précision d’une horloge, la Cour décompte donc les jours et rend une décision favorable à l’associée, en rappelant les conditions du recours du créancier contre l’associé d’une société civile, d’une part, et en précisant les conditions de la prescription de l’action du créancier, d’autre part. La solution s’avère protectrice de l’associé d’une société civile immobilière de droit commun.

Les conditions du recours contre l’associé d’une société civile

La société civile est une société à risque illimité. L’écran de la personnalité morale de la société ne protège qu’imparfaitement les associés. En effet, ils peuvent être poursuivis par les tiers. Il faut entendre par là que ces associés répondent indéfiniment et conjointement des dettes de la société. L’article 1857 du code civil précise à cet égard que les associés répondent des dettes à proportion de leur part dans le capital social à la date de l’exigibilité de la dette ou au jour de la cessation des paiements.

On considère généralement que cette obligation s’étend à toutes les obligations dont la société est tenue. En l’espèce, il s’agissait du paiement d’une somme d’argent, plus exactement des échéances du crédit immobilier non acquittées.

Il n’y a pas de lien contractuel entre les associés et le créancier social (Com. 2 juin 2015, n° 13-25.337, Dalloz actualité, 18 juin 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 1273, et les obs. image ; Rev. sociétés 2016. 114, note J.-J. Ansault image ; RTD civ. 2015. 622, obs. H. Barbier image ; JCP E 2015. 1489, note C. Lebel). Si bien que lorsque l’emprunteur est la société civile, seule cette dernière est débitrice, le recours contre les associés n’étant que subsidiaire. Ainsi, il est impossible de tenir société et associés pour débiteurs conjoints (Civ. 3e, 31 mai 1995, n° 93-11.442, RDI 1995. 759, obs. J.-C. Groslière et C. Saint-Alary-Houin image ; RTD com. 1995. 797, obs. M. Jeantin image ; ibid. 1998. 682, obs. A. Martin-Serf image).

L’article 1858 du code civil précise les conditions...

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Fondement unique ou pluralité de fondements pour la résolution de la vente sur adjudication ?

La décision commentée sème le doute dans l’esprit des praticiens car sa lecture est ambigüe et pourrait laisser penser à une évolution notable dans la mise en œuvre d’une action en résolution de la vente sur adjudication.

Mais, peut-être ne faut-il pas en tirer une conclusion trop large et les faits de l’espèce expliquent certainement la position retenue par les magistrats du Quai de l’horloge.

À l’occasion d’une procédure de saisie immobilière, la partie saisie élève des contestations le jour de l’audience d’adjudication.
Le juge de l’exécution dans un même jugement rejette les contestations, constate l’enchère et dit qu’elle emporte adjudication moyennent la somme de 99 000 € au profit d’une société.
En application des dispositions de l’alinéa 2 de l’article R. 322-56 du code des procédure civile d’exécution, « Seul le jugement d’adjudication qui statue sur une contestation est susceptible d’appel de ce chef dans un délai de quinze jours à compter de sa notification ». Tel était le cas, et la partie saisie a-t-elle interjeté appel de ce jugement que devaient confirmer les juges du second degré.
La partie saisie s’est alors pourvu en cassation et le pourvoi a été rejeté par décision de rejet non spécialement motivé, la Cour estimant que les moyens invoqués n’étaient pas de nature à entraîner la cassation.

Parallèlement à ces recours, la partie a engagé une action au fond devant le tribunal de grande instance à l’encontre du créancier poursuivant et de l’adjudicataire à fin de solliciter la résolution de la vente faute pour l’adjudicataire d’avoir opéré le paiement du prix d’adjudication dans le délai de deux mois imparti par l’article L. 322-12 du code des procédures civiles d’exécution.
Le tribunal de grande instance a débouté la partie saisie de sa demande, jugement confirmé en appel. C’est cette dernière décision qui a fait l’objet de l’arrêt commenté.

À l’appui de ce pourvoi la partie saisie développait un moyen en quatre branches :

elle faisait grief à l’arrêt d’appel de l’avoir débouté de sa demande tendant à ce que soit constatée, en application de l’article L. 322-12 du code des procédures civiles d’exécution, ou prononcée, en application de l’article 1654 du code civil, la résolution alors que l’action en résolution d’une vente forcée peut être engagée sur le fondement des dispositions du code civil ; elle reprochait à la cour d’appel d’avoir a violé l’article 16 du code de procédure civile, ensemble l’article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; elle affirmait que la cour d’appel aurait entaché sa décision d’une contraction de motifs en violation de l’article 455 du code de procédure civile en affirmant que le débiteur saisi ne pouvait agir qu’en réitération des enchères tout en invoquant l’article L. 322-12 du code des procédures civiles d’exécution qui confère compétence au juge de l’exécution pour constater la résolution de plein droit de la vente ; enfin, elle affirmait que la cour d’appel aurait méconnu le principe de l’autorité de la chose jugée, en violation de l’article 480 du code de procédure civile, ensemble le nouvel article 1355 du code civil en l’invitant à poursuivre la réitération des enchères devant le juge de l’exécution alors qu’elle l’avait préalablement débouté de son action résolutoire à l’occasion de l’appel formé à l’encontre du jugement d’adjudication lorsqu’elle statuait en qualité de juge de l’exécution.

La Cour de cassation rejette le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, les griefs développés n’étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Mais elle retient la troisième branche du moyen, relatif au fondement juridique de l’action résolutoire. C’est la solution retenue sur ce moyen qui est troublante.

En effet, antérieurement à la réforme de la procédure de saisie-immobilière et sous l’empire des articles 673 et suivants de l’ancien code de procédure civile, il était admis que parallèlement à la procédure de folle enchère, était admis l’action en résolution fondée sur les dispositions du droit commun de la vente et notamment l’article 1654 du code civil (dans ce sens, Civ. 2e, 5 déc. 1952, Bull. civ. II, n° 24 ; RTD civ. 1953. 393, obs. Raynaud).

Ce n’était là qu’une application des dispositions de l’article 713 de l’ancien code de procédure civile aux termes desquelles l’adjudicataire : « …pourra être poursuivi par la voie de la folle enchère, sans préjudice des autres voies de droit ».

Cette position, bien que critiquée en doctrine (G. Taormina, Le nouveau droit des procédures d’exécution et de distribution, tome III, Saisie immobilière, ordre et distribution, édition Journal des notaires et des avocats Lamy, nov. 1995, p. 442, n° 586) avait été confirmée plus récemment, par un arrêt du 11 juillet 2013 dans lequel la Cour de cassation avait décidé que « nonobstant la possibilité de mettre en œuvre la procédure de folle enchère, une demande principale en résolution de la vente par adjudication peut être formée contre l’adjudicataire qui ne justifie pas de l’accomplissement des conditions du cahier des charges » (Civ. 2e, 11 juill. 2013, n° 12-13.737, Dalloz actualité, 26 juill. 2013, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2013. 1908 image).

La réforme de la procédure de saisie immobilière a tué la folle-enchère.

Le droit révolutionnaire, puis le droit napoléonien, puis celui du décret-loi du 17 juin 1938 avaient maintenu une partie du vocabulaire traditionnel comme celui concernant la « folle enchère » (v. D. Talon, La deuxième mort de la folle enchère, JCP 2015. 245).

Hélas, les temps modernes ont signé son enterrement et son remplacement par la « procédure de réitération des enchères », avec la réforme de la procédure de saisie immobilière (ord. n° 2006-461 du 21 avr. 2006 et décr. n° 2006-936 du 27 juill. 2006, textes aujourd’hui codifiés dans le code des procédures civiles d’exécution).

Récemment, la Cour de cassation avait retenu que l’adjudicataire pouvait consigner le prix et payer les frais au-delà du délai de deux mois suivant l’adjudication et ce n’était qu’en l’absence de versement du prix et de paiement des frais à la date où le juge statue que la vente peut être résolue (Civ. 2e, 1er oct. 2020, n° 19-12.830, Dalloz actualité, 9 nov. 2020, obs. F. Kieffer).

Mais, ce « fol enchérisseur » désormais qualifié, de façon moins imagée, d’« adjudicataire défaillant » pouvait-il être poursuivi d’une action en résolution de la vente fondée sur le droit commun ?

Si la Cour de cassation s’était prononcée pour admettre que la demande de résolution de la vente formée émanant de la personne expulsée des lieux par l’adjudicataire pour défaut de consignation du prix pouvait être formée devant le juge de l’exécution, peu important qu’elle soit formulée hors de la procédure de réitération des enchères (Civ. 2e, 23 févr. 2017, n° 16-13.178, Dalloz actualité, 23 févr. 2017, obs. L Camensuli-Feuillard ; D. 2017. 515 image ; ibid. 1388, obs. A. Leborgne image ; Procédures 2017. Comm. 62, obs. Laporte), elle n’avait pas encore été invité à statuer sur la possibilité autrefois admise de mettre en œuvre à côté de la procédure de réitération des enchères, une action en résolution fondée sur le droit commun.

Elle semble y répondre dans l’arrêt commenté, puisqu’elle précise : « Selon l’article L. 322-12 du code des procédures civiles d’exécution, à défaut de versement du prix ou de sa consignation et de paiement des frais, la vente est résolue de plein droit.
En application de cet article, ce n’est qu’en l’absence de consignation ou de versement du prix et de paiement des frais à la date où le juge statue que la résolution de la vente peut être constatée, à l’occasion de la procédure de réitération des enchères ou par une action tendant à cette seule résolution. Ces dispositions, d’ordre public, impliquent que si elle peut être demandée à titre principal en cas de défaut de paiement du prix, la résolution de la vente ne peut l’être que sur le fondement des dispositions spéciales du code des procédures civiles d’exécution, qui dérogent à celles du droit commun de la vente, et tant que le prix de vente n’a pas été payé ».

Puisque seules les dispositions du code des procédures civiles d’exécution peuvent fonder la résolution de la vente, cela signifie que cette action, si elle peut être demandée à titre principal, c’est-à-dire, sans la mise en œuvre de la procédure de réitération des enchères, elle restera de la compétence exclusive du juge de l’exécution par application des dispositions de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire.

Donc, les deux voies restent ouvertes, sous certaines conditions, mais seul le juge de l’exécution peut en connaître. 

Gare au point de départ de la prescription de l’action en responsabilité !

Il est acquis que le début de l’année 2022 est placé sous le signe du point de départ de la prescription extinctive, que ce soit en matière de cautionnement (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-17.325, Dalloz actualité, 18 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 68 image) ou en matière de prêt à intérêt (Civ. 1re, 5 janv. 2022, quatre arrêts n° 20-16.031, n° 19-24.436, n° 20-18.893 et n° 20-16.350, Dalloz actualité, 17 janv. 2022, obs. C. Hélaine). L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 9 février 2022 s’inscrit dans la même lignée : il permet d’ailleurs de remarquer l’harmonisation de la question entre les différentes chambres de la Haute juridiction.

Rappelons les faits qui sont classiques dans le contentieux du point de départ de la prescription. Une personne physique conclut une promesse d’achat portant sur un immeuble sous la condition suspensive de l’obtention d’un prêt. Le prêt est débloqué en novembre 2009 par un établissement bancaire grâce à un courtier en opérations de crédit. Malgré la réalisation de la condition suspensive, le promettant refuse toutefois de signer l’acte notarié le 19 janvier 2010 en estimant que le prêt était excessif eu égard à ses capacités financières. Les vendeurs et l’agence immobilière par l’intermédiaire de laquelle la promesse d’achat a été conclue décident d’assigner le promettant en réparation de leur préjudice respectif. Un arrêt du 26 janvier 2012 de la cour d’appel d’Agen condamne le promettant au paiement de 10 000 € de dommage-intérêts au profit des vendeurs pour rupture fautive du contrat de vente et un arrêt de la même cour du 16 janvier 2013 le condamne également à 7 000 € de dommages-intérêts au profit de à l’agence immobilière en réparation de la perte de chance de percevoir une commission. Le promettant ainsi condamné assigne le courtier en opérations de crédit et l’établissement bancaire sur le fondement de l’article 1382 du code civil devenu 1240 du même code. Le tribunal de grande instance d’Agen déclare prescrite cette dernière action si bien que le demandeur interjette appel. En cause d’appel, la cour d’appel d’Agen confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris. L’action en responsabilité délictuelle est déclarée prescrite puisque le dommage ne résulte pas des décisions de justice mais de l’octroi du crédit et de ses conséquences juridiques et financières dont le demandeur a eu connaissance dès le mois de novembre 2009 au moment de l’octroi du crédit. Au jour des assignations introduites les 19 et 22 décembre 2014, l’action en responsabilité délictuelle était donc prescrite de quelques semaines. 

Le promettant se pourvoit en cassation en arguant qu’il ne s’agit pas du bon point de départ de la prescription de son action en responsabilité délictuelle contre la banque lui ayant consenti un prêt alors qu’il n’avait pas les capacités financières pour y faire face et qui avait été, ce faisant, à l’origine de son refus de signer l’acte authentique de vente. Il soutient que ce point de départ ne peut être fixé qu’à partir de sa condamnation à payer les sommes dues au titre de dommages-intérêts consécutivement à son refus de signer l’acte de vente final. La chambre commerciale casse l’arrêt d’appel en estimant que « alors que le dommage dont M. [Z] demandait réparation ne s’était pas manifesté aussi longtemps que les vendeurs et l’agent immobilier n’avaient pas, en l’assignant, recherché sa propre responsabilité, soit au plus tôt le 3 septembre 2010, de sorte que, à la date des assignations qu’il a lui-même fait signifier à la banque et au courtier, les 19 et 22 septembre 2014, la prescription n’était pas acquise » (nous soulignons).

Voici un arrêt permettant d’expliquer la méthodologie pour retracer le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité délictuelle s’inscrivant dans un contexte fourni de solutions sur le même sujet.

De la méthodologie pour déterminer le point de départ de la prescription

La chambre commerciale vient donc préciser que le point de départ de la prescription ne peut pas être fixé à un moment antérieur au 3 septembre 2010, soit à la première assignation du vendeur victime de la violation de la promesse par le promettant. Autrement dit, le dommage résultant de l’octroi du crédit n’a pu se matérialiser qu’au moment de la première assignation en dommages-intérêts. Ainsi, aux 19 et 22 septembre 2014 – dates de l’assignation initiale de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté – l’action en responsabilité délictuelle du promettant envers la banque n’était pas prescrite. Rappelons bien que l’action intentée vise à réparer le préjudice subi par la condamnation du promettant au paiement de dommages-intérêts dont il pense que la source se situe par l’octroi du crédit litigieux. En somme, vu que ce crédit était inadapté à ses ressources, il n’avait d’autres choix que de refuser de signer l’acte de vente, ce qui avait eu pour effet domino de cristalliser un litige avec les bénéficiaires de la promesse d’achat qu’il avait conclue.

Le raisonnement de la cour d’appel était intéressant. Estimant que « le dommage ne résulte donc pas des décisions de justice l’ayant condamné envers les vendeurs et l’agent immobilier, à payer aux premiers des dommages-intérêts, et au second une commission, à la suite de sa décision de refuser d’acquérir l’immeuble qui avait fait l’objet d’un compromis de vente auquel il avait consenti, mais de l’octroi d’un financement et ses conséquences juridiques et financières » (nous soulignons), les juges du fond étaient restés sur l’appréciation de l’octroi du crédit. En réalité, le dommage ne résulte, en effet, pas des décisions de justice mais ce sont les premières assignations qui l’ont fait apparaître aux yeux du promettant. La nuance est subtile mais importante. Sans ces assignations, le titulaire du droit à réparation n’aurait jamais eu à agir ou, du moins, il n’aurait pas pu orienter ainsi une telle action.

Cette méthodologie implique de rester très vigilant. La naissance du droit ne coïncide pas nécessairement avec le point de départ de la prescription qui s’y attache puisque le titulaire dudit droit peut le connaître à retardement alors qu’il se matérialise déjà dans son patrimoine théoriquement. Le dommage ne se réalise ici que par la délivrance des assignations ayant conduit d’ailleurs à deux condamnations en raison de la violation de la promesse conclue. Tout dépend, en réalité, de la nature de l’action en responsabilité délictuelle en jeu. C’est parce que l’action du promettant visait à réparer le préjudice subi des deux condamnations que la solution est formulée de cette manière. Sur le fond, la cour d’appel de renvoi de Bordeaux devra apprécier cet éloignement entre le fait générateur (l’octroi du crédit) et le refus de régulariser l’acte de vente par le promettant. On peut raisonnablement supposer qu’une telle démonstration sera difficile à mener. 

Cette décision du 9 février 2022 renforce l’intérêt de l’adaptation du point de départ de la prescription pour chaque action prise dans son individualité sous l’égide d’un même principe directeur.

Un contexte pluriel des points de départ de la prescription

L’intégralité des solutions rendues depuis le 5 janvier 2022 par la Cour de cassation peuvent paraître bien plurielles. Le point de départ dit « adapté » invite à être extrêmement précautionneux dans la lecture de chaque dossier faite par les praticiens, sous peine d’engager leur responsabilité. Il n’en reste pas moins que se dégagent des constantes selon nous que ce soit devant la première chambre civile ou devant la chambre commerciale de la Cour de cassation puisque les solutions restent les mêmes.

L’intégralité des arrêts sur la question se fondent, en effet, logiquement sur l’article 2224 du code civil et ne sont que la manifestation de la terminaison de l’article lequel précise que le point de départ de la prescription extinctive court « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Les décisions peuvent conduire à, matériellement, retenir des éléments factuels différents : premier incident de paiement pour le devoir de mise en garde de la caution (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-17.325 FS-B, préc.), jour où l’emprunteur a eu connaissance du défaut de garantie du risque qui s’est réalisé (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 19-24.436, Dalloz actualité, 17 janv. 2022, obs. C. Hélaine), etc. Ces solutions quoique plurielles vont donc dans un même sens, en fonction de l’action engagée. L’unification du point de départ à un même évènement précis aurait pu être plus lisible mais ce choix aurait perdu en sens eu égard à l’article 2224 du code civil.

Pour l’action en responsabilité, le point de départ de la prescription correspond au jour où le dommage se manifeste si bien qu’il faut avoir une approche précise des faits pour déterminer comment dans chaque espèce ceci se concrétise. Dans le cas étudié, c’est parce que le promettant a été condamné qu’il souhaitait engager la responsabilité délictuelle de l’établissement bancaire et du courtier. C’est pour cette raison que le point de départ de la prescription de l’action ne peut pas être fixé avant la date de la première assignation ayant conduit auxdites condamnations. 

En somme, mieux vaut toujours commencer par se demander si l’action en responsabilité introduite n’est pas prescrite en déterminant son point de départ avec soin. Prudence est mère de sûreté, surtout dans ce contentieux où chaque détail peut compter. Cet arrêt n’est assurément pas le dernier à évoquer cette question aussi épineuse que passionnante.  

Transport aérien : indemnisation en cas de retard

Le règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 établit des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol. Il prévoit notamment une indemnisation en cas d’annulation du vol (art. 5) avec les modalités de calcul de cette indemnisation (art. 7, qui prend en compte la distance du vol), un droit à l’assistance par le transporteur effectif en cas d’annulation ou de retard du vol (art. 5, 6 et 8) ainsi qu’un droit à une prise en charge (art. 9, prévoyant les conditions d’obtention de rafraîchissements, d’une restauration ou d’un hébergement).

Le contexte jurisprudentiel

La jurisprudence a déjà eu l’occasion de préciser, par exemple, que l’enfant âgé de moins de deux ans qui a voyagé sans billet d’avion sur les genoux de ses parents ne peut pas bénéficier de l’indemnisation forfaitaire due par le transporteur aérien en cas de retard (Civ. 1re, 6 janv. 2021, n° 19-19.940 F-P, Dalloz actualité, 28 janv. 2021, obs. X. Delpech ; D. 2021. 77 image ; RTD com. 2021. 179, obs. B. Bouloc image) et qu’un vol dérouté qui atterrit sur un aéroport distinct de l’aéroport initialement prévu mais qui dessert la même ville, agglomération ou région, n’est pas susceptible de conférer au passager un droit à une indemnisation au titre d’une annulation de vol (CJUE 22 avr. 2021, aff. C-826/19, Dalloz actualité, 27 mai 2021, obs. X. Delpech ; D. 2021. 845 image ; ibid. 1695, obs. H. Kenfack image ; JCP E 2021. 1379, note P. Dupont et G. Poissonnier).

La mise en œuvre des principes prévus par ce règlement n° 261/2004 soulève régulièrement des problèmes de compétence judiciaire dans l’Union européenne, lorsqu’un voyageur, après s’être vu opposer un refus d’indemnisation par une compagnie aérienne, décide de saisir un tribunal, surtout d’ailleurs en présence d’un vol avec correspondance.

Dans ce cadre, la détermination du juge compétent passe par l’application des règles de compétence édictées par le règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale et en particulier par celles qui régissent la matière contractuelle.

Il est en effet acquis que relève de cette matière contractuelle l’action des passagers en indemnisation pour le retard d’un vol avec correspondance, dirigée sur le fondement du règlement n° 261/2004 contre un transporteur aérien, y compris lorsqu’il ne s’agit pas de la compagnie aérienne avec laquelle le passager concerné a conclu le contrat mais la compagnie aérienne qui était, par exemple, chargé d’assurer le premier vol à destination du lieu où la correspondance sera prise (CJUE 7 mars 2018, aff. C-274/16, C-447/16 et C-448/16, pt 65, D. 2018. 1366 image, note P. Dupont et G. Poissonnier image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2019. 1016, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; RTD com. 2018. 518, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast image ; RTD eur. 2019. 165, obs. L. Grard image ; RCA 2018. Alerte 11, obs. Coulon).

Rappelons que pour la matière contractuelle, les règles de...

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Réforme de l’adoption : vote définitif de la loi par l’Assemblée nationale

Phase parlementaire

Adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 4 décembre 2020, puissamment remaniée par le Sénat le 20 octobre suivant, la proposition de loi visant à réformer l’adoption vient finalement d’être votée par la Chambre basse en lecture définitive le 8 février 2022, soit près de 600 jours à la suite de son dépôt par l’une de ses deux promotrices : Mme la Députée Monique Limon, coauteure du rapport Limon-Imbert rendu public en octobre 2019 (M. Limon et C. Imbert, Vers une éthique de l’adoption. Donner une famille à un enfant, oct. 2019)  et fraîchement accueilli par l’École et le Palais (P. Salvage-Gerest, Le rapport Limon-Imbert, Un coup d’épée dans l’eau, AJ fam. 2020. 350 image). Cette temporalité surprenante pour une proposition de loi pourtant discutée dans le cadre d’une procédure accélérée – engagée par le gouvernement le 3 novembre 2020 – est à mettre sur le compte de désaccords politiques persistants entre les deux chambres, ayant débouché sur l’échec de la Commission mixte paritaire réunie le 4 novembre 2021, et la nouvelle lecture de la proposition de loi devant l’Assemblée nationale et le Sénat les 18 et 28 janvier 2022, avant de donner lieu à la lecture définitive du 8 février dernier devant la Chambre basse. Les députés auront d’ailleurs usé de leur préséance sur les sénateurs pour imposer leurs vues sur la plupart des points en débats. Dix-neuf mois à la suite de son dépôt, la proposition de loi visant à réformer l’adoption est donc votée, pour un résultat enthousiasmant selon certains et décevant selon d’autres.

Objectifs parlementaires

Parmi les principaux objectifs poursuivis par la proposition de loi, six d’entre eux pourront être rappelés pour mémoire (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 371, 19 janv. 2022, p. 6) : valoriser l’adoption simple, ouvrir l’adoption aux couples de partenaires et de concubins, sécuriser la période de placement, renforcer et replacer au cœur du processus d’adoption la notion de consentement, réformer l’agrément et renforcer les droits des pupilles de l’État ; voici le vaste programme porté par les parlementaires. Ces ambitions auront toutefois été tempérées, dans la mesure où bien en deçà des velléités premières de renforcement et de sécurisation de l’adoption dans son ensemble (Proposition de loi visant à réformer l’adoption, Assemblée nationale, 30 juin 2020, p. 4), la loi votée se présente surtout comme un agrégat d’articles hétérogènes, à l’origine de regrets relatifs à l’absence de vision d’ensemble de la protection de l’enfance (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 4897, 12 janv. 2022, p. 5), et révélateur selon le Sénat d’une « volonté de faciliter l’adoption pour les candidats, [plus] que de sécuriser la situation des enfants » (ibid.).

Résultats parlementaires

Il n’empêche, plusieurs propositions phares auront survécus à ces débats passionnés, dont la plupart s’inscrivent dans les objectifs précités. C’est pourquoi, sans véritablement réformer l’adoption en profondeur, la loi nouvelle la retouche par endroits, justifiant une analyse article par article de ce texte.

Nouvelle définition de l’adoption simple

Fruit d’un consensus entre l’Assemblée nationale et le Sénat, l’article 1er de la loi visant à réformer l’adoption procède à une réécriture de l’article 364, alinéa 1er, du code civil, destinée à différencier formellement l’adoption simple de l’adoption plénière, dans son domaine et sa portée. Ainsi le nouvel article dispose-t-il désormais que « L’adoption simple confère à l’adopté une filiation qui s’ajoute à sa filiation d’origine », et que « L’adopté conserve ses droits dans sa famille d’origine ». Place donc à la mention formelle de l’effet principal de cette adoption : l’adjonction d’un lien de filiation à l’enfant, par opposition à la substitution d’un lien de filiation opérée par l’adoption plénière. En outre, exit l’ancienne référence au droit de succéder de l’adopté simple, laquelle pouvait « laisser penser que le maintien des droits dans la famille se [limitait] aux droits héréditaires de l’adopté ou que ces derniers [étaient] plus importants que les droits extrapatrimoniaux » (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 3161, 23 nov. 2020, p. 14). C’est dire que cette réécriture convaincra à raison de la clarification de l’article 364, alinéa 1er à laquelle elle procède (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 50, 13 oct. 2021, p. 13), même si l’on notera de nouveau avec une auteure que l’établissement d’un double lien de filiation ne vaudra « que si la filiation de naissance [de l’enfant] est établie, ce qui n’est pas toujours le cas » (M.-C. Le Boursicot, Une proposition de loi visant à réformer l’adoption… déconcertante et même inquiétante, RJPF 2020-11). 

Ouverture de l’adoption aux couples de partenaires et de concubins

« Voulu comme la mesure phare du texte » (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 371, 19 janv. 2022, p. 6), et approuvée par le Sénat en première lecture, l’article 2 de la loi ouvre l’adoption aux couples de partenaires et de concubins, en alimentant à cette occasion le processus d’édification continu d’un droit commun des couples. À cette fin, et comme nous l’écrivions en décembre 2020 (J. Houssier, Proposition de loi visant à réformer l’adoption : la première lecture est achevée, Dalloz actualité, 22 déc. 2020), 15 articles du code civil sont réécrits pour tenir compte de cette petite révolution (C. civ. art. 343, 343-1, 343-2, 344, 345-1, 346, 348-5, 353-1, 356, 357, 360, 363, 365, 366 et 370-3) et mettre fin, selon la Députée Limon, « à la différence de traitement face à l’adoption entre les couples mariés [et] les couples non mariés – qu’ils soient de même sexe ou de sexe différent » (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 3161, 23 nov. 2020, p. 19). Parallèlement, les conditions à remplir par les parents adoptifs sont assouplies via l’abaissement du délai minimum de communauté de vie requis pour les couples candidats à l’adoption (de 2 ans à 1 an ; C. civ., art. 343 nouv.), et via l’abaissement de l’âge minimum requis pour adopter pour l’ensemble des adoptants (de 28 à 26 ans ; C. civ., art. 343 et 343-1 nouv.). S’opposant ici au Sénat, l’Assemblée nationale aura donc eu le dernier mot à ce propos, en dépit des protestations émises par les sénateurs dont l’argumentation consistait à souligner, avec plusieurs acteurs de la protection de l’enfance, que « cette modification ne [répondait] à aucune demande de terrain et [n’aurait] probablement qu’un effet limité en pratique compte tenu du délai pour obtenir un agrément puis pour adopter, et du peu d’enfants adoptables » (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 371, 19 janv. 2022, p. 9). En passant en force, la Chambre basse fait donc le pari de la pertinence de sa proposition, dont il faudra apprécier l’opportunité dans un futur proche.

À l’opposé, l’Assemblée nationale confirme la nouvelle rédaction de la règle de conflits de lois de l’article 370-3, en faisant sienne celle proposée par la Commission mixte paritaire (Les mots « de la juridiction saisie » étant substitués aux mots « du for », afin de clarifier cet article). Ainsi cet article dispose-t-il désormais que « Les conditions de l’adoption sont soumises à la loi nationale de l’adoptant ou, en cas d’adoption par un couple, à la loi nationale commune des deux membres du couple au jour de l’adoption ou, à défaut, à la loi de leur résidence habituelle commune au jour de l’adoption ou, à défaut, à la loi de la juridiction saisie ». Par ailleurs, « L’adoption ne peut […] être prononcée si la loi nationale des deux membres du couple la prohibe ». Comme nous l’écrivions en octobre 2021 (J. Houssier, Proposition de loi visant à réformer l’adoption : coup de rabot ou coup d’épée dans l’eau des Sénateurs ?, Dalloz actualité, 9 nov. 2021), la règle de conflit de lois propre aux couples mariés est donc finalement étendue aux couples non mariés, au détriment de l’article 515-7-1 du code civil, propre aux partenaires pacsés, mais au profit de l’unité du droit international tout entier.

Assouplissement de l’adoption plénière des enfants âgés de plus de 15 ans

Présenté par les promoteurs de la loi comme une mesure de faveur envers « l’adoption plénière des enfants âgés de plus de 15 ans » (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 3161, 23 nov. 2020, p. 23), l’article 3 de la loi réécrit l’article 345 du code civil, dans le dessein d’élargir les possibilités d’adoption plénière de ce public. Pour ce faire, leur adoption devient d’abord permise par le conjoint de l’un de leurs parents lorsque leur autre parent s’est vu retirer totalement l’autorité parentale ou est décédé sans laisser d’ascendants privilégiés (C. civ., art. 345-1, 2° et 3°, visé par la nouvelle disposition), lorsque leurs père et mère ou le conseil de famille y ont valablement consenti, ou lorsque l’enfant est pupille de l’État ou déclaré judiciairement délaissé (C. civ. art. 347 nouveau, visé par la nouvelle disposition). Au-delà, la loi étend aussi le délai d’adoption de ces enfants de 2 ans à 3 ans à l’issue de leur 18e année, autorisant ainsi leur adoption plénière dans les limites de leurs 21 ans. La loi offre donc un « délai de rattrapage » aux destinataires de ces textes, étant néanmoins précisé que la dérogation initialement proposée par l’Assemblée nationale de permettre cette adoption en cas de « motifs graves » est finalement délaissée, en raison des risques d’aléas judiciaires et d’atteinte au principe de sécurité juridique redoutés par le Sénat (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 4897, 12 janv. 2022, p. 15).

Ajustement du placement en vue de l’adoption

L’article 4 de la loi procède ensuite à une pertinente réécriture de l’article 351 du code civil relatif à la procédure de placement en vue de l’adoption plénière, tout en insérant un nouvel article 361-1 à la rédaction décevante.

S’agissant de l’article 351, d’abord, et suivant les recommandations avisées du Sénat et des magistrats de la Cour de cassation auditionnés à cette occasion (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 50, 13 oct. 2021, p. 25), l’alinéa 1er est remanié pour proclamer que « Le placement en vue de l’adoption prend effet à la date de la remise effective aux futurs adoptants d’un enfant pour lequel il a été valablement et définitivement consenti à l’adoption, d’un pupille de l’État ou d’un enfant déclaré délaissé par décision judiciaire ». Un nouvel alinéa 2 créé par la loi poursuit en précisant que « Les futurs adoptants accomplissent les actes usuels de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant à partir de la remise de celui-ci et jusqu’au prononcé du jugement d’adoption ». Et ces modifications apparaissent opportunes pour plusieurs raisons. En premier lieu, la substitution des termes « prend effet à la date de » aux mots « est réalisé par » éclaircit assurément le déroulé du processus du placement et réduit « les incertitudes [relatives] à la date du début de [cette] période » (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 3161, 23 nov. 2020, p. 28). En deuxième lieu, la substitution du terme « délaissé » au mot « abandonné » actualise cette disposition, « afin de tirer [toutes] les conséquences du remplacement, par la loi [du 14 mars 2016] de la déclaration judiciaire d’abandon par la déclaration judiciaire de délaissement parental » (ibid., p. 29. Actualisation également réalisée par l’article 20 de la loi s’agissant de l’art. 347, 3°, c. civ). En dernier lieu, le nouvel alinéa 2 éclaircit lui aussi les pouvoirs accordés par la loi aux futurs parents, en sécurisant et en clarifiant « le type d’actes [qu’ils] peuvent accomplir pendant le placement » (Ibid., p. 28), même si la rédaction définitive du texte pourra apparaître plus large que celle proposée par les sénateurs en première lecture (J. Houssier, Proposition de loi visant à réformer l’adoption : coup de rabot ou coup d’épée dans l’eau des Sénateurs ?, préc.), précisément pour permettre l’accomplissement d’actes relatifs à la santé de l’enfant (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 4897, 12 janv. 2022, p. 16).

S’agissant de l’article 361-1, en revanche, la doctrine dénoncera certainement sa pertinence. Aux termes de la loi nouvelle, ce texte énonce en effet que « Le placement en vue de l’adoption (simple) est réalisé par la remise effective aux futurs adoptants d’un pupille de l’État ou d’un enfant déclaré judiciairement délaissé », sans autres précisions. La Chambre basse accomplit ainsi l’exploit de créer un article à la rédaction à la fois maladroite (les anciens termes bannis de l’article 351 refaisant surface ici) et incomplète (aucune précision n’étant fournie relativement aux effets de ce placement). On en retiendra toutefois l’extension de la procédure de placement à l’adoption simple, pour les seuls enfants pupilles de l’État ou déclarés délaissés par décision judiciaire (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 4897, 12 janv. 2022, p. 16). 

Prohibition de l’adoption entre ascendants et descendants en ligne directe et entre frères et sœurs

Revenant pour partie à la rédaction initiale de la proposition de loi du 30 juin 2020, l’article 5 de la loi nouvelle crée un article 343-3 portant prohibition de l’adoption « entre ascendants et descendants en ligne directe et entre frères et sœurs », sauf la possibilité pour le tribunal de « prononcer l’adoption s’il existe des motifs graves que l’intérêt de l’adopté commande de prendre en considération ». Sur ce point et lors de la navette parlementaire, le texte avait subi plusieurs évolutions, les députés ayant un temps proposé de prohiber plus largement « toute adoption conduisant à une confusion des générations », là où les sénateurs s’y étaient opposés en « considérant plus opportun de laisser au juge le soin d’apprécier l’intérêt de l’enfant au cas par cas, plutôt que d’établir une règle qui ne pourrait souffrir d’exception » (Adde M. Jourda, Rapport Sénat, n° 50, 13 oct. 2021, p. 27 s.). En prenant appui sur la rédaction initiale de la proposition de loi, tout en l’enrichissant d’une soupape de sécurité permettant l’adoption de l’enfant (simple ou plénière) pour « motifs graves », l’article 343-3 procède donc avec pertinence, tout en résolvant par la positive l’un des vieux débats du droit de la famille portant sur la possibilité pour les parents d’adopter leurs propres enfants (v. réc., J. Houssier, La filiation du parent d’intention au lendemain des arrêts du 18 déc. 2019, AJ fam. 2021. 359).

Remise en ordre du consentement des parents à l’adoption de leur enfant

L’article 6 de la loi réordonne ensuite les dispositions du code civil relatives au consentement des parents à l’adoption de leur enfant, que l’adoption soit interne ou internationale. Le texte fait ainsi remonter à l’article 348-3 les critères d’intégrité du consentement à l’adoption jusqu’alors prescrits par l’article 370-5, en posant au premier de ces textes que « Le consentement à l’adoption doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie après la naissance de l’enfant et éclairé sur les conséquences de l’adoption, en particulier s’il est donné en vue d’une adoption plénière, sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant ». Autrement dit, l’article 6 de la loi transpose à l’adoption interne les exigences de l’adoption internationale, en les précisant un peu plus, et ce afin de mettre en commun « la définition du consentement à l’adoption pour toutes les adoptions », aux dires des promoteurs de ce texte (Amendement n° 512). 

Ouverture de l’adoption du mineur âgé de plus de 13 ans ou du majeur protégé hors d’état de donner son consentement

Aux termes de l’article 7 de la loi nouvelle, le code civil se voit encore complété d’un nouvel article 348-7, autorisant le tribunal à « prononcer l’adoption, si elle est conforme à l’intérêt de l’adopté, d’un mineur âgé de plus de treize ans ou d’un majeur protégé hors d’état d’y consentir personnellement, après avoir recueilli l’avis d’un administrateur ad hoc ou de la personne chargée d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne ». En ouvrant cette nouvelle possibilité, les parlementaires facilitent donc l’adoption de ce public particulier, en prenant le soin de dissocier les cas de refus de consentement à l’adoption énoncés à l’article 348-6, de ceux d’absence de consentement issus de ce texte, mais en oblitérant au passage l’exigence de l’avis du représentant légal, au profit de celui de l’administrateur ad hoc (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 4897, 12 janv. 2022, p. 20).

Harmonisation du consentement de l’enfant à son changement de nom et prénom

De façon fort opportune, pour poursuivre, l’article 8 de la loi nouvelle « [harmonise] les conditions d’âge relatives aux changements de nom et de prénom [de l’enfant adopté] entre les procédures de droit commun [des] articles 60 et 311-23 du code civil, et celles propres à l’adoption » (ibid., p. 42). Pour ce faire, le dernier alinéa de l’article 357 est complété par l’exigence d’un consentement de l’enfant adopté de plus de 13 ans à son changement de prénom en cas d’adoption plénière, tandis que l’article 363 procède de même pour son changement de nom en cas d’adoption simple, en dépit des protestations émises par le Sénat sur ce point. L’harmonisation en résultant est donc réelle mais réduite, dans la mesure où l’enfant adopté en la forme plénière ne pourra pas s’opposer à son changement de nom, conformément aux principes mêmes de cette d’adoption. C’est pourquoi la réécriture de ces deux dispositions apparaîtra parfaitement opportune (Contra, P. Salvage-Gerest et all., art. préc., n° 13).

Rétroactivité de la loi du 2 août 2021 en cas d’AMP réalisée à l’étranger au sein d’un couple de femmes

À l’origine de l’échec de la Commission mixte paritaire, l’article 9 de la loi nouvelle consacre un dispositif transitoire permettant d’établir envers la co-mère la filiation de l’enfant né d’une assistance médicale à la procréation (AMP) réalisée à l’étranger, « lorsque, sans motif légitime, la mère inscrite dans l’acte de naissance de l’enfant refuse la reconnaissance conjointe prévue au IV de l’article 6 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique ». Ce dispositif présenté comme exceptionnel et applicable pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la loi nouvelle, impose à la co-mère de « rapporter la preuve du projet parental commun et de l’assistance médicale à la procréation réalisée à l’étranger avant la publication de la loi, dans les conditions prévues par la loi étrangère, sans que puisse (toutefois) lui être opposée l’absence de lien conjugal ni la condition de durée d’accueil prévue au premier alinéa de l’article 345 du code civil ».

Considéré comme « inacceptable » par la Chambre haute, ce dispositif avait suscité l’ire des sénateurs aux motifs qu’il conduirait « à se passer du consentement de la mère qui a accouché dans des conditions trop floues », qu’il « pourrait concerner des situations très anciennes puisqu’aucun délai n’est prévu pour la réalisation de l’AMP », et qu’il était en outre contraire à l’avis du Conseil national de la protection de l’enfance, lequel s’y était opposé au motif qu’il poursuivait « un autre but que l’intérêt supérieur de l’enfant en visant à régler des litiges entre adultes et à reconnaitre un droit sur l’enfant » (J. Houssier, Proposition de loi visant à réformer l’adoption : coup de rabot ou coup d’épée dans l’eau des Sénateurs ?, préc). Attaché à ce dispositif, l’Assemblée nationale sera donc passée en force pour l’imposer.

Nouvelle règlementation de l’agrément

À l’opposé, l’article 10 signe une certaine synergie des deux chambres relativement à la règlementation de l’agrément à l’adoption. À l’écoute de leurs collègues, « les députés ont [en effet] renoncé à réécrire des sections entières du code de l’action sociale et des familles, [en] n’apportant que les modifications souhaitées au droit existant comme l’y invitait le Sénat » (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 371, 19 janv. 2022, p. 9).

En ce sens, l’article L. 225-2 du code de l’action sociale et des familles (CASF) est d’abord modifié afin de mieux définir les finalités de l’agrément et d’imposer une condition d’âge aux candidats à l’adoption. Ainsi est-il enrichi d’un deuxième alinéa disposant que « L’agrément a pour finalité l’intérêt des enfants qui peuvent être adoptés », et exigeant qu’il soit « délivré lorsque la personne candidate à l’adoption est en capacité de répondre à leurs besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ». Au-delà, un troisième alinéa précise que « L’agrément prévoit une différence d’âge maximale de cinquante ans entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des enfants qu’ils se proposent d’adopter », étant précisé qu’en présence « de justes motifs, il peut être dérogé à cette règle en démontrant que l’adoptant est en capacité de répondre à long terme aux besoins mentionnés au deuxième alinéa du présent article ». Grâce à la loi nouvelle, cette dernière disposition opère donc son grand retour dans le CASF, après avoir été originellement placée dans le code civil par la proposition de loi, puis déplacée dans le CASF par les députés, puis replacée dans le code civil par les sénateurs… En définitive, son champ d’application en ressort donc limité aux seules adoptions exigeant un agrément, à l’exclusion des adoptions intrafamiliales épargnées par cette condition.

Par ailleurs, et dans le dessein de mieux accompagner les candidats à l’adoption, le même article L. 225-2 est complété d’un autre alinéa énonçant que « Pendant la durée de validité de l’agrément, le président du conseil départemental […] propose aux personnes agréées des réunions d’information ». Dans le même sens, l’article L. 225-3 renchérit en disposant qu’« Elles suivent une préparation, organisée par le président du conseil départemental […] portant notamment sur les dimensions psychologiques, éducatives, médicales, juridiques et culturelles de l’adoption, compte tenu de la réalité de l’adoption nationale et internationale, ainsi que sur les spécificités de la parentalité adoptive ». Destinées à répondre aux difficultés des candidats à l’adoption parfois constatées en pratique, ces dispositions devraient donc permettre une meilleure préparation à l’adoption pour une meilleure réussite du projet parental et, partant, une meilleure préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Définition de l’adoption internationale

Considérée comme un neutron législatif par plusieurs parlementaires (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 371, 19 janv. 2022, p. 8), la définition de l’adoption internationale est finalement gravée dans le code civil par la loi nouvelle. En des termes articulés autour du critère de la résidence habituelle de l’enfant, le nouvel article 370-2-1 prévoit ainsi que « L’adoption est internationale : 1° Lorsqu’un mineur résidant habituellement dans un État étranger a été, est ou doit être déplacé, dans le cadre de son adoption, vers la France, où résident habituellement les adoptants ; 2° Lorsqu’un mineur résidant habituellement en France a été, est ou doit être déplacé, dans le cadre de son adoption, vers un État étranger, où résident habituellement les adoptants ». Faisant fi de toute référence à la nationalité de l’enfant ou à celle des adoptants, la loi nouvelle privilégie donc une vision matérielle et non personnelle de la notion d’adoption internationale.

Autres évolutions

Parmi les autres points traités par la loi nouvelle, tous s’essayent à répondre aux problématiques récurrentes de l’adoption sans réécrire l’ensemble du code de l’action sociale et des familles. Ainsi, la loi :

introduit la possibilité pour les présidents de conseils départementaux de prolonger à titre dérogatoire et pour une durée de deux ans les agréments en vue de l’adoption en cours de validité à la date du 11 mars 2020, « lorsque le dossier de demande a été enregistré par une autorité étrangère et dont l’agrément est toujours valide à la date de promulgation de la loi » (art. 12), de « faire appel à des associations pour identifier, parmi les personnes agréées qu’elles accompagnent, des candidats susceptibles d’accueillir en vue [d’une] adoption des enfants à besoins spécifiques » (art. 13 ; CASF, art. L. 225-1 dernier al.), réintroduit une procédure d’autorisation et d’habilitation dédoublée des OAA, tout en complétant les textes leur étant propres (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 4897, 12 janv. 2022, p. 30) (art. 14 ; CASF, art. L. 225-11, L. 225-12, L. 225-19 ; C. civ., art. 348-4, 348-5, 353-1), oblige les personnes résidant habituellement en France à être accompagnées par un OAA ou l’Agence française de l’adoption pour adopter un mineur résidant habituellement à l’étranger (art.15 ; CASF, art. L. 225-14-3), organise un accompagnement par l’ASE des pupilles de l’État placés en vue de l’adoption comme des adoptants (art. 16 ; CASF, art. L. 225-18), ordonne la réalisation d’un bilan médical, psychologique et social des enfants admis en qualité de pupille de l’État, faisant notamment « état de l’éventuelle adhésion de l’enfant à un projet d’adoption, si l’âge et le discernement de l’enfant le permettent » (art. 19 ; CASF, art. L. 225-1), réécrit les derniers alinéas de l’article L. 244-5 CASF relatifs à la remise d’un enfant à l’ASE par ses parents en vue de son admission comme pupille de l’État, en maintenant le recueil de leur consentement exprès et éclairé, spécialement sur la possibilité pour l’enfant d’être adopté, levant ainsi les craintes émises par plusieurs associations (E. Lucas, Réforme de l’adoption, les pièges d’une modernisation à tout prix, La Croix, 17 janv. 2022) (art. 20 ; CASF, art. L. 244-5 ; C. civ., art. 347), précise la composition et le fonctionnement du Conseil de famille, en imposant la présence d’une personne qualifiée en matière d’éthique et de lutte contre les discriminations (sur ce point, v. E. Lucas, Adoption : la nouvelle composition des conseils de famille inquiète, La Croix, 17 janv. 2022) et la formation obligatoire de ses différents membres art. 21 ; CASF, art. L. 224-2, L. 224-3, L. 224-3-1), confirme l’information des pupilles de l’État par leurs tuteurs des décisions les concernant (art. 22 ; CASF, art. L. 224-1-1), étend l’examen par les commissions pluridisciplinaires et pluri-institutionnelles chargées d’examiner la situation des enfants confiés à l’ASE depuis plus d’un an, lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins, des enfants de moins de 2 ans à ceux de moins de 3 ans (art. 23 ; CASF, art. L. 223-1, L. 223-5), réécrit l’art. 411 c. civ. relatif à la vacance de la tutelle (art. 24 ; C. civ., art. 411), et assouplit aussi le régime applicable au congé d’adoption (art. 25 ; CASF, art. L. 161-6, L. 331-7 ; C. trav., art. L. 1225-37, L. 1225-40, L. 3142-1).

Ordonnance balais

Pour finir et pour désespérer peut-être les lecteurs de ces lignes, la loi nouvelle habilite enfin le gouvernement, contre l’avis des sénateurs (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 371, 19 janv. 2022, p. 10), à prendre par voie d’ordonnance et dans un délai de huit mois « toute mesure relevant du domaine de la loi visant à modifier les dispositions du code civil et du code de l’action sociale et des familles en matière d’adoption, de déclaration judiciaire de délaissement parental, de tutelle des pupilles de l’État et de tutelle des mineurs dans le but :
     1° De tirer les conséquences, sur l’organisation formelle du titre VIII du livre Ier du code civil, de la revalorisation de l’adoption simple réalisée par la présente loi et de la spécificité de l’adoption de l’enfant de l’autre membre du couple;
     2° D’harmoniser ces dispositions sur un plan sémantique ainsi que d’assurer une meilleure coordination entre elles ».
C’est dire que la présente loi ne pourrait être que la première partie de la réforme de l’adoption, ce renvoi au gouvernement illustrant de nouveau les dérives du recours désormais ordinaire à la procédure accélérée.

Contrat de maîtrise d’œuvre : examen de la régularité d’une clause abusive

À l’heure où la sanction du déséquilibre significatif fait l’objet de contributions régulières de la Cour de justice de l’Union européenne (v. dern., CJUE 19 sept. 2019, aff. C-34/18, Dalloz actualité, 9 oct. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 1831 image ; AJ contrat 2019. 493, obs. V. Legrand image ; RTD com. 2019. 963, obs. D. Legeais image) et traverse nombre de codes (C. consom., art. L. 212-1 ; C. com., art. L. 442-6, I, 2° ; C. civ., art. 1171), l’articulation entre les textes interroge (Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782, Dalloz actualité, 1er févr. 2022, obs. C. Hélaine). Dans ce domaine fertile, le contentieux se profile : quant à la qualification de clause abusive et quant à son régime. Le présent arrêt traverse ces interrogations, appliquées à un contrat d’entreprise liant un maître d’ouvrage consommateur à un maître d’œuvre. Il confirme, au fond, que la clause ayant pour objet ou pour effet d’entraver l’exercice d’actions en justice est présumée abusive dans les contrats de consommation. Sur la forme, la décision étend l’office du juge dans le cadre d’un contrat de maîtrise d’œuvre.

Déséquilibre significatif

Le contrat de louage d’ouvrage est peu à peu devenu un terrain expérimental puis d’élection de clauses jugées abusives. Dans l’affaire rapportée, le contrat fut conclu en 2012, soit avant la réforme du droit des obligations ayant institué la sanction du déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion (l’art. 1171 du c. civ. n’était donc pas applicable). Seul le code de la consommation pouvait être invoqué par le maître d’ouvrage à l’appui de sa demande (pour une analyse approfondie, M. Poumarède, Les contrats de construction et le droit de la consommation, RDI 2017. 8). Sur le fondement d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, le code de la consommation permet au consommateur, notamment immobilier, de solliciter la sanction d’une clause abusive (art. L. 212-1). En l’espèce, le contrat stipulait que les parties s’engageaient « en cas de litige sur l’exécution de ce contrat, à saisir la commission de conciliation de l’association Franche-Comté Consommateurs avant toute procédure judiciaire ». L’enjeu de la qualification était important car à défaut d’existence d’un déséquilibre significatif créé par la clause litigieuse, le code de procédure civile imposait au juge d’opposer au demandeur à l’action une fin de non-recevoir. L’intérêt de l’examen du déséquilibre significatif en cause touchait moins à sa dimension civiliste rejoignant l’économie générale du contrat qu’à la question de la disponibilité du droit fondamental d’agir en justice.

Sur le fond : examen de la clause de conciliation préalable

La cour d’appel a jugé la clause litigieuse constitutive d’une fin de non-recevoir, faute d’avoir été respectée. À l’appui de ce raisonnement, l’article 122 du code de procédure civile apporte une liste non-exhaustive de fins de non-recevoir des actions en justice. Toutefois, la jurisprudence est venue préciser que la régularité d’une telle clause est soumise à l’examen des droits dont elle est l’objet. En particulier, la Cour de cassation liant la régularité de cette clause aux contrats mettant en cause des droits disponibles, a jugé qu’elle était « présumée abusive » dans les contrats de consommation (Civ. 1re, 16 mai 2018, n° 17-16.197, D. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image). En l’espèce, l’insuffisante motivation de la décision des juges du fond a conduit à sa cassation partielle, pour défaut de base légale. Reprenant le visa de la jurisprudence antérieure (C. consom., anc. art. L. 132-1 devenu L. 212-1 et anc. art. R. 132-2, 10° devenu art. R. 212-2, 10°), l’arrêt présenté n’est pas novateur en établissant que la clause contraignant le consommateur, en cas de litige, à recourir obligatoirement à une conciliation avant la saisine du juge, « est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire ». L’article R. 212-2, 10°, du même code permet en effet plus largement, de présumer abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet de « supprimer ou entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges ».

Ainsi, la logique de lutte contre les clauses entravant l’exercice d’actions en justice, dites « clauses grises » se poursuit et laisse d’actualité les vœux pourtant anciens de les intégrer dans la liste noire en ce qu’elles constituent une atteinte grave à l’équilibre des droits et des obligations (en ce sens, S. Amrani-Mekki, Décret du 18 mars 2009 relatif aux clauses abusives : quelques réflexions procédurales, RDC 2009. 1617 ; J. Rochfeld, Clauses abusives – Listes réglementaires noire et grise. Décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 portant application de l’article L. 132-1 du code de la consommation, RTD civ. 2009. 383).

La législation contemporaine en vogue, multipliant les obligations de tentatives préalables de résolution amiable des litiges jusqu’à les instituer en ligne (N. Fricero, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, 2021-2022, spéc. nos 116.61 et 116.62), pourrait sembler heurter cette position. À y regarder de plus près, il n’en est rien. Nombre de domaines régis par le code de la consommation en sont exclus (crédits à la consommation et immobiliers) et plus particulièrement, les litiges dont le montant excède 5 000 € (C. pr. civ., art. 750-1). Dans ses applications immobilières, l’article 750-1 du code de procédure civile vient également circonscrire les obligations de tentatives de résolution amiable des litiges : aux actions en bornage (COJ, art. R. 211-3-4), aux actions relatives à la distance des lieux pour les plantations, aux constructions de l’article 674 du code civil, au curage des fossés et canaux, aux contestations relatives aux servitudes instituées par les articles L. 152-14 à L. 152-23 du code rural et de la pêche maritime, 640 et 641 du code civil et celles établies au profit des associations syndicales (COJ, art. R. 211-3-8). En dehors de ces quelques cas légalement institués et somme toute résiduels, les clauses afférentes à l’obligation pour le consommateur, de recourir à une médiation avant la saisine du juge demeurent par l’appréciation souveraine des juges du fond, « présumées abusives ». Le droit fondamental d’agir en justice reste ainsi préservé dans les contrats de consommation et en particulier, dans le contrat liant un maître d’ouvrage « consommateur immobilier » à un maître d’œuvre. Rappelons que ce dernier reste libre par ailleurs de rapporter la preuve du caractère non-abusif de la clause litigieuse. Il pourra notamment démontrer que le recours au juge n’est pas écarté mais « suspendu » et que le consommateur reste libre d’exercer une action en justice à défaut de conclusion d’un accord amiable. La nuance réside dans la distinction entre la renonciation à un droit fondamental (clause abusive) et son aménagement (clause qui pourrait être valable. Pour une analyse approfondie, S. Amrani-Mekki, préc.). Toutefois, la jurisprudence n’a jamais accueilli ce raisonnement (Civ. 1re, 16 mai 2018, préc.) et continue de tenir à distance l’exigence du code de la consommation présumant abusive la clause visant à obliger le consommateur « à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges ». En l’espèce la clause n’emportait pas de passage exclusif par la conciliation mais un passage avant toute procédure judiciaire. Pour autant, la Cour de cassation l’a jugée abusive, traduisant sa volonté de protéger davantage le consommateur immobilier dont les contrats se rapportent à des enjeux pécuniaires et assurantiels importants.

Sur l’office du juge : relevé d’office de la clause abusive

Le juge a-t-il la faculté ou l’obligation de relever une clause présumée abusive ? À cet égard, le moyen du pourvoi soulevait que « le juge doit examiner d’office le caractère abusif des clauses invoquées par une partie dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ». L’argument reprend littéralement la solution établie par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 20 sept. 2018, aff. C-51/17, D. 2018. 1861 image ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki image ; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; AJ contrat 2018. 431, obs. E. Bazin image ; 4 juin 2009, aff. C-243/08, D. 2009. 2312 image, note G. Poissonnier image ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero image ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; Rev. prat. rec. 2020. 17, chron. A. Raynouard image ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay image ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais image). Dans cette veine, la Cour de cassation, censurant la fin de non-recevoir opposée par la cour d’appel, établit qu’il appartenait au juge « d’examiner d’office la régularité d’une telle clause » (au visa de l’art. R. 632-1 c. consom.).

Elle poursuit ainsi l’édification d’un régime procédural protecteur des droits substantiels des consommateurs victimes de clauses abusives (pour une étude d’ensemble, C. Boillot, Le régime des clauses relatives au litige, RTD com. 2013. 1), à l’instar de celui plus récemment appliqué aux non-professionnels (Civ. 2e, 14 oct. 2021, n° 19-11.758, Dalloz actualité, 20 oct. 2021, obs. C. Hélaine ; Civ. 3e, 6 mai 2015, n° 13-24.947 P, D. 2015. 1100 image ; ibid. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RDI 2015. 355, obs. F. Garcia image), en imposant au juge de relever d’office les dispositions consuméristes y afférentes. Où la procédure conforte le droit substantiel et partant, tempère la liberté contractuelle.

Enfin, alors qu’est désormais installée la notion de « consommateur immobilier » et que s’y adjoint progressivement celle de « non-professionnel immobilier », il reste à parfaire le régime jusqu’à son application aux SCI, dont le contentieux a laissé émerger la notion plus complexe de « professionnel de l’immobilier / non-professionnel de la construction » (Civ. 3e, 7 nov. 2019, n° 18-23.259, Dalloz actualité, 26 nov. 2019, obs. D. Pelet ; D. 2020. 55 image, note S. Tisseyre image ; ibid. 353, obs. M. Mekki image ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RDI 2019. 617, obs. B. Boubli image ; AJ contrat 2020. 37, obs. Y. Picod image ; Rev. prat. rec. 2020. 23, chron. R. Bouniol image ; 4 févr. 2016, n° 14-29.347 P, D. 2016. 639 image, note C.-M. Péglion-Zika image ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki image ; ibid. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJDI 2016. 623 image, obs. F. Cohet image ; RDI 2016. 290, obs. B. Boubli image ; AJCA 2016. 200, obs. S. Carval image). Les dispositions de fond et de forme sont désormais nombreuses et éparses en matière de lutte contre les clauses abusives. L’enchevêtrement des codes civil, de la construction et de l’habitation, de la consommation et de procédure civile commandera sans doute de remettre encore l’ouvrage sur le métier… « hâtez-vous lentement, et sans perdre courage » prévenait Nicolas Boileau.

Dénigrement et pratiques commerciales déloyales et trompeuses envers les syndics

Syndics 1 – Matera 0 …

Peut-on rire de tout ? Oui, mais pas avec tout le monde répondait Pierre Desproges. Et assurément, on ne saurait rire des syndics, sinon avec parcimonie. C’est du moins le sens du jugement rendu le 24 janvier 2022 par le tribunal de commerce de Paris dans l’affaire opposant la FNAIM du Grand Paris, l’ANGC, le SNPI et Foncia à la start-up Matera. En cause, une campagne publicitaire considérée comme dénigrante envers les professionnels et une ambiguïté dans la terminologie employée pouvant induire en erreur les copropriétaires sur le rôle réel de Matera.

En 2020, la société Matera a entrepris une campagne publicitaire, #Mercisyndic, se voulant humoristique et pastichant les reproches des copropriétaires envers leurs syndics. Ont ainsi fleuri sur les abribus et les quais du métro parisien des affiches au contenu ironique tel que « Merci syndic pour votre musique d’attente, maintenant je connais Vivaldi par cœur » ou encore « Merci syndic pour le chauffage H.S., ça me permet de garder la tête froide ». Et chacune de se conclure par la mention « Remerciez votre syndic pour de bon, votez Matera à la prochaine AG ».

En parallèle, un site internet mercisyndic.com était créé pour y organiser un mini-jeu dans lequel les noms et logos des principaux syndics y étaient parodiés. On y trouvait ainsi Sergium, Cityum, Nexitium, Foncinium et Oralium. Le visiteur du site était alors invité à « remercier » son syndic en cliquant sur le logo correspondant, ce qui s’avérait impossible, celui-ci se dérobant dès que le curseur de la souris se rapprochait de lui.

Sans surprise, les professionnels n’ont que très modérément apprécié cette campagne publicitaire, estimant, entre autres, qu’elle était...

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Saisie immobilière : réponse tardive du créancier à la proposition de vente amiable du débiteur

Le 3 février 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a prononcé un arrêt qui doit retenir l’attention, en ce qu’il permet de raisonner, dans le contexte d’une procédure de saisie immobilière, sur la portée du droit du créancier de poursuivre le recouvrement de sa créance, sur la place de l’exécution « amiable » lato sensu ainsi que sur le caractère d’ordre public des procédures civiles d’exécution.

Les faits de l’espèce peuvent être résumés comme il suit. À l’initiative d’une banque, un commandement de payer valant saisie immobilière est délivré en août 2015 à un couple de débiteurs, puis est publié en septembre de cette même année. Le 12 octobre, un notaire adresse à ladite banque une lettre l’informant du souhait des débiteurs de vendre l’immeuble saisi et lui demandant de lui communiquer le montant de la créance. Trois semaines plus tard, la banque est relancée directement par les débiteurs dans le but d’obtenir son accord en vue de procéder à la vente amiable et de connaître le montant actualisé de la créance. Le 6 novembre, la banque rédige un courrier précisant qu’elle ne s’oppose pas au principe d’une vente amiable et, le 20 novembre, assigne les débiteurs à une audience d’orientation. Huit mois plus tard, le juge de l’exécution (JEX) fixe la créance et autorise les débiteurs à vendre amiablement l’immeuble. Néanmoins, en mai 2017, du fait de l’absence de réalisation de la vente amiable au prix judiciairement déterminé,...

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De l’étendue de l’obligation de couverture de la sous-caution

La thèse de Christian Mouly a permis à la pratique et à la jurisprudence de distinguer dans le contentieux du cautionnement entre l’obligation de couverture et l’obligation de règlement (C. Mouly, Les causes d’extinction du cautionnement, Librairies techniques, coll. « Bibliothèque de droit des entreprises », 1979, préf. M. Cabrillac, spéc. n° 255). Cette distinction désormais fondamentale a engendré de nombreuses études à son sujet pour mieux en cerner les contours tant sa dimension pratique reste aujourd’hui indispensable (pour un renouvellement de la question, V. Mazeaud, L’obligation de couverture, IRJS, coll. « Bibliothèque de l’Institut de Recherche juridique de la Sorbonne/André Tunc », 2010, préf. P. Jourdain, lequel propose deux conceptions différentes de l’obligation de couverture). On enseigne traditionnellement que l’obligation de couverture permet d’expliquer le cautionnement des dettes futures : la caution étant tenue d’une obligation de couverture diffuse dans le temps et, ponctuellement, d’obligations de règlements quand elle est effectivement appelée à pallier la défaillance du débiteur principal (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, 7e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 105, n° 111). L’arrêt rendu par la chambre commerciale le 9 février 2022 utilise cette distinction essentielle du droit des sûretés personnelles pour évoquer une question délicate, celle du sous-cautionnement. On sait qu’il faut différencier avec soin la situation de la sous-caution de celle du certificateur de caution (L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, 15e éd., LGDJ, coll. « Droit civil », 2021, p. 82, n° 71). Le premier garantit la caution contre le risque de ne pas pouvoir se désintéresser de ce qu’elle a payé envers le débiteur principal tandis que le second paiera à la place de la caution en cas de défaillance de cette dernière. La portée de l’obligation de la sous-caution est au cœur de l’arrêt commenté aujourd’hui. La question posée par le pourvoi se résume à la détermination de cette obligation de couverture, notamment concernant les dates de paiement par la caution de la dette du débiteur principal et la portée de son recours contre la sous-caution.

Les faits permettent de comprendre dans quelle situation le pourvoi est né. Deux personnes physiques sont dirigeantes d’un groupe de promotion immobilière composé de plusieurs sociétés civiles de construction-vente...

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Une nouvelle gouvernance pour relancer le projet Portalis

Le projet de dématérialisation de la chaîne civile Portalis, jusqu’ici rattaché à la sous-direction de l’organisation judiciaire et de l’innovation de la direction des services judiciaires, vient d’être confié au cabinet du directeur des services judiciaires. Plus précisément, c’est la magistrate Félicie Callipel qui sera désormais chargée de ce dossier.

La nouvelle patronne de Portalis, chef de cabinet du directeur des services judiciaires de 2016 à 2019, vient de quitter ses fonctions de vice-présidente au pôle des affaires familiales et secrétaire générale adjointe de la présidente du tribunal judiciaire de Nanterre. Elle devrait être épaulée par un directeur technique venu du service du numérique du ministère et une équipe en charge du projet réunissant des représentants de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage.

Un changement poussé par un audit de la Dinum

Ce nouveau positionnement du projet Portalis doit permettre, explique le ministère dans une note à l’intention des organisations syndicales, la « mise en place d’une gouvernance unique et resserrée autour d’un directeur de programme ayant capacité de décision sur les dimensions essentielles du projet ». Cette « équipe projet limitée en administration centrale » va, poursuit le ministère, se focaliser sur « le développement d’un seul contentieux à la fois », sauf exceptions et briques transverses. Enfin, la place Vendôme promet une « implication forte des juridictions dans la conception et la conduite du changement ».

Si la nouvelle gouvernance de Portalis succède de quelques jours à la publication du cinglant rapport de la Cour des comptes sur le plan de transformation numérique de la justice, ce changement était déjà acté, faisant suite à un audit, au premier semestre 2021, de la direction interministérielle du numérique (Dinum). La sous-direction de l’organisation judiciaire et de l’innovation avait ainsi elle-même, dans une note interne, constaté « son incapacité à agir sur la maîtrise d’œuvre », rapporte la Cour des comptes dans son rapport.

Cette note soulignait également « la nécessité pour Portalis de disposer d’une gouvernance unifiée pour avoir une vision sur l’ensemble des composantes du projet et pour en assurer un pilotage global ». Selon la Cour des comptes, la direction de Portalis, dévolue sur le papier à la directrice de programme « procédure civile numérique », était dans les faits partagée entre la direction des services judiciaires et le service du numérique, « engendrant des développements complexes et imparfaits ».

Calendrier attendu

Sur LinkedIn, la nouvelle patronne de Portalis Félicie Callipel précise avoir pour objectif « d’unifier en une seule chaîne applicative informatique le traitement de l’ensemble des procédures civiles, aujourd’hui gérées par huit outils informatiques hétérogènes ». « La nouvelle application viendra compléter le dispositif lancé en 2016 avec le site d’information justice.fr, le déploiement national du portail du service d’accueil unique du justiciable en 2018 et l’ouverture de téléservices pour le justiciable ». Expérimentée dans trois juridictions tests, les conseils de prud’hommes de Bordeaux, Nantes et Dijon, l’application Portalis doit permettre le traitement de l’intégralité de la procédure. L’application devrait être étendue aux 208 autres conseils de prud’hommes à partir du début de l’année 2022.

De même, les services de saisine en ligne via justice.fr doivent également être étendus cette année. Depuis l’an passé, les justiciables peuvent constituer et adresser leur demande à la juridiction compétente. Cette faculté ouverte pour le moment aux constitutions de partie civile par voie d’intervention, aux requêtes pour la gestion des mesures de protection des majeurs et aux requêtes devant le juge aux affaires familiales, devrait être étendue à d’autres procédures, comme le contentieux locatif ou prud’homal, dans le courant de l’année.

Le coût du projet Portalis, estimé à 28 millions d’euros en 2013, a été réévalué à 77 millions d’euros en 2020. C’est, relevait la Cour des comptes, « le plus important et le plus ambitieux projet informatique mené par le ministère de la Justice, qui en a fait un projet phare de son plan de transformation numérique, suscitant ainsi de nombreuses attentes à son endroit ».

Quelques rappels autour de la prescription en matière de subrogation personnelle

L’arrêt du 2 février 2022 examine une question au croisement de plusieurs pans de la théorie générale de l’obligation. Il intéresse d’abord la subrogation personnelle dont on connaît l’utilité pour le tiers solvens notamment pour la transmission des accessoires de la dette pour que ce tiers puisse se désintéresser de son paiement contre celui devant supporter définitivement la charge de la dette (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 1553, n° 1474). L’arrêt est, ensuite, l’occasion d’étudier des questions de point de départ de la prescription qui décidément continuent de faire parler d’eux notamment en matière de prêt ou de cautionnement pour ce début d’année 2022 (Civ. 1re, 5 janv. 2022, quatre arrêts nos 20-16.031, 19-24.436, 20-18.893 et 20-16.350, Dalloz actualité, 17 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 4 image). Notons, à titre préliminaire, que la première chambre civile a utilisé la possibilité que lui laisse l’article 1015-1 du code de procédure civile de statuer sur le premier moyen en sollicitant l’avis de la deuxième chambre civile, spécialiste de ces questions de prescription au croisement entre droit des obligations et procédure civile. Cet aspect permet une meilleure communication entre les chambres et surtout une harmonisation du contentieux qui souffrait de quelques hésitations en la matière. L’arrêt du 2 février 2022 permet, enfin, de mêler l’intégralité de ces problématiques à une action particulière, celle résultant d’un défaut de conformité dans une vente. Voici un cocktail pluriel au goût acidulé pour tout commentateur des questions de droit des obligations.

Les faits prennent comme point de départ l’acquisition d’un navire par une société pour un prix de 450 000 €. Ledit navire est donné en location de cent vingt mois avec option d’achat. Le locataire signe le procès-verbal de réception le 28 janvier 2011. À l’automne suivant, le 29 octobre 2011, le navire prend feu. L’assureur du locataire indemnise alors fort logiquement son assuré et l’acquéreur, lequel donne quittance le 27 février 2012. Le 19 avril 2013, l’assureur invoque un défaut de conformité et assigne en résolution de la vente le vendeur qui oppose la prescription de l’action. Le tribunal de Fort-de-France déclare prescrite l’action de l’assureur dans un jugement du 10 janvier 2017. La société d’assurance interjette appel. La cour d’appel de Fort-de-France confirme intégralement le jugement entrepris en considérant également comme prescrite l’action de l’assureur sur le fondement de l’article L. 211-12 du code de la consommation. Nous aurons donc compris que c’est la société d’assurance qui se pourvoit en cassation. Elle argue de deux...

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L’exécution provisoire, le droit transitoire et l’excès de pouvoir

Dans le « chantier permanent » (G. Wiederkehr, L’accélération des procédures et les mesures provisoires, RID comp. 1998. 449, spéc. p. 449) qu’est tous les jours davantage la procédure civile contemporaine surgissent inévitablement des difficultés d’application des textes dans le temps. La réforme issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 n’échappe pas à ce constat ! Parmi les nombreuses modifications du décret figurent celles relatives à l’exécution provisoire de droit. Rappelons de quoi il s’agit.

En procédure civile, par principe, le délai d’appel et l’exercice du droit d’appel ont un effet suspensif d’exécution (C. pr. civ., art. 539) qui retarde l’acquisition de la force de chose jugée par le jugement (C. pr. civ., art. 500). La force de chose jugée étant, en principe, l’une des conditions pour poursuivre l’exécution forcée du jugement (C. pr. civ., art. 501), l’appel devrait empêcher la poursuite de l’exécution forcée.

Cependant, l’acquisition de la force de chose jugée n’est pas toujours nécessaire pour poursuivre l’exécution forcée d’un jugement. La loi prévoit que le jugement, même non passé en force de chose jugée, peut être exécutoire lorsque « le créancier bénéficie de l’exécution provisoire » (C. pr. civ., art. 501). En pareil cas, l’exécution forcée peut, à certaines conditions, être poursuivie même en cas d’exercice d’une voie ordinaire de recours comme l’appel, ce qui inhibe l’effet suspensif de cette voie de recours (sans pour autant y faire exception, puisque le jugement n’acquiert pas pour autant force de chose jugée). L’exécution poursuivie n’est alors pas définitive : elle est simplement provisoire, de sorte qu’en cas de réformation ou d’annulation du jugement, il appartiendra au bénéficiaire de l’exécution provisoire d’opérer des restitutions (sur cette distinction entre exécution définitive et provisoire, v. N. Fricero, Procédure civile, sept. 2021, Lextenso, mémentos, nos 318 et 321). Le perdant pourra aussi demander l’arrêt de l’exécution provisoire au premier président de la cour d’appel, ce qui aura pour effet de rendre à l’effet suspensif de l’appel sa plénitude d’intensité.

Avant le décret du 11 octobre 2019, l’exécution provisoire devait, en principe, être ordonnée par le juge ; il s’agissait d’une manifestation nette de l’imperium du juge qui décidait de rendre son jugement exécutoire par provision (R. Laher, Imperium et jurisdictio en droit judiciaire privé, 2017, Mare & Martin, coll. « Bibliothèque des thèses », n° 350) ; l’exécution provisoire était fréquemment ordonnée.

Dans le dessein...

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En matière de délais, notification sur notification ne vaut !

La notification d’un jugement poursuit plusieurs objectifs majeurs. L’un d’eux est de faire courir les délais de recours (C. pr. civ., art. 528). En principe, il appartient à la partie la plus diligente de le faire signifier par acte d’huissier de justice à ses adversaires (C. pr. civ., art. 675), le cas échéant, après une notification à avocat dans les procédures avec représentation obligatoire (C. pr. civ., art. 678).

Mais dans certaines procédures, au titre desquelles figure la procédure devant le juge de l’exécution, la mission de notification est confiée au greffe. Celui-ci procède alors en la forme ordinaire, par voie de lettre recommandée avec avis de réception (C. pr. civ., art. 665-1 s.). Dans ce cas, le code de procédure civile prévoit que « la notification peut toujours être faite par voie de signification alors même que la loi l’aurait prévue sous une autre forme » (C. pr. civ., art. 651, al. 3). En conséquence, « il est plus fréquent qu’on ne le suppose qu’un jugement fasse l’objet de plusieurs notifications » (R. Perrot, obs. ss. Civ. 2e, 5 févr. 2009, n° 07-13.589, Procédures 2009. Comm. 107). Il en va ainsi lorsque le greffe notifie le jugement, dans les cas où la loi le prévoit, et qu’une partie procède de son côté à une signification de la même décision.

Dans ces situations, quelle notification fait courir le délai de recours ? La première ou la seconde ? Cette question classique se retrouve au centre de l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 13 janvier 2022.

En l’espèce, un juge de l’exécution a débouté une partie de sa demande aux fins de liquidation d’une astreinte. Le greffe procède à la notification par lettre recommandée de ce jugement aux parties, lettre dont la demanderesse accuse réception régulièrement. Deux jours après, le jugement est signifié à cette même partie. L’appel (dont le délai est de quinze jours en la matière, C. pr. exéc., art. R. 121-20) est interjeté par la perdante dans le délai de la signification mais non dans le délai de la notification par le greffe … Laquelle des deux notifications, première ou seconde, avait-elle fait courir le délai de recours ?

La Cour de cassation énonce que « lorsqu’un jugement est notifié à deux reprises, la première notification régulière fait courir les délais de recours ». La solution est classique. Elle procède du rappel de deux règles pouvant être formulées ainsi : d’une part, « notification sur notification irrégulière vaut » ; d’autre part, « notification sur notification régulière ne vaut ».

Notification sur notification irrégulière vaut

L’arrêt réaffirme que la première notification ne fait courir les délais de recours que si elle est régulière. En l’espèce, la première notification était celle réalisée à la diligence du greffe, conformément aux dispositions qui régissent le contentieux de l’exécution (C. pr. exéc., art. R. 121-15) et le droit commun du procès (C. pr. civ., art. 670 et 670-1) applicable devant le juge de l’exécution (C. pr. exéc., art. R. 121-5). Cette notification du greffe s’était révélée efficace puisque le destinataire avait signé l’avis de réception, ce qui vaut notification à personne (C. pr. civ., art. 670), la signature étant présumée, jusqu’à preuve contraire, être celle du destinataire ou de son mandataire (Civ. 2e, 1er oct. 2020, n° 19-15.753 P, D. 2020. 1959 image ; Rev. prat. rec. 2020. 9, chron. D. Cholet, M. Draillard, Rudy...

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Gestion d’affaires et exécution des obligations contractées

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provencele 10 février 2022

Civ. 1re, 2 févr. 2022, F-B, n° 20-19.728

La gestion d’affaires occupe une place discrète dans le contentieux de la première chambre civile de la Cour de cassation, notamment dans les arrêts publiés au Bulletin. En 2020, nous avions commenté une décision ayant conduit les juges à déterminer que le remboursement du gérant d’affaires n’était pas assimilable à une rémunération (Civ. 1re, 18 nov. 2020, n° 19-10.965, Dalloz actualité, 17 déc. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 2343 image ; AJ fam. 2021. 247, obs. J. Casey image). Voici un nouvel arrêt rendu par la Cour de cassation le 2 février 2022 s’intéressant à la question sous un angle assez original. Notons à titre préliminaire que cet arrêt applique les articles 1372 à 1375 du code civil anciens car les faits sont antérieurs au 1er octobre 2016. Le syndic d’un immeuble accepte le 4 mars 2015 un devis établi à sa demande par une société de transport pour le déménagement et la mise en garde-meubles de cartons et marchandises à la suite de l’effondrement partiel de l’immeuble en question. La société de transport exécute ses obligations et émet plusieurs factures à destination du syndic. Ce dernier estime ne pas être débiteur : il précise que la facturation doit être établie au nom de l’exploitant du commerce bénéficiaire du déménagement pour éviter les conséquences éventuelles de l’effondrement. C’est dans ce contexte que la société créancière apprend la gestion d’affaires. Le 18 mai 2016, la société de transport assigne en paiement le syndicat des copropriétaires, le syndic et l’exploitant du commerce ayant bénéficié du déménagement. Le syndicat de copropriétaires appelle en garantie son assureur durant la première instance. Le 7 décembre 2017, l’exploitant dudit fonds est placé en liquidation judiciaire. La société de transport déclare ainsi sa créance à la procédure collective et assigne le mandateur liquidateur en intervention forcée. Le tribunal de grande instance de Paris condamne notamment le syndicat de copropriétaires à payer à la société de transport une somme de 46 860 €. Le syndic interjette appel de cette décision. Les juges du fond infirment, à cette occasion, la décision de première instance. La cour d’appel de Paris limite la condamnation du syndic jusqu’à la date de révélation du maître de l’affaire, soit au 26 janvier 2016. Elle fixe la créance de...

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Qu’importe le flacon, pourvu que l’on finance

Les questions d’argent ne sont pas moins délicates quand elles se posent dans le cadre familial. La situation dans une indivision familiale peut vite devenir compliquée et porter définitivement atteinte aux liens entre ses membres. Les exemples ne manquent pas et cette affaire en est une nouvelle illustration. Toutefois, elle nous offre une réponse intéressante sur la question des dépenses relavant de l’article 815-13, alinéa 1er, du code civil.

Le 26 septembre 2006, Mme FH achète un bien immobilier en indivision avec MM. XT et GT (les consorts T), ses petits-fils. Pour financer cet achat sont souscrits un crédit relais et deux prêts amortissables de 120 000 et 180 000 € respectivement. Mme FH opère le remboursement d’échéances des prêts (à hauteur de 7 416,28 € et 15 505,49 €) et solde le crédit relais en date du 20 novembre 2006. La situation entre les indivisaires se tend et de nombreux litiges naissent. À la suite d’un jugement ordonnant le partage de l’indivision, le 24 septembre 2013, le notaire chargé de ce dernier rend un procès-verbal de difficulté. Alors que la procédure judiciaire est en cours, Mme FH décède le 1er mai 2014. Elle laisse pour lui succéder, d’une part, Mme JW et, d’autre part, Mmes KW, NW et SW (les consorts W). Les consorts W sont intervenues volontairement pour reprendre l’instance. La cour d’appel (Paris, 12 févr. 2020, n° 18/18900) fait droit aux demandes des consorts W et fixe la créance des ayants droit de Mme FH, au titre des dépenses de conservations à hauteur de 422 648,84 € correspondant aux sommes versées tant au titre des échéances des prêts amortissables qu’au titre du paiement du crédit relais.

Les consorts T forment alors un pourvoi contre la décision. Par leur pourvoi, les requérants demandaient à la haute juridiction de se prononcer sur l’applicabilité de l’article 815-13 du code civil au remboursement d’un crédit relais. Ils invoquaient que le remboursement d’un crédit relais constituait une dépense d’acquisition – ne relevant pas de l’empire de ce texte – et non une dépense de conservation.

Malheureusement pour eux, la première chambre civile ne fait pas sienne leur argumentation et rejette leur pourvoi. En effet, la Cour énonce que « le règlement...

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De l’appréciation de la disproportion du cautionnement conclu par des époux communs en biens

La disproportion du cautionnement continue d’occuper une part non négligeable des arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation en ce début de l’année 2022 (v. not. Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-17.325, Dalloz actualité, 18 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 68 image ; 5 janv. 2022, n° 19-17.200, Dalloz actualité, 19 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 68 image). Après avoir encore rappelé que la quote-part des biens indivis doit rentrer dans l’assiette de l’appréciation de la disproportion (Civ. 1re, 19 janv. 2021, n° 20-20.467, Dalloz actualité, 31 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 164 image), la haute juridiction se penche sur la communauté réduite aux acquêts dans un nouvel arrêt rendu le 2 février 2022 dont l’importance n’est pas à négliger. Mais avant de nous intéresser au fond de la solution, rappelons les faits ayant conduit au pourvoi. Un établissement bancaire consent à une société un prêt à hauteur de 300 000 €. Deux personnes mariées sous la communauté réduite aux acquêts se portent cautions de la société à concurrence de 273 000 € et de 117 000 € dans deux actes séparés et distincts. Quelques années plus tard, la société débitrice se retrouve en position de cessation des paiements et, par la suite, en redressement judiciaire si bien que le créancier se retourne contre les cautions pour se désintéresser. L’établissement bancaire assigne, par conséquent, ces dernières en paiement mais les défendeurs lui opposent la disproportion du cautionnement souscrit par chacun d’entre eux. Le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire condamne solidairement les cautions au paiement d’une somme de 120 619,46 € dans la limite des 117 000 € de la caution engagée seulement à cette hauteur. Les cautions interjettent appel de la décision pour obtenir la disproportion de l’engagement tandis que la banque demande également la réformation sur le quantum retenu de la condamnation. La cour d’appel de Rennes opère un travail minutieux pour justifier que le cautionnement souscrit était, en réalité, disproportionné en prenant en compte le montant cumulé des deux engagements (soit 390 000 €) eu égard aux biens et revenus des époux.

Voici où le nœud du problème se noue. La banque se pourvoit en cassation en arguant qu’il aurait fallu prendre en compte seulement le cautionnement le plus élevé des deux pour apprécier la disproportion du cautionnement. Le pourvoi est rejeté : la première chambre civile continue son interprétation de l’assiette de la disproportion, ici tout en finesse, en donnant une réponse qu’il faut probablement interpréter.

Quand deux époux concluent deux cautionnements distincts et que chacun a donné son accord au cautionnement de l’autre, l’assiette d’appréciation de la disproportion est la somme des deux engagements. Des remarques doivent être faites concernant l’adéquation de cette solution avec les questions intéressant l’obligation à la dette en régime de communauté et notamment l’engagement de la masse commune par le jeu de l’article 1415 du code civil.

Une prise en compte unifiée et non individuelle quant à l’assiette de la...

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Règlement Rome III : choix de la loi du for pour régir le divorce

Le règlement Rome III n° 1259/2010 du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps a profondément renouvelé les solutions applicables dans le domaine des divorces ayant un caractère international.

Les applications jurisprudentielles sont encore peu fréquentes (v. toutefois CJUE 16 juill. 2020 aff. C-249/19, Dalloz actualité, 9 sept. 2020, obs. F. Mélin ; D. 2020. 1521 image ; ibid. 2021. 923, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2020. 595, obs. A. Boiché image ; Rev. crit. DIP 2020. 853, note S. Corneloup image ; RTD eur. 2020. 937, obs. V. Egéa image), de sorte que l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 26 janvier 2022 ne peut que retenir l’attention.

Il porte sur la mise en œuvre de l’article 5 du règlement, qui dispose que :

« 1. Les époux peuvent convenir de désigner la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, pour autant qu’il s’agisse de l’une des lois suivantes :
a) la loi de l’État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou
b) la loi de l’État de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l’un d’eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention ; ou
c) la loi de l’État de la nationalité de l’un des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou
d) la loi du for.
2. Sans préjudice du paragraphe 3, une convention désignant la loi applicable peut être conclue et modifiée à tout moment, mais au plus tard au moment de la...

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Clauses abusives et concentration temporelle des prétentions en appel

Régulièrement, la Cour de cassation vient rappeler l’exigence du relevé d’office du contrôle du caractère abusif des clauses contractuelles contenues dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (v. à ce titre récemment Civ. 2e, 14 oct. 2021, n° 19-11.758, Dalloz actualité, 20 oct. 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1920 image). D’ailleurs, la protection issue de la directive 93/13/CEE continue à poser des difficultés d’interprétation tranchées par la Cour de justice de l’Union européenne par le biais de nombreux renvois préjudiciels comme nous l’avons vu encore récemment dans ces colonnes (CJUE 21 déc. 2021, aff. C-243/20, Dalloz actualité, 24 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 5 image). L’arrêt rendu le 2 février 2022 permet à la première chambre civile de la Cour de cassation d’apporter une très importante précision sur la procédure civile d’appel qui n’avait rien d’évident. La question est d’ordre procédural : le contrôle des clauses abusives peut-il se heurter au principe de concentration temporelle des prétentions de l’article 910-4 du code de procédure civile en cause d’appel ?

Rappelons les faits pour comprendre le contexte ayant donné lieu à cette interrogation. Un établissement bancaire consent à deux personnes mariées trois prêts immobiliers libellés en devises CHF le 28 janvier 2005. Les emprunteurs contractent une assurance pour ces trois prêts. Le 18 juillet 2006, un quatrième prêt immobilier en devises CHF est accordé contre un acte de nantissement des troisièmes piliers suisses des emprunteurs contractés auprès d’une société d’assurance. Un des deux emprunteurs décède en 2012. La banque créancière informe que le montant versé par la société d’assurance au titre des troisièmes piliers était insuffisant pour couvrir le montant exigible du dernier prêt. Le 6 juin 2014, la banque prononce donc la déchéance du terme des prêts et met en demeure la seconde emprunteuse, l’épouse désormais veuve, de payer les sommes restant dues. Le 7 août 2014, la banque assigne la débitrice – désormais sous une mesure de protection judiciaire (une tutelle) – en paiement. Son tuteur est, à ce titre, attrait à la cause. Par le biais de ce dernier, l’emprunteuse invoque plusieurs manquements de la banque et le caractère abusif de certaines clauses des prêts souscrits. Le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains a condamné la débitrice au paiement des sommes dues, sans faire droit à ses demandes fondées sur les différents manquements allégués. La débitrice décide d’interjeter appel. La Cour d’appel de Chambéry confirme le jugement sauf sur le manquement au devoir de mise en garde et sur le manquement au devoir d’information et de conseil de la banque. Elle condamne ainsi l’établissement bancaire à des sommes de 25 000 € et de 75 000 € pour ces deux manquements respectivement.

L’établissement bancaire et l’emprunteuse se pourvoient en cassation, pour des raisons différentes bien évidemment. Le premier demandeur au pourvoi concentre son argumentation sur l’obligation d’information et de conseil qu’il aurait respecté et allègue ainsi d’un défaut de base légale de la décision d’appel. C’est le moyen soulevé par l’emprunteur qui est davantage au centre de l’attention et qui donnera d’ailleurs lieu à la réponse la plus longue de l’arrêt du 2 février. La débitrice regrettait que les juges du fond aient déclaré irrecevables ses prétentions visant à obtenir l’annulation de stipulations contractuelles abusives car non présentées dans le premier jeu de conclusions d’appel comme le prévoyait l’article 910-4 du code de procédure civile. Les juges d’appel ne s’étaient donc pas penchés sur le fond en déclarant irrecevables ces prétentions fondées sur ce mécanisme protecteur du droit de la consommation. C’est précisément le cœur du...

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La connaissance réputée ou supposée de l’acte frauduleux du débiteur

L’article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à partir du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer. Le point de départ de la prescription d’une action personnelle est donc, soit la connaissance réelle ou effective des faits permettant de l’exercer, soit leur connaissance réputée ou supposée. C’est cette alternative que les textes expriment respectivement par les expressions « a connu », d’une part, et, « aurait dû connaître », d’autre part. Laquelle des deux branches de l’alternative faut-il retenir, et sur la base de quel critère ? La question est loin d’être oiseuse, car selon que l’on retient l’une ou l’autre branche, on aboutit à l’extinction ou non d’un droit, comme l’illustre l’arrêt rapporté.

Au cas d’espèce, une personne s’était portée caution d’une société au profit d’une banque. Elle effectua un peu plus de deux ans plus tard une donation-partage de la nue-propriété de l’un de ses immeubles à ses deux enfants. L’acte fut publié quelques jours plus tard au service de la publicité foncière. La société débitrice principale ayant été défaillante, le créancier engagea des poursuites contre la caution en exécution de son engagement. Pour faire aboutir cette poursuite, le créancier exerça une action en inopposabilité de la donation-partage effectuée par la caution au profit de ses enfants. Or, cinq ans s’étaient écoulés entre la mise en œuvre de cette action paulienne et la publication de l’acte de donation-partage. Les juges du fonds décidèrent qu’en application de l’article 2224 du code civil, l’action était prescrite et donc irrecevable.

C’est le point de départ du délai de prescription retenu par la cour d’appel qui fait difficulté en l’espèce. Les juges du fond avaient retenu que le point de départ de la prescription de l’action paulienne est la connaissance réputée ou supposée par le créancier des faits permettant de l’exercer.

Le pourvoi en cassation conteste ce point de départ : « la publication de [l’acte de donation-partage] au service de la publicité foncière ne fait pas, à elle seule, courir le délai de prescription ». La formulation de l’argumentation est quelque peu ambiguë, en raison de l’expression « à elle seule ». Deux interprétations de l’argumentation sont possibles.

La première interprétation se résumerait dans la proposition suivante : le point de départ de la prescription de l’action paulienne est la connaissance réelle ou effective par le créancier de l’acte frauduleux de son débiteur.

Ce serait donc à tort que les juges du fonds ont considéré que ce point de départ est la connaissance réputée ou supposée.

La seconde interprétation du pourvoi part du postulat que le point de départ de la prescription de l’action paulienne est bien la connaissance réputée ou supposée par le créancier de l’acte frauduleux de son débiteur, comme la cour d’appel l’a retenu. La contestation du pourvoi porte alors plutôt sur la caractérisation de cette connaissance réputée ou supposée. L’argumentation se résume dans la proposition...

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Déambulation dans les audiences civiles parisiennes : « Ici, on ne fait pas de l’émotionnel, on fait du juridique »

« Je ne suis pas en état », lance à la barre un avocat, dont on espère pour lui qu’il parle bien de son dossier. Dans cette grande salle du deuxième étage, ce sont trois ou quatre douzaines de ses confrères qui attendent leur tour. Bienvenue aux référés droit commun. Certains jours, le nombre de robes diminue à vue d’œil, au gré des renvois, caducités, retraits ou radiations du rôle. D’autres, les avocats plaident par observation, et le singulier est volontaire : même si la procédure est largement orale, il arrive qu’aucun ne parvienne à terminer ne serait-ce qu’une phrase avant de se faire couper sèchement la chique et de voir son dossier voler sur la pile. Aujourd’hui, autre ambiance : la magistrate rejette absolument toutes les demandes de renvoi, même émanant de l’ensemble des parties. Au moins, on devrait trouver matière à chroniquer. Par exemple, un couple est locataire d’un appartement. Peut-être plus pour longtemps, d’ailleurs : un congé pour vendre est au centre de l’une des innombrables procédures menées de front, toutes actuellement pendantes. La question du jour porte sur deux caves, qu’ils occupent également, mais sans titre. L’une est la propriété d’une SCI familiale dont le mari est associé ; l’autre, celle d’une indivision successorale composée de membres de sa famille. « Les relations se sont dégradées… », euphémise l’avocate des demandeurs, au point que, l’an dernier, les parents et la sœur ont nuitamment posé des cadenas sur les portes des caves en question : « sans sommer », précise-t-elle, « c’est une voie de fait ». Elle affirme que l’occupation est pourtant « notoire », dans le cadre « d’une forme de commodat oral » (autrement dit, un prêt à usage), et réclame pas loin de 14 000 € de dommages-intérêt. « Pardonnez-moi… », intervient la présidente après avoir tiqué sur la demande reconventionnelle de l’avocate adverse : « Vous leur demandez de libérer les caves, mais ils font comment avec les cadenas ? »

C’est maintenant la greffière qui n’est « pas en état ». Blême, elle se fait porter pâle, car elle pense avoir le covid : il faut dire qu’un avocat venu plaider peu avant n’avait vraiment pas l’air dans son assiette. En attendant la relève, la présidente entreprend de tartiner du gel hydroalcoolique sur la moitié du mobilier de la salle : « Mieux vaut tard que jamais ! » On reprend, avec un dossier qui, au demeurant, aurait sans doute achevé la pauvre greffière. Depuis 2020, une association est victime d’une infestation de rongeurs, « en provenance des parties communes », conclut l’expertise amiable. Cette dernière mentionne des « cadavres de rats », une « odeur pestilentielle » et des « auréoles d’urine » sur le faux plafond, condamnant de fait le bureau de la directrice et une salle de réunion. Un devis (équarrissage, désinfection, etc.) est établi pour un peu moins de 8 000 € HT. Mais le syndic en sélectionne un autre, à 500 € HT, incluant seulement le remplacement d’une ou deux dalles de faux plafond et un vague nettoyage : « Évidemment, ça n’a rien résolu. » Depuis ? Rien de neuf. « Une absence totale de réponse qui nous a conduit à vous saisir », précise l’avocate, qui a donc assigné à la fois le syndic et le syndicat des copropriétaires. Elle réclame notamment 9 000 € de privation de jouissance et 5 000 € de préjudice moral. L’avocat du syndic (es qualités) sort un énième devis, à 5 000 € HT cette fois. « Vous demandez l’exécution de ce nouveau devis ? », demande la présidente à l’avocate de l’association. « Non, je n’ai jamais dit ça », objecte cette dernière : « Je demande, à titre principal, l’exécution du premier devis, et à titre subsidiaire, l’exécution du deuxième. »

« On doit toujours avoir un écrit, même un torchon »

Direction le pôle civil de proximité (ex-instance), pour des audiences sur renvoi (CivRSCP). « On a une petite audience aujourd’hui », lance gaiement le magistrat : « La dernière fois, on avait une affaire avec cent vingt demandeurs, [alors] merci pour ce début d’année ! » On planche d’abord sur un prêt personnel (5 000 €), souscrit en 2016 et donnant lieu à des incidents de paiement depuis 2019. Pour faire simple, l’avocate de la banque sollicite la déchéance du terme. L’emprunteuse, sans avocat, formule une demande reconventionnelle que sa contradictrice qualifie de « pas claire ». « Mais si, c’est très clair ! », l’interrompt l’autre, pour la énième fois en même pas cinq minutes. Le magistrat explose : « Ça suffit maintenant ! Il y a des règles de politesse élémentaires, on n’est pas sur BFM ou à “Touche pas à mon poste” ici ! » « Oui, mais je suis très en colère ! », se justifie la cliente de la banque. Elle explique que les mensualités « étaient prélevées sur un compte courant qui a été clôturé brutalement », la laissant d’ailleurs du jour au lendemain « sans moyens de paiement ». À l’en croire, tout a débuté par une hospitalisation de cinq mois, suivie d’une période de lourde invalidité : « Je reviens de très loin, je ne devrais plus être là aujourd’hui. » « On m’a mise au pied du mur », poursuit-elle, « on m’a laissé huit jours pour rembourser. J’étais dans cette banque depuis seize ans et on m’a jetée comme un kleenex… » Elle fond en larmes. Le magistrat hausse les épaules en levant les yeux au plafond : « Ici, on ne fait pas de l’émotionnel, on fait du juridique. » « Ah ben si, quand même… », objecte-t-elle en reniflant.

L’avocate ne voit aucun lien entre le prêt et le compte, puisque « ce sont deux conventions distinctes ». L’emprunteuse soutient pour sa part que « l’aide, le conseil, c’est la fonction de la banque », et qu’en l’espèce, cette dernière aurait dû lui proposer « un dispositif pour personnes en état de fragilité financière ». Sa contradictrice lui oppose que la disposition du code monétaire et financier qu’elle invoque « ne concerne que les personnes en situation de surendettement ». « Il y a un dossier qui suit son cours… », réplique la femme, sans pouvoir en justifier, puisque ses pièces se trouvent dans son téléphone : « Je n’ai pas d’imprimante. » « Ben je ne vais pas prendre votre portable en délibéré… », lance le président : « Et ce n’est pas à moi de constituer votre dossier. […] On doit toujours avoir un écrit, même un torchon, qu’on communique à la partie adverse. » Le même de poursuivre : « Si vous êtes condamnée, vous demandez des modalités de paiement ? » « Non, on verra en appel », rétorque la cliente de la banque. Sauf qu’on est sous le taux de ressort, comme le note l’avocate : « Mais elle peut toujours aller en cassation », ajoute-t-elle avec un sourire en coin. « Si vous aviez une adresse mail… », tente une dernière fois l’emprunteuse auprès du juge en lui agitant son portable sous le nez, « parce que je n’ai pas l’habitude des tribunaux ». « Ce n’est pas une question d’habitude, mais de bon sens », évacue fermement le magistrat. « Dans ce cas », conclut la femme, « je vais garder mes pièces pour la cassation ».

« Ça dénote une absence totale de sérieux »

Globalement, les avocats sont rarement tendres envers ceux qui n’en ont pas. « Il n’y a aucune contestation formelle. On vous demande de juger en équité, de faire au mieux ou je ne sais quoi… », lance par exemple l’un d’eux dans un autre dossier : « Ça dénote une absence totale de sérieux et de prise en compte des textes les plus élémentaires. » Parfois, à l’inverse, il y a bien deux avocats, mais cela peut sembler un brin disproportionné tant l’enjeu paraît dérisoire. Comme dans cette demande de résolution judiciaire d’un contrat de mutuelle santé complémentaire. L’avocate de l’assurée sollicite fort logiquement le remboursement de quelques centaines d’euros de cotisations depuis la souscription, laquelle est censée n’être jamais intervenue. Sa consœur adverse « ne veut pas polémiquer » sur le principe mais, anéantissement rétroactif oblige, demande symétriquement le remboursement de quelques centaines d’euros de prestations de l’assureur, et la compensation de l’ensemble. Chacun des deux avocats attend visiblement que l’autre livre au magistrat la mirobolante somme finalement en jeu : « trente-trois euros », lâchent-ils finalement en même temps.

Dans le dossier suivant, l’office HLM parisien sollicite la résiliation judiciaire d’un bail, en raison d’une dette locative, mais surtout de « nuisances, comme des odeurs de cuisine et des va-et-vient incessants ». « Il y a en permanence une dizaine de personnes dans ce deux-pièces », poursuit l’avocat de l’organisme, pour qui le locataire ne peut être qu’un « marchand de sommeil ». Il produit deux constats d’huissier, « qui démontrent la suroccupation, puisqu’ils relèvent la présence de dix couchages ». En déduit que l’usage « n’est pas conforme à la destination du bien », et qu’il y a nécessairement « sous-location, sans compter le défaut d’entretien ». Souligne l’air de rien que, même si le locataire assure qu’il vit désormais seul, « les relevés de compteur d’eau donnent une consommation de 28 m3 par mois ». Le défendeur explique pour sa part qu’en raison de « problèmes cardiaques », il doit se faire aider en permanence par deux personnes, lesquelles ne lui versent aucun loyer : « On partage juste EDF. » « C’est vrai qu’il a rendu service, mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas », poursuit son avocate. Elle demande le débouté de l’office HLM s’agissant de la résiliation du bail, ainsi que « des délais pour cette dette locative qui n’est pas non plus abyssale ».

« En même temps, il n’est en retard que de quinze jours »

À quelques encablures de là, l’écran annonce une audience de « contentieux technique » au pôle social. C’est là que sont examinés les recours formés contre les décisions rendues en matière d’incapacité, qui relevaient auparavant de la compétence d’une juridiction spécialisée aujourd’hui disparue : le tribunal du contentieux de l’incapacité (TCI). Le premier dossier du jour oppose une SAS à une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Depuis la précédente audience, au mois de juillet dernier, personne n’a eu le moindre signe de vie de l’expert judiciaire : « En même temps, il n’est en retard que de quinze jours », relativise la présidente. N’empêche, ça chagrine les avocats. « Normalement, ils demandent des délais », justifie la même, « mais là, il ne s’est même pas donné cette peine. Alors je vais changer d’expert, parce que maintenant, on en a plusieurs qui peuvent remplir cette mission, [alors] qu’avant, ce n’était pas le cas ». « Mais nous, on a consigné ! », objecte un avocat : « Alors, c’est simple, il remboursera », réplique la magistrate, avant de réaliser que, non, ce ne sera sans doute pas si simple. Elle change d’avis, et renvoie à quatre mois, en griffonnant sur la pochette du dossier « rappel expert ». Puis ajoute : « On va quand même essayer de se renseigner, pour s’assurer qu’on n’aura pas le même désagrément la prochaine fois. » Dans la foulée, c’est un salarié qui critique la décision d’une autre CPAM, laquelle n’est pas représentée. Le dossier date tellement que, dans l’intervalle, une avocate a « pris la suite d’une consœur qui a pris sa retraite ». Au départ, une toute bête fracture de la cheville gauche, lors d’une mission en intérim. « Le problème », explique la nouvelle avocate, « c’est que ça a très mal cicatrisé, et les suites ont été épouvantables, c’est un véritable cauchemar ». Une récente expertise a fait passer le taux d’incapacité de 8 à 28 %, « et encore, depuis, il a fait une rechute ». En attendant, « alors que la caisse ne conteste pas, parce qu’il n’y a pas de contestation possible », son client ne touche que le RSA.

Deux étages plus haut, siège la troisième chambre, celle de la propriété intellectuelle. Théoriquement, elle devrait compter quatre sections (de trois), mais elle tourne en fait avec seulement sept magistrats. Aujourd’hui, elle se penche sur une œuvre que l’on doit – ou pas – à un éminent peintre catalan. La défenderesse la tient de son père, qui lui-même l’avait achetée dans une non moins éminente salle de ventes new-yorkaise. Pour la faire authentifier, elle s’est adressée au comité d’artiste, mais les choses ne se sont pas passées exactement comme elle l’avait prévu : requête en saisie-contrefaçon, placement sous scellé. L’avocate des ayants droit s’appuie sur plusieurs expertises, desquelles il ressort que, du papier gaufré à l’estampage, en passant naturellement par la signature, « il s’agit d’une tentative de se rapprocher d’une œuvre très connue ». Un « faux en matière artistique » dont elle sollicite logiquement la destruction, « qui nous semble être la seule solution à même de faire cesser l’atteinte […] et d’éviter que cette œuvre ne ressurgisse un jour sur le marché ». L’avocate de la défenderesse soutient quant à elle que ces expertises sont « bâclées, approximatives, et pour le moins partiales ». Surtout, elle invoque un arrêt fraîchement rendu par la Cour de cassation, qui permettrait selon elle à sa cliente de « faire gommer la signature à ses frais », puis de conserver l’œuvre « à titre privé ». Elle sollicite « le rabat de l’ordonnance de clôture », histoire de « régulariser [ses] écritures ». « Vous voulez juste que cet arrêt soit versé ? », interroge la présidente avant de suspendre : « C’est l’affaire de cinq ou dix minutes… »

Les magistrates reviennent même en moins de deux : « Donc, ben, le tribunal a décidé que ce n’était pas un motif grave. Et si ça peut vous rassurer, [il] se tient au courant des dernières jurisprudences. » « Ce n’est pas une copie servile, ce n’est pas une reproduction », enchaîne l’avocate des demandeurs : « La mention “reproduction” n’aurait donc aucun sens. » Soit, mais « elle est avant tout la propriétaire d’un droit corporel », réplique celle de la défenderesse, « et ça n’a rien à voir avec les droits incorporels ». Avant d’ajouter que sa cliente « n’est pas davantage contrefactrice », et que, « la bonne foi étant présumée en droit civil », elle « n’est pas non plus receleuse de contrefaçon ». Invoquant la Charte des droits fondamentaux de l’Union, et plusieurs arrêts de la Cour de justice, elle demande au tribunal de procéder à une « balance des intérêts en présence », et de rejeter les « prétentions exorbitantes » des demandeurs. Sa contradictrice lui répondra indirectement dans un autre dossier concernant le même artiste, en ironisant sur cette manie de vouloir conserver des faux : « Le musée de la Contrefaçon en a déjà beaucoup, et les comités d’artistes, leurs placards en débordent aussi… »

« Je vous le dis à chaque fois, ce n’est pas la peine de venir »

Détour par la deuxième chambre, celle des successions : au programme, orientation et mise en état. « Vous n’êtes pas constituée », jargonne la présidente à destination d’une femme désemparée. Et de traduire : « L’avocat est obligatoire. Si vous n’en prenez pas, vous n’aurez aucune information sur le dossier. » Un autre justiciable s’avance vers la grande table de réunion, une pochette à la main, et se met sur la pointe des pieds pour passer la tête au-dessus des illusoires écrans anti-covid en plexiglas. Visiblement, c’est un multirécidiviste : « Je vous le dis à chaque fois, Monsieur, je ne peux rien faire avec ça. Ce n’est pas contradictoire. Je sais que ce dossier vous tient à cœur, mais ce n’est pas la peine de venir ! » Dans le dossier suivant, il y a bien un avocat… mais qui n’aurait pas dû venir non plus : « Ne vous déplacez pas pour ça, Maître ! », s’exaspère la magistrate. À la cantonade, elle ajoute : « Ne vous entassez pas non plus dans cette salle pour demander la clôture… Envoyez-moi un message. » Dans d’autres chambres, la procédure écrite tourne de fait, par principe, à la procédure sans audience : « Afin de concilier le maintien de l’activité juridictionnelle avec le respect des normes sanitaires », fait alors savoir le greffe aux avocats, « vous êtes invités à ne pas vous déplacer pour plaider l’affaire ». Il reste toutefois concevable de venir « présenter des observations […] limitées au strict nécessaire », sous réserve d’annoncer la couleur par mail.

Neuvième chambre, droit bancaire. « Oh, vous savez, Monsieur, c’est une audience civile… », nous lance, toute désolée, la présidente. Certes, oui. Arrive le dossier d’un septuagénaire, qui aurait ordonné deux virements, de 4 500 € chacun, vers des comptes étrangers, en pleine nuit et depuis une application mobile qu’il affirme n’avoir jamais utilisée : la preuve, il se déplace systématiquement en agence pour remplir de bons vieux bordereaux papier. Son avocate réclame 10 000 €, sur le triple fondement du paiement non autorisé, du manquement au devoir de vigilance et de la résistance abusive, ce qui n’est tout de même pas simple à articuler. Elle souligne que son client a signalé l’opération litigieuse dès le lendemain matin, soit dans un délai plus que raisonnable qui fait que, selon elle, « il aurait dû être remboursé immédiatement, et pas trois ans et demi après ». Comme le reste de la salle, elle sursaute lorsque trois ou quatre policiers entrent avec fracas : « Désolée, c’est une erreur », s’excuse la magistrate. De son côté, l’avocate de la banque se retranche derrière « l’inviolabilité » de « l’authentification forte », qu’elle décrit par le menu : pour créer le compte bénéficiaire, il faut entrer son numéro de carte bancaire et un code transmis par SMS ; puis, pour ordonner le virement, il faut composer son identifiant et un second code SMS. Elle soutient donc que l’opération était autorisée, et, subsidiairement, invoque la négligence du client de la banque : « Tous mes processus informatiques me disent que tout a été respecté. » Au devoir de vigilance, elle oppose le devoir de non-immixtion, avant de souligner que la banque a été réactive, « puisqu’elle a pu bloquer in extremis l’un des deux virements ». Elle soutient que, si préjudice il y a, « à la rigueur », c’est une simple « perte de chance », avant de conclure : « J’ai des obligations, oui, mais je ne peux pas non plus aller au-delà. » L’avocate du demandeur fait mine de s’interroger : « Il n’a pas eu un seul incident en trente ans… donc il est brusquement devenu fraudeur à soixante-seize ans ? »

« L’assuré est libre d’aller se promener sur un toit en maillot de bain »

Quatre étages plus haut siège la cinquième chambre : au menu, droit des obligations et droit des assurances. Par exemple, en vacances avec femme et enfant, un homme loue un bateau sans permis le temps d’une balade sur le Léman, ou le Lac de Genève, question de point de vue. Et tombe à l’eau : « Comme il faisait très chaud, il s’est retrouvé en difficulté en raison de la différence de température », précise son avocat. Quelque temps après, il appelle les gendarmes, auxquels il explique qu’il n’y avait pas de gilet de sauvetage à bord : « Sinon, tout cela aurait été moins dramatique et moins traumatisant », ajoute le même avec emphase. Le navigateur du dimanche dépose une plainte, rapidement classée sans suite, puis se lance dans une procédure civile mêlant, sans que l’on saisisse parfaitement les contours de l’une et de l’autre, responsabilités délictuelle et contractuelle. Les dossiers des deux parties sont relativement conséquents, et passent méthodiquement en revue coutumes et autres conventions franco-suisses. L’avocate de l’exploitant objecte que, pour son client, « qui a une petite activité quasi individuelle », c’était « un traumatisme, justement, de se retrouver [soupçonné] de mise en danger » : « Vous avez une attestation d’une personne qui a loué le même bateau juste avant, et qui ne voit pas comment on peut tomber, puisque les rebords sont hauts. On a [tout de même] un doute sur le fait qu’il se soit jeté à l’eau ». Et puis, « le bateau qui vient à la rescousse, il est à moins de cent mètres et arrive en quelques secondes ». Peut-être, réplique son contradicteur, mais « il s’est senti très en difficulté vis-à-vis de sa famille, et de son enfant qui souffre de troubles de l’anxiété ». L’avocate conclut sur le « comportement assez atypique » du père de famille : « Il dit n’avoir jamais eu de copie du contrat de location, mais le lendemain, subitement, il connaît l’immatriculation [du bateau], sa puissance, etc. Et une semaine après, il réclame 15 000 €. Est-ce que tout cela n’est pas un peu trop construit pour être le reflet d’une réalité ? »

Entre une erreur de diagnostic amiante et un classique vice caché automobile surgit un dossier plus lourd : un homme a fait une chute mortelle d’un toit. Son épouse et (sur ordonnance du JAF) ses enfants mineurs poursuivent l’assureur, qui refuse sa garantie accidents de la vie. Il faut dire que les circonstances de la chute sont peu communes, même si « l’assuré est parfaitement libre d’aller se promener sur un toit, sous la pluie, en maillot de bain ! », précise l’avocat de la famille. Selon lui, « il a marché sur une tuile, la tuile s’est brisée, et il est décédé quelques étages plus bas » : « On est donc bien en présence d’une atteinte corporelle résultant de l’action soudaine et imprévisible d’une cause extérieure », ajoute-t-il doctement en citant un paragraphe des conditions générales. Toujours selon le même, « l’assureur s’écarte de la définition classique de l’accident pour dire que c’est le comportement de l’assuré [qui en est la cause], mais ce n’est pas un contrat qui permet à un assureur de juger le comportement de l’assuré ». L’avocate de l’assureur rétorque quant à elle qu’« on n’a pas du tout extrapolé, on s’est tenu aux libellés explicites et exprès du contrat. […] On a le PV de la police, qui [constate] une forte odeur d’alcool, [et qui] démontre qu’une fenêtre était ouverte, et ce n’était pas une porte-fenêtre desservant une terrasse ». Sur le bris de la tuile, elle insiste sur le fait que « le PV dit simplement qu’une tuile est fraîchement cassée, et semble correspondre à l’itinéraire qu’il aurait pu prendre ». « Pour que le contrat trouve à s’appliquer », poursuit-elle, « il faut que la cause extérieure soit exclusive. Or sa présence sur le toit participe à l’appréciation [de son] comportement, et c’est ce comportement qui est la cause de son décès. »

« Oui, mais bon, toi aussi, tu mens… »

« On a eu dix-neuf audiences de mise en état dans ce dossier, sans compter les quatorze autres instances en cours ! », fustige une avocate lorsqu’on entre dans une salle voisine. Ambiance. Bienvenue à la huitième chambre, celle du droit de la copropriété. On enchaîne sur un immeuble du nord-ouest parisien, dont le rez-de-chaussée comporte un local commercial, que la SCI bailleresse a confié à une enseigne de restauration rapide, spécialisée dans le burger. Depuis 2014, les copropriétaires se plaignent des « nuisances olfactives », mais aussi « sonores » – les livreurs attendant leurs commandes –, ainsi que de la « saleté des parties communes ». Le syndicat sollicite, par une action oblique, la résiliation judiciaire du bail, mais aussi l’expulsion du preneur. Et pour la SCI, une interdiction de poursuivre une activité de restauration, « qui n’est manifestement pas compatible avec les locaux ». Il réclame aussi le paiement de dommages-intérêts, mais plutôt subsidiairement, puisque « notre demande n’est pas de battre monnaie », précise l’avocat de la copro. « Sur la réalité des désordres », enchaîne le même, « on a une inspection de la préfecture de police, qui relève plusieurs non-conformités. [Par exemple], le conduit de ventilation devrait déboucher à plus de huit mètres de l’ouvrant le plus proche. Là, il est juste sous une fenêtre ». L’avocate du restaurateur, qui propose de faire de menus travaux, met au passage dans la balance les licenciements qu’occasionnerait une résiliation du bail, puis rétorque : « Avec la restauration, il y a des troubles, je ne peux pas le nier, mais l’exploitation est conforme au bail et au règlement de copropriété. » Elle ajoute que « tous les commerces de bouche de [la capitale] commettent des infractions », et que « la violation du règlement sanitaire de la Ville n’implique pas la violation d’un règlement de copro », avant de rappeler « le contexte sanitaire qui pèse lourdement sur les petites entreprises ».

Deux étages plus bas, juge de l’exécution (JEX), saisies immobilières. Des deux côtés de la barre, on parle d’un « dossier inextricable » : ça promet ! Une propriétaire a une importante dette à honorer, puisqu’il est question de 143 000 €. L’avocate du créancier a bien des sommes sur son compte CARPA, à hauteur du tiers, mais elle refuse de les encaisser et aimerait les restituer à son confrère : « C’est quand même un comble ! », ponctue-t-elle. En cause, un courrier du frère de la débitrice par lequel, en tout début de procédure, il s’était engagé à rembourser les sommes dues par sa sœur sur les fonds d’une association qu’il préside. « En plus, c’est possiblement un faux… », ajoute la même : « Si le tribunal me dit que je peux encaisser ces sommes, tant mieux, mais dans tous les cas, ma créance n’est pas soldée, donc je maintiens ma demande de vente forcée. » « À chaque fois qu’un paiement a été fait », objecte l’avocat adverse, « il a été rejeté par le créancier, alors qu’il provenait d’un compte bancaire français. Donc on considère que le titre, aujourd’hui, ne porte plus que sur 100 000 €, […] et que la débitrice, manifestement, a montré sa bonne foi ». À titre principal, il demande quatre mois pour apurer le solde ; et à titre subsidiaire, la possibilité de procéder à une vente amiable. Au même frère, qui produit une estimation concordante… mais ne précise pas comment il compte financer l’opération. Sur les bancs, une femme attendant qu’un autre dossier soit appelé s’indigne en parcourant une pièce adverse : « C’est vraiment un menteur ! » « Oui, mais bon, toi aussi, tu mens… », murmure son voisin en lui tapotant l’avant-bras pour la calmer.

« C’est quand même un peu compliqué, cette procédure… »

Depuis le début de l’audience, un quidam est planté, debout, devant la magistrate, une pochette à la main. Elle lui a indiqué une bonne demi-douzaine de fois que « non, vous, on verra plus tard, parce que votre dossier va être plaidé ». C’est justement son tour. Il souhaite procéder à une vente « à ré-mé-né-ré », autrement dit à réméré, pour apurer une dette de 60 000 € : « Ils doivent nous envoyer un huissier pour l’estimation, après on va chez le notaire », résume le justiciable. Il n’a aucun avis de valeur, et l’avocat adverse souligne qu’on « ne sait même pas dans combien de temps ça pourrait être vendu ». « C’est quand même un peu compliqué, cette procédure… », médite la JEX, tandis que l’avocat du créancier soulève que son adversaire n’est pas le propriétaire du bien, ce qui donne lieu à une petite séance d’ascenseur émotionnel :

— Celui qui est dans la procédure n’est pas venu.

— Bon, alors, c’est un peu embêtant, ça.

— Mais il y a un pouvoir.

— Ah, c’est bien, ça !

— Mais il n’est pas annexé.

— Ah…

Elle poursuit : « Je suis embêtée pour vous, Monsieur, mais je ne peux pas autoriser la vente amiable, il faut que ce soit votre grand-père qui la demande à l’audience. » Après s’être creusé la tête deux ou trois minutes, elle reprend : « Ce que je peux faire, c’est mettre un délibéré plus loin, pour vous laisser plus de temps pour la vente amiable. C’est ce que je peux faire de mieux, comme ça, ça échappe à mon pouvoir, et vous faites tout sans moi. En plus, c’est une grosse somme, mais pas [non plus] énorme. » L’homme est un peu perdu, alors elle précise : « Donc, après le délibéré, on ajoute quatre mois, et on arrive largement au mois de juillet. Ne soyez pas choqué, vous allez recevoir un jugement ordonnant la vente forcée, mais que ça ne vous empêche pas de continuer comme prévu. » Elle le met tout de même en garde : « Par contre, s’il reste des frais, il pourra demander la vente forcée quand même. » L’homme remballe sa pochette. Il n’a pas tout compris.

Appel civil et notification des conclusions en bref délai : point de départ du délai

Une partie interjette appel d’un jugement rendu par le juge de l’exécution, par déclaration d’appel remise le 3 septembre 2019.

Le même jour, l’appelant remet ses conclusions au greffe de la cour d’appel.

L’affaire relève de droit du bref délai et l’avis de fixation intervient le 7 octobre 2019.

L’appelant remet à nouveau ses conclusions au greffe de la cour, le 9 octobre 2019, et les notifie le même jour à l’avocat de l’intimé.

La caducité est prononcée par le président de la chambre, au motif que l’appelant disposait d’un mois à compter du 3 septembre 2019, date de remise des conclusions d’appel, soit jusqu’au 3 octobre 2019, pour les notifier à l’avocat de l’appelant.

L’ordonnance est confirmée sur déféré par la cour d’appel de Paris.

La Cour de cassation remet de l’ordre dans tout cela en prononçant une inévitable cassation.

Pour commencer, un nécessaire petit rappel

La Cour de cassation a eu du mal à le faire admettre, les avocats ayant eu tendance à voir l’ordonnance de fixation comme l’événement à partir duquel tout commence, mais lorsqu’un texte prévoit que le circuit court est de droit, alors cette procédure s’applique de plein droit, dès l’inscription de l’appel, alors même que l’affaire n’a pas donné lieu à un avis de fixation (Civ. 2e, 12 avr. 2018, n° 17-10.105 P, Dalloz actualité, 16 mai 2018, obs. R. Laffly ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2018. 498, obs. M. Jean image ; 22 oct. 2020, n° 18-25.769 P, Dalloz actualité, 18 nov. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; AJDI 2021. 67 image ; ibid. 67 image ; 1er juill. 2021, n° 20-14.284 P, Dalloz actualité, 20 juill. 2021, obs. G. Payan ; D. 2021. 1337 image).

Et concernant le juge de l’exécution, il n’est peut-être pas inutile de souligner qu’il a connu un avant et un après le décret du 6 mai 2017, lequel a modifié les règles applicables en la matière. Si l’article R. 121-20 du code des procédures civiles d’exécution, avant la réforme de 2017, prévoyait que « la cour d’appel statue à bref délai », la Cour de cassation avait précisé que le « bref délai » du code des procédures civiles d’exécution n’était pas le bref délai de l’article 905 (Civ. 2e, 21 janv. 2016, n° 14-28.985 P, Dalloz actualité, 12 févr. 2016, obs. R. Laffly ; D. 2016. 263 image ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati image ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero image ; Procédures 2016, n° 87, obs. Raschel ; RLDC 2016/136, p. 48, note Gerbay). Depuis la réforme de 2017, l’article R. 121-20 dispose que « l’appel [de la décision du juge de l’exécution] est formé, instruit et jugé selon les règles applicables à la procédure prévue à l’article 905 du code de procédure civile ou à la procédure à jour fixe »… sauf si le jugement est un jugement d’orientation en matière de saisie immobilière auquel cas l’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution prévoit un jour fixe de droit.

Au regard de la teneur tant de l’ordonnance présidentielle que de l’arrêt sur déféré, il apparaît que ce rappel était bien utile, même si la Cour de cassation aurait dû pouvoir s’en passer.

L’appelant en bref délai conclut quand il veut, ou presque

Si les voies de la Cour de cassation peuvent souvent paraître impénétrables, en matière procédurale, reconnaissons aussi que l’issue de certains pourvois ne fait pas grand doute. C’était le cas ici, et il est étonnant, voire inquiétant, que le président de la chambre et la cour d’appel sur déféré aient...

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[PODCAST] 15’ pour parler d’Europe - Épisode 5 - Entretien avec Pauline Dubarry

Dans ce podcast, Hélène Biais, Directrice des Affaires publiques de la Délégation des barreaux de France à Bruxelles, reçoit Pauline Dubarry, Conseillère justice à la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne.

Écouter le podcast

Podcast créé, réalisé et animé par :

Laurent Pettiti, Président de la Délégation des barreaux de France
Hélène Biais, Directrice des affaires publiques, Délégation des barreaux de France
Laurent Montant, Directeur Studio Média Lefebvre Dalloz
Laurent Dargent, Rédacteur en chef de Dalloz actualité
Axel Gable, Ingénieur du son

Nous remercions vivement le Conseil de l’Europe de nous avoir permis d’utiliser la version de l’hymne européen accompagnant ce podcast.

Effet de l’arrêt de l’exécution provisoire d’un jugement en droit des entreprises en difficulté

Une nouvelle fois, les aspects procéduraux du droit des entreprises en difficulté sont au cœur d’un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation.

À première vue, d’aucuns pourraient conclure à ce que l’arrêt ici commenté constitue une énième décision portant sur la question de la fixation de la date de cessation des paiements. Pourtant, son apport est bien plus subtil. Si l’arrêt sous commentaire est intéressant, c’est qu’il conduit à examiner, pour la première fois à notre connaissance, la combinaison de deux grands corps de règles du droit des entreprises en difficulté : celui, d’une part, de la fixation de la date de cessation des paiements et celui, d’autre part, de l’arrêt de l’exécution provisoire d’un jugement d’ouverture suivi de l’ouverture d’une nouvelle procédure collective.

En l’espèce, par un jugement du 23 novembre 2016, le tribunal mixte de commerce de Cayenne, saisi par une assignation d’un créancier en redressement judiciaire, a ouvert la liquidation judiciaire simplifiée d’un débiteur. Le ministère public a notamment fait appel de ce jugement. Il obtient gain de cause et la cour d’appel réforme le jugement d’ouverture de la liquidation et, statuant à nouveau, ouvre le redressement judiciaire du débiteur en fixant la date de cessation des paiements au 23 mai 2015.

Le débiteur forme un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Il reprochait notamment aux juges d’appel...

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Alsace-Moselle : pas de présomption de responsabilité du locataire en cas d’incendie

Par l’arrêt du 26 janvier 2022 rapporté, la Cour de cassation a jugé qu’en matière d’incendie, les articles 1733 et 1734 du code civil ne sont pas applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. La présomption de responsabilité qui pèse sur le preneur à bail en cas d’incendie est donc écartée.

En outre, sauf clause contraire expresse du bail relevant du droit local, le locataire ne répond des dégradations ou des pertes consécutives à l’incendie que si le bailleur prouve qu’il a commis une faute à l’origine de celui-ci.

La présomption de responsabilité pesant sur le preneur en cas d’incendie

Le preneur à bail est présumé responsable de l’incendie survenu dans le bien loué en vertu de l’article 1733 du code civil et il ne peut l’écarter qu’en prouvant un cas de force majeure, un vice de construction ou encore en démontrant que le feu a été communiqué par une maison voisine.

Une telle présomption s’explique aisément : le locataire a la jouissance du bien, ce qui implique que le feu est souvent de son fait. D’ailleurs, « en 1804, date de ces dispositions, les incendies étaient plus fréquents au regard des modes de construction, ce qui impliquait une vigilance particulièrement accrue demandée au locataire » (Rép. civ., v° Bail, par C. Aubert de Vincelles et C. Noblot, n° 131). En outre, même si le feu n’a pas été directement causé par le locataire, c’est lui qui peut savoir s’il existe un risque d’incendie nécessitant des réparations plus ou moins urgentes. Bref, la charge du risque d’incendie pèse en principe sur le locataire.

Mais en même temps, l’incendie peut entraîner des conséquences particulièrement graves pour le preneur qui peut se trouver titulaire d’un bail ayant pour objet une chose qu’il ne peut plus utiliser tout en étant tenu d’indemniser le bailleur. Le cas du bail commercial est à cet égard particulièrement illustratif : le locataire est en effet susceptible de ne plus pouvoir exploiter son fonds de commerce pendant de nombreux mois voire des années tout en demeurant présumé responsable de l’incendie qu’il a subi.

Le montant de l’indemnisation peut d’ailleurs être particulièrement élevé. En effet, conformément aux règles de la responsabilité civile en droit français, il convient de réparer intégralement le préjudice subi, c’est-à-dire de permettre au bailleur de retrouver un bien équivalent à celui qu’il avait donné à bail. Cela implique que l’indemnisation doit être fixée à la valeur de reconstruction du bien, sans qu’un coefficient de vétusté soit appliqué par les juges du fond (C. Aubert de Vincelles et C. Noblot, préc., n° 133 ; Civ. 3e, 9 janv. 1991, n° 89-16.661 P, AJDI 1992. 28 image et les obs. image ; 19 juill. 1995, n° 93-16.106 P ; v. aussi Civ. 3e, 7 sept. 2017, n° 16-15.257, Dalloz actualité, 26 sept. 2017, obs. C. Derveau ; D. 2017. 2577 image, note V. Mazeaud image ; AJDI 2018....

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Précisions sur l’abandon de famille et la révocation du sursis simple

Dans une nouvelle décision du 19 janvier 2022, la chambre criminelle est venue apporter des précisions à plusieurs propos. D’une part, concernant la charge de la preuve d’une impossibilité de payer, qui est une cause de non-imputabilité de l’infraction d’abandon de famille, prévue par l’article 227-3 du code pénal. D’autre part, au visa de l’article 132-36 du code pénal, elle est venue rappeler qu’un sursis simple assortissant d’une peine d’emprisonnement ne peut être révoqué, fût-ce par décision spéciale, lors du prononcé d’une peine autre que la réclusion ou l’emprisonnement sans sursis, telle qu’une peine d’emprisonnement avec sursis probatoire.

En l’espèce, lors de la dissolution du mariage de deux époux, dont sont issus deux enfants, le juge aux affaires familiales avait fixé la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants du père à la somme mensuelle globale de 800 €. Après que la mère, son ex-épouse, a déposé plusieurs plaintes pour abandon de famille, par un jugement du 11 mars 2019, le tribunal correctionnel l’a reconnu coupable, l’a condamné à trois mois d’emprisonnement, et a ordonné la révocation totale du sursis antérieurement accordé par le tribunal correctionnel, le 26 mars 2014. Le prévenu a interjeté appel de la décision dans toutes ses dispositions. Autrement dit, il contestait à la fois la déclaration de culpabilité et la révocation intégrale de la peine d’emprisonnement assortie du sursis simple qui avait été prononcée. Le 23 juin 2020, la cour d’appel de Douai a confirmé la déclaration de culpabilité et la révocation du sursis assortissant une peine d’emprisonnement antérieure, et l’a condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis probatoire. Il a alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

La caractérisation de l’abandon de famille

Le premier moyen critiquait l’arrêt en ce qu’il avait déclaré le prévenu coupable d’abandon de famille. Plus précisément, il soutenait que l’élément moral de cette incrimination n’était pas caractérisé. En effet, selon lui, la cour d’appel s’était bornée à constater « l’absence de justification sérieuse par le prévenu de son impécuniosité́ totale », alors qu’il « appartient au ministère public et à la partie civile de rapporter la preuve de la volonté du prévenu de ne pas honorer sa dette » (§ 7 de la présente décision). Il estimait alors que la cour d’appel avait « inversé la preuve et a méconnu les articles préliminaire du code de procédure pénale et 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme ». Subsidiairement, et sans toutefois le mentionner explicitement, il se prévalait de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde de justice à son encontre par un jugement du 13 mai 2013 comme cause de non-imputabilité.

Classiquement, l’abandon de famille peut être défini comme « l’abstention de paiement portant sur une obligation pécuniaire familiale d’origine judiciaire » (v. not., Rép. pén., v° Abandon de famille, par A. Gouttenoire et M.-C. Guérin,...

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L’indication d’une adresse erronée dans une déclaration de pourvoi peut nuire à l’exécution d’un jugement

Un pourvoi en cassation peut-il être déclaré irrecevable alors que l’auteur du pourvoi a déclaré un domicile inexact dans sa déclaration de pourvoi ?

C’est à cette question qu’a répondu la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 13 janvier 2022.

Alors qu’un pourvoi en cassation avait été formé, l’un des défendeurs avait soulevé son irrecevabilité en se prévalant de l’inexactitude du domicile mentionné dans la déclaration du pourvoi et du grief que cela lui causait pour faire exécuter les décisions rendues à l’encontre de l’auteur du pourvoi. La Cour de cassation était ainsi appelée à trancher cette exception de procédure.

Il fallait donc déterminer l’exactitude du domicile renseigné dans la déclaration de pourvoi. Or, il était établi qu’un huissier de justice avait été contraint de dresser un procès-verbal de recherches infructueuses en application de l’article 659 du code de procédure civile lorsqu’il avait tenté de signifier un acte à cette adresse. La Cour de cassation a estimé que cela suffisait à établir l’irrégularité de l’acte introductif d’instance. Dès lors que l’établissement bancaire justifiait le grief en résultant et que le litige était indivisible, la Cour de cassation a déclaré le pourvoi irrecevable à l’égard de l’ensemble des parties en litige.

Cet arrêt est l’occasion d’apprécier la mise en œuvre par la Cour de cassation des principes relatifs à la caractérisation d’un grief qu’elle a pu poser dans sa jurisprudence antérieure, ce qui renseigne du même coup sur ce qu’elle attend des juges du fond.

Les conditions de la nullité de la déclaration de pourvoi

Il est à peine besoin de rappeler qu’en application de l’article 114 du code de procédure civile, le prononcé de la nullité d’un acte de procédure est subordonné à la réunion de deux conditions : la nullité doit être prévue par la loi sauf à ce que la formalité méconnue soit substantielle ou d’ordre public et l’irrégularité doit avoir causé un grief à celui qui s’en prévaut.

L’article 975 du code de procédure civile prévoit que, à peine de nullité, la déclaration de pourvoi formalisée par une personne physique doit notamment contenir l’indication de ses...

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L’article 1171 et les nuances du déséquilibre significatif

Le contentieux du déséquilibre significatif connaît une actualité importante depuis ces derniers mois. En droit spécial de la consommation, la Cour de cassation veille à la bonne interprétation des textes sur les clauses abusives dont on sait qu’ils posent à l’heure actuelle encore de nombreuses questions sur le fond (par ex., v. Com. 4 nov. 2021, n° 20-11.099, Dalloz actualité, 18 nov. 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 2044 image) ou sur l’office du juge (Civ. 2e, 14 oct. 2021, n° 19-11.758, Dalloz actualité, 20 oct. 2021, obs. C. Hélaine). La Cour de justice de l’Union européenne est, à ce titre, saisie très régulièrement d’interprétation sur tel point ou tel autre du mécanisme (dernièrement, v. CJUE 21 déc. 2021, aff. C-243/20, Dalloz actualité, 24 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 5 image). En droit commun, les solutions faisant écho au déséquilibre significatif et au fameux article 1171 nouveau du code civil sont scrutées tant leur importance est palpable pour une pratique qui en cherche encore tous les contours, toutes les nuances et toutes les potentialités. L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 janvier 2022, destiné au Bulletin et aux nouvelles Lettres de chambres fera assurément parler de lui tant la solution tente d’articuler le dispositif de droit commun avec les règles de droit spécial. On sait qu’en la matière, la maxime lex specialia generalibus derogant n’est pas forcément très efficace (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 155, n° 123). Nous allons examiner si la solution du 26 janvier 2022 permet d’y voir plus clair.

Les faits ayant donné lieu au pourvoi sont classiques en matière de relations entre professionnels. Une société exerçant une activité de restauration et de sandwicherie décide de conclure le 25 septembre 2017 un contrat de location financière avec une société spécialisée en la matière pour louer du matériel fourni par une société tierce moyennant soixante loyers mensuels de 170 € hors taxes. À la suite d’impayés, la société louant le matériel met en demeure de payer son débiteur le 16 juillet 2018 en visant la clause résolutoire contenue dans le contrat à l’article 12,  a. Par acte extrajudiciaire du 16 août 2018, la société de location a fait assigner la société de restauration en paiement des sommes dues. Dans un jugement du 23 octobre 2018, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a condamné la société de restauration à payer les sommes dues à son cocontractant. Cette dernière décide d’interjeter appel. La cour d’appel de Lyon infirme le jugement entrepris pour réputer non écrit l’article 12 des conditions générales du contrat et dire ainsi que le contrat de location n’a pas été résilié et qu’il se poursuit, par conséquent, jusqu’à son terme. La société de location se pourvoit en cassation en reprochant d’une part une mauvaise utilisation du texte de droit commun au détriment du droit spécial, à savoir l’article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce (antérieurement à l’ordonnance du 24 avr. 2019) visant les pratiques restrictives de concurrence. Elle reprochait également une mauvaise utilisation de l’article 1171 du code civil tant dans l’appréhension du déséquilibre significatif que dans la mise en jeu de la sanction du réputé non écrit.

Dans cet arrêt important, la Cour de cassation vient régler la question de l’application des...

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Les limites du principe du contradictoire à l’égard du juge

Le juge doit-il mettre les parties en mesure de s’expliquer lorsqu’il décide d’écarter des pièces qui n’ont pas été communiquées en temps utile ou encore s’il constate qu’une pièce énumérée dans le bordereau de communication n’a pas été produite ?

Telles sont les deux questions auxquelles a répondu la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 13 janvier 2022.

L’affaire débutait assez banalement puisque le premier président de la cour d’appel de Rouen avait autorisé l’appel immédiat d’un jugement qui avait sursis à statuer ; conformément aux prescriptions de l’article 380 du code de procédure civile, il avait fixé au 20 janvier 2020 le jour où l’affaire serait examinée par la cour d’appel. Mais l’intimé a répliqué aux conclusions de l’appelant sans communiquer ses pièces et ce n’est que le 20 janvier 2020, quelques heures avant l’audience de plaidoirie, qu’il s’est enfin décidé à produire un nouveau jeu de conclusions et à porter ses pièces à la connaissance de son adversaire alors même que certaines n’avaient pas été communiquées en première instance. Las de ce comportement, le juge a écarté les nouvelles conclusions ainsi que toutes les pièces communiquées pour la première fois à hauteur d’appel et a fixé la dette de l’intimé à une certaine somme.

L’intimé s’est pourvu en cassation.

Il a commencé par reprocher à la cour d’appel de ne pas avoir recherché s’il avait été en mesure de discuter de la demande de rejet de ses conclusions et pièces tardives. Vraisemblablement, la demande de l’appelant en ce sens n’avait pas été portée à la connaissance de l’intimé qui reprochait ainsi à la décision du juge de l’avoir pris de court. Mais alors que le moyen portait uniquement sur le respect du contradictoire, la Cour de cassation a cru bon, plus largement, de souligner les motifs justifiant le rejet des pièces. C’est ainsi qu’elle a commencé par rappeler que la cour d’appel avait relevé que l’intimé n’avait pas spontanément communiqué ses pièces avec ses premières écritures et, malgré la sommation qui lui avait été faite, avait attendu le jour même de l’audience pour communiquer de nouvelles écritures ainsi que ses pièces. La Haute juridiction a ensuite souligné que la cour d’appel avait considéré qu’il s’agissait là d’un « comportement contraire à la loyauté des débats et au principe du contradictoire » qui avait mis l’appelant dans l’impossibilité d’en prendre connaissance en temps utile. De tout cela, elle a déduit que la cour d’appel, qui n’avait pas à s’expliquer sur la demande de rejet des conclusions tardives et des pièces, avait souverainement estimé que l’appelant n’avait pas pu disposer d’un temps utile pour en prendre connaissance.

Dans un second moyen, l’intimé a fait valoir que, parmi les pièces qui n’avaient pas été écartées des débats, certaines n’avaient pas été produites et que c’est à tort que le juge avait statué sans l’avoir préalablement invité à s’expliquer sur leur absence alors qu’elles figuraient pourtant bien dans le bordereau de communication. Ce second moyen n’a pas connu un meilleur sort que le premier. Pour le rejeter, la Cour de cassation s’est bornée à souligner que la cour d’appel ne s’était pas fondée sur cette absence de production pour rendre sa décision.

Le rejet de chacun de ces...

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De la prise en compte de la quote-part de biens indivis dans l’appréciation de la disproportion du cautionnement

L’actualité du droit du cautionnement est décidément très riche pour le début de l’année 2022. C’est ainsi que la première chambre civile a précisé le point de départ de la prescription eu égard aux conséquences de la disproportion (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-17.325, Dalloz actualité, 18 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 68 image) mais également les contours de la non-réalisation d’une condition suspensive faisant dépendre l’engagement de la caution d’un apport suffisant de l’emprunteur (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 19-17.200, Dalloz actualité, 19 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 68 image). Dans l’arrêt du 19 janvier 2022, c’est l’appréciation de la disproportion de l’engagement de la caution qui est au centre de la discussion afin d’appliquer l’article L. 332-1 du code de la consommation. La question tranchée dans cette décision se résume d’ailleurs très rapidement : faut-il prendre en compte dans un régime de séparation de biens pure et simple (sans adjonction d’une société d’acquêts) les biens que détient l’époux caution en indivision avec son épouse qui n’a pas consenti audit cautionnement ?

Les faits ayant donné lieu au pourvoi sont classiques : une personne se porte caution solidaire à hauteur de 139 750 € d’un prêt de 215 000 € ainsi qu’à hauteur de 15 600 € pour un découvert en compte courant, tous deux consentis par un établissement bancaire à un fonds de commerce de pâtisserie exploité par une société. Ladite société est placée en liquidation judiciaire si bien que la banque assigne la caution solidaire. En appel, la caution argue de la disproportion de l’engagement pour obtenir la décharge de son obligation de payer. La cour d’appel de Colmar, pour apprécier l’éventuelle disproportion, refuse de prendre en compte un immeuble en raison de la nature de la propriété, ici indivise, avec son épouse. Le cautionnement est, par conséquent, jugé disproportionné aux biens et revenus de la caution en cause d’appel. La banque se pourvoit en cassation en énonçant que la quote-part des biens indivis aurait dû être prise en compte pour considérer l’éventuelle disproportion dudit cautionnement. Dans son arrêt du 19 janvier 2022, la première chambre civile refuse la lecture faite par les juges du fond et casse l’arrêt d’appel puisque « la disproportion éventuelle de l’engagement d’une caution mariée sous le régime de la séparation de biens s’apprécie au regard de ses revenus et biens personnels, comprenant sa quote-part dans les biens indivis » (nous soulignons).

Voici une décision au confluent entre droit des régimes matrimoniaux et droit des sûretés, croisement connu des spécialistes des deux matières tant il recèle des questions aussi techniques que redoutables. La solution du 19 janvier 2022 ne fait, en réalité, guère de difficultés mais la précision jurisprudentielle apportée permet d’asseoir une meilleure lecture du texte sur la disproportion et sur l’assiette de biens à prendre en compte que ce soit, par ailleurs, avant ou après l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

De la prise en compte des biens indivis entre les époux

La question au cœur de l’arrêt, bien qu’inédite à notre sens, peut faire l’objet de plusieurs rapprochements, et en premier lieu avec le régime légal choisi à défaut de contrat de mariage. Dans le cadre de la communauté réduite aux acquêts, on sait que les...

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QPC visant la prorogation du bail du fermier âgé

par Stéphane Prigent, docteur en droitle 28 janvier 2022

Civ. 3e, QPC, 15 déc. 2021, FS-B, n° 21-14.775

Le bailleur délivre congé pour reprise au preneur à bail à ferme. Le congé est contesté devant le tribunal paritaire qui proroge le bail pour une durée égale à celle devant permettre au preneur d’atteindre l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles (C. rur., art. L. 411-58, al. 2). La prorogation prive d’effet le congé donné pour la date d’expiration du bail (Civ. 3e, 1er mars 1989, n° 87-16.857 P). Si le bailleur entend reprendre le bien loué à la fin de la période de prorogation, il doit de nouveau donner congé dans les conditions prévues à l’article L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime (C. rur., art. L. 411-58, al. 3 ; Civ. 3e, 27 oct. 1983, n° 82-11.299 P).

Le bailleur demande de...

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Simplifier le changement de nom

L’objectif du texte est d’assouplir et de simplifier les procédures de changement de nom d’usage et de nom de famille. Ainsi, la personne majeure pourra porter à titre d’usage par substitution ou adjonction à son propre nom le nom de famille du parent qui ne lui a pas transmis le sien. Pour les enfants mineurs, le changement du nom d’usage sera possible par décision du ou des...

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Twitter doit fournir des éléments attestant de son respect de la LCEN

L’article 6, I, 7, de la LCEN (L. n° 2004-575 du 21 juin 2004) pose pour principe que les hébergeurs, soit les personnes qui assurent un service de stockage de données, ne sont pas soumis à une obligation générale de surveillance des contenus qu’ils hébergent. Néanmoins, la disposition poursuit par quelques obligations visant à lutter contre la haine en ligne, justifiées par « l’intérêt général attaché à la répression de l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine ». Ces obligations sont de trois ordres. Premièrement, l’hébergeur doit « mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données ». Deuxièmement, il doit informer les autorités publiques compétentes de toute activité illicite lui étant signalée et contrevenant aux cinquième et huitième alinéas de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et à l’article 227-23 du code pénal. Troisièmement, il doit rendre publics les moyens consacrés à la lutte contre ces activités illicites.

Les associations demanderesses ont exercé une demande de communication de documents en référé sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Le 6 juillet 2021, le Tribunal judiciaire de Paris (n° 20/35181, Legipresse 2021. 386) a notamment enjoint à la société Twitter International Company de communiquer :
• « tout document […] relatif aux moyens matériels et...

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Soins psychiatriques sous contrainte : du délai imparti pour statuer en appel

L’actualité en matière de soins psychiatriques sans consentement a été abondante en 2021 avec une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité (Civ. 1re, 5 mars 2020, n° 19-40.039, Dalloz actualité, 15 avr. 2020, obs. C. Hélaine ; Cons. const. 4 juin 2021, n° 2021-912/913/914 QPC, AJDA 2021. 1176 ; AJDA 2021. 1176 image ; D. 2021. 1324, et les obs. image, note K. Sferlazzo-Boubli image) ayant conduit à l’abrogation des nouveaux textes pris en urgence fin 2020 sur l’isolement et sur la contention (Loi n° 2020-1576 du 14 déc. 2020, de financement de la sécurité sociale pour 2021, Dalloz actualité, 12 janv. 2021, obs. C. Hélaine). Même si la loi sur le fameux « passe-vaccinal » vient instaurer un contrôle systématique du juge des libertés et de la détention sur ces questions, l’actualité des soins sous contrainte n’est pas prête de tarir en 2022, d’autant que le Conseil constitutionnel doit encore se prononcer sur la constitutionnalité du mécanisme retenu a priori. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 janvier 2022 en est une brillante manifestation. Même si l’interrogation au cœur de sa solution ne concerne ni l’isolement ni la contention mais une pure question de procédure civile en matière de saisine du juge des libertés et de la détention, la décision intéressera la pratique spécialiste de cette procédure. Plus précisément, c’est la question du délai pour statuer et encore plus particulièrement des conséquences d’un retard dans le rendu de la décision du premier président statuant en cause d’appel qui est au centre du débat.

Les faits sont d’une certaine banalité en matière de soins sous contrainte. Une personne est admise en soins psychiatriques sans consentement par décision du directeur de l’établissement dans lequel il sera hospitalisé au vu d’un péril imminent (CSP, art. L. 3212-1, II, 2°). Le juge des libertés et de la détention autorise la poursuite de la mesure. En 2020, l’hospitalisation sans consentement se transformera en programme de soins eu égard à l’état général du patient. Le 7 juillet de la même année, l’intéressée a saisi le juge...

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Vice de forme de la saisie immobilière : nouveau cas de formalité substantielle et adaptation nécessaire de la notion de grief

L’arrêt du 13 janvier 2022 concerne un manquement relativement à la publicité préalable à l’adjudication telle que prévue aux articles R. 322-31 et suivants du code des procédures civiles d’exécution. Alors que ces textes ne prévoient pas la sanction de leur non-respect, la Cour de cassation en dégage une – c’est la nullité pour vice de forme –, qui répond aux conditions de l’article 114 du code de procédure civile : pour qu’une telle nullité soit prononcée, il faut une cause de nullité (ici formalité substantielle) et un grief (apprécié de manière adaptée à la saisie immobilière).

Une saisie immobilière, engagée par une banque sur le fondement d’un commandement de payer du 10 février 2016 contre un couple de débiteurs, est émaillée de diverses péripéties. Le juge de l’exécution autorise d’abord la vente amiable du bien immobilier, puis ordonne sa vente forcée, après reprise de la procédure.

La difficulté essentielle suscitée par cette procédure tient dans l’accomplissement des formalités de publicité de cette adjudication : en effet, les débiteurs saisissent le juge de l’exécution d’une demande de nullité des annonces légales et affiches publiées à l’initiative du créancier poursuivant et d’une demande de caducité du commandement de payer valant saisie.

Appel est interjeté de la décision de ce juge.

La cour d’appel rejette la demande de nullité et, subséquemment, leur demande tendant à prononcer la caducité, en considérant que :

• les formalités de publicité, des articles R. 322-31 et suivants du code des procédures civiles d’exécution ne sont pas prescrites à peine de nullité et que la formalité contestée n’est pas une formalité substantielle : elle retient donc qu’« aucune nullité des actes de publicité ne peut prospérer » (notons au passage le raisonnement apparemment contradictoire de la cour d’appel, laissant entendre que, si ladite formalité avait été substantielle, le non-respect de celle-ci aurait conduit à la nullité… non prévue comme sanction) ;

• les actes de publicité sont identiques à la désignation des biens saisis tels que figurant dans le commandement et le cahier des conditions de vente et contiennent une description sommaire conforme à l’article R. 322-31 du code des procédures civiles d’exécution.

Les débiteurs se pourvoient en cassation.

La première branche du premier moyen de leur pourvoi reproche à la cour d’appel une violation des articles R. 311-10, R. 311-11, R. 322-30 et R. 322-31 du code des procédures civiles d’exécution, ensemble l’article 114 du code de procédure civile : « le non-respect des conditions de publicité préalable à l’adjudication sur saisie immobilière est une cause de nullité lorsqu’il a causé un grief à celui qui s’en prévaut ».

Les trois autres branches du même moyen critiquent cette fois un manque de base légale au regard des mêmes textes : la cour d’appel n’a pas recherché si l’erreur de désignation des biens saisis dans les actes de publicité n’a pas causé un grief aux vendeurs, elle a au contraire ajouté un motif inopérant, à savoir que la désignation des biens figurant dans les actes de publicité était identique à celle figurant dans le commandement valant saisie et dans le cahier des conditions de vente était la même que celle figurant dans les autres actes de la procédure de saisie.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse, sur ce moyen, pour violation des articles R. 311-10, R. 322-31 du code des procédures civiles d’exécution et 114 du code de procédure civile et manque de base légale au regard des articles R. 322-31 du code de procédures civiles d’exécution et 114 du code de procédure civile :

• elle rappelle la teneur des textes et en déduit la règle rapportée au chapô, à savoir que « les actes de publicité préalable à l’adjudication constituent une formalité substantielle, sanctionnée par une nullité pour vice de forme qui ne peut être prononcée qu’à charge pour celui...

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Le Conseil national des barreaux a qualité pour agir en recouvrement des cotisations qui lui sont dues

par Nicolas Hoffschir, Maître de conférences à l'Université d'Orléansle 27 janvier 2022

Civ. 1re, 19 janv. 2022, F-B, n° 19-25.772

Le Conseil national des barreaux peut-il agir en recouvrement des cotisations qui lui sont dues ?

C’est à cette question qu’a répondu la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 19 janvier 2022.

Les faits ayant donné lieu à cet arrêt sont finalement assez simples à résumer. Le Conseil national des barreaux a saisi le tribunal d’instance de Paris afin qu’il condamne un avocat à payer les cotisations dues au titre des années 2013 à 2017. Le tribunal d’instance a accueilli cette demande et condamné l’avocat récalcitrant à payer une certaine somme à l’institution. Mais l’avocat n’en est pas resté là et a formé un pourvoi en cassation. Devant la Cour de cassation, il a alors soutenu que seul le conseil de l’ordre avait qualité à agir en recouvrement des cotisations. Le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation qui approuve le tribunal d’instance d’avoir jugé que si le conseil de l’ordre est, selon l’article 17, 10°, de la loi du 31 décembre 1971, chargé d’assurer dans son ressort l’exécution des décisions prises par le CNB, celui-ci a qualité pour agir en recouvrement de ses...

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La Cour des comptes sévère sur le plan de transformation numérique de la Justice

Le plan de transformation numérique est une priorité de ce quinquennat. La remise à niveau de la justice était indispensable, tant le retard était important. La France était classée vingt et unième sur vingt-sept pays européens en ce qui concerne la numérisation des procédures.

Première interrogation de la Cour : les moyens alloués au plan. Elle n’a pas retrouvé les 530 millions d’euros de crédits d’investissement annoncés en 2017. Car il n’existe pas dans les outils financiers du ministère une méthode fiable pour distinguer les crédits du plan des autres. Le budget prévisionnel du plan est aujourd’hui arrêté à 470 millions d’euros, dont les deux tiers en investissement. Pour le reste, les crédits ont été plutôt exécutés, même si, fin 2020, il a fallu hiérarchiser entre les projets.

Ce plan a été heurté par la crise sanitaire. Elle a permis le renforcement des infrastructures et des équipements. Mais en avril 2021, il restait 35 000 postes fonctionnant sous Windows 7 (dont le support n’est plus assuré par Microsoft). Mais la crise a aussi mis en évidence les lacunes en matière de sécurité. Le ministère a notamment été contraint d’ouvrir l’accès à distance par VPN de l’application Winci « alors qu’il s’y opposait auparavant pour des raisons – justifiées – de sécurité informatique ».

Un choix contestable de prioriser les besoins du citoyen

La Cour juge contestable que le ministère ait choisi de prioriser l’ouverture de fonctionnalité en ligne pour les justiciables plutôt que de consolider d’abord les applicatifs utilisés par les magistrats et fonctionnaires. En début de quinquennat, le gouvernement s’est concentré sur les « objets de la vie quotidienne » (OVQ), qui devaient avoir un impact concret sur le quotidien des Français. Or, pour la Cour, « en règle générale, le citoyen se retrouve rarement […] en lien avec la justice ».

Difficile de faire de Portalis l’équivalent du portail des impôts ou de l’assurance maladie, surtout que de nombreuses procédures passent par l’avocat.

Les premiers résultats sont d’ailleurs décevants : la Cour note la faible utilisation du Portail du justiciable (26 000 inscriptions en deux ans quand la justice civile traite 1,7 million d’affaires nouvelles par an) ou du site justice.fr. De même, la saisine numérique, rendue possible depuis janvier 2021 sur quelques contentieux, démarre timidement : sur six mois, seules 1 001 requêtes ont été envoyées (508 saisines JAF, 293 tutelles et 200 constitutions de partie civile). Une partie de ces requêtes étaient hors sujet et, pour les autres, loin de faire gagner du temps aux greffes, elles nécessitent du travail supplémentaire, faute d’interface avec les outils existants.

La Cour regrette la faible implication des utilisateurs finaux dans les instances de pilotage. Elle déplore également l’insuffisante coordination avec les avocats. Il a fallu attendre la crise sanitaire pour que le Conseil national des barreaux soit associé. Auparavant, « la tension des relations entre la chancellerie et le CNB était à un niveau tel » qu’en novembre 2019, le CNB avait acté la rupture des relations sur ce sujet. Néanmoins, le déploiement de Portalis reste insuffisamment concerté, alors que, parallèlement, le CNB modernise sa plateforme « e-barreau ».

Les difficultés des grands projets

Autre problème, les dérapages financiers : « Les coûts prévisionnels de réalisation des six principaux projets ont augmenté de 60 % en moyenne par rapport à leur évaluation initiale. » Le rapport revient en détail sur trois d’entre eux : Cassiopée, Portalis et la procédure pénale numérique (PPN).

Concernant Cassiopée, « l’application connaît des défauts de fonctionnement récurrents, obligeant ses utilisateurs à quitter l’application et à se reconnecter ». Elle souffre également des évolutions permanentes liées aux modifications législatives et réglementaires, qui déstabilisent l’existant. Ainsi, la création du code de la justice pénale des mineurs a eu de forts impacts : Cassiopée est structurée autour du dossier, quand le nouveau code raisonne en termes de personne. Le rapport est plus optimiste sur la PPN, même si certaines difficultés doivent être rapidement résolues.

Pour Portalis, la Cour met en cause la stratégie du projet, en « fluctuation permanente ». Les questions de protection des données personnelles et de sécurité des systèmes ont été tardivement prises en compte. Le ministère de la Justice a indiqué que l’organisation du projet venait d’être revue avec une gouvernance resserrée.

La Cour regrette que certaines questions techniques restent non résolues, évoquant l’éditique : le logiciel WordPerfect reste utilisé alors que ce traitement de texte est largement obsolète. Le ministère a hésité, pour le remplacement, entre trois solutions. « Il existe une tendance à aborder la question projet par projet », quand ce sujet est transverse.

Autre problème : la difficulté à recruter et à fidéliser ses effectifs, au moins jusqu’en 2020. La situation s’est apparemment améliorée. L’externalisation « est massive et critiquable ». Mais le ministère reste dépendant des prestataires extérieurs, même pour certains postes essentiels. Les clauses contractuelles permettant le déclenchement de pénalités ne sont d’ailleurs que rarement mises en œuvre. Ainsi, « aucune pénalité n’a été identifiée dans l’exécution des marchés relatifs à Cassiopée ». La gestion des marchés est jugée défaillante. Il arrive aussi qu’une absence de suivi des marchés publics entraîne des ruptures non anticipées.

Une note d’optimisme : la Cour note que des « mesures de redressement récentes » devraient « améliorer la connaissance et la maîtrise des coûts des projets ». Il faudra voir dans le prochain rapport.

Tests osseux : doute et intérêt supérieur de l’enfant

Le 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel, saisi par une décision de renvoi de la Cour de cassation du 21 décembre 2018, retenait la constitutionnalité des examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge introduits à l’article 388 du code civil par la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 (v. par ex. M.-X. Catto, L’intérêt supérieur de l’enfant, exigence constitutionnelle opératoire ?, Gaz. Pal., 21 mai 2019, n° 19, p. 26). À la suite à cette décision, plusieurs arrêts de la Cour de cassation sont venus préciser les conditions de mise en œuvre de cet article aux termes duquel « les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé. Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d’erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. Le doute profite à l’intéressé ».

Faisant une application stricte de la loi, la première chambre civile censurait ainsi une cour d’appel pour avoir écarté la minorité d’un individu en se fondant exclusivement sur les conclusions des examens osseux (Civ. 1re, 22 mai 2019, n° 18-22.738 NP). Dans un arrêt du 21 novembre 2019 (n° 19-17.726, Dalloz actualité, 28 nov. 2019, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2019. 2407 image ; D. 2019. 2301 image ; AJ fam. 2020. 65, obs. C. Bruggiamosca image ; RTD civ. 2020. 71, obs. A.-M. Leroyer image ; Dr. fam. 2020, n° 7, note H. Fulchiron ; ibid. Chron. 1, obs. V. Egea), elle rappelait le caractère subsidiaire des examens osseux en confirmant la décision d’une cour d’appel qui, ayant estimé « dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des pièces soumises à son examen », que les documents d’identité produits apparaissaient authentiques, avait retenu la minorité de l’intéressé sans s’attarder sur les autres éléments de preuve, et notamment sur les résultats d’un test osseux. L’arrêt rendu par la première chambre civile le 12 janvier 2022 (pourvoi...

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Précisions utiles à propos de la saisie à tiers détenteur

L’arrêt commenté est riche en instructions car il s’inscrit dans le mouvement de rigueur insufflé par la deuxième chambre civile sur les actes de la procédure d’appel tout en apportant une réponse à une question qui n’avait pas, sauf erreur, été tranché par la Cour de cassation à propos de la saisie à tiers détenteur.

Il offre également l’occasion d’évoquer la réforme du droit des sûretés puisque celle-ci a toiletté la mise en œuvre du droit de suite attaché à l’hypothèque.

Les faits de l’espèce étaient assez classiques : en vertu de rôles exécutoires émis pour le recouvrement de plusieurs années d’imposition fiscale impayées, un comptable du service des impôts des particuliers (le Trésor public) a inscrit deux hypothèques légales sur un immeuble appartenant à son débiteur.

Deux années après ces inscriptions, le débiteur, pensant peut-être par ce biais pouvoir échapper à ses obligations fiscales, a fait apport de son bien immobilier à une société civile immobilière, dont la gérante n’était autre que son épouse, omettant l’une des caractéristiques attachées à l’hypothèque : le droit de suite de l’article 2461 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l’ord. n° 2021-1192 du 15 sept. 2021 portant réforme du droit des sûretés, applicable à l’espèce, mais qui se retrouve dans le nouvel art. 2454 du même code, avec quelques évolutions).

Le Trésor public aurait pu opter pour une action paulienne (C. civ., art. 1167, dans sa rédaction antérieure à l’ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016, qui se retrouve désormais relooké à l’art. 1341-2 du même code) afin de faire juger l’inopposabilité de cet apport tant la manœuvre était grossière.

Il a opté pour une autre voie, celle de l’exercice du droit de suite par la procédure de saisie à tiers détenteur laquelle est poursuivie en vertu des modalités prévues au code des procédures civiles d’exécution.

Le préalable à la mise en œuvre de ce droit de suite réside dans l’obligation de faire signifier un commandement de payer au débiteur ; cet acte a été signifié par le Trésor public à son débiteur.

Il a été suivi d’un commandement de payer ou de délaisser adressé à la société civile immobilière (SCI) devenue propriétaire d’un bien grevé d’hypothèque et donc ayant la qualité de tiers détenteur.

Le Trésor public a ensuite assigné la SCI et le débiteur à l’audience d’orientation. Lors de cette audience, ni le tiers détenteur ni le débiteur ne constituent avocat et donc n’élèvent aucune contestation.

Le juge de l’exécution exerce son office et après avoir vérifié la régularité de la procédure, mentionne la créance et ordonne la vente forcée.

Le débiteur et le tiers détenteur interjettent appel. Ils sollicitent de la cour qu’elle infirme le jugement d’orientation, déclare caducs les commandements, ordonne la mainlevée de la saisie immobilière et à titre subsidiaire, annule les commandements.

La cour d’appel...

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Réalisation d’une condition suspensive et commencement d’exécution

Après avoir étudié que seule la caution pouvait opposer la non-réalisation de la condition suspensive faisant dépendre son engagement dans ses rapports avec le créancier (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 19-17.200, Dalloz actualité, 19 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 68 image), voici que la chambre commerciale participe à la discussion avec un arrêt particulièrement stimulant concernant aussi bien le régime général des obligations que la théorie générale du contrat. Se croisent, dans l’arrêt rendu le 19 janvier 2022, une première problématique sur la réalisation de la condition et une seconde concernant l’exception de nullité et l’appréciation de ce qu’est un commencement d’exécution.

Analysons les faits pour comprendre comment ces deux problèmes se sont rencontrés. Tout débute autour d’une cession d’actions d’apparence assez banale. Une personne physique et une société ont conclu le 5 mai 2000 une promesse de cession des parts qu’ils détenaient d’une SARL exploitant un hôtel à Biarritz dont la gestion a été confiée à deux sociétés distinctes entre 2005 et 2017. La cession avait été convenue sous deux conditions suspensives tenant au remboursement échelonné de la SARL exploitant l’hôtel du solde créditeur des comptes courants détenus par les promettants. Ladite société est placée en redressement judiciaire en 2009. Un plan de continuation a été décidé et plusieurs augmentations de capital ont été souscrites dans cette optique par diverses sociétés exploitant d’autres hôtels. Mais voici où le nœud du problème examiné par le pourvoi apparaît. Les promettants refusent de céder leurs parts malgré l’engagement du 5 mai 2000. La société bénéficiaire de la promesse assigne ainsi ces derniers et les sociétés ayant souscrit les augmentations de capital pour d’une part obtenir des dommages-intérêts mais également demander l’annulation des augmentations de capital et des parts sociales émises. Pour se défendre, les promettants arguent d’une exception de nullité pour vileté du prix et absence de cause. L’affaire a donné lieu à un premier circuit judiciaire qui a abouti à un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en mars 2017 (Com. 15 mars 2017, nos 15-16.609 et 15-17.589). Ce pourvoi a donné lieu à une cassation, notamment pour défaut de base légale sur la mise en jeu de la condition suspensive. Voici donc l’affaire revenue devant la Cour d’appel de Paris, autrement...

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Chronique d’arbitrage : la cour d’appel de Paris entre en résistance

C’est à l’occasion de l’affaire Hémisphère, portant sur le retrait litigieux, que la cour refuse de suivre la première chambre civile (Paris, 7 déc. 2021, nos 18/10217, 18/10220, 21/04238 et 21/04236 [quatre arrêts] ; deux de ces arrêts concernent le refus de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur le caractère constitutionnel du retrait litigieux, ils ne seront pas commentés). Il faut dire que la Cour de cassation a semé la confusion par une décision difficilement compréhensible et abondamment critiquée. La cour d’appel de Paris ne se laisse pas impressionner et donne une véritable leçon à la Cour de cassation. On en redemande !

Au-delà de cette affaire, plusieurs arrêts marquants ont été rendus en fin d’année 2021 ou, déjà, en début d’année 2022. Le lecteur ne devra pas passer à côté de l’arrêt Rio Tinto (Paris, 11 janv. 2022, n° 19/19201) portant sur la révélation. Surtout, l’arrêt Guess augure d’un bouleversement dans l’analyse des lois de police, en ouvrant la voie à ce que des lois de police françaises n’intègrent pas l’ordre public international (Paris, 23 nov. 2021, n° 19/15670). On mentionnera également, en matière d’investissement, les arrêts Garcia (Civ. 1re, 1er déc. 2021, n° 20-16.714) et Maessa (Paris, 14 déc. 2021, n° 19/12417).

On profitera de cette introduction pour une simple remarque. Sur la grosse quinzaine d’arrêts examinés de la 5-16, on constate une déflation importante du montant des articles 700 accordés au vainqueur. Alors que l’on a été habitué pendant longtemps à des sommes à six chiffres, tous les arrêts (sauf un) donnent lieu à une condamnation à cinq chiffres (et plutôt dans la première moitié). Est-ce le fruit du hasard ou une tendance de fond ? Il faudra y être attentif dans les mois à venir !

I. L’arrêt Hémisphère

On ne boudera pas notre plaisir à la lecture de l’arrêt Hémisphère (Paris, 7 déc. 2021, nos 18/10217 et 18/10220). Pour mémoire, l’affaire oppose une société de gestion de placements de droit américain (la société Hémisphère) à la République démocratique du Congo. À l’origine, deux sentences arbitrales rendues il y a près de vingt ans dans des litiges relatifs à la construction d’une ligne de transport d’énergie électrique à haute tension et d’un aménagement hydraulique. Depuis, le créancier originel a cédé ses créances à la société Hémisphère. C’est donc le cessionnaire qui en poursuit l’exécution. Dans le cadre de deux recours contre les sentences (une rendue en France, l’autre à l’étranger), la République démocratique du Congo invoque le retrait litigieux. Dans un premier arrêt d’appel (Paris, 12 avr. 2016, n° 11/20732, Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 24, obs. D. Bensaude), la cour a rejeté le moyen, au motif que « la mission de la cour d’appel, saisie en application de l’article 1520 du code de procédure civile, est limitée à l’examen des vices énumérés par ce texte ». Las, la Cour de cassation a, dans un arrêt très remarqué, cassé la décision, au visa de l’article 1699 du code civil (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-22.112, Dalloz actualité, 20 mars 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 516 image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; AJ contrat 2018. 187, obs. J. Jourdan-Marques image ; RTD civ. 2018. 411, obs. H. Barbier image ; ibid. 431, obs. P.-Y. Gautier image ; Rev. arb. 2018. 389, note M. Laazouzi ; Procédures 2018, n° 5, obs. L. Weiller ; JCP 2018. 1111, note P. Casson ; RDC 2018. 354, note R. Libchaber ; JDI 2018. 1202, note P. Pinsolle). La motivation de l’arrêt de cassation est succincte, la Cour se limitant à énoncer que « l’exercice du retrait litigieux affecte l’exécution de la sentence ». Cette solution pose d’immenses difficultés. En jugeant ainsi, la Cour de cassation fait voler en éclat le caractère limitatif des cas d’ouverture du recours.

Heureusement, la cour d’appel de Paris est là pour remettre l’église au milieu du village. On sent même la malice de la cour, qui n’hésite pas à dispenser à la Cour de cassation une leçon sur les prérogatives du juge du recours. La cour juge que « l’exercice du droit de retrait litigieux devant le juge du contrôle de l’exequatur n’a pas pour effet de modifier et d’étendre les pouvoirs de ce juge au-delà des cas prévus par la loi ». Surtout, elle ajoute, en prenant soin de souligner elle-même, qu’il « convient de rappeler que dans le cadre de ce contrôle, en application de l’article 1525 du code civil, la “cour d’appel ne peut refuser la reconnaissance ou l’exequatur de la sentence arbitrale que dans les cas prévus à l’article 1520” (souligné par la Cour) ». Elle conclut, après avoir recopié l’intégralité de l’article 1520, qu’« il ressort de ces dispositions que ne figure pas dans les cas de refus possibles de l’exequatur l’exercice d’un droit au retrait litigieux ».

Comment peut-on signifier plus clairement à la Cour de cassation qu’en imposant au juge du recours de vérifier l’existence d’un retrait litigieux, elle l’invite à entrer en violation frontale avec son office ? La cour s’y refuse et il faut la soutenir. C’est à juste titre qu’elle rappelle le caractère limitatif des cas d’ouverture du recours, pilier fondamental du droit français de l’arbitrage. Il en va, pour les sentences étrangères, du respect de la Convention de New York. En cela, la solution de la cour d’appel n’est pas seulement bonne ; elle est salutaire.

Pour autant, il convient d’être honnête et, pour cela, de faire une légère digression avec un autre arrêt. Peut-on dire, sans aucune réserve, que l’annulation ou le refus d’exequatur est limité aux cinq cas d’ouverture du recours ? La réponse n’est pas tout à fait positive. La cour d’appel de Paris en donne un exemple dans la présente livraison (Paris [formation interne], 23 nov. 2021, n° 19/19007, HD Holding). Dans cette affaire, deux recours concomitants sont exercés : l’un contre la sentence partielle sur la compétence, l’autre contre la sentence finale. Les deux arrêts sont rendus le même jour. Le premier (Paris [formation interne], 23 nov. 2021, n° 18/22099, HD Holding, v. infra) annule la sentence partielle. Quelle est la conséquence de l’annulation de la sentence partielle sur la sentence finale ? La réponse ne fait aucun doute : l’annulation de la première emporte avec elle l’annulation de la seconde. Sur quel fondement ? C’est là que réside la difficulté. En effet, si certains griefs affectent de façon identique les deux sentences (par exemple la compétence ou l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral), d’autres peuvent n’affecter que la première. C’est par exemple le cas d’une violation de la contradiction qui touche uniquement la phase de la procédure sur la compétence. Pour cette raison, il est justifié de se détacher des cinq cas d’ouverture du recours. C’est ce que fait la cour d’appel de Paris dans l’affaire HD Holding, en énonçant, indépendamment de tout cas d’ouverture du recours, que « l’annulation par un autre arrêt […] de la sentence partielle du 10 septembre 2018, statuant sur la compétence du tribunal arbitral, a privé nécessairement celui-ci de tout pouvoir pour statuer sur le fond. En conséquence, la sentence finale du 6 septembre 2019 est annulée ». En somme, les cas d’ouverture ne sont pas parfaitement limitatifs.

Si l’on en revient à l’arrêt Hemisphère, pourquoi ne pas considérer que l’exercice du retrait litigieux entre dans ce type de réserve ? En réalité, la réponse figure déjà dans l’arrêt de la Cour de cassation : le retrait litigieux affecte l’exécution de la sentence. L’exécution n’est pas l’exequatur, encore moins la validité. C’est ce que met en lumière l’arrêt d’appel, qui souligne que « l’exercice du droit de retrait litigieux est susceptible d’affecter indirectement l’exécution de la sentence en ce qu’il affecte directement le montant de la créance fixée par celle-ci ». Est-ce à dire que personne ne pourra connaître de ce moyen ? Là encore, la motivation de la cour d’appel est précieuse : « dans ces conditions, cette demande, impropre à faire obstacle à un tel exequatur sera rejetée, sans préjudice du débat qui pourrait naître à l’occasion de l’exécution forcée de cette sentence devant le juge compétent ». C’est donc au juge de l’exécution (JEX) qu’il convient de renvoyer le débat. On peut s’interroger s’il entre dans l’office du JEX de se prononcer sur cette question. Implicitement, la jurisprudence a déjà répondu positivement, mais dans le cas particulier de l’exécution forcée d’un acte authentique (Civ. 2e, 4 déc. 2014, n° 13-25.433, en l’espèce, l’offre est déclarée irrecevable au motif qu’elle est soulevée en appel… ce qui implique qu’elle l’aurait été en première instance devant le juge de l’exécution). Pour notre part, nous avons tendance à penser que cette question relève en réalité d’un juge du fond, qui peut être l’arbitre. Toutefois, c’est une autre discussion.

La fin de l’arrêt recèle d’ailleurs une autre pépite, toujours sur le retrait litigieux. La République démocratique du Congo allègue de l’existence d’une fraude, caractérisée par le « “montage juridique complexe” qui a eu pour effet d’occulter la réalité de la cession de créance ». Si elle écarte le moyen, faute de preuve, elle ajoute qu’« il n’est pas justifié que l’exercice de ce droit de retrait était applicable alors que le contrat initial était régi par le droit suisse, qui ne connaît pas ce mécanisme, de sorte qu’aucune fraude à la loi française, qui n’était pas applicable à la cession de créance, ne peut être caractérisée ». C’est en effet une question complexe que de déterminer la loi applicable au retrait litigieux. La Cour de cassation s’est bien gardée de se poser la question, sauf à considérer qu’elle a consacré une sorte de règle matérielle. En jugeant que le droit français n’est pas applicable, la cour d’appel met les pieds dans le plat : comment la Cour de cassation peut-elle à nouveau casser l’arrêt d’appel sans s’assurer préalablement que le droit français est applicable ? On a hâte de connaître la suite !

II. Les effets de la convention d’arbitrage

A. Le principe compétence-compétence

Comme de coutume, on dira quelques mots sur les arrêts rendus en matière de compétence-compétence.

Un premier arrêt soulève – de façon implicite et sans la trancher – la question intéressante de la distinction chronologique entre la phase où le tribunal arbitral est déjà saisi et celle où il n’est pas encore saisi (Montpellier, 23 nov. 2021, n° 21/03721). On sait que l’article 1448 du code de procédure civile tire des conséquences très importantes de cette distinction, puisque, antérieurement à la saisine du tribunal arbitral, le juge peut contrôler la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la clause, alors que postérieurement, il n’a d’autre choix que de se déclarer incompétent. Le point de savoir à quelle date le tribunal arbitral est saisi fait l’objet d’une littérature abondante (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., Lextenso éditions/Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2019, n° 176). En substance, il faut retenir que c’est la date de constitution du tribunal arbitral, réalisée par l’acceptation de sa mission par le dernier arbitre.

En revanche, un point n’a – à notre connaissance – jamais été discuté, alors que son importance est capitale. Il s’agit de savoir si l’événement « saisine du tribunal arbitral » doit s’examiner à la date de saisine du juge étatique ou à la date à laquelle ce dernier se prononce. On signalera que, dans le cadre de la mise en œuvre de la compétence du juge des référés, un arrêt a déjà énoncé que « la compétence du juge des référés s’appréciant au jour de sa saisine […] la constitution d’un tribunal arbitral postérieurement à cette saisine […] n’a pu avoir pour effet de dessaisir le juge des référés » (Paris, 25 oct. 2012, n° 12/07285). Si la situation est proche, une transposition ne s’impose pas nécessairement. D’une part, car les articles ont une rédaction différente : l’article 1448 tend à faire obstacle à la compétence du juge étatique, alors que l’article 1449 fait obstacle à la saisine du juge étatique (« ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, à ce qu’une partie saisisse »). D’autre part, car la concurrence entre les juridictions n’est pas la même : trancher le fond d’un côté, se prononcer sur une simple mesure provisoire de l’autre. Le débat reste entier.

La cour d’appel de Montpellier se prononce implicitement en faveur de l’événement « saisine du juge étatique ». Elle énonce que le tribunal arbitral « ayant été saisi, c’est-à-dire définitivement constitué lors de l’acceptation par le dernier arbitre de sa mission le 16 octobre 2020, alors que le tribunal de commerce de Perpignan a été saisi par actes d’huissier en date des 8 et 10 juillet 2020, remis au greffe le 13 juillet 2020 », il ne fait donc aucun doute que le tribunal arbitral était saisi à la date à laquelle la cour d’appel a rendu son arrêt, mais déjà à la date à laquelle le tribunal de commerce a rendu son jugement (le 1er juin 2021). En conséquence, c’est la date de saisine du juge étatique qui est prise en compte.

Une telle solution peut sans doute se prévaloir d’un argument de texte. L’article 1448 du code de procédure civile énonce que « lorsqu’un litige […] est porté devant une juridiction de l’État […] sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi ». On peut estimer que la conjonction temporelle « lorsque » combinée au verbe « porter » renvoie à la date de saisine du juge étatique. Pour autant, une telle interprétation ne s’impose pas nécessairement. Il n’est pas rare d’examiner certains arguments à la date à laquelle le juge statue. C’est le cas par exemple pour certaines fins de non-recevoir, sur le fondement de l’article 126 du code de procédure civile.

On peut imaginer qu’il en aille de même pour la saisine du tribunal arbitral. Il ne faudrait alors pas que le tribunal arbitral soit saisi au moment où l’est le juge étatique, mais au moment où il statue. Ce faisant, on renforcerait une fois encore l’effet négatif du principe de compétence-compétence (ce qui ne plaira pas à tout le monde). C’est bien vers une telle solution que devrait militer l’esprit du texte. Elle aurait pour principale vertu d’éviter qu’une affaire fasse l’objet de plusieurs décisions (première instance, appel, cassation) avant un renvoi inéluctable à l’arbitrage alors qu’un tribunal arbitral est déjà constitué (et a potentiellement déjà tranché le litige, comme dans l’affaire sous commentaire).

Un deuxième arrêt est intéressant par sa situation factuelle (Versailles, 4 nov. 2021, n° 21/04943). La clause figure dans un pacte d’associés. Elle énonce que le tribunal arbitral est composé « de deux arbitres choisis […]. Les deux arbitres pourront, s’ils le jugent utile, compléter le collège arbitral en désignant un troisième arbitre choisi sur la même liste ». En matière interne, l’article 1451, alinéa 1er, du code de procédure civile impose l’imparité. Pour sauver la clause et renvoyer aux arbitres, la cour juge que la faculté offerte, par la clause, aux arbitres de désigner un troisième arbitre préserve la clause, en ce qu’elle « correspond exactement à la solution préconisée par le troisième alinéa [de l’article 1451 du code de procédure civile] ». Il nous semble, à rebours de la cour d’appel, que telle n’est pas le sens de la clause. La clause prévoit bien un tribunal pair, la faculté de désigner un troisième arbitre reposant sur une volonté discrétionnaire (« s’ils le jugent utile ») des arbitres. Pour autant, la solution retenue reste bonne. Elle s’explique par le fait que, depuis le décret du 13 janvier 2011, reprenant une jurisprudence antérieure (Civ. 2e, 25 mars 1999, n° 97-13.448, D. 1999. 107 image ; RTD com. 1999. 370, obs. J.-C. Dubarry image ; Rev. arb. 1999.807, note P. Level), la clause n’est pas nulle ou réputée non écrite. Elle doit être complétée, par l’effet de l’alinéa 2 de l’article 1451 du code de procédure civile. En définitive, indépendamment de son contenu, la clause suffit à renvoyer les parties à l’arbitrage, sous réserve de réunir un tribunal impair.

Un troisième arrêt mérite d’être signalé en ce que la cour commet, à première vue, une erreur de droit grossière (Pau, 23 nov. 2021, n° 19/00619). Pour refuser de renvoyer les parties à l’arbitrage, la cour constate que le défendeur a renoncé à la clause compromissoire « en saisissant elle-même, par acte d’huissier du 9 août 2018, le juge des référés aux fins de désignation d’un expert judiciaire ». Si le fondement de l’action est vague, la saisine du juge des référés dans le cadre d’une mesure d’instruction, prévue par l’article 1449 du code de procédure civile, n’est, en principe, pas de nature à constituer une renonciation à la clause compromissoire.

B. La compétence du juge d’appui

L’article 1459 du code de procédure civile prévoit – et on peut se demander si c’est heureux (v. sur ce débat T. Clay et M. de Fontmichel, Code de l’arbitrage commenté, 2e éd., LexisNexis, 2021, ss art. 1459) – la possibilité pour les parties de désigner le président du tribunal de commerce comme juge d’appui. Simplement, cette faculté conduit à des difficultés de répartition. En effet, le président du tribunal de commerce ne sera jamais qu’un juge d’appui « imparfait » ou « incomplet ». C’est à cette difficulté qu’est confrontée la cour d’appel de Paris (Paris, 14 déc. 2021, n° 21/17792, Fadis). La clause contractuelle prévoit la compétence du président du tribunal de commerce de Paris. Ce dernier est saisi dans le cadre d’une demande de prorogation du délai d’arbitrage. La cour répond sur la clause, plutôt que sur le code de procédure civile. Elle constate que la rédaction de la clause ne permet pas d’aller au-delà d’une compétence portant sur la désignation du président du tribunal arbitral.

La solution aurait été mieux fondée sur le code de procédure civile. En effet, la faculté de désigner le président du tribunal de commerce est limitée par l’article 1459 aux seules demandes visées aux articles 1451 à 1454 du code de procédure civile, soit la désignation des arbitres et les difficultés de constitution. Le texte ne renvoie pas à l’article 1463 du code de procédure civile, relatif à la prorogation des délais. Une clause, même exprès (mais cela n’a pas encore été jugé par la Cour de cassation) ne permet pas d’étendre les prérogatives du président du tribunal de commerce.

III. Les recours contre les sentences arbitrales

A. Aspects procéduraux du recours

1. La recevabilité du déféré (nullité) contre un refus d’exequatur

L’arrêt iXblue apporte des précisions importantes sur le régime des ordonnances rendues par le conseiller de la mise en état (Paris, 23 nov. 2021, n° 21/03754, le lecteur est informé que le rédacteur de cette chronique a été impliqué dans le recours). La société iXblue, demandeur au recours en annulation, a saisi le conseiller de la mise en état, conformément à l’article 1521 du code de procédure civile, d’une demande en exequatur. Pour coordonner ses deux demandes, la société iXblue avance que le recours en annulation porte sur une partie des chefs décisoires de la sentence et la demande d’exequatur sur une autre partie. Par ordonnance, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d’exequatur partiel au motif que « l’exequatur partiel ne peut être ordonné sur la partie du chef décisoire n° 7 demandé, qui est indissociable des dispositions soumises au recours ». À elle seule, cette ordonnance mérite un commentaire. En effet, un refus d’exequatur de la sentence est rare. Il l’est encore plus lorsqu’il est fondé sur l’indissociabilité des chefs décisoires dont l’exécution est demandée et ceux pour lesquels l’annulation est demandée. La question est de savoir si ce constat entre dans les prérogatives du conseiller de la mise en état, notamment au regard de l’article 1514 du code de procédure civile.

C’est pour contester cette solution que la société iXblue a déféré l’ordonnance du conseiller de la mise en état à la cour. Pour autant, avant de se prononcer sur le bien-fondé du recours, encore faut-il qu’il soit recevable. C’est une réponse négative qui est donnée par le présent arrêt.

Au titre du déféré « simple », la cour juge que l’ordonnance de refus d’exequatur n’entre pas dans les hypothèses prévues par l’article 916 du code de procédure civile. Pour le justifier, elle qualifie la demande d’exequatur devant le conseiller de la mise en état « d’incident d’instance ». Elle considère que son rejet ne met pas fin à l’instance, qui se poursuit devant le juge de l’annulation. À cet égard, elle ajoute que l’attribution de numéros de RG distincts n’affecte pas l’unicité de l’instance.

Au titre du déféré-nullité, elle considère que ce recours ouvert à titre exceptionnel par la voie prétorienne, en cas d’excès de pouvoir, n’est pas conditionné au caractère immédiat ou non du recours, mais à l’existence ou à l’absence de tout recours. Or elle estime qu’il existe un recours contre la décision du conseiller de la mise en état, dès lors que l’issue du recours en annulation confère de plein droit l’exequatur à la sentence. Enfin, elle refuse tout parallèle entre les voies de recours contre la décision du conseiller de la mise en état sur l’exequatur, et celle du tribunal judiciaire. En effet, pour ce dernier, l’article 1523 du code de procédure civile prévoit un recours contre la décision refusant l’exequatur, alors que l’article 1524 l’écarte.

En définitive, la cour aligne le régime des ordonnances d’exequatur rendues par le conseiller de la mise en état, en excluant, quel que soit le sens de la décision, tout déféré ou déféré-nullité (Paris, 29 oct. 2019, n° 19/12047, Bouygues bâtiment Île-de-France, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques).

2. La compétence du juge de l’annulation pour connaître d’une tierce opposition

Dans le cadre d’un recours en annulation contre une sentence interne, le juge est saisi d’une intervention volontaire aux fins de tierce opposition (Paris [formation interne], 7 déc. 2021, n° 19/03844, Oxygène). Si l’article 1501 du code de procédure civile ouvre cette voie de recours aux tiers, c’est uniquement devant « la juridiction qui eut été compétente à défaut d’arbitrage ». En aucun cas cela ne peut être le juge de l’annulation. Même si, par hasard, la compétence territoriale du juge compétent à défaut de clause correspond au ressort de la cour d’appel, le tiers ne peut se dispenser de saisir le juge de première instance. C’est donc logiquement que la tierce opposition est écartée.

B. Aspects substantiels du recours

1. La compétence

a. La clause de médiation préalable

L’arrêt HD Holding (Paris [formation interne], 23 nov. 2021, n° 18/22099) est difficilement compréhensible au regard de la jurisprudence récente. Il porte sur la question classique de l’articulation d’une clause de médiation préalable avec une clause compromissoire. Si les arbitres sont tenus par une telle clause, la question est de savoir si elle peut faire l’objet d’un débat devant le juge de l’annulation, au titre de la compétence ou du respect de la mission par le tribunal arbitral. La réponse ne fait en principe aucun doute : elle est négative (Paris, 28 juin 2016, n° 15/03504, Rev. arb. 2016. 1157, note J. Barbet ; Gaz. Pal. 2016, n° 40, p. 37, obs. D. Bensaude ; 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; JDI 2020. 199, note H. Ascencio ; Gaz. Pal. 2019, n° 24, p. 21, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; ibid. 584, note M. Laazouzi ; 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; plus ambigu, Paris, 1er déc. 2020, n° 19/08691, Qatar c. Keppel Seghers Engineering Singapore, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Cela s’explique par la qualification de fin de non-recevoir de la clause, qui échappe au contrôle de la compétence.

C’est pourtant une réponse opposée que donne la formation interne de la 5-16. Alors que la clause contractuelle n’a rien d’original, elle énonce que, « s’il est vrai, d’une manière générale, qu’une clause d’un contrat instituant une procédure de médiation obligatoire et préalable constitue une fin de non-recevoir, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, le tribunal arbitral s’est déclaré compétent, alors pourtant que les demandeurs au recours en annulation ont soutenu devant lui qu’une médiation préalable et obligatoire s’imposait en vertu de l’article 12 du protocole, qu’il a lui-même relevé que le litige relevait du champ d’application de la clause de médiation et qu’il a de surcroît invité les parties à mettre en œuvre une procédure de médiation parallèle à la procédure d’arbitrage. Or le tribunal arbitral ne pouvait pas se reconnaître compétent, alors que la procédure de médiation préalable prévue par l’article 12 du protocole n’avait pas été mise en œuvre. Le non-respect de la clause de médiation n’est donc pas en l’espèce une fin de non-recevoir ne relevant pas de l’appréciation de la cour d’appel mais constitue une circonstance de l’espèce qui doit être prise en compte pour apprécier la violation de l’article 1492, 1°, du code de procédure civile ». En résumé, la clause de médiation préalable reste en principe exclue du contrôle du juge, sauf lorsque les faits d’espèce transforment la question en grief sur la compétence. Un tel raisonnement ne tient pas debout. Le comportement des parties et la teneur des débats devant le tribunal arbitral n’est, en aucune manière, de nature à transformer une question de recevabilité en question de compétence au stade du recours en annulation.

En réalité, dans cette affaire, c’est un mal jugé et une éventuelle contradiction de motifs que la cour sanctionne. Néanmoins, ce grief n’est pas de nature à entraîner l’annulation, et ce en vertu d’une jurisprudence acquise (Civ. 1re, 11 mai 1999, n° 95-18.190, RTD com. 2000. 336, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 1999. 811, note E. Gaillard).

L’arrêt ajoute une précision intéressante, que l’on oublie parfois. Puisqu’il s’agit d’une sentence interne, l’article 1493 du code de procédure civile prévoit en principe que la cour « statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire des parties ». Toutefois, la sentence est annulée sur le fondement de la compétence. La jurisprudence en déduit que l’annulation fondée sur l’incompétence bloque la saisine de la cour qui ne peut alors trancher le fond du litige (Civ. 1re, 6 mars 2013, n° 12-15.375, D. 2013. 716 image ; ibid. 2936, obs. T. Clay image ; RTD civ. 2013. 662, obs. P. Théry image ; Rev. arb. 2013. 404, note J. Pellerin ; Procédures 2013. Comm. 151, obs. L. Weiller). En effet, l’absence de juridiction du tribunal arbitral empêche la cour d’être investie. C’est ce que constate la cour d’appel, en énonçant que « l’annulation de la sentence étant prononcée en raison de l’incompétence du tribunal arbitral, la cour doit s’abstenir de statuer au fond et les parties doivent être renvoyées à mieux se pourvoir sans qu’il y ait lieu à désigner la juridiction devant être saisie ». Une telle solution implique en principe de saisir les juridictions judiciaires compétentes en lieu et place des arbitres. En l’espèce, tel n’est pas être le cas, puisque l’incompétence a été prononcée pour violation de la clause de médiation préalable. En toute logique, la clause survit à l’annulation et les parties doivent être renvoyées à la médiation puis, éventuellement, à l’arbitrage.

b. La notification d’arbitrage

L’affaire Maessa est particulière (Paris, 14 déc. 2021, n° 19/12417). Un rappel des faits est nécessaire pour la comprendre. Le 1er juillet 2015, le Consorcio GLP et les sociétés Maessa et Tesca ont adressé à la République de l’Équateur, sur le fondement d’un TBI, une notification intitulée « Notificación de Arbitraje ». Deux mois plus tard, après un changement de conseils, le Consorcio GLP et des sociétés Tesca et Maessa ont écrit à la République de l’Équateur en précisant que la notification du 1er juillet 2015 était une notification de l’existence d’un différend en vertu du TBI. Quelque temps plus tard, le défendeur puis le demandeur ont chacun désigné un arbitre. Le 19 mai 2016, après la désignation des coarbitres, mais avant le choix du président, les sociétés Maessa et Semi ont adressé à la République de l’Équateur et aux arbitres désignés, une seconde notification dénommée « Notificación de Arbitraje ».

En résumé, deux notifications d’arbitrage se sont succédé. Trois parties figurent dans la première, seulement deux (une identique et une différente) dans la seconde. Pour le demandeur, la première notification est une notification de...

Annexe à la déclaration d’appel : tout sauf annexe

L’insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une Araignée :
Il y rencontre aussi sa fin.

 

En raison du nombre de déclarations d’appel régularisées, depuis des années, au moyen d’une annexe, on aurait pu croire que le danger avait fini par se dissiper. Mais le piège vient de se refermer. Car, comme toujours, à la fin, c’est la Cour de cassation qui a le dernier mot. Le mot de la fin qui justifie les moyens. Un litige relatif à la sécurisation de données financières à la suite d’un virement frauduleux oppose une banque, appelante, à une société intimée devant la cour d’appel de Lyon. L’intimé saisit le conseiller de la mise en état en nullité et irrecevabilité de la déclaration d’appel mais les moyens sont écartés par une ordonnance non déférée, mais repris dans les conclusions au fond reprochant à l’appelant d’avoir établi directement une annexe à la déclaration d’appel aux fins de préciser les chefs de jugement critiqués alors qu’aucune contrainte technique ne l’imposait eu égard à la taille de l’envoi inférieur à 4 080 caractères. Par arrêt du 14 mai 2020, la cour d’appel suit le raisonnement en estimant que l’intimée est fondée à soutenir que la déclaration d’appel est dépourvue d’effet dévolutif et constate donc n’être saisie d’aucune demande. Devant la Cour de cassation, la demanderesse au pourvoi arguait de l’absence de forme imposée pour établir un acte d’appel tandis que l’annexe mentionnait bien les chefs de jugement critiqués. Écartant le moyen, la deuxième chambre civile répond :

« 6. Selon l’article 901, 4°, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la déclaration d’appel est faite, à peine de nullité, par acte contenant notamment les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible. En application des articles 748-1 et 930-1 du même code, cet acte est accompli et transmis par voie électronique.

7. En application de l’article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, seul l’acte d’appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement.

8. Il en résulte que les mentions prévues par l’article 901, 4°, du code de procédure civile doivent figurer dans la déclaration d’appel, laquelle est un acte de procédure se suffisant à lui seul.

9. Cependant, en cas d’empêchement d’ordre technique, l’appelant peut compléter la déclaration d’appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer.

10. Ayant constaté que les chefs critiqués du jugement n’avaient pas été énoncés dans la déclaration d’appel formalisée par la banque, celle-ci s’étant bornée à y joindre un document intitulé “motif déclaration d’appel pdf”, la cour d’appel, devant laquelle la banque n’alléguait pas un empêchement technique à renseigner la déclaration, en a exactement déduit que celui-ci ne valait pas déclaration d’appel, seul l’acte d’appel opérant la dévolution des chefs critiqués du jugement. »

In cauda venenum

Il faut le dire d’emblée, si l’on devait hiérarchiser les arrêts de la Cour de cassation au regard de leur retentissement depuis l’entrée en vigueur des décrets Magendie et du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, celui-ci prendrait place en haut d’un totem procédural qui n’en finit plus de se dresser. Alors, bien sûr, il ne serait pas seul, mais il ferait bonne figure au côté de ceux qui sont venus définir l’effet dévolutif au regard de l’acte d’appel et des conclusions. On le sait, sauf lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible, seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs du jugement critiqués. Aussi, à défaut de mentionner les chefs de jugement critiqués sur l’acte d’appel, l’effet dévolutif n’opère pas, de sorte qu’en l’absence de rectification par une nouvelle déclaration d’appel dans le délai de trois mois imparti à l’appelant pour conclure, l’appel « total » ou « général » n’emporte pas la critique de l’intégralité des chefs du jugement et ne peut être régularisé par des conclusions notifiées au fond (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 image ; ibid. 576, obs. N. Fricero image ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon image ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry image ; ibid. 458, obs. N. Cayrol image ; Procédures, n° 4, avr. 2020, comm. H. Croze). Il en est de même d’un acte d’appel qui mentionne les demandes de l’appelant au lieu et place des chefs de jugement critiqués (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-16.954, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; Procédures n° 10, oct. 2020, comm. 163, S. Amrani Mekki) ou de l’acte d’appel qui ne sollicite que la réformation (Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-12.037, Dalloz actualité, 26 avril 2021, obs. R. laffly ; Rev. prat. rec. 2021. 6, chron. O. Cousin, Anne-Isabelle Gregori, E. Jullien, F. Kieffer, A. Provansal et C. Simon image). Le décor était planté, très vite agrémenté par le fameux arrêt de la deuxième chambre civile venu préciser qu’à compter du 17 septembre 2020, les cours d’appel ne seront pas saisies par un dispositif de conclusions qui ne sollicitent pas l’infirmation ou l’annulation du jugement (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, note C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046 image, note M. Barba image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne image ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet image ; D. avocats 2020. 448 et les obs. image ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, Anne-Isabelle Gregori, Rudy Laher et A. Provansal image ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol image ; Procédures n° 11, nov. 2020, comm. 190, R. Laffly). Seule nuance : dans la première hypothèse d’un acte d’appel défaillant, la cour d’appel n’aura pas à confirmer ou infirmer la décision puisqu’elle n’est pas saisie, dans le second cas, l’acte d’appel la saisira puisque l’effet dévolutif jouera, mais l’absence d’une formulation d’infirmation ou d’annulation au dispositif des premières conclusions, assimilée à une prétention au fond, conduira nécessairement à une confirmation. Bref, dans tous les cas, la sanction différente… sera identique pour l’appelant. Tous ces arrêts ont été destinés à la plus large publication, et si nous avions qualifié celui du 30 janvier 2020 de bombe à retardement puisque les cours d’appel pouvaient bien sûr relever d’office le moyen d’absence d’effet dévolutif par application de l’article 562, on nommerait volontiers celui du 13 janvier 2022 de bombe à déflagration : le bruit...

Le [I]lobbying[/I] des avocats lors de la présidence française de l’Union européenne

Ce mercredi, le chef d’État, Emmanuel Macron, a prononcé son premier discours devant le Parlement européen en tant que président du Conseil européen. Il a ainsi confirmé son programme ambitieux pour cette présidence française de l’Union européenne (PFUE) qui se déroulera jusqu’en juin prochain. Pourtant, depuis plusieurs années, les fondamentaux de la construction européenne sont remis en cause.

Un État de droit fragilisé

« Nous avocats et juristes, nous devons affronter la vérité en face : l’Europe est perçue comme intrinsèquement injuste par nos concitoyens. Les Français de guerre las renoncent à faire usage de leurs droits et même celui du droit de vote. Comment l’Europe peut-elle lutter contre l’injustice si elle est considérée comme l’une des sources de ces injustices ? », interpelait Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux lors du colloque L’avocat au cœur d’une Europe qui protège contre les injustices, à Strasbourg, le 12 janvier dernier. Les Européens et notamment les Français demandent effectivement avant tout de pouvoir accéder à leurs droits. « La problématique majeure de l’Union européenne pour être acceptée et enfin comprise par les citoyens est de démontrer qu’elle est là pour eux, qu’elle peut leur être utile et qu’elle n’oublie pas l’humain », assure Dominique Attias, présidente de la Fédération des barreaux d’Europe.

Sans...

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[I]Big data[/I] juridique : tout un monde de données au-delà de la jurisprudence (2)

Le big data juridique ne se limite pas à la législation et la jurisprudence françaises. Depuis plusieurs années déjà, certains acteurs de la legaltech s’intéressent et s’efforcent de récupérer d’autres corpus de données qui présentent un intérêt pour les professionnels du droit, de l’assurance, de la conformité ou de la gestion des risques. Documents parlementaires (comptes-rendus des débats, rapport d’information, études d’impact, avis du Conseil d’État, questions écrites au gouvernement, etc.), lignes directrices et commentaires émis par les régulateurs, conventions collectives et accords d’entreprise, avis et travaux préparatoires établis par des instances locales, nationales ou internationales, actions de plaidoyer portées par des ONG… La liste des sources d’informations susceptibles d’intéresser les juristes est longue et varie selon les secteurs d’activité. Et pour répondre aux attentes de leurs clients, les start-ups du droit s‘attachent à développer des solutions technologiques sur mesure.

Exploiter des données externes ou internes...

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Pôle de la réparation du préjudice corporel : le prix de l’injustice

À la JIVAT, « nous faisons la jurisprudence »

Au sixième étage du tribunal judiciaire de Paris, dans une petite salle dérobée, deux robes noires se tiennent accoudées au bureau des juges. Il est 9h30 ce jeudi 16 décembre. La mise en état de la juridiction spécialisée consacrée aux victimes de terrorisme (JIVAT) vient de commencer. La juge énumère les dossiers à côté de la greffière, en attendant l’audience qui se tiendra dans une heure, en collégialité, à trois magistrats. Spécialisation, polyvalence, collégialité et humanité sont les maîtres mots de ce dispositif. Une des deux avocates, Me Fabbro, intervient en défense pour tous les dossiers, au nom du Fonds de garantie d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), contre lequel, en général, agissent les demandeurs, quand ça n’est pas contre les auteurs. « Cela représente 70 à 80 % de mon activité, calcule-t-elle. En face aussi, les confrères sont toujours les mêmes, regroupés notamment au sein de l’Association nationale des avocats de victimes de dommages corporels (Anadavi). C’est une matière très intéressante parce que nous faisons la jurisprudence ». De fait, le contentieux requiert une certaine maîtrise et les conseils au pénal des victimes font généralement appel à des spécialistes. « Ceux qui font les deux sont désemparés car c’est un autre monde », confirme la greffière. La JIVAT a été créée par la loi de programmation du 23 mars 2019 afin de simplifier le parcours judiciaire des victimes d’actes de terrorisme, confrontées à des procédures longues et éprouvantes au pénal, dans lesquelles s’insère la question de l’indemnisation du préjudice. Désormais, la compétence exclusive de ce contentieux revient donc au juge civil du tribunal de Paris. Des réponses peuvent être apportées indépendamment de l’enquête pénale qui s’étale sur plusieurs années. « Nous avons assigné le juge civil en mai 2020. L’audience se tient en décembre 2022. C’est assez rapide », reconnaît Me Pascale Billing, qui représente une victime du Bataclan en désaccord avec le Fonds de garantie. La juridiction traite des attentats les plus connus mais pas seulement, elle traite également ceux commis à l’étranger (Maroc, Inde, Grande-Bretagne, Espagne) ou des plus anciens, comme l’attentat du RER B à Saint-Michel en 1995, et des agressions commises contre des surveillants pénitentiaires.

Cas d’école : une victime du Bataclan

À 10h30, Me Billing déroule l’histoire de son client au soir du 13 novembre. Le décès de son ami, tué au début de l’attentat. Lui, blessé à l’épaule par les tirs. Les corps sur lesquels il doit ramper, sans pouvoir aider. La trappe qui s’ouvre vers le toit. Ses cris à l’aide pour se faire hisser. L’attente, des heures. La certitude de mourir là. L’évacuation par le Raid, à la toute fin. Et puis, les conséquences en cascade sur sa vie : hospitalisation, interventions chirurgicales, septicémie, symptômes dépressifs et déficits fonctionnels sévères, irritabilité, stress, hypervigilance, arrêts de travail, souffrances longue durée, dommages physiques, préjudice sexuel, préjudice d’angoisse de mort imminente, préjudice d’agrément. Au terme de la procédure amiable, le Fonds de garantie lui a alloué 150 000 €. Me Billing en...

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Autorité de la concurrence; suspension de l’exécution de la décision et la recevabilité du pourvoi formé par une partie plaignante

par Cathie-Sophie Pinat, Maître de conférences, Université de Lyon 2le 19 janvier 2022

Com. 1er déc. 2021, F-B, n° 20-19.738

En l’espèce, la société Up et l’association CRT Up ont été condamnées par l’Autorité de la Concurrence (ci-après l’ADLC), sur plaintes de la société Octoplus et du Syndicat national de la restauration thématique (SNRTC), pour des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de l’émission et de l’acceptation des tickets-restaurants, à des sanctions pécuniaires et enjointes de mettre les statuts et le règlement intérieur de l’association CRT en conformité avec le droit de la concurrence.

La société Up a alors saisi la cour d’appel de Paris d’un recours au fond ainsi que le délégué du Premier président de la juridiction d’une requête en suspension de l’exécution de la décision. Dans le cadre de cette requête, la société Octoplus et le SNRTC n’ont pas reçu assignation mais se sont présentés à l’audience à l’occasion de laquelle ils ont présenté des conclusions en caducité de l’assignation et subsidiairement en rejet de la demande de sursis à exécution. Ils estiment qu’ils avaient nécessairement été attraits à la procédure par la notification des conclusions récapitulatives, ou à titre accessoire, par leur demande en intervention volontaire présentée le jour-même. Le 1er juillet 2020, le délégué du Premier président déclare irrecevables les demandes formulées par les sociétés Octoplus et SNRTC et ordonne le sursis à exécution de la décision de l’ADLC. La société Octoplus forme alors un pourvoi en cassation le 1er septembre 2020 et son adversaire, La société Up, soulève l’irrecevabilité du pourvoi en se fondant sur le défaut de qualité pour...

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Transmission d’une information par tout moyen : oui, mais à condition d’être effective

Parmi les arrêts rendus par la deuxième chambre civile le 16 décembre 2021, l’un s’intéresse à une notion assez nouvelle de la procédure civile et qui a été mise en lumière pendant la « crise sanitaire ». La notion de « tout moyen » est en effet apparue en 2005 dans le code de procédure civile, mais elle a surtout été réglementée en 2015, où elle s’est « incarnée » dans les textos et courriels (v. infra). Les dispositions dérogatoires des ordonnances « Covid », tant celle du printemps que celle de l’automne, ont permis un recours plus libéral à des notifications ou transmissions d’information par tout moyen. L’arrêt est l’illustration de la transmission d’une information « par tout moyen », ineffective donc ratée : faute d’avoir été portée à la connaissance des parties, elle n’a pas rempli son office…

Une affaire fait l’objet d’un appel. Le 3 mars 2020 intervient l’ordonnance de clôture et le 12 mars 2020, le dossier de plaidoirie des appelants est déposé en vue de l’audience de plaidoirie prévue le 16 mars 2020 (alors que l’art. 912 c. pr. civ. exige en principe un dépôt 15 jours avant la date de l’audience), soit pendant la période d’« état d’urgence sanitaire » (rappelons que l’art. 1er de l’ord. n° 2020-304 du 25 mars 2020 prévoyait que « les dispositions de la présente ordonnance sont applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée »).

En conséquence de cet état d’urgence, la procédure se déroule sans audience, « le juge ayant usé de la faculté prévue à l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, modifiée par l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 » et les parties ayant été « régulièrement » avisées de la mise en œuvre de cette procédure et de leur possibilité de former opposition dans le délai de quinze jours. Cette information a eu pour vecteur « une note transmise au bâtonnier de l’ordre des avocats par un magistrat chargé de la coordination du pôle civil de la cour d’appel ».

Le 18 juin 2020, la cour d’appel confirme le jugement. Les perdants se pourvoient en cassation. À l’occasion de celui-ci, ils formulent une question prioritaire de constitutionnalité, que la Cour de cassation refuse de transmettre au Conseil constitutionnel, faute pour la QPC de présenter un caractère sérieux (Civ. 2e, 8 avr. 2021, n° 20-20.443 NP, D. 2022. 20 image). Ils critiquent l’arrêt par un moyen divisé en trois branches. Les deuxième et troisième branches reprochent respectivement une violation de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, ensemble l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et un manque de base au regard de ces mêmes textes. Les appelants n’ont pas été informés personnellement ou par l’intermédiaire de leur avocate de la décision de statuer sans audience et ils ont été ainsi privés du droit de s’opposer à cette décision. L’absence d’effectivité de l’information, non constatée par la cour d’appel, résulte des échanges entre l’avocate des appelants et la juridiction. À l’inverse, l’effectivité de celle-ci ne résulte d’aucune pièce de la procédure.

La Cour de cassation casse, au visa du seul article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, modifiée par l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020, pour manque de base légale. Elle rappelle d’abord le régime de la procédure sans audience pendant la période d’état d’urgence, et en particulier que les parties sont informées de la décision d’y recourir « par tout moyen » (n° 9), elle expose ensuite quels moyens entrent dans cette notion (n° 10 et chapô), puis, elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si l’information avait été portée à la connaissance des parties (nos 11 et 12).

Procédure sans audience

Les principes de la procédure sans audience « ordinaire » sont posés par l’article L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire, issu de la loi du 23 mars 2019, applicable devant le tribunal judiciaire (C. Bléry, Un juge civil toujours plus lointain… ? Réflexions sur la dispense de présentation et la procédure sans audience, Dalloz actualité, 22 déc. 2020). Le recours concret à cette procédure sans audience est réglementé dans différents articles du code de procédure civile, dans leur rédaction du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, qui a été modifiée et complétée par le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020. La procédure, devant le tribunal judiciaire, peut se dérouler sans audience et est alors exclusivement écrite… tant en procédure écrite qu’en procédure orale.

La procédure sans audience « ordinaire » présente différentes caractéristiques : ainsi l’initiative et l’accord des parties sont nécessaires pour y recourir, peu...

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Condition suspensive non réalisée et recours de la caution ayant réglé la dette

L’arrêt rendu par la première chambre civile par la Cour de cassation le 5 janvier 2022 en matière de cautionnement est assurément original. Il se démarque, par son objet, de celui rendu le même jour que nous avons commenté au sujet de la disproportion du cautionnement et de la prescription extinctive de différentes actions nées de manquements du créancier quant à ses obligations (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-17.325, Dalloz actualité, à paraître). L’arrêt commenté prend comme point de départ l’action dont dispose la caution quand elle a payé à la place du débiteur principal afin de se désintéresser de ce qu’elle a avancé au profit du créancier. On sait que la caution dispose, à ce titre, d’une action personnelle et d’une action subrogatoire (L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, 15e éd., LGDJ, coll. « Droit civil », 2021, p. 83, n° 72). Reprenons les faits ayant donné lieu au problème présenté devant la Cour de cassation : un emprunt est octroyé en 2007 par un établissement bancaire à une personne physique afin que cette dernière puisse acquérir un immeuble pour un montant de 850 000 €. Une caution professionnelle accepte de garantir la dette sous la condition suspensive que l’emprunteur fasse un apport personnel à hauteur de 98 000 €. Toutefois, l’emprunteur ne parvient à réaliser qu’un apport de 42 000 €. Le débiteur principal devient peu à peu défaillant, si bien que l’établissement bancaire prononce la déchéance du terme. Le créancier a, par la suite, appelé la caution en garantie. Le garant paie la somme de 767 100,63 € restant due et assigne l’emprunteur en remboursement sur le fondement de l’article 2305 ancien du code civil ; le cautionnement étant bien évidemment antérieur au 1er janvier 2022 et à l’application de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 (v. J.-D. Pellier [dir.], dossier Réforme du droit des sûretés : saison 2, Dalloz actualité, 17 sept. 2021). Devant la cour d’appel, l’emprunteur argue qu’il n’a pas à régler à la caution la somme due puisque le cautionnement était conclu sous la condition suspensive qu’il fournisse un apport d’une certaine hauteur, soit 98 000 €. Or ceci n’avait pas été le cas car la somme versée avait été deux fois moins importante, à hauteur de...

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Liquidation du préjudice : précision sur l’étendue de la cassation partielle

La délimitation de l’étendue de la cassation, qu’elle soit totale ou partielle, « présente un intérêt pratique considérable, car la cassation est presque toujours suivie d’un renvoi, en vertu de l’article 626 du code de procédure civile ; et il est essentiel, pour les parties comme pour le juge, de savoir ce qui a été annulé et doit faire l’objet d’un nouvel examen, sans risquer une violation de la chose jugée génératrice d’un nouveau pourvoi » (Rép. pr. civ., v° Pourvoi en cassation, par J. et L. Boré, n° 891). Et c’est particulièrement le cas en droit de la responsabilité lorsque le juge doit se prononcer sur la liquidation du préjudice.

Récemment, la Cour de cassation a eu plusieurs occasions de rappeler les règles de l’étendue de la cassation lorsque celle-ci n’est que partielle. La décision du 9 décembre 2021 s’inscrit dans cette lignée.

Au mois de juin, la deuxième chambre civile a rappelé que « lorsque la cassation, dont la portée est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce, atteint un chef de dispositif de la décision attaquée, elle n’en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation », imposant alors à la juridiction de renvoi de se prononcer en droit et en fait sur la disposition annulée (Civ. 2e, 10 juin 2021, n° 20-14.854, Dalloz actualité, 28 juin 2021, obs. S. Hortala). Elle a également rappelé cette même règle en précisant qu’en application de l’article 625, alinéa 2, du code de procédure civile, la cassation d’un premier arrêt entraîne, par voie de conséquence, celle d’un second arrêt qui en est la suite (Civ. 2e, 17 juin 2021, n° 19-24.535 et n° 20-13.893, Dalloz actualité, 9 juill. 2021, obs. A. Hacène-Kebir). Aujourd’hui, elle confirme à nouveau cette règle.

En l’espèce, le contentieux portait une fois de plus sur l’indemnisation de la victime d’un accident de la circulation, laquelle avait été indemnisée de ces préjudices par le responsable et son assureur. L’arrêt d’appel qui les avait condamnés le 24 janvier 2017 avait été cassé « seulement en ce qu’il les condamnait solidairement à payer à la victime la somme de 246 188,32 € et condamnait l’institution Carcept prévoyance, [tiers payeur], à payer la somme de 79 381,78 € et de 275 212,80 € ».

Devant la juridiction de renvoi, la victime a demandé une nouvelle liquidation de son entier préjudice corporel.

La Cour d’appel a néanmoins limité la réparation du préjudice corporel aux seuls préjudices soumis à recours, dès lors...

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Le plaideur peut se fier aux communiqués (erronés) du ministre de la Justice

L’avocat est-il fondé à croire un communiqué du ministre de la Justice annonçant la suppression de toute audience ?

La question est curieuse, mais elle a été soumise à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui y a répondu dans un arrêt du 13 janvier 2022.

Parce qu’elle était saisie d’une requête en omission de statuer, la cour d’appel de Versailles avait, après une réouverture des débats et quelques renvois, appelé les parties à se présenter à une audience devant se tenir le 16 mars 2020. Puis arriva la covid-19 et, face à cette inconnue, les tribunaux fermèrent leurs portes. C’est en tout cas le sens d’un communiqué diffusé par le ministre de la Justice le 15 mars 2020 et relayé par le conseil national des barreaux qui indiquait que, dès le 16 mars,« en dehors des contentieux essentiels, l’ensemble des audiences ser[aient] reportées ». L’avocat a accordé foi à ce communiqué de presse et, estimant inutile de se rendre au palais pour y trouver les portes closes, est finalement resté chez lui. Mais voilà que l’audience prévue le 16 mars s’est finalement tenue et n’a pas été renvoyée. Aucun texte n’imposait en effet la suppression de l’audience ou son renvoi à une date ultérieure. La cour a donc statué au vu des conclusions et pièces déposées et, réparant son omission de statuer, a ajouté au dispositif de son arrêt une condamnation de quelques dizaines de milliers d’euros.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation n’a cependant pas entériné cette manière de procéder et a censuré l’arrêt rendu par la cour d’appel au grand renfort des articles 14 du code de procédure civile et 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La raison avancée est que le communiqué diffusé le 15 mars était de nature à induire les parties en erreur sur la tenue d’une audience prévue le lendemain.

Admission de l’erreur sur le droit

Ce n’est pas la première fois qu’une erreur sur le droit est admise en droit judiciaire privé. Chacun se souvient en effet peut-être que l’assemblée plénière de la Cour de cassation avait admis que le délai pour exercer un contredit, qui avait pour point de départ le prononcé de la décision, ne pouvait courir à l’encontre de la partie qui avait reçu, avant son expiration, une notification du jugement mentionnant une voie de recours erronée (Cass., ass. plén., 8 avr. 2016, n° 14-18.821 P, D. 2016. 1060 image, note L. Veyre image ; v. égal. Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 19-13.916, inédit ; Com....

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Une partie peut s’opposer à ce que le juge statue sans audience, même si elle est privée du droit de conclure !

L’intimé dont les conclusions sont déclarées irrecevables peut-il s’opposer à ce que le juge statue sans audience en application de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, modifiée par l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 ?

C’est à cette question, portée pour la première fois devant la Cour de cassation, qu’a répondu la deuxième chambre civile dans un arrêt du 16 décembre 2021.

Les faits ne méritent pas un long rappel. Une société a été condamnée par le conseil de prud’hommes de Mâcon à payer diverses sommes à un ancien de ses salariés au titre d’une clause de non-concurrence et d’une indemnité compensatrice de congés payés. Devant la cour d’appel de Dijon, les choses ont cependant pris une mauvaise tournure pour le salarié : faute d’avoir déposé ses conclusions dans le délai de l’article 909 du code de procédure civile, celles-ci ont été déclarées irrecevables. Et puis, à l’orée du printemps 2020, sont arrivées la covid-19 et une kyrielle d’ordonnances. L’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété, modifié par l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 a ainsi permis au juge ou au président de la formation de jugement, lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, de décider que la procédure se déroule « sans audience » dès lors que les parties ne s’y opposent pas (encore que, dans certaines procédures d’« urgence », aucune opposition ne soit possible). C’est ce que la cour d’appel dijonnaise a décidé de faire et, comme l’intimé avait été déclaré irrecevables en ses conclusions, elle a cru bon de passer outre son opposition dès lors qu’il ne pouvait plus faire valoir aucun moyen de défense. En somme, l’intimé étant privé du droit de conclure, l’audience ne présentait plus d’intérêt pour lui…

Cette analyse est censurée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui relève que chaque partie dispose d’un « droit à un débat oral ». Pour fonder l’existence de ce droit, la Cour de cassation rappelle, d’une part, que s’il relève du pouvoir discrétionnaire du juge d’accepter ou de refuser le renvoi, à une audience ultérieure, d’une affaire en état d’être plaidée, encore faut-il toutefois que les parties aient été mises en mesure d’exercer leur droit à un débat oral (Cass., ass. plén., 24 nov. 1989, n° 88-18.188 P, D. 1990. 25 image, concl. J. Cabannes image ; ibid. 429, note P. Julien image ; Dr. soc. 1990. 558, obs. Y. Desdevises image ; RTD civ. 1990. 145, obs. R. Perrot image ; v. égal. Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 19-12.653, inédit ; Com. 24 mai 2017, n° 15-15.547, inédit ; 27 mars 2007, n° 05-21.401, inédit) et, d’autre part, que le Conseil constitutionnel a décidé que l’organisation d’une audience devant les juridictions civiles sociales et commerciales constitue « une garantie légale des exigences constitutionnelles des droits de la défense et du droit à un procès équitable » (Cons. const. 19 nov. 2020, n° 2020-866 QPC, § 14, D. 2020. 2297 image ; ibid. 2021. 499, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot image). La Cour de cassation en déduit que c’est à tort que la cour d’appel a décidé de passer outre l’opposition de l’intimé. Même si celui-ci a été privé du droit de conclure par application de l’article 909 du code de procédure civile, il n’en a pas moins conservé le droit de s’opposer à ce que la procédure se poursuive sans audience. C’est dire, en filigrane, que l’audience...

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Chronique CEDH : adaptation du droit à la liberté d’expression aux réalités de l’ère numérique

La validation des pratiques sécuritaires de la France

Au cours de la campagne électorale devant conduire à l’élection présidentielle et aux élections législatives de 2022, de nombreuses critiques seront bien entendues dirigées contre l’Europe et particulièrement contre l’Europe des droits de l’homme que l’on ne manquera pas d’accuser à nouveau de priver l’État des armes nécessaires pour lutter contre la criminalité prenant des formes toujours plus violentes. En novembre et décembre, probablement grâce au hasard du calendrier, la Cour de Strasbourg a rendu pas moins de six arrêts ou décisions dans des affaires où les pratiques sécuritaires de la France étaient contestées. Or six fois de suite en trois semaines, elle a écarté les griefs d’inconventionnalité des requérants. Cette série est suffisamment remarquable pour dissiper les soupçons de laxisme sécuritaire ou à tout le moins d’en relativiser la portée. Encore faut-il savoir quelles sont les mesures dont la mise en œuvre a bénéficié d’une sorte de validation européenne. Il s’agit de l’usage de la force par les gendarmes pour procéder à une interpellation lorsqu’elle est nécessaire et proportionnée au comportement de l’individu (CEDH 16 déc. 2021, n° 68260/12, Tenenbaum) ; du cumul de sanctions pénales et de mesures fiscales pour mieux pouvoir lutter contre le proxénétisme et le blanchiment de l’argent (16 déc. 2021, n° 23612/20, Alves de Olivera) ; de l’ordre de quitter la France après avoir échoué à obtenir un permis de résidence (25 nov. 2021, n° 42011/19, Melouli, qui présente l’étonnante particularité de n’avoir été résumé par le greffe qu’en anglais, Dalloz actualité, 13 déc. 2021, obs. H. Diaz) ; des poursuites et des condamnations pénales de Français détenus à Guantanamo où des visites d’agents français auraient pu permettre de rassembler des éléments de preuve obtenus grâce aux méthodes attentatoires aux droits de l’homme mises en œuvre dans cette sordide base américaine de détention (25 nov. 2021, n° 10917/15, Sassi et Benchellali, Dalloz actualité, 3 déc. 2021, obs. S. Lavric ; AJ pénal 2021. 600 et les obs. image) et de ce que l’on appelle encore parfois la double peine lorsque la peine complémentaire d’interdiction de séjour frappant l’étranger qui a purgé sa peine privative de liberté est justifiée au regard de la gravité des faits commis (16 déc. 2021, n° 43084/19, Alami ; et 25 nov. 2021, n° 21463/19, Ngumbu Kikoso, qui se singularise en estimant que la détention et l’usage de faux documents administratifs suffisent à caractériser la gravité des faits commis). À cette série d’échecs à faire constater des violations par les autorités françaises des articles 3 et 4 du Protocole n° 7, 6, § 1er, et 8 de la Convention européenne, on pourrait encore ajouter l’arrêt Jarrand du 9 décembre (n° 56138/16, Dalloz actualité, 3 janv. 2022, obs. F. Engel ; AJ pénal 2021. 600 et les obs. image) qui a refusé de constater une violation du droit au respect du domicile d’un fils qui faisait de la résistance à l’exécution d’une décision, commandée par un besoin social impérieux, de placement de sa mère extrêmement vulnérable.

L’expulsion des délinquants étrangers gravement malades

L’expulsion au titre de l’interdiction de séjour frappant un étranger qui a purgé une peine privative de liberté ne vaut pas seulement à la France la compréhension de la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, le Danemark en a également bénéficié pleinement par un arrêt Avi du 30 novembre (n° 40240/20), relativement par un arrêt Savran du 7 décembre (n° 57467/15, Dalloz actualité, 7 janv. 2022, obs. E. Faury) important parce qu’il a obligé une grande chambre à se pencher sur le cas où l’étranger menacé de la double peine est également gravement malade. En l’espèce, un ressortissant turc était parti à l’âge de six ans vivre avec son père au Danemark où, devenu majeur, il avait été reconnu coupable d’une agression en réunion ayant provoqué la mort d’une personne, puis interné en raison de son état de santé mentale pour une durée indéfinie. Quelques années plus tard, son expulsion avec interdiction définitive de retour sur le territoire danois avait été ordonnée au motif qu’il avait commis des infractions pénales violentes. Devant la Cour de Strasbourg, l’expulsé se plaignait, en tant que malade, d’une violation de l’article 3 prohibant les traitements inhumains ou dégradants et, en tant que frappé d’une double peine l’ayant forcé à partir pour toujours loin du pays où il avait grandi, d’une violation de son droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8. Ainsi, la grande chambre était placée au confluent de deux courants jurisprudentiels qui n’ont pas toujours donné à la Cour européenne des droits de l’homme l’occasion de faire preuve d’un grand sens de l’humanité (v. le tristement célèbre arrêt N. c. Royaume-Uni du 27 mai 2008, n° 26565/05, RTD civ. 2008. 643, obs. J.-P. Marguénaud image, relatif à l’expulsion d’une mère de famille malade du sida vers un pays où elle n’aurait plus accès aux médicaments qui la maintenaient en vie). Aussi a-t-elle fait un petit geste en décidant, par application des critères énoncés dans son arrêt Maslov c. Autriche du 23 juin 2008 (n° 1638/03, AJDA 2007. 1918, chron. J.-F. Flauss image) qu’il y avait violation de l’article 8 en raison du caractère disproportionné de l’interdiction définitive de retour au Danemark, notamment parce qu’elle avait été prise sans vérifier suffisamment si la grave infraction contre une personne n’avait pas été commise sous l’emprise de la maladie mentale. Ce constat de violation, qui fait contraste avec les autres solutions retenues en la matière pendant les deux derniers mois de 2021, n’était pas le plus prévisible. Si elle a prévalu, c’est peut-être pour compenser le refus de constater une violation de l’article 3 au nom d’une vigoureuse consolidation des critères énoncés par l’arrêt de grande chambre Paposhvili c. Belgique du 13 décembre 2016 (n° 41738/10, Dalloz actualité, 16 déc. 2016, obs. D. Poupeau ; AJDA 2016. 2406 image ; ibid. 2017. 157, chron. L. Burgorgue-Larsen image) conduisant à considérer que l’expulsion de l’étranger malade, à qui on ne peut souvent reprocher rien d’autre que de se trouver en situation irrégulière, est constitutive d’un traitement inhumain ou dégradant seulement lorsque la souffrance qu’elle provoque atteint un certain seuil.

L’adoption de l’enfant à l’encontre des souhaits culturels et religieux de sa mère biologique

L’autre arrêt de grande chambre de la fournée, l’arrêt Abdi Ibrahim c. Norvège du 9 décembre (n° 15379/16, AJ fam. 2020. 67 image), aborde une question en forme de quadrature du cercle qui pourrait électriser le débat politique : l’adoption dans un État membre du Conseil de l’Europe d’un enfant dont la mère biologique est de confession musulmane, religion qui ne connaît que la kafala et ne reconnaît pas l’adoption. En l’espèce, le fils né d’une jeune somalienne déchue de l’autorité parentale avait été placé dans une famille d’accueil norvégienne qui, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, avait demandé et obtenu son adoption sous une forme qui interdirait tout contact avec sa mère biologique. Or cette dernière, pressentant qu’une rupture aussi radicale conduirait à un renoncement à la foi musulmane dans laquelle elle souhaitait que son enfant continue à être élevé, a invoqué devant la Cour européenne des droits de l’homme une violation de son droit au respect de la vie familiale et de son droit à la liberté de religion. À première vue, il semblait difficile de reprocher à l’État, soucieux au plus haut point de l’intérêt supérieur de l’enfant, d’avoir consacré cette solution puisque, à l’origine, il ne s’était trouvé, et pour cause, aucune famille d’accueil correspondant aux origines culturelles et religieuses de la requérante. Pourtant, la grande chambre a considéré qu’en de telles circonstances, l’article 8 de la Convention, tel qu’interprété à la lumière de l’article 9, aurait dû, au cours du processus décisionnel, pousser les autorités à rechercher des modalités qui auraient permis à la mère biologique d’avoir des contacts réguliers avec son enfant adopté de manière à ce qu’il puisse « garder au moins certains liens avec ses racines culturelles et religieuses ». Cette consécration, au nom ou en marge de l’intérêt supérieur de l’enfant, d’une sorte de droit de suite culturel et religieux ne manquera pas d’être diversement appréciée.

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Compétence internationale en matière d’assurance

Une personne, domiciliée au Royaume-Uni, s’est blessée, pendant ses vacances en Espagne, à la suite d’une chute dans un patio faisant partie d’un bien immobilier appartenant à une personne domiciliée en Irlande. La victime prétendait agir contre le propriétaire du bien immobilier et son assureur de responsabilité, une société d’assurance espagnole, devant les juridictions de son propre domicile, à savoir les juridictions anglaises.

La compétence pour connaître d’une action directe contre un assureur nécessite de combiner plusieurs textes. L’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit règlement Bruxelles I bis, précise que les articles 10, 11 et 12 sont applicables en cas d’action directe intentée par la victime contre l’assureur, lorsque l’action directe est possible. Or, l’article 11, § 1 b), du même texte dispose que l’assureur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait, en cas d’actions intentées par le preneur d’assurance, l’assuré ou un bénéficiaire, devant la juridiction de l’État membre du lieu où le demandeur a son domicile. Pour justifier la compétence des juridictions anglaises, qui étaient encore juridiction d’un État membre à l’époque, pour connaître de l’action contre l’assureur, le demandeur invoquait cumulativement l’article 11, § 1, b) donnant compétence à la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile et...

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Recel successoral : dette de valeur et point de départ des intérêts

Le temps de la succession est un temps qui peut être long, particulièrement lorsque tous les héritiers ne se montrent pas tout à fait transparents quant aux bienfaits qu’ils ont reçus des auteurs de leurs jours. Le recel successoral point alors et avec lui plusieurs questions : quelle est la nature de la restitution qui pèse sur le receleur et à quelle date les intérêts que ce dernier doit verser commencent à courir ?

Monsieur [UF] [ZF] et madame [RY] [H] sont décédés respectivement les 2 septembre 1976 et 19 juillet 1978, en laissant pour leur succéder leur sept enfants : [F], [M], [NB], [VX], [P], [GI] et [L] [ZF]. Une de leurs filles [VX] [ZF] est décédée le 4 mai 1995 en laissant pour lui succéder trois enfants [XN], [K] et [UF]. Le 20 avril 1998, Monsieur [UF] a assigné deux de ses tantes – [GI] [ZF] et [L] [ZF] – en rapport de donations et recel successoral. Par un arrêt du 25 avril 2008, la cour d’appel de Fort-de-France a dit que [L] [ZF] est privée de tous droits sur un appartement dont la nue-propriété a été acquise par elle à l’aide de deniers fournis par son père et dont elle n’a pas fait état lors des opérations de liquidation et de partage, et qu’elle doit restituer ce bien en nature, et non en valeur, à la succession. La Cour de cassation, lors d’un premier pourvoi (Civ. 1re, 30 sept. 2009, n° 08-16.601), a alors censuré la décision des juges du fond sur les modalités du rapport et a renvoyé l’affaire devant la même cour d’appel autrement composée. Entre-temps, le 22 janvier 2017, [L] [ZF] décède en laissant pour lui succéder deux filles [U] [J] et [A] [J], cette dernière étant représentée par sa tutrice Madame [Z]. En 2019, la cour d’appel de renvoi (Fort-de-France, 5 nov. 2019, n° 18/00521) statue sur deux points. D’abord, elle considère que Madame [U] [J] et Madame [Z], en qualité de tutrice de [A] [J], doivent rapporter à la succession de Monsieur [UF] [ZF] la valeur actuelle au jour du partage de l’appartement litigieux. Par contre, elle a refusé que la valeur de l’immeuble recelé soit fixée à la somme de deux millions d’euros, faute d’expertise immobilière de l’immeuble et a confié au notaire en charge des opérations de liquidation et partage de la succession le soin d’évaluer la valeur vénale actuelle dudit bien immobilier, soit au jour du partage. Ensuite, la cour vient préciser que les intérêts de...

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L’office raisonnable de l’huissier significateur en cas d’absence du destinataire

La Cour de cassation poursuit son dessein de sécurisation des règles de signification des actes de procédure. Cette jurisprudence cherche à atteindre une ligne d’équilibre entre, d’un côté, une certaine rigueur visant à maximiser les chances que le destinataire soit informé de l’acte notifié et, de l’autre côté, une relative souplesse visant à éviter que ne pèsent sur l’huissier de justice des diligences disproportionnées. C’est ce qu’illustre le présent arrêt qui apporte d’utiles précisions sur l’appréciation de l’impossibilité de signifier à personne, condition requise pour signifier à domicile.

Les faits de l’affaire sont banals. Une personne interjette appel d’un jugement postérieurement au délai d’appel (lequel court à compter de la notification du jugement). Souhaitant éviter que son appel soit déclaré irrecevable, l’appelant demande au conseiller de la mise en état de prononcer l’annulation du procès-verbal de signification du jugement. Il reproche à l’huissier de justice d’avoir réalisé une signification à domicile sans avoir respecté son obligation préalable de tenter une signification à personne en se rendant sur le lieu de travail du destinataire et sans avoir essayé de se présenter une nouvelle fois au domicile après avoir constaté l’absence momentanée du destinataire.

Liminairement, il convient de rappeler que lorsque l’appelant prétend que son retard à former appel est lié à une irrégularité de la signification du jugement, il lui appartient, avant de conclure sur le fond, de saisir le conseiller de la mise en état de conclusions qui lui sont spécialement adressées d’une demande en nullité de la signification du jugement. L’exception de nullité de la signification doit être soulevée in limine litis (C. pr. civ., art. 74) et la compétence revient bien au conseiller de la mise en état à compter de sa désignation, la question ayant trait à la recevabilité de l’appel (Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-22.609 F-P, Dalloz actualité, 27 janv. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2021. 129, obs. S. Thouret image).

En l’espèce, la cour d’appel refuse d’annuler la signification. Elle est approuvée par la Cour de cassation qui, après avoir rappelé les termes des articles 654, 655 et 689 du code de procédure civile, affirme que « lorsqu’il s’est assuré de la réalité du domicile du destinataire de l’acte et que celui-ci est absent, l’huissier de justice n’est pas tenu de tenter une signification à personne sur son lieu de travail, et peut remettre l’acte à domicile ». Il importe peu, selon la Cour de cassation, que l’absence du destinataire ne soit que « momentanée ».

La haute juridiction précise donc, d’une part, que l’impossibilité de signifier à personne s’apprécie en un lieu particulier, qui est le domicile du destinataire. Elle confirme, d’autre part, que l’impossibilité de signifier à personne est suffisamment caractérisée par l’absence du destinataire à son domicile.

L’impossibilité de signifier à...

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L’imprudence et la convention d’assistance bénévole

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 5 janvier 2022 est une décision à la fois importante et rare. Importante, d’une part, car elle vient affirmer une solution qui n’avait jamais été encore aussi clairement posée. Rare, d’autre part, parce que son objet porte sur une thématique dont les arrêts de la Cour de cassation sont peu nombreux, à savoir la convention d’assistance bénévole (R. Bout, « La convention d’assistance », in Études offertes à Pierre Kayser, PUAM, 1979, p. 157 s. ; A. Sériaux, « L’œuvre prétorienne in vivo : l’exemple de la convention d’assistance », in Mélanges Michel Cabrillac, Litec, 1999, p. 299 s.). Nous avions déjà commenté dans ces colonnes l’année dernière un arrêt sur ce même thème (Civ. 1re, 5 mai 2021, n° 19-20.579, Dalloz actualité, 12 mai 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1803 image, note D. Galbois-Lehalle image ; ibid. 2022. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; RTD civ. 2021. 653, obs. P. Jourdain image). La solution de l’arrêt de 2021 avait donné lieu à un partage de responsabilité original et garant d’une prise en compte raisonnée de la situation factuelle qui existait entre les parties. L’arrêt rendu le 5 janvier 2022 s’inscrit dans son prolongement en durcissant le ton contre l’assistant commettant une faute, ici spécifiquement d’imprudence. Ceci peut paraître original quand on sait que certaines responsabilités sont appréciées de manière plus souple quand les contrats sont conclus à titre gratuit, même si cette distinction ne peut pas être généralisée en droit positif (S. Benilsi, La gratuité en droit privé, thèse, 2006, p. 13, n° 24 et p. 17, n° 29).

Les faits sont dénués d’une grande originalité puisque tout le problème débute par une personne en aidant une autre pour des travaux de rénovation et d’extension d’un bien immeuble. Durant les travaux de réparation d’une infiltration d’eau dans la cuisine, un incendie se déclare. L’assureur de la victime indemnise cette dernière et se retourne contre l’assistant bénévole en étant subrogé dans les droits de l’assisté. L’assureur estime, en effet, que c’est l’utilisation imprudente d’une lampe à souder qui est à l’origine de l’incendie. Le tribunal de grande instance de Rouen...

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Exclusion de la qualité d’associé pour l’usufruitier de parts sociales et effectivité de son droit de jouissance

La chambre commerciale est consultée pour avis par la troisième chambre civile sur le fondement de l’article 1015 du code de procédure civile sur une question inédite et fondamentale : l’usufruitier est-il associé ? C’est la première fois que la question est posée aussi explicitement et l’avis rendu par la chambre commerciale vient clore un débat qui anime la doctrine – et la pratique – depuis de nombreuses années.

L’usufruitier n’est pas un associé, seul le nu-propriétaire a cette qualité

La sentence est sans appel : « l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé ».

Cette solution, défendue de longue date par le professeur Viandier (A. Viandier, La notion d’associé, préf. F. Terré, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 156, 1978, l’auteur y démontre que la qualité d’associé se caractérise par la réunion de deux critères cumulatifs : l’apport et le droit d’intervention) mais aussi par une partie de la doctrine (J.-P. Chazal, L’usufruitier et l’associé, Defrénois 2000, art. 37191 ; Rép. Sociétés, v° Usufruit des droits sociaux, par F. Zenati, spéc. nos 71 s. ; RTD civ. 2007. 153, obs. T. Revet image ; R. Mortier, La jouissance de la qualité d’associé, in Mélanges en l’honneur de J.-J. Daigre, Joly éditions, 2017, p. 223 s.) a le mérite de la clarté.

Pour ces auteurs, il était possible d’admettre que l’arrêt de Gaste du 4 janvier 1994 (Com. 4 janv. 1994, n° 91-20.256, Rev. sociétés 1994. 278, note M. Lecène-Marénaud image ; RTD civ. 1994. 644, obs. F. Zenati image ; Defrénois 1994. 556, note P. Le Cannu ; Dr. sociétés 1994. Comm. 45, obs. T. Bonneau ; Bull. Joly 1994. 249, obs. J.-J. Daigre) l’avait implicitement affirmé par son attendu en évoquant le seul nu-propriétaire. Pour autant, la doctrine n’était pas sur ce point unanime et une partie des commentateurs refusaient de voir dans le silence de la Cour sur la qualité d’associé de l’usufruitier un rejet de cette qualité à son profit (M. Cozian, Du nu-propriétaire ou de l’usufruitier qui a la qualité d’associé, JCP N 1994, n° 28-29 ; J.-P. Garçon, La situation des titulaires de droits sociaux démembrés, JCP N 1995. 269 ; C. Regnault-Moutier, Vers la reconnaissance de la qualité d’associé à l’usufruitier de droits sociaux ?, Bull. Joly 1994, § 329, n° 11, p. 1162 ; Y. Paclot, Remarques sur le démembrement des droits sociaux, JCP E 1997. I. 674, n° 7). Le débat a connu d’autres soubresauts à l’occasion de décisions ultérieures et semblait devoir être remis sur l’ouvrage, encore et toujours.

Désormais, le doute n’est plus permis et il est intéressant de constater que la chambre commerciale rend son avis au visa d’une part (et en premier lieu, ce qui n’est pas anodin), sur le fondement de l’article 578 du code civil et, d’autre part, sur celui des alinéas 1 et 3 de l’article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978.

L’usufruitier jouit cependant comme un propriétaire en vertu de l’article 578 du code civil

Selon les termes de l’article 578, « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ». Appliqué à l’usufruit de parts sociales, ce texte conduit à faire de l’usufruitier un sujet qui exerce le droit d’autrui – le nu propriétaire –...

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Le défenseur syndical est un avocat comme les autres

Un employeur, et le commissaire à l’exécution du plan, la société ayant fait l’objet d’un plan de continuation, font appel d’un jugement prud’homal ayant fixé des créances au passif de la société au profit du salarié.

L’appel est formé le 9 avril 2018.

Le salarié constitue un défenseur syndical pour le représenter, l’acte de constitution étant remis à l’avocat de l’appelant le 9 mai 2018.

L’appelant remet ses conclusions au greffe de la cour d’appel dans le délai de trois mois de l’article 908, mais notifie ses conclusions au défenseur syndical le 17 juillet 2018.

Saisi d’un incident, le conseiller de la mise en état rejette la caducité.

Mais sur déféré, l’ordonnance de mise en état est infirmée.

Un pourvoi est formé. Le demandeur au pourvoi soutient en substance que l’appelant dispose d’un délai d’un mois supplémentaire pour notifier les conclusions à un défenseur syndical, qui n’est pas un avocat au sens de l’article 911, et à qui il n’est pas possible de notifier par voie électronique les conclusions, de sorte qu’il existe nécessairement un délai entre l’envoi de l’acte et sa réception, ce qui ampute le délai dont dispose l’appelant pour faire diligence.

Avocat ou défenseur syndical : rien ne change

Nous le devinions, et la Cour de cassation l’avait confirmé, ce qui vaut pour l’avocat, vaut également pour le défenseur syndical lorsque la procédure d’appel permet la représentation par ce représentant d’un nouveau genre (voir pour l’obligation de procéder selon la procédure à jour fixe en matière prud’homale, pour faire appel d’un jugement statuant sur la compétence, Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 18-19.768 P, Dalloz actualité, 23 nov. 2020, obs. Lhermitte ; 6 déc. 2021, n° 20-12.000 P, Dalloz actualité, 6 janv. 2021).

Que la partie, en matière prud’homale, soit représentée par un avocat ou par un défenseur syndical ne change rien aux diligences procédurales mises à leur charge, et aux délais dans lesquels ces diligences doivent être effectuées.

Or, nous savons que lorsque l’appelant remet ses conclusions au greffe, il dispose du délai supplémentaire d’un mois de l’article 911, soit un délai de quatre mois de la déclaration d’appel, pour les signifier à la partie à elle-même, ou les notifier à l’avocat constitué entretemps, si la partie est défaillante à la date de la remise au greffe (Civ. 2e, 27 juin 2013, n° 12-20.529 P, D. 2013. 2058, chron. H. Adida-Canac, R. Salomon, L. Leroy-Gissinger et F. Renault-Malignac image ; ibid. 2014. 795, obs. N. Fricero image ; JCP 2013. 795, obs. Gerbay ; ibid. 1225, n° 9, obs. Serinet ; ibid. 1232, n° 8, obs. Amrani-Mekki ; Gaz. Pal. 20 juill. 2013, p. 13 (1re esp.), note Piau ; Dr. et pr. 2013. 220, note Poisson). Et si l’intimé a constitué avocat au moment de la remise des conclusions,...

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Après la loi de bioéthique, l’heure des règlements

par Daniel Vigneau, Professeur agrégé, Université de Pau et des Pays de l'Adour, Conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologiesle 11 janvier 2022

Décr. n° 2021-1933, 30 déc. 2021, JO 31 déc.

La loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique nécessite l’intervention de plusieurs décrets pour en préciser les modalités et surtout pour adapter les nombreuses dispositions réglementaires du code de la santé publique aux nouvelles dispositions législatives du même code. Dans l’urgence, certaines dispositions règlementaires ont déjà été publiées telles que celles résultant d’un décret du 28 septembre 2021 fixant les conditions d’organisation et de prise en charge des parcours d’assistance médicale à la procréation (AMP) en raison de l’ouverture de l’AMP à de nouveaux bénéficiaires : couples de femmes et femmes non mariées. C’est au tour d’un décret n° 2021-1933 du 30 décembre 2021 de venir fixer les modalités d’autorisation des activités d’autoconservation des gamètes pour raisons non médicales en application de l’article L. 2141-12 du code de la santé publique et pour adapter la partie réglementaire du même code au regard de certaines dispositions de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique. À noter que les schémas régionaux de santé devront prendre en compte les dispositions de ce décret au plus tard le 1er novembre 2023 (art. 7).

Sans entrer dans les détails des diverses modifications ponctuelles apportées à de multiples dispositions réglementaires du code de la santé publique (remplacement par exemple des termes « couple » par « couple ou femme non mariée »), on...

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Procédure orale : convocation de l’avocat à l’audience de plaidoirie de la cour d’appel

Un tribunal d’instance prononce l’ouverture d’une procédure de rétablissement personnel avec liquidation et, à la suite de la publication au BODACC de cette décision, une société déclare deux créances à titre hypothécaire. Par jugement du 28 janvier 2019, le tribunal d’instance arrête le plan des créances mais le tribunal fixe la créance de cette société à titre chirographaire. Le 13 février 2019, l’avocat de la société interjette appel devant la cour d’appel de Grenoble. Selon arrêt du 15 octobre 2019, confirmant le jugement entrepris, la cour d’appel arrête la créance à la somme de 133 781,54 € à titre chirographaire. La société demanderesse au pourvoi, qui rappelait que « nul ne peut être jugé sans avoir été entendu ou appelé » et que « la défense constitue pour toute personne un droit fondamental à caractère constitutionnel », reprochait à la cour de ne pas s’être assurée que l’avocat de l’appelante avait bien été convoqué à l’audience en violation des articles 14 et 937 du code de procédure civile, ensemble l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme. Rejetant le pourvoi, la deuxième chambre civile répond :
« 6. Selon l’article 937 du code de procédure civile, applicable à la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel, le demandeur est avisé par tous moyens des lieu, jour et heure de l’audience.
7. Si, selon l’article 932 du même code, la déclaration d’appel peut être faite par mandataire, aucun texte n’impose qu’un avis doive être adressé au conseil du demandeur, qui a, lui-même, été destinataire de cet avis et a, dès lors, été mis...

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Réforme des sûretés : registre des sûretés mobilières et autres opérations connexes

Les dispositions de ce décret, pour la plupart, n’entreront en vigueur que le 1er janvier 2023 (art. 15, I, al. 1er). Toutefois, celles relatives aux hypothèques maritimes et saisie de navires, aux inscriptions des droits réels sur les bateaux, à certaines dispositions relatives au gage sans dépossession notamment, entrent en vigueur dès le 1er janvier 2022 (art. 15, I, al. 2).

Enfin, certaines dispositions s’appliquent aux procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire ouvertes à compter du 1er octobre 2021.

Nous l’examinerons, ce décret envisage la publicité des gages sans dépossession, mais jusqu’à son entrée en vigueur, soit le 1er janvier 2023, ces derniers relèveront toujours du décret n° 2006-1804 du 23 décembre 2006 pris pour l’application de l’article 2338 du code civil et relatif à la publicité du gage sans dépossession (ce qui concernera notamment le nouveau gage portant sur des immeubles par destination consacré au sein de l’article 2334 du code civil).

Le décret contient pour l’essentiel, des dispositions d’adaptation, envisagées aux articles 2 à 13 du décret et touchent les dispositions du code de commerce, du code monétaire et financier, du code rural, du code général des impôts, du code de la sécurité sociale, du code des transports, du code de procédure civile et enfin du code des procédures civiles d’exécution.

Il s’inscrit dans le travail d’ampleur mené par le gouvernement dans la rédaction des décrets d’application faisant suite à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés (deux autres décrets n° 2021-1888 et 2021-1889 commentés par Jean-Denis Pellier, professeur à l’Université de Rouen, codirecteur du master 2 Droit privé général).

Le propos de ce commentaire ne sera pas d’envisager la partie relative aux dispositions d’adaptation des différents codes mais se limitera au titre premier relatif aux dispositions générales.

Dans le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, était annoncée la création d’un registre unique des sûretés mobilières, « conformément aux meilleurs standards internationaux », afin de mettre un terme à la dispersion des dispositions relatives à la publicité des sûretés mobilières, inscrites dans différents codes (code de commerce, code des douanes, code des transports, code général des impôts, code de la sécurité sociale et code de la construction et de l’habitation) et à différents niveaux de normes, en harmonisant les règles de publicité.

L’article 37 de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés prévoyait pour ce registre, une entrée en vigueur différée au plus tard au 1er janvier 2023, que le rapport au président de la République justifiait en ces termes : « Toutefois, la date d’entrée en vigueur des dispositions relatives au registre des sûretés mobilières et au gage automobile, lesquelles requièrent à la fois des mesures réglementaires d’application et des développements informatiques, sera fixée par décret, sans pouvoir être postérieure au 1er janvier 2023 ».

La crainte était grande de voir ce registre unique des sûretés mobilières, déjà espéré lors de la précédente réforme du droit des sûretés issue de l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, subir le même sort que celui qui avait été réservé au registre relatif au gage automobile, qui n’a finalement jamais vu le jour.

D’ailleurs, il doit être souligné que l’inscription des gages portant sur un véhicule automobile n’est toujours pas envisagée par le nouveau décret, alors pourtant que l’alinéa 2 de l’article 2338 du code civil, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2023, prévoit que, « sauf s’il est soumis à l’article 2342, le gage portant sur un véhicule terrestre à moteur ou une remorque immatriculés est publié par une inscription sur un registre tenu par l’autorité administrative dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État. L’inscription d’un tel gage fait obstacle à toute nouvelle inscription sur le même véhicule » (le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance du 15 septembre 2021 précise à cet égard qu’« une spécificité est conservée pour l’inscription de cette sûreté puisqu’elle continuera à être réalisée sur le système d’immatriculation des véhicules (SIV), ce qui permet notamment d’assurer la protection des acquéreurs de véhicule automobile : la transaction est généralement subordonnée à la délivrance d’un certificat de non-gage. De plus, un seul gage pourra être inscrit pour un même véhicule automobile. Par exception, le gage portant sur une flotte de véhicules sera publié sur le registre classique des gages sans dépossession, l’inscription au SIV étant inadaptée pour des véhicules nombreux et régulièrement renouvelés »). S’agit-il d’une simple omission ?

Il n’en reste pas moins que la célérité avec laquelle le décret d’application concernant ce registre a été publié permet d’être relativement optimiste.

Le contenu et la forme électronique du registre

C’est dans le code de commerce que le registre trouve sa source et plus précisément à l’article R. 521-1 dudit code et la plupart des textes des différents autres code renverront à cet article qui dispose :

« Il est institué au niveau de chaque greffe compétent dans les conditions définies par l’article R. 521-5, un registre dénommé “registre des sûretés mobilières et autres opérations connexes” dont l’objet est de centraliser leurs inscriptions. »

« Il est également institué, sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, un portail national accessible par le réseau internet permettant la consultation des informations inscrites dans les registres des sûretés mobilières tenus localement par chaque greffier. »

L’article R. 521-4 dispose que ce registre est tenu sous forme électronique et qu’il est fait usage de la signature électronique qualifiée selon les exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique.

Révolutionnaire, novateur, assurément car ce registre assurera la publicité de toutes les sûretés mobilières et davantage (ainsi les déclarations de créances de l’article L. 141-22 du code de commerce lors de la cession du fonds de commerce, les décisions d’inaliénabilité de certains biens lorsqu’elles sont ordonnées au cours de la procédure collective…).

C’est l’article R. 521-2 qui dresse l’inventaire des publicités qui seront recueillies :

Le registre régi par le présent chapitre assure la publicité :

« 1° Des gages sans dépossession à l’exception des gages mentionnés au second alinéa de l’article 2338 du code civil ;
2° Des nantissements conventionnels de parts de sociétés civiles, de société à responsabilité limitée et de société en nom collectif ;
3° Du privilège du vendeur de fonds de commerce ;
4° Du nantissement du fonds de commerce ;
5° Des déclarations de créances en application de l’article L. 141-22 du code de commerce ;
6° Des hypothèques maritimes à l’exclusion de celles qui portent sur les navires enregistrés au registre mentionné à l’article L. 5611-1 du code des transports ;
7° Des actes de saisie sur les navires à l’exclusion de ceux qui portent sur les navires enregistrés au registre mentionné à l’article L. 5611-1 du code des transports ;
8° De tout acte ou jugement translatif, constitutif ou déclaratif de propriété ou de droits réels portant sur un bateau au sens de l’article L. 4111-1 du code des transports ;
9° Des hypothèques fluviales ;
10° Des actes de saisie de bateaux ;
11° Parmi les mesures d’inaliénabilité décidées par le tribunal en application des articles L. 626-14 et L. 642-10 du présent code, de celles qui, le cas échéant, portent sur un bien ayant préalablement fait l’objet d’une inscription au présent registre conformément aux dispositions du premier alinéa des articles R. 626-25 et R. 642-12 du même code ou, à défaut, de celles pour lesquelles les débiteurs sont inscrits au registre du commerce et des sociétés ainsi que de celles qui portent sur des biens d’équipement en application des articles R. 626-26 et R. 642-13 du même code ;
12° Des contrats portant sur un bien qui ont fait l’objet d’une publicité, conformément aux dispositions de l’article L. 624-10 du présent code et dans les conditions fixées par l’article R. 624-15 du même code ;
13° Du privilège du Trésor ;
14° Des privilèges de la sécurité sociale et des régimes complémentaires prévus à l’article L. 243-5 du code de la sécurité sociale ;
15° Des warrants agricoles ;
16° Des opérations de crédit-bail en matière mobilière. »

Le formalisme des inscriptions

Il est organisé aux articles R. 521-5 à R. 521-25 du code de commerce.

L’inscription est portée sur un registre tenu par le greffier compétent.

Il s’agira selon les cas du greffier :

du tribunal de commerce,
  du tribunal judiciaire statuant commercialement ou du tribunal mixte de commerce dans le ressort duquel le débiteur, ou le propriétaire du bien grevé s’il n’est pas le débiteur, est immatriculé à titre principal au registre du commerce et des sociétés.

Lorsque le constituant n’est pas soumis à l’obligation d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, l’inscription sera portée sur le registre dans le ressort duquel est situé son siège ou à défaut son établissement principal ou, s’il n’existe ni siège, ni établissement principal, son lieu d’exercice de l’activité ou l’adresse de l’entreprise fixée au local d’habitation.

S’il s’agit d’une personne physique dont la dette garantie a été contractée à titre non professionnel, l’inscription est portée sur le registre dans le ressort duquel est situé son domicile personnel.

Enfin, à défaut d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, de siège, d’établissement principal, de lieu d’exercice de l’activité ou de domicile personnel sur le territoire français, le greffier compétent sera celui du tribunal de commerce de Paris.

La demande d’inscription sera effectuée par remise ou transmission au greffier compétent par voie postale ou électronique d’un bordereau qui devra être dressé en deux exemplaires lorsqu’il aura été opté pour un format papier (art. R. 521-6).

Le bordereau devra contenir un certain nombre d’informations énumérées aux 1° à 7° de l’article R. 521-6 (la catégorie d’inscription parmi celles visées à l’article R. 521-1, par exemple nantissement de parts de société civile, gages sans dépossession… la désignation du créancier, celle du débiteur, etc.).

Les modalités d’établissement du bordereau seront fixées par arrêté.

Bien sûr, le créancier devra joindre à ce bordereau l’original de l’acte constitutif de la sûreté ou l’expédition s’il résulte d’un acte authentique ou la copie de ces justificatifs (art. R. 521-7), avec des exceptions pour les privilèges du Trésor et de la sécurité sociale, aux opérations de crédit-bail ou aux contrats mentionnés à l’article L. 624-10 du code de commerce (restitution et revendication).

Après avoir vérifié la régularité, le greffier attribuera un numéro d’ordre à la demande d’inscription qui figurera sur le bordereau.

L’inscription prendra effet à la date à laquelle elle a été régulièrement accomplie (art. R. 521-10).

Quant à sa durée, elle est fixée à cinq ans, renouvelable (art. R. 521-11), avec quatre exceptions énumérées à l’article R. 521-12 pour lesquelles la durée sera de :

dix ans pour le privilège du vendeur de fonds de commerce, le nantissement du fonds de commerce, les hypothèques maritimes et fluviales ;
  quatre ans pour le privilège du Trésor ;
  deux ans et six mois pour le privilège de la sécurité sociale, l’inscription n’est pas renouvelable ;
  celle fixée par la décision du tribunal, pour la mesure d’inaliénabilité.

Les articles R. 521-13 à R. 521-18 régissent les modalités permettant la modification ou le renouvellement de l’inscription initiale et les articles R. 521-19 à R. 521-25 organisent les modalités des radiations, l’article R. 521-23 disposant que l’inscription radiée ou périmée n’apparaît plus dans les résultats des demandes de consultation du registre.

Pour les inscriptions, renouvellements, modifications et radiations, le tarif des prestations sera arrêté conjointement par les ministres de la Justice et de l’Économie (art. R. 521-28).

Les contestations

Lorsque le greffier estime que les conditions de l’inscription ne sont pas réunies, il prend une décision de refus motivée qui sera notifiée au requérant (art. R. 521-26).

Ce dernier disposera de la possibilité d’exercer un recours formé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision ; ce recours est porté devant le président du tribunal dont dépend le greffier qui a opposé le refus (art. R. 521-27, I).

Le président statue par voie d’ordonnance exécutoire de droit à titre provisoire.

L’ordonnance est susceptible d’appel dans le délai de quinze jours de sa notification (art. R. 521-27, II).

La consultation du portail national

L’article R. 521-29 dispose qu’« afin de garantir la publicité des informations inscrites, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce met en place et assure la gestion du portail national mentionné à l’article R. 521-1 ».

Il est ajouté que, « sous réserve des dispositions de la présente section, les dispositions du titre XXI du livre Ier du code de procédure civile s’appliquent à la communication électronique des actes de procédure que permet ce portail électronique ».

Ce portail sera consultable gratuitement et permettra de télécharger un document faisant apparaître les éléments suivants :

1. Concernant le propriétaire du bien visé au 5° de l’article R. 521-6 ou, à défaut de bien, le débiteur :

a. S’il s’agit d’une personne physique commerçante : ses nom, prénom et le numéro unique d’identification complété par la mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée ;

b. S’il s’agit d’une personne physique non commerçante ou d’un constituant à titre non professionnel : ses nom, prénom et son adresse pertinente si elle est connue et, s’il y a lieu, son numéro unique d’identification ;

c. S’il s’agit d’une personne morale : sa forme, sa dénomination sociale, l’adresse de son siège ainsi que, le cas échéant, le numéro unique d’identification complété, s’il y a lieu, par la mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée.

Pour les opérations de crédit-bail en matière mobilière, le requérant indique les informations requises concernant le crédit-preneur. Pour les contrats mentionnés à l’article L. 624-10, le requérant indique les informations requises concernant le débiteur.

2. Concernant l’opération : la catégorie d’inscription parmi celles listées à l’article R. 521-1 ;

3. Pour les gages sans dépossession : la catégorie à laquelle le bien appartient par référence à la nomenclature prévue au 6° de l’article R. 521-6.

Chaque consultation ne peut porter que sur une même personne et une ou plusieurs catégories d’inscription.

Pour la consultation des inscriptions portant sur les bateaux et les navires, le requérant peut renseigner uniquement le numéro d’identification ou d’immatriculation du bateau ou navire.

Les règles sont posées, mais le défi est de taille, pour le gouvernement et les greffes le compte à rebours pour la création de ce portail national dispose d’un délai expirant au 31 décembre 2022 pour parvenir à sa création…

La route est encore longue mais les premières pierres de l’édifice sont déjà posées.

[PODCAST] 15’ pour parler d’Europe - Épisode 1 : Entretien avec Sébastien Morgan

Dans cette première interview, Hélène Biais, directrice des affaires publiques près la Délégation des barreaux de France à Bruxelles, reçoit Sébastien Morgan, magistrat et coordinateur justice de la présidence française de l’Union européenne, qui nous présente les dossiers prioritaires des six prochains mois.

Écouter le podcast

Podcast créé, réalisé et animé par :

Laurent Pettiti, Président de la Délégation des Barreaux de France
Hélène Biais, Directrice des Affaires Publiques, Délégation des Barreaux de France
Laurent Montant, Directeur Studio Média Lefebvre Dalloz
Laurent Dargent, Rédacteur en chef de Dalloz actualité
Axel Gable, Ingénieur du son

Nous remercions vivement le Conseil de l’Europe de nous avoir permis d’utiliser la version de l’hymne européen accompagnant ce podcast.

Publication du décret sur le contrat d’engagement républicain

Toute association ou fondation qui sollicite l’octroi d’une subvention auprès d’une autorité administrative ou d’un organisme chargé de la gestion d’un service public industriel et commercial doit souscrire un contrat d’engagement républicain (Loi n° 2000-321 du 12 avr. 2000, art. 10-1). Un décret du 31 décembre 2021 détermine le contenu de ce contrat, que doivent souscrire les associations et les fondations bénéficiant de subventions publiques ou d’un agrément de l’État, fixe ses modalités de souscription et précise les conditions de retrait des subventions publiques. Il est applicable aux demandes de subventions et d’agréments présentées à compter de son entrée en vigueur, soit le 2 janvier 2022.

Le contrat d’engagement républicain, qui figure en annexe du décret, doit permettre à l’administration, de s’assurer que les organismes bénéficiaires de subventions publiques ou d’un agrément respectent le pacte républicain. Il comporte les sept...

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Réforme des sûretés: mesures d’application et de coordination

Il était en effet nécessaire de remplacer, au sein des dispositions réglementaires de plusieurs codes, des expressions qui n’avaient plus lieu d’être à la suite de la nouvelle réforme du droit des sûretés. C’est ce qui justifie une entrée en vigueur dudit décret dès le 1er janvier 2022 (art. 4), puisque les dispositions issues de la nouvelle réforme du droit des sûretés sont également entrées en vigueur à cette date, pour la plupart, à l’exception notable des dispositions relatives au registre des sûretés mobilières et au gage automobile, appelées à entrer en vigueur le 1er janvier 2023 (v. Décr. n° 2021-1887 du 29 décembre 2021 relatif au registre des sûretés mobilières et autres opérations connexes ; v. à ce sujet Dalloz actualité, ce jour, obs. F. Kieffer). Seront envisagées les dispositions du code monétaire et financier (art. 1er et 3) ainsi que celle des autres codes (art. 2).

Les dispositions du code monétaire et financier

En premier lieu, l’expression « plateforme de négociations » est substituée à celle de « marché réglementé » au sein de l’article D. 211-12 relatif à la réalisation du nantissement de compte-titres. Il y a là une harmonisation de bon aloi, puisque l’article L. 211-20 du même code concernant le nantissement de compte-titres et de titres financiers (sur la distinction entre le compte-titre et les titres financiers, v. J.-D. Pellier, Droit de rétention et nantissement de titres financiers, D. 2019. 1846 image) avait déjà été modifié en ce sens (v. à ce sujet C. Hélaine, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Spin off #2) : le nantissement de compte-titres, Dalloz actualité, 28 sept. 2021).

On observera que cette expression avait également été introduite, par l’ordonnance du 15 septembre 2021, au sein de l’article 2348 en matière de gage (v. à ce sujet C. Gijsbers, Le gage et les sûretés sur créances, RDC déc. 2021,...

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Réforme du droit des sûretés: le décret d’application publié

Les dispositions de ce décret, pour la plupart, sont entrées en vigueur dès le 1er janvier 2022 (art. 7, I), celles relatives aux saisies mobilières étant toutefois appelées à entrer en vigueur un an plus tard (en même temps que le décret n° 2021-1887 du 29 décembre 2021 relatif au registre des sûretés mobilières et autres opérations connexes ; v. à ce sujet F. Kieffer, Décret n° 2021-1887 du 29 décembre 2021 relatif au registre des sûretés mobilières et autres opérations connexes). Nombre de ces dispositions ont vocation à s’appliquer aux procédures engagées à compter de leur entrée en vigueur (art. 7, II).

Pour l’essentiel, outre les inévitables dispositions de coordination, envisagées par les articles 5 et 6 du décret (qui ne sont d’ailleurs pas toujours satisfaisantes ; v. par ex. art. 5, IX, 4°, b, modifiant l’article R. 321-5 du code des procédures civiles d’exécution, notamment pour remplacer la référence à l’article 2463 du code civil par celle à l’article 2456, mais oubliant de modifier, au sein du même texte, la référence à l’article 2464), ce sont les dispositions du code de procédure civile ainsi que celles du code des procédures civiles d’exécution qui se trouvent modifiées par les articles 1 à 4 dudit décret.

Les dispositions du code de procédure civile

En premier lieu, c’est le code de procédure civile qui est modifié « afin de moderniser et de clarifier la procédure de purge des inscriptions sur les immeubles, en ce compris le warrant agricole ou le gage portant sur un meuble immobilisé par destination » (notice du décret).

Ce code contenait en effet un chapitre qui était intitulé « La purge des hypothèques et privilèges par le tiers détenteur » (art. 1281-13 s.). Le décret rebaptise tout d’abord ce titre ainsi : « La purge des hypothèques par le tiers acquéreur ». Cela permet de tirer les conséquences de la transformation des privilèges immobiliers spéciaux en hypothèques légales spéciales (v. à ce sujet C. Hélaine, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Épisode final) : les sûretés réelles immobilières, Dalloz actualité, 24 sept. 2021 ; J.-D. Pellier, Réforme du droit des sûretés par l’ordonnance du 15 septembre 2021 : les sûretés réelles immobilières, Lexbase Affaires n° 691, 7 oct. 2021, n° 4 ; D. Savouré, La fin des privilèges immobiliers spéciaux, RDC déc. 2021, n° 200i9, p. 122 ; C. Séjean-Chazal, Cure de jouvence pour l’hypothèque, JCP 2021, suppl. au n° 43-44, p. 60, n° 8) et de la substitution à l’expression de « tiers détenteur » de celle de « tiers acquéreur », jugée « plus exacte » selon les termes du rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance du 15 septembre 2021 (cette expression avait déjà été consacrée par cette dernière au sein des articles 2454 et suivants du code civil et elle est d’ailleurs également introduite dans le code des procédures civiles d’exécution, v. art. 5, IX, du décr. n° 2021-1888).

Quant au contenu de ce chapitre, le décret intègre au sein des articles 1281-13 et 1281-14 du code de procédure civile des règles qui figuraient auparavant au sein des anciens articles 2478 et 2480 du code civil, ce qui se justifie au regard de la nature réglementaire de ces dispositions. Plus fondamentalement, deux nouvelles règles sont introduites : d’abord, le nouvel article 1281-17-1 aux termes duquel « Le créancier poursuivant établit un cahier des conditions de vente qui est déposé au greffe du tribunal judiciaire chargé de la vente. Il contient :

1. L’énonciation de l’ordonnance qui a fixé la date de la vente avec la mention de sa publication ;

2. La désignation de l’immeuble à vendre, l’origine de propriété, les servitudes grevant l’immeuble, les baux consentis sur celui-ci et le procès-verbal de description ;

3. La mention de la mise à prix, des conditions de la vente et des modalités de paiement du prix. »

L’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés, qui avait été dévoilé le 18 décembre 2020, nous éclaire sur la raison d’être de cette disposition : « Ce nouveau texte vient combler un manque en prévoyant que le créancier doit élaborer un cahier des conditions de vente. La rédaction est inspirée de celle de l’article R. 642-25 du code de commerce relatif à la vente des immeubles du débiteur en liquidation judiciaire. »

Ensuite, le nouvel article 1281-20 prévoit que, « lorsqu’un créancier titulaire d’une sûreté publiée sur un immeuble par destination forme surenchère, la vente est faite par un officier ministériel habilité par son statut à procéder à des ventes aux enchères publiques de meubles corporels et, dans les cas prévus par la loi, par des courtiers de marchandises assermentés. Faute d’enchérisseur, ce créancier est déclaré adjudicataire pour le montant de la mise à prix. Le versement du prix ou sa consignation et le paiement des frais de la vente purgent de plein droit l’immeuble par destination de toute sûreté. La distribution du prix est réalisée en application des dispositions du titre III du livre III du code des procédures civiles d’exécution ». C’est une fois de plus l’avant-projet du 18 décembre 2020 qu’il faut consulter pour comprendre les raisons de l’adoption de ce texte : « Ce nouvel article tire les conséquences sur le plan procédural de la faculté de surenchère ouverte au créancier bénéficiaire d’un gage sur un immeuble par destination par le nouvel article 2470-1 du code civil. L’immeuble par destination est vendu aux enchères et le paiement du prix par l’adjudicataire entraîne la purge du gage. Le prix de vente est distribué en application des dispositions du code des procédures civiles d’exécution ; le gagiste comme les créanciers hypothécaires pourront à cette occasion faire valoir leur droit de préférence » (l’article 2470-1 cité au sein de cet...

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