Obligation de constitution d’avocat et matière prud’homale : l’esprit plutôt que la lettre

Un salarié, invoquant une situation de coemploi, agit devant le conseil de prud’hommes à l’encontre de plusieurs de ses employeurs de manière à voir qualifier les différents contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.

Le conseil de prud’hommes constate l’absence de coemploi et se déclare incompétent, renvoyant les parties à mieux se pourvoir.

Le salarié fait appel le 11 février 2019 et, le lendemain, il remet au premier président une requête pour être autorisé à faire assigner à jour fixe.

Le premier président rend une ordonnance autorisant à assigner à jour fixe, mais l’appelant omet de faire assigner les intimés et, par conséquent, de remettre les actes d’assignation avant l’audience.

La cour d’appel de Montpellier prononce la caducité en application des articles 920 et 922 du code de procédure civile.

Le salarié se pourvoit en cassation, et pour échapper à la caducité, le salarié soutient devant la Cour de cassation que l’appel ne relevait pas du jour fixe de l’article 85 du code de procédure dès lors que la matière prud’homale n’impose pas la constitution d’avocat, la partie pouvant être représentée par un défenseur syndical.

Le pourvoi est rejeté.

Le défenseur syndical, ce quasi-inconnu du code de procédure civile

En 2016, avec la réforme de la justice prud’homale et l’extension de la représentation obligatoire aux appels des jugements rendus par les conseils de prud’hommes, est apparu un nouveau type de représentant qu’est le défenseur syndical (décr. n° 2016-660, 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail).

Aux termes des articles R. 1461-1 (C. trav., art. R. 1461-1 ; mod. par décr. n° 2016-660, 20 mai 2016, art. 28) et R. 1453-2 (C. trav., art. R. 1461-1 ; mod. par décr. n° 2016-660, 20 mai 2016, art. 10) du code du travail, le défenseur syndical peut représenter les parties, le salarié mais également l’employeur, en matière prud’homale devant la cour d’appel.

Cependant, si le code de procédure civile cite abondamment l’avocat, seuls deux articles, à savoir les articles 930-2 (décr. n° 2016-660 du 20 mai 2016, art. 30) et 930-3 (décr. n° 2017-1008 du 10 mai 2017, art. 7-2°), font référence au défenseur syndical. Ils concernent la remise des...

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Force majeure : la réception reste brouillée

FM. Ou Force majeure. Deux lettres d’espoir, apparues en 2017 avec un article 910-3 du code de procédure civile, présentées aux avocats comme une concession et « vendues » comme pouvant permettre d’échapper aux sanctions en cas de notification tardive de leurs conclusions. La Cour de cassation confirme qu’il sera de courte durée. Souhaitant contester des jugements du conseil de prud’hommes dans le cadre d’un licenciement collectif pour motif économique l’opposant à seize salariés, une société de maintenance pétrolière forme appel le 28 février 2019 devant la chambre sociale de la cour d’appel de Pau. L’avocat de la société transmet ses conclusions d’appel le 3 juin 2019 par lettre recommandée, enregistrées au greffe le 5 juin 2019. Saisi d’un incident de caducité faute d’une notification des conclusions dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état retient la force majeure mais les salariés contestent l’analyse sur déféré. Par arrêts du 25 juin 2020, la cour d’appel infirme les ordonnances déférées en relevant qu’aucun cas de force majeure n’était démontré par l’appelante l’empêchant de conclure dans le délai de trois mois qui lui était imparti. La société forme des pourvois contre les seize arrêts en reprochant à la cour d’avoir statué ainsi alors que, certificat médical à l’appui, l’avocat de la société appelante avait été physiquement empêché de travailler du 22 mai au 3 juin pour raisons de santé. Le moyen avançait encore qu’il avait ensuite fait toutes diligences pour satisfaire au plus vite aux obligations procédurales dès que cela lui avait été possible et que la cour ne pouvait écarter la force majeure motif pris qu’il faisait « partie d’une équipe d’avocats ». Il ajoutait enfin que cette notification tardive n’avait en rien retardé la procédure d’appel et que les objectifs poursuivis par les règles de la procédure d’appel avaient pu être satisfaits, de sorte que la cour d’appel avait retenu une interprétation excessive des conditions de l’article 910-3 du code de procédure civile et érigé un obstacle disproportionné à l’accès au juge d’appel en violation de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. La deuxième chambre civile balaye l’argumentation tant au regard des règles internes qu’européennes, et répond, après jonction, pour rejeter l’ensemble des pourvois :

« 12. Selon l’article 910-3 du code de procédure civile, en cas de force majeure, le président de la chambre ou le conseiller de la mise en état peut écarter l’application des sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 911.

13. Constitue, au sens de ce texte, un cas de force majeure la circonstance non imputable au fait de la partie et qui revêt pour elle un caractère insurmontable.

14. Les arrêts retiennent que la partie qui se prévaut de la force majeure doit démontrer que les effets de la caducité ne pouvaient être évités par des mesures appropriées et qu’ aucun élément ne permet de retenir que M. [UB], lorsqu’il traite les dossiers de sa clientèle personnelle, ne bénéficie d’aucun support de la part du cabinet d’avocats X, dans lequel il exerce, constitué d’une trentaine de personnes et notamment une équipe en droit social dont il fait partie et qu’il s’en déduit qu’un membre de cette équipe était en mesure de le suppléer en cas d’empêchement, et de suivre ses instructions.

15. Ils ajoutent qu’il ressort des courriels qu’il a adressés à l’avocat des salariés de la société que M. [UB] a été en mesure le 24 mai 2019 de communiquer le décompte des condamnations assorties de l’exécution provisoire et de donner des informations précises sur le règlement des sommes concernées et que c’est le jour même de son rétablissement, à savoir le 3 juin, qu’il a adressé à la cour ses conclusions d’une trentaine de pages concernant les seize salariés intimés, accompagnées de 269 pièces, ce qui suppose qu’il ait bénéficié d’un support, eu égard à son état de santé.

16. En l’état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, la cour d’appel a pu en déduire qu’aucun cas de force majeure n’était démontré par l’appelante l’empêchant de conclure dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile, de sorte que c’est à bon droit et sans méconnaître les dispositions de...

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Publication de la loi portant réforme des catastrophes naturelles

Au terme d’un long parcours parlementaire, la loi relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles est enfin publiée au Journal officiel (L. n° 2021-1837 du 28 déc. 2021, JO 29 déc.). L’objectif de ce nouveau dispositif est de garantir une plus grande transparence dans les procédures et un meilleur accompagnement des communes et des sinistrés, mais également et surtout de renforcer l’indemnisation des victimes.

Point sur les différents délais modifiés

Dépôt d’un dossier de reconnaissance de l’état de « Cat Nat »

Pour les collectivités, le délai de dépôt d’un dossier de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle par les communes passe de dix-huit à vingt-quatre mois après la survenance de l’événement (C. assur., art. L. 125-1 mod. par L. n° 2021-1837, art. 9).

Délai de publication de l’arrêté « Cat Nat »

À l’inverse, le délai de publication au Journal officiel de l’arrêté de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle est abaissé de trois à deux mois à compter du dépôt des demandes des communes (C. assur., art. L. 125-1, al. 4 mod. par L. n° 2021-1837, art. 6).

Délai de déclaration de sinistre

Côté assuré, ce dernier dispose désormais de trente jours au lieu de dix pour déclarer son sinistre. Le nouvel article L. 125-2 du code des assurances précise que « les contrats mentionnés à l’article L. 125‑1, nonobstant toute stipulation contraire, sont réputés inclure une clause prévoyant l’obligation pour l’assuré de donner avis à l’assureur de tout sinistre de nature à entraîner la garantie mentionnée au même article L. 125‑1, dès qu’il en a eu connaissance, et au plus tard trente jours après la publication de l’arrêté de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ».

Délai d’indemnisation du sinistre

Côté assureur, à compter de la réception de la déclaration du sinistre ou de la date de publication, lorsque celle‑ci est postérieure, de la décision administrative constatant l’état de catastrophe naturelle, il dispose d’un délai d’un mois pour informer l’assuré des modalités de mise en jeu des garanties prévues au contrat et pour ordonner une expertise.

Puis, il fait une proposition d’indemnisation ou de réparation en nature résultant de cette garantie, dans un délai d’un mois à compter soit de la réception de l’état estimatif transmis par l’assuré en l’absence d’expertise, soit de la réception du rapport d’expertise définitif.

À compter de la réception de l’accord de l’assuré sur la proposition d’indemnisation, l’assureur dispose d’un délai d’un mois pour missionner l’entreprise de réparation ou d’un délai de vingt et un jours pour verser l’indemnisation due.

Remarque : actuellement, les indemnisations résultant de cette garantie doivent être attribuées aux assurés dans un délai de trois mois à compter de la date de remise de l’état estimatif des biens endommagés ou des pertes subies, sans préjudice de dispositions contractuelles plus favorables, ou de la date de publication, lorsque celle-ci est postérieure, de la décision administrative constatant l’état de catastrophe naturelle.

À défaut, et sauf cas fortuit ou de force majeure, l’indemnité due par l’assureur porte, à compter de l’expiration de ce dernier délai, intérêt au taux de l’intérêt légal. L’ensemble des délais auxquels sont soumis les assureurs s’applique sans préjudice des stipulations contractuelles plus favorables (C. assur., art. L. 125-2 mod. par L. n° 2021-1837, art. 6).

Périmètre de la garantie

La garantie couvre...

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Péremption d’instance : « prudence est mère de sûreté » !

Lorsqu’un appel est instruit selon la procédure à bref délai, la fixation de l’affaire par le juge dispense-t-elle les parties d’accomplir des diligences afin d’éviter une péremption de l’instance ?

C’est à cette question, en apparence anodine, qu’a répondu la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 décembre 2021.

Les faits n’appellent pas de longs commentaires. Parce qu’il avait été interjeté appel d’un jugement rendu par le juge de l’exécution, l’appel avait été instruit selon la procédure à bref délai. Le 16 janvier 2017, l’appelant avait ainsi été avisé de la fixation de l’affaire à bref délai et il lui avait été enjoint de conclure et de respecter les délais prévus dans le calendrier de procédure, lequel comportait une date de clôture de l’instruction et une date pour l’audience de plaidoiries. Malgré cette injonction, l’appelant n’avait ni conclu ni communiqué ses pièces dans les délais impartis. Le président de la chambre saisie en avait tiré les conséquences en radiant l’affaire du rôle le 31 mars 2017. Puis le temps passa… jusqu’au 13 février 2019, date à laquelle les intimés ont demandé le rétablissement de l’affaire et formé un appel incident. L’appelant sortit alors de sa torpeur procédurale et, pour tenter de s’extraire du piège dans lequel il s’était mis, joua son va-tout en demandant à la juridiction du second degré de constater la péremption de l’instance…

La cour d’appel rejeta l’incident et, en élève scrupuleux, prit le soin de justifier sa décision en reproduisant mot pour mot les termes employés par la Cour de cassation dans un précédent arrêt : « le cours du délai est suspendu, en l’absence de possibilité pour les parties d’accomplir des diligences de nature à accélérer le déroulement de l’instance, à compter de la date de fixation de l’affaire pour être plaidée et que, lorsque l’affaire fait ultérieurement l’objet d’une radiation, un nouveau délai de deux ans commence à courir ». En somme, un nouveau délai de péremption avait commencé à courir le 31 mars 2017, si bien que le délai de péremption de l’instance n’était pas acquis lorsque les intimés ont, le 13 février 2019, sollicité le rétablissement de l’affaire et formé appel incident.

Saisie d’un recours, la Cour de cassation n’a cependant pas partagé cette manière de voir les choses. Certes, elle a bien admis, avec la cour d’appel, que « dans la procédure ordinaire suivie devant la cour d’appel, le cours du délai de péremption de l’instance est suspendu, en l’absence de possibilité pour les parties d’accomplir des diligences de nature à accélérer le déroulement de l’instance, à compter de la date de la fixation de l’affaire pour être plaidée ». Cependant, elle a décidé qu’il en allait autrement « lorsqu’en application de l’article 905 du code de procédure civile, l’affaire est fixée à bref délai, les parties étant invitées à la mettre en état pour qu’elle soit jugée ». Le point de départ du délai de péremption pouvant toutefois encore donner lieu à discussion, la Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris.

Certes, la Cour de cassation rappelle que le cours de la péremption est suspendu à compter de la fixation de la date d’audience des plaidoiries, mais la dérogation qu’elle apporte à ce principe pourrait contribuer à l’en vider d’une partie de sa substance…

Le principe : le délai de péremption est suspendu à compter de la fixation de la date d’audience des plaidoiries

En soulignant que dans le cadre d’une procédure d’appel ordinaire, le cours de la péremption est suspendu à compter de la fixation de l’audience des plaidoiries, en l’absence de possibilité pour les parties d’accomplir des diligences de nature à accélérer le déroulement de l’instance, la Cour de...

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Privilège donné à l’administration d’être ou non représentée par un avocat : conséquences sur l’utilisation du RPVA

Le 1er décembre, la Cour de cassation a rendu quatre avis en matière de notification. Pour importants et logiques qu’ils soient, il nous semble surprenant que :

• ce soit à la chambre commerciale et non à la chambre spécialisée en procédure civile qu’ait incombé la charge de répondre : certes, le contentieux en cause était fiscal, mais la question posée était purement procédurale ;

• les avis ne soient pas destinés à publication : les avis ne sont pas si fréquents et, surtout, sont utiles pour éviter des contentieux à venir, alors pourquoi ne pas les placer « en pleine lumière » pour qu’ils soient plus à même de remplir leur office préventif ? Un avis inédit nous semble un oxymore, d’autant plus que les demandes sont soumises à des conditions de recevabilité strictes, celles des articles L. 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile qui empêchent les demandes « fantaisistes » et donc les avis anecdotiques, ce que ne sont pas du tout ceux du 1er décembre 2021…

Dans les quatre affaires, opposant trois sociétés à la direction régionale des douanes et droits indirects de la Réunion, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion transmet une demande d’avis. Les quatre demandes, identiques, sont formées le 23 juillet 2021 et reçues par la Cour de cassation le 6 septembre 2021.

Les demandes d’avis sont recevables. En effet, elles concernent une « question de droit, qui est nouvelle et présente une difficulté sérieuse, [et qui] est susceptible de se poser dans de nombreux litiges ».

La question est ainsi libellée : « L’article R.* 202-2 du livre des procédures fiscales combiné à l’article 850 du code de procédure civile doit-il être interprété en ce sens que les parties à l’instance, dûment représentées par un avocat inscrit à l’un des barreaux du ressort de la cour d’appel dont dépend le tribunal judiciaire saisi, se notifient valablement leurs mémoires par le réseau RPVA, conformément à l’article 850 du code de procédure civile, et sans autre formalité, tandis qu’elles doivent se signifier respectivement leurs mémoires par voie d’huissier, lorsque l’administration n’est pas représentée par un avocat ? Ou doit-il être interprété en ce sens que les parties à l’instance, même dûment représentées par un avocat inscrit à l’un des barreaux du ressort de la cour d’appel, dont fait partie le tribunal judiciaire saisi, doivent se signifier leurs mémoires par voie d’huissier ? »

La réponse de la Cour de cassation est que, dès lors que l’administration fait le choix d’être représentée par un avocat, les parties peuvent se notifier entre elles les actes de procédure par le RPVA. En revanche, quand l’administration fait le choix contraire, la notification des actes de procédure doit emprunter une autre voie : ici, celle de la signification.

Complexité des règles en matière de représentation obligatoire par avocat

Une fois de plus (v. déjà C. Bléry et M. Bencimon, Territorialité de la postulation : nouvel avis de la Cour de cassation en matière d’expropriation, Dalloz actualité, 19 mai 2021), la difficulté est venue de la réforme « Belloubet » qui a modifié les règles en matière de représentation obligatoire par avocat (Dalloz actualité, 19 déc. 2019, obs. A. Bolze). Si les promoteurs de la réforme avaient vanté auprès de ces auxiliaires de justice une extension de la représentation obligatoire, c’est en réalité une grande complexification qui en est résultée.

De fait, la représentation obligatoire par avocat a bien été étendue. Sans exhaustivité, rappelons qu’une telle représentation est en principe imposée devant le tribunal judiciaire (C. pr. civ., art. 760) – donc y compris en référé – et en particulier dans les matières relevant de la compétence exclusive du tribunal sauf pour les matières qui en sont expressément dispensées. Avec le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020, la ROA n’est donc plus systématique pour les matières relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire (C. pr. civ., art. 761, al. 2 ; Dalloz actualité, 1er déc. 2020, obs. F.-X. Berger). Ceci sauf dispenses prévues à l’article 761.

Il en est...

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Récompenses et qualification de biens communs : précisions sur le fond, rappels sur la présomption

Deux ex-époux se querellaient à propos du règlement de la liquidation de leur régime matrimonial de communauté réduite aux acquêts. La Cour de cassation règle ici deux questions relatives aux récompenses et qualifications, l’une au moyen d’une règle de fond, l’autre grâce à une présomption.

Précisions sur le fond : l’APL est un bien commun

Avant le mariage, l’épouse avait souscrit deux emprunts pour financer une construction immobilière destinée à devenir sa résidence principale. Une partie des échéances était remboursée mensuellement au moyen du versement par la caisse d’allocations familiales à l’organisme prêteur d’une allocation personnalisée au logement (APL). Après la célébration du mariage, l’immeuble est demeuré un bien propre de l’épouse (en application de l’art. 1405 C. civ.) et le remboursement du prêt s’est poursuivi selon les mêmes modalités : une partie au moyen de ses revenus et une autre par le versement direct de l’APL au prêteur.

La question s’est alors posée d’un éventuel droit à récompense pour la communauté. La difficulté portait sur la partie du prêt remboursée au moyen de l’APL : fallait-il la déduire du montant de la récompense ? Le remboursement par l’APL, versée directement au prêteur, générait-il un droit à récompense pour la communauté ?

Par arrêt du 22 octobre 2019, la cour d’appel de Colmar rejeta les prétentions de l’ex-épouse et considéra que le montant de la récompense due par elle à la communauté devait inclure celui des aides personnalisées au logement.

Un pourvoi fut formé mais le premier moyen ne parvint pas à convaincre la Cour de cassation qui considéra que « l’aide personnalisée au logement accordée à l’acquéreur d’un bien affecté à sa résidence principale, selon la composition et les ressources de son foyer, constitue pour son bénéficiaire un substitut de revenus, de sorte que celle-ci entre en communauté, peu important qu’elle soit versée directement à l’organisme prêteur ».

Dans la première branche du premier moyen, la demanderesse au pourvoi considérait que « l’aide personnalisée au logement, obtenue par un époux avant le mariage et versée directement à l’organisme prêteur qui en a déduit le montant des mensualités de remboursement du prêt finançant l’acquisition d’un bien propre, n’entre pas dans le patrimoine commun ». Ces sommes seraient plutôt des biens propres par nature.

La proposition est audacieuse et ne convainc pas. Certes, l’aide au logement est « personnalisée » mais il ne s’agit nullement d’une « créance ou pension incessible », ni même d’un « droit exclusivement attaché à la personne » au sens de l’article 1404 du code civil. Il s’agit plutôt d’un droit patrimonial affranchi des caractéristiques personnelles de l’allocataire. L’APL, qui a pour fonction d’alléger les frais de logement qui sont des charges du mariage incombant à la communauté, est un complément de revenus qui entre en communauté, au même titre de l’indemnité de licenciement (Civ. 1re, 23 juin 2021, n° 19-23.614, Dalloz actualité, 8 juill. 2021, obs. A. Tani ; D. 2021. 1238 image ; AJ fam. 2021. 499, obs. S. Ferré-André image ; ibid. 501, obs. J. Casey image ; ibid. 381, édito. V. Avena-Robardet image ; RTD civ. 2021. 693, obs. M. Nicod image) ou la prise en charge d’un emprunt immobilier en exécution d’un contrat d’assurance invalidité (Civ. 1re, 14 déc. 2004, n° 02-16.110, D. 2005. 545 image, note R. Cabrillac image ; AJ fam. 2005. 68, obs. P. Hilt image ; RTD civ. 2005. 819, obs. B. Vareille image).

L’expression « n’entre pas dans le patrimoine commun » utilisée dans la première branche du premier moyen pouvait aussi s’entendre comme désignant l’absence d’encaissement des sommes par la communauté. Il est vrai que les APL n’ont pas ici « transité » par la masse commune, de sorte qu’il n’a pas, à proprement parler, était « pris sur la communauté une somme » (C. civ., art. 1437) au bénéfice de la masse propre. De même, l’époux n’a pas vraiment pu « retirer un profit personnel des biens de la communauté » puisque celle-ci n’a jamais perçu les aides.

Heureusement, la Cour de cassation privilégie l’esprit de l’article 1437 du code civil sur sa lettre et prend soin de préciser qu’il importe peu que les sommes soient versées directement à l’organisme prêteur. Il aurait en effet été difficile de justifier que soient traitées différemment l’hypothèse dans laquelle la communauté rembourse le prêt avec les APL qu’elle a préalablement encaissées, et celle où la caisse d’allocations familiales verse directement les sommes au prêteur. Dans les deux cas, la masse propre s’enrichit...

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Petite pause hivernale

La rédaction de Dalloz actualité prend ses quartiers d’hiver, le temps de fêtes de fin d’année bien méritées !

Nous serons de retour dès le lundi 3 janvier 2022.

Merci de votre fidélité et joyeuses fêtes!

L’héritier réservataire, le légataire et l’indemnité de réduction

Un homme est décédé en décembre 2008, laissant pour lui succéder son fils, Monsieur R., héritier réservataire. Deux testaments olographes avaient été signés par lui, les 30 octobre 2007 et 23 janvier 2008, instituant Monsieur P. W. légataire universel et Monsieur A. W. légataire à titre universel. Monsieur A. W. décide de vendre un immeuble qu’il a reçu de la succession et l’héritier réservataire décide de l’assigner en paiement d’indemnités de réduction – de même que Monsieur P. W. Au cours de la procédure, le bien fait l’objet d’une préemption et Monsieur A. W. reçoit une indemnité d’expropriation de 898 870 €.

La cour d’appel (Pau, 16 déc. 2019) statuant sur l’affaire a considéré que l’indemnité de réduction due par le légataire universel devait être calculée d’après le montant de l’indemnité allouée par le juge de l’expropriation à la suite de la préemption de l’immeuble dont il avait été gratifié, soit d’après la valeur du bien légué à l’époque de son aliénation. Les juges du fond, en...

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Circulaire du 4 octobre 2021 : Épisode 6 - Le recours accru aux mesures patrimoniales

Le recours généralisé aux saisies pénales au stade de l’enquête

Les modalités des saisies

Le régime des saisies dites « spéciales » est prévu par les articles 706-141 et suivants du code de procédure pénale. Leur mise en œuvre a pour but de garantir l’exécution de la peine complémentaire de confiscation selon les conditions définies à l’article 131-21 du code pénal : à ce titre, elles portent sur les biens ayant servi à commettre l’infraction ainsi que sur les biens qui en sont l’objet ou le produit, direct ou indirect (cf. 2.).

La circulaire enjoint les procureurs à envisager la mise en œuvre de saisies le plus tôt possible pendant l’enquête, lorsque la nature des dossiers et, notamment, l’ampleur de la fraude, le profil ou le patrimoine de l’auteur le justifient.

Plus précisément, la circulaire enjoint les procureurs à procéder à des saisies en valeur. En effet, si la saisie peut être réalisée en nature, c’est-à-dire directement sur les biens en question, l’article 706-141-1 du code de procédure pénale prévoit que la saisie peut également être ordonnée en valeur. Dans ce cas, la saisie est opérée par « compensation » sur les biens de le personnes visée par l’enquête, notamment sur ses comptes bancaires. Le mécanisme de la saisie en valeur est notamment privilégié en matière de fraude fiscale lorsqu’il s’agit de saisir le produit supposé de l’infraction. En effet, ce produit consiste le plus souvent en une économie d’impôt, de sorte qu’il n’est pas possible d’identifier un bien précis qui soit le fruit de l’infraction. À cet égard, la Direction des affaires criminelles et des grâces rappelle fort opportunément la jurisprudence de la chambre criminelle qui juge logiquement que le produit direct ou indirect du délit de fraude fiscale correspond au montant de l’impôt éludé et non à celui de l’ensemble des sommes dissimulés, c’est-à-dire de l’assiette de l’impôt.

La saisie est donc une opération qui nécessite la détermination précise du patrimoine de la personne visée par l’enquête, ainsi que l’évaluation de la valeur marchande des biens qui le composent. Dans cette optique, la circulaire rappelle que les investigations patrimoniales devront inclure des recherches dans les fichiers de l’administration fiscale (FICOBA, FICOVIE). Il est également précisé que lorsque les dossiers le justifieront, ces investigations patrimoniales se feront dans le cadre d’enquêtes approfondies qui pourront être confiées aux services spécialisés que sont les groupes interministériels de recherches (GIR) et la plateforme d’identification des avoirs criminels (PIAC). Aucune précision n’est toutefois apportée quant au cadre dans lequel se fera la « participation » de ces services à l’enquête.

Les règles procédurales applicables aux saisies

La décision de mettre en œuvre une saisie peut être prise, selon le cadre des investigations, soit par l’officier de police judiciaire, soit par le procureur de la République, soit par le juge des libertés et de la détention, soit par le juge d’instruction.

La saisie pénale des biens meubles peut être décidée par l’officier de police...

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Du provisoire au fond dans une même affaire : quelle articulation ?

Un arrêt du 2 décembre 2021, destiné à publication, est rendu au visa des articles 480 et 488 du code de procédure civile, relatifs à l’autorité de la chose jugée. Il met en œuvre ces deux textes dans une affaire complexe, caractérisée par l’imbrication d’une procédure au provisoire et d’une procédure au principal. Si la Cour de cassation a, à juste titre, retenu l’incidence de cette dernière sur la première, il nous semble que c’est autant en raison de l’efficacité substantielle du jugement au fond que de son autorité de la chose jugée, « supérieure » à celle de la décision au provisoire.

Un salarié, bénéficiant du statut de salarié protégé, est embauché avec un contrat de travail à durée indéterminée (CDI), par une société titulaire d’un marché public. Le marché public est ensuite attribué à une autre société (la société Checkport) et une autorisation de transfert du salarié à la nouvelle société, eu égard à son statut, lui est accordée. La société Checkport considère cependant que le salarié n’a pas été transféré et ne lui fournit pas de travail.

Le salarié introduit successivement deux procédures, d’abord au provisoire, puis au fond. En référé il veut obtenir sa réintégration. Puis, confronté au refus de reprise du contrat, il prend acte de la rupture dudit contrat de travail avec la société Checkport. Il agit alors au fond pour voir requalifiée la prise d’acte de la rupture du contrat en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par ailleurs, la procédure au provisoire se subdivise elle-même en deux, la procédure « essentielle » étant suivie d’une procédure relative à la liquidation de l’astreinte ordonnée par la première ordonnance. Cette seconde ordonnance de référé, qui liquide l’astreinte, fait l’objet de l’arrêt du 2 décembre 2021.

Deux procédures parallèles

Procédures au provisoire

Demande de réintégration

Le salarié saisit le juge des référés du conseil des prud’hommes de Bobigny d’une demande de réintégration dirigée à l’encontre des deux sociétés.

Le 15 décembre 2017, le juge rend une ordonnance de référé par laquelle il met hors de cause la société Sodaic et ordonne sous astreinte à la société Checkport la reprise du contrat de travail. Le juge des référés se réserve la faculté de liquider l’astreinte (ce qui entre dans ses pouvoirs, C. pr. exéc., art. L. 131-1).

L’ordonnance est signifiée le 5 février 2018.

La société forme appel de l’ordonnance, dans les quinze jours, et saisit, le 26 février 2018 la juridiction du premier président aux fins de voir suspendre l’exécution de cette ordonnance.

Le 13 avril 2018, le premier président rejette cette demande.

Le 24 janvier 2019, la cour d’appel de Paris confirme par arrêt de référé.
Pour autant, la société ne réintègre pas le salarié.

Demande de liquidation de l’astreinte

Le 27 juin 2018, le salarié saisit la formation de référé de première instance aux fins de liquidation de l’astreinte, la société ne s’exécutant pas (et alors même que l’appel contre l’ordonnance de 2017 est pendant : celle-ci est en effet dotée de l’exécution provisoire de plein droit et sa suspension a été refusée par le PP).

Le 1er mars 2019, le juge rend une ordonnance de référé par laquelle il liquide l’astreinte.

Le 13 mai 2019, la société Checkport interjette appel de cette ordonnance, postérieurement à un jugement rendu au fond (v. infra).

Le 12 décembre 2019, en dépit du jugement au fond, la cour d’appel de Paris confirme la liquidation par arrêt de référé.

La société se pourvoit en cassation.

Le 2 décembre 2021, la deuxième chambre civile casse...

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Justice : face à la mobilisation historique, le ministère tente de répondre

Un mouvement qui prend de l’ampleur

Depuis la mise en ligne de la tribune de magistrats, le mouvement ne cesse de prendre de l’ampleur. « L’Appel des 3 000 » a déjà été signée par plus de 5 200 magistrats, 1 200 greffiers et 500 auditeurs de justice (v. P. Januel, Dalloz actualité, 2 déc. 2021). Des chiffres très importants, compte tenu de la petite taille de ces corps. Et dans les tribunaux et les barreaux, les motions de soutien se multiplient.

Ces derniers jours, deux voix importantes se sont jointes au mouvement. D’abord, celle du Conseil supérieur de la magistrature. Après avoir reçu les premiers signataires de la tribune, le CSM a estimé que « les problématiques soulevées posent des questions d’indépendance de la magistrature, car il ne peut y avoir d’indépendance lorsque les conditions d’exercice professionnel sont en contradiction avec les exigences éthiques et déontologiques ». Il a souhaité « que les difficultés rapportées soient prises en compte dans toute leur ampleur, y compris en ce qu’elles posent la question de l’insuffisance des moyens alloués aux services judiciaires. »

Ensuite, la Cour de cassation s’est jointe au concert et s’est associée « au constat dressé par la tribune, […] d’une justice exsangue, qui n’est plus en mesure d’exercer pleinement sa mission dans l’intérêt des justiciables ». Par ailleurs, « la Cour de cassation ne saurait rester...

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[Tribune] Numériser les systèmes judiciaires pour apporter le meilleur de la justice

Je suis heureux de dire que la justice dans l’Union européenne progresse de manière constante et ambitieuse sur la voie de la numérisation, conformément aux tendances de notre siècle. En effet, ma priorité est d’accélérer ces travaux et de faire du secteur de la justice un précurseur de la décennie numérique de l’Europe. Je souhaite que les obstacles à l’accès à la justice soient levés pour que les citoyens et les entreprises aient confiance dans l’efficacité des systèmes judiciaires.

Lorsque la pandémie de covid-19 a commencé, de nombreux Européens ont vu leur procédure judiciaire subir des retards, voire être complètement interrompue. Cette situation a montré que des progrès étaient encore possibles pour rendre les systèmes judiciaires plus résilients et plus efficaces, notamment en tirant le meilleur parti de la transition numérique.

Dans ce contexte, le 1er décembre, j’ai présenté trois propositions visant à poursuivre la modernisation de nos systèmes judiciaires.

Numérisation de la coopération judiciaire transfrontière

Le premier vise à rendre l’administration de la justice plus aisée et moins coûteuse pour les personnes et les entreprises. Grâce à notre nouvelle proposition, ils pourront utiliser des moyens de communication électroniques pour introduire des réclamations et communiquer avec les autorités depuis le confort de leur domicile ou de leur bureau. Les échanges entre les États membres seront possibles par l’intermédiaire de portails nationaux et, dans le même temps, la Commission européenne fournira un point d’accès sur le portail européen e-Justice. Les citoyens pourront payer les frais de justice par voie électronique. En outre, et c’est important au vu de la nouvelle réalité post-covid-19, notre proposition garantit que les auditions puissent également avoir lieu par vidéoconférence.

Les outils numériques sont non seulement utiles pour accélérer les procédures et réduire le temps de trajet, mais ils sont essentiels pour garantir notre sécurité face aux menaces criminelles. Les attentats de Paris en novembre 2015 ont durement frappé la France. De nombreux citoyens européens ont également subi la détresse et la peur que ces attaques ont causée. Le terrorisme menace encore nos sociétés. C’est pourquoi nous introduisons deux propositions qui rendront la manière dont nous abordons les menaces terroristes et les enquêtes pénales plus résilientes et adaptées à notre ère numérique.

Échange d’informations numériques dans les affaires de terrorisme

La deuxième proposition sur l’information numérique dans les affaires de terrorisme transfrontières modernise considérablement le système d’information d’Eurojust. C’est en fait les attentats perpétrés en 2015 au Bataclan qui ont permis aux autorités de se rendre compte qu’elles ont besoin d’une meilleure collaboration transfrontalière pour les enquêtes et poursuites terroristes transfrontières. Il en a résulté la création du registre judiciaire européen de la lutte contre le terrorisme d’Eurojust. Je suis fier de dire qu’il a révolutionné le travail des services répressifs dans l’ensemble de l’Union européenne, en permettant aux procureurs d’identifier les liens potentiels dans les enquêtes menées contre des terroristes présumés dans différents pays de l’Union européenne et de coordonner la réponse judiciaire. L’implication coordonnée des autorités judiciaires est également cruciale du point de vue de l’état de droit, étant donné que les mesures préventives coordonnées – telles que les perquisitions à résidence et les mandats d’arrêt – doivent être autorisées et contrôlées par les autorités judiciaires.

Nous proposons aujourd’hui de moderniser le système afin d’identifier automatiquement de nombreux liens, ce qui nécessite beaucoup moins d’interventions manuelles. Cela permettra à Eurojust de fournir un retour d’information plus rapide et plus efficace aux autorités nationales. Nous proposons également de mettre en place des canaux de communication numériques sécurisés entre les autorités nationales et Eurojust. Enfin, la proposition fournira une base juridique claire pour la coopération avec les procureurs en dehors de l’Union européenne.

Développement de la plateforme de collaboration des ECE

La troisième proposition vise à soutenir le fonctionnement des équipes communes d’enquête (ECE). Ces équipes sont constituées pour des enquêtes pénales spécifiques rassemblées par les autorités de deux États ou plus, afin de mener ensemble des enquêtes pénales.

La proposition établit une plateforme de collaboration en ligne hautement sécurisée pour les équipes communes d’enquête. Elle permettra une communication électronique aisée, l’échange d’informations et de preuves, y compris de grandes quantités de données, la traçabilité des preuves ainsi que la planification et la coordination des opérations d’ECE. La plateforme étant confidentielle dès sa conception, elle correspond aux niveaux les plus élevés de normes de cybersécurité.

Lors de discussions et de réunions précédentes avec des professionnels de la justice, j’ai constaté combien les autorités judiciaires chargées des enquêtes s’appuient mutuellement pour échanger des informations et des éléments de preuve de manière sécurisée et rapide. J’ai vu que la mise en place d’outils numériques est cruciale, en particulier lorsque le temps est compté.

Les citoyens et les entreprises opèrent eux aussi de plus en plus sous forme numérique, et ils attendent une réponse numérique et rapide à leurs problèmes.

Dans le cadre du plan de relance européen, la numérisation des systèmes de justice est devenue un objectif horizontal pour tous les États membres. Je suis fier que nous tenions nos promesses d’un système judiciaire moderne et numérique. Les États membres devront également mettre en œuvre tous ces outils et infrastructures informatiques. Ensemble, nous créons un espace européen de liberté, de sécurité et de justice véritablement efficace et résilient.

Convention d’honoraires d’avocat : possibilité d’annulation pour contrainte économique et violence

Dans l’étude des vices du consentement, la violence fait toujours figure d’exception puisqu’elle se positionne sur le terrain de la volonté même de contracter (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 348, n° 308). Les arrêts sur la violence dite économique sont ainsi toujours l’occasion d’en apprendre plus sur la mise en jeu de cette cause de nullité du contrat, que l’on se trouve d’ailleurs face au droit ancien ou au droit issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 décembre 2021 permet de s’intéresser à une question originale : l’avocat peut-il, par la nature de sa profession, invoquer un état de dépendance économique justifiant l’annulation d’une convention d’honoraires quand le client en a tiré un avantage excessif ? L’arrêt, publié aux nouvelles et sélectives « lettres de chambres », mérite assurément que l’on s’y intéresse de près tant du point de vue de la profession d’avocat que de celui de la théorie générale du contrat.

Rappelons les faits pour mieux poser le problème ayant occasionné le conflit entre les parties, qui est d’ailleurs la suite d’un renvoi après cassation (Civ. 2e, 25 oct. 2018, n° 17-24.606). Les salariés d’une même association (l’association A.) avaient vu leurs intérêts confiés par l’Unedic AGS à un avocat déterminé pour le suivi de plus de 900 dossiers, dans un cadre prud’homal en première instance. Une lettre du 11 février 2013 émanant de l’Unedic AGS proposait une somme forfaitaire de 90 000 € pour la procédure d’appel. La réponse du 13 février de l’avocat s’était faite en ces termes : « les charges déjà générées pour ces dossiers sont déjà considérables et grèvent ma trésorerie. À ce stade, je ne peux donc qu’accepter la fixation de mes honoraires à 90 000 € HT hors honoraires de conseil et de médiation ». Dessaisi en cours d’instance d’appel, l’avocat ne parvient pas à s’entendre avec l’AGS sur le montant de ses honoraires dus. Il demande donc à son bâtonnier de fixer...

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Vers une pleine individualisation de l’enfant né sans vie

L’acte d’enfant mort-né inscrit à l’article 79-1 du code civil n’avait pas été modifié depuis son entrée dans le code civil en 1993 (la seule modification apportée à ce texte a eu pour objet de rectifier la juridiction compétente, l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 venant substituer au tribunal de grande instance le tribunal judiciaire). Le second alinéa de ce texte, rappelons-le, permettait aux parents qui en faisaient la demande de voir inscrits sur leur livret de famille, « les jour, heure et lieu de l’accouchement, les prénoms et noms, dates et lieux de naissance, professions et domiciles des père et mère ». Il s’agissait là d’une disposition compassionnelle n’emportant aucun effet de droit, mais dont l’adoption avait été motivée par le souci d’accompagner les parents dans leur deuil, l’individualisation juridique de l’enfant perdu pouvant « légitimement apparaître aux parents comme un élément symbolique de reconnaissance sociale, un point d’appui nécessaire au cheminement de leur deuil et la garantie d’un traitement compatible avec la qualité d’être humain » (P. Murat, Décès périnatal et individualisation juridique de l’être humain, RDSS 1995. 451 image).

La loi n° 2021-1576 du 6 décembre 2021, dont l’adoption peut être remarquée par la quasi-absence de discussions soulevées par le texte, vient réécrire ce second alinéa et renforcer les droits des parents. Désormais, l’article 79-1, alinéa 2, du code civil dispose : « À défaut du certificat médical prévu à l’alinéa précédent, l’officier de l’état civil établit un acte d’enfant sans vie. Cet acte est inscrit à sa date sur les registres de décès et il énonce les jour, heure et lieu de l’accouchement, les prénoms et noms, dates et lieux de naissance, professions et domiciles des père et mère et, s’il y a lieu, ceux du déclarant. Peuvent également y figurer, à la demande des père et mère, le ou les prénoms de l’enfant ainsi qu’un nom qui peut être soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. Cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique. L’acte dressé ne préjuge pas de savoir si l’enfant a vécu ou non ; tout intéressé pourra saisir le tribunal judiciaire à l’effet de statuer sur la question ».

Pleine individualisation de l’enfant né sans vie, sans reconnaissance de la personnalité juridique

À la lecture du texte, deux éléments peuvent apparaître frappants : la pleine identification de l’enfant par l’octroi d’un ou de plusieurs prénoms et d’un nom dont les règles de dévolution sont celles de droit commun ; le caractère exorbitant de cette identification à laquelle n’est pas attachée la personnalité juridique et dont l’établissement n’est pas soumis aux contraintes du droit commun.

La possibilité pour les parents d’organiser une identification de leur enfant mort-né n’est en réalité pas une nouveauté. En effet, l’instruction générale relative à l’état civil était intervenue dès le 11 mai 1999 pour ouvrir aux parents la possibilité de donner à l’enfant un ou des prénoms, lesquels étaient inscrits sur l’acte d’enfant sans vie (à noter que cet acte peut être apposé dans la rubrique « décès » du livret de famille à la demande des parents, livret qui, depuis le décret n° 2008-798 du 20 août 2008 modifiant le décret n° 74-449 du 15 mai 1974 relatif au livret de famille, peut être remis par l’officier d’état civil qui a établi l’acte d’enfant sans vie aux parents qui le souhaitent et qui en sont dépourvus). Cette faculté ouverte aux parents ne sera toutefois réellement mobilisée qu’à compter de la circulaire interministérielle du 19 juin 2009, sans doute en raison de la plus grande publicité de ce texte auprès des familles et des officiers d’état civil. L’innovation de la loi de 2021 réside donc dans l’octroi d’un nom de famille. Cette individualisation complète de l’enfant né sans vie avait été jusque-là écartée pour éviter toute confusion entre cette individualisation et l’octroi de la personnalité juridique. Invoquant l’incompréhension des familles face à cette restriction, l’auteure de la proposition insiste sur l’importance de permettre l’individualisation complète de l’enfant pour les parents endeuillés pour justifier la modification du droit positif. À la lecture du nouvel article 79-1, alinéa 2, du code civil, on ne peut néanmoins que s’interroger sur l’éventualité d’un déplacement de l’incompréhension des parents : en effet, les nom et prénoms comme la filiation sont des attributs de la personnalité. Dès lors, puisqu’il est possible de donner un prénom et un nom à l’enfant et que l’acte comprend l’indication de l’identité « des père et mère », pourquoi ne serait-il pas possible de reconnaître juridiquement la réalité du lien de filiation ? De proche en proche, la question de la personnalité juridique pourrait resurgir.

Modalités de mise en oeuvre

Ce risque n’est pas ignoré du législateur qui entend l’endiguer en rappelant expressément que cette individualisation n’emporte aucun effet juridique, entendez par là qu’elle ne conduit pas à la reconnaissance de la personnalité juridique et donc pas davantage à la reconnaissance de liens de filiation. La lecture des travaux parlementaires permet d’aller au-delà du texte de l’article 79-1 du code civil : si l’individualisation par l’acte d’enfant né sans vie n’emporte par elle-même aucun effet juridique, la naissance de cet enfant, établie par le certificat d’accouchement, continuera de produire ses effets au profit des parents (tels que le droit à un congé de deuil, une allocation spécifique ou l’organisation de funérailles, tous droits soumis à des conditions propres pouvant tenir à la durée de la grossesse, au poids de l’enfant ou à des conditions de ressources). Par ailleurs, contrairement au droit commun, le choix du nom de famille opéré par les parents dont l’enfant né sans vie était le premier ne s’imposera pas à eux pour leurs futurs enfants. La faculté de solliciter un acte d’enfant sans vie n’est pas limitée dans le temps. Pour les familles qui l’auraient établi sous les anciennes dispositions, il sera possible, nous révèlent les travaux parlementaires, de demander par voie de rectification l’ajout d’un nom de famille pour les parents qui le souhaitent. Mais quels parents ? Le texte vise explicitement les père et mère, ce qui tendrait à exclure les parents de même sexe. Quoique la rapporteure ait voulu être rassurante sur cette question lors des débats, insistant sur le fait que tous les parents pourraient bénéficier des dispositions de l’article 79-1, on peut légitimement s’interroger sur le risque de discrimination à l’encontre des parents de même sexe.

Si le choix d’individualiser juridiquement l’enfant né sans vie est entièrement laissé aux parents, le texte laisse planer une légère interrogation quant à la possibilité de ne donner qu’un prénom, à l’exclusion d’un nom. Mais la disposition ayant été conçue comme une mesure de compassion à l’égard des parents, il paraîtrait curieux de leur imposer une pleine individualisation s’ils ne souhaitent qu’une individualisation partielle.

In fine, la révision a eu pour objet d’ajouter au droit sans revenir sur l’existant. Ainsi, le modèle de certificat d’accouchement qui figure en annexe de l’arrêté du 20 août 2008 (arrêté du 20 août 2008 relatif au modèle de certificat médical d’accouchement en vue d’une demande d’établissement d’un acte d’enfant sans vie) exclut du bénéfice du certificat d’accouchement et donc de l’acte d’enfant né sans vie les situations d’interruption volontaire de grossesse et les situations d’interruption spontanée précoce de grossesse. Cet arrêté trouve des précisions utiles dans la circulaire interministérielle du 19 juin 2009, qui précise que l’établissement d’un certificat médical d’accouchement implique « le recueil d’un corps formé […] et sexué, quand bien même le processus de maturation demeure inachevé » excluant ainsi les fausses couches intervenues avant la quinzième semaine d’aménorrhée (circ. interministérielle DGCL/DACS/DHOS/DGS du 19 juin 2009, relative à l’enregistrement à l’état civil des enfants décédés avant la déclaration de naissance et de ceux pouvant donner lieu à un acte d’enfant sans vie, à la délivrance du livret de famille, à la prise en charge des corps des enfants décédés, des enfants sans vie et des fœtus). La circulaire précise néanmoins que « la réalité d’un accouchement relève de l’appréciation des praticiens », ce qui laisse une certaine souplesse au dispositif dont on peut cependant regretter que la mise en œuvre n’implique pas également la réalité de l’accouchement telle qu’elle a pu être vécue par la femme.

Twitter, la décharge, les poubelles et les éboueurs

Drôles de volatiles à la cour d’appel de Paris, ce jeudi 9 décembre. Encore une fois, le réseau social Twitter s’est défendu de ne pas mettre les moyens pour lutter contre la haine en ligne. Ses contradicteurs, les six associations à l’origine de la procédure - J’accuse, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, SOS Homophobie, SOS Racisme, et l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) –, ont résumé leur position en une métaphore ailée. Twitter ressemblerait bien plus, plutôt qu’un oiseau bleu, son logo, à une autruche, la tête dans le sable évidemment.

Une argumentation anticipée par Me Karim Beylouni, le conseil du réseau social. Dès l’ouverture des débats, il averti les magistrats. « Vous allez entendre que Twitter est une poubelle, une forme d’incarnation de l’impérialisme américain, qui mépriserait les lois françaises, explique-t-il. Que son business modèle serait fondé sur la haine, que c’est pour cela que son service de modération ne marche pas et que c’est une décharge à ciel ouvert ».

Bref, une caricature du service offert par le réseau social, d’ailleurs utilisé par la plupart des conseils des demandeurs. Une affirmation aussitôt contredite par deux avocats des associations. « Ce n’est pas parce qu’on boit un...

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[PODCAST] Il était une fois… des contes juridiques

Dans l’inconscient collectif, le droit s’impose davantage comme une discipline complexe que comme un tremplin pour l’imaginaire !

Avec Nouveaux contes juridiques, parus aux Éditions Dalloz, François Ost – professeur émérite invité à l’Université...

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Accès aux parties communes par les forces de l’ordre : ce qui change

En réécrivant les articles L. 272-1 du code de la sécurité intérieure et 24-II, h, de la loi du 10 juillet 1965, la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 permet, plus largement que par le passé, l’accès aux parties communes d’immeubles à usage d’habitation par les forces de l’ordre. Elle l’ouvre par ailleurs aux services d’incendie et de secours.

En effet,...

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La créance de salaire différée exclut le droit de retour pour les collatéraux privilégiés

Dans cette affaire, une femme décède en février 1986 et laisse pour lui succéder ses trois filles : Madame U., Madame F. et Madame D., épouse K. Par un acte du 8 novembre 1986, il est procédé au partage de la succession et Madame D., épouse K., reçoit la propriété d’un certain nombre de parcelles au titre de sa créance de salaires différés en sus de celles correspondant à sa part réservataire. Le temps passe et le 27 septembre 2011, elle décède en laissant pour lui succéder son époux, Monsieur K. Le veuf voit alors les sœurs de sa défunte épouse se rappeler à son bon souvenir et soutenir que les parcelles reçues étant présents en nature dans la succession de leur sœur, elles demandaient le bénéfice du droit de retour de l’article 757-3 du code civil. Le conflit opposant le veuf et ses belles-sœurs finit très logiquement devant les juridictions.

Saisie de l’affaire, la cour d’appel (Limoges, 5 déc. 2019) fait droit aux demandes des sœurs de la défunte. Les juges du fond ont considéré que l’ensemble des biens attribués à Madame D., épouse K., par l’acte de partage intervenu en 1986, se retrouvant en nature au jour de l’ouverture de sa succession, constituaient l’assiette pour l’exercice du droit de retour sur le fondement de l’article 757-3 du code civil. La cour d’appel applique alors le droit de retour légal des collatéraux privilégiés sur l’ensemble des parcelles reçues par l’épouse de Monsieur K. tant au titre de sa part successorale que celles reçues en contre partie de sa créance de salaires différés.

Le requérant forme alors un pourvoi à l’encontre de la décision demandant à la Haute juridiction de statuer sur le périmètre du droit de retour légal des collatéraux privilégiés. Au soutien de son recours, le veuf soulignait que l’intégralité des parcelles ne pouvaient pas faire l’objet de ce droit de retour légal puisque les 3/5e des parcelles en question avaient été attribuées à feu son épouse pour payer la créance de salaires différé dont elle bénéficiait. Il était ainsi demandé à la Cour de cassation de dire si le droit prévu à l’article 757-3 du code civil devait être appliqué indistinctement à tous les biens reçus des parents prédécédés et présents en nature dans la succession alors même qu’une partie de ceux-ci constituaient la contrepartie d’une créance de salaires différés. La première chambre civile répond par la négative et censure...

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Obligation d’envoi de l’avis à signifier et constitution d’avocat : tirs en rafale contre le greffe

Original et osé !

Des salariés contestent leur licenciement par une compagnie aérienne. Déboutés par six jugements du conseil de prud’hommes le 11 septembre 2018, ils relèvent appel des décisions devant la cour d’appel de Paris et leur avocat notifie ses conclusions, par RPVA, à l’avocat de la société intimée les 26 décembre 2018 et 4 janvier 2019. Celui-ci se constitue seulement le 11 février 2019. Le conseiller de la mise en état rejette la demande de caducité formée par la société intimée qui défère à la cour d’appel les ordonnances de rejet, laquelle infirme les ordonnances et prononce la caducité des six déclarations d’appel. Les appelants forment des pourvois contre ces arrêts rendus sur déférés, joints en cassation. Leurs griefs étaient entièrement dirigés contre le greffe qui n’avait pas avisé l’avocat de l’appelant qu’il devait procéder par voie de signification de la déclaration d’appel à la société intimée qui n’avait pas constitué avocat et qui avait, de surcroît, mentionné sur divers actes de procédure le nom de l’avocat de première instance. Après avoir rappelé les dispositions des articles 911 et 960 du code de procédure civile, la deuxième chambre civile rejette le pourvoi en jugeant que : «  Seule la notification entre avocats rend ainsi opposable à l’appelant la constitution d’un avocat par l’intimé, à l’exclusion de tout autre acte. Cette règle de procédure, qui impose que l’appelant soit uniquement et directement averti par le conseil de l’intimé de sa constitution, poursuit le but légitime de garantir la sécurité et l’efficacité de la procédure. Elle ne constitue pas une atteinte au droit à l’accès au juge d’appel dans sa substance même et ne porte pas une atteinte disproportionnée à l’accès au juge d’appel au regard du but poursuivi. L’appelant est, en effet, mis en mesure de respecter l’obligation de signifier ses conclusions à l’intimé lui-même ou de les notifier à l’avocat que cet intimé a constitué, dès lors qu’il ne doit procéder à cette dernière diligence que s’il a, préalablement à toute signification à l’intimé, été informé, par voie de notification entre avocats, de la constitution d’un avocat par l’intimé. »
Or, la Cour de cassation juge que, « ayant, d’une part, relevé que les appelants n’avaient notifié leurs conclusions dans le délai prévu par l’article 911 du code de procédure civile qu’à M. [K], avocat, alors que la société intimée ne l’avait alors pas constitué et que les appelants n’avaient pas reçu l’avis de constitution de leur adversaire, faisant ainsi ressortir, par cette considération, que les appelants n’avaient pu légitimement croire que la société intimée avait constitué un avocat, et, d’autre part, exactement retenu qu’il importait peu à cet égard que le greffe n’ait pas adressé aux appelants un avis d’avoir à signifier la déclaration d’appel à l’intimée, conformément à l’article 902 du code de procédure civile, ou ait mentionné à tort sur un avis le nom d’un avocat constitué, c’est à bon droit, sans méconnaître les exigences du droit à un procès équitable, que la cour d’appel a constaté la caducité de la déclaration d’appel. »

Les avocats désespérés ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît

Une fois n’est pas coutume, c’était le greffe, et non le juge, qui se trouvait dans la ligne de mire des six demandeurs aux pourvois. Et les tirs, on le verra, étaient nourris. Car, si la Cour de cassation a déjà eu à connaître bien des reproches dirigés contre les juges d’appel au regard des exigences formelles de la notification des conclusions entre avocats, cette attaque en règle – en pleine paix, pourrait-on dire – apparaissait aussi téméraire qu’inhabituelle.

C’est déjà la première fois que la lecture du célèbre article 902 et de son alinéa 2 (« En cas de retour au greffe de la lettre de notification ou lorsque l’intimé n’a pas constitué avocat dans un délai d’un mois à compter de l’envoi de la lettre...

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Compétence internationale en matière de divorce

La notion de résidence habituelle, très usitée dans les divers règlements européens, continue à susciter des hésitations. Cette notion ne fait l’objet d’aucune définition dans les règlements qui l’utilisent. Pas davantage, les textes ne prévoient un renvoi au droit national des États membres pour en fixer le sens. La notion doit donc recevoir une définition européenne autonome qui, selon la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), doit tenir compte du contexte et des objectifs des dispositions (pt 39). En somme, la notion de résidence habituelle peut recevoir une définition différente selon le texte à appliquer.

En l’espèce, il était question de l’application du règlement n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (dit règlement Bruxelles II bis) et plus précisément de l’application de son chef de compétence en matière de divorce.

L’article 3-1°, a, du règlement, intitulé compétence générale, offre, en matière de divorce, plusieurs options de compétence au demandeur, fondée sur la résidence : « Sont compétentes […] les juridictions de l’État membre a) sur le territoire duquel se trouve la résidence habituelle des époux, ou la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y réside encore, ou la résidence habituelle du défendeur, ou en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux, ou la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande, ou la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l’introduction de la demande et s’il est ressortissant de l’État membre en question […] ». La compétence pour statuer sur le divorce est primordiale, car elle peut induire des compétences accessoires : ainsi la compétence pour statuer sur une demande relative à une obligation alimentaire accessoire au divorce (règl. n° 4/2009, dit « règlement aliments », 18 déc. 2008, art. 3, c) ou pour statuer sur les questions de régime matrimonial en lien avec la demande en divorce (règl. n° 2016/1103, dit « règlement régimes matrimoniaux », 24 juin 2016, art. 5, § 1).

Dans les faits, un homme de nationalité française et une femme de nationalité irlandaise se sont mariés en Irlande. Vingt-quatre années après, l’homme saisit les juridictions françaises d’une demande en divorce. À cette époque et, semble-t-il, depuis quelques années, le demandeur travaillait en semaine en France, où il était installé dans un appartement, mais parallèlement se rendait au domicile familial en Irlande, chaque fin de semaine pour y retrouver son épouse et ses enfants. En somme, le demandeur avait deux résidences : l’une familiale en Irlande, l’autre professionnelle en France. Les juridictions françaises étaient-elles compétentes pour statuer sur son divorce ? Pouvait-on considérer, pour l’application de l’article 3 du règlement n° 2201/2003, qu’une même personne puisse avoir deux résidences...

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Le juge des référés dans tous ses états

Une partie peut-elle reprocher devant la Cour de cassation à une cour d’appel de ne pas avoir infirmé la décision rendue par un juge de première instance qui s’était déclaré compétent ? Un préliminaire légal de conciliation préalable à la saisine d’un juge fait-il obstacle à la saisine d’un juge des référés ? Le juge des référés peut-il ordonner la poursuite de relations commerciales établies à titre conservatoire ? Ce sont sur ces trois questions qu’a dû se pencher la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans l’affaire ayant donné lieu à un arrêt du 24 novembre 2021.

La vente de cochonnaille était à l’origine d’un litige opposant trois sociétés : la première abattait et découpait des porcs, la seconde (filiale de la première) fabriquait de la charcuterie tandis que la dernière commercialisait des produits alimentaires. Invoquant une augmentation du cours du porc, celle découpant et abattant du cochon a demandé à celle qui commercialisait les produits issus de l’animal une augmentation des prix. Faute d’accord, la première a cessé ses relations commerciales concernant deux produits. Vraisemblablement désireuse de pouvoir continuer à les commercialiser, la société éconduite a saisi un juge des référés aux fins qu’il constate une rupture des relations commerciales établies et ordonne la poursuite des relations commerciales pour une durée de douze mois assortie d’une obligation de renégocier de bonne foi les prix. Il y a notamment été opposé, d’une part, que le président du tribunal de commerce était incompétent et, d’autre part, que les demandes de la société étaient irrecevables faute d’avoir respecté la procédure préalable de médiation prévue par l’article L. 631-28 du code rural et de la pêche maritime. La cour d’appel n’a pas fait droit à ces moyens de défense et a ordonné la poursuite des relations commerciales sous astreinte pour une certaine durée. Cette solution ne pouvait satisfaire ni la société qui abattait et découpait les porcs ni sa filiale spécialisée dans la fabrication de charcuterie. Chacune a donc formé un pourvoi en cassation.

Les pourvois n’ont pas prospéré. Le premier moyen, qui reprochait à la cour d’appel d’avoir confirmé la compétence du juge des référés de première instance, a été déclaré irrecevable dès lors que cette cour d’appel était également juridiction d’appel de la juridiction de première instance dont la compétence était revendiquée. Le deuxième moyen, qui faisait valoir que les prétentions étaient irrecevables faute pour la société d’avoir respecté le préliminaire de médiation légalement imposé, a été rejeté car les dispositions invoquées ne faisaient pas obstacle à la saisine du juge des référés en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent. Le dernier moyen, qui reprochait notamment à la cour d’appel d’avoir excédé ses pouvoirs en ordonnant la poursuite des relations commerciales, n’a pas connu un meilleur sort : dès lors que la cour d’appel avait constaté que la cessation des relations commerciales constituait un trouble manifestement illicite, elle avait pu ordonner la poursuite des relations commerciales.

Le rejet de l’exception d’incompétence

Une partie a-t-elle intérêt à reprocher devant la Cour de cassation à une cour d’appel d’avoir confirmé la compétence du juge des référés ?

La haute juridiction a répondu par la négative et la solution n’étonne pas.

Il faut avoir à l’esprit que le législateur n’accorde pas une grande importance au respect des règles de compétence, ce dont témoigne le fait que, même lorsqu’il n’a pas encore été statué sur le litige, le juge ne peut que rarement relever d’office son incompétence (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, 2019, n° 1027). Logiquement, après qu’il a statué, sa potentielle incompétence importe assez peu lorsque le litige est soumis au double degré de juridiction : il suffit que la cour d’appel devant laquelle est porté le litige soit juridiction d’appel relativement à la juridiction de première instance dont la compétence était revendiquée pour que l’effet dévolutif dissolve l’éventuelle incompétence de la juridiction qui a statué (C. pr. civ., art. 90).

Qu’elle ait accueilli le moyen tiré de l’incompétence du premier juge ou qu’elle l’ait rejeté, la cour d’appel était ainsi tenue de statuer sur le fond du litige en raison de l’effet dévolutif de l’appel. Son éventuelle erreur était donc indifférente et, comme le rappelle la Cour de cassation, dans le présent arrêt, une partie est, en raison de l’effet dévolutif, « sans intérêt » à lui reprocher d’avoir retenu que le juge des référés était ou non compétent dès lors que la juridiction d’appel était également juridiction d’appel du tribunal de première instance dont la compétence était revendiquée (v. déjà, en ce sens, Civ. 2e, 13 déc. 2012, n° 11-27.538 P, Dalloz actualité, 28 janv. 2013, obs. J. Marrocchella ; D. 2013. 17 image ; 23 avr. 1970, n° 69-40.108 P). À supposer que la cour n’ait pas été la juridiction d’appel dont la...

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Contestation de la compétence d’un TCS : exception de procédure ou fin de non-recevoir ?

La confrontation des règles de la procédure civile et de celles du droit des entreprises en difficulté est rarement inintéressante et engendre un contentieux important. À première vue, l’arrêt sous commentaire fait partie de ces décisions en ce qu’il trancherait entre le respect du droit commun de la procédure civile et la prise en compte des spécificités du droit des entreprises en difficulté. Cette vision intuitive de l’arrêt – si elle n’est pas totalement fausse – ne nous semble pas la plus à même de guider la réflexion sur cette décision. En effet, si les enjeux du droit des entreprises en difficulté ont nécessairement exercé une influence sur la solution posée, elle relève avant tout d’une interrogation propre à la procédure civile et concerne la délicate articulation des sanctions en cette matière (C. Chainais, « Les sanctions en procédure civile : à la recherche d’un clavier bien tempéré », in C. Chainais et D. Fenouillet, Les sanctions en droit contemporain. Vol. 1. La sanction, entre technique et politique, Dalloz, 2012, p. 357 s.).

En l’espèce, par un jugement du 2 octobre 2019, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a ouvert le redressement judiciaire d’une société. Le ministère public a fait appel de ce jugement en arguant notamment que la procédure relèverait de la compétence du tribunal de commerce spécialisé (TCS) de Lyon. Plus précisément, l’appelant demandait à ce que soit relevée d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Étienne et à ce que ce tribunal soit déclaré incompétent pour connaître de la situation de la société débitrice.

La cour d’appel estime cette demande recevable, mais juge tout de même que le tribunal de commerce stéphanois était pourvu du pouvoir juridictionnel de statuer. En s’éloignant quelque peu de la substance de l’arrêt ici rapporté, relevons que l’arrêt d’appel avait fait l’objet de certaines critiques en ce qu’il avait retenu que les seuils permettant de déterminer la compétence des TCS devaient s’apprécier au jour de la demande d’ouverture de la procédure et non à la date de clôture du dernier exercice comptable. Pour cette raison, les juges d’appel avaient finalement décidé d’écarter la compétence du TCS de Lyon (Lyon, 3e ch., sect. A., 14 nov. 2019, n° 19/07075 ; Act. Proc. Coll. 2019/20, comm. 280, note P. Cagnoli).

Les mandataires et administrateurs judiciaires désignés dans ce dossier forment un pourvoi en cassation. Ils reprochent à la cour d’appel d’avoir déclaré recevable la demande du ministère public en l’analysant comme une fin de non-recevoir susceptible d’être soulevée en tout état de cause. Au contraire, les demandeurs soutiennent que cette demande devait s’étudier sous le prisme d’une exception d’incompétence. À ce titre, ils rappellent qu’une exception d’incompétence doit, à peine d’irrecevabilité, être soulevée en même temps que les autres exceptions de procédure et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Par conséquent, l’exception de compétence selon laquelle seul le TCS de Lyon pouvait connaître de l’ouverture de la procédure, plutôt que le tribunal de commerce de Saint-Étienne, était irrecevable puisqu’elle n’avait pas été soulevée dès la première instance et in limine litis par le ministère public.

La Cour de cassation souscrit à l’argumentaire et casse l’arrêt d’appel.

La haute juridiction commence par rappeler que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 a entendu, pour quelques affaires dont la technicité et l’enjeu national le justifient, spécialiser certaines juridictions. Partant, il résulte de l’article L. 721-8 du code de commerce que les tribunaux de commerce spécialisés connaissent des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire lorsque le débiteur répond à certains critères relatifs au nombre de salariés ou au montant net du chiffre d’affaires.

Pour la Cour de cassation, le texte précité ne prive pas les autres tribunaux de connaître de ces procédures lorsque les seuils qu’il prévoit ne sont pas atteints, mais détermine une règle de répartition de compétence entre les juridictions dont l’inobservation est sanctionnée par une décision d’incompétence et non par l’irrecevabilité de la demande. Par conséquent, la...

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Ordonnance de non-conciliation : caducité et compétence internationale

Les hasards du calendrier ont donné l’occasion à la Cour de cassation de mieux cerner, par deux arrêts récents, le régime de la procédure tendant à la conciliation des époux, en application du droit antérieur à la réforme du divorce opérée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et par les textes postérieurs. Dans les deux cas, la difficulté concernait l’existence d’une situation de litispendance internationale.

Par un arrêt du 15 septembre 2021 (Civ. 1re, 15 sept. 2021, n° 20-19.640, Dalloz actualité, 30 sept. 2021, obs. F. Mélin ; D. 2021. 1719 image ; Dr. famille nov. 2021, comm. p. 171, obs. M. Farge), la première chambre civile a énoncé qu’en matière de divorce, en application de l’article 1110 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1380 du 17 décembre 2019, « l’exception de litispendance ne peut être invoquée que devant le juge aux affaires familiales avant toute tentative de conciliation » (v. déjà Civ. 1re, 9 janv. 2007, n° 06-10.871, D. 2008. 807, obs. G. Serra et L. Williatte-Pellitteri image ; AJ fam. 2007. 272, obs. S. David image ; RTD civ. 2007. 321, obs. J. Hauser image ; Dr. fam. 2007, no 37, note V. Larribau-Terneyre ; RLDC 2007/42, n° 2703, obs. G. Serra ; RJPF 2007-4/20, obs. T. Garé). Elle a ajouté en substance que, lorsque la décision rendue à ce sujet est revêtue de l’autorité de chose jugée, la cour d’appel statuant au fond ne peut pas retenir que le juge aux affaires familiales n’a statué quant à la compétence que pour la conciliation prévue aux articles 252 à 257 du code civil et sans préjuger de la compétence du juge qui serait saisi au fond de l’instance en divorce.

L’arrêt rendu par la même chambre le 17 novembre 2021 porte sur l’application de l’article 1113 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2004-1158 du 29 octobre 2004 (qui a été applicable du 1er janvier 2005 au 1er janvier 2021), qui dispose que, dans les trois mois du prononcé de l’ordonnance de non-conciliation, seul l’époux qui a présenté la requête initiale peut assigner en divorce et qu’en cas de réconciliation des époux ou si l’instance n’a pas été introduite dans les trente mois du prononcé de l’ordonnance, toutes ses dispositions sont caduques, y compris l’autorisation...

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Absence d’indemnité d’occupation en cas de local inexploitable

« Le contrat annulé est censé n’avoir jamais existé » (C. civ., art. 1178, al. 2). La disparition rétroactive du contrat en cas d’annulation était déjà affirmée par la jurisprudence avant l’ordonnance du 10 février 2016 (Civ. 1re, 15 mai 2001, n° 99-20.597 : « Ce qui est nul est réputé n’avoir jamais existé », D. 2001. 3086 image, obs. J. Penneau image ; RDSS 2001. 780, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux image ; ibid. 781, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux image ; RTD civ. 2001. 699, obs. N. Molfessis image). Privé, dès sa conclusion, d’une condition de validité, le contrat est dénué d’effet depuis l’origine. Son annulation a « pour effet de remettre les parties dans la situation initiale » (Civ. 1re, 4 avr. 2001, n° 99-11.488). Il est donc, en principe, nécessaire de procéder à des restitutions (C. civ., art. 1178, al. 3). La troisième chambre civile a cependant précisé, dans un arrêt rendu le 3 novembre 2021, qu’aucune indemnité d’occupation n’est due par le locataire lorsque les locaux mis à sa disposition sont inexploitables.

En l’espèce, une SCI, propriétaire de locaux commerciaux donnés à bail à une société, délivre à cette dernière un commandement de payer les loyers, visant la clause résolutoire inscrite au bail. La locataire assigne alors la bailleresse en opposition au commandement de payer, en annulation du bail commercial, et en indemnisation de son préjudice. En appel, la bailleresse sollicite, à titre reconventionnel et subsidiaire, une indemnité d’occupation.

La cour d’appel, après avoir prononcé la nullité du contrat de bail pour erreur sur la substance, condamne la bailleresse au paiement de 130 000 € à titre de dommages et intérêts. Elle affirme que la SCI a commis une faute en consentant un bail sur un local impropre à sa destination et en n’attirant pas l’attention du preneur sur l’insuffisance du réseau d’évacuation des eaux usées. Selon elle, le préjudice en lien de causalité avec cette faute « est constitué par l’engagement [par la locataire] de dépenses pour démarrer son exploitation » (pt 7). Elle retient à ce titre la somme de 100 000 €, correspondant au montant emprunté par la locataire pour financer les dépenses afférentes aux travaux d’aménagement, d’amélioration et de réparation du fonds de commerce. En outre, les juges du fond condamnent la locataire à payer à la bailleresse une indemnité d’occupation, considérant qu’« il importe peu qu’elle n’ait pu exploiter les locaux pris à bail, la bailleresse ayant été privée de la jouissance de son bien jusqu’à la remise des clés » (pt 12).

La société bailleresse forme un pourvoi en cassation. Elle considère que la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil, devenu l’article 1240 du même code, car seules les dépenses réellement engagées par la locataire pouvaient être prises en compte, et non l’intégralité des sommes empruntées (pt 5).

Dans son pourvoi incident, la locataire reproche, quant à elle, à la cour d’appel d’avoir violé l’article 1304 ancien du code civil. Elle soutient « qu’en cas d’annulation d’un bail commercial pour erreur sur la substance du fait que le bailleur a consenti sur un local impropre à sa destination contractuelle, le locataire qui, pour une raison indépendante de sa volonté, n’a pu bénéficier de la jouissance des lieux loués en raison de leur caractère inexploitable n’a pas à verser d’indemnité d’occupation » (pt 9).

Sur l’appréciation du préjudice subi par le locataire

Concernant le pourvoi principal, la Cour de cassation casse, sans surprise, l’arrêt de la cour d’appel pour défaut de base légale, au visa de l’article 1382, devenu 1240, du code civil et du principe de la réparation intégrale du préjudice. Ce dernier est...

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Immunité des États étrangers : abandon de la jurisprudence [I]Eurodif[/I]

Les éléments de fait qui sont à la base de l’affaire jugée par la première chambre civile le 3 novembre 2021 sont très simples à présenter.
Une société qui est l’émanation de l’État irakien a été condamnée par un jugement d’un tribunal néerlandais à payer diverses sommes à une banque ayant son siège aux États-Unis.
Alors que ce jugement devait obtenir l’exequatur en France, cette banque y a fait pratiquer une saisie conservatoire de créances, convertie par la suite en saisie-attribution.
La société irakienne débitrice a alors contesté cette saisie, mais les juges d’appel ont validé l’acte de conversion.

Le cadre général

Pour bien apprécier la portée de l’arrêt, il est nécessaire de s’arrêter sur quelques aspects particuliers de l’évolution du droit des immunités, droit qui est, il est vrai, critiqué par certains auteurs qui lui reprochent notamment de porter atteinte au droit au procès équitable et de conduire à des dénis de justice (P. Delebecque, J.-M. Jacquet et L. Usunier, Droit du commerce international, 4e éd., Dalloz, 2021, n° 977).

Du point de vue de sa source, le droit des immunités est classiquement rattaché au droit international public, même si les formulations retenues varient. La jurisprudence se réfère aux règles de droit international public gouvernant les relations entre États (Civ. 1re, 20 oct. 1987, n° 85-18.608, Rev. crit. DIP 1988. 727, note P. Mayer), aux principes du droit international régissant les immunités des États étrangers (Civ. 1re, 6 juill. 2000, n° 98-19.068, D. 2000. 209 image ; ibid. 2001. 2139, chron. J. Moury image ; RTD com. 2001. 409, obs. E. Loquin image), à la coutume internationale (Crim. 13 mars 2001, n° 00-87.215, D. 2001. 2631, et les obs. image, note J.-F. Roulot image ; ibid. 2355, obs. M.-H. Gozzi image ; RSC 2003. 894, obs. M. Massé image ; RTD civ. 2001. 699, obs. N. Molfessis image), à une règle coutumière du droit public international (CE 14 oct. 2011, n° 329788, Lebon avec les conclusions image ; AJDA 2011. 1980 image ; ibid. 2482 image, note C. Broyelle image ; RFDA 2012. 46, concl. C. Roger-Lacan image ; ibid. 2013. 417, chron. C. Santulli image) ou au droit international coutumier (Civ. 1re, 3 févr. 2021, n° 19-10.669, Dalloz actualité, 2 mars 2021, obs. F. Mélin ; D. 2019. 1891 image ; ibid. 2020. 1970, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; RTD civ. 2019. 927, obs. P. Théry image).

La Convention des Nations unies du 2 décembre 2004

Même si le droit des immunités trouve son fondement dans le droit international public, il n’en demeure pas moins que chaque État définit traditionnellement son régime. Néanmoins, l’élaboration de la Convention des Nations unies sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens du 2 décembre 2004 constitue une évolution notable.

Certes, cette Convention n’est pas encore entrée en vigueur. Son importance est néanmoins dès à présent très grande car elle exprime, dans une certaine mesure, le droit international coutumier.

La Cour européenne des droits de l’homme l’a énoncé à propos de son article 11 relatif aux contrats de travail (CEDH 23 mars 2010, n° 15869/02, pt 66, AJDA 2010. 2362, chron. J.-F. Flauss image ; RFDA 2011. 987, chron. H. Labayle et F. Sudre image) et a précisé que cet article 11 s’applique au titre du droit international coutumier, même lorsque l’État concerné n’a pas ratifié cette Convention, dès lors qu’il ne s’y est pas non plus opposé (CEDH 29 juin 2011, n° 34869/05, pt 57, Dalloz actualité, 1er sept. 2011, obs. C. Demunck ; D. 2011. 1831, et les obs. image ; ibid. 2434, obs. L. d’Avout et S. Bollée image).

La jurisprudence de la Cour de cassation se situe dans la ligne de cette jurisprudence.

Elle a ainsi également jugé, à propos de ce même article 11, que les dispositions de la Convention peuvent refléter le droit international coutumier (Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 10-25.938, à propos de l’article 11 égal., Dalloz actualité, 16 avr. 2013, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2013. 1728 image, note D. Martel image ; ibid. 1574, obs. A. Leborgne image ; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; Just. & cass. 2015. 115, étude P. Chevalier image ; Rev. crit. DIP 2013. 671, note H. Muir Watt image ; RTD civ. 2013. 437, obs. R. Perrot image ; ibid. 2014. 319, obs. L. Usunier image).

Et l’arrêt du 3 novembre 2021 reprend cette démarche, cette fois à propos de l’article 19 de cette Convention.

Cet article 19 dispose à propos de l’immunité des États à l’égard des mesures de contrainte postérieures au jugement qu’« aucune mesure de contrainte postérieure au jugement, telle que saisie, saisie-arrêt ou saisie-exécution, ne peut être prise contre des biens d’un État en relation avec une procédure intentée devant un tribunal d’un autre État excepté si et dans la mesure où : a) L’État a expressément consenti à l’application de telles mesures dans les termes indiqués : i) Par un accord international ; ii) Par une convention d’arbitrage ou un contrat écrit ; ou iii) Par une déclaration devant le tribunal ou une communication écrite faite après la survenance du différend entre les parties ; ou b) L’État a réservé ou affecté des biens à la satisfaction de la demande qui fait l’objet de cette procédure ; ou c) Il a été établi que les biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l’État autrement qu’à des fins de service public non commerciales et sont situés sur le territoire de l’État du for, à condition que les mesures de contrainte postérieures au jugement ne portent que sur des biens qui ont un lien avec l’entité contre laquelle la procédure a été intentée ».

La loi Sapin II

Il est important de relever que la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin II », relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a intégré au code des procédures civiles d’exécution des dispositions relatives aux mesures conservatoires ou aux mesures d’exécution forcée visant un bien appartenant à un État étranger, à savoir les articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3.

Le premier de ces articles énonce notamment que « des mesures conservatoires ou des mesures d’exécution forcée visant un bien appartenant à un État étranger ne peuvent être autorisées par le juge que si l’une des conditions suivantes est remplie : 1° L’État concerné a expressément consenti à l’application d’une telle mesure ; 2° L’État concerné a réservé ou affecté ce bien à la satisfaction de la demande qui fait l’objet de la procédure ; 3° Lorsqu’un jugement ou une sentence arbitrale a été rendu contre l’État concerné et que le bien en question est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé par ledit État autrement qu’à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l’entité contre laquelle la procédure a été intentée ».

La proximité de ce 3° avec la formulation de l’article 19, c), de la Convention est évidente.

Il est à noter qu’un arrêt du 10 janvier 2018 s’est référé à ces dispositions issues de la loi Sapin II – qui n’étaient pourtant pas applicables en l’espèce compte tenu des principes régissant l’application de la loi dans le temps – en combinaison avec le droit international coutumier (n° 16-22.494, Dalloz actualité, 24 janv. 2018, obs. G. Payan ; D. 2018. 541 image, note B. Haftel image ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. F. Rocheteau image ; Rev. crit. DIP 2018. 315, note D. Alland image ; RTD civ. 2018. 353, obs. L. Usunier et P. Deumier image ; ibid. 474, obs. P. Théry image).

L’apport de l’arrêt

L’arrêt du 3 novembre 2021 se réfère quant à lui au « droit international coutumier, tel que reflété par l’article 19 de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 ». Il ne se réfère pas aux articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3, qui n’étaient pas applicables ratione temporis, mais la proximité de ces articles avec l’article 19 de la Convention permet de considérer que la solution aurait été la même s’ils avaient été applicables.

Pour répondre à certaines des branches des deux moyens du pourvoi, l’arrêt énonce en substance (nous prenons ici la liberté de rassembler en une seule phrase les deux règles complémentaires qu’il pose en réponse aux deux moyens) que, selon le droit international coutumier, tel que reflété par l’article 19 de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens, à défaut de renonciation à l’immunité d’exécution, ou d’affectation des biens saisis à la satisfaction de la demande qui fait l’objet de cette procédure, les biens d’un État étranger ou de ses émanations ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’exécution forcée, en vertu d’un jugement ou d’une sentence arbitrale, que s’il est établi que ces biens, situés sur le territoire de l’État du for, sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés autrement qu’à des fins de service public non commerciales et ont un lien avec l’entité contre laquelle la procédure a été intentée.

L’apport de cet arrêt est important car il met un terme à la jurisprudence Eurodif.

On sait que celle-ci avait énoncé que l’immunité d’exécution dont jouit l’État étranger est de principe, qu’elle peut toutefois être exceptionnellement écartée et qu’il en est ainsi lorsque le bien saisi a été affecté à l’activité économique ou commerciale relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice (Civ. 1re, 14 mars 1984, Eurodif, n° 82-12.462, D. 1984. 629, rapport Fabre et note Robert ; Rev. crit. 1984. 648, note J.-M. Bischoff ; JDI 1984. 598, note B. Oppetit ; JCP 1984. II. 20205, concl. Gulphe, note H. Synvet ; Rev. arb. 1985. 69, note G. Couchez).

Cette jurisprudence faisait ainsi un lien entre le bien litigieux et l’activité économique ou commerciale qui donnait lieu à la demande, ce qui réduisait la possibilité d’écarter l’immunité d’exécution.

Dans l’affaire jugée le 3 novembre 2021, le demandeur au pourvoi, au détriment duquel la saisie avait été pratiquée, critiquait la décision d’appel en ce qu’elle n’avait précisément pas appliqué ce critère.

Or cette perspective n’est plus celle retenue par la Convention du 2 décembre 2004 ni par la loi Sapin II, qui retiennent un autre critère : celui du lien entre le bien et l’entité contre laquelle la procédure a été intentée.

L’arrêt tire ainsi les conséquences de l’évolution conventionnelle et législative du droit des immunités, ce que la doctrine avait anticipé en relevant que la perspective de la jurisprudence Eurodif avait été abandonnée par ces textes (J.-Cl. Droit international, v° Immunités internationales, par I. Prezas, fasc. 409-50, spéc. n° 63). L’arrêt approuve ainsi la cour d’appel d’avoir énoncé qu’il résulte du droit international coutumier, tel que reflété par la Convention, qu’il n’est pas nécessaire, pour qu’ils soient saisissables, que les biens de l’émanation d’un État aient un lien avec la demande en justice, mais que ceux-ci doivent avoir un lien avec l’entité contre laquelle la procédure est intentée.

Précisions sur le champ d’application de l’article L. 1142-1 du code de santé publique

Lors d’un scanner pratiqué par un médecin radiologue (exerçant à titre libéral et individuel) sur son patient, ce dernier contracte une infection nosocomiale. Le médecin exerçait son art au sein de la société Imagerie nouvelle de la Haute-Corse (INHC), structure organisée en société à responsabilité limitée (SARL) dans laquelle il avait la qualité d’associé. Il partageait l’immeuble avec trois autres médecins avec qui il s’était aussi associé dans une société civile de moyens (SCM). L’immeuble dans lequel se trouvaient les deux locaux des sociétés susmentionnées abritait, en sus, la polyclinique Maymard.

Le patient a assigné en responsabilité le praticien, la société INHC et la CPAM de la Haute-Corse pour obtenir réparation de ses préjudices.

La procédure est longue car l’affaire a déjà fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation. Il est déjà nécessaire, à ce stade, de préciser que ne sont jamais remises en question la réalité du préjudice ni son origine. Il est plutôt question de déterminer quelles responsabilités peuvent être engagées. Dans son arrêt du 12 septembre 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt rendu par la juridiction inférieure au visa de l’article 16 du code de procédure civile par suite d’un pourvoi formé par la clinique et son assureur.

L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Cette dernière décide, dans son arrêt du 12 septembre 2019, que la société INHC est soumise aux dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique en tant qu’établissement indépendant vis-à-vis de la clinique Maymard. Elle ajoute que la société INHC ne justifie d’aucune cause étrangère susceptible de l’exonérer de sa responsabilité.

La société INHC forme alors un pourvoi composé d’un moyen unique divisé en sept branches dont seules la deuxième et la sixième sont intégralement reproduites. Dans la seconde branche de l’unique moyen, la société reproche aux juges d’Aix-en-Provence de l’avoir qualifiée d’établissement de santé et donc de l’avoir rendue éligible aux dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique alors qu’elle avait pourtant reconnu qu’elle n’était qu’une société dont l’objet social se limitait à « l’exploitation, l’achat, la vente et la location de tout matériel d’imagerie médicale et de radiothérapie ainsi que de tout matériel d’exploitation de polyclinique ».

Dans la sixième branche du moyen, la société INHC reproche aux juges du fond de ne pas avoir reconnu sa dépendance à l’égard de la clinique Maymard ce qui justifierait, selon elle, que ce soit cette dernière qui doive être responsable du préjudice causé au patient.

Il se posait donc la question de savoir si la société INHC, société à responsabilité limitée, dont l’objet social se limite à « l’exploitation, l’achat, la vente et la location de tout matériel d’imagerie médicale et de radiothérapie ainsi que de tout matériel d’exploitation de polyclinique » peut être considérée comme un « établissement » au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique. Il était aussi question de la dépendance de ce service de scanner assuré par la société INHC avec une clinique, les deux partageant le même immeuble et ayant mis en place un planning de garde et d’astreintes commun.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Elle juge que la société INHC qui est une SARL constituée par des médecins pour exercer leur art et qui a comme objet social « l’exploitation, l’achat, la vente et la location de tout matériel d’imagerie médicale et de radiothérapie ainsi que de tout matériel d’exploitation de polyclinique » ne peut être considérée comme un « établissement » au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique.

La Cour de cassation reproche ensuite à la cour d’appel de ne pas avoir recherché s’il ne résultait pas du protocole conclu entre les parties une certaine dépendance de la société INHC à l’égard de la clinique.

L’enjeu de la décision est double. Il réside dans la nature de la responsabilité, de plein droit ou non, et dans la recherche d’un établissement responsable. Le critère qui permet d’engager la responsabilité est double aussi. Il s’établit par la méconnaissance de la SARL de sa qualité d’établissement et par la reconnaissance de cette SARL comme service d’un établissement de santé.

Le double enjeu de la décision

L’enjeu de la décision est double car, en cas d’infection nosocomiale, la responsabilité des établissements est de plein droit. Pour être sûre d’être indemnisée, la victime devait donc impliquer un établissement. À la nature de la responsabilité succédera donc la nécessité de rechercher un établissement responsable.

La nature de la responsabilité

L’article L. 1142-1 du code de la santé publique, qui pose la responsabilité des professionnels et des établissements de santé, fait une distinction fondamentale entre les premiers et les seconds. En effet, d’après ce texte, la victime d’une infection nosocomiale devra prouver la faute des professionnels de santé en cas de préjudice subi au cours d’un acte de prévention, de diagnostic ou de soins. En revanche, les établissements, services et organismes dans lesquels sont diligentés des actes de prévention, de diagnostic et de soins sont eux responsables de plein droit à moins qu’ils ne parviennent à prouver l’existence d’une cause étrangère. Le premier enjeu se trouve donc dans les modalités d’application du régime de la loi du 4 mars 2002. Il peut être plus ou moins sévère, ou même ne pas s’appliquer en fonction de la qualité de celui chez qui sont dispensés les soins.

La nécessité de rechercher un « établissement » responsable

Le second enjeu se situe dans l’interprétation de la loi et du terme imprécis, employé par le législateur : « établissement » (CSP, art. L. 1142-1, I, al. 2 : « Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère »). Il était précisément, ici, question de déterminer si la société INHC pouvait être qualifiée d’établissement, au sens de ce texte, ce qui permettrait de retenir sa responsabilité de plein droit. L’enjeu est donc, là encore, majeur pour la victime qui sera exonérée du fardeau de la preuve. Cette faveur n’est pas anecdotique tant l’on sait à quel point il peut être difficile, voire impossible, de démontrer qu’un professionnel de santé a commis une faute qui est en lien de causalité avec une infection nosocomiale. Cet enjeu prend de l’ampleur quand on sait que cette décision peut faire jurisprudence. En décidant qu’une SARL n’est pas un établissement, au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, la Cour de cassation limite le champ d’application de la loi et invite les juges du fond à bien distinguer à l’avenir entre les établissements qui « mettent en œuvre une politique d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et d’organiser la lutte contre les événements indésirables, les infections associées aux soins et l’iatrogénie » (v. arrêt, n° 6) et les sociétés professionnelles qui « permettent la fourniture de certains moyens aux professions médicales ou l’exercice commun de ces professions » (ibid.).

Le double critère d’engagement de la responsabilité

Il est probable que la responsabilité retombera finalement sur la clinique. Pour en arriver là, il fallait méconnaître le statut d’établissement à la SARL en montrant que son objet social était incompatible avec une politique de qualité et de sécurité des soins et reconnaître que la SARL constituait un service dépendant de la clinique. Le critère d’engagement de la responsabilité se caractérise à travers l’objet social de la SARL et non l’acte qui y est pratiqué et par sa dépendance à la clinique.

De l’objet social à l’acte de soin

Le caractère décisif de l’objet social de la SARL

Pour censurer les juges du fond qui avaient considéré que la société INHC était bien un établissement au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, la Cour de cassation fait référence au livre 3 de la deuxième partie du code de la santé publique relatif aux établissements, services et organismes. On y trouve, par exemple, les organismes de planification, d’éducation et de conseil familial (CSP, art. L. 2311-1 s.). Les juges du droit se réfèrent aussi au premier livre de la sixième partie (de la partie législative) sur les établissements de santé. Ils citent, particulièrement, les articles L. 6111-2 et suivants afin de dégager un critère permettant de trier les établissements qui sont concernés par la loi de responsabilité. Ainsi, les établissements de santé qui mettent en œuvre une politique d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et qui organisent la lutte contre les événements indésirables, les infections associées aux soins et l’iatrogénie (v. arrêt, n° 6) peuvent être considérés comme des établissements. A contrario, les sociétés professionnelles qui permettent la fourniture de certains moyens aux professions médicales ou l’exercice commun de ces professions (ibid.) ne peuvent être considérées comme telles. La cour d’appel a donc violé, selon la Cour de cassation, l’article L. 1142-1 du code de la santé publique en considérant qu’une SARL dont l’objet social n’était que « l’exploitation, l’achat, la vente et la location de tout matériel d’imagerie médicale et de radiothérapie ainsi que de tout matériel d’exploitation de polyclinique » était bien un établissement. L’absence de précision, sans doute volontaire, de l’article L. 1142-1 sur les établissements concernés invite à ce genre de décisions. Il est vrai, toutefois, que les sociétés professionnelles ne sont pas visées dans les deuxième et sixième parties puisqu’elles se trouvent dans le livre premier de la quatrième partie du code de la santé publique. Dans cette partie, ces sociétés professionnelles sont soumises à un régime à part qui justifie peut-être qu’elles ne puissent, en sus, tomber sous l’empire de l’article L. 1142-1.

La Cour de cassation s’est d’ailleurs déjà prononcée à deux reprises concernant, non pas une SARL, mais une société civile de moyens (SCM) (Civ. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.072, D. 2012. 1957 image ; RTD civ. 2012. 733, obs. P. Jourdain image ; RCA 2012, n° 276, note Hocquet-Berg ; 12 oct. 2016, n° 15-16.894, Dalloz actualité, 25 oct. 2016, obs. N. Kilgus ; D. 2016. 2166 image ; RCA 2016. Alerte 4, obs. L. Bloch ; v. aussi D. 2016. 1064, note F. Viala et J.-P. Vauthier image). Dans les deux décisions, la qualité d’établissement n’a pas été reconnue en raison de leurs objets sociaux.

L’objet plutôt que l’acte

Le raisonnement de la cour d’appel s’appuyait sur la nature de l’acte passé au sein de la société. Elle relevait que la victime était venue passer un scanner, ce qui constituait un acte de diagnostic relevant des dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique. Pour rappel, en dehors de cas d’infections nosocomiales, le texte prévoit dans son premier alinéa que les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. Les juges du fond tentaient ainsi vainement de rapprocher la nature de l’acte opérée avec l’objet de la mission confiée à la société pour justifier de l’engagement de la responsabilité de la SARL. La Cour de cassation s’en tient donc à sa jurisprudence. Il suffit de constater que l’objet social de la société ne poursuit pas une politique d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, et de vérifier concrètement que ce n’est pas le cas, pour exclure sa qualité d’établissement. Elle étend toutefois sa jurisprudence aux SARL qui sont des sociétés d’exercice libéral (v. CSP, art. R. 4113-1 à R. 4113-5).

La forme autant que l’objet

C’est aussi la forme sociale de la société qui semble rédhibitoire pour lui permettre de revêtir la qualité d’établissement. La société à responsabilité limitée est généralement constituée pour exercer une activité commerciale et effectuer des actes de commerce ce que ne sont pas les actes de soins. Ici, les médecins ont opté pour cette forme de société afin d’acquérir ensemble un scanner, dont le coût est trop important pour une seule personne, et l’exploiter pour en tirer des revenus. Pourtant, ce sont bien dans les locaux de la SARL que le patient a contracté l’infection. Par ailleurs, les médecins prévoyaient bien « d’exploiter le scanner », ce qui peut faire référence à sa location mais aussi à la réalisation d’actes de diagnostics, facilités par la présence d’une clinique dans le même immeuble. Puisque les juges du droit n’ont pas été convaincus par cette analyse, il apparaissait nécessaire de rattacher la SARL à un établissement dans lequel sont pratiqués des actes de prévention, de diagnostic ou de soins. Sans cela, une victime d’infection nosocomiale pourrait être privée de toute indemnisation si l’importance de son préjudice ne la rend pas éligible à la solidarité nationale. C’est précisément l’objet de la sixième branche du moyen.

La dépendance de la SARL envers la clinique

Une indépendance d’apparence

Pour s’exonérer de sa responsabilité, la société INHC tentait de montrer qu’elle constituait un service de la clinique se situant dans le même immeuble et que c’est donc cette dernière qui devait assumer la responsabilité du préjudice subi par la victime. Les juges du fond insistaient sur l’indépendance de la société vis-à-vis de la clinique (locaux propres, circuits d’approvisionnement des dispositifs médicaux propres, personnel de nettoyage propre, protocoles d’asepsie et matériel de radiologie propre). Ils arguaient aussi de l’absence d’exclusivité entre la clinique et la société INHC. Ainsi, les praticiens de la clinique pouvaient conseiller à leurs patients d’aller effectuer leur scanner dans un tout autre lieu que celui de la clinique. Ce raisonnement n’a pas, là encore, convaincu la Cour de cassation, qui reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché, alors que cela lui a été demandé « s’il ne résultait pas du protocole conclu entre les parties pour le fonctionnement du service du scanner que la société était tenue d’assurer la permanence des soins des patients hospitalisés ou consultants à la clinique, par la mise en place, sous son contrôle, d’un planning de gardes et d’astreintes des radiologues et manipulateurs et constituait à ce titre le service de scanner de l’établissement de santé ». C’est ainsi que le lien de dépendance est caractérisé, parce que la société INHC était tenue d’assurer la permanence des soins des patients de la clinique par un planning de gardes et d’astreintes. Plus important encore, dans son point n° 11, la Cour de cassation formule un attendu de principe (si l’expression est encore possible) selon lequel « la responsabilité de plein droit des établissements de santé s’étend aux infections nosocomiales survenues au sein des sociétés de radiologie qui sont considérées comme leur service de radiologie ». Elle laisse ainsi peu de marge à la cour d’appel de renvoi, fortement incitée à reconnaître la responsabilité de la clinique dans sa prochaine décision.

Opportunité ou réalité

La reconnaissance, par la Cour de cassation, de la SARL comme service de la clinique devra permettre à la victime d’obtenir réparation devant la cour d’appel de renvoi sans que cette dernière ait à prouver la faute de quiconque. La clinique, en sa qualité d’établissement de santé, devra répondre des dommages causés sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 1142-1 du code de la santé publique. Pour caractériser ce lien de dépendance, les juges doivent utiliser le contenu des conventions liant les sociétés avec les cliniques. S’il apparaît qu’une société dépend suffisamment de la clinique avec laquelle elle est liée pour accepter d’assurer un ensemble de contrôles et de soins des patients, c’est qu’elle constitue certainement un service de celle-ci. Il reste le cas dans lequel un patient aurait effectué son scanner au sein d’une société professionnelle à la demande d’un établissement totalement étranger à la clinique et y aurait contracté une infection. Dans ce cas, les juges pourront-ils aller jusqu’à reconnaître la responsabilité de l’établissement alors qu’il est certain que l’infection a été contractée au sein des locaux de la société ?

Il faut le dire sans ambages, la Cour de cassation a eu raison de trancher ainsi. Elle eût dit le contraire que des esprits chagrins auraient aussitôt fait de remarquer le caractère artificiel de la qualité d’établissement de la SARL. Certains feront sans doute aussi valoir qu’il pourrait devenir tentant pour les médecins de se constituer en SARL ou en SCM afin d’éviter d’être qualifiés d’établissement et donc d’échapper à toute responsabilité. Cela apparaît peu probable car, si des médecins tentaient de faire cela, il n’y a pas de doute que cela serait soulevé devant les juges du fond et sanctionné. La décision est aussi peut-être la bonne, car il est question de déterminer qui va payer plutôt que de chercher à savoir qui est responsable (le mot est utilisé sciemment).

Arbitrage Tapie : des infractions pénales et des fautes civiles

Paris, 24 nov. 2021

Remontant à un bon quart de siècle, cette affaire a démarré avec la revente, par le golden boy devenu ministre, de l’équipementier allemand Adidas. Intermédiaire dans l’opération, le Crédit Lyonnais en avait finalement pris le contrôle, avant de faire faillite. Pour tenter de mettre un terme à l’embrouillamini de procédures qui avaient suivi, il avait été décidé, en 2007, de recourir à un arbitrage. L’année suivante, ce dernier avait alloué à Bernard Tapie 240 millions d’euros de préjudice matériel (hors intérêts), et 45 millions de préjudice moral, avant que la Cour d’appel de Paris ne prononce sa rétractation pour fraude. Bernard Tapie avait alors été poursuivi pour escroquerie et détournement de fonds publics, en compagnie de plusieurs co-prévenus. Notamment Maurice Lantourne, son avocat dans ce dossier-fleuve. Mais aussi Pierre Estoup, l’un des trois arbitres, acquis à sa cause. Ainsi que Jean-François Rocchi, président du l’organisme de défaisance qui avait récupéré les actifs toxiques de la banque nationale, et Bernard Scemama, président de l’établissement public qui chapeautait le précédent. Et enfin Stéphane Richard, directeur de cabinet de la ministre Christine Lagarde, elle-même été condamnée (mais dispensée de peine) par la Cour de justice de la République (CJR). On leur reprochait en substance le rôle qu’ils avaient joué dans la mise en œuvre et le déroulement de cet arbitrage, puis dans la décision de ne pas exercer de recours. En première instance, en 2019, tous avaient été relaxés, mais le parquet avait interjeté appel. On notera que l’infraction d’escroquerie est centrée sur la seule obtention de la sentence arbitrale, celle de détournement de fonds reposant quant à elle sur la remise de sommes en exécution de cette sentence.

Bernard Tapie reste bien sûr définitivement présumé innocent sur le plan pénal, son décès quelques jours avant la date prévue pour le délibéré entraînant mécaniquement l’extinction de l’action publique à son encontre. Mais l’arrêt relève, sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240 du code civil, la commission de « deux fautes civiles générant un droit à indemnisation », pour mettre à la charge de ses...

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Mesure d’instruction préventive : absence de nécessité d’établir de bien-fondé de la prétention susceptible d’être soulevée au fond

Celui qui demande au juge d’ordonner une mesure d’instruction préventive, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, doit-il établir le bien-fondé de la prétention qu’il pourrait faire valoir au fond ?

La réponse à cette question ne ressort pas explicitement de l’article 145 du code de procédure civile. Certes, ce texte, qui concentre à lui seul l’essentiel du régime des mesures d’instruction préventives, prévoit que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé » (l’italique est ajouté). L’emploi du conditionnel tout autant que de l’article indéfini « un » laissent entendre que « le procès n’est pas certain » (P. Théry, L’article 145 du nouveau code de procédure civile, Rev. jur. du Centre-Ouest 1988. 210, spéc. n° 4). Si le procès n’est pas certain, le litige peut vraisemblablement n’être que potentiel et il paraît bien délicat d’exiger d’une partie qu’elle prouve le succès de ses prétentions futures lorsqu’elle agit sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. C’est ce qu’a rappelé la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 4 novembre 2021.

Les faits n’appellent pas de longs commentaires. Parce qu’elle se plaignait de la poursuite de la production et de la fabrication de certains biens, en violation d’un protocole d’accord, une société a saisi sur requête le président d’un tribunal de commerce aux fins qu’il désigne un huissier de justice pour effectuer diverses missions. Le président y a fait droit, mais la cour d’appel a rétracté les ordonnances dès lors qu’il n’était pas établi que les produits fabriqués étaient véritablement entrés dans le champ contractuel si bien que la société requérante n’établissait aucun motif légitime. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a cependant censuré l’arrêt rendu dès lors que « l’article 145 du code de procédure civile n’exige pas que le demandeur ait à établir le bien-fondé de l’action en vue de laquelle la mesure d’instruction est sollicitée ».

Cet arrêt révèle l’équilibre subtil auquel tente de parvenir la jurisprudence : s’il n’est pas permis d’en demander trop au requérant sous peine de réduire à néant l’intérêt du dispositif prévu par l’article 145 du code de procédure civile, il ne faut pas non plus qu’une mesure d’instruction soit ordonnée sans qu’aucune condition ne soit requise....

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La « tribune des 3000 » mobilise les magistrats

Écrite en réaction au suicide d’une jeune magistrate, la tribune publiée par Le Monde évoque la souffrance du monde judiciaire, face à la surcharge de travail et la perte de sens : « L’importante discordance entre notre volonté de rendre une justice de qualité et la réalité de notre quotidien fait perdre le sens à notre métier et crée une grande souffrance. […] nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre tout et comptabilise tout. » Dimanche soir, elle avait été signée par 4 744 magistrats, 436 auditeurs de justice et 945 greffiers. Soit plus de la moitié des magistrats.

Si la magistrature est loin d’être un corps calme, cette mobilisation reste très importante. Pour Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature, elle témoigne des effets de la charge de travail qui pèse sur les personnels, le manque de moyen, et la perte de sens. « Cette perte de sens est liée avec un productivisme, imposé par les dernières réformes : juge unique, médiation préalable obligatoire, échanges écrits, multiplication des visioconférences pour éviter des extractions. Au-delà des moyens, la tribune évoque des choses plus essentiels sur le sens de nos fonctions aujourd’hui ».

Céline Parisot, président de l’Union syndicale des magistrats, va dans le même sens : « Il y a une prise de conscience en juridiction que les choses sont allées trop loin et que nous avons accepté de travailler dans des situations indignes pour les personnels, comme pour les justiciables. Nous ne pouvons rendre une justice de qualité dans des conditions aussi dégradées. »

La critique persistante du manque de moyens

Cette mobilisation arrive alors qu’Éric Dupond-Moretti vient de faire voter sa loi et qu’il se félicite d’une nouvelle hausse du budget de 8 % (P. Januel, Dalloz actualité, 11 oct. 2021). Les magistrats modèrent cette hausse : le programme justice judiciaire n’augmentera que de 3,5 %, et seuls 50 postes de magistrats et 47 de greffiers seront ouverts. Si la vacance a diminué, sur le terrain, il reste des postes non-pourvus, notamment chez les greffiers. Pour Cyril Papon, secrétaire générale de la CGT des Chancelleries et services judiciaires, « il y a une autosatisfaction sur l’augmentation du budget – le doublé budgétaire – alors qu’on ne ressent pas d’amélioration au quotidien. Le décalage entre le discours et la réalité de terrain est très fort ».

À la Chancellerie, on assume le choix de n’avoir priorisé des recrutements de personnels non permanents. Selon l’entourage du ministre, « il faut 31 mois pour former un magistrat, 18 pour former un greffier. Face à l’urgence, les efforts sur les effectifs ont été mis sur l’équipe autour des magistrats, avec le recrutement de 2 100 personnes en moins d’un an et des retours très positifs de la part des juridictions. »

Mais pour les magistrats, cet effort reste insuffisant par rapport aux besoins. Le caractère précaire et temporaire des personnels est souvent regretté. Par ailleurs, pour Céline Parisot : « les personnels recrutés pour la justice pénale de proximité, l’ont été pour des missions supplémentaires, notamment les violences intrafamiliales ».

Autre critique récurrente : le retard informatique. Si les matériels sont arrivés dans les juridictions, les applications sont souvent obsolètes. Les grands projets informatiques n’ont pas encore abouti et la justice paye aujourd’hui le retard accumulé depuis quinze ans.

Les magistrats demandent un rattrapage sur les postes. Pour Katia Dubreuil, « Il y a un refus de la Chancellerie depuis dix ans d’avancer sur le référentiel de la charge de travail des magistrats. Aucun ministre n’a voulu aboutir, car cela reviendrait à constater le manque de poste. » Dans l’entourage d’Éric Dupond-Moretti, on indique : « Le ministre, qui a obtenu des augmentations budgétaires historiques pour 2021 et 2022, a toujours dit qu’il reste encore beaucoup à faire et qu’il a d’abord fallu réparer les urgences. Mais c’est aux États généraux de dire notamment quel sera le bon chiffre de magistrats. »

Une mobilisation en plein États généraux de la justice

La mobilisation autour de cette tribune arrive où les relations entre le ministre et les syndicats de magistrats sont exécrables. Elle heurte aussi le processus des États généraux de la justice (P. Januel, Dalloz actualité, 19 oct. 2021). Pour l’instant les magistrats ne se sont pas emparés du processus lancé par le président de la République, à la demande des hauts magistrats de la Cour de cassation. Pour Katia Dubreuil, « il y a un rejet unanime sur ce vers quoi tendent les États généraux. Les questionnaires montrent que la Chancellerie reste dans la même logique : déjudiciarisation, barémisation, plaider-coupable en matière criminelle, … »

Pour la Chancellerie, « le ministre reste à l’écoute, il a d’ailleurs reçu les représentants des conférences lundi, les syndicats de greffiers mardi et doit prochainement revoir le groupe des trente », qui représente les signataires de la tribune. Parallèlement, l’intersyndicale s’organise et elle s’est retrouvée hier. L’un des projets était de solliciter les juridictions, afin de les interroger sur les manques de personnels.

Quelle autonomie de la notion d’autorité de la chose jugée ? : droit de l’Union [I]versus[/I] droit français

Dans un arrêt du 17 novembre 2021, la Cour de cassation revient une fois de plus sur l’autorité de la chose jugée, dans des conditions cependant inhabituelles puisqu’elle ne casse ni ne rejette, mais qu’elle pose elle-même des questions et sursoit à statuer afin de renvoyer quatre questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Elle se demande si la conception européenne de l’autorité de la chose jugée doit s’appliquer telle quelle dans les États membres et notamment en France. La question était donc relativement simple : en vertu de quel droit s’apprécie l’autorité de la chose jugée d’un jugement étranger invoqué en France ?

La réponse est beaucoup moins évidente… et celle fournie par la CJUE pourrait conduire à une certaine remise en cause de la jurisprudence Cesareo, ou plus exactement de la jurisprudence qui impose la concentration des moyens aux plaideurs.

L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt oppose une société luxembourgeoise, la société Récamier, à l’un de ses anciens administrateurs, sans doute français. La société a d’abord agi devant les juridictions luxembourgeoises, puis devant les juridictions françaises, à propos de ce même litige : tant au Luxembourg qu’en France, la société a réclamé à son ancien administrateur le paiement de sommes en invoquant des détournements d’actifs commis par celui-ci dans l’exercice de ses fonctions.

La chronologie est complexe, incluant un premier pourvoi et un renvoi après cassation (la cour d’appel de Versailles avait, dans un premier temps, modifié l’objet de la demande). L’arrêt du 17 novembre 2021 est donc rendu sur second pourvoi de la société.

Il faut retenir que, par un arrêt du 11 janvier 2012, la cour d’appel de Luxembourg a rejeté la demande en paiement comme étant « irrecevable » et « mal fondée » (sic) – en réalité mal fondée : elle a considéré que, les fautes alléguées étant celles d’un administrateur dans l’exercice de son mandat, la responsabilité recherchée était de nature contractuelle et que, dès lors, la demande qui était expressément fondée sur la responsabilité quasi délictuelle devait être déclarée « irrecevable » (la Cour de cassation ajoute que c’est « par application du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle » : il faut faire abstraction de ce morceau de phrase, puisqu’il correspond aux motifs de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, ayant été cassé à la suite du premier pourvoi).

À la suite de cet arrêt, le 24 février 2012, la société Récamier a donc assigné son adversaire en France, à savoir devant le tribunal de commerce de Nanterre. Elle a réclamé le paiement des mêmes sommes, en raison des mêmes faits, sur le fondement des dispositions du droit luxembourgeois relatives à la responsabilité contractuelle. L’ancien administrateur a soulevé devant la juridiction française une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée de la décision luxembourgeoise.

Après un premier appel, un premier pourvoi et un renvoi devant la cour d’appel de Versailles, cette cour a rendu un arrêt le 4 juin 2019. La cour d’appel a déclaré irrecevable l’action de la société Récamier, aux motifs que l’autorité de chose jugée par les juridictions luxembourgeoises devait s’apprécier au regard de la loi française de procédure, selon laquelle il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci (règle dite de concentration des moyens). Elle en a déduit que les parties, leurs qualités et la chose demandée étant identiques dans l’instance ayant abouti à l’arrêt de la cour de Luxembourg et dans la présente instance et la demande indemnitaire étant fondée sur la même cause, à savoir les détournements d’actifs reprochés à l’administrateur, la société Récamier ne pouvait être admise à invoquer un fondement juridique différent de celui qu’elle s’était abstenue de soulever en temps utile.

La société Récamier s’est pourvue en cassation. Pour elle, l’autorité de chose jugée de la décision luxembourgeoise ne doit pas être appréciée au regard du droit français mais doit l’être, soit au regard d’une interprétation autonome de cette notion en droit de l’Union, soit au regard du droit luxembourgeois. À l’inverse, le défendeur au pourvoi considère que la notion doit être appréciée selon les règles françaises, chaque État ayant une compétence exclusive en matière de droit processuel. L’avocat général conclut principalement à l’application du droit luxembourgeois et subsidiairement à un renvoi préjudiciel.

C’est cette dernière position que choisit la première chambre civile. Après avoir rappelé le « cadre du litige », à savoir les articles 33 du règlement « Bruxelles I », 480 du code de procédure civile, 1355 du code civil et la jurisprudence Cesareo, elle renvoie à la Cour de justice de l’Union européenne quatre questions et sursoit à statuer jusqu’à la décision de celle-ci.

Les questions sont les suivantes :

1°/ L’article 33, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence...

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L’efficacité d’une DNI perdure après la cessation de l’activité professionnelle !

En un peu plus d’une décennie, la problématique de l’insaisissabilité des immeubles d’un entrepreneur sous procédure collective est devenue un incontournable du droit des entreprises en difficulté. Chacune des décisions rendues en ce domaine est scrutée et retient l’attention des praticiens et de la doctrine (v. réc., Com. 10 mars 2021, n° 19-21.971, à paraître ; Dalloz actualité, 6 avr. 2021, obs. B. Ferrari ; D. 2021. 573 image ; ibid. 1736, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli image).

L’arrêt ici rapporté n’échappe pas à la règle et son apport dépasse même les frontières du droit de la faillite.

En l’espèce, le 19 novembre 2013, un entrepreneur individuel a déclaré insaisissables ses droits sur une maison d’habitation lui appartenant ainsi qu’à son épouse commune en bien. Cette déclaration a été publiée le 28 novembre 2013 au service de la publicité foncière et le 23 juin 2014 au répertoire des métiers. Malheureusement, le 9 février 2015, l’entrepreneur a fait publier, au même répertoire, la cessation de son activité professionnelle. Le 30 juin 2015, une procédure de liquidation judiciaire était ouverte à son encontre. Or, le débiteur ayant opposé au liquidateur les dispositions de la Déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI), le mandataire l’a assigné en inopposabilité de celle-ci. Las, l’arrêt d’appel confirme l’opposabilité de la DNI au liquidateur et ce dernier forme un pourvoi en cassation.

Astucieuse, l’argumentation du mandataire reposait sur une interprétation littérale de l’article L. 526-1 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015.

Ce texte prévoyait notamment que « par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale (…) ». Partant, la radiation du débiteur du répertoire des métiers, intervenue antérieurement à l’ouverture de la procédure collective, aurait entraîné la cessation des effets de la DNI, puisque formellement, le débiteur n’avait plus la qualité « d’entrepreneur » entendue comme étant une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel. Par conséquent, l’insaisissabilité de l’immeuble ayant cessé en raison de la perte de la qualité d’entrepreneur, le bien pouvait être appréhendé par le liquidateur afin d’être réalisé dans l’intérêt collectif des créanciers.

Au-delà de la technique, le pourvoi posait surtout la question inédite de l’opposabilité d’une DNI à une liquidation judiciaire ouverte postérieurement à la cessation de l’activité professionnelle de l’entrepreneur.

Las pour le liquidateur, la Cour de cassation ne souscrit pas à son analyse et rejette le pourvoi.

Pour la Haute juridiction, la DNI, peut faire publier la personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, après sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant. Dès lors, les effets de cette déclaration subsistent aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels elle est opposable ne sont pas éteints, sauf renonciation du déclarant lui-même, de sorte que la cessation de son activité professionnelle ne met pas fin, par elle-même, aux effets de la déclaration.

L’arrêt sous...

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La demande tendant au report de la date d’audience d’adjudication doit être formée par voie de conclusions

Devant le juge de l’exécution, la demande tendant au report de la date de l’audience d’adjudication doit-elle nécessairement être formée par voie de conclusions ?

La réponse à cette question paraît évidente, alors que l’article R. 311-6 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que « toute contestation ou demande incidente est formée par le dépôt au greffe de conclusions signées d’un avocat ». Encore faut-il cependant admettre qu’une telle demande constitue bien une demande incidente ou une contestation… C’est sur cette difficulté qu’est revenue la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 4 novembre 2021.

Les faits étaient assez classiques. Un établissement bancaire avait procédé à la saisie d’un bien immobilier. À l’audience d’orientation, le juge de l’exécution avait ordonné la vente forcée du bien et fixé une date d’audience conformément aux dispositions de l’article R. 322-26 du code des procédures civiles d’exécution. Au jour indiqué, il appartenait en conséquence au créancier poursuivant (ou à un autre créancier subrogé dans les poursuites) de solliciter la vente puisqu’à défaut le juge de l’exécution ne peut que constater la caducité du commandement de payer valant saisie (C. pr. exéc., art. R. 322-27). Le créancier poursuivant a cependant déposé des conclusions, qui ne comportaient aucune signature, tendant au report de la date d’audience d’adjudication. Le juge de l’exécution n’a tiré aucune conséquence de ce défaut de signature et a jugé que la date de l’audience devait être reportée. La cour d’appel n’a cependant pas partagé cette manière de voir les choses. Estimant que les conclusions, parce qu’elles n’étaient pas signées, étaient entachées d’une irrégularité de fond, elle en a déduit qu’elles étaient nulles ; les effets de l’acte étant dès lors rétroactivement anéantis (Civ. 2e, 19 févr. 2015, n° 14-10.622 P, Dalloz actualité, 13 mars 2015, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2015. 495 image ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle image ; AJDI 2015. 457 image, obs. F. de La Vaissière image), le juge de l’exécution n’avait pas pu être saisi de la demande tendant au report de la date d’audience et, faute pour le créancier d’avoir sollicité la vente au jour de l’audience initialement fixé, aurait dû constater la caducité du commandement de payer valant saisie en application de l’article R. 322-27 du code des procédures...

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Le juge et l’instance prud’homale en cours lors de l’ouverture d’une procédure collective

En règle générale, l’ouverture d’une procédure collective déclenche l’application d’un certain nombre de règles contraignantes pour les créanciers de l’entreprise en difficulté. Parmi ces dernières, nous retrouvons celles gouvernant le régime des instances en cours à l’ouverture de la procédure collective. S’il fallait résumer ce corps de règles, nous pourrions dire qu’il s’agit de faire en sorte que la reprise de l’instance – interrompue en raison du jugement d’ouverture – respecte les exigences du droit des entreprises en difficulté. Ainsi, la reprise de l’instance en cours est-elle subordonnée à la réunion de deux conditions : le créancier doit déclarer sa créance à la procédure collective et mettre en cause les organes de la procédure (C. com., art. L. 622-22 et R. 622-20). Déjà source d’un abondant contentieux (v. dernièrement Com. 20 oct. 2021, n° 20-13.829 P, Dalloz actualité, 17 nov. 2021, obs. B. Ferrari ; D. 2021. 1917 image), ce principe général connaît, de surcroît, une exception importante : les instances prud’homales en cours au jour du jugement d’ouverture ne sont pas interrompues, mais sont « simplement » poursuivies après la mise en cause des organes de la procédure (C. com., art. L. 625-3).

L’arrêt ici rapporté conduit à s’interroger sur la portée de cette dernière règle et plus particulièrement sur le rôle du juge face à une instance prud’homale en cours au jour du jugement d’ouverture de la procédure collective.

En l’espèce, un salarié d’une société – licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement – saisit la juridiction prud’homale aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur. Le conseil de prud’hommes accède à sa demande, le 1er septembre 2017, et condamne la société à verser au salarié diverses sommes au titre de la rupture. L’employeur interjette appel de cette décision le 6 octobre 2017, mais fait l’objet, un mois plus tard, le 9 novembre 2017, de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.

Estimant tirer la juste conséquence de l’ouverture de la procédure collective, la cour d’appel déclare les demandes en paiement du salarié irrecevables. Pour les juges du fond, le prononcé de la liquidation judiciaire imposait au salarié de réclamer la fixation de sa créance au passif, à l’exclusion de toute condamnation visant la personne morale.

Le salarié forme un pourvoi en cassation et la haute juridiction casse et annule l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 625-3 du...

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Beau fixe pour la procédure à jour fixe, quand la nullité s’impose sur la caducité

Le liquidateur judiciaire d’une société assigne une partie devant le juge de l’exécution afin que soit ordonnée la vente forcée d’un bien et fixée sa créance. La défenderesse est déboutée de sa contestation et le jugement d’orientation ordonne donc la vente forcée de l’immeuble. Le 3 mai 2019, la défenderesse relève appel du jugement d’orientation et est autorisée à assigner à jour fixe à l’audience du 6 novembre 2019. Selon arrêt du 28 novembre 2019, la cour d’appel de Paris déclare caduque la déclaration d’appel au motif que la copie de l’assignation qui lui avait été remise par voie électronique avant la date de l’audience était incomplète. Devant la Cour de cassation, la demanderesse au pourvoi arguait qu’en procédure à jour fixe, « seule l’absence de remise d’une copie de l’assignation au greffe de la cour d’appel par voie électronique avant la date fixée pour l’audience était sanctionnée par la caducité de la déclaration d’appel ». Au visa de l’article 922 du code de procédure civile, la deuxième chambre civile casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt rendu et renvoie les parties devant la même cour autrement composée, après avoir estimé que, « selon ce texte, dans la procédure d’appel à jour fixe, la cour d’appel est saisie par la remise d’une copie de l’assignation au greffe, cette remise devant être faite avant la date fixée pour l’audience, faute de quoi la déclaration d’appel est caduque. Or, pour constater la caducité de l’appel, l’arrêt [d’appel] retient que [l’appelante] a remis au greffe avant la date de l’audience une copie incomplète de l’assignation à jour fixe délivrée le 29 mai 2019 en ce qu’elle ne comprend, outre la page mentionnant les modalités de sa signification à l’intimée, que les trois premières pages sur les sept que compte cet acte. Il ajoute que cette copie ne comprend notamment pas le dispositif de l’assignation. Il relève, en outre, que la copie remise au greffe de la cour d’appel étant incomplète, celle-ci n’est pas valablement saisie. En statuant ainsi, alors que l’assignation remise au greffe était affectée d’un vice de forme susceptible d’entraîner sa nullité sur la démonstration d’un grief par l’intimée, la cour d’appel, qui ne pouvait ainsi prononcer la caducité de la déclaration d’appel sans constater, le cas échéant, au préalable, la nullité de cet acte, a violé [l’article 922] ».

Climat tempéré par les règles de procédure civile

Les exigences de la procédure à jour fixe, qu’elle soit obligatoire comme en matière d’appel d’un jugement d’orientation conformément à l’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution (« L’appel contre le jugement d’orientation est formé, instruit et jugé selon la procédure à jour fixe sans que l’appelant ait à se prévaloir dans sa requête d’un péril ») ou facultative sur démonstration d’un péril par application de l’article 917 du code de procédure civile, ne doivent pas faire oublier les règles fondamentales de procédure civile. On observera déjà que la cour d’appel avait balayé l’argumentation de l’appelante selon laquelle la caducité était une sanction disproportionnée au regard du droit d’accès au juge prévu par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, moyen repris au soutien du pourvoi mais auquel la Cour de cassation ne prêta pas d’égard. Car la question ne se trouvait pas là, mais bien du côté des règles élémentaires de procédure civile. Et lorsque la nullité de forme s’impose sur la caducité, la sanction est beaucoup plus tempérée car elle repose sur la démonstration, souvent difficile, d’un grief. Mais ce n’est pas chose habituelle.

Rigueur et frimas du jour fixe

Forte précipitation. Si la cour d’appel est partie bille en tête sur la caducité, sans passer par la case nullité, c’est peut-être qu’en procédure à jour fixe, on est désormais habitué à ce que les sanctions pleuvent. Et pas du côté des nullités de forme. En la matière, irrecevabilité et caducité se disputent la sanction. Sans désir d’exhaustivité, la liste pourrait donner le vertige.

Sur appel d’un jugement d’orientation, l’absence de dépôt d’une requête à jour fixe ou bien des conclusions sur le fond et des pièces dans le délai de huit jours conduit à l’irrecevabilité de l’appel (Civ. 2e, 19 mars 2015, nos 14-14.926 et 14-15.150, Dalloz actualité, 3 avr. 2015, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2015. 742 image ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle image ; RTD civ. 2015. 461, obs. N. Cayrol image ; 7 avr. 2016, n° 15-11.042, Dalloz actualité, 6 mai 2016, obs. M. Kebir ; D. 2017. 1388, obs. A. Leborgne image). L’irrecevabilité est encourue aussi si les conclusions ne sont pas jointes à la requête (Civ. 2e, 7 avr. 2016, n° 15-11.042, préc.). Si l’appel contre le jugement d’orientation est, à peine d’irrecevabilité, formé selon la procédure à jour fixe, l’appel est aussi irrecevable si une copie de la requête n’est pas jointe à l’assignation (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-21.833, Dalloz actualité, 10 oct. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 1920 image ; ibid. 2019. 1306, obs. A. Leborgne image). Et en cette matière, le lien d’indivisibilité qui existe entre tous les créanciers est tel qu’il oblige l’appelant à former son recours contre toutes les parties à l’instance à peine d’irrecevabilité de l’appel (Civ. 2e, 21 févr. 2019, n° 17-31.350, Dalloz actualité, 21 mars 2019, obs....

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Concurrence déloyale : recevabilité de l’attestation d’un « client mystère »

Ces dernières années, l’image des opticiens a été écornée par la révélation de pratiques frauduleuses consistant à obtenir un meilleur remboursement des mutuelles au profit des clients par l’augmentation artificielle du prix des verres et la diminution corrélative du prix des montures (lesquelles sont moins bien remboursées).

C’est dans ce contexte qu’un syndicat, l’Union des opticiens (ci-après l’UDO), a fait appel à des clients mystère qui ont été invités à vérifier les modalités de facturation de plusieurs entreprises du secteur. Deux entreprises, la société Naggabo à Lyon et IMD Optic à Paris, ont été épinglées à la suite de témoignages de ces faux clients pour avoir accepté de reporter le prix des montures sur le prix des verres. L’UDO a alors agi contre chacune de ces sociétés en sollicitant la cessation de ces pratiques déloyales et le paiement de dommages-intérêts pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession.

Les actions menées respectivement devant les juridictions commerciales lyonnaises et parisiennes ont toutes été finalement rejetées, en sorte que l’UDO, devenu le rassemblement des opticiens de France (ci-après le ROF), a porté ces affaires devant la haute juridiction.

Le débat porte sur la recevabilité des attestations effectuées par des clients mystère dans le cadre d’une action en concurrence déloyale. Plus précisément encore, la question de la loyauté du procédé probatoire est posée. Pour la cour d’appel de Paris (Paris, 18 févr. 2020) comme pour la cour d’appel de Lyon (Lyon, 12 mars 2020), les attestations litigieuses constituent des preuves déloyales au sens de l’article 9 du code de procédure civile et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme dans la mesure où elles ont été obtenues par « un stratagème caractérisé par le recours à un tiers au statut non défini pour une mise en scène ». En l’espèce, les auteurs des attestations ont effectivement perçu une rémunération de la part d’une société « spécialisée dans le recrutement de ce genre de prestataires » sollicitée par le syndicat afin de participer à un scénario préétabli selon lequel ils devaient se rendre dans certains points de vente, munis d’une fausse prescription pour une monture de lunettes de vue alors qu’ils n’en avaient point besoin (pt 4).

Dans les deux pourvois, le moyen invoqué reproche aux juges du fond d’avoir déduit de la seule rémunération des clients mystère par le syndicat le défaut de loyauté (première branche), d’avoir retenu la déloyauté alors même que les clients fictifs n’ont pas provoqué la commission de l’infraction (deuxième branche) et d’avoir écarté la recevabilité de cette preuve alors qu’elle constitue le seul moyen de démontrer l’existence de l’infraction (troisième branche de pourvoi n° 20-14.669 et quatrième branche de pourvoi n° 20-14.670).

La Cour de cassation, qui écarte le dernier argument aux motifs que les juges du fond n’ont pas été sollicités afin de vérifier l’absence d’alternative à la preuve litigieuse, rejette les pourvois aux motifs que « le syndicat a eu recours à un stratagème consistant à faire appel aux services de tiers rémunérés pour une mise en scène de nature à faire douter de la neutralité de leur comportement à l’égard » de la société défenderesse, en sorte que la juridiction d’appel « a pu déduire que les attestations, ainsi que les devis et factures qui les accompagnaient, avaient été obtenus de manière déloyale et étaient donc irrecevables ».

La solution de la Cour de cassation s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence civile qui érige la loyauté dans l’administration de la preuve au rang de principe autonome (v. Cass., ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.667, Dalloz actualité, 12 janv. 2011, obs. E. Chevrier). En application de ce principe, les enregistrements clandestins d’une conversation téléphonique (Civ. 2e, 9 janv. 2014, n° 12-17.875, Just. & cass. 2014. 133, rapp. D. Pimoulle image), y compris dans le contentieux des pratiques anticoncurrentielles (Cass., ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.667, préc.), ont été considérés comme des procédés déloyaux. De même, toutes les preuves qui sont obtenues par la ruse à l’issue d’un stratagème au détriment de l’une des parties sont écartées en droit social comme en droit commercial. Ainsi, les opérations menées par l’employeur qui dépêche un huissier ou d’autres salariés, lesquels ne déclinent ni leurs identités ni le but de leurs visites sur le lieu de travail du salarié, sont contraires au principe de loyauté (par ex. l’envoi, par l’intermédiaire d’un huissier, de faux clients qui règlent en espèce pour démontrer le vol du salarié, v. Soc. 18 mars 2008, n° 06-40.852, D. 2008. 993 image ; ibid. 2306, obs. M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, C. Dupouey-Dehan, B. Lardy-Pélissier, J. Pélissier et B. Reynès image ; ibid. 2820, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur image ; Dr. soc. 2008. 610, obs. C. Radé image).

En droit commercial, la question du stratagème se pose souvent à propos de clients envoyés par un concurrent pour démontrer une faute de déloyauté. Le procédé probatoire est considéré comme une manœuvre déloyale dès lors que le client est fictif (Com. 18 nov. 2008, n° 07-13.365, D. 2009. 2714, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur image : signature d’un bon de commande pour l’achat d’un véhicule vendu en violation d’une exclusivité suivi d’un refus d’achat). Ont également été rétractées des ordonnances autorisant des huissiers, sans avoir à décliner leurs identités, à accompagner de faux clients pour constater des actes de concurrence déloyale aux motifs que « les mesures ordonnées reposaient sur l’utilisation d’un stratagème consistant à recourir aux services de tiers, au statut non défini, pour une mise en scène dont l’huissier instrumentaire était chargé de rapporter le déroulement et le résultat, et que ce dernier était autorisé à demeurer dans la clandestinité lors de l’accomplissement de sa mission » (Civ. 2e, 26 sept. 2013, n° 12-23.387, D. 2014. 2478, obs. J.-D. Bretzner, A. Aynès et I. Darret-Courgeon image ; Just. & cass. 2014. 121, rapp. E. Alt image ; v. égal. Com. 6 déc. 2016, n° 15-18.088 : dans cet arrêt, les attestations établies en exécution de la mission de l’huissier sur ordonnance de référé finalement rétractée sont également jugées irrecevables, « faute d’avoir été loyalement obtenues »).

Dans les arrêts commentés, en l’absence d’huissier, seule la recevabilité des attestations est débattue, mais la motivation des décisions précitées est reprise in extenso par la chambre commerciale car se pose toujours la question de l’usage d’un stratagème. En l’espèce, la visite de faux clients, prétextant avoir besoin de lunettes, munis d’une ordonnance fictive et rémunérés dans le cadre de cette « mise en scène », constitue effectivement des circonstances de nature à faire douter de leur neutralité. Aussi faut-il comprendre que si le recours aux clients mystère à des fins probatoires n’est pas interdit en soi, ces clients ne doivent toutefois pas être fictifs. C’est en tout cas ce qu’invite à penser une espèce analogue à propos de laquelle une cour d’appel a retenu des attestations émanant de clients mystère dans la mesure où ils ont « effectué de réels achats, en présentant des ordonnances médicales dont la fausseté n’est pas alléguée, achats qui ont mis au jour des pratiques de factures insincères visant à une prise en charge faussée par l’assurance maladie ou les mutuelles du coût des verres et montures de lunettes » (Com. 27 janv. 2021, n° 18-14.774 : extrait de la motivation des juges du fond étant précisé que le débat ne portait pas sur la loyauté des attestations produites).

Autrement dit, un petit espoir est laissé à celui qui souhaite prouver un acte de concurrence déloyale en recourant aux clients mystère : la fraude devra être incidemment constatée par un client mystère qui n’aura pas été spécialement dépêché dans l’entreprise pour la mettre à nue et qui aura réellement besoin du produit vendu par l’entreprise… À bon entendeur !

Nationalité par filiation : quand le parent doit-il être français ?

L’article 18 du code civil dispose qu’« est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français ». Il s’agit là d’un cas classique d’attribution de la nationalité française. Sa mise en œuvre ne soulève pas de difficultés particulières lorsque le parent considéré a toujours été de nationalité française. En revanche, lorsque tel n’est pas le cas, notamment lorsque le parent a été naturalisé français, une interrogation surgit, à laquelle l’arrêt de la première chambre civile du 17 novembre 2021 apporte une réponse.

Dans cette affaire, un homme avait été naturalisé français en 2011. Le lien de filiation à l’égard de ses deux enfants mineurs, nés à l’étranger en 2000 et en 2007, avait quant à lui été...

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Acquisition de la nationalité française : preuve de l’état civil du déclarant

Un ressortissant sénégalais a souscrit une déclaration acquisitive de nationalité française, en soutenant qu’il dispose d’une possession d’état de Français. L’article 21-13 du code civil dispose en effet que « peuvent réclamer la nationalité française par déclaration souscrite conformément aux articles 26 et suivants, les personnes qui ont joui, d’une façon constante, de la possession d’état de Français, pendant les dix années précédant leur déclaration ».

La question de l’appréciation de la fiabilité de son état civil se posa. Nul ne peut en effet se voir reconnaître la nationalité française s’il ne justifie pas d’une identité certaine, attestée par des actes d’état civil fiables au sens de l’article 47 du code civil. Cet article dispose que « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité » (notons que « celle-ci est appréciée au regard de la loi française », selon la rédaction de l’art....

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Bigamie et divorce en France

Un ressortissant libyen se marie une première fois en Libye. Il se marie une seconde fois dans ce même pays, avec une ressortissante libyenne.

Cette dernière forme par la suite une requête en divorce en France.

Cette requête est déclarée irrecevable par les juges du fond aux motifs que, l’époux ayant contracté deux mariages en Libye et la loi française ne reconnaissant pas la bigamie, le second mariage n’avait pas d’existence légale et ne pouvait donc pas être dissout par une juridiction française.

La décision d’appel est évidemment cassée par l’arrêt de la première chambre civile du 17 novembre 2021, car la position des juges du fond reposait sur une erreur d’appréciation.

L’article 147 du code civil dispose certes qu’« on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier ». Il s’agit là d’un principe classique du droit français, qui pose un empêchement absolu à mariage (V. Égéa, Droit de la famille, 3e éd., LexisNexis, 2020, n° 98) et interdit toute célébration d’un mariage bigamique en France (P. Malaurie et H. Fulchiron, Droit de la famille, 6e éd., LGDJ, 2018, n° 219). Un mariage célébré en France en violation de ce principe serait atteint d’une nullité absolue (F. Terré, C. Goldie-Genicon et D. Fenouillet, La famille, 9e éd., Dalloz, 2018, n° 137). Et tout mariage contracté en...

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De l’inutilité de la notification de la déchéance du terme

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provencele 23 novembre 2021

Civ. 1re, 10 nov. 2021, FS-B, n° 19-24.386

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation ici commenté traite d’une question originale : faut-il notifier la déchéance du terme après une mise en demeure restée infructueuse elle-même déjà notifiée ? On sait qu’en droit de la consommation, la première chambre civile de la Cour de cassation a pu renvoyer plusieurs questions à titre préjudiciel à la fin du printemps dernier (Civ. 1re, 16 juin 2021, n° 20-12.154, Dalloz actualité, 23 juin 2021, obs C. Hélaine ; D. 2021. 1619 image, note A. Etienney-de Sainte Marie image) sur des thématiques proches recoupant la notion de clauses abusives. La difficulté de l’arrêt rendu le 10 novembre 2021 repose ainsi sur une question qui n’est pas tranchée par les textes mais qui intéressera les praticiens du monde de recouvrement tant la solution donnée s’inscrit dans la pure logique des dispositions antérieures ou postérieures à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Les faits sont classiques en la matière : un prêt immobilier est octroyé à une société civile immobilière par acte notarié du 13 octobre 2006. Par acte sous seing privé, trois personnes physiques se sont portées cautions solidaires du prêt souscrit. Le 12 mars 2009, l’établissement bancaire met en demeure la société débitrice et les cautions d’exécuter leur engagement dans un délai de quinze jours, sans quoi la déchéance du terme serait prononcée. La créance est ensuite cédée à un fonds de titrisation. Le fonds cessionnaire réitère la mise en demeure le 22 avril 2014 et assigne les cautions en paiement du solde restant dû impayé depuis cinq ans. Le tribunal de grande instance de Laon rejette la demande de la banque qui interjette ainsi appel. La cour d’appel d’Amiens par adoption de motifs indique, « nonobstant les termes du contrat excluant, en cas de non-paiement d’une échéance, la nécessité d’une mise en demeure préalable à l’exigibilité de toutes les sommes dues au titre du prêt, la banque a procédé à une mise en demeure, et qu’à défaut de régularisation dans le délai imparti, elle n’a pu se trouver dispensée de notifier aux emprunteurs la déchéance du terme ». Le fonds de titrisation se pourvoit en...

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ONIAM : le refus de l’offre définitive ne rend pas caduque l’offre provisionnelle acceptée

À la suite de la pose d’une prothèse du genou, un patient a présenté un descellement tibial accompagné de phénomènes inflammatoires importants entraînant une ablation de la prothèse, remplacée par une nouvelle. Se plaignant de douleurs persistantes et d’une réduction de son périmètre de marche, il a saisi la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux.

L’expertise médicale a révélé que le dommage subi ouvrait droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale sur le fondement de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique.

Le 12 septembre 2012, la victime a accepté une offre d’indemnisation provisionnelle de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de son déficit fonctionnel temporaire. Elle a finalement refusé l’offre d’indemnisation définitive que l’Office lui a présenté le 16 février 2016 et l’a assigné en indemnisation. 

La cour d’appel saisie a rejeté sa demande au motif que le refus par la victime de l’offre d’indemnisation définitive présentée par l’ONIAM le 16 février 2016 rendait l’offre provisionnelle du 17 août 2012 caduque et inopposable à l’Office.

La victime s’est donc pourvue en cassation. Elle souligne, d’une part, que l’acceptation de l’offre d’indemnisation provisionnelle adressée à la victime en application de l’article L. 1142-17 du code de la santé publique vaut transaction au sens de l’article 2044 du code civil. En tant que contrat, cette transaction lie l’ONIAM et lui est opposable, peu important que l’offre d’indemnisation définitive présentée postérieurement par l’office ait été acceptée ou refusée. Elle ajoute, d’autre part, qu’en tant que transaction, l’offre d’indemnisation provisionnelle acceptée a autorité de la chose jugée entre les parties quant au droit à indemnisation de la victime, lequel ne peut plus être remis en cause dans le cadre d’un contentieux relatif à l’indemnisation du préjudice définitif. 

Il résulte de la confrontation des motifs de l’arrêt d’appel et de l’argumentation du demandeur au pourvoi deux questions auxquelles la Cour de cassation était invitée à répondre :

l’acception de l’offre provisionnelle forme-t-elle une transaction revêtue de l’autorité de la chose jugée quant à la reconnaissance du droit à indemnisation de la victime malgré le refus de l’offre définitive ? le refus de l’offre définitive rend-il caduque l’offre provisoire acceptée offrant la possibilité à l’ONIAM de contester devant le juge le droit à...

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Saisie-appréhension : recours contre l’ordonnance du JEX portant injonction de délivrer ou de restituer

par Guillaume Payan, Professeur de droit privé, Université de Toulonle 22 novembre 2021

Civ. 2e, 4 nov. 2021, F-B, n° 19-22.832

La saisie-appréhension (C. pr. exéc., art. L. 222-1 et art. R. 222-1 s.) est une mesure d’exécution forcée consistant en une (re)prise de possession d’un bien meuble corporel que le débiteur est tenu de livrer ou de restituer au créancier en vertu d’un titre exécutoire. Contrairement à la saisie immobilière ou à la saisie-attribution, elle ne donne pas lieu à un important contentieux. Tout arrêt de la Cour de cassation y afférent doit donc retenir l’attention, à l’image de celui prononcé par la deuxième chambre civile, le 4 novembre 2021.

En l’espèce, il était plus précisément question d’une procédure d’appréhension sur injonction du juge de l’exécution, telle que régie par les articles R. 222-11 et suivants du code des procédures civiles d’exécution. Ce dispositif réglementaire permet à une personne, non encore titulaire d’un titre exécutoire, de présenter une requête – au juge de l’exécution du lieu où demeure le (présumé) débiteur – à fin d’injonction d’avoir à délivrer ou à restituer un bien meuble déterminé. À peine d’irrecevabilité, cette requête doit contenir la désignation de ce bien, accompagnée des documents susceptibles de justifier la demande. Une fois prononcée par le juge de l’exécution, l’ordonnance portant injonction de délivrer ou de restituer est signifiée à la...

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Signification de conclusions à une adresse erronée : on connaît la chanson

Maux bleus

C’était une histoire d’incompréhension. Mais avec cet arrêt de principe capital, la Cour de cassation devrait mettre un terme aux tourments infinis qui agitaient depuis des années les cours d’appel sur la sanction encourue en cas de signification de conclusions, dans le délai imposé par les textes, mais à une adresse erronée. La société Le Bateau Lavoir relève appel d’une ordonnance du juge-commissaire d’un tribunal de commerce ayant statué sur une déclaration de créance. L’appelante signifie sa déclaration d’appel et ses conclusions à l’intimé non constitué, dans les délais imposés, à domicile élu mais à une adresse erronée. Celui-ci soulève la caducité de la déclaration d’appel faute de signification régulière. La cour d’appel de Caen, statuant sur déféré, ayant jugé caduque la déclaration d’appel, la société appelante forme un pourvoi motif pris que l’irrégularité d’un acte ne peut être sanctionnée qu’au titre des irrégularités de fond au sens de l’article 117 du code de procédure civile ou des irrégularités de forme au sens de l’article 114 du code de procédure civile, sans pouvoir l’être au titre de l’inexistence de l’acte ; qu’en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles susvisés tandis que l’erreur sur l’adresse du destinataire est une nullité de forme nécessitant la démonstration d’un grief. La deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt et dégage la solution suivante :

« Vu les articles 114 et 911 du code de procédure civile :

5. Il résulte de ces textes que la caducité de la déclaration d’appel, faute de notification par l’appelant de ses conclusions à l’intimé dans le délai imparti par l’article 911 du code de procédure civile, ne peut être encourue, en raison d’une irrégularité de forme affectant cette notification, qu’en cas d’annulation de cet acte, sur la démonstration, par celui qui l’invoque, du grief que lui a causé l’irrégularité.

6. Pour déclarer caduque la déclaration d’appel, l’arrêt retient que la signification d’un acte à une adresse inexacte correspond à une absence de signification tant de la déclaration d’appel que des conclusions subséquentes avant l’expiration des délais imposés par les articles 908 et 911 du code de procédure civile et qu’il n’y a pas à rechercher si l’irrégularité a causé ou non un grief à l’intimé dès lors que la sanction, à savoir la caducité, est encourue au titre non pas d’un vice de forme mais de l’absence de signification des actes.

7. En statuant ainsi, alors que les actes de la procédure, signifiés à une adresse erronée, étaient affectés d’un vice de forme susceptible d’entraîner leur nullité sur la démonstration, par Christophe X, du grief qu’il lui causait, la cour d’appel, qui a prononcé la caducité de la déclaration d’appel sans que les actes de signification aient été annulés dans les conditions prévues par l’article 114 du code de procédure civile, a violé les textes susvisés ».

J’lai pas touchée

Quelle est la sanction encourue lorsqu’une partie ne parvient pas à toucher la partie adverse pour lui dénoncer ses écritures alors même que l’acte d’huissier a été dressé dans le délai imparti prévu à peine de caducité par le code de procédure civile ? En confrontant nullité et caducité tout en répondant à la problématique de signification de conclusions à une adresse erronée mais dans le délai imposé par l’article 911 du code de procédure civile, la deuxième chambre apporte une solution majeure. Cet arrêt, publié, rendu sous le sceau des articles 114 et 911 du code de procédure civile et qui commence par dégager une solution générale, à portée de principe. Car aussi étonnant que cela puisse paraître, jamais la deuxième chambre civile n’avait apporté de réponse à une question aussi basique. Publié mais inédit !

Si les statistiques observent les situations passées et les probabilités postulent pour l’avenir, on constate que les cours restent indécises et parfaitement divisées sur la sanction encourue en pareil cas. Parfaitement divisées. Car d’un point de vue statistique, c’est-à-dire au regard des situations déjà jugées, on constate que c’était du « 50/50 » quant à la solution adoptée. Pour certaines cours, comme la cour de Caen, la signification à une adresse erronée, même faite dans le délai imposé, entraîne la caducité de la déclaration d’appel, tandis que les autres examinent l’acte sous l’angle des seules nullités. On ne s’étonnera donc pas que, d’un point de vue des probabilités, c’est-à-dire au regard des risques pour l’avenir qu’une caducité soit prononcée, on retrouve le même pourcentage, la caducité était tantôt écartée, tantôt prononcée, avec un parfait équilibre. Et dans tous les cas, une probabilité de voir son appel déclaré caduc selon un aléa, judiciaire, dont on ne pouvait se satisfaire.

Quel était l’enjeu ? Pour la première moitié des cours d’appel, le fait d’avoir accompli la diligence imposée (signification de la déclaration d’appel ou des conclusions) dans le délai requis n’était pas suffisant, encore fallait-il que la signification ait été valablement effectuée ; pour d’autres, les diligences de l’huissier instrumentaire relatées au procès-verbal de signification, bien qu’insuffisantes ou imparfaites, ne permettaient pas d’entraîner une caducité, ex abrupto, puisque le délai de signification prévu à peine de caducité avait bien été interrompu. En toute hypothèse, encore fallait-il en passer par le prononcé de la nullité du procès-verbal, nécessairement sur justification d’un grief s’agissant d’un vice de forme, pour que la caducité s’ensuive, dans certains cas. Et c’est cette dernière voie médiane que choisit la deuxième chambre civile.

Comme un interdit

Le premier enseignement est déjà que la Cour de cassation n’a nulle intention de faire revivre la théorie de l’inexistence des actes, ravivée pourtant par la cour de Caen qui avait bravé l’interdit en estimant « que la signification d’un acte à une adresse inexacte correspond à une absence de signification tant de la déclaration d’appel que des conclusions subséquentes avant l’expiration des délais imposés par les articles 908 et 911 du code de procédure civile ». Qu’on se le dise, la théorie de l’inexistence des actes est bien enterrée, et pas par cet arrêt qui prend soin de l’écarter mais par le célèbre arrêt – pas tant que ça finalement – de la chambre mixte de 2006 (Cass., ch. mixte, 7 juill. 2006, n° 03-20.026, D. 2006. 1984, obs. E. Pahlawan-Sentilhes image ; RTD civ. 2006. 820, obs. R. Perrot image). Elle ne sera pas réanimée.

Aussi, lorsque la cour de Caen estime qu’il n’y a donc « pas à rechercher si l’irrégularité a causé ou non un grief à l’intimé dès lors que la sanction, à savoir la caducité, est encourue au titre non pas d’un vice de forme mais de l’absence de signification des actes », c’est précisément la solution inverse qui est consacrée. C’est là le deuxième enseignement : face à un procès-verbal de signification de conclusions dressé par application de l’article 911, l’intimé qui souhaite s’emparer de l’irrégularité doit démontrer un grief. Depuis 2006, on sait que, quelle que soit la gravité des irrégularités alléguées, seuls affectent la validité d’un acte de procédure soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond expressément visées à l’article 117 du code de procédure civile. En l’espèce, les juges d’appel avaient relevé que le numéro du domicile élu était le 21 et non le 2, l’adresse exacte figurant d’ailleurs sur diverses pièces de première instance, et que si l’huissier avait indiqué que le requis était absent, que le domicile était encore confirmé par une voisine, l’intimé démontrait que l’acte d’huissier était affecté d’une erreur d’adresse. La caducité devait ainsi être prononcée « au titre non pas d’un vice de forme mais de l’absence de signification des actes ».

La position de la cour procédait d’une triple erreur. Déjà parce qu’il n’y a pas, on l’a vu, d’acte inexistant ou, selon l’expression qu’elle a choisie, « absent ». Dès lors qu’un acte est délivré, signifié ou notifié, il existe. Il peut être imparfait, perfectible ou inutile, mais il existe. Encore parce qu’en attaquant le contenu de l’acte – ici l’erreur d’adresse – c’est bien la nullité de forme qui était en débat conformément à l’alinéa 2 de l’article 114. Enfin, et l’on ne cessera de le répéter, parce que la caducité est, justement, l’absence de réalisation d’une charge procédurale imposée par la loi dans un délai précis tandis qu’il était constant que l’appelant avait conclu dans le délai de l’article 908 et signifié ses conclusions dans le délai de l’article 911. Cette appréciation de la caducité, depuis le temps, devrait d’autant plus être maîtrisée que la procédure d’appel ne manque pas d’exemples avec les délais de signification des déclarations d’appel ou de saisine, de conclusions, dans les procédures ordinaires classiques, à bref délai ou sur renvoi après cassation. La portée de l’arrêt est à ce point majeure que l’on peut d’ailleurs extrapoler en affirmant qu’il en serait de même en cas de signification de la déclaration d’appel à une adresse contestée par l’intimé. Dans cette dernière hypothèse, il faudra aussi en passer par la nullité, à cette nuance près que le grief (s’agissant d’une obligation procédurale quasiment inutile puisqu’elle précède l’obligation de signification des conclusions à l’intimé non constitué) sera beaucoup plus difficile à démontrer puisque seule la dénonciation des conclusions emporte un délai pour répondre à peine d’irrecevabilité.

Dolce vita

Si cet arrêt devrait permettre de mettre fin à l’aléa judiciaire selon que l’on se trouve, au sein d’une même cour, devant tel conseiller de la mise en état ou telle formation de déféré, les avocats, eux, n’en ont pas encore terminé avec l’aléa, juridique cette fois. En mathématique comme en procédure civile, l’aléa revient finalement à une gestion du risque où l’insouciance n’annonce pas toujours la belle vie. S’agissant d’une nullité de forme, et non de fond, l’avocat de l’intimé devra bien évidemment veiller à la soulever in limine litis puisqu’il aura la charge de la preuve que l’erreur d’adresse est constitutive d’un grief. À défaut, le moyen serait irrecevable, ce qui l’obligera à prendre l’initiative dès sa constitution et avant la notification des conclusions au fond quand bien même l’exception de procédure y serait déjà soulevée. Aussi, par application de l’article 789 du code de procédure civile, l’exception devra, toujours à peine d’irrecevabilité, être soulevée non seulement avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (C. pr. civ., art. 74) mais par des conclusions d’incident, distinctes de celles du fond, qui saisissent spécialement le conseiller de la mise en état. La règle vaut d’ailleurs en première instance (Civ. 2e, 12 mai 2016, nos 14-25.054 et 14-28.086, Dalloz actualité, 30 mai 2016, obs. M. Kebir ; D. 2016. 1290 image, note C. Bléry image ; ibid. 1886, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, O. Becuwe et N. Touati image ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero image ; Gaz. Pal., n° 29, 30 août 2016, obs. S. Amrani-Mekki) comme devant la cour d’appel (Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-22.609, Dalloz actualité, 27 janv. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2021. 129, obs. S. Thouret image ; Procédures, mars 2021, comm. 58, obs. R. Laffly). Ce sera le chemin à prendre en procédure classique, mais en cas de fixation à bref délai, il faudra soulever la nullité de forme… au fond. En effet, dans ce cas-là, le conseiller de la mise en état n’existe pas (la théorie de l’inexistence est cette fois bien actée) et le président ou le magistrat désigné n’a pas le pouvoir de statuer sur les nullités par application de l’article 905-2 in fine du code de procédure civile. L’avocat de l’intimé ne devra pas oublier non plus que, bien que l’exception de procédure de nullité ressorte des moyens de défense comme figurant au titre V du code de procédure civile (« Les moyens de défense. Articles 71 à 126), elle s’analyse encore en une prétention qui impose qu’elle soit mentionnée au dispositif des conclusions par application de l’article 954 du même code (Civ. 2e, 30 sept. 2021, n° 19-12.244, Dalloz actualité, 21 oct. 2021, obs. C. Lhermitte ; Rev. prat. rec. 2021. 5, chron. E. Jullien et C. Simon image). À défaut, le juge ne sera pas saisi de l’exception de procédure. Restera à démontrer le grief, et parmi toutes les nullités de forme (c’est-à-dire toutes celles qui ne sont pas de fond !), c’est d’ailleurs presque toujours l’adresse qui constitue l’éventuel grief. Celui-ci sera plus aisément constitué si l’intimé est hors délai pour conclure. L’avocat de l’appelant pourra toujours le combattre et, pourquoi pas, rappeler que ce n’est pas parce que l’intimé est hors délai pour conclure que l’appelant triomphe devant la cour…

L’enfer commence avec L

Et la caducité, que reste-t-il de la sanction de caducité ? Si la nullité s’impose, la menace de la caducité n’est jamais très loin. À regarder de plus près, la Cour de cassation n’écarte pas définitivement la caducité, elle pose l’enchaînement du raisonnement qui doit être celui du juge. En premier l’examen du grief allégué, en deuxième le prononcé éventuel de la nullité, en troisième la possibilité d’une caducité. Mais la nullité doit-elle entraîner, automatiquement, la caducité ? La Cour de cassation, cette fois, ne donne pas les clés du raisonnement. Plutôt que la caducité, la voie de la sagesse, elle aussi nécessairement médiane, pourrait (devrait) conduire à estimer que le délai de l’intimé n’a tout simplement pas couru. C’est d’ailleurs la solution jurisprudentielle en cas de recours hors délai lorsque l’acte de notification d’un jugement à une partie n’est pas conforme aux conditions posées par l’article 680 du code de procédure civile. Et elle aurait l’immense mérite de préserver les intérêts de l’appelant comme de l’intimé. Juridiquement, elle aurait aussi l’avantage de revenir à l’essence d’une caducité qui implique l’absence de diligence dans le délai imparti alors que, par hypothèse, la nullité vient ici sanctionner un acte qui a nécessairement été réalisé en temps et heure. Car si l’acte n’a pas été accompli dans le délai, point de débat sur la nullité, seule la caducité est prononcée. Et c’est la caducité de la déclaration d’appel. On connaît la musique : le dossier s’achèvera là.

Succès fou

Si le raisonnement s’arrête en chemin, la réflexion doit faire son œuvre et l’émergence, toute nouvelle, de l’idée d’une tentative interruptive du délai mériterait de servir de guide tellement elle serait revigorante. En se plaçant du côté de la tentative, accomplie dans le délai de forclusion imparti, la Cour de cassation a, dans un arrêt de section rendu au visa de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, estimé pour la première fois que la tentative d’assignation destinée à saisir la cour d’appel, délivrée par acte d’huissier de justice à une personne décédée, interrompait le délai pour agir en révision dès lors qu’il n’était pas établi que le demandeur avait connaissance du décès (Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 19-15.611, Dalloz actualité, 7 avril 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 702 image ; Rev. prat. rec. 2021. 6, chron. O. Cousin, Anne-Isabelle Gregori, E. Jullien, F. Kieffer, A. Provansal et C. Simon image ; JCP 2021. 637, obs. A. Danet ; Procédures juin 2021, comm. 159, obs. R. Laffly). Se trouvait ainsi consacrée l’interruption du délai par la simple tentative de délivrance de l’acte, dans le délai du recours, alors même que l’assignation n’avait pu être remise au destinataire décédé et qu’un procès-verbal de difficulté était dressé. À cette occasion, nous formions le vœu qu’une telle jurisprudence puisse être transposée aux délais de forclusion d’appel qui ne sont ni des demandes en justice ni des actes de saisine de la juridiction, c’est-à-dire précisément les délais de signification des déclarations d’appel et de conclusions qui rythment la procédure devant la Cour. De multiples raisons militent pour une telle approche, à commencer par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme dès lors que la caducité de la déclaration d’appel impacte le droit d’accès au juge. Plus trivialement encore au regard de délais souvent très courts (dix jours pour que la signification de l’acte d’appel touche l’intimé non constitué à peine de caducité…) et bien souvent insuffisants pour que l’avocat et l’huissier qu’il mandate accomplissent les recherches nécessaires pour connaître l’exacte adresse de l’intimé. Procès-verbal de difficulté, procès-verbal de recherches infructueuses, signification à adresse erronée, etc., la tentative faite dans les délais devrait être interruptive du délai imparti. Et, à l’instar de la solution donnée par l’arrêt du 25 mars 2021, le critère de « connaissance » de l’adresse exacte par le requérant devrait servir de marqueur pour retenir, ou non, la caducité. Les tentatives pour trouver l’adresse de l’intimé ne sont jamais interruptives si aucun acte n’est dressé dans le délai imposé tandis que l’accomplissement de l’acte dans le délai requis devrait pouvoir écarter la sanction de caducité. Alors, au risque d’être un peu insistant et redondant, souvenons-nous que la caducité de la déclaration d’appel sanctionne le défaut d’une diligence dans un délai imposé par la loi. Et que commencer par s’interroger sur la nullité du même acte, c’est déjà reconnaître qu’il a été établi dans le délai imposé. Le succès procédural passe par là : si ce n’est la chanson, on devrait toujours connaître la sanction.

Chronique d’arbitrage : l’art de l’esquive en matière de corruption

Plus de sept ans après le dernier important arrêt de la Cour de cassation en matière de corruption (Civ. 1re, 12 févr. 2014, n° 10-17.076, Schneider, D. 2014. 490 image ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2541, obs. T. Clay image ; JCP 2014. 782, note D. Mouralis ; ibid. 777, concl. P. Chevalier ; Procédures 2014, n° 4, comm. 107, p. 22, note L. Weiller ; Rev. arb. 2014. 389, note D. Vidal), celle-ci laisse passer une occasion d’affirmer sa doctrine, là où celle de la cour d’appel de Paris a considérablement évolué. Pour autant, l’arrêt Alstom (Civ. 1re, 29 sept. 2021, n° 19-19.769) est loin d’être dénué d’intérêt. Il faudra encore attendre un peu – quelques semaines peut-être – pour en savoir plus. Au-delà de cette décision, plusieurs arrêts méritent l’attention du lecteur. Les arrêts Nurol (Paris, 28 sept. 2021, n° 19/19834) et Aboukhalil (Paris, 12 oct. 2021, n° 19/21625) portent sur les questions de compétence fondée sur un traité bilatéral d’investissements. Elles sont de nature à rassurer les praticiens inquiets depuis plusieurs mois de la position française en la matière. À propos de l’obligation de révélation, c’est l’arrêt National Highway Authority (Paris, 14 sept. 2021, n° 19/16071) qui suscitera l’intérêt, en contribuant à fixer (lentement) le régime sur cette question. Bref, de beaux arrêts qui réjouiront les observateurs. Néanmoins, la présente livraison ne pouvait être trop belle et est gâchée par une nouvelle intervention de la Cour de justice (CJUE, 26 oct. 2021, aff. C-109/20, PL Holdings).

I. L’arrêt Alstom

La saga Alstom est connue des spécialistes de l’arbitrage, tant elle a été commentée et est au cœur d’une évolution jurisprudentielle cruciale.

La société française Alstom transport et la société anglaise Alstom Network (Alstom) ont conclu plusieurs contrats de consultant avec la société chinoise de Hong Kong Alexander Brothers. Alstom a remporté auprès du ministère chinois des Chemins de fer tous les appels d’offres en vue desquels les contrats de consultant avaient été signés, mais elle a refusé de payer le solde des commissions dû pour deux de ces contrats et de verser tout paiement pour un troisième, prétextant un risque pénal pour des versements qui servaient peut-être à corrompre des agents publics. La société Alexander Brothers a introduit une procédure d’arbitrage devant la Chambre de commerce internationale (CCI). Une sentence condamnant Alstom à payer, sur le fondement du droit suisse applicable, le solde des commissions dues au titre de deux contrats a été rendue à Genève.

Saisie d’une demande d’exequatur, la cour d’appel de Paris a répondu en deux arrêts successifs et a refusé l’exequatur (Paris, 28 mai 2019, n° 16/11182, Alstom (2nd arrêt), Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; ibid. 2435, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2019. 850, note E. Gaillard ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, Alstom (1er arrêt), D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard ; Cah. arb. 2018. 465, note A. Pinna). Elle a identifié une méthodologie du contrôle des allégations de corruption de l’ordre public international.

Pour mémoire, en voici les principaux traits. Premièrement, l’intensité du contrôle ne nécessite plus une violation flagrante de l’ordre public international, le contrôle étant réalisé en droit et en fait sur tous les éléments. Deuxièmement, la mauvaise foi ne fait pas obstacle à la discussion d’un argument relatif à la corruption, pas plus que le défaut de présentation du moyen devant le tribunal arbitral. Troisièmement, la reconnaissance ou l’exécution de la sentence ne doit pas avoir pour effet de permettre l’exécution d’un contrat de corruption. Quatrièmement, peu importe si les faits ont été pénalement qualifiés ou non par une juridiction pénale. Cinquièmement, c’est à travers un faisceau d’indices (des red flags à la française) et le caractère suffisamment grave, précis et concordant de ceux-ci que porte la discussion. L’arrêt du 10 avril 2018 donne une liste exhaustive des indices susceptibles de retenir l’attention.

Tous les ingrédients étaient réunis pour que la Cour de cassation rende une solution de principe – un grand arrêt – d’autant qu’elle était saisie d’un pourvoi de près de cinquante pages, articulé en trois moyens de trois, huit et une branches. C’est donc avec un certain étonnement, pour ne pas dire une légère déception, que la décision livrée est un pur arrêt d’espèce, rendue en formation restreinte présidée par le conseiller doyen (Civ. 1re, 29 sept. 2021, n° 19-19.769). La montagne a-t-elle accouché d’une souris ?

Pour le savoir, il convient de s’intéresser aux motifs de la cassation. Elle est prononcée au visa d’un principe : « vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ». C’est une cassation pour dénaturation qui est prononcée (M.-N. Jobard-Bachellier, X. Bachellier et J. Buk Lament, La technique de cassation, 9e éd., Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 2018, p. 230). La dénaturation peut porter sur un contrat, sur les preuves, ou encore sur les conclusions. En l’espèce, elle concerne la transcription de l’audience arbitrale (le transcript). Pour l’essentiel, il était considéré par la cour d’appel que la gérante du consultant avait refusé de répondre aux questions posées lors des débats. À l’inverse, le transcript fait état de diverses réponses.

Que peut-on tirer d’une telle décision ? Rien, en apparence. Les spécialistes de la procédure de cassation soulignent que « les arrêts sanctionnant une telle dénaturation, purement “disciplinaire”, ne présentent strictement aucun intérêt sur plan du fond du droit » (M.-N. Jobard-Bachellier et al., op. cit., p. 125).

Pour autant, on peut constater que les transcripts sont élevés au rang des éléments susceptibles de faire l’objet d’un contrôle de la dénaturation. Le constat est loin d’être dénué d’intérêt. Comme éléments de preuves, il est loin d’être anormal qu’ils fassent l’objet d’un tel contrôle. Reste qu’ils sont établis au moment du procès arbitral. D’un point de vue chronologique, ils ne datent donc pas de l’époque des faits de corruption, mais de l’instance arbitrale à l’occasion de laquelle ces faits sont discutés. De plus, il n’existe aucun formalisme relatif aux transcripts. Rien n’impose d’y recourir et, lorsqu’il en est décidé autrement, aucune forme n’est prédéfinie. Il en résulte une diversité de pratique, aussi bien sur le support de l’enregistrement (audio ou écrit) que sur l’exhaustivité de la retranscription (en particulier à l’écrit ; l’audio soulève plutôt des difficultés quant au caractère audible de l’enregistrement). En conséquence, les praticiens doivent prendre conscience de l’importance de cet élément : d’une part, en étant vigilant au moment de sa constitution (en soulignant certains points à l’audience et en faisant une relecture attentive du transcript ensuite) ; d’autre part, en s’intéressant de façon sérieuse à la plus-value de cette retranscription dans le cadre du recours. Rien que pour cela, l’arrêt mérite d’être signalé.

Cela dit, l’arrêt soulève une question qui est, de notre point de vue, beaucoup plus sérieuse. Dans la présente affaire, on ne connaît pas la taille précise du transcript, mais il atteint au moins les 180 pages en version anglaise (et 130 en version française). Pour le dire simplement, c’est long. La Cour de cassation pose un véritable défi à la cour d’appel : comment réaliser son office face à des dossiers volumineux et complexes sans commettre une dénaturation ?

Le problème ne doit pas être sous-estimé. D’un côté se trouvent les parties au litige et le dossier qui les oppose. Chacune des parties est représentée par les meilleurs cabinets d’avocats, au sein desquels des dizaines de personnes peuvent travailler sur un même dossier. À l’occasion de l’arbitrage, des mémoires volumineux ont été produits, des wagons de pièces ont été échangés, des audiences-fleuves ont eu lieu. Tout ce qui a été dit et/ou produit à l’occasion de l’instance arbitrale et l’est à nouveau à l’occasion du recours peut faire l’objet d’une dénaturation. Très concrètement, il n’y a aucune raison, lorsque la cour d’appel est conduite à se prononcer sur des faits de corruption, que le débat soit moins riche devant elle qu’il ne l’a été devant le tribunal arbitral. Pourquoi les parties s’en priveraient-elles alors que, disons-le clairement, la cour rejuge cette question de fond ? Ainsi, les parties se présentent devant le juge français avec un dossier dont elles maîtrisent toutes les subtilités. De l’autre côté se trouve la cour d’appel de Paris. En dépit de ses moyens pharaoniques, elle ne dispose que de trois juges (dans sa formation internationale) et d’une poignée de juristes-assistants pour faire face à la masse des recours.

C’est un combat à armes inégales qui se profile sur les questions de corruption. D’un côté, la cour d’appel, aux moyens humains insuffisants pour faire face à de tels dossiers et sur laquelle pèse l’épée de Damoclès de la dénaturation. De l’autre, des parties disposant d’une batterie de conseils connaissant parfaitement le dossier (notamment lorsqu’elles l’ont suivi pendant l’arbitrage) et en mesure de passer le temps qu’il faut pour identifier la moindre dénaturation.

Au final, dans cet arrêt de la Cour de cassation, c’est bien la souris qui a accouché d’une montagne.

Disons-le d’emblée : il nous semble qu’en l’état actuel de ses moyens et au regard du nombre de dossiers dans lesquels figurent des problématiques de corruption (ou autres infractions, en particulier blanchiment), la cour d’appel de Paris n’est pas outillée pour répondre aux attentes de la Cour de cassation.

Reste à savoir s’il est possible de trouver une voie pour ne pas renoncer à son contrôle sans imploser face à l’afflux de dossiers. Une piste mérite d’être explorée. De plus en plus d’arbitres prennent très au sérieux les allégations de corruption et réalisent un examen minutieux des circonstances avant de rendre une décision longuement réfléchie. À notre avis, il ne serait pas interdit, au regard de la nature du recours contre les sentences, de partir du raisonnement de l’arbitre. Le premier travail du juge ne serait donc pas de s’intéresser directement aux allégations de corruption pour se faire sa propre opinion, mais d’examiner le travail de l’arbitre. Dès lors, de deux choses l’une : soit la décision de l’arbitre a été rendue à la suite d’un débat riche et d’une motivation solide ; soit le travail est insuffisant ou inexistant (notamment, car le moyen n’avait pas été invoqué). Dans la première hypothèse, le juge ne réaliserait pas de contrôle, considérant que celui de l’arbitre est suffisant. Dans la seconde, le juge reprendrait l’examen complet des allégations, selon les critères de la jurisprudence Alstom et sous le contrôle de la dénaturation par la Cour de cassation.

Une telle solution présente plusieurs avantages. D’abord, il faut rappeler que nous ne sommes pas ici dans le domaine de la certitude, mais dans celui des incertitudes et des indices. Rien n’est blanc ou noir et la décision de l’arbitre ou du juge sera toujours sujette au doute. Ensuite, il s’agit de faire confiance à celui qui a passé du temps pour éplucher un dossier. À cet égard, l’arbitre est supérieur au juge étatique, les moyens de l’un et de l’autre étant sans comparaison. Or la doctrine a pu regarder d’un œil inquiet certaines décisions étatiques sur ces questions, à l’occasion desquelles la motivation semblait un peu légère. Enfin, une telle solution rétablit l’équilibre entre les sentences sanctionnant la corruption et celles écartant la corruption. En effet, à l’heure actuelle, les premières ne sont jamais réexaminées, là où les secondes le sont systématiquement. Il y a un déséquilibre : dans un cas (les allégations sont retenues), il suffit de gagner une fois (devant l’arbitre ou le juge) pour que la décision soit définitive ; dans l’autre (les allégations sont rejetées), il convient de l’emporter deux fois (devant l’arbitre et devant le juge) pour que la décision soit définitive. En s’intéressant au travail de l’arbitre, on rapproche le traitement des sentences, quelle que soit la solution, tout en conservant une soupape de sécurité pour les cas problématiques.

Naturellement, on pourra dire qu’un tel recul de l’office du juge emporte le risque d’une intégration dans l’ordre juridique français de sentences qui pourraient ignorer des faits de corruption. On répondra néanmoins qu’une décision rendue trop hâtivement et emportant annulation ou refus d’exequatur d’une sentence au motif que des soupçons de corruption existent est un déni de justice, qui est lui aussi une atteinte à l’ordre public international. Sur ces questions très sensibles, le moins que l’on doive aux parties est un procès sérieux et complet, pas une décision au doigt mouillé. En l’occurrence, ce sont les arbitres, plus que la cour d’appel de Paris, qui sont en mesure de le connaître.

Il n’est d’ailleurs pas indifférent de constater que, dans l’arrêt Aboukhalil, la cour d’appel de Paris adopte une démarche relativement proche de celle qui vient d’être proposée (Paris, 12 oct. 2021, n° 19/21625). Pour examiner un grief portant sur la contrariété à l’ordre public international d’une sentence arbitrale en raison d’une opération de complicité d’enrichissement illicite et de blanchiment, la cour revient longuement sur le raisonnement retenu par le tribunal arbitral (§ 107 s.). La cour ne se limite pas à son propre examen des griefs ; elle reprend à son compte la motivation du tribunal arbitral sans la démentir. Pour écarter le moyen tiré de la violation de l’ordre public international, elle retient l’existence d’éléments « précis et concordants » de l’absence d’infraction pénale (§ 119) et, à l’inverse, refuse d’examiner un à un tous les éléments présentés par le requérant (§ 120). D’un point de vue méthodologique, il en résulte que la cour trace une voie intermédiaire entre un examen de novo des allégations de blanchiment et une absence totale de contrôle. Elle préfère se fonder sur le raisonnement du tribunal arbitral tout en ajoutant des éléments qu’elle juge pertinents. L’arrêt Global Voice s’inscrit également dans cette logique (Paris, 7 sept. 2021, n° 19/17531, § 87 s.). La cour achève son raisonnement par une formule très révélatrice et qui, de notre point de vue, doit être suivie : « Il ressort ainsi tant du contrôle auquel le tribunal arbitral s’est livré, comme il lui incombait à juste titre de le faire, que de l’analyse de chacun des indices pris séparément et dans leur ensemble, que les agissements allégués ne caractérisent pas des indices graves, précis et concordants susceptibles de conduire à une annulation de la sentence pour méconnaissance de l’ordre public international ». C’est une voie qui paraît viable au regard des exigences désormais posées par la Cour de cassation dans l’arrêt Alstom.

On dira un mot supplémentaire sur l’arrêt Global Voice (Paris, 7 sept. 2021, n° 19/17531), au cours duquel des allégations de corruption étaient soumises au juge. La cour opère une distinction intéressante, et potentiellement fructueuse pour les praticiens. Elle estime que les preuves rapportées concernent un avenant au contrat et constate que le tribunal arbitral n’a prononcé aucune condamnation sur le fondement de celui-ci. La solution est importante, car elle invite à ne pas retenir une approche globale de la corruption, mais une approche fine. Tel un chirurgien, il est possible d’extraire les cellules cancéreuses afin de préserver les cellules saines. Ce faisant, un tribunal arbitral peut donner effet à des obligations qui ne sont pas touchées par la corruption ! Par ailleurs, la cour rejette les allégations résiduelles de corruption (celles touchant les obligations dont l’exécution est ordonnée par la sentence). Si elle considère que les indices apportés sont insuffisants, elle retient, une nouvelle fois, un indice négatif dans l’absence de poursuites pénales des faits par les autorités publiques (v. égal. Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques).

II. La clause compromissoire

L’articulation entre les articles 2061 du code civil et L. 721-3 du code de commerce est loin d’être évidente. Il n’est pas rare de partir du principe que le second constitue une disposition anecdotique dont on pourrait se dispenser. Deux raisons expliquent ce désintérêt. Premièrement, l’article 2061 du code civil pose un principe général de validité de la clause compromissoire. Il paraît donc inutile de le réaffirmer en matière commerciale, là où il devrait poser le moins de difficultés. Deuxièmement, l’article L. 721-3 du code de commerce n’a pas vocation à s’appliquer en matière internationale, bien que cela n’ait jamais été, à notre connaissance, jugé. C’est la logique de l’arrêt Dalico.

Pour autant, on aurait tort de penser qu’il faut se désintéresser de l’article L. 721-3 du code de commerce. Rappelons que la Cour de cassation a jugé que cet article « prévoit des dispositions particulières qui figurent au nombre de celles visées par l’article 2061 du code civil » (Civ. 1re, 22 oct. 2014, n° 13-11.568, D. 2015. 56 image, note B. Dondero image ; ibid. 2014. 2541, obs. T. Clay image ; AJCA 2015. 74, obs. M. Boucaron-Nardetto image ; RTD com. 2016. 66, obs. E. Loquin image ; JCP 2014. 2011, obs. B. Le Bars ; Gaz. Pal. 2014, n° 335, p. 18, obs. B. Dondero ; BMIS 2014, n° 12, p. 685, J.-J. Barbieri ; RLDC 2015, n° 122, p. 17, C. Le Gallou ; Procédures 2015, n° 2, p. 29, L. Weiller ; JCP E 2015, n° 16, p. 28, note M. Caffin-Moi). Autrement dit, les dispositions du code de commerce sont des règles spéciales dérogeant à celles du code civil. C’est en suivant cette logique que l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 réformant le droit des sûretés a opéré une modification de l’article L. 721-3 du code de commerce (J.-D. Pellier, Réforme du droit des sûretés [Saison 2, épisode 1] : le cautionnement [dispositions générales], Dalloz actualité, 20 sept. 2021). Partant du principe que l’article 2061 du code civil est sans effet, il a été ajouté au dernier alinéa de l’article L. 721-3 du code de commerce une nouvelle exception : « lorsque le cautionnement d’une dette commerciale n’a pas été souscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de la caution, la clause compromissoire ne peut être opposée à celle-ci ». Elle entrera en vigueur le 1er janvier 2022 et ne sera applicable, conformément à l’article 37, II, de l’ordonnance, qu’aux cautionnements conclus à partir de cette date. Cette disposition bénéficiera aux cautionnements internes. En revanche, elle ne devrait pas être étendue aux cautionnements internationaux (sauf à y voir une règle impérative du droit français).

Cette question est complexifiée par l’irruption du principe de compétence-compétence, comme dans une affaire récente (Paris, 14 sept. 2021, n° 21/03556). La clause figure dans une convention de participation ayant pour objet l’acquisition de parts sociales de plusieurs sociétés, dont une commerciale faisant l’objet d’une prise de contrôle. Une partie prétend ne pas avoir contracté à titre professionnel. Elle se prévaut de l’ancien article 2061 du code civil pour faire valoir la nullité de la clause. L’autre considère que, s’agissant d’un acte de commerce, l’article L. 721-3 du code de commerce prime. La cour juge, dans la droite ligne de l’arrêt du 22 octobre 2014, que le second est un texte spécial, alors que le premier est un texte général. En conséquence, la commercialité de l’acte est susceptible de faire échec à l’absence d’activité professionnelle d’un des contractants.

Une fois que cela est dit, il faut bien admettre que l’on est embêté pour déterminer si la cour peut examiner la qualification d’acte de commerce. Répondre positivement revient à accepter une entorse au principe de compétence-compétence. Répondre négativement emporte un risque de voir des parties se prévaloir de façon opportuniste de la commercialité de la convention dans l’espoir de renvoyer à un tribunal arbitral. À peu de choses près, la question se pose de façon identique à propos du critère de l’exercice d’une activité professionnelle : le juge peut-il réaliser cette qualification ? Dans ce deuxième cas de figure, la Cour de cassation a déjà jugé, à propos de retraités, que ceux-ci n’exerçaient « plus aucune activité professionnelle, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que les contrats n’ont pas été conclus en raison d’une activité professionnelle au sens de l’article 2061 du code civil, de sorte que la clause compromissoire était nulle et de nul effet » (Civ. 1re, 29 févr. 2012, n° 11-12.782, Dalloz actualité, 6 mars 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 1312, obs. X. Delpech image, note A.-C. Rouaud image ; ibid. 2991, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2012. 359, note M. de Fontmichel ; JCP 2012. Act. 310, obs. J. Béguin ; JCP E 2012. 1314, note J. Monéger ; ibid. 2012. 1498, obs. J. Ortscheidt ; Procédures 2012, n° 4, p. 21, obs. L. Weiller ; LPA 2012, n° 102, p. 11, note V. Legrand ; ibid. n° 135, p. 7, note A.-S. Courdier-Cuisinier ; ibid. n° 187, p. 14, note E. Faivre). Elle n’a pas hésité à se départir du principe de compétence-compétence pour déclarer la clause nulle.

C’est cette logique que suit la cour d’appel : elle tranche la question de la commercialité de la convention pour décider de renvoyer à l’arbitrage. Ainsi, à ce stade, la jurisprudence s’émancipe du principe de compétence-compétence pour vérifier le caractère professionnel de l’activité ou le caractère commercial de l’acte. Il n’est pas sûr qu’il faille s’en émouvoir.

La question que l’on pourrait néanmoins se poser est de savoir s’il serait possible de traiter ces deux questions différemment : accepter la vérification de l’activité professionnelle, mais refuser de contrôler la commercialité. À notre avis, non. En effet, réaliser une telle distinction inciterait les parties à invoquer la commercialité pour échapper au contrôle du juge sur l’activité professionnelle (le juge serait obligé de renvoyer à l’arbitre en cas de doute sur la commercialité, alors que l’absence d’activité professionnelle est établie). Ce ne serait pas satisfaisant. La vérification par le juge que l’on est bien en présence d’un acte de commerce est une condition à la bonne mise en œuvre de l’article 2061. Mais alors, un nouveau doute surgit. La solution de la Cour de cassation du 22 octobre 2014 a été rendue à une époque où 2061 et L. 721-3 du code de commerce portaient, l’un et l’autre, sur la validité de la clause compromissoire. Désormais, l’article 2061, alinéa 2, ne concerne plus la validité de la clause, mais son opposabilité. Question distincte, donc. Dès lors, l’article L. 721-3 du code de commerce doit-il être considéré comme dérogatoire à l’alinéa 2 de l’article 2061 du code civil ? Rien n’est moins sûr, d’autant que le nouvel article 2061 ne contient pas la réserve des « dispositions législatives particulières ». À ce titre, l’ordonnance du 15 septembre pourra être utilisée comme argument pour convaincre du fait que le rapport du général au spécial persiste. Mais était-ce une bonne idée ? Ne faudrait-il pas, une bonne fois pour toutes, abroger l’article L. 721-3 du code de commerce ?

III. Le principe compétence-compétence

Les décisions rendues en matière de principe compétence-compétence sont toujours aussi nombreuses. Les lecteurs assidus de cette chronique savent que le principe fait l’objet d’une appréciation variable selon les juridictions saisies. Difficile de savoir si celle-ci s’explique par une méconnaissance du droit de l’arbitrage ou un refus conscient d’en faire application.

Le principe est fixé à l’article 1448 du code de procédure civile qui, en présence d’une clause compromissoire, interdit au juge judiciaire de connaître de sa compétence ou de celle de l’arbitre, sauf nullité ou inapplicabilité manifeste. La clé réside dans le mot « manifeste », qui fait l’objet d’un assaisonnement local. Deux arrêts de la cour d’appel de Paris montrent comment être bon élève. Dans le premier, la cour constate que le demandeur revendique sa qualité d’assuré même s’il n’est pas signataire du contrat d’assurance. Cela suffit à renvoyer les parties à l’arbitrage pour permettre à l’arbitre de se prononcer sur sa compétence (Paris, 21 sept. 2021, n° 21/01271). Simple. Dans le deuxième, l’action concernait une rupture brutale des relations commerciales établies. La cour constate que la clause vise un litige « découlant ou en relation avec la commande » et estime qu’un simple examen prima facie ne permet pas de dire si elle est manifestement inapplicable. En conséquence, elle renvoie aux arbitres (Paris, 29 sept. 2021, n° 20/18243). Basique.

Un troisième arrêt apporte des réponses à des questions un peu plus complexes (Paris, 20 oct. 2021, n° 21/06054). D’une part, il rappelle qu’en présence d’un ensemble contractuel indivisible où figurent des clauses différentes (voire des absences de clause), il convient tout de même de renvoyer à l’arbitrage. D’autre part, il rejette l’argument de l’impécuniosité des parties et la prétendue violation de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme au motif qu’« il revient aux acteurs de l’arbitrage d’écarter tout risque de déni de justice en permettant l’accès du justiciable au tribunal arbitral, quels que soient ses moyens financiers ». L’impécuniosité n’est donc toujours pas une situation permettant d’éviter un renvoi devant les arbitres (sur le contrôle au stade du recours contre la sentence, v. infra).

À l’inverse, d’autres juridictions adoptent des interprétations plus libres du principe de compétence-compétence. C’est le cas de celle qui, en présence de deux pactes d’associés, considère que la clause contenue dans l’un est manifestement inapplicable aux litiges impliquant le second (Aix-en-Provence, 23 sept. 2021, n° 21/01407). Pour motiver sa décision, la cour passe par une longue démonstration qui devrait, à elle seule, suffire à établir que l’inapplicabilité de la clause est tout sauf manifeste. Quand bien même la cour a peut-être raison sur le fond, d’autant que le deuxième pacte contient une clause attributive de juridiction, la priorité revient au tribunal arbitral, auquel il est nécessaire de renvoyer.

C’est encore le cas dans une décision de la cour d’appel de Lyon (Lyon, 14 oct. 2021, n° 21/01459). La clause compromissoire figure dans un contrat entre un entrepreneur principal et un sous-traitant. D’abord, la cour estime qu’« en présence de clauses contradictoires, il appartient au juge de rechercher l’intention commune des parties par application de l’article 1188 du code civil », alors que cette vérification revient en priorité aux arbitres. Ensuite, pour écarter la clause figurant dans le contrat de sous-traitance, elle se fonde sur la loi n° 75-1334 du 13 décembre 1975, relative à la sous-traitance. Elle explique que, parce qu’il existe une action directe contre le maître d’ouvrage – un tiers au contrat et au litige – la clause compromissoire figurant dans le contrat de sous-traitance doit être écartée (le lecteur pourra relire deux fois la phrase, qui ne contient aucune erreur). Elle ajoute que la sentence arbitrale qui serait rendue sur le litige entre l’entrepreneur principal et le sous-traitant serait inopposable au maître de l’ouvrage, ce qui est tout simplement faux. Un tel arrêt illustre une fois de plus la méconnaissance du droit de l’arbitrage au-delà de certaines juridictions spécialisées.

IV. Les recours contre les sentences arbitrales

A. Aspects procéduraux du recours

1. L’internationalité de l’arbitrage

Depuis quelque temps, nous avons fait part à nos lecteurs du recul progressif de l’internationalité au profit d’une « internité » de l’arbitrage (v. notre comm. sur l’arrêt Aurier, Paris, 8 juin 2021, n° 19/02245, Dalloz actualité, 17 sept. 2021). La tendance se confirme avec l’arrêt Léa Nature (Paris, 28 sept. 2021, n° 19/05842), rendu par la formation interne de la 5-16. Le caractère interne d’un contrat de cession d’action était contesté. Pour l’établir, la cour retient que « le contrat du 10 janvier 2014 porte sur la cession d’actions de la société de droit français, Alpha Nutrition, ayant son siège dans la commune de La Seauve-sur-Semene, à une autre société de droit français, le groupe Léa Nature, ayant son siège à Perigny. L’opération économique s’est donc dénouée uniquement en France ». Jusque-là, le raisonnement est rigoureux. Il y a toutefois un bémol. Les défendeurs au recours, qui sont les cédants dans le contrat de cession, ont fait valoir qu’ils résident en Espagne et que les chèques y ont été encaissés. La cour tient cet élément pour indifférent. Elle précise que peu importe « que les cédants soient de nationalité espagnole et domiciliés en Espagne et peu important que les chèques, émis en France et tirés sur une banque française, aient été encaissés en Espagne ». Il faut bien admettre que c’est pousser très loin de reflux de l’internationalité du litige que de considérer que dans un contrat, la situation de l’un des cocontractants est indifférente à la détermination du caractère interne ou international de l’arbitrage. Dans une conception classique de l’internationalité, le fait pour l’une des parties au contrat de recevoir son paiement dans un État étranger ne devrait laisser aucun doute sur la solution. Comment, à défaut, caractériser le fameux mouvement de flux et de reflux au-dessus des frontières ? Il est sans doute temps de remettre cette question à plat !

2. Les conséquences de l’annulation d’une sentence interne

Lorsqu’une sentence arbitrale rendue dans un arbitrage interne est annulée, l’article 1493 du code de procédure civile prévoit que la cour « statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire des parties ». Le plus souvent, à défaut de précision dans les conclusions, elle renvoie les parties à une audience ultérieure afin de préciser leur volonté. Dans l’affaire Oc’Via 2 (Paris, 26 oct. 2021, n° 19/07103, [formation interne], le lecteur est informé que le rédacteur de cette chronique a été impliqué dans le recours), après avoir annulé la sentence, la cour précise que « les parties sont donc invitées à indiquer à la cour si elles entendent, notamment, rechercher une solution transactionnelle au litige, demander la désignation d’un médiateur ou saisir un tribunal arbitral. À défaut, la cour statuera sur le fond ». La formule est nouvelle et illustre une préférence manifeste de la cour à ce que le litige soit résolu autrement que par ses soins. Elle n’est guère étonnante et s’inscrit dans une tendance lourde de la justice étatique à inciter les parties à résoudre les différends hors les murs du tribunal.

3. La mention des irrecevabilités dans le dispositif des conclusions

Nous avions déjà eu l’occasion d’alerter les praticiens sur un danger à l’occasion de l’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, nos 19/07575 et 19/15816 à 19/15819, Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg ; ibid., 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image ; JCP 2020. 870, note M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2020. 501, note L. Jaeger ; Procédures 2020, n° 6, p. 23, obs. L. Weiller) : il appartient aux parties de dissocier dans le dispositif de leurs conclusions les moyens tirés de l’irrecevabilité du grief de ceux tirés de son mal-fondé (Paris, 19 oct. 2021, n° 19/23071). Cette obligation résulte de l’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile. À défaut, les moyens sont irrecevables. En arbitrage, cela impose de faire apparaître de façon distincte au sein du dispositif ce qui relève d’une renonciation à se prévaloir du grief et ce qui relève du fond.

B. Aspects substantiels du recours

1. La compétence

a. La compétence fondée sur un traité bilatéral d’investissements (TBI)

Cela fait plusieurs années que Paris est désigné comme siège pour des arbitrages en matière d’investissements. Ce choix est une récompense pour le droit français et sa jurisprudence, régulièrement loués pour leurs qualités. Pourtant, les nuages n’ont cessé de s’accumuler au-dessus de la place parisienne. La faute, d’une part, à des choix malvenus, notamment celui de renvoyer une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Komstroy (CJUE 2 sept. 2021, aff. C-741/19, Dalloz actualité, 17 sept. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. 1849, note M. Barba et C. Nourissat). La faute, d’autre part, à des analyses parfois abruptes et, par conséquent, discutables, conduisant à des annulations de sentences. Il n’en fallait pas plus pour que l’on s’inquiète pour un droit français qui, subitement, toussotait.

Il est trop tôt pour dire si cet épisode est un mauvais souvenir. Reste que, par deux décisions, la cour d’appel rassure et met du baume aux cœurs des défendeurs de Paris comme siège de l’arbitrage. Les arrêts Nurol (Paris, 28 sept. 2021, n° 19/19834) et Aboukhalil (Paris, 12 oct. 2021, n° 19/21625) sont donc importants à ce titre. Ils le sont, d’abord, parce qu’ils ne remettent pas en cause la compétence du tribunal arbitral, ce qui est naturellement un motif de satisfaction. Ils le sont surtout car, d’un point de vue méthodologique, le raisonnement de la cour semble arriver à maturation. C’est évidemment de cela que l’on se réjouira. En effet, il ne s’agit pas de plaider pour une faveur aveugle à l’arbitrage. Il s’agit en revanche de prôner un contrôle à la hauteur de l’enjeu. C’est ce vers quoi l’on semble désormais tendre.

D’un point de vue méthodologique, la grande idée de la cour est que le contrôle de la compétence fondée sur un TBI doit être identique au contrôle de la compétence fondée sur une clause compromissoire stipulée dans un contrat. Il s’agit là de la concrétisation d’une idée que l’on voit déjà depuis longtemps dans les arrêts, selon laquelle « il n’en va pas différemment lorsque les arbitres sont saisis sur le fondement d’un traité » (§ 22 de l’arrêt Nurol). Il en résulte que, comme en matière commerciale, l’examen de la compétence est « plein », c’est-à-dire que le juge recherche en droit et en faits tous les éléments permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage (§ 21 de l’arrêt Aboukhalil et § 22 de l’arrêt Nurol). Sont ainsi étendues à l’arbitrage d’investissements les jurisprudences Plateau des pyramides (Paris, 12 juill. 1984, Égypte c. SPP, Rev. arb. 1986. 75 ; JDI 1985. 129, note B. Goldman ; Civ. 1re, 6 janv. 1987, SPP c. Égypte, Rev. arb. 1987. 469, note P. Leboulanger ; JDI 1987. 638, note B. Goldman) et Abela (Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 08-20.563, Abela, Dalloz actualité, 18 oct. 2010, obs. X. Delpech ; D. 2010. 2441, obs. X. Delpech image ; ibid. 2933, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2011. 85, note F. Jault-Seseke image ; Rev. arb. 2010. 813, note F.-X. Train ; JCP 2010. 1028, note P. Chevalier ; ibid. 1286, obs. J. Ortscheidt ; Gaz. Pal. 8 févr. 2011. 14, obs. D. Bensaude). Dans la même logique, la cour accepte d’examiner les moyens nouveaux pour contester la compétence du tribunal arbitral (§ 39 de l’arrêt Aboukhalil), sur le fondement de la jurisprudence Schooner (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 image ; ibid. 2021. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2021. 419, note P. Duprey et M. Le Duc). Malgré tout le mal que l’on continue de penser de cette jurisprudence, la solution est cohérente.

Toutefois, l’essentiel d’un point de vue méthodologique n’est pas là. Il se situe dans la transposition des jurisprudences Gosset-Hecht-Dalico à l’arbitrage d’investissements. Si cette évolution était déjà perceptible, le virage est désormais acté.

La première idée est celle de l’autonomie matérielle de la clause compromissoire. Dans la lignée de la jurisprudence Gosset, la cour juge que, « lorsque la clause d’arbitrage résulte d’un traité bilatéral d’investissements, l’offre permanente d’arbitre est autonome et indépendante de la validité de l’opération qui a donné naissance à l’investissement ou qui la soutient » (§ 55 de l’arrêt Aboukhalil et § 57 de l’arrêt Nurol). La transposition n’est évidemment pas parfaite, mais il s’agit bien de ne pas contaminer la compétence arbitrale par un vice qui affecterait non pas le contrat mais l’investissement.

La deuxième idée est celle de l’autonomie juridique de la clause compromissoire. Dans l’arrêt Nurol, la cour juge « qu’un investissement doit être réalisé en respectant les lois et règlements de l’État hôte, et non que l’investissement doit être défini par les lois et règlements de l’État hôte. La volonté des parties est bien de soumettre l’investissement à une exigence de légalité et non de conformité » (§ 76 de l’arrêt Nurol). La cour soustrait largement la définition de l’investissement aux lois étatiques, ce qui s’inscrit dans la logique des jurisprudences Hecht et Galakis.

La troisième idée, la plus fondamentale, est celle qui convient de rechercher la commune volonté des parties, laquelle est appréciée au regard de l’ensemble des dispositions du traité (§ 25 de l’arrêt Aboukhalil et § 53 de l’arrêt Nurol). C’est, cette fois, la logique de l’arrêt Dalico. L’examen réalisé conduit à vérifier la compétence du tribunal arbitral selon le triptyque champ d’application ratione materiae, ratione personae et ratione temporis. Ainsi, le contrôle de la compétence du tribunal arbitral en matière d’arbitrage d’investissement est une question de fait, qui suppose de s’atteler à l’analyse du traité. La précision peut paraître inutile. Elle ne l’est en réalité pas du tout. La conséquence est de ne pas figer les solutions, qui peuvent varier selon la rédaction des traités. Les solutions posées par les arrêts ne sont donc pas universelles, la cour précisant par exemple dans l’arrêt Aboukhalil qu’elle vaut « contrairement à d’autres instruments internationaux » (§ 37). Cette démarche doit être saluée : il existe plusieurs modèles de traités et plusieurs générations de traités. Le juge doit prendre la mesure de cette diversité, comme il l’a prise depuis longtemps concernant les clauses compromissoires. Cette analyse factuelle est guidée par un principe directeur : le souci de ne pas ajouter de conditions à celles prévues par le traité (par ex. § 37 ou § 43 de l’arrêt Aboukhalil).

La quatrième idée, la plus novatrice, se trouve dans l’arrêt Aboukhalil. Si la cour cite abondamment le TBI, elle prend également la peine de reproduire, à plusieurs reprises, certains passages de la sentence arbitrale (§ 28, § 34, § 50). Dans ce dernier paragraphe, c’est même le tribunal arbitral qui a la parole en dernier. La symbolique est forte. Elle est d’autant plus remarquable que la cour d’appel utilise la formule « a pu », ce qui, dans le langage de la Cour de cassation, renvoie à un contrôle léger. Cette façon de faire est nouvelle, en ce que le juge du recours réalise le plus souvent son examen de la compétence en toute indifférence pour le raisonnement du tribunal arbitral. Elle est bienvenue. En effet, même si le contrôle porte sur la compétence et non sur la sentence, rien n’interdit d’examiner la motivation des arbitres et, le cas échéant, de la suivre si elle est convaincante. Dans des domaines aussi riches que le droit des investissements, avec une multitude de traités et une diversité des sentences, il est dommage que le juge étatique se prive de la motivation des arbitres pour trancher la question de la compétence. Ce sillon mérite d’être creusé (v. not. J. Jourdan-Marques, Faut-il consolider Dalico ? Réflexion sur les règles matérielles relatives à la compétence arbitrale, Rev. arb., à paraître). L’arrêt Nurol, antérieur dans le temps, ne suit pas cette logique. En revanche, la cour y vise un de ses précédents arrêts rendus contre le défendeur et constate que l’État n’avait pas formulé le même moyen relatif à l’absence d’entrée en vigueur du traité bilatéral d’investissement (§ 39). Même si ce passage de la motivation peut être considéré comme surabondant, il est tout de même exceptionnel de voir la cour se prévaloir d’une sorte d’autorité positive de chose jugée de ses propres décisions. Elle est à tout le moins discutable, dès lors qu’elle interdit à une partie de faire évoluer son argumentation.

Une fois ce cadre établi, le débat peut rebondir sur une deuxième problématique. Il convient de se demander ce qui, au sein du traité, est un critère de compétence et, à l’inverse, ce qui doit être considéré comme extérieur à la compétence.

D’une part, il peut y avoir des hésitations entre la recevabilité et la compétence (personne n’a oublié la saga Rusoro, v. Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-11.551, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 704 image ; JCP 2021. 1214, obs. P. Giraud). Dans l’arrêt Aboukhalil, la cour d’appel considère – et c’est logique – que les questions relatives à la faculté d’un binational de se fonder sur un traité d’investissements (ici, un Franco-Sénégalais agissant contre le Sénégal sur le fondement d’un traité conclu avec la France) sont des questions de compétence et pas de recevabilité (§ 22).

D’autre part, il peut y avoir des hésitations entre la compétence et le fond. C’est le cas sur la question de la légalité et de la licéité de l’investissement. S’agit-il d’une question de compétence, pouvant faire l’objet d’un contrôle par la cour d’appel ou d’une question de fond ? Dans un épisode précédent (Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, préc.), la cour avait tranché en faveur de la seconde branche et refusé d’exercer son contrôle. Les arrêts Aboukhalil et Nurol consolident cette solution tout en faisant évoluer le périmètre de l’intervention. La cour réitère l’existence d’une distinction entre licéité et légalité de l’investissement. La licéité de l’investissement est la plus facile à cerner : elle concerne d’éventuelles allégations de corruption. Elle est discutée dans l’arrêt Nurol. L’illégalité de l’investissement est plus floue. Elle vise le respect d’un certain nombre de conditions pour réaliser l’investissement. On retrouve ce moyen dans l’arrêt Aboukhalil. À ce stade jurisprudentiel, on peine à identifier l’intérêt de cette distinction. Elle présente d’ailleurs un risque de confusion. Par exemple, dans l’arrêt Nurol, alors que la question de la licéité est examinée, la cour laisse échapper une mention sur l’investissement « illégal » (§ 56 de l’arrêt Nurol). Le principal inconvénient est de se faire des nœuds au cerveau pour une distinction qui, au niveau du régime, n’emporte aucune conséquence.

En effet, sur les questions de régime, la cour fait évoluer son appréciation. Dans l’arrêt Cengiz, la légalité et la licéité échappaient à un contrôle sur le fondement de la compétence. Le régime n’était toutefois pas parfaitement identique, la légalité pouvant être vérifiée en présence d’une gravité particulière. Ce n’est plus le cas avec les arrêts Aboukhalil et Nurol.

Dans l’arrêt Aboukhalil, la cour énonce que les conditions d’application temporelle, personnelle et matérielle du traité « ne doivent pas conduire à priver l’exercice par le tribunal arbitral de son pouvoir juridictionnel et ainsi faire dépendre la compétence du tribunal ni de la recevabilité des demandes portées devant lui, ni de l’examen du bénéfice effectif de la protection substantielle à l’investissement litigieux, dont l’appréciation dépend uniquement d’une analyse au fond du litige » (§ 53). La précision est doublement importante : d’une part, elle signifie que, par principe, l’exigence de légalité n’est pas une condition de la compétence de l’arbitre ; d’autre part, quand bien même le traité laisse penser qu’il s’agit d’une question de compétence, il faudrait y voir une question de fond. La cour se dit prête à ignorer la formulation claire et précise d’un traité pour ne pas contrôler l’exigence de légalité de l’investissement sur le fondement de la compétence. Elle conclut que, « sous couvert d’un contrôle de la compétence, le juge de l’annulation ne peut, se substituer à l’arbitre pour apprécier la validité ou la régularité de l’investissement litigieux, qui ne relève que du seul fond du litige et non de l’appréciation de la compétence du tribunal arbitral pour en connaître » (§ 54). En définitive, contrairement à l’arrêt Cengiz, la cour écarte définitivement du champ du contrôle de la compétence les questions relatives à la légalité (§ 80 de l’arrêt Cengiz), laissant au tribunal arbitral les mains libres sur ces questions.

Le raisonnement de l’arrêt Nurol sur la licéité est, quant à lui, un quasi-copier-coller de l’arrêt Cengiz (comp. § 52 s. de Nurol et § 42 s. de Cengiz). Toutefois, la cour ajoute un nouveau paragraphe à sa motivation (§ 55) : « S’agissant de l’allégation de corruption au visa de l’article 1520, 1°, du code de procédure civile sur la compétence du tribunal arbitral dont la cour est saisie, le contrôle opéré par le juge de l’annulation sur ce moyen ne saurait priver les parties en amont et avant toute décision des arbitres sur le fond, du droit de soumettre leur litige à l’arbitrage, sauf si le vice allégué porte sur la seule compétence du tribunal arbitral lui-même, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ». L’essentiel ici concerne la réserve formulée. Elle semble devoir être interprétée comme l’hypothèse d’un grief de corruption concernant directement la compétence du tribunal. La formule est sibylline, mais il pourrait s’agir d’une hypothèse où le consentement à l’arbitrage de l’État a été obtenu à la suite d’un acte de corruption (v. égal. § 63 de la décision).

b. Les règles matérielles relatives à la compétence

La spécificité du droit français en matière de contrôle de la compétence tient à l’existence de règles matérielles. L’un des résultats de cette méthode est l’exclusion des lois nationales, françaises ou étrangères. C’est ce que rappelle la cour dans une affaire Global Voice (Paris, 7 sept. 2021, n° 19/17531). Alors que le contrat contient une clause compromissoire institutionnelle, le requérant prétend que celle-ci doit céder devant une des dispositions de son code des marchés publics qui prévoit un arbitrage ad hoc. Le moyen n’avait aucune chance de prospérer. Pour l’écarter, la cour rappelle le principe bien connu selon lequel, « en vertu d’une règle matérielle du droit international de l’arbitrage, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence, et son existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique ». Examinant tout de même l’hypothèse du choix exprès des parties de faire régir la clause compromissoire par une loi nationale (laquelle résulte de la jurisprudence Uni-Kod, v. Civ. 1re, 30 mars 2004, n° 01-14.311, RTD com. 2004. 443, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2005. 959, note C. Seraglini ; JCP 2004. II. 10132, note G. Chabot ; S. Bollée, Quelques remarques sur la pérennité [relative] de la jurisprudence Dalico et la portée de l’article IX de la Convention européenne de Genève. À propos de l’arrêt Sté Uni-kod c. Sté Ouralkali, JDI 2006. 126), la cour souligne que la désignation d’une loi applicable au contrat n’est pas suffisante pour déroger à la règle matérielle. En conséquence, elle confirme l’applicabilité de la clause au litige et la compétence du tribunal arbitral constitué sous l’égide de la CCI.

Le plus souvent, la règle matérielle invite le tribunal arbitral et la cour d’appel à rechercher la volonté des parties, ce qui revient à examiner la clause compromissoire. C’était le cas dans un arrêt Freudenberger (Paris, 14 sept. 2021, n° 19/23063). À titre liminaire, la cour précise que « le juge de l’annulation n’étant pas le juge de révision de la sentence, il ne lui appartient pas d’infirmer ou de confirmer les motifs de la sentence rendue sur cette question, mais d’apprécier au regard de la volonté des parties et de la convention d’arbitrage si le tribunal était compétent ». La formule n’est pas courante (v. toutefois Paris, 23 mars 2021, n° 18/05756, DS Construction, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). En elle-même, elle n’est pas étonnante, la cour ayant toujours adopté, en matière de contrôle de la compétence, une approche indépendante de celle du tribunal arbitral. En l’espèce, la clause prévoyait que « les litiges seront réglés par la chambre arbitrale de Paris selon les règles ISF ». La difficulté est née de la perte de l’affiliation ISF par la CAIP. Il était donc nécessaire d’interpréter la clause pour savoir si la volonté des parties était de privilégier une institution ou des règles. Pour valider la sentence arbitrale rendue par un tribunal arbitral constitué sous l’égide de la CAIP, la cour retient que la clause ne vise pas spécifiquement les règles de procédure ISF, alors que le choix de la CAIP est explicite. Dès lors, elle fait prévaloir le choix de l’institution sur celui des règles.

Les règles matérielles du droit français de l’arbitrage ne se limitent pas à celle issue de l’arrêt Dalico. Il faut également compter sur des règles matérielles spéciales, indépendantes de la volonté des parties. Parmi elles, on trouve celle de l’extension de la clause compromissoire. Dans l’arrêt Global Voice, la question se pose à l’égard d’un État. La cour énonce « qu’une clause compromissoire insérée dans un contrat international est dotée d’une validité et d’une efficacité propres qui commandent d’en étendre l’application à une personne qui, bien que non expressément mentionnée comme “partie” au contrat dans lequel la clause d’arbitrage est incluse, est, selon la volonté commune des parties et les circonstances de la cause, directement impliquée dans l’exécution du contrat et intéressée aux bénéfices de ce contrat ». La formule est nouvelle. À première vue, elle ne fait que confirmer le principe d’extension de la clause aux parties impliquées dans l’exécution d’un contrat. Néanmoins, si l’on examine attentivement les critères posés, on remarque que la formule retenue renforce le flou entourant, depuis quelques années, la question de l’extension de la clause. Récemment, on avait pu signaler que trois règles cohabitaient (J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : où va le contrôle étatique de l’arbitrage international ?, Dalloz actualité, 30 avr. 2021). La première, la plus exigeante, requiert de la part du tiers la connaissance et l’acceptation de la clause, fût-elle présumée (Paris, 23 juin 2020, n° 17/22943, Kout Food Group, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image ; Cah. Arb. 2020. 61, note P. Rosher ; Rev. arb. 2020. 701, note E. Gaillard ; JDI 2021. 153, note J.-B. Racine). La deuxième, intermédiaire, requiert simplement la connaissance, mais pas l’acceptation de la clause (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; 26 févr. 2013, n° 11/17961, Rev. arb. 2014. 82, note P. Duprey et C. Fouchard). La troisième, la plus libérale, ne fait référence, comme dans le présent arrêt, ni à la connaissance ni à l’acceptation (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech image, note S. Bollée image ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke image ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry image ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP 2007. II. 10118, note C. Golhen ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; CCC 2007. 166, note L. Leveneur). La règle de Global Voice ne s’inscrit dans aucune de ces hypothèses. Elle renvoie à des critères comme la « volonté commune des parties » ou encore l’intéressement aux « bénéfices de ce contrat ». On finit par avoir le sentiment que c’est un syllogisme régressif qui guide la jurisprudence en cette matière. Ce n’est pas la règle matérielle qui détermine l’extension de la clause d’arbitrage après examen des faits, mais ce sont les faits qui déterminent la construction d’une règle matérielle après avoir acquis la conviction que la clause devait être étendue. Une telle solution est acceptable tant qu’elle ne vient pas prendre à revers un tribunal arbitral qui aurait suivi une des quatre règles matérielles posées par la jurisprudence, mais n’aurait pas su anticiper celle tirée au sort par le juge du recours.

Il n’y a d’ailleurs aucune raison pour que le nombre de règles matérielles soit fini. C’est une nouvelle qui émerge avec l’arrêt Monster Energy Company (Paris, 19 oct. 2021, n° 18/01254). La question portait sur un devoir précontractuel d’information, fondé notamment sur l’article 1112-1 du code civil. La cour rejette cette disposition pour des raisons de droit transitoire, le contrat étant antérieur à la l’ordonnance du 10 février 2016. Reste qu’elle écarte implicitement le principe, en énonçant qu’« en matière d’arbitrage international cependant ce devoir repose sur chacune des parties à qui il incombe de s’informer sur les modalités de l’arbitrage étant en outre observé que le consentement à une convention d’arbitrage emporte nécessairement renonciation à soumettre un litige à une justice étatique ». Ce faisant, la cour pose une véritable règle matérielle (négative), dérogatoire au droit interne, excluant un quelconque devoir d’information à propos de la clause compromissoire.

c. L’impécuniosité des parties

L’arrêt Monster Energy Company (Paris, 19 oct. 2021, n° 18/01254) apporte des informations complémentaires sur la validité de la clause compromissoire en présence d’une partie prétendument impécunieuse (v. égal. M. de Fontmichel, L’équilibre contractuel des clauses relatives au litige, JCP 2019. Doctr. 583). Elle précise un raisonnement déjà entamé avec l’arrêt Subway (v. dernièrement Paris, 2 juin 2020, n° 17/18900, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2421, cours de droit de la concurrence Yves Serra (CDED Y. S.EA n° 4216) image ; ibid. 2484, obs. T. Clay image). D’abord, elle juge que « l’accès à la justice, en ce qu’il permet de garantir l’effectivité des droits, relève de l’ordre public international. Dès lors, une convention d’arbitrage qui ferait obstacle à cet accès, serait contraire à l’ordre public international et donc nulle ». D’un point de vue théorique, la solution est fondamentale, puisqu’il s’agit d’une des rares exceptions à la validité de la clause compromissoire fondée sur « l’ordre public international ». Il y a bien une place pour contester la validité d’une clause compromissoire sur le fondement de l’accès au juge, étant rappelé que celle-ci doit se faire prioritairement devant l’arbitre puis devant le juge du recours. Ensuite, la cour distingue le principe du recours à l’arbitrage, qui n’est pas suffisant pour constituer une telle atteinte, en dépit de la renonciation à la gratuité de la justice, de ses modalités. Ce sont dans les modalités que l’atteinte à l’accès au juge peut être identifiée. À cet égard, la cour prend en considération non seulement la connaissance des frais de l’arbitrage, mais aussi l’absence de preuves du requérant de son incapacité à en faire l’avance. Il est donc certain qu’un plaideur ne peut se dispenser d’apporter des éléments de preuve de son impécuniosité s’il veut remettre en cause la clause. Enfin, la cour écarte l’argument fondé sur les frais d’avocats mis à sa charge par l’arbitre, au motif que « le litige au fond […] n’est pas de nature à emporter la nullité de la convention d’arbitrage ».

2. La constitution du tribunal arbitral

a. L’obligation de révélation

On commence à y voir plus clair dans la jurisprudence en matière d’obligation de révélation, ce qui n’est jamais une mauvaise chose. Après la révolution de l’arrêt Vidatel (Paris, 26 janv. 2021, n° 19/10666, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. Doctr. 696, obs. P. Giraud), les choses se stabilisent et les arrêts successifs corrigent les scories de cette première décision. L’arrêt National Highway Authority (ci-après, NHA) (Paris, 14 sept. 2021, n° 19/16071) apporte des précisions qui devraient clore certains débats. Reste qu’il n’est pas totalement dépourvu, lui aussi, d’ambiguïtés.

Premièrement, il est désormais établi que les règlements d’arbitrage constituent des sources précieuses pour déterminer l’étendue de l’obligation de révélation. La solution avait été confirmée par l’arrêt Fiorilla (Paris, 12 juill. 2021, n° 19/11413, Dalloz actualité, 17 sept. 2021, obs. J. Jourdan-Marques), alors que l’arrêt LERCO n’y faisait aucunement référence (Paris, 23 févr. 2021, n° 18/03068, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2018. 2448, obs. T. Clay image ; JCP 2021. Doctr. 696, obs. P. Giraud). Pour autant, l’arrêt NHA n’est que modérément clair. Il retient qu’« afin de mieux apprécier le champ de son obligation, l’arbitre peut notamment se référer aux recommandations émises en cette matière par ce centre d’arbitrage ». L’hypothèse d’une simple faculté, plutôt que d’une obligation, est déroutante. La cour ajoute d’ailleurs que, s’agissant de la Note aux parties de la CCI, celle-ci contient des « circonstances qui doivent particulièrement être considérées ». Cette fois, il s’agit d’une obligation de prise en considération, sorte d’intermédiaire entre la faculté et l’obligation. Bref, on peine à savoir si les règles relatives à la révélation prévues par un règlement d’arbitrage sont obligatoires ou facultatives. L’enjeu est pourtant énorme : répondre positivement permet de passer immédiatement à la deuxième étape – la caractérisation du doute raisonnable – alors qu’une réponse négative peut conduire le débat à s’éterniser autour de la question de savoir si l’arbitre devait révéler. Il l’est d’autant plus lorsque le règlement d’arbitrage prévoit, comme dans l’arrêt Fiorilla avec le règlement FINRA, un questionnaire destiné aux arbitres : doivent-ils y répondre ou peuvent-ils s’en dispenser ? La confusion est encore accrue par le fait que, dans l’arrêt NHA, l’arbitre avait signé sa déclaration d’indépendance le 11 juin 2015, soit avant la publication de la Note aux parties qui date de 2016 ! Comment l’arbitre aurait-il pu apprécier le champ de son obligation de révélation en s’appuyant sur une note qui n’était pas encore publiée ? Faut-il y voir une explication au simple caractère facultatif de la note, alors qu’elle deviendrait obligatoire pour les arbitrages postérieurs ? Dans l’arrêt LERCO, nous avions en tout cas émis l’hypothèse que le silence de la cour sur la note s’expliquait par l’antériorité de la révélation à la publication de la note. Ici, ce n’est pas le cas et il faut bien avouer que l’on finit un peu perdu. La seule chose qui est certaine, c’est qu’il est désormais établi que les règlements d’arbitrage ont un rôle à jouer dans la détermination des faits à révéler par les arbitres.

Deuxièmement, la cour confirme, après le doute laissé par l’arrêt Vidatel, qu’un défaut de révélation n’est pas suffisant, même en présence d’une obligation prévue par un règlement. On en revient donc à la solution classique, connue depuis l’arrêt Neoelectra (Civ. 1re, 10 oct. 2012, n° 11-20.299, Sté Neoelectra Group c. Sté Tecso, Dalloz actualité, 19 oct. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2458, obs. X. Delpech image ; ibid. 2991, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2013. 678, note C. Chalas image ; RTD com. 2013. 481, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2013. 129, note C. Jarrosson ; JCP 2012. Act. 1127, obs. M. Henry ; ibid. 2012. Doctr. 1268, note B. Le Bars ; ibid. 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Procédures 2012. Comm. 354, note L. Weiller). La cour juge que « la non-révélation par l’arbitre de l’une de ces circonstances ne suffit pas à constituer un défaut d’indépendance ou d’impartialité. Encore faut-il que les éléments non révélés soient de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre ». La formule figurait déjà, presque à l’identique, dans les arrêts Fiorilla, LERCO et Dommo (25 févr. 2020, nos 19/07575 et 19/15816 à 19/15819, Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg ; ibid., 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ; JCP 2020. 870, note M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2020. 501, note L. Jaeger ; Procédures 2020, n° 6, p. 23, obs. L. Weiller). Elle confirme, là encore dans la ligne de ces arrêts, le caractère structurant de la distinction entre les liens directs et indirects au stade de l’établissement du doute raisonnable : « ce doute raisonnable doit résulter d’un potentiel conflit d’intérêts dans la personne de l’arbitre, qui peut être soit direct, parce qu’il concerne un lien avec une partie, soit indirect, parce qu’il vise un lien d’un arbitre avec un tiers intéressé à l’arbitrage ». Ainsi, en distinguant le lien direct du lien indirect, la cour indique que, par principe, les premiers sont plus graves que les seconds. À propos des seconds, la cour ajoute une formule nouvelle, selon laquelle, « lorsque le potentiel conflit d’intérêts est seulement indirect, l’appréciation du doute raisonnable dépendra notamment de l’intensité et la proximité du lien entre l’arbitre, le tiers intéressé et l’une des parties à l’arbitrage ».

Si l’on fait le bilan, l’arrêt Vidatel doit être considéré comme une sorte de ballon d’essai jurisprudentiel. Neuf mois plus tard, les règles prévues par les règlements d’arbitrage sont définitivement élevées au rang de source de l’obligation de révélation, bien que leur valeur exacte demeure incertaine. En revanche, la seule violation de ce qui est prévu par le règlement n’est pas suffisante pour emporter l’annulation de la sentence, ce qui conduit à maintenir une solution qui existe depuis une décennie. Pour établir ce doute raisonnable, la distinction entre les liens directs et les liens indirects prend de l’épaisseur, même s’il est à peu près sûr qu’elle n’a pas révélé tous ses mystères. Pour le praticien, il est, à l’heure actuelle, indispensable de jongler avec les arrêts Dommo, Vidatel, LERCO, Fiorilla et NHA pour tenter d’y voir plus clair dans le droit positif.

Nous n’évoquerons pas le fond de l’arrêt. Le débat ne se situe même pas sur le défaut de révélation de l’arbitre, puisqu’il n’est pas établi (mais les faits sont confus) qu’il existait un lien entre le tiers et les parties au litige. Dès lors, il n’y a logiquement pas lieu à révélation.

b. L’impartialité du tribunal arbitral

À côté de l’inépuisable débat sur l’obligation de révélation, il existe des hypothèses où l’impartialité du tribunal arbitral est discutée, en particulier lorsqu’un comportement permet d’en douter. La partialité est néanmoins délicate à établir. L’arrêt Aboukhalil le montre une fois encore (Paris, 12 oct. 2021, n° 19/21625). Lorsque les comportements stigmatisés se sont déroulés pendant l’instance, il convient immédiatement de solliciter la récusation de l’arbitre, sous peine d’y renoncer. Il en va autrement lorsque la partialité ressort de la sentence arbitrale. Toutefois, encore faut-il, comme en matière de révélation, que les éléments figurant dans la sentence créent « dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur son impartialité ». Il faut, pour cela, identifier des éléments précis sans qu’il soit nécessaire de contrôler la motivation de la sentence arbitrale. C’est malheureusement souvent le cas, les parties incitant le juge étatique à réviser la sentence au fond. Dans une telle hypothèse, le recours est, comme en l’espèce, rejeté.

C’est également le cas dans l’arrêt NHA (Paris, 14 sept. 2021, n° 19/16071). La cour rappelle que « l’indépendance s’apprécie objectivement au regard de facteurs précis et vérifiables externes à l’arbitre et l’impartialité suppose l’absence de préjugés ou de parti pris susceptibles d’affecter le jugement des arbitres ». Elle ajoute, dans une formule particulièrement pédagogique, que, « si un doute raisonnable sur l’impartialité de l’arbitre peut le cas échéant résulter de la sentence elle-même, encore faut-il, dès lors que le contenu de la motivation de la sentence arbitrale échappe au contrôle du juge de l’annulation, que ce doute soit fondé sur des éléments précis et objectifs quant à la structure de la sentence ou ses termes mêmes, qui laisseraient supposer que l’attitude de l’arbitre a été partiale ou à tout le moins seraient de nature à donner le sentiment qu’elle l’a été. Une sentence qui tranche en faveur d’une partie au détriment d’une autre contient nécessairement des éléments d’appréciation sur les faits qui sont utiles à la motivation, sans pour autant refléter une quelconque partialité. L’arbitre peut décider de s’appuyer sur des pièces ou des témoignages au détriment d’autres pièces ou témoignages et retenir l’argumentation de l’une des parties plutôt que de l’autre ». Si la distinction est clairement posée, il est certain que la tentation est grande pour les parties de faire passer la motivation des arbitres jugeant en leur défaveur pour le révélateur d’une partialité. C’est donc à la cour de faire la part des choses, ce qu’elle fait parfaitement jusqu’à maintenant. Les arbitres peuvent en être rassurés.

3. Le respect par le tribunal arbitral de sa mission

Un tribunal arbitral peut-il faire référence à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) dans une sentence d’investissements, au titre du traitement juste et équitable, alors que le TBI n’y fait pas référence ? Telle était l’une des questions posées dans l’arrêt Aboukhalil (Paris, 12 oct. 2021, n° 19/21625). Le TBI fait référence aux « principes du droit international ». Si la cour d’appel constate que les références faites par le tribunal arbitral à la Convention européenne des droits de l’homme sont essentiellement illustratives et surabondantes, elle apporte néanmoins une précision intéressante. Elle juge que, « bien que non directement applicable au présent litige, la Convention européenne et la jurisprudence de la [CEDH] contribuent à l’émergence des standards de protection en droit international et participent ainsi à l’élaboration des principes du droit international auxquels fait référence le TBI précité. Le fait que la République du Sénégal n’ait pas ratifié la Convention européenne n’interdisait donc pas au tribunal arbitral de faire référence à ce texte dans sa sentence pour se livrer à une appréciation du contenu du standard du traitement juste et équitable à la lumière des principes du droit international, voire même à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dès lors qu’il ne s’appuie pas précisément et exclusivement sur ce texte pour caractériser la violation de l’engagement pris par la RS, mais uniquement sur les “principes du droit international” et l’article 4 du TBI ». Ainsi, la cour ouvre la voie à l’utilisation par les tribunaux arbitraux de la Convention européenne des droits de l’homme, indépendamment d’un quelconque engagement de l’État, au titre des principes du droit international.

Un arrêt Oc’Via 2 soulève quant à lui des questions relatives au respect de sa mission par le tribunal arbitral (Paris, 26 oct. 2021, n° 19/07103, [formation interne], le lecteur est informé que le rédacteur de cette chronique a été impliqué dans le recours). En l’espèce, dans le cadre d’un litige relatif au paiement d’une facture relative à des livraisons de certaines matières premières, l’arbitre a calculé l’indemnisation en fonction d’un prix de 4,28 € au lieu des 4,26 € le mètre cube. Dérisoire pour une annulation de la sentence ? Pas selon la cour d’appel, qui annule logiquement la sentence. Il est parfaitement établi que le tribunal arbitral est tenu, dans l’exercice de sa mission, par les demandes des parties. Le dépassement de ces prétentions suffit à entraîner l’annulation de la sentence.

La même sentence est annulée sur un autre motif. Il était établi qu’un certain nombre de paiements avaient déjà été réalisés. Pourtant, l’arbitre a calculé une somme globale, sans déduire un quelconque paiement déjà réalisé. Dans sa sentence, il s’est contenté de juger que le débiteur était condamné à « 5 597 816,52 € HT duquel il faut déduire les sommes correspondant aux quantités déjà facturées et les acomptes déjà encaissés et auquel il faut ajouter la TGAP et la TVA ». Autrement dit, les parties doivent ressortir leur calculette pour connaître le montant réel de la condamnation. L’annulation sur le fondement de l’ultra petita est à nouveau justifiée, la cour soulignant que l’arbitre ne précise pas « le montant effectif de la condamnation ».

4. Le respect du contradictoire

Dans une affaire, l’arbitre unique est confronté à l’absence d’une partie à une audience (Paris, 19 oct. 2021, n° 19/23071). La partie invoque une violation du contradictoire, justifiant son absence par l’impossibilité matérielle de se rendre à l’audience. Après avoir constaté que les échanges entre avocats et l’arbitre ainsi que les raisons de l’absence de report sont longuement retracés dans la sentence et constaté que l’arbitre a fait ce qu’il a pu pour compenser l’absence de la partie à l’occasion de l’audition des témoins, la cour d’appel rejette le moyen. Ce faisant, elle confirme la possibilité pour les arbitres d’outrepasser l’absence d’une partie à l’audience et de favoriser le déroulement de l’instance arbitrale.

5. L’ordre public international

a. La renonciation à se prévaloir d’une contrariété à l’ordre public international

L’ordre public procédural est susceptible de renonciation. C’est ce que la cour rappelle par deux arrêts successifs, à propos du principe de l’égalité des armes. Dans le premier (Paris, 12 oct. 2021, n° 20/02301, Tasyapi), il est établi que, faute d’avoir élevé une quelconque protestation pendant l’instance, les parties ont renoncé à se prévaloir d’une violation de la contraction (C. pr. civ., art. 1520, 4°) et de l’égalité des armes (C. pr. civ., art. 1520, 5°). Une solution parfaitement identique est retenue dans la seconde décision (Paris, 19 oct. 2021, n° 19/23071, Heliotrop), qui énonce que « ce texte ne vise pas les seules irrégularités procédurales mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences, en ce compris le principe d’égalité des armes qui relève de l’ordre public international de protection, à l’exception des moyens tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait l’ordre public international de fond ».

b. La conformité à l’ordre public international d’une sentence sur la compétence

Une sentence sur la compétence peut-elle être contraire à l’ordre public international ? La question n’est pas anecdotique, dès lors qu’il est fréquent que, à la suite d’une bifurcation, une sentence partielle sur la compétence soit rendue. C’est à cette question originale à laquelle répond l’arrêt Nurol (Paris, 28 sept. 2021, n° 19/19834). La cour juge que « s’agissant d’une sentence statuant uniquement sur la compétence, et non sur le fond, le contrôle du juge porte uniquement sur les conséquences que l’exécution de cette sentence pourrait avoir au regard de la conception française de l’ordre public international lié à l’exercice de ladite compétence, c’est-à-dire la tenue du tribunal arbitral pour trancher le litige au fond opposant les parties » (§ 104). Or, s’agissant d’allégations de corruption, celles-ci relèvent du fond et non de la compétence. Il en résulte que celles-ci doivent être examinées par le tribunal arbitral à l’occasion de l’examen du fond du litige. Il en va du respect de la priorité de l’arbitre pour trancher le litige. La solution est donc bienvenue.

c. Les lois de police

Il faut compter sur une nouvelle loi de police en arbitrage international (Paris, 19 oct. 2021, n° 18/01254, Monster Energy Company). Il s’agit de l’article 5 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012, dite loi Lurel, ayant donné lieu à la création de l’article L. 420-2-1 du code de commerce. Celui-ci prohibe, dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution (Guadeloupe, Martinique, Réunion, Guyane et Mayotte) et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d’accorder des droits exclusifs d’importation à une entreprise ou à un groupe d’entreprises. La cour juge que « cette disposition, qui participe de la sauvegarde d’une organisation économique et sociale pour un secteur de l’activité économique d’un pays, constitue ainsi une loi de police française, dont l’ignorance par un tribunal arbitral est susceptible de faire obstacle à l’exequatur de la sentence si celle-ci heurte de manière manifeste, effective et concrète l’ordre public international ». La qualification est peu contestable, d’autant qu’elle vise à préserver le marché et non les intérêts des contractants.

Cela dit, la mise en œuvre de la loi de police est teintée de volontarisme. En effet, la cour énonce qu’il y a violation à l’ordre public international lorsque « le tribunal arbitral statue sans mettre en œuvre une loi de police française, en ignorant ainsi son applicabilité même au litige alors que le respect d’une telle loi est considéré comme crucial pour la sauvegarde des intérêts publics du pays tels que son organisation politique, sociale ou économique ». La cour s’écarte de la logique habituelle du contrôle de l’ordre public international, qui impose de ne pas s’intéresser à l’application de la règle, mais de vérifier si le résultat est ou non contraire à l’ordre public international. Or on peut se demander si, en dépit de l’absence d’application de la loi de police par le tribunal arbitral, la sentence est véritablement contraire à l’ordre public international. L’article L. 420-2-1 du code de commerce sanctionne les contrats contraires à son énoncé par une nullité. Le tribunal arbitral saisi du litige avait « jugé valide la résiliation du contrat ». Autrement dit, on parle d’un contrat dont le tribunal arbitral a confirmé qu’il ne produira plus d’effets. En revanche, aucune condamnation n’a été prononcée sur le fondement du contrat. Dès lors, on peut se demander si une résiliation plutôt qu’une nullité entraîne véritablement une contrariété à l’ordre public international. Naturellement, les effets ne sont pas identiques, notamment en ce qui concerne la rétroactivité de l’anéantissement du contrat. On aurait toutefois aimé que la cour explicite en quoi le choix d’une sanction par rapport à l’autre viole l’ordre public international. On n’est pas loin de penser – et à dire vrai on pourrait le comprendre – que la raison de cette décision ne se situe pas dans la résiliation du contrat, mais dans la répartition des frais. L’arbitre a condamné le défendeur non comparant à la somme de 5 200 $ de frais d’arbitrage et… 133 000 $ de frais d’avocats. Pour une sentence dont le seul intérêt est d’acter une résiliation en l’absence du défendeur, il est vrai que l’addition paraît salée.

V. Arbitrage et droit de l’Union européenne

Comme trop souvent, l’Union européenne vient gâcher les nuits paisibles de l’arbitragiste (CJUE 26 oct. 2021, aff. C-109/20, PL Holdings). Il est manifeste que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a, depuis longtemps, quitté le rivage de la rigueur juridique pour s’aventurer dans les eaux troubles de l’opportunisme juridique. Elle poursuit un objectif simple : lutter, quoi qu’il en compte, contre l’arbitrage d’investissement intraeuropéen. En ce domaine, la fin justifie les moyens (de droit).

L’affaire est entendue depuis l’arrêt Achmea (CJUE 6 mars 2018, aff. C-284/16, Dalloz actualité, 4 avr. 2018, obs. F. Mélin ; AJDA 2018. 1026, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser image ; D. 2018. 2005 image, note Veronika Korom image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2018. 616, note E. Gaillard image ; RTD eur. 2018. 597, étude J. Cazala image ; ibid. 649, obs. Alan Hervé image ; ibid. 2019. 464, obs. L. Coutron image ; Rev. arb. 2018. 424, note S. Lemaire ; Procédures 2018. Comm. 143, obs. C. Nourissat ; JDI 2018. 903, note Y. Nouvel ; JDI 2019. 271, note B. Rémy ; GAJUE, à paraître, note M. Barba) et a été fermement rappelée dans l’affaire Komstroy (CJUE 2 sept. 2021, aff. C-741/19, Komstroy, préc.) : l’arbitrage est inapproprié pour la résolution des différends intraeuropéens relatifs aux investissements. Quoi de neuf sous le soleil ?

Pour le comprendre, il faut s’attarder un peu sur les faits. L’action est intentée par PL Holdings contre la République de Pologne, sur le fondement d’un TBI contenant une convention d’arbitrage. Toutefois, la spécificité de cette affaire vient de la discussion autour de l’acceptation par la Pologne d’une convention d’arbitrage ad hoc. L’idée est que, conformément au droit suédois, PL Holdings aurait, par sa demande d’arbitrage, présenté une offre d’arbitrage qui aurait été tacitement acceptée en omettant de la contester dans les délais.

La question du consentement de la Pologne à cette offre d’arbitrage est évidemment discutée. Sur ce point, la cour bute sur sa propre jurisprudence, qui lui interdit d’examiner la réalité de ce consentement. Elle souligne qu’« il appartient à la seule juridiction de renvoi d’apprécier, au préalable, tous les éléments de fait entourant la situation en cause au principal afin d’établir l’existence éventuelle de la volonté de la République de Pologne, que cette dernière conteste, d’accepter l’offre d’arbitrage de PL Holdings » (§ 40). Elle n’hésite toutefois pas à donner un avis tranché sur la question en signalant plus ou moins subtilement à la cour de renvoi qu’une réponse négative s’impose.

Consciente des limites de ses prérogatives, elle s’intéresse également au fond de la question : quid de la validité d’une convention d’arbitrage ad hoc pour connaître d’un litige d’investissements ?

La réponse n’étonnera personne : la clause est nulle, aussi nulle que celle figurant dans le traité. La CJUE s’en explique longuement. Elle juge notamment que « permettre à un État membre, qui est partie à un litige susceptible de porter sur l’application et l’interprétation du droit de l’Union, de soumettre ce litige à un organisme arbitral ayant les mêmes caractéristiques que celui prévu par une clause d’arbitrage nulle contenue dans un accord international tel que celui visé au point 44 du présent arrêt, par la conclusion d’une convention d’arbitrage ad hoc de même contenu que cette clause, entraînerait en réalité un contournement des obligations découlant pour cet État membre des traités et, tout particulièrement, de l’article 4, § 3, du Traité de l’Union européenne (TUE) ainsi que des articles 267 et 344 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), tels qu’interprétés dans l’arrêt du 6 mars 2018, Achmea » (§ 47). Il faut bien admettre que, d’un point de vue téléologique, la solution coule de source.

Le problème, comme depuis le début de cette saga, réside dans la motivation. Plutôt de se limiter à poser un principe simple d’inarbitrabilité des litiges d’investissements, la Cour essaie de fonder sa solution en droit. C’est à ce stade que le raisonnement juridique devient un habillage désordonné et incohérent d’une solution politique.

La Cour de justice de l’Union européenne se heurte à une double difficulté dans cette affaire. D’une part, contrairement aux situations précédentes, la convention d’arbitrage discutée n’est pas conclue entre États membres, mais entre un État membre et une personne privée. D’autre part, la convention d’arbitrage ne figure pas dans un traité, mais dans une convention ad hoc. Or ces deux différences changent tout et rendent impossible la transposition de l’arrêt Achmea. Ils rapprochent la situation d’espèce d’un banal arbitrage commercial. À l’époque, la Cour avait jugé qu’« une procédure d’arbitrage, telle que celle visée à l’article 8 du TBI, se distingue d’une procédure d’arbitrage commercial. En effet, alors que la seconde trouve son origine dans l’autonomie de la volonté des parties en cause, la première résulte d’un traité, par lequel des États membres consentent à soustraire à la compétence de leurs propres juridictions et, partant, au système de voies de recours juridictionnel que l’article 19, § 1, 2nd alinéa, du TUE leur impose d’établir dans les domaines couverts par le droit de l’Union » (§ 55 de l’arrêt Achmea). Autant dire que la convention d’arbitrage conclue entre PL Holdings et la Pologne n’entre aucunement dans celles stigmatisées par Achmea, mais justement dans celles supposément préservées.

Naturellement, la CJUE ne s’en laisse pas compter et rivalise d’ingéniosité pour contourner l’obstacle. Certains développements nécessitent d’être bien assis sur sa chaise avant d’être lus. Elle explique que sa solution est « confirmé[e] par […] l’accord portant extinction des traités bilatéraux d’investissement […]. Cette règle est applicable mutatis mutandis à une situation dans laquelle la procédure d’arbitrage originellement initiée sur le fondement d’une clause d’arbitrage nulle du fait de sa non-conformité au droit de l’Union est poursuivie sur le fondement d’une convention d’arbitrage ad hoc conclue par les parties conformément au droit national applicable et dont le contenu serait identique à celui de cette clause » (§ 53). Ainsi, l’accord portant extinction des TBI n’entraînerait pas seulement un anéantissement rétroactif des conventions d’arbitrage y figurant, mais également de toute convention d’arbitrage ad hoc antérieure. Le raisonnement, en termes de conflit de lois dans le temps, est acrobatique. Toutefois, le pompon sur la Garonne reste l’incursion dans le droit des obligations pour justifier la solution : « toute tentative d’un État membre de remédier à la nullité d’une clause d’arbitrage au moyen d’un contrat avec un investisseur d’un autre État membre irait à l’encontre de l’obligation du premier État membre de contester la validité de la clause d’arbitrage et serait ainsi susceptible d’entacher d’illégalité la cause même de ce contrat dès lors qu’elle serait contraire aux dispositions et principes fondamentaux régissant l’ordre juridique de l’Union » (§ 54). On renonce à comprendre.

En réalité, encore une fois, l’hostilité de la Cour de justice à l’arbitrage d’investissements intraeuropéen est une chose entendue. On peut la désapprouver ou en contester les fondements. Pour autant, elle est claire. Ce qui est immensément problématique reste la motivation qui la sous-tend. Pour une raison simple : d’une part, elle n’offre aucune sécurité juridique, puisque la Cour n’hésite pas à balayer la précédente au profit d’une nouvelle, au gré des espèces ; d’autre part, car cette motivation est une bombe à fragmentation. En effet, elle fragilise l’arbitrage bien au-delà du droit des investissements. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le paragraphe 49 : « l’approche juridique envisagée par PL Holdings [si elle était retenue] pourrait être adoptée dans une multitude de litiges susceptibles de concerner l’application et l’interprétation du droit de l’Union, portant ainsi atteinte de manière répétée à l’autonomie de ce droit ». On le voit, ce n’est pas seulement l’arbitrage d’investissements qui est concerné. C’est potentiellement tout arbitrage avec une personne publique, voire tout arbitrage entre personnes privées nécessitant l’application du droit européen. Rien ne garantit que les digues posées par la Cour de justice, notamment l’exclusion de l’arbitrage commercial, ne sont pas de simples vannes susceptibles d’être ouvertes à chaque instant.

On finira par mentionner une décision du Tribunal de l’Union européenne (TUE, 22 sept. 2021, aff. T-639/14) dans laquelle le Tribunal retient la qualification de « tribunal étatique » à un tribunal arbitral, malgré son origine manifestement conventionnelle (§ 150 s.). Il ne s’agit pas, loin de là, d’une décision de principe, mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’une clé pour retrouver un équilibre entre l’arbitrage et le droit de l’Union européenne.

Proposition de loi visant à réformer l’adoption : coup de rabot ou coup d’épée dans l’eau des Sénateurs ?

Après une année de discussions, le Sénat apporte à la proposition de loi plus d’une trentaine d’amendements destinés à conserver les seules mesures jugées « utiles à l’amélioration du processus d’adoption », et refuse corrélativement « une réécriture globale [du] code de l’action sociale et des familles » (M. Jourda, Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réformer l’adoption (n° 50), Sénat, 13 oct. 2021, p. 7), considérée, comme le reste de la proposition, comme « inconsistante » et « confuse » (M. Jourda, op. cit., p. 73). À lire la proposition de loi modifiée, ce sont donc plusieurs pans essentiels de la réforme qui s’effacent, que l’on pense à l’abaissement de l’âge et de la durée de communauté de vie pour adopter, à l’adoption plénière des enfants âgés de plus de quinze ans, à l’édification d’un droit commun du consentement à l’adoption (interne et internationale), ou encore à la refonte du statut des pupilles de l’État. Signe de ces suppressions en cascade, la proposition de loi « visant à réformer l’adoption » est finalement rebaptisée par le Sénat en proposition de loi « relative à l’adoption » (amendement n° COM-58) : les mots ne trompent pas ! Aussi, entre confirmations et inflexions, voici donc un bref panorama de la proposition de loi modifiée, à la veille de sa discussion devant la Commission mixte paritaire.

Les confirmations

Parmi les dispositions de la proposition de loi confirmées par le Sénat, toutes poursuivent un même objectif énoncé dans le rapport de la sénatrice Jourda : répondre aux « enjeux importants et identifiés depuis des années » comme problématiques en matière d’adoption, à savoir diverses évolutions en matière filiative, l’obligation de formation préalable des membres du conseil de famille (M. Jourda, op. cit., p. 37 s.), l’amélioration de la préparation et de la détection des familles susceptibles d’accueillir des enfants à besoins spécifiques, et la sécurisation du statut des pupilles de l’État (M. Jourda, op. cit., p. 56 s.).

Volet civil

Du côté du Code civil, plusieurs dispositions ressortent ainsi indemnes de leur lecture devant le Sénat, telles la réécriture de l’article 364, alinéa 1er, du code civil relatif aux effets de l’adoption simple, celle des articles liés à l’ouverture de l’adoption aux couples de partenaires et de concubins (C. civ., art. 343, 343-1, 343-2, 344, 345-1, 346, 348-5, 356, 357, 360, 363, 365, 366 et 370-3), celle de l’article 348-6 relatif au consentement de l’adopté à sa propre adoption, de l’article 351 relatif aux effets du placement, de l’article 357 relatif au changement de prénom de l’adopté, outre celle de l’article 411 relatif à la vacance de la tutelle.

Réécriture de l’article 364, alinéa 1er, du code civil

Pour débuter, les sénateurs laissent d’abord sauve la réécriture de l’article 364, alinéa 1er, du code civil, destinée à insister sur l’originalité de l’adoption simple vis-à-vis de l’adoption plénière, par l’affirmation expresse de l’établissement d’un nouveau lien de filiation entre l’adopté et l’adoptant, s’additionnant, le cas échéant, au lien de filiation préexistant du premier (art. 1er). Accordant à cette réécriture « le mérite de clarifier les effets propres à l’adoption simple », la Commission des lois l’adopte donc sans modification (M. Jourda, op. cit., p. 13.).

Ouverture de l’adoption aux partenaires et aux concubins

Dans le même sens, l’ensemble des dispositions ouvrant l’adoption aux partenaires et aux concubins est, nous l’avons dit, confirmé (art. 2), et ce afin d’assurer le plein effet de la réforme sur ce point, considéré par les sénateurs comme « en cohérence avec l’évolution du droit de la filiation » (amendement n° COM-25 rect.). Davantage, ces derniers perfectionnent même les termes de l’article 370-3, dont la rédaction initiale avait suscité le débat (amendement n° 53). Ainsi la nouvelle règle de conflit de lois contenue dans ce texte apparaît-elle à la fois plus nette et plus unitaire que la précédente, en énonçant désormais que « les conditions de l’adoption sont soumises à la loi nationale de l’adoptant ou, en cas d’adoption par un couple, à la loi nationale commune des deux membres du couple au jour de l’adoption ou, à défaut, à la loi de leur résidence habituelle commune au jour de l’adoption ou, à défaut, à la loi du for […] ». La règle de conflit de lois propre aux couples mariés est donc étendue aux couples non-mariés, aux détriments certes de l’article 515-7-1 du code civil, propre aux partenaires pacsés, mais au profit de l’unité de la matière tout entière. On regrettera simplement, s’agissant de ces règles d’élargissement de l’adoption aux partenaires et aux concubins, l’absence d’une prohibition générale du Pacs entre l’enfant adopté et le conjoint ou le partenaire de l’adoptant, laquelle aurait pu être ajoutée à l’article 366 du code civil, par esprit de cohérence avec la prohibition du mariage formulée par ce même texte entre ces mêmes protagonistes.

Adoption du mineur âgé de plus de treize ans ou du majeur protégé hors d’état de donner son consentement

Différemment, si les dispositions relatives au consentement de l’adopté à sa propre adoption ressortent confirmées de leur lecture devant le Sénat, cette confirmation emprunte le chemin d’une renumérotation d’article (art. 8). Ainsi, là où la proposition de loi votée par l’Assemblée nationale prévoyait de compléter l’article 348-6 par un nouvel alinéa autorisant l’adoption d’un mineur âgé de plus de treize ans ou d’un majeur protégé, sans leur consentement et sous réserve qu’ils soient hors d’état de consentir personnellement à leur adoption, le texte voté par le Sénat déplace cet alinéa dans un nouvel article distinct (C. civ., art. 348-7), afin de dissocier les cas de refus de consentement énoncés à l’article 348-6, de ceux d’absence de consentement issus de la nouvelle disposition (amendement n° COM-42). On observera d’ailleurs, à ce propos, que le Sénat ne répond pas expressément aux interrogations de la doctrine portant sur « l’avis » formulé par le représentant légal ou le protecteur de l’adopté à l’occasion de l’adoption, à savoir si cet avis se substituera ou non à leur consentement, la portée du texte pouvant pourtant en être radicalement modifiée (v. cependant : amendement n° COM-42).

Placement en vue de l’adoption

En suivant encore l’ordre du code civil, l’article 351 ressort lui aussi presque indemne de sa relecture, les sénateurs se limitant ici à une réécriture partielle du texte, d’ailleurs tout à fait opportune (art. 5). En ce sens, là où l’ancienne version proposait de préciser que le placement « débute par » la remise effective de l’enfant aux futurs adoptants, la nouvelle version lui préfère les termes « prend effet à la date de » (sur une suggestion des magistrats de la Cour de cassation auditionnés à cette occasion, à l’origine d’une série d’améliorations du texte ; M. Jourda, op. cit., p. 25.), tandis que là où l’ancienne version ajoutait que « les futurs adoptants peuvent réaliser les actes usuels de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant », la nouvelle version ajoute que « les futurs adoptants accomplissent les actes usuels relatifs à la surveillance et à l’éducation de l’enfant à partir de la remise de celui-ci et jusqu’au prononcé du jugement d’adoption », termes à la fois plus exacts, plus précis et plus circonscrits. Plus exacts, d’abord, en ce que des actes « s’accomplissent » plus qu’ils ne se « réalisent » (amendement n° COM-37) ; plus précis, ensuite, dans la mesure où les actes usuels sont ici limités à la surveillance et à l’éducation de l’enfant (amendement n° COM-38 ; amendement n° 12), là où ils auraient pu porter sur d’autres des missions relevant de l’autorité parentale, et notamment sur la protection de la santé de l’enfant, semble-t-il écartée de cette nouvelle rédaction (arg. C. civ., art. 373-1, al. 2) ; plus circonscrits, enfin, puisque par esprit de rigueur, la nouvelle rédaction limite la temporalité de ces actes à la durée du placement, soit à la période s’étendant de la remise de l’enfant à la décision d’adoption. On notera en revanche qu’à l’inverse de la proposition de loi des députés, les sénateurs abandonnent l’extension de la procédure de placement de l’adoption plénière à l’adoption simple, relevant à la suite d’une partie de la doctrine l’utilité douteuse d’une telle extension, dans un contexte où « 97 % des adoptions simples [étaient] intrafamiliales en 2018, et 87,9 % [concernaient] des personnes majeures qui [n’avaient] pas même vocation à résider – donc à être « placées » – chez leurs futurs adoptants » (amendement n° COM-39).

Consentement de l’enfant à son changement de prénom

En poursuivant la lecture, la proposition de loi discutée confirme aussi la nouvelle rédaction de l’article 357 du code civil, proposée par l’Assemblée nationale et relative au changement de prénom de l’enfant adopté (art. 9). Ce texte, destiné à « harmoniser les conditions d’âge relatives aux changements [de prénom de l’enfant] entre les procédures de droit commun [des] articles 60 et 311-23 du code civil, et celles propres à l’adoption » (M. Limon, Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république sur la proposition de loi visant à réformer l’adoption (n° 3161), Assemblée nationale, 23 nov. 2020, p. 42), impose en effet, avant comme après son passage devant le Sénat, le consentement de l’enfant adopté de plus de treize ans à son changement de prénom, et non du seul enfant adopté majeur. En revanche, là où la Chambre basse avait décidé d’exiger ce même consentement en cas de changement de nom de l’enfant adopté en la forme simple de plus de treize ans, la chambre haute abandonne cette exigence, estimant que cela « reviendrait à nier [sa] nouvelle filiation et ne [ferait] pas du tout consensus » (amendement n° COM-43), ce dont on pourra débattre.

Tutelles vacantes

Pour finir, les sénateurs laissent enfin sauve la réécriture de l’article 411 du code civil relatif à la vacance de la tutelle, en corrigeant uniquement quelques petites erreurs de rédaction présentes dans la version initiale du texte (art. 17).

Volet action sociale

Du côté du code de l’action sociale et des familles, en revanche, si la reprise des dispositions de la proposition de loi de l’Assemblée est plus nuancée (le Sénat privilégiant ici la gomme au crayon), plusieurs textes en ressortent cependant indemnes, en tout ou en partie.

Agrément

Relativement aux finalités de l’agrément, d’abord, les sénateurs confirment celles formulées par les députés (amendement n° 51 rect. ter), en les insérant toutefois dans un nouvel alinéa de l’article L. 225-2 du code de l’action sociale et des familles, là où la chambre basse l’avait élevé en principe directeur d’une section lui étant alors dédiée (art. 10). Ainsi le nouvel article L. 225-2, alinéa 2, disposerait-il désormais, avec une force normative discutable, que « l’agrément a pour finalité l’intérêt des enfants qui peuvent être adoptés. Il est délivré lorsque la personne candidate à l’adoption est en capacité de répondre aux besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs de ces enfants ».

Autres confirmations

Parallèlement, plusieurs propositions sont confirmées par les sénateurs, mais réinsérées au gré des dispositions du code de l’action sociale et des familles, dans le dessein de répondre aux problématiques récurrentes de la matière sans réécrire l’ensemble du code (art. 10, 11, 12, 14 et 15) : l’organisation de réunions d’information au bénéfice des personnes agréées (CASF, art. L. 225-8 prop. initiale, art. L. 225-2, al. 5 prop. modifiée), l’obligation de suivi d’une préparation portant sur les dimensions psychologiques, éducatives et culturelles de l’adoption (CASF, art. L. 225-3 prop. initiale, art. L. 225-3, al. 2 prop. modifiée), la possibilité pour le président du conseil départemental de « faire appel à des associations pour identifier, parmi les personnes agréées qu’elles accompagnent, des candidats susceptibles d’accueillir en vue d’adoption des enfants à besoins spécifiques » (CASF, art. L. 225-10-1-1 prop. initiale, art. L. 225-1 dernier al. prop. modifiée), la réalisation d’un bilan médical, psychologique et social des enfants admis en qualité de pupille de l’État (CASF, (CASF, art. L. 224-2 propr. initiale, art. L. 225-1, al. 1er prop. modifiée), l’information des pupilles de l’État des décisions les concernant (CASF, art. L. 224-8-7 prop. initiale, art. L. 224-1-1 prop. modifiée), toutes ces propositions sont reprises pour l’essentiel par le Sénat, tout comme l’assouplissement des règles applicables au congé d’adoption (art. 17 bis), jugé favorable à « une prise effective » de ce congé et à « une meilleure répartition [de celui-ci] entre les parents » (M. Jourda, op. cit., p. 70.).

Cependant, dénonçant sur d’autres points « des prises de position dogmatiques » contraires à l’intérêt de l’enfant (M. Jourda, op. cit., p. 9 s.), plusieurs pans essentiels de la proposition de loi de l’Assemblée sont purement et simplement enterrés par le Sénat.

Les inflexions

Parmi les inflexions à relever, les plus symboliques sont assurément liées aux conditions d’accès à l’adoption, tenant à la durée de vie commune et à l’âge des adoptants, à l’écart d’âge entre les adoptants et les adoptés, mais aussi à l’adoption plénière des enfants âgés de plus de 15 ans, au consentement des parents à l’adoption de leur enfant, à la rétroactivité de la loi et, surtout, à la refonte du statut des pupilles de l’État.

Volet civil

Du côté du code civil, nous l’avons dit, plusieurs des conditions d’accès à l’adoption ressortent profondément altérées de leur passage devant le Sénat.

Condition de communauté de vie des couples d’adoptants

S’agissant de la durée de vie commune des membres des couples adoptant (art. 2), les sénateurs enterrent d’abord et sans sourciller la réduction du délai minimum de communauté de vie de duex à un an, en revenant à l’état du droit positif, c’est-à-dire à deux ans. Sur ce point, les sénateurs plaident en effet pour le maintien de ce délai en le considérant comme « important pour s’assurer de la stabilité du couple, notamment si l’un de ses membres ou les deux ont moins de 26 ans, et de leur engagement commun envers un enfant en attente d’une famille » (amendement n° COM-1 rect).

Conditions d’âge et écart d’âge entre les adoptants et les adoptés

Similairement, la condition d’âge pour adopter est ramenée de vingt-six ans minimum à ving-huit ans, conformément au droit positif (art. 2). Considérant cette fois-ci que la pertinence de l’abaissement de l’âge légal pour adopter ne serait « soutenue par aucune statistique prouvant une proportion significative d’adoptants de 28 ans », les sénateurs l’écartent sans détour (amendement n° COM-1 rect. ; amendement n° COM-25 rect.). À l’opposé, la condition d’écart d’âge entre les adoptants et les adoptés fait son grand retour dans le code civil, là où les députés l’avaient étrangement reléguée dans le code de l’action sociale et des familles (amendement n° COM-35). L’article 344 se voit ainsi enrichi d’un nouvel alinéa 2, qui disposerait désormais que « l’écart d’âge entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des enfants qu’il se propose d’adopter ne doit pas excéder cinquante ans », cette condition n’étant « pas exigée en cas d’adoption de l’enfant du conjoint ». Simultanément, le Sénat supprime enfin l’article 6 de la proposition de loi initiale relatif à la prohibition des adoptions emportant une « confusion des générations », en « considérant plus opportun de laisser au juge le soin d’apprécier l’intérêt de l’enfant au cas par cas, plutôt que d’établir une règle qui ne pourrait souffrir d’exception » (amendement n° COM-40) (Adde M. Jourda, op. cit., p. 27 s., ce dont on pourra certainement discuter.

Adoption plénière des enfants âgés de plus de quinze ans

S’agissant de l’adoption plénière des enfants âgés de plus de quinze ans, le Sénat renverse là encore la vapeur. En effet, présentée par le rapport de la députée Limon comme une mesure de faveur envers ce public, la proposition de loi avait notamment allongé le délai durant lequel l’adoption plénière pouvait être sollicitée (des 20 ans aux 21 ans de l’enfant), et ajouté la possibilité pour les juges de prononcer une adoption plénière en dehors des situations visées à l’article 345 du code civil, « en cas de motif grave » (art. 4). Or, regrettant l’absence de plus amples précisions données par l’Assemblée pour justifier sa proposition, et s’interrogeant « sur l’intérêt de l’enfant, au seuil de sa majorité voire au-delà, de voir sa filiation d’origine, avec laquelle il peut s’être construit pendant toute son enfance, purement et simplement effacée », les sénateurs suppriment cette disposition, avançant de surcroît des « risques de détournement de l’adoption à des fins successorales ou d’acquisition de la nationalité française » (amendement n° COM-36).

Consentement des parents à l’adoption de leur enfant

Se saisissant encore de leur gomme, les sénateurs reviennent ensuite sur la proposition d’édification d’un droit commun du consentement à l’adoption (interne et internationale), sur lequel s’était positionnée la proposition de loi initiale (art. 7). Certes, comme le relèvent les sénateurs, la formulation de l’alinéa 1er de l’article 348-3 pouvait être critiquée en ce qu’elle risquait d’introduire certaines incohérences en droit interne comme en droit international (amendement n° COM-41 ; amendement n° COM-4). Mais l’effort d’édification d’un droit commun, louable en son principe, aurait peut-être pu inciter les sénateurs à corriger ce texte, plutôt qu’à le supprimer purement et simplement.

Rétroactivité de la loi en cas de PMA réalisée à l’étranger

Dernier point civil discuté par les sénateurs, la disposition transitoire sur l’assistance médicale à la procréation prévue par l’article 9 bis de la proposition de loi est elle aussi supprimée. Estimant en effet cette disposition comme « inacceptable », en ce qu’elle reviendrait « à se passer du consentement de la mère qui a accouché dans des conditions trop floues », en ce qu’elle « pourrait concerner des situations très anciennes puisqu’aucun délai n’est prévu pour la réalisation de l’AMP », et en ce qu’elle irait à l’encontre de l’avis du « Conseil national de la protection de l’enfance s’y [étant fermement opposé] au motif "qu’elle poursuit un autre but que l’intérêt supérieur de l’enfant en visant à régler des litiges entre adultes et à reconnaitre un droit sur l’enfant" », le Sénat l’efface définitivement de la proposition (amendement n° COM-44).

Volet action sociale

Du côté du code de l’action sociale et des familles, enfin, le Sénat privilégie ici encore la gomme au crayon, en tirant un trait sur le vaste chantier de refonte du statut des pupilles de l’État et sur l’essentiel des dispositions de la proposition de loi y afférant (art. 11 à 15), dénonçant tour à tour le « faible apport normatif » de la proposition (M. Jourda, op. cit., p. 56 et p. 75 s.), l’absence de consensus sur plusieurs de ses points (Notamment sur la composition du conseil de famille des pupilles de l’État ; M. Jourda, op. cit., p. 62), l’inaboutissement de plusieurs autres (Notamment sur la procédure de recours contre les décisions de ce conseil de famille ; M. Jourda, op. cit., p. 64), outre la dangerosité de certaines de ses dispositions (Spécialement sur le consentement des parents à l’adoption de leur enfant ; M. Jourda, op. cit., p. 58 s.).

En somme, le Sénat procède donc à une importante réduction des ambitions de la proposition de loi de l’Assemblée nationale, au profit d’une réforme plus mesurée et, à plusieurs titres, substantiellement améliorée. Mais les députés accepteront-ils ce sévère coup de rabot asséné à leur proposition, ou feront-ils de cette tentative de réécriture un simple coup d’épée dans l’eau (ce dont avait été accusé, par une doctrine des plus autorisées, le Rapport Limon-Imbert, P. Salvage-Gerest, Le rapport Limon-Imbert sur l’adoption : un coup d’épée dans l’eau ?, AJ fam. 2020. 350 image) ? Dans l’intérêt de l’adoption, formulons le vœu qu’une solution de compromis soit trouvée par la Commission mixte paritaire, en perfectionnant encore le texte soumis à ses débats… dans la précipitation (ibid.)… 

Chronique CEDH : la lutte contre les abus sexuels exercés sur des mineurs entre audace et résignation

La montée en régime des mesures provisoires

Destinées à assurer l’effectivité du droit de recours individuel consacré par l’article 34 de la Convention en demandant, dès le début de la procédure européenne, à l’État défendeur de s’abstenir de prendre des décisions graves et irréversibles qui rendraient purement virtuelle une éventuelle victoire du requérant, les mesures provisoires ont été déployées par les instances strasbourgeoises sans le moindre support conventionnel. Aussi la Cour a-t-elle attendu son arrêt de grande chambre Mamatkulov et Askarov c/ Turquie du 4 février 2005 pour affirmer qu’elles avaient un caractère obligatoire et que leur non-respect exposait l’État qui en est le destinataire à un constat de violation de l’article 34. À partir de ce moment là, on a pu observer un risque de dérive vers une utilisation des mesures provisoires pour conférer au recours individuel un caractère suspensif de substitution. La Cour, par l’intermédiaire de son président Jean-Paul Costa avait donc dû alerter sur l’impérieuse nécessité de ne pas l’encombrer de demandes de mesures provisoires pour tout et n’importe quoi. Le rappel à l’ordre semble avoir porté ses fruits et les mesures provisoires pourraient avoir trouvé leur place pour aider à répondre aux situations dont la gravité et l’urgence sont mises en évidence, spécialement par la presse. Toujours est-il que dans le communiqué de presse de l’actuelle greffière Marialena Tsirli, les décisions de la Cour en matière de mesures provisoires sont de plus en plus souvent signalées. Ainsi, pour la période allant du 1er septembre au 31 octobre 2021, apprend-on que la crise afghane survenue au cœur du mois d’août 2021 a conduit la Cour à tenter d’en maîtriser les dramatiques prolongements européens, d’une part, en demandant à la Lituanie et à la Lettonie de ne pas renvoyer vers le Belarus des réfugiés afghans qui auraient réussi à s’introduire sur leurs territoires, puis à décider de ne pas prolonger cette mesure provisoire après avoir reçu l’assurance qu’aucune expulsion n’interviendrait sans examen préalable de la demande d’asile et, d’autre part, à indiquer puis à proroger une mesure provisoire demandant à la Pologne de fournir de la nourriture, de l’eau , des vêtements et des soins médicaux adéquats à trente-deux ressortissants afghans immobilisés depuis sept semaines dans un campement de fortune situé à la frontière avec le Bélarus.

On relèvera aussi que, comme elle l’avait fait quelques semaines plus tôt dans une affaire française, la Cour a repoussé des demandes de mesures provisoires tendant à suspendre l’application de la loi grecque imposant une obligation vaccinale au personnel de santé pour lutter contre la covid-19. Cette solution contribue à illustrer une autre tendance remarquable de la période septembre-octobre .

Le contentieux covid-19 entre vitesse et précipitation

Consciente, comme son président Robert Spano dès le début de la crise sanitaire, de ce qu’il ne serait pas acceptable qu’elle traîna en longueur sur un sujet aussi grave, la Cour ne manque pas une occasion de faire savoir qu’elle va aussi vite qu’elle peut pour trancher les graves questions d’atteintes aux droits de l’homme que les exigences de la lutte contre la covid-19 soulèvent. Ainsi a-t-on appris le 7 octobre que la déjà célèbre affaire Thevenon (n° 46061/21) relative à l’obligation vaccinale des sapeurs pompiers avait été communiquée au gouvernement français qui devra répondre avant le 27 janvier 2022 à cinq questions qui devraient préparer une prochaine décision sur la recevabilité. Il arrive cependant que d’intrépides requérants tentent de l’entraîner dans une logique de précipitation. On l’a déjà observé à travers les demandes de mesures provisoires. On l’a surtout remarqué dans la curieuse affaire Zambrano c/ France (n° 41994/21) relative au passe sanitaire, où la requête a été déclarée irrecevable pour non épuisement des voies de recours internes et aussi parce qu’elle était abusive, son objectif crânement affirmé étant de saturer la Cour pour obtenir un rapport de force favorable afin d’obliger les États abasourdis à abandonner leur politique vaccinale…

La lutte contre les abus sexuels exercés sur des mineurs entre audace et résignation

Pendant l’été 2021, la Cour européenne des droits de l’homme a poursuivi ses efforts pour lutter, sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui prohibe les traitements inhumains et dégradants, contre les abus sexuels exercés sur des mineurs. Ainsi, par un arrêt A.P c/ République de Moldova du 26 octobre (n° 41086/12) a-t-elle constaté une violation du volet procédural de cet article parce que les autorités n’avaient pas mené une enquête effective et approfondie sur les allégations de viol et d’agression sexuelle subis par un enfant de cinq ans. Cette solution est remarquable et, à certains égards, discutable, parce que l’auteur des faits invoqués était lui même un enfant de douze ans qui n’avait pas atteint l’âge de la responsabilité pénale.

Au moment où, en France, le rapport Sauvé révélait l’ampleur insoupçonnée des violences sexuelles dans l’Église catholique entre 1950 et 2020, la Cour s’est montré moins audacieuse pour aborder cette grave dérive structurelle. Dans l’affaire M.L c/ Slovaquie du 14 octobre (n° 34159/17), la mise en balance du droit au respect de la vie privée et du droit à la liberté d’expression, l’a conduite à faire prévaloir le droit à l’oubli de la mère d’un prêtre suicidé face à la publication d’articles de presse rappelant qu’il avait été condamné pour avoir abusé de garçons mineurs. Cette solution favorable à une mère qui n’avait aucunement contribué à étouffer le scandale des pratiques sexuelles des représentants de l’Église catholique ne traduit pas une volonté de baisser les bras face à la gravité de la question. Il en va autrement dans l’affaire J.C c/ Belgique du 12 octobre (n° 11625/17, Dalloz actualité, 27 oct. 2021, obs. E. Delacoure). En l’espèce, vingt-quatre justiciables avaient collectivement introduit devant les juridictions belges une demande en indemnisation contre la Saint-Siège à raison des dommages causés par la manière structurellement déficiente avec laquelle l’Église catholique aurait fait face au problème des abus sexuels exercés en son sein. Les juridictions belges ayant considéré que, compte tenu de l’immunité de juridiction dont jouissait le Saint-Siège, elles n’avaient pas compétence pour statuer, les 24 déboutés se sont plaints à Strasbourg d’une violation de leur droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6, § 1er, de la Convention européenne. Or la Cour, appelée pour la première fois à se prononcer sur l’immunité du Saint-Siège, a estimé qu’il n’y avait pas lieu de constater une violation de ce texte dans la mesure où la solution retenue par les juges belges ne s’était pas écartée des principes de droit international généralement reconnus en la matière. Eu égard à la gravité des enjeux, il n’eût peut-être pas été tout à fait déplacé de s’écarter un peu des principes dont relève l’immunité d’un État qui, avec le Bélarus est d’ailleurs le seul État d’Europe à n’être pas partie à la Convention.

Les assassinats politiques et le suicide des personnes privées de liberté

Le droit à la vie étant le roi des droits, la Cour lui accorde, malheureusement a posteriori, une protection courageuse ainsi qu’en témoigne l’arrêt Carter du 21 septembre (n° 20914/07) qui n’a pas hésité à proclamer la responsabilité de la Russie dans l’empoisonnement au polonium 210 de l’espion transfuge A. Litvinenko à Londres en 2006. Elle a aussi dressé des constats de violation de l’article 2 dans des cas de suicides de militaires (arrêts Boychenko c/ Russie du 12 octobre, n° 8663/08 et Khabirov c/ Russie, n° 69450/10, où seul un manquement au volet procédural de cet article a été relevé) ou de malades internés dans un hôpital psychiatrique public (Raznatovic c/ Monténégro du 2 septembre, n° 14742/18).

Encadrement conventionnel des moyens sécuritaires coercitifs

Même si depuis son arrêt de Grande chambre Austin c/ Royaume-Uni du 15 mars 2012 qui a admis la technique policière du kettling, la Cour de Strasbourg est très compréhensive à l’égard des techniques déployées par les agents de la force publique pour faire face à des menaces d’atteintes à la sécurité publique toujours plus radicales, elle n’est pas prête à tout admettre en matière sécuritaire. Ainsi, par l’arrêt Kuchta et Metel c/ Pologne du 2 septembre (n° 76813/16) a-t-elle considéré qu’une arrestation musclée avec usage de gaz lacrymogènes avait constitué une violation des volets substantiel et procédural de l’article 3 qui prohibe les traitements inhumains et dégradants. En outre, dans son arrêt Syrianos c/ Grèce du 7 octobre (n° 49529/12) elle a jugé qu’infliger des sanctions disciplinaires à un détenu parce qu’il avait refusé de subir des fouilles corporelles ne répondait pas à un besoin social impérieux et constituait donc une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée reconnu par l’article 8 de la Convention.

L’adaptation du droit à la liberté d’expression aux réalités de l’ère numérique

Il est devenu de la dernière des banalités de dénoncer les atteintes inédites aux autres droits de l’homme et aux valeurs des sociétés démocratiques que propage le droit à la liberté d’expression lorsqu’il mobilise internet et l’outil numérique. La Cour de Strasbourg, quant à elle, s’efforce de trouver le point d’équilibre entre ces données contradictoires et fortement évolutives. Ainsi dans un arrêt Sanchez c/ France d 2 septembre (n° 45581/15), a-t-elle considéré que l’État défendeur n’avait pas violé l’article 10 en condamnant un homme politique à 3 000 € d’amende parce qu’il n’avait pas supprimé assez vite de son site public Facebook des commentaires appelant à la haine. En outre, par un arrêt Volodina du 14 septembre (n° 40419/19) elle a condamné la Russie pour violation de l’article 8 parce qu’elle n’avait pas protégé la victime de violences domestiques contre la cyberviolence de son partenaire. En revanche, l’arrêt M.P. c/ Portugal du 7 septembre (n° 27516/14, AJ fam. 2021. 565, obs. M. Saulier image) a cru devoir estimer que, au cours d’une procédure de divorce et de partage de l’autorité parentale, un mari avait pu produire des messages électroniques échangés par son épouse sur un site de rencontres occasionnelles sans que le droit au respect de la vie privée et du secret des correspondances de l’intéressée ait été atteint de manière disproportionnée. Il n’est pas tout à fait certain que cet encouragement à l’espionnage électronique familial soit de bon aloi.

Extension du droit à la liberté d’expression et limites du droit à l’humour

Comme d’habitude, on relève pour la période septembre-octobre 2021 un fort contingent d’arrêts qui constatent des violations de l’article 10 et qui continuent à marquer le soutien de la Cour de Strasbourg à la liberté d’expression des opposants politiques Dareskizb Ltd c/ Arménie du 21 septembre (n° 61737/08, relatif à l’interdiction de publier un journal pendant l’état d’urgence) ; Hazanov et Majidli c/ Azerbaïdjan du 7 octobre (n° 9626/14, se rapportant à la distribution dans les stations de métro de tracts antigouvernementaux) ; Association des journalistes d’investigation c/ République de Moldova du 12 octobre (n° 4358/19, stigmatisant une condamnation pour diffamation consécutive à la publication d’un article dénonçant le financement d’une campagne présidentielle) ; Vedat Sorli c/ Turquie du 19 octobre (n° 42048/19, adoptant la même position à l’égard d’une peine d’emprisonnement avec sursis pour insulte au chef de l’État). On accordera une attention particulière à deux arrêts confirmant avec éclat que dans les cas les plus graves, la protection du droit à la liberté à la liberté d’expression ne se fait pas ou pas seulement sur le fondement de l’article 10 : ST et Y.B c/ Russie du 19 octobre (n° 40125/20) constatant une violation de l’article 3 en raison des traitements inhumains infligés à l’animateur d’une chaîne d’opposition au cours d’une détention irrégulière et Miroslava Todorava c/ Bulgarie  du 19 octobre (n° 40072/13) qui pour mieux souligner la gravité des poursuites disciplinaires et des sanctions infligées à la Présidente de l’Union des juges de Bulgarie combine l’article 10 et l’article 18 lequel, sous l’intitulé « Limitation de l’usage des restrictions aux droits » est une arme contre les risques de détournement par les États du droit de la Convention vers des fins opposées à celles auxquelles elle est destinée. On ajoutera ici, même s’il se conclut par un constat de violation de l’article 11 l’arrêt Barseghyan c/ Arménie du 21 septembre (n° 17804/09) relatif à l’interdiction de tenir une réunion politique au lendemain de l’instauration de l’état d’urgence.

Le plus original des arrêts marquant une extension du droit à la liberté d’expression se situe au cœur d’un débat de plus en plus soutenu sur une délicate question de société. Il s’agit de l’arrêt Ringier Axel Springer c/ Slovaquie du 23 septembre (n° 26826/16) estimant qu’une peine d’amende infligée à un journaliste pour avoir diffusé l’interview d’un chanteur célèbre se disant favorable à la légalisation de la marijuana était disproportionnée au regard des exigences de l’article 10. Pour justifier sa solution la Cour fait observer que le journaliste n’avait pas l’intention de faire l’apologie de cette substance et, surtout, que son émission portait sur une question d’actualité et avait contribué à un débat d’intérêt public.

Comme elle le fait régulièrement, la Cour a saisi quelques occasions de rappeler que l’exercice du droit à la liberté d’expression comporte aussi des devoirs et des responsabilités. Ainsi, par son arrêt Staniszewski c/ Pologne du 14 octobre (n° 20422/15), elle a estimé que la condamnation du rédacteur en chef d’un bulletin mensuel gratuit pour avoir publié des affirmations inexactes sur un candidat à des élections locales n’avait pas enfreint l’article 10. Dans le même ordre d’idées, elle a surtout rendu un arrêt Z.B. c/ France du 2 septembre (n° 46883/15) qui est probablement un des plus importants de la période septembre-octobre 2021. En l’espèce, une personne avait eu l’idée bizarre d’offrir à son neveu de trois ans qui s’était fait une joie de le porter à l’école maternelle un tee-shirt où figurait les inscriptions « je suis une bombe » et « Jihad, né le 11 septembre ». Surpris d’avoir été condamné pour apologie de crimes d’atteintes volontaires à la vie, ce tonton flingueur d’un nouveau style est allé s’en plaindre devant la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant une méconnaissance de son droit à l’humour. Il lui a été sèchement répondu, dans le contexte des attentats terroristes qui ont frappé la France, que le discours humoristique ou les formes d’expression qui cultivent l’humour sont protégés par l’article 10 y compris quand ils se traduisent par la transgression ou la provocation, mais que le droit à l’humour ne permet pas tout et que quiconque se prévaut de la liberté d’expression assume des devoirs et des responsabilités. Or, en l’occurrence, les inscriptions litigieuses ne pouvaient s’entendre comme constitutives d’une simple plaisanterie. Autrement dit pour la Cour européenne des droits de l’homme, on peut rire et faire rire de tout mais à condition de ne faire que rire…

L’accompagnement des transformations du droit de la famille et des personnes

La Cour européenne des droits de l’homme s’est à nouveau prononcée sur des questions de droit de la famille relatives à l’existence du lien de filiation (Lavanchy c/ Suisse du 19 octobre, n° 69997/17, estimant que le rejet d’une action en contestation de filiation, introduite sans motif valable après l’expiration du délai de prescription, ne violait pas le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’art. 8) ou sur les difficultés d’établissement des contacts entre le père et l’enfant (v. not. Anagnostakis c/ Grèce du 23 septembre, n° 46075/16, suivant lequel des retards dans la fixation des modalités de visite d’un père à son fils entraînent une violation du droit au respect de la vie familiale). L’organisation de ce que, à Strasbourg, on appelle toujours la garde de l’enfant, soulève elle aussi son lot de difficultés européennes. L’une d’entre elles a été résolue par un arrêt X. c/ Pologne du 16 septembre (n° 20741/10) qui reflète parfaitement les évolutions sociétales en dressant un constat de violation de l’article 8 avec l’article 14 porteur du principe de non discrimination dans une affaire où la garde de son plus jeune enfant avait été retirée à la mère principalement en raison de son orientation sexuelle et ses relations avec une autre femme. Le principe de non discrimination a également fait sentir son influence dévastatrice de la tradition patriarcale en droit des personnes dans un arrêt Léon Madrid c/ Espagne du 26 octobre (n° 30306/13) où il a été décidé que, en cas de désaccord entre les parents, l’attribution automatique à l’enfant du nom du père suivi de celui de la mère manquait de justifications objectives et raisonnables. Cette solution fait rétrospectivement ressortir l’opportunité du choix du législateur français du 17 mai 2013 de s’en remettre, en pareille hypothèse, à l’ordre alphabétique (C. civ., art. 321-21, al. 1er).

Incursion en droit du travail forcé

Il n’est pas tout à fait à exclure que le monde du travail intérimaire cache parfois des réalités sordides. Un arrêt Zoletic c/ Azerbaïdjan du 7 octobre (n° 20116/12) lève peut-être un coin du voile. Il a en effet estimé que la façon dont avaient été traités trente-trois ressortissants de Bosnie-Herzégovine recrutés en qualité de travailleurs intérimaires dans le secteur de la construction en Azerbaïdjan aurait justifié une enquête dont le défaut est constitutif d’une violation de l’article 4, § 2, qui prohibe le travail forcé. Les conditions économiques et sociales sont, à l’évidence, très contrastées des limites les plus orientales du Conseil de l’Europe à ses rives atlantiques. On ne peut pourtant pas exclure qu’une enquête sur les conditions de travail des intérimaires jugée nécessaire là-bas dans une affaire donnée puisse apparaître pertinente ici dans telle ou telle autre.

Avancées en droit des contrats

Il est advenu quelquefois, par exemple avec l’arrêt Zolotas c/ Grèce n° 2 du 29 janvier 2013 qui fait fraterniser la Cour européenne et le solidarisme contractuel, que la Cour européenne des droits de l’homme rende des arrêts importants pour le droit des contrats. Cependant, à l’évidence, ce n’est pas son domaine de prédilection. Aussi faut-il souligner que, au cours de la période considérée, elle s’ y est à nouveau intéressée. Elle l’a fait, de manière un peu surprenante en France où la contrainte par corps en matière civile appartient depuis belle lurette à l’histoire du droit, par un arrêt Moldoveanu c/ République de Moldova du 14 septembre (n° 53660/15) en constatant de violation de l’article 5, § 1er, garantissant le droit à la liberté et à la sûreté parce qu’une personne qui n’avait pas remboursé la dette dont elle était tenue envers un particulier avait été placée en détention provisoire. Elle l’a fait surtout par deux arrêts du 7 octobre rendus contre Malte qui marquent sa volonté d’exercer son influence pour empêcher que ne se créent ou ne se perpétuent de trop graves déséquilibres contractuels. Il s’agit des arrêts Bartolo Parnis (n° 49738) et Galfa (n° 28712/19). Dans les deux affaires les biens des requérants avaient été assujettis à une loi qui leur imposait de continuer à les louer pour un loyer d’un montant très bas et qui les empêchait d’obtenir un rétablissement adéquat de leur situation. Sans même se référer au principe de proportionnalité, la Cour a dressé un constat de violation de l’article 1er du Protocole n° 1 qui consacre le droit au respect des biens séparément et en combinaison avec l’article 13 qui consacre le droit à un recours effectif.

Escapade en droit des groupements

En dépit de son célèbre arrêt Sovtransavto Holding c/ Ukraine du 25 juillet 2002 suivant lequel les actions des sociétés commerciales relèvent de la protection contre les atteintes à la substance du droit de propriété, la Cour s’avance encore moins souvent sur le terrain du droit des sociétés que sur celui du droits des contrats. Avec son arrêt Pintar c/ Slovénie du 14 septembre (n°49969/14) elle s’est cependant enhardie à dresser un constat de violation de l’article 1 du Protocole n° 1 dans une affaire où les mesures imposées par la Banque centrale aux grandes banques slovènes avaient entraîné l’annulation sans indemnisation des titres de milliers d’actionnaires et d’obligataires. On relèvera aussi un important arrêt Democracy eand Human Rights Resource Centre et Mustafayev c/ Azerbaïdjan du 14 octobre (n° 74288/14) se rapportant au droit des associations qui constate des violations de l’article 1er du Protocole n° 1, de l’article 2 du Protocole n° 4 relatif à la liberté de circulation et de l’article 18 parce que le gel des comptes bancaires et des interdictions de voyager visaient à paralyser le travail d’une ONG de défense des droits de l’homme.

Protection soutenue de la propriété immobilière

Au cours de l’été 2021, le verdissement de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg ne s’est pas beaucoup amplifié. À peine peut-on signaler dans ce sens un arrêt Kapa c/ Pologne 14 octobre (n° 75031/13) estimant que des perturbations par des années de circulation intense due à un projet d’autoroute avaient porté atteinte au droit au respect de la vie privée des riverains. La période a plutôt été marquée, au contraire, par des arrêts qui ont énergiquement protégés les propriétaires fonciers contre des mesures destinées à protéger l’environnement. Ainsi un arrêt Berzins c/ Lettonie du 21 septembre (n° 73105/12) a-t-il jugé que trois requérants empêchés d’accéder à leur parcelle de terrain parce que des décisions administratives avaient désigné leur propriété comme une zone d’eau protégée avaient été victimes d’une violation du droit au respect des biens. Surtout , par un arrêt Saksoburggotski et Chrobok c/ Bulgarie du 7 septembre (n° 38948/10), la Cour, poursuivant son œuvre de soutien aux familles royales déchues engagée dans l’affaire Ex-Roi de Grèce c/ Grèce du 23 novembre 2000, a jugé que le moratoire sur l’utilisation commerciale des terres forestières de l’Ex-Roi de Bulgarie Simeon II avait violé ses droits conventionnels.

Droit de vote

Le droit de vote , découlant de l’article 3 du Protocole n° 1 consacrant le droit à des élections libres, a donné lieu à deux arrêts qui ont pourtant été principalement rendus sur le fondement du Protocole n° 12 généralisant le principe de non discrimination. Il s’agit de l’arrêt Toplak et Mrak c/ Slovénie du 26 octobre (n° 34591/19) qui adopte des solutions contrastées selon le type d’élections auxquelles auxquelles des personnes atteintes de dystrophie musculaire n’avaient pas pu participer faute d’aménagements adaptés à leur état et de l’important arrêt Selygeneko c/ Ukraine du 21 octobre (n° 24919/16) qui stigmatise le refus du droit de vote à des élections locales opposé aux réfugiés des zones de conflit en Ukraine.

Lutte contre le formalisme excessif

Il n’est généralement pas possible de rendre compte des nombreux arrêts qui appliquent l’article 6, § 1er, consacrant le tentaculaire droit à un procès équitable. Cette fois, il convient de faire état de l’arrêt Bara et Kola c/ Albanie du 12 octobre (n° 43391/18) qui dresse un constat de violation de ce texte en raison du manque de célérité de deux procédures dans un contexte de réformes judiciaires et de l’arrêt Brus c/ Belgique du 14 septembre (n° 18779/15) qui aboutit à la même conclusion en plaçant à nouveau et avec insistance la question du droit à l’assistance d’un avocat sous l’influence de la notion d’équité globale de la procédure pénale dégagée dans son arrêt de grande chambre Beuze c/ Belgique du 9 novembre 2018. Il importe surtout de relever une forte concentration de solutions qui dénoncent le formalisme excessif des procédures internes. Ainsi l’arrêt Willems et Gorjon c/ Belgique du 21 septembre (n° 73105/12) a-t-il dénoncé le caractère disproportionné de la déclaration d’irrecevabilité de pourvois en cassation pour la seule raison que l’attestation de formation en cassation du représentant des demandeurs n’apparaissait pas dans les pièces du dossier. Quant à l’arrêt Foyer Assurances S.A c/ Luxembourg du 12 octobre (n° 32245/18), il stigmatise l’approche trop formaliste qui a conduit à prononcer l’irrecevabilité d’un moyen unique de cassation parce que le pourvoi n’avait pas précisé lequel des trois articles du code civil visés avait été violé par la cour d’appel. Dans le même esprit, l’arrêt Laçi c/ Albanie du 19 octobre (n° 28142/17) a jugé qu’était constitutif d’une restriction injustifié au droit d’accès à un tribunal découlant de l’article 6, § 1er, le refus d’examiner le bien-fondé d’une demande parce que le droit de timbre n’avait pas été payé et l’arrêt Dylus c/ Pologne du 23 septembre (n° 46075/16) a constaté une violation du droit d’accès à un tribunal en raison du rejet d’un pourvoi en cassation que le demandeur, avocat de profession, avait rédigé lui-même alors qu’il aurait dû l’être par son propre avocat. 

Articulation des compétences du juge des enfants et du juge aux affaires familiales : revirement de jurisprudence

Parce qu’ils interviennent tous deux dans la sphère familiale, le juge des enfants et le juge aux affaires familiales ont des compétences qui, entrant en concurrence, peuvent parfois s’entrecroiser. La notion de danger auquel est exposé le mineur (C. civ., art. 375), qui est classiquement présentée comme un critère de distinction entre ces deux juridictions, ne règle pas toujours la difficulté.

Dans cet arrêt du 20 octobre 2021, aux enjeux pratiques considérables et donc assez largement diffusé (FS-B+R ; v. la présentation de l’arrêt dans la lettre de la première chambre civile du 4 octobre 2021), la première chambre civile adopte une solution qu’elle qualifie elle-même de revirement de jurisprudence en ce qu’elle modifie la répartition du contentieux jusqu’ici adoptée.

Les faits d’espèce étaient des plus classiques : un juge aux affaires familiales a prononcé le divorce et fixé la résidence de l’enfant au domicile de son père, accordant à sa mère un droit de visite et d’hébergement. Quelques mois plus tard, un juge des enfants a ordonné une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert au bénéfice de l’enfant et, par jugement ultérieur, a confié ce dernier à son père en accordant à sa mère un droit de visite médiatisé jusqu’à la prochaine décision du juge aux affaires familiales. En appel, le jugement a été infirmé au motif que seul le juge aux affaires familiales pouvait statuer sur le droit de visite et d’hébergement de la mère.

Un pourvoi en cassation a été formé. Il posait la question suivante : lorsque, postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales sur la résidence de l’enfant, le juge des enfants qui constate une situation de danger pour l’enfant peut-il décider de placer ce dernier chez le parent qui bénéficie déjà de la résidence habituelle ? Cette question en entraîne nécessairement une autre, plus générale, qui consiste à savoir si le juge des enfants est compétent pour modifier les droits de visite et d’hébergement fixés par le juges aux affaires familiales.

La Cour de cassation répond à cet argument de façon à la fois complète et pédagogue.

Elle commence par énoncer les dispositions de l’article 375-3 du code civil qui prévoit que « si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier, notamment à l’autre parent (1°) ». Le texte ajoute : « toutefois, lorsqu’une demande en divorce a été présentée ou un jugement de divorce rendu entre les père et mère ou lorsqu’une demande en vue de statuer sur la résidence et les droits de visite afférents à un enfant a été présentée ou une décision rendue entre les père et mère, ces mesures ne peuvent être prises que si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s’est révélé postérieurement à la décision statuant sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou confiant l’enfant à un tiers. Elles ne peuvent faire obstacle à la faculté qu’aura le juge aux affaires familiales de décider, par application de l’article 373-3, à qui l’enfant devra être confié (…) ».

La Haute juridiction poursuit en énonçant qu’ aux termes de l’article 375-7, alinéa 4, du même code, s’il a été nécessaire de confier l’enfant à une personne ou un établissement, ses parents conservent un droit de correspondance ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement. Le juge en fixe les modalités et peut, si l’intérêt de l’enfant l’exige, décider que l’exercice de ces droits, ou de l’un d’eux, est provisoirement suspendu. Il peut également, par décision spécialement motivée, imposer que le droit de visite du ou des parents ne peut être exercé qu’en présence d’un tiers qu’il désigne lorsque l’enfant est confié à une personne ou qui est désigné par l’établissement ou le service auquel l’enfant est confié.

Elle mentionne ensuite sa jurisprudence antérieure selon laquelle lorsqu’un fait de nature à entraîner un danger pour l’enfant s’était révélé ou était survenu postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales ayant fixé la résidence habituelle de celui-ci chez l’un des parents et organisé le droit de visite et d’hébergement de l’autre, le juge des enfants, compétent pour tout ce qui concernait l’assistance éducative, pouvait, à ce titre, modifier les modalités d’exercice de ce droit, alors même qu’aucune mesure de placement n’était ordonnée (Civ. 1re, 26 janv. 1994, n° 91-05.083, Bull. civ. I, n° 32 ; D. 1994. 278 image, note M. Huyette image ; RDSS 1995. 179, note F. Monéger image ; 10 juill. 1996, n° 95-05.027, Bull. civ. I, n° 313 ; D. 1996. 205 image ; RTD civ. 1997. 410, obs. J. Hauser image). Ce faisant, le juge des enfants pouvait intervenir sur le « terrain » du juge aux affaires familiales en l’absence de placement de l’enfant. Elle rappelle cependant la limite à ce principe, celui de l’urgence puisqu’en pareil cas, le juge aux affaires familiales peut être saisi en qualité de juge des référés, par les parents ou le ministère public, sur le fondement de l’article 373-2-8 du code civil, en vue d’une modification des modalités d’exercice de l’autorité parentale.

La Cour régulatrice explique par ailleurs qu’en conférant un pouvoir concurrent au juge des enfants, quand l’intervention de celui-ci, provisoire, est par principe limitée aux hypothèses où la modification des modalités d’exercice de l’autorité parentale est insuffisante à mettre fin à une situation de danger, la solution retenue jusqu’alors a favorisé les risques d’instrumentalisation de ce juge par les parties (v. sur ce point, M. Huyette, D. 1994. 278 image). De quels risques s’agit-il ? Sans doute l’arrêt évoque-t-il la tentation, pour certaines parties, de solliciter l’intervention du juge des enfants sur la question de la résidence de l’enfant en appréhendant cette juridiction comme une sorte de voie de secours pour la partie insatisfaite d’une décision rendue par le juge aux affaires familiales.

La Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence sur ce point, en limitant, sur le fondement de l’article 375-7 du code civil, la compétence du juge des enfants, s’agissant de la détermination de la résidence du mineur et du droit de visite et d’hébergement, à l’existence d’une décision de placement ordonnée en application de l’article 375-3 du même code. Ainsi, il a été jugé, en premier lieu, qu’il résulte des articles L. 312-1 et L. 531-3 du code de l’organisation judiciaire, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006, et des articles 373-2-6, 373-2-8, 373-4 et 375-1 du code civil que la compétence du juge des enfants est limitée, en matière civile, aux mesures d’assistance éducative et que le juge aux affaires familiales est seul compétent pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et la résidence de l’enfant, de sorte qu’en cas de non-lieu à assistance éducative, le juge des enfants ne peut remettre l’enfant qu’au parent chez lequel la résidence a été fixée par le juge aux affaires familiales (Civ. 1re, 14 nov. 2007, n° 06-18.104, Bull. civ. I, n° 358 ; D. 2009. 53, obs. M. Douchy-Oudot image ; RTD civ. 2008. 289, obs. J. Hauser image). En second lieu, il a été jugé que le juge aux affaires familiales est compétent pour fixer, dans l’intérêt de l’enfant, les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, sauf à ce que juge des enfants ait ordonné un placement sur le fondement de l’article 375-3 du code civil (Civ. 1re, 9 juin 2010, n° 09-13.390, Bull. civ. I, n° 130 ; D. 2010. 2343 image, note M. Huyette image ; ibid. 2092, chron. N. Auroy et C. Creton image ; ibid. 2011. 1995, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; AJ fam. 2010. 325, obs. E. Durand image ; RTD civ. 2010. 546, obs. J. Hauser image).

La Haute juridiction en conclut qu’il apparaît nécessaire de revenir sur la jurisprudence antérieure et de dire qu’il résulte de la combinaison des articles 375-3 et 375-7, alinéa 4, du code civil que, lorsqu’un juge aux affaires familiales a statué sur la résidence de l’enfant et fixé le droit de visite et d’hébergement de l’autre parent, le juge des enfants, saisi postérieurement à cette décision, ne peut modifier les modalités du droit de visite et d’hébergement décidé par le juge aux affaires familiales qu’à deux conditions :

s’il existe une décision de placement de l’enfant au sens de l’article 375-3, laquelle ne peut conduire le juge des enfants à placer l’enfant chez le parent qui dispose déjà d’une décision du juge aux affaires familiales fixant la résidence de l’enfant à son domicile ; si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s’est révélé postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales.

C’est donc à raison que la cour d’appel a estimé, d’une part, que, le juge aux affaires familiales ayant fixé, lors du jugement de divorce, la résidence habituelle de l’enfant au domicile de son père, le juge des enfants n’avait pas le pouvoir de lui confier l’enfant, l’article 375-3 du code civil, ne visant que « l’autre parent » et, d’autre part, qu’en l’absence de mesure de placement conforme aux dispositions légales, le juge des enfants n’avait pas davantage le pouvoir de statuer sur le droit de visite et d’hébergement du parent chez lequel l’enfant ne résidait pas de manière habituelle. Il s’en déduit que seul le juge aux affaires familiales pouvait en l’occurrence modifier le droit de visite et d’hébergement de la mère de l’enfant.

La solution a le mérite de respecter la lettre des textes cités, en particulier l’article 375-7 du code civil qui conditionne la fixation, par le juge des enfants, du droit de visite et d’hébergement à une mesure de placement. De façon plus générale, la Cour de cassation livre ainsi une solution claire permettant d’appréhender de façon lisible les compétences respectives du juge des enfants et du juge aux affaires familiales s’agissant d’un sujet pour lequel les cours d’appels et les juges de première instance, des enfants notamment, se montraient relativement divisées. En opérant une nette distinction entre les compétences de chacun, la décision rapportée montre que les compétences de ces deux juges ne sont pas concurrentes mais complémentaires.

Vers un renvoi préjudiciel pour mieux dessiner l’office du juge en droit de la consommation

Par deux avis rendus le même jour à propos de deux affaires similaires et pendantes devant la Cour d’appel de Paris, la première chambre civile de la Cour de cassation a pu s’interroger sur les contours de l’office du juge en droit de la consommation. À titre liminaire, notons l’originalité : au lieu de répondre directement aux questions posées, la Cour de cassation est d’avis de renvoyer les interrogations à titre préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par le jeu de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. En ce sens, la procédure d’avis de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire peut avoir des limites notamment quand il est question d’interprétation uniforme de la norme d’origine communautaire. Les deux affaires devant la Cour d’appel de Paris partagent les mêmes traits caractéristiques. Une société consent des prêts personnels remboursables par mensualités le 7 janvier 2011 à une première personne physique (première affaire) ainsi qu’à un couple le 5 novembre 2011 (seconde affaire). La société assigne en paiement les emprunteurs défaillants après des mensualités impayées. En première instance, le juge soulève d’office le moyen visant à annuler le contrat sur le fondement de l’article L. 312-25 du code de la consommation car les fonds auraient été versés moins de sept jours après l’acceptation du prêt. Dans les deux cas, la société de financement interjette appel en arguant que seul le consommateur peut soulever la disposition protectrice prise en vertu d’un ordre public de protection. Elle faisait également valoir la prescription quinquennale de cette demande en vertu de l’article L. 110-4 du code de commerce. Le 14 juin 2021, la Cour d’appel de Paris a indiqué qu’elle comptait solliciter l’avis de la Cour de cassation. Après avoir recueilli les observations des parties, ainsi que l’avis favorable du ministère public, les juges du fond rappellent le principe selon lequel « en application de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation ». C’est dans ce contexte qu’interviennent les deux avis rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 21 octobre 2021.

Pour plus de clarté, voici les deux questions posées par la Cour d’appel de Paris sur le fondement de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire :

« Question n° 1 : Au regard des articles L. 141-4 devenu R. 632-1 du code de la consommation, 6 du code civil, L. 110-4 du code de commerce et de la lecture par la Cour de justice de l’Union européenne de la directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008 relative au rôle du juge dans le respect des dispositions d’un ordre public économique européen, le juge peut-il soulever d’office la nullité d’un contrat de crédit à la consommation, notamment en application de l’article L. 312-25 du code de la consommation, au-delà de l’expiration du délai quinquennal de prescription opposable à une partie ? »

« Question n° 2 : Au regard des articles L. 141-4 devenu R. 632-1 du code de la consommation, 6 du code civil, L. 110-4 du code de commerce, 4 et 5 du code de procédure civile et de la lecture par la Cour de justice de l’Union européenne de la directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008 relative au rôle du juge dans le respect des dispositions d’un ordre public économique européen, le juge peut-il prononcer la nullité d’un contrat de crédit à la consommation, notamment en application de l’article L. 312-25 du code de la consommation, en l’absence de toute demande d’annulation émanant de l’une des parties ? »

La réponse est commune aux deux avis, la Cour de cassation considérant que « les questions doivent être soumises par la juridiction saisie du litige à la Cour de justice de l’Union européenne en application de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ». Il convient ainsi de revenir non seulement sur la confrontation des droits applicables mais également sur l’opportunité du renvoi préjudiciel que pourra réaliser la Cour d’appel de Paris.

Sur la confrontation entre le droit interne et le droit de l’Union

La Cour de cassation commence par rappeler les dispositions en vigueur, permettant utilement de positionner le problème des deux avis dont elle est saisie. La discussion se porte sur une question relative à l’office du juge en matière de nullité d’un contrat de prêt. C’est ainsi que la Cour de cassation rappelle l’article 14 de la directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008 qui institue le délai de rétractation (art. 14) et sa sanction qui doit être « effective, proportionnée et dissuasive » (art. 23). On sait que la jurisprudence interprète de manière très sévère la combinaison de ces deux textes notamment en imposant au juge de relever d’office ce contrôle de l’information du consommateur (CJUE 21 avr. 2016, Radlinger et Radlingerova, aff. C-377/14, cité par les deux avis, n° 4, D. 2016. 1744 image, note H. Aubry image ; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image). Mais c’est surtout le rappel de l’arrêt du 5 mars 2020 qui explique le doute qui a probablement nourri la Cour d’appel de Paris et qui justifie certainement la transmission de ces questions pour avis à la Cour de cassation (CJUE 5 mars 2020, OPR Finance s.r.o, aff. C-679/18, D. 2020. 537 image ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. V. Valette-Ercole image ; ibid. 35, chron. K. De La Asuncion Planes image). En décidant que les mesures protectrices du droit de la consommation doivent être relevées d’office, la CJUE a probablement ouvert une brèche qui sera difficile à contenir sur les pouvoirs d’office du juge. On aurait d’ailleurs pu à ce stade, imaginer une question préjudicielle posée directement, sans passer par la procédure d’avis. Sur le droit national, la Cour de cassation rappelle logiquement les dispositions applicables à la matière transposant la directive précitée en citant par conséquent l’article L. 311-17 ancien puis L. 311-4 devenu L. 312-25 du code de la consommation sur le délai de sept jours rendant impossible toute délivrance des fonds par le prêteur de deniers.

On notera le passage fort procédural du paragraphe 12 (pour l’avis n° 21-70.015) et du paragraphe 11 (pour l’avis n° 21-70.016) qui insiste sur les principes gouvernant la procédure civile en droit français : conduite du procès, principe-dispositif, principe du contradictoire et incidence des moyens relevés d’office qui doivent être présentés aux parties au préalable pour recueillir leurs observations. Cette difficulté concernant les moyens relevés d’office a d’ailleurs fait l’objet d’un arrêt récent publié au très sélectif Rapport annuel de la Cour de cassation que nous avons commenté dans ces colonnes il y a peu (Civ. 2e, 14 oct. 2021, n° 19-11.758 FS-B+R, Dalloz actualité, 20 oct. 2021, obs. C. Hélaine). Tout ceci résulte de la lecture très extensive, au moins depuis l’arrêt Pannon (CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08, D. 2009. 2312 image, note G. Poissonnier image ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero image ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; Rev. prat. rec. 2020. 17, chron. A. Raynouard image ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay image ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais image), de l’office du juge en matière de droit de la consommation (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 474, n° 591). À ce titre, on ne peut que comprendre les juges du fond qui n’hésitent plus à relever d’office les moyens protecteurs en droit de la consommation à la suite de cet enchevêtrement d’arrêts.

Comme le note M. Pellier, il existe une « spécificité du processus contractuel en matière de crédit à la consommation » (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 341, n° 187), spécificité que partage le droit de la consommation dans sa conception de l’office du juge. Le renvoi préjudiciel vise à peut-être clarifier les données du problème en cas de prescription par voie d’action.

Sur l’opportunité d’un renvoi préjudiciel

D’une manière originale, la Cour de cassation ne répond pas aux questions posées par la demande d’avis et opte pour une réponse plus prudente en conseillant un renvoi préjudiciel. Pour en motiver l’intérêt, la Haute juridiction précise qu’en vertu du principe d’effectivité « l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union ne saurait être rendu impossible en pratique ou excessivement difficile par des dispositions nationales et qu’un tel délai n’est pas susceptible de faire obstacle aux pouvoirs conférés au juge afin de protéger le consommateur » (nous soulignons). Voici un semblant de réponse qui pourrait aboutir à justifier la position du premier juge qui s’est affranchi de la prescription de l’action qu’aurait pu utiliser le consommateur dans l’affaire qui lui était soumise. Mais, il faut bien l’avouer, ceci implique de réduire la prescription à peu de choses et à conférer aux moyens soulevés d’office une portée bien plus importante, dépassant encore les jurisprudences récentes sur le sujet. Faut-il franchir ce cap ? Nous pouvons en douter.

L’opportunité d’un renvoi préjudiciel peut interroger, également. N’est-ce pas là ajouter un segment judiciaire supplémentaire pour les plaideurs, lesquels sont pris dans un procès au long cours ayant débuté en 2017 pour un prêt impayé ? N’aurait-il pas été plus simple pour la Cour de cassation de poser directement la question préjudicielle ? Sur le plan du droit, rien ne semble empêcher dans l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire d’opérer de la sorte mais la solution aurait été inédite. La position retenue – celle de laisser la Cour d’appel de Paris renvoyer elle-même la question – a pour mérite de ne pas prendre de risque en laissant faire les juges du fond encore saisis. Le résultat reste, toutefois, assez similaire puisqu’aucune réponse tranchée n’est apportée pour l’heure ni dans l’avis n° 21-70.015, ni dans l’avis n° 21-70.016, en conseillant d’opérer un renvoi préjudiciel. À ce titre, notons le vocabulaire employé en utilisant l’expression « doivent être soumises » (un impératif) et non « devraient être soumises » (un conseil) comme on aurait pu s’y attendre dans une procédure d’avis.

À la différence des avis de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, les arrêts répondant à un renvoi préjudiciel ont une portée plus rigide liant les juridictions nationales par leur interprétation des textes de l’Union. Quelle solution attendre en cas de renvoi effectif devant la CJUE des questions posées ? La réponse est difficile. La Cour de cassation cite à juste titre l’arrêt Asturcom (CJCE 6 oct. 2009, aff. C-40/08, D. 2009. 2548 image ; ibid. 2959, obs. T. Clay image ; ibid. 2010. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay image ; RTD eur. 2010. 113, chron. L. Coutron image ; ibid. 695, chron. C. Aubert de Vincelles image) qui précise que les délais de prescription ne rendent pas impossibles l’exercice des droits conférés par « l’ordre juridique communautaire ». Ceci pourrait signer une réponse négative aux deux questions posées en empêchant le juge de soulever d’office le moyen prescrit pour le consommateur. Toutefois, la prudence ordonne la nuance : la Cour de justice opte pour une lecture extensive de l’office du juge en droit de la consommation rendant la solution complexe à prévoir. Affaire à suivre.  

Précisions sur la mise en œuvre de l’article 815-13 du code civil

par Mélanie Jaoul, Maître de conférences, Université de Montpellierle 7 novembre 2021

Civ. 1re, 20 oct. 2021, FS-B, n° 20-11.921

Les opérations de partage sont toujours un moment délicat où les dissensions latentes entre les indivisaires ont toutes les chances d’éclater au grand jour. C’est malheureusement ce qui est arrivé dans cette affaire, donnant l’occasion à la Cour de cassation de préciser les modalités de mise en œuvre de l’article 815-13 du code civil.

Un couple en concubinage décide d’acheter un immeuble en indivision, chacun pour moitié. Pour financer ce bien, ils souscrivent deux emprunts solidairement ainsi qu’une assurance qui garantissant, en cas d’invalidité, le remboursement de la totalité du prêt restant dû. Le couple se sépare et l’ex-concubin jouit un temps de ce bien. Alors que le bien indivis est vendu et que les ex-concubins en sont à liquider l’indivision, des difficultés surviennent quant à certains aspects financiers. Trois points étaient critiqués par le requérant. Le premier point de contestation tenait à la question de la prise en charge de l’assurance du bien indivis. Monsieur qui s’est acquitté seul des échéances de l’assurance entre janvier 2008 et juin 2014 sollicite leur remboursement au titre de l’article 815-13 du code civil. Il rappelle qu’il s’agit de dépenses de conservation et qu’à ce titre, elles doivent peser sur l’indivision. À l’inverse, le juge aux affaires avait admis l’imputation de ces sommes au passif de l’indivision que sous réserve de la déduction de la part couvrant personnellement l’intéressé. Cette distinction est alors contestée par le requérant. Le deuxième point soulevé par le requérant visait la question du non-paiement d’une partie des mensualités de remboursement d’emprunt par son ex-concubine. En effet, pendant une année...

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Petite brique apportée au Portail du justiciable : deux nouveaux arrêtés

Deux arrêtés du 21 octobre 2021 constituent une « nouvelle étape dans le cheminement à petits pas de la dématérialisation des procédures » et dans le déploiement du Portail du justiciable. Celui-ci est régi par l’article 748-8 du code de procédure civile, issu du décret du 3 mai 2019, dont l’alinéa 4 appelle un arrêté technique (pour l’historique récent et dense de l’art. 748-8 c. pr. civ. ; v. C. Bléry et J.-P. Teboul, Dématérialisation des procédures : saisine d’une juridiction par le Portail du justiciable, Dalloz actualité, 5 mars 2020 ; Adde C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, Nouveau décret de procédure civile : quelques briques pour une juridiction plateforme, Dalloz actualité, 24 mai 2019 ; Communication par voie électronique : publication d’un décret, D. 2019. 1058 image ; C. Bléry, Portail du justiciable : complexité juridique mais faible avancée technique, Dalloz actualité, 17 juill. 2019). Manifestation de la plateformisation de la justice (sur cette dynamique, S. Amrani-Mekki, Les plateformes de résolution en ligne des différend, in X. Delpech, L’émergence d’un droit des plateformes, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2021, p. 189 s. ; T. Douville, Le juge en ligne, in J.-P. Clavier, L’algorithmisation de la justice, Larcier, 2020, p. 123 s. ; plus généralement, F. G’sell, Justice numérique, Dalloz, 2021), il a pour fonction de mettre en relation les justiciables et les juridictions…

Selon une méthode désormais rodée – même si elle ne facilite pas la lecture –, ce sont deux arrêtés qui ont été adoptés le 21 octobre 2021 : l’un est « relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le “Portail du justiciable” », l’autre autorise « la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé “Portail du justiciable” ». Le premier seul est de la procédure civile – de la communication par voie électronique (CPVE) –, le second précise les contours du traitement de données mis en œuvre à partir du Portail du justiciable (il décrit les données pouvant être collectées, les finalités du traitement, la durée de conservation des données…). Ce qui est plus surprenant, sur le plan légistique, c’est que ces deux arrêtés abrogent leurs prédécesseurs des 6 (CPVE) et 28 (traitement de données) mai 2019, déjà consolidés par deux arrêtés (CPVE et traitement) du 18 février 2020. Or, contrairement aux arrêtés de 2020 qui constituaient une vraie réforme des arrêtés de 2019, les arrêtés de 2021 relèvent, à de rares exceptions, du toilettage : en effet, le contenu des textes consolidés est repris presque à la lettre par ceux qui les abrogent. Les deux arrêtés du 21 octobre sont déjà applicables, depuis le 25 octobre, lendemain de leur publication au Journal officiel.

Notons par ailleurs, qu’un autre arrêté concernant un traitement de données avait été adopté cet été (JO 9 juill.), sans « jumeau CPVE », à savoir l’arrêté du 25 juin 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portalis contentieux prud’homal ». Il préparait l’ouverture du Portail au contentieux prud’homal, qui n’est pas encore à l’ordre du jour, sous réserve de quelques expérimentations…

Rappelons que l’article 748-8, dans sa rédaction issue du décret du 3 mai 2019 précité, a constitué une première mise en œuvre concrète de la CPVE version 2, en faisant entrer le Portail du justiciable dans le code de procédure civile et que l’article 748-3, modifié par le même décret, a accueilli la notion de « plateforme d’échanges dématérialisés »

Le Portail du justiciable permet au justiciable, depuis le 21 février 2020, d’adresser des requêtes par voie électronique à certaines juridictions civiles. Ce justiciable pouvait déjà, depuis 2019, bénéficier de la communication des informations relatives à l’état d’avancement des procédures civiles et des avis, convocations et récépissés émis par le greffe, ainsi que de la consultation de son dossier. Depuis 2020, le portail autorise « des flux sortants de la juridiction à destination du justiciable » et « accueille le flux entrant des actes de saisine, que sont les requêtes, soit le flux allant du justiciable vers la juridiction » (C. Bléry et J.-P. Teboul, Dalloz actualité, 5 mars 2020, préc.).

En 2019, mais surtout 2020, « les arrêtés techniques qui mettent en œuvre cette avancée suscit[aient] interrogations et étonnements de la part du processualiste »… (C. Bléry et J.-P. Teboul, Dalloz actualité, 5 mars 2020, préc.). Toutes les questions et hésitations d’alors ne sont pas dissipés par les nouveaux arrêtés. Nous nous intéresserons ici aux évolutions.

Notons que les arrêtés de 2020 prenaient leurs fondements, non seulement dans les dispositions du titre XXI du livre Ier du code de procédure civile, mais aussi dans des articles du code de procédure pénale (dont C. pr. pén., art. 801-1, 803-1, D. 589…), sans que des dispositions techniques régissent concrètement la question. C’est désormais chose faite : les nouveaux arrêtés visent désormais expressément les procédures civile et pénale, renvoient aux articles pertinents des codes de procédure civile et pénale. Le périmètre du Portail du justiciable se trouve fortement étendu, par cette évolution notable. Ainsi, les avis, convocations ou documents adressés par l’autorité judiciaire en matière pénale par tout moyen ou par lettre recommandés peuvent l’être par voie électronique sous réserve du consentement préalable de la personne concernée et du respect de certaines exigences techniques (C. pr. pén., art. 803-1). Remarquons que, si le consentement est une garantie classique contre l’« illectronisme », il est possible de douter qu’elle soit suffisante.

Alors que le Portail du justiciable avait été défini comme « une application fondée sur une communication par voie électronique des informations relatives à l’état d’avancement des procédures civiles utilisant le réseau internet » (Arr. 6 mai 2019, art. 1er, inchangé en 2020), il est désormais qualifié de « service » : c’est un « service fondé sur une communication par voie électronique des informations relatives à l’état d’avancement des procédures civiles et pénales utilisant le réseau internet » (Arr. 21 oct. 2021 [CPVE], art. 1er)… Ce changement porte-t-il à conséquence ? La question se pose d’autant plus que l’article 8 du même arrêté continue à parler d’« application »… et qu’aucun texte ne définit la notion de juridiction plateforme (v. déjà, C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, Dalloz actualité, 24 mai 2019, préc.). Il aurait été cohérent de parler de « téléservice », expression qui désigne un « système d’information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités administratives » (Ord. n° 2005-1516 du 8 déc. 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, art. 1, II, 4°), ici des démarches et des formalités judiciaires. Par ailleurs, le Portail est aussi qualifié de « système d’information fondé sur les procédés techniques d’envoi automatisé de données et d’éditions » (Arr. 6 mai 2019, art. 2, inchangé en 2020 ; Arr. 21 oct. 2021 [CPVE], art. 2) ou encore « un traitement automatisé de données à caractère personnel » (Arr. 28 mai 2019, art. 1er, inchangé en 2020 ; Arr. 21 oct. 2021 [traitement], art. 1er).

Sans changement, le Portail concerne les justiciables des juridictions judiciaires à l’exclusion de ceux des tribunaux de commerce (disposant de leur propre « tribunal digital », v. C. Bléry et T. Douville, Dalloz actualité, 19 avr. 2019) et de la Cour de cassation – le système étant aussi accessible aux greffes. Une amélioration est apportée qui vient de la liste actualisée et précisée des justiciables en question, à savoir ceux du « tribunal judiciaire [et non plus TGI] ou, le cas échéant, de l’une de ses chambres de proximité, d’un tribunal paritaire des baux ruraux, d’un conseil de prud’hommes, ou d’une cour d’appel » (Arr. 21 oct. 2021 [CPVE], art. 1er).

Une autre modification terminologique concerne les flux entrants puisqu’il est désormais précisé que « le “Portail du justiciable” permet également au justiciable de saisir la justice via la requête numérique » (Arr. 21 oct. 2021 [CPVE], art. 1er) : c’est plus précis qu’« adresser une requête à une juridiction », mais ne change rien quant aux actes de procédure que le justiciable peut effectuer grâce à la plateforme. L’article 5 continue d’ailleurs à énoncer sans changement que « le justiciable qui adresse sa requête via le “Portail du justiciable” doit accepter les conditions générales d’utilisation ». En fait, ces requêtes numériques sont loin de concerner toutes les matières, le développement se faisant de manière progressive : aujourd’hui, et sans changement avec les nouveaux arrêtés, la saisine en ligne est limitée à la possibilité de se constituer partie civile, d’adresser une requête au juge des tutelles en cours de mesure de protection par le majeur protégé, une requête au juge des tutelles en cours de mesure de protection par le représentant légal ou une requête au juge aux affaires familiales (L’accès au droit). Nul doute qu’il va s’élargir rapidement. On peut penser aux requêtes en matière de petits litiges, devant le conseil de prud’hommes…

En revanche, tout ce qui était prévu par les arrêtés de 2019 consolidés en 2020, pour les utilités et le fonctionnement du Portail, est reconduit (C. Bléry et J.-P. Teboul, Dalloz actualité, 5 mars 2020, préc.) : ainsi il permet par ex., « la consultation à distance par le justiciable de l’état d’avancement de son affaire judiciaire sur un portail personnel et sécurisé ou l’accès, grâce à une transmission sécurisée sur le portail, à certains documents dématérialisés, relatifs à ces mêmes procédures, tels que des avis, des convocations et des récépissés… » (A. 21 oct. 2021 [traitement de données], art. 1er)…

Arrêté « CPVE »

Les conditions d’inscription, d’acceptation… ne sont pas modifiées pour ce qui est des flux sortants (Arr. 21 oct. 2021 [CPVE], art. 6 et 7). Tout au plus est-il précisé que les courriels, adressés via le Portail du justiciable, « les notifications de mise à jour relatives à l’état d’avancement de la procédure le concernant », sont des « messages automatiques dont les contenus sont de portée générique » (Arr. 21 oct. 2021 [CPVE], art. 8).

Comme déjà dit, « le “Portail du justiciable” permet au justiciable de saisir la justice via la requête numérique » (Arr. 21 oct. 2021, art. 1er). L’alinéa 4 précise toujours ce qu’est cette requête : elle « est composée des informations saisies par le justiciable ainsi que des pièces qu’il souhaite joindre à sa demande » ; l’alinéa 5, quant à lui, en précise les suites : « la réception de la requête génère automatiquement un avis électronique de réception à destination du justiciable. Cet avis contient la date de la saisine, le numéro de la saisine ainsi que la juridiction saisie. Il tient lieu de visa par le greffe au sens de l’article 769 du code de procédure civile ». En 2020, nous nous demandions s’il n’aurait pas été plus cohérent de mentionner le régime général de l’article 748-3, qui a posé le principe d’équivalence pour toutes les juridictions et toutes les procédures (sous réserve qu’un arrêté technique permette la CPVE) – plutôt que l’article 769 spécifique au tribunal judiciaire. C’est pourtant toujours l’article 769 qui est mentionné…

Arrêté « traitement de données »

De son côté, l’arrêté « traitement » vise de nouvelles données. Dans « les catégories d’informations et de données à caractère personnel (qui ne sont plus communes à toutes les procédures) enregistrées dans le traitement », figurent « le statut de la requête : brouillon, échec, envoyée, réceptionnée enregistrée » ou « le numéro de dossier judiciaire, le numéro d’identification permettant la connexion à l’espace personnel » à la place du « numéro d’affaire PORTALIS [et du] le numéro de dossier ». Il est vrai que, en 2020, l’alinéa 4 de l’article 1er de l’arrêté CPVE suscitait une interrogation : il visait le numéro de saisine, alors que l’article 2 de l’arrêté « traitement automatisé » consolidé distinguait « le numéro d’affaire Portalis » et « le numéro de dossier »… Un vocabulaire plus précis nous semblait infiniment souhaitable… le vocabulaire a changé : il n’est pas forcément plus précis.

Surtout les coordonnées plus développées et précises de davantage de personnes sont énumérées.

En revanche « les personnes ou catégories de personnes qui peuvent directement accéder aux données enregistrées dans le traitement » demeurent en l’état : outre les justiciables et les agents du greffe « individuellement désignés et dûment habilités par le directeur de greffe », « les magistrats, individuellement désignés et dûment habilités par le directeur de greffe » (art. 3). En 2020, nous nous demandions comment serait reçu cet article 3 ? Quoi qu’il en ait été, la règle est reconduite…

Par ailleurs, la durée de conservation des données relatives aux requêtes, prévue depuis 2020, diffère de celle relative aux flux sortants, est maintenue (art. 4), ce qui s’explique par la différence de finalités poursuivies.

Enfin l’article 5 de l’arrêté « traitement automatisé de données » s’attache aux droits des personnes concernées en distinguant les flux sortants et entrants. Pour les flux sortants, le droit d’accès s’exerce à travers l’espace personnel sécurisé du justiciable. Le droit de rectification est écarté conformément aux exigences de l’article 23 du RGPD afin de « garantir les procédures judiciaires » ; l’objectif est d’éviter toute modification des données.

Une exception est prévue concernant l’identité et les coordonnées du justiciable, ce droit devant s’exercer auprès du greffe de la juridiction en charge de l’affaire. Pour les flux entrants, les droits précités s’exercent jusqu’à l’envoi de la requête numérique puis sont écartés ; il peut sembler étonnant que le droit d’accès ne soit pas maintenu à travers l’espace personnel sécurisé du justiciable, comme le droit de rectification par l’intermédiaire du greffe de la juridiction. Les autres droits des personnes concernées (limitation, opposition, effacement) sont écartés. Un régime spécifique s’applique par ailleurs aux autres personnes concernées par une requête que celui qui l’a introduite et pour les autres personnes concernées par une consultation à distance de l’état d’avancement d’une affaire.

En définitive, ces deux arrêtés étendent le périmètre du Portail du justiciable aux procédures pénales tout en conservant la même architecture d’ensemble. Il reste à espérer l’avènement de dispositions générales consacrées à la procédure numérique afin d’éviter la combinaison délicate des dispositions des codes de procédure civile et pénale et des arrêtés techniques et concernant les traitements de données. La légistique à petits pas est troublante, peu rassurante et très lisible, pour celui qui doit appliquer des règles mouvantes…

Les avocats protestent et l’audience passe !

Le mouvement de grève d’un barreau permet-il de juger un individu qui ne bénéficie pas de l’assistance d’un avocat alors qu’il a pourtant demander à être assisté d’un conseil ?

Telle était la question à laquelle a répondu la première chambre civile dans un arrêt du 13 octobre 2021.

Alors qu’un individu avait été placé en rétention administrative, en exécution d’un arrêté d’expulsion, il avait saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de contester la décision de placement en rétention, ce à quoi le préfet avait riposté en demandant de prolongation de la mesure. Appel de l’ordonnance avait été interjeté devant le premier président de la cour d’appel de Paris, lequel devait statuer dans les quarante-huit heures de sa saisine, en application des articles L. 552-9 et R. 552-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (jusqu’à son abrogation du décr. n° 2020-1734 du 16 déc. 2020).

Malheureusement, au jour de l’audience, le barreau parisien avait décidé d’un mouvement de grève, si bien que, malgré toutes les demandes de la personne retenue, aucun avocat n’a pu lui être trouvé. Parce qu’un jugement devait être rendu dans un délai bref, le premier président a néanmoins statué sur le fond et ordonné la prolongation de la durée de rétention. Sa décision n’a pas manqué d’être contestée par la personne retenue qui a formé un pourvoi en cassation. Elle faisait valoir devant la Haute juridiction qu’aucune circonstance insurmontable à l’assistance d’un avocat n’était caractérisée en l’espèce, alors que le délai dont disposait le premier président pour se prononcer n’expirait que le lendemain du jour où il avait entendu les parties à 12h45 ; en somme, sans contester le fait qu’un mouvement de grève du barreau puisse parfois constituer une circonstance insurmontable, le pourvoi reprochait au premier président de ne pas avoir attendu quelques heures de plus, heures qui auraient peut-être permis au retenu de bénéficier de l’assistance d’un avocat.

Le pourvoi est cependant rejeté par la première chambre civile de la Cour de cassation qui raisonne en deux temps. D’une part, elle souligne qu’ayant relevé l’existence d’un mouvement de grève du barreau et que la procédure répondait à un bref délai, le premier président en avait déduit « à bon droit » qu’il existait un « obstacle insurmontable à l’assistance d’un conseil ». D’autre part, parce qu’aucun renvoi à une audience ultérieure ne lui était demandé, le premier président n’avait pas à s’interroger spontanément sur l’opportunité ou la possibilité d’un tel renvoi.

La procédure d’appel d’une ordonnance du juge des libertés et de la détention relative au placement en rétention et à la prolongation de la durée de rétention est animée d’un souci de célérité : l’appel doit en principe être exercé dans les vingt-quatre heures du prononcé de l’ordonnance (CESEDA, art. R. 552-12) et le premier président de la cour d’appel (ou son délégué) doit statuer au fond dans les quarante-huit heures de sa saisine (CESEDA, art. L. 552-9 et R. 552-15). À l’expiration de ce délai de quarante-huit heures, qui n’est susceptible ni de suspension ni d’interruption, le premier président est dessaisi de plein droit (Civ. 1re, 5 nov. 2014, n° 13-23.063, inédit). La Cour de cassation entend appliquer strictement ce délai puisque, contre l’avis de son avocat général, elle a jugé que devait être dessaisi le premier président alors même que le délai n’avait expiré qu’en raison du comportement de l’avocat du retenu qui, selon le magistrat, avait fait en sorte que le délai de quarante-huit heures expire sans qu’une décision puisse être rendue (Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 09-12.367, Bull. civ. I, n° 191 ; D. 2010. 2550 image, avis D. Sarcelet image ; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot image).

Quarante-huit heures ! Voilà un délai extrêmement bref pour permettre d’assurer sainement le jeu du principe du contradictoire !

Certes, ce délai n’est susceptible ni d’interruption ni de suspension, si bien que le premier président excéderait ses pouvoirs si, de sa propre initiative, il radiait l’affaire du rôle parce que la personne retenue ne s’est pas présentée (Civ. 2e, 23 janv. 2003, n° 01-50.022, Bull. civ. II, n° 12 ; 29 nov. 2001, n° 00-50.099, Bull. civ. II, n° 178). Pour autant, dans ce délai de quarante-huit heures, le magistrat est parfois tenu de convoquer à nouveau la personne retenue qui n’a pu se présenter à la date et à l’heure de l’audience. La Cour de cassation l’a expressément jugé dans un cas où l’intéressé avait demandé à être entendu, mais n’avait pu se présenter malgré les instructions données au centre de rétention (Civ. 1re, 20 juin 2006, n° 05-18.776, Bull. civ. I, n° 320) et dans une hypothèse, assez similaire, où la personne était demeurée retenue au tribunal administratif (pour une durée dont le magistrat n’avait pu avoir connaissance), ce qui l’avait empêchée de se présenter à l’audience prévue (Civ. 1re, 2 déc. 2015, n° 14-26.835, Bull. civ. I, n° 304 ; D. 2015. 2564 image ; ibid. 2016. 336, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot image).

De ces quelques arrêts pouvait naître l’idée que le juge doit au mieux maitriser le délai de quarante-huit heures dont il dispose pour assurer le respect du principe du contradictoire, si bien qu’en cas de grève du barreau, il aurait dû tenter de renvoyer l’audience pour permettre à un éventuel avocat d’assister la personne retenue. C’est dans cette voie que s’était engagé le pourvoi en s’appuyant notamment l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux et l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (sans doute car l’art. 6, § 1, est inapplicable litiges concernant l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, Civ. 1re, 17 oct. 2019, n° 18-24.043, à paraître au Bulletin ; D. 2019. 2041 image ; ibid. 2020. 298, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot image). La Cour de cassation n’a cependant pas fait droit à l’argumentation du pourvoi : selon elle, le mouvement de grève du barreau constituait une circonstance insurmontable à l’assistance d’un conseil dès lors que le juge devait statuer dans un délai bref, ce qui avait déjà été jugé, en des termes presque identiques, en matière d’hospitalisation sans consentement (Civ. 1re, 13 sept. 2017, n° 16-22.819, Bull. civ. I, n° 190 ; D. 2017. 1837 image ; D. avocats 2017. 362, obs. G. Royer image ; v. égal. à propos du mouvement de grève des avocats et l’existence d’une circonstance insurmontable, Crim. 9 févr. 2016, n° 15-84.277, Bull. crim. n° 33). Il y a d’ailleurs lieu d’observer qu’un raisonnement analogue a été tenu par de nombreuses juridictions du fond (Paris, 25 janv. 2020, n° 20/00413 ; Aix-en-Provence, 15 janv. 2020, n° 20/00047), parfois même en dépit des demandes de renvoi formulées par un représentant du bâtonnier (Toulouse, 30 janv. 2020, n° 20/00086).

Certes, ce n’est pas la même chose de ne pas entendre la personne retenue, qui en a fait pourtant la demande, parce qu’elle est précisément… retenue par un (autre) service administratif et de lui refuser un conseil car l’ordre des avocats est en plein mouvement de grève. On ne peut ici mieux faire que de reprendre la formule d’une déléguée du premier président de la cour d’appel de Rouen : « ce mouvement collectif, non imputable à l’autorité judiciaire ni à l’Administration, ne peut faire échec à l’application de la loi sur les étrangers qui impose au juge de statuer dans des délais qui ne permettent pas le renvoi à une date ultérieure » (Rouen, 18 févr. 2020, n° 20/00840).

On pourrait cependant opposer à ce point de vue que l’avocat est également un auxiliaire de justice et son assistance paraît fondamentale s’agissant d’une personne étrangère qui, au-delà de l’éventuelle barrière de la langue (compensée par un interprète), ignore largement les méandres de la procédure française et n’est donc pas toujours en mesure de « présenter ses arguments de manière adéquate et satisfaisante » pour reprendre les termes du fameux arrêt Airey c/ Irlande (CEDH 9 oct. 1979, n° 6289/73, Airey c/ Irlande, n° 24, même si l’art. 6, § 1, n’est pas applicable en notre matière).

Mais il n’est pas certain qu’il existe une meilleure voie si l’on souhaite à tout prix que le juge statue dans le délai de quarante-huit heures. Certes, le juge peut toujours renvoyer l’examen de l’affaire à une audience devant se dérouler juste avant que le délai de quarante-huit heures expire… La Cour de cassation suggère même dans son arrêt qu’il puisse être saisi d’une demande en ce sens ; même si on peut douter que le retenu, sans l’assistance d’un conseil puisse formuler une telle demande, rien n’interdit au juge de l’inviter à y procéder. De là à imposer systématiquement que le juge renvoie toutes les affaires pendantes à l’extrême limite du délai de quarante-huit heures pour le cas où la grève aurait pris fin, il y a un pas qu’il ne faut sans doute pas franchir. Car cela reviendrait finalement à exiger des juridictions qu’elles statuent en quelques heures (voire demi-heures) sur ces demandes, ce qui pourrait nuire à ce que la justice soit correctement rendue (y compris au détriment de la personne retenue). C’est en réalité le délai de quarante-huit heures qu’il conviendrait d’assouplir, mais la refonte récente du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’en pas été l’occasion (CESEDA, art. R. 743-19)…

Quoi qu’il en soit, il convient de relever que la Cour de cassation a pris le soin de relever qu’il devait en l’espèce être statué dans un délai bref : c’est cette nécessité combinée au mouvement de grève du barreau qui justifie de retenir l’existence d’une circonstance insurmontable permettant d’écarter la demande d’être assisté d’un avocat. Cette solution a bien évidemment vocation à être transposée aux autres affaires où la loi exige du juge qu’il statue dans un délai très bref, ce qui soulève bien évidemment le problème de fixer un curseur adéquat (quelques jours, quelques semaines)… Elle pourrait éventuellement être étendue aux cas où factuellement une intervention urgente du juge s’impose à la condition toutefois que le juge motive cette urgence (on songe ici à des affaires instruites en référé, par exemple, lorsqu’il est demandé au juge de faire cesser un trouble manifestement illicite). En revanche, écarter le droit à l’assistance d’un avocat dans les affaires « courantes » ne serait pas justifié ; en ce cas, le respect des droits de la défense imposerait d’ordonner un renvoi d’audience…

L’impossible action directe en assurance de non-représentation des fonds

M. Mariani, un administrateur judiciaire défaillant, fait à nouveau couler beaucoup d’encre (par ex. multi, L. Leroux, Aix : sept ans de prison pour Guy Mariani. L’ex-administrateur judiciaire est reconnu coupable du détournement de sommes colossales, La Provence.com, 9 sept. 2011) depuis quelques mois, les suites de ses pratiques « professionnelles » et financières venant de faire l’objet d’une énième décision devant la Cour de cassation. Après l’arrêt de la deuxième chambre civile du 17 décembre 2020 qui portait déjà sur les conséquences de certains de ses détournements de fonds avec d’autres sociétés – pour des sommes importantes (20 215 996 francs ou 3 081 908,72 € dans cette affaire) –, et sur une question technique de l’assurance pour compte souscrite par la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (R. Bigot, Assurance pour compte : application de l’article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances, sous Civ. 2e, 17 déc. 2020, n° 19-19.272 FS-P+I, Dalloz actualité, 12 janv. 2021 ; D. 2021. 7 image ; ibid. 491, chron. G. Guého, O. Talabardon, S. Lemoine, E. de Leiris, S. Le Fischer et T. Gauthier image), est dernièrement tombé, pour des fonds « disparus » dans le cadre de mandats distincts, un autre arrêt le concernant, du 14 octobre 2021, et qui pose désormais la question du jeu de l’action directe dans cette assurance de non-représentation des fonds (n° 19-24.728).

En l’espèce, à l’origine de cette dernière affaire, l’administrateur judiciaire a été désigné par jugement du 4 octobre 1998 en qualité de commissaire à l’exécution d’une mesure de concordat concernant deux sociétés, placées en règlement judiciaire. L’administrateur judiciaire a été mis en examen par un juge d’instruction. L’administrateur provisoire (M. Gillibert) de l’étude Mariani a déclaré le 5 novembre 1998 à la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (la Caisse de garantie) un sinistre résultant de la non-représentation de fonds pour un montant provisoire. La Caisse de garantie a ensuite régularisé une déclaration de sinistre globale auprès de la société Axa courtage, son assureur de première ligne, et de la société AGF, aux droits de laquelle se trouve la société Allianz, son assureur de seconde ligne.

Une expertise a été ordonnée en référé en vue de déterminer la nature et l’étendue des prélèvements effectués par l’administrateur judiciaire concernant notamment les sociétés placées en règlement judiciaire. Les 13 et 15 mai 2015, l’administrateur provisoire désigné en qualité de commissaire à l’exécution du concordat desdites sociétés, a assigné, ès qualités, la Caisse de garantie et la société Allianz en garantie de la non-représentation des fonds exigibles de M. Mariani. Le 11 mars 2016, la société Gillibert et associés, ès qualités, est intervenue à l’instance aux lieu et place de M. Gillibert (l’administrateur provisoire).

Les fondements légaux de la solution

Par un arrêt en date du 24 septembre 2019, la cour d’appel condamne la société d’assurance à verser à la société de l’administrateur provisoire ès qualités la somme de 1 089 174,75 €. La cour d’appel juge que la société d’assurance est tenue dans les termes et limites de la police d’assurance n° 65 062 682 au titre de la non-représentation de fonds imputable à l’administrateur judiciaire défaillant. L’arrêt rappelle les dispositions de l’article L. 814-4 du code de commerce instituant l’obligation pour chaque administrateur judiciaire ainsi que pour chaque mandataire judiciaire inscrit sur les listes de s’assurer contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourue par les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires, du fait de leurs négligences ou de leurs fautes ou de celles de leurs préposés, commises dans l’exercice de leurs mandats (Paris, 24 sept. 2019).

L’article L. 814-3 du code de commerce et l’objet de l’assurance

L’arrêt d’appel ajoute que le contrat d’assurance souscrit par la Caisse de garantie a vocation à couvrir les dommages causés par les agissements pénalement réprimés de M. Mariani dans l’exercice de ses fonctions et que bien que l’action dirigée contre elle soit soumise à un régime probatoire plus favorable puisque sa garantie joue sur la seule justification de la non-représentation des fonds en application du 6e alinéa de l’article L. 814-3 du code de commerce, il n’en demeure pas moins que l’action de la société Gillibert ès qualités s’analyse en une action directe de la victime contre l’assureur. L’arrêt en déduit que, compte tenu de l’objet de la police d’assurance en cause, l’irrecevabilité soulevée par la société d’assurance concernant l’action directe de la société Gillibert doit être écartée, cette faculté étant expressément prévue par l’article L. 124-3 du code des assurances (Paris, 24 sept. 2019).

La société d’assurance de seconde ligne réalise un pourvoi en cassation aux termes duquel elle soutient que « que l’action directe ne peut être exercée qu’à l’encontre de l’assureur de responsabilité de l’auteur du dommage ; que la non-représentation des fonds à un créancier, au sens de l’article L. 814-3 du code de commerce, doit être garantie par la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, laquelle peut s’assurer jusqu’à hauteur de 80 % contre ce risque ; que cette assurance s’analyse en une assurance de dommages et non une assurance de responsabilité ; que seule la Caisse de garantie peut en bénéficier ; qu’en l’espèce, la société Allianz faisait valoir que la société Gillibert ès qualités ne disposait d’aucune action directe à son encontre au titre de la non-représentation de fonds imputable à M. Mariani, dès lors que l’assurance de non-représentation sur le fondement de laquelle la société demandait sa condamnation était une assurance de dommages souscrite par la Caisse de garantie, et non une assurance de responsabilité ; qu’en décidant que l’action de la société Gillibert s’analysait en une action directe de la victime contre l’assureur et que le contrat d’assurance souscrit par la Caisse de garantie avait vocation à couvrir les dommages causés par les agissements pénalement réprimés de M. Mariani dans l’exercice de ses fonctions, peu important le régime probatoire de cette action, ce dont elle a déduit que cette action était recevable, la cour d’appel a violé les articles L. 814-3 du code de commerce et L. 124-3 du code des assurances ».

Par un arrêt rendu le 14 octobre 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation suit la demanderesse au pourvoi et censure la cour d’appel au visa de l’article L. 814-3 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, applicable à la cause, et de l’article L. 124-3 du code des assurances.

L’article L. 124-3 du code des assurances et l’action directe en assurance de responsabilité civile

La Cour de cassation rappelle qu’« aux termes du premier texte, une caisse dotée de la personnalité civile et gérée par les cotisants a pour objet de garantir le remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus ou gérés par chaque administrateur judiciaire et par chaque mandataire judiciaire inscrits sur les listes, à l’occasion des opérations dont ils sont chargés à raison de leurs fonctions. La garantie de la caisse joue sans que puisse être opposé aux créanciers le bénéfice de discussion prévu à l’article 2298 du code civil et sur la seule justification de l’exigibilité de la créance et de la non-représentation des fonds par l’administrateur judiciaire ou le mandataire judiciaire inscrits sur les listes. La caisse est tenue de s’assurer contre les risques résultant pour elle de l’application du code de commerce » (Civ. 2e, 14 oct. 2020, n° 19-24.728 F-P, pt 7).

Il en résulte, selon la Haute juridiction, que l’assurance ainsi souscrite par la Caisse de garantie est une assurance de chose contre le risque de perte financière pouvant découler pour elle de la mobilisation de sa garantie au titre de la non-représentation de fonds par ses cotisants (pt 8). En effet, pour le parallélisme des formes, les agréments administratifs des entreprises d’assurance se font par branche. Selon l’article R. 321-1 du code des assurances, la branche 13 est celle de la responsabilité civile générale, la branche 15 porte sur la caution et la branche 16 est relative aux pertes pécuniaires diverses.

La Cour de cassation ajoute qu’aux termes du second texte, le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable (pt 9).

Les magistrats du Quai de l’horloge en concluent que la cour d’appel a violé les articles L. 814-3 du code de commerce et L. 124-3 du code des assurances en statuant comme elle l’avait fait, alors que « l’assurance souscrite pour elle-même par la Caisse de garantie au titre de sa garantie de non-représentation des fonds, contrairement à celle souscrite par son intermédiaire par ses cotisants en application de l’article L. 814-4 du code de commerce, n’est pas une assurance de responsabilité et n’ouvre pas, dès lors, aux créanciers auxquels des fonds n’ont pas été représentés une action directe contre l’assureur de la Caisse de garantie » (pt 12). Pour déterminer le jeu de l’action directe, la distinction des contrats à objet différent, et de l’assuré, est ainsi primordiale.

L’explication de la solution

La jurisprudence « a, depuis longtemps, reconnu une action directe au profit des victimes contre l’assureur du responsable (Civ. 14 juin 1926, S. 1927. I. 57, note L. Josserand), et ce en dépit de l’absence de tout fondement légal. Il s’agit du droit donné à la victime d’agir directement contre l’assureur du responsable de son préjudice (C. Jamin, La notion d’action directe, LGDJ, 1991, n° 843). L’action directe a été consacrée par la loi du 17 décembre 2007, venant compléter l’article L. 124-3 du code des assurances d’un nouvel alinéa : « Le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable. Celui-ci donne aux victimes un droit propre doté de la force de l’ordre public » (Y. Avril et A. Cayol, Les aspects processuels en assurance de responsabilité, in R. Bigot et A. Cayol, Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 274).

L’action directe non étendue aux assurances de choses

Il est vrai que classiquement, l’unique terrain de jeu de l’action directe de la victime contre l’assureur est celui de l’assurance de responsabilité civile (pour une analyse approfondie, v. D. Noguéro, Aspects de l’action directe en droit français des assurances de responsabilité, in Dimensiones y desafíos del seguro de responsabilidad civil, éd. Thomson Reuters, Civitas, Espagne, Abel B. Veiga Copo [dir.], Miguel Martínez Muñoz [coord.], 2021, Capítulo 24, p. 703). Si l’action directe est réservée à la victime (ou à ses héritiers après son décès) et aux personnes subrogées dans ses droits, elle peut parfaitement être exercée, par exemple, par le liquidateur d’une société. La Cour de cassation a ainsi jugé, dernièrement, qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit au liquidateur de joindre, dans la même instance, à sa demande de condamnation du dirigeant, celle de l’assureur en exerçant contre ce dernier une action directe. En effet, « comme le souligne la chambre commerciale, le liquidateur avait, en l’espèce, « agi en qualité d’organe de chacune des procédures et en représentation de l’intérêt collectif des créanciers aux fins de réparation de leur préjudice et non en représentation des sociétés et pour leur compte » (R. Bigot et A. Cayol, Paiement de l’insuffisance d’actif : action directe du liquidateur contre l’assureur du dirigeant, sous Com. 10 mars 2021, nos 19-12.825 et 19-17.066 F-P, Dalloz actualité, 2 avr. 2021).

Au contraire, une telle action – dont les contours suscitent un contentieux important (v. la première partie relative à l’actualité de l’action directe, R. Bigot et A. Cayol [dir.], Chronique de droit des assurances, Lexbase, Hebdo édition privée n° 874 du 22 juill. 2021) – n’est pas ouverte aux autres assurances de dommages, celles dites de biens ou de choses. En d’autres termes, les assurances de choses ne permettent pas l’action directe du tiers lésé (Civ. 1re, 7 juill. 1993, RGAT 1994. 91, note A. Favre-Rochex). Ainsi, par exemple, l’assurance dommages ouvrage n’est pas éligible à un tel mécanisme (Civ. 3e, 8 juill. 2014, n° 13-18.763 ; comp. Civ. 3e, 10 févr. 2009, n° 07-21.170 ; Civ. 1re, 13 nov. 1996, n° 94-10.031, D. 1996. 265 image).

Dans l’affaire jugée le 14 octobre 2021, « l’action directe de l’administrateur judiciaire en tant que tiers lésé aurait sans doute eu plus de chance d’aboutir s’il avait revendiqué la mise en œuvre à son profit de l’assurance de responsabilité civile souscrite en application de l’article L. 814-4 du code de commerce » (J. Landel, L’action directe du tiers lésé n’est admise qu’en assurance de responsabilité civile, Éditions Législatives, 20 oct. 2021). La doctrine considère par ailleurs qu’« il n’est pas impossible qu’à l’occasion d’un sinistre, une personne puisse agir contre l’assureur en une double qualité : celle d’assuré pour compte (assurance de chose souscrite à son profit) et celle de tiers lésé (assurance de responsabilité souscrite par l’auteur du dommage) » (Le Lamy Assurances, 2021, n° 36).

À plus forte raison, la question demeurait ouverte pour la forme particulière d’assurances collectives de dommages auxquelles appartiennent les assurances de détournement de fonds dont bénéficient les justiciables et la clientèle des différentes grandes professions du droit (R. Bigot, L’indemnisation par l’assurance de responsabilité civile professionnelle. L’exemple des professions du droit et du chiffre, avant-propos H. Slim, préf. David Noguéro, Defrénois, coll. « Doctorat & Notariat », tome 53, 2014, nos 58 s.).

Le doute levé pour l’assurance de non-représentation des fonds souscrite par la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires

La Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires a pour rôle de garantir la représentation des fonds gérés par chacun de ces professionnels du droit inscrits sur les listes nationales. À cet effet, elle est tenue de souscrire les assurances nécessaires (C. com., art. L. 814-3 ; mod. par ord. n° 2019-964 du 18 sept. 2019) – dites aussi de non-représentation des fonds (NRF) – prenant la forme d’assurances pour le compte de qui il appartiendra ou de procéder, aux termes d’un dispositif légal de solidarité interne, à des appels de fonds auprès de ces auxiliaires de justice qui abonderont pour régler la défaillance de leur confrère (H. Slim, Les garanties d’indemnisation, in La responsabilité liée aux activités juridiques, Bruylant, 2016, p. 191 s., spéc. n° 23). Articulé avec l’article L. 814-4 du code de commerce, il revient encore à la Caisse de garantie de souscrire un contrat d’assurance collective responsabilité civile – à adhésion obligatoire – pour couvrir les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que tous ces professionnels qui y cotisent encourent dans l’exercice de leurs mandats (H. Slim, La responsabilité professionnelle des administrateurs et liquidateurs judiciaires, Litec, LexisNexis, 2002, p. 3 s.) avec, selon l’article R. 814-23 du même code, « une garantie minimale de 800 000 € par sinistre et par an pour chaque personne assurée » (R. Bigot, Assurance pour compte : application de l’article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances, sous Civ. 2e, 17 déc. 2020, n° 19-19.272 FS-P+I, Dalloz actualité, 12 janv. 2021 ; D. 2021. 7 image ; ibid. 491, chron. G. Guého, O. Talabardon, S. Lemoine, E. de Leiris, S. Le Fischer et T. Gauthier image).

L’assurance de non-représentation des fonds correspond à une figure d’assurance spéciale, principalement assimilée à une assurance pour compte (S. Cabrillac, Les garanties financières professionnelles, préf. P. Pétel, th. Litec, 2000, nos 411 s. ; Contra pour un cautionnement, P. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, préf. M. Grimaldi, th. Paris II, éd. Panthéon Assas, 2005, p. 190, n° 225 ; ou une garantie indemnitaire, I. Riassetto, Réflexions sur la nature juridique des garanties professionnelles, LPA 16 déc. 1996, p. 4 s.). Dans la pratique, l’assurance de non-représentation des fonds est parfois nommée « assurance insolvabilité » ou « assurance de responsabilité pécuniaire », cette dernière dénomination pouvant créer une certaine confusion pour le jeu de l’action directe.

Mais la Caisse de garantie, dotée de la personnalité civile et gérée par les cotisants (C. com., art. L. 814-3) est bien la souscriptrice de l’assurance collective pour le compte de qui il appartiendra. Ce mécanisme contractuel donnera la qualité d’assuré pour compte à toute victime potentielle d’un des membres de la profession défaillant ou son représentant (en l’espèce l’administrateur provisoire ès qualité). À ce titre, cette assurance est fondée sur une stipulation pour autrui (comp. pour les avocats, R. Bigot et M.-J. Loyer-Lemercier, Les conditions de l’assurance de non-représentation des fonds par l’avocat, sous Civ. 1re, 8 sept. 2021, n° 19-25.760, Lexbase avocats n° 318 du 7 oct. 2021). Rappelons en effet que l’assurance peut être « contractée pour le compte de qui il appartiendra. La clause vaut, tant comme assurance au profit du souscripteur du contrat que comme stipulation pour autrui au profit du bénéficiaire connu ou éventuel de ladite clause ». Ainsi, « l’assuré pour compte peut être connu au moment de la souscription. Il peut être ou non nominativement désigné. Mais il est tout aussi possible, comme le signale l’article L. 112-1 du code des assurances, de prendre une assurance pour le compte d’une personne dont l’intérêt d’assurance n’existe pas à l’instant de la souscription. Il suffit que l’on rende déterminable cet intérêt et, en conséquence, l’assuré pour compte. […] C’est lors de la mise en jeu de la garantie que l’on constatera que tel intérêt d’assurance est atteint par le sinistre. De façon générale, on parle d’assurance « pour le compte de qui il appartiendra » (Le Lamy Assurances, 2021, n° 36). En d’autres termes, « si le contrat d’assurance est ordinairement conclu, à son profit, par la personne qui se trouve exposée au risque, de sorte que celle-ci cumule les qualités de souscripteur et d’assuré, la police peut également être contractée « pour le compte de qui il appartiendra », comme l’admet l’article L. 112-1 du code des assurances, les parties convenant alors d’attribuer la qualité d’assuré à un tiers au contrat » (M. Asselain, Assurance pour le compte de qui il appartiendra. – Modalités, Assurance - Droit des assurances – Chronique par P.-G. Marly, M. Asselain et M. Leroy, JCP E n° 43-44, 22 oct. 2020, 1413, n° 1).

En définitive, le critère de distinction pour l’action directe tient donc davantage dans l’objet du contrat que son éventuel titulaire. 

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L’Agence de la biomédecine, un modèle original au service de la loi de bioéthique

Découvrir l’intégralité du dossier "La santé" du numéro 2021 de la revue Justice&Cassation.

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La création de l’Agence de la biomédecine s’inscrit dans le mouvement général, particulièrement prononcé dans le secteur de la santé, de créations d’agences ou d’opérateurs auxquels est confiée l’exécution de politiques publiques. L’Agence de la biomédecine (ABM) est issue de l’Établissement français des greffes (EFG), qui avait été institué par la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. La création de l’EFG répondait au besoin d’encadrement et d’accompagnement d’une activité de transplantation sensible, très technique et soumise à de fortes tensions du fait de la rareté des organes disponibles au regard de besoins croissants. Comme pour d’autres agences ou opérateurs, si elle répondait ainsi au souhait de disposer d’une expertise dans un domaine très spécialisé, elle intervenait aussi en réponse à des difficultés, qui avaient pu ébranler la confiance de la population avec des conséquences négatives immédiates sur le don d’organes1.

Les résultats obtenus par l’EFG, comme le besoin d’encadrement et d’accompagnement d’autres activités médicales et scientifiques de pointe et tout aussi sensibles, ont conduit à l’extension de son champ de compétences par la création d’une institution profondément originale, l’ABM. Si l’ABM n’est pas forcément l’agence la plus connue, les liens étroits qu’elle entretient avec la loi de bioéthique, et la révision périodique de celle-ci lui assurent une certaine exposition et renforcent sa spécificité.

L’Agence de la biomédecine, un modèle d’agence sanitaire original

L’ABM, une agence sanitaire à part entière

En créant, avec l’EFG, un établissement public national dédié à la transplantation et en en confiant la direction au professeur Didier Houssin, spécialiste des greffes hépatiques pédiatriques et futur directeur général de la santé, il s’agissait de rétablir un climat de confiance, au sein des établissements de santé et parmi la population, essentiel au bon déroulement de cette activité, et d’œuvrer au développement de celle-ci.

La loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique a substitué à l’EFG l’Agence de la biomédecine, avec un champ de compétences étendu. D’une part, la nouvelle agence intègre l’Association France greffe de moelle, association créée par le professeur Jean Dausset, immunologue français et prix Nobel de médecine2, et donc la gestion du registre français de donneurs de moelle osseuse3. D’autre part, alors qu’initialement avait été envisagée la création d’une Agence de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines, il est décidé de regrouper ces activités au sein d’une « Agence du vivant ».

Concrètement, l’ABM a en charge quatre grands domaines :

le prélèvement et la greffe d’organes et tissus ; le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques – la moelle osseuse ; l’assistance médicale à la procréation ; l’embryologie et la génétique humaines (examen des caractéristiques génétiques, diagnostic prénatal, diagnostic préimplantatoire), y compris la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines.

C’est ce qui lui permet de couvrir aujourd’hui toutes les thérapeutiques utilisant des éléments et produits du corps humain, à l’exception du sang. Ces différents champs de compétence ont en commun de faire appel à une expertise pluridisciplinaire de haut niveau, médicale et scientifique, mais aussi juridique et éthique. Ils partagent aussi le fait d’être d’une grande sensibilité, touchant à la vie, à la mort, à l’intime et à l’humanité, dans leur rapport avec la médecine et la science.

Pour accomplir ses missions, l’Agence emploie environ 250 personnes, dont une cinquantaine en région. Il s’agit donc d’une agence à taille humaine, regroupant des femmes et des hommes ayant un sens aigu de leurs missions et de leurs responsabilités. Elle peut également s’appuyer sur la participation à ses travaux et instances de plus de 400 professionnels de santé, scientifiques et représentants des associations, avec des méthodes de travail participatives, tout en gardant à l’esprit les enjeux éthiques, d’équité et de démocratie sanitaire, ainsi que les impératifs de confiance du public et de la sécurité sanitaire.

L’ABM est une agence sanitaire. À ce titre, elle emprunte un certain nombre de caractéristiques communes à cette catégorie, pour autant qu’elle existe en tant que telle, dont la première d’entre elles est, comme il a été déjà dit, l’expertise.

Régie par les dispositions du chapitre 8 du titre Ier du livre IV de la première partie du code de la santé publique4, cet établissement public est placé sous la tutelle du ministère de la Santé (CSP, art. L. 1418-1). En pratique, cette tutelle est exercée par la direction générale de la santé et donne lieu à la signature d’un contrat d’objectifs et de performance pluriannuel, qui s’articule avec des plans ministériels d’action dans les champs couverts par l’ABM, traductions de leur priorité nationale.

L’Agence dispose toutefois d’une grande autonomie. À cet égard, à la suite des autorités administratives indépendantes, son directeur général a été regardé comme ayant qualité pour représenter l’État devant les juridictions administratives dans les contentieux mettant en cause des décisions qu’il prend au nom de l’État (CE 23 déc. 2014, n° 360958, Agence de biomédecine, Lebon image ; AJDA 2015. 377 image ; D. 2015. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image).

En tant qu’agence sanitaire, l’ABM est classiquement chargée d’encadrer, évaluer et accompagner les activités dont elle a la responsabilité. Elle participe à l’élaboration de la réglementation (par exemple en ayant un pouvoir de proposition ou d’avis en matière d’édiction de règles ou recommandations de bonnes pratiques), délivre des autorisations (notamment, pour les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal ou les protocoles de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines) et dispose d’une inspection spécialisée (CSP, art. L. 1418-2).

Si l’Agence accueille des fonctionnaires ou des praticiens hospitaliers par la voie du détachement ou de la mise à disposition, elle peut, eu égard à la grande technicité et spécificité de ses missions, recourir à des agents contractuels de droit public. Ceux-ci sont régis par un décret commun à plusieurs agences sanitaires, sorte de statut particulier des agences, le décret n° 2003-224 du 7 mars 2003 fixant les règles applicables aux personnels contractuels de droit public recrutés par certains établissements publics intervenant dans le domaine de la santé publique ou de la sécurité sanitaire.

Enfin, l’ABM appartient à ce qu’on appelle le « système d’agences ». À ce titre, son directeur général est membre de droit du Comité d’animation du système d’agences, le CASA5. L’ABM participe également aux réunions de sécurité sanitaire, qui se tiennent tous les mercredis matins, sous la présidence du directeur général de la santé, pour aborder notamment tous les événements sanitaires ayant un certain retentissement (covid, dengue, zika ou l’impact sanitaire de l’ouragan Irma ou des attentats).

Une institution singulière

La principale originalité de l’ABM réside dans le choix fait en France de regrouper les différentes activités dont elle a la charge au sein d’un même établissement public administratif. Ce modèle est unique, en Europe et dans le monde.

Ce caractère inédit reflète l’attachement français à la bioéthique mais aussi la diversité des approches de ces thématiques et de leur organisation dans le monde, y compris au sein de l’Europe. Ce sont des activités peu encadrées à l’international (des principes directeurs de l’OMS sur la transplantation d’organes, de tissus et de cellules, des déclarations de l’UNESCO sans valeur contraignante). Un des rares textes contraignants est la Convention d’Oviedo, que la France a été autorisée à ratifier par la loi de bioéthique de 2011. Mais cette Convention s’inscrit dans le système du Conseil de l’Europe et n’engage pas des pays aussi majeurs que les États-Unis ou la Chine. Les activités elles-mêmes sont organisées de façon très différente selon les pays6. C’est probablement dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation que les différences d’approche sur le fond et en termes d’organisation sont les plus marquées. Dans ce secteur, la structure qui se rapproche le plus de l’ABM est l’HFEA britannique, qui lui est d’ailleurs antérieure (Human Fertilisation and Embryology Authority).

Au-delà de cette originalité fondatrice, l’ABM se distingue par son positionnement, son fonctionnement et son organisation.

Son interlocuteur ministériel privilégié est la direction générale de la santé mais l’ABM travaille étroitement avec la direction générale de l’offre de soins. En effet, une grande part des activités dont elle a la charge se déroule dans les établissements de santé ou est assurée par les professionnels de santé. Eu égard à l’obligation de mobiliser des services et personnels très différents, une ancienne directrice générale de l’Agence répétait souvent que la greffe est le canari de l’hôpital, car de la même façon que le canari prévenait d’un coup de grisou dans la mine, quand la greffe connaît des difficultés dans un établissement donné, c’est souvent révélateur de problèmes plus structurels.

L’ABM a également des relations de travail nourries avec le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Non seulement parce qu’elle intervient dans des domaines donnant lieu à de la recherche de pointe (ce qu’elle encourage en finançant des appels d’offre recherche), mais aussi au titre de la délivrance des autorisations de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Ce positionnement particulier est encore plus vrai à l’égard du Parlement. En effet, la loi confie à l’ABM une mission permanente d’information du Parlement (CSP, art. L. 1418-1) et lui fait obligation de lui présenter son rapport annuel (CSP, art. L. 1418-2). Cette mission d’information est prise très au sérieux par le Parlement, ce qui donne lieu à de nombreuses auditions ou demandes d’information. Certains choix stratégiques ont d’ailleurs pu recevoir une impulsion décisive du Parlement, telle la décision de mettre en œuvre, à côté des prélèvements sur les donneurs d’organes en état de mort encéphalique et sur les donneurs vivants de rein, le protocole de prélèvement dit de « Maastricht 3 », sur les personnes décédées d’un arrêt cardiaque contrôlé, dans le cadre de la législation sur la fin de vie.

Une autre originalité de l’ABM se trouve dans ses missions. D’abord, parce qu’elles sont à la frontière du juridique, du scientifique, du médical et de l’éthique et qu’elles obligent à mobiliser des compétences très diverses et des profils qui n’ont pas forcément l’habitude de cohabiter et de travailler ensemble. Ensuite et surtout, parce que si elle assume les missions habituelles d’une agence sanitaire, l’ABM présente deux particularités.

D’une part, elle exerce des responsabilités opérationnelles. Par exemple, en matière de greffe, elle tient la liste nationale d’attente et le registre national des refus et assure la répartition des greffons. Elle doit à ce titre assurer une continuité de service H24 et 7j/7, accessible sur l’ensemble du territoire et à l’international.
D’autre part, elle a la mission légale de promotion des dons (d’organes, de moelle osseuse et de gamètes). L’inscription dans le modèle français du don éthique, anonyme, gratuit et librement consenti, suppose d’obtenir une adhésion sans faille du grand public et de maintenir sa confiance pour des sujets sensibles mais reposant sur une logique de solidarité. À ce titre, c’est l’ABM qui assure les campagnes nationales de communication sur ces différents dons , en complément des actions menées par les professionnels de santé et les associations.

Enfin, il convient de souligner la particularité tenant à la prise en compte des exigences éthiques, consubstantielle à son existence même.

Par la force des choses, parce que le progrès scientifique doit s’inscrire dans le respect de la dignité humaine, l’éthique irrigue l’ensemble des missions de l’Agence. Cette préoccupation s’est retrouvée dès l’origine dans l’organisation de l’Agence, avec la mise en place d’un organe indépendant et essentiel à son fonctionnement : le conseil d’orientation.

Aux termes de l’article L. 1418-4 du code de la santé publique, ce conseil « veille à la qualité de son expertise médicale et scientifique en prenant en considération des questions éthiques susceptibles d’être soulevées ». Il est composé de membres venant d’horizons différents : parlementaires, membres des juridictions suprêmes, associations, professionnels de santé, représentants des sciences humaines et sociales. C’est en quelque sorte un petit « Comité consultatif national d’éthique » (CCNE), à l’objet spécialisé, qui a pour mission, en intégrant des sensibilités et expériences diverses, d’éclairer le directeur général dans la prise des décisions les plus délicates, comme les autorisations de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, ou de rendre des avis sur des sujets complexes, comme les greffes de visage et d’avant-bras, l’âge de procréer dans l’assistance médicale à la procréation ou les « scores » c’est-à-dire les règles de répartition des greffons8. La présence des parlementaires mérite d’être soulignée car elle permet de faire un lien utile dans la perspective de la révision des lois de bioéthique.

Et c’est d’ailleurs là peut-être la principale particularité de l’ABM, à savoir les liens particulièrement étroits, quasi organiques, qu’elle entretient avec la loi de bioéthique.

L’Agence de la biomédecine et la loi de bioéthique

Une agence créée et régie par la loi de bioéthique et ses révisions

Les questions de bioéthique n’ont évidemment pas attendu les lois de bioéthique pour trouver une traduction législative dans notre droit interne.

C’est ainsi la loi n° 49-890 du 7 juillet 1949, dite « loi Lafay », qui a permis la pratique de la greffe de la cornée grâce à l’aide de donneurs volontaires. De même, le consentement présumé, qui veut que nous soyons tous présumés donneurs d’organes et de tissus sauf si nous avons fait connaître notre refus de notre vivant, est issu de la loi n° 76-1181 du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d’organes, dite « loi Caillavet ».

Dans la période récente, des lois plus « ordinaires » peuvent aussi traiter de questions de bioéthique. Ce fut une proposition de loi qui, en 2013, fit passer la recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires humaines d’un régime d’interdiction avec dérogations à un régime d’autorisation sous conditions. Ce fut un amendement à la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé qui a renforcé le principe du consentement présumé en clarifiant les conditions d’expression du refus.

Quoi qu’il en soit, force est de constater que l’ABM est étroitement liée à la loi de bioéthique, certains y voyant même son « bras armé ». Son prédécesseur, l’EFG, avait été créé par les lois de 1994 et l’ABM par celle de 2004. La loi de 2011, comme le projet de loi en discussion, sont l’occasion de discussions sur la gouvernance et les missions de l’ABM. À chaque révision de la loi de bioéthique, l’ABM se retrouve au cœur des débats, situation assez originale s’il en est.

Et c’est cette même législation qui régit non seulement l’agence, mais aussi les secteurs d’activité médicaux et scientifiques qu’elle régule. Chaque révision conduit ainsi à une évolution des règles de fond, qu’il convient d’ailleurs de lire à la lumière des décisions du Conseil constitutionnel. Il revient à l’Agence de veiller à la bonne application de ces règles et à leur déclinaison. À cet égard, certains sujets sont récurrents (don d’organes, par exemple). Mais les préoccupations peuvent changer au cours du temps. Ainsi, la révision de 2011 a donné lieu à des débats nourris sur la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines, auxquels s’ajoutent, pour la révision en cours, l’assistance médicale à la procréation et la génétique.

De ce fait, l’ABM ne peut évidemment pas se désintéresser des révisions de la loi de bioéthique.

Chaque révision constitue un moment très important de notre vie démocratique car les lois de bioéthique intéressent chacun et traduisent un certain état des équilibres sociaux et des sciences, dans le cadre d’une réflexion éthique permanente. C’est ce qui justifie la méthodologie particulière qui a jusqu’ici présidé à la révision des lois de bioéthique, avec notamment l’organisation d’états généraux.

L’Agence apporte sa contribution à cette réflexion collective, mais dans le cadre de son positionnement institutionnel qui peut ne pas être compris de ceux qui voudraient l’attraire dans le débat public. En tant qu’établissement public sous tutelle, elle n’a pas à prendre parti dans les débats de société. Elle apporte son expertise, au gouvernement et au Parlement, ainsi qu’aux autres acteurs institutionnels associés à la réflexion.

Si l’on prend l’exemple de la révision en cours, l’Agence a été amenée à répondre aux demandes d’information du gouvernement et du Parlement ainsi que du CCNE. Elle a participé à de nombreuses auditions, notamment par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques mais aussi par les commissions des Assemblées ou par le groupe de travail constitué au Conseil d’État en vue de l’étude sur le cadrage juridique préalable au réexamen de la loi relative à la bioéthique.

Surtout, pour éclairer les états généraux et nourrir les discussions et débats, l’Agence avait rendu publics trois documents9:

d’une part, un état de l’encadrement juridique international pour donner un éclairage international ; d’autre part, une actualisation du rapport d’information au Parlement et au gouvernement sur l’état des sciences et des connaissances, ouvrage de veille scientifique ; enfin, un bilan d’application de la loi de bioéthique qui, dans chaque champ de compétence de l’Agence, rappelait le cadre juridique applicable, présentait sa mise en œuvre et proposait quelques pistes de réflexion.

Ce dernier rapport avait ainsi fait ressortir trois grands types de situation :

les questions de société, très présentes dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation (extension de son champ au-delà des strictes indications médicales, autoconservation des gamètes en dehors de la préservation de la fertilité, anonymat des donneurs, AMP post mortem, etc.) ; les questions d’ajustement10, du fait de difficultés de mise en œuvre ou en raison de l’évolution des pratiques médicales ; les questions nées de la généralisation de nouvelles technologies, d’évolution voire de rupture dans les sciences, les connaissances et les techniques. Il suffit de penser à l’édition du génome et la révolution issue de la technologie Crispr-Cas911.

Enfin, l’Agence apporte bien évidemment son concours aux ministres, et à leurs services, lors des débats parlementaires.

Une agence confrontée à la « juridictionnalisation » de la loi de bioéthique

La chose contentieuse n’est pas étrangère à l’Agence de la biomédecine.

Elle peut, à de rares occasions, voir sa responsabilité recherchée, parfois au titre de l’EFG, pour des greffes qui se seraient mal passées ou n’auraient pas donné les résultats espérés des patients. Mais dans la chaîne allant du prélèvement à la greffe, l’essentiel, sur le plan médical, se joue à l’hôpital (v. par ex., CE 27 janv. 2010, n° 313568, Hospices civils de Lyon, Centre hospitalier universitaire de Besançon, Lebon image ; AJDA 2010. 180 image ; D. 2011. 2565, obs. A. Laude image ; RFDA 2011. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier image ; RDSS 2010. 501, note J. Peigné image ; RTD eur. 2010. 975, chron. D. Ritleng, J.-P. Kovar et A. Bouveresse image).

Un des domaines d’élection des contentieux intéressant l’Agence, outre quelques autres plus ponctuels, notamment en matière de diagnostic prénatal12, concerne les autorisations relatives à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, dont la sensibilité est évidente. Cette situation préexistait d’ailleurs à la création de l’Agence (v. pour une décision rendue en référé contre une autorisation ministérielle d’importation de cellules, CE 13 nov. 2002, n° 248310, Association Alliance pour les droits de la vie, Lebon image ; AJDA 2002. 1506 image, concl. D. Chauvaux image ; D. 2003. 89 image, note H. Moutouh image). Mais les possibilités de recherche ouvertes depuis la révision de 2004 ont changé la donne et ont justifié l’apport de précisions par le juge, par exemple sur l’obligation de motivation (CE 23 déc. 2014, n° 360958, Agence de biomédecine, Lebon image ; AJDA 2015. 377 image ; D. 2015. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image), ou sur le cadre réglementaire (CE 8 juin 2016, n° 389450, Fondation Jérôme Lejeune).

Ce domaine contentieux a connu un dynamisme prononcé ces derniers temps, notamment depuis une série de jugements de juin 2015, qui, outre la question désormais classique de savoir si la recherche aurait pu être menée sans recourir à des embryons et des cellules souches embryonnaires humaines, interrogeait les conditions du consentement des personnes dont sont issus les embryons. On n’entrera pas ici dans les détails de cette question complexe. On notera seulement que des éclairages importants ont été apportés par le juge (v. par ex., pour le cas des cellules importées, CE 28 juill. 2017, n° 397413, Fondation Jérôme Lejeune ; pour l’application dans le temps des règles de consentement, CE 28 juill. 2017, n° 397419, Fondation Jérôme Lejeune, Lebon image ; AJDA 2017. 2451 image ; pour les modalités de contrôle par l’ABM, CE, avis, 5 juill. 2019, n° 428838, Fondation Jérôme Lejeune (Sté), Lebon image ; AJDA 2019. 2527 image).

Plus remarquable, des dispositions de principe de la loi de bioéthique donnent désormais lieu à des contentieux, nés de demandes souvent personnelles et pouvant arguer des différences de législations à l’étranger.

C’est particulièrement notable dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation, le juge ayant ainsi été amené à examiner des questions délicates et reposant sur des équilibres sensibles. À l’occasion, ceux-ci peuvent être infléchis par la prise en compte du contrôle de conventionnalité européen qui retient une approche casuistique, alors que la loi de bioéthique raisonne selon des normes éthiques générales et impersonnelles.

L’illustration la plus spectaculaire, en tout cas la plus remarquée et la plus commentée, en est donnée par la décision de l’Assemblée du contentieux du 31 mai 201613, par laquelle le Conseil d’État, à propos de la règle d’interdiction des inséminations post mortem, a jugé que cette règle, dans son principe et son abstraction, était compatible avec les exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales mais a aussi porté une appréciation concrète, au vu des circonstances particulières invoquées par la requérante, des effets de l’application au cas d’espèce de ces dispositions pour y déceler une éventuelle ingérence disproportionnée. Cette dialectique du contrôle abstrait et concret a fait couler beaucoup d’encre. On observera toutefois qu’elle n’a pas été systématisée (CE 28 déc. 2017, n° 396571, Lebon image ; AJDA 2018. 5 image ; ibid. 497 image, chron. S. Roussel et C. Nicolas image ; D. 2018. 528, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 2019. 505, obs. M. Douchy-Oudot image ; AJ fam. 2018. 181, obs. J. Houssier image ; ibid. 68, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RTD civ. 2018. 86, obs. A.-M. Leroyer image, à propos de la règle de l’anonymat absolu des dons de gamètes). Par ailleurs, en pratique, si la solution dégagée fait peser une exigence particulière sur les professionnels de l’assistance médicale à la procréation, a fortiori dans un contexte souvent dramatique, le cas de l’espèce était assez exceptionnel (une ressortissante d’un pays autorisant cette pratique et souhaitant y retourner pour y vivre). Il n’y a quasiment pas eu d’applications positives depuis, notamment pour les ressortissants français n’entretenant aucun lien avec un autre pays européen que la France14. Cette question, comme il fallait s’y attendre, a été largement débattue à l’occasion de la révision en cours de la loi de bioéthique.

En tout cas, dans la période récente, plusieurs règles de principe, auxquelles doit veiller l’ABM, ont été soumises au contrôle du juge (y compris, le cas échéant, européen). C’est l’exemple, indiqué précédemment, de la règle d’anonymat des donneurs de gamètes. C’est aussi le cas de l’interprétation de la notion d’« âge de procréer », qui conditionne l’accès à l’assistance médicale à la procréation (CE 17 avr. 2019, n° 420468, Lebon image ; AJDA 2019. 901 image ; D. 2019. 944 image ; ibid. 2020. 843, obs. RÉGINE image ; AJ fam. 2019. 309, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RTD civ. 2019. 557, obs. A.-M. Leroyer image).

Cette évolution, qui interroge tout autant le rapport entre le législateur et le juge, renforce le rôle de l’ABM dans l’accompagnement des professionnels, peu familiers des prétoires. Le questionnement permanent que cela implique renforce d’ailleurs l’intérêt d’une instance comme le conseil d’orientation, qui permet de mêler tant les expertises scientifiques, juridiques et éthiques que les points de vue.

***

Près de quinze ans après sa création, l’ABM a démontré que son originalité était aussi sa force. Elle a ainsi pu contribuer, en lien avec ses partenaires, à ce que les exigences éthiques prennent toute leur place dans notre système de santé, y compris pour les activités les plus spécialisées et sensibles. Parce qu’elle traite de sujets qui reposent sur des équilibres particuliers et susceptibles d’évoluer, elle doit faire preuve d’anticipation et de capacité d’adaptation, dans le respect de chacun. C’est ainsi que chaque révision de la loi de bioéthique est l’occasion pour elle de se renouveler ; celle en cours n’y fait pas exception.

 

1. Par exemple, l’affaire dite « d’Amiens ». En 1991, un jeune homme était décédé après avoir été renversé par une voiture alors qu’il circulait à vélo. Un prélèvement d’organes avait été réalisé, ce dont les parents avaient été informés, mais ceux-ci avaient découvert que les cornées avaient été également prélevées.
2. On lui doit notamment la découverte du système HLA (Human Leucocyte Antigen), sorte de carte d’identité génétique tissulaire d’un individu, qui va constituer l’un des déterminants de la compatibilité pour une greffe.
3. La greffe de moelle osseuse est le traitement indiqué pour des maladies du sang, par exemple certaines leucémies ou des lymphomes. En théorie, la probabilité que deux individus pris au hasard soient compatibles est d’une chance sur un million (et une chance sur quatre avec un frère ou une sœur). De ce fait, aucun pays n’est autosuffisant. Cette activité repose donc sur l’interconnexion de 73 registres dans le monde.
4. On notera la numérotation particulièrement aisée à retenir qui en découle (1418-XX).
5. V. CSP, art. L. 1411-5-1 et le Décr. n° 2017-1590 du 20 nov. 2017 relatif à la composition et au fonctionnement du Comité d’animation du système d’agences. Placé auprès du ministre chargé de la Santé et présidé par le directeur général de la santé, ce comité assure la coordination de l’exercice des missions des agences intervenant dans le domaine sanitaire et veille à la qualité de leurs interactions et à l’harmonisation de leurs pratiques, dans l’intérêt de la santé publique et de la sécurité sanitaire.
6. V. le rapport de l’ABM sur l’encadrement juridique international dans les différents domaines de la bioéthique, actualisé en 2018 et accessible en ligne.
7. Ce qui peut donner lieu à des recours contentieux (TA Montreuil, 11 mai 2020, Association Juristes pour l’enfance, n° 1811878, à propos de la campagne nationale d’information et de recrutement pour le don d’ovocytes et de spermatozoïdes).
8. Les avis sont en ligne sur le site de l’Agence de la biomédecine.
9. Ces documents sont accessibles sur le site de l’ABM.
10. Par exemple le don croisé d’organes qui peine à se développer alors qu’il constitue une réponse possible pour les patients hyperimmunisés. Il s’agit de permettre à des paires de donneurs/receveurs de rein non compatibles de s’appareiller avec des paires dans la même situation mais compatibles si l’on croise les paires et les individus entre eux. La question posée est celle d’étendre le nombre de paires concernées et de pouvoir amorcer les chaînes, notamment par un donneur décédé, tout en veillant à protéger chacun d’éventuelles pressions ou défections.
11. Cette technologie, souvent qualifiée de « ciseaux moléculaires », permet de modifier de façon ciblée, facile et peu coûteuse l’ADN. Elle vient de valoir le prix Nobel de chimie à la Française Emmanuelle Charpentier et à l’Américaine Jennifer Doudna, qui l’ont découverte.
12. V. par ex., CE 16 déc. 2016, n° 392557, Fondation Jérôme Lejeune, Lebon image ; AJDA 2017. 500 image, à propos des recommandations de bonnes pratiques, ou, CE 17 nov. 2017, n° 401212, Fondation Jérôme Lejeune, AJDA 2018. 428 image ; D. 2018. 1033, obs. B. Fauvarque-Cosson et W. Maxwell image ; JA 2017, n° 570, p. 11, obs. T. Giraud image ; AJ fam. 2017. 615, obs. A. Dionisi-Peyrusse image, concernant les textes organisant le recueil et la transmission d’informations pour les besoins d’évaluation.
13. CE 31 mai 2016, n° 396848, Lebon avec les concl. image ; AJDA 2016. 1092 image ; ibid. 1398 image, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet image ; D. 2016. 1470, obs. M.-C. de Montecler image ; ibid. 1472, note H. Fulchiron image ; ibid. 1477, note B. Haftel image ; ibid. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; ibid. 935, obs. RÉGINE image ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2016. 439, obs. C. Siffrein-Blanc image ; ibid. 360, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RFDA 2016. 740, concl. A. Bretonneau image ; ibid. 754, note P. Delvolvé image ; RTD civ. 2016. 578, obs. P. Deumier image ; ibid. 600, obs. J. Hauser image ; ibid. 802, obs. J.-P. Marguénaud image ; ibid. 834, obs. J. Hauser image ; RTD eur. 2017. 319, obs. D. Ritleng image.
14. À l’exception d’une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rennes, mais contre laquelle les voies de recours n’ont pas été exercées.

 

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De la prescription d’une créance à exécution successive après la mort du débiteur

Les problèmes de prescription des créances à exécution successive sont récurrents devant la première chambre civile de la Cour de cassation. La raison de cette abondance du contentieux tient dans la multiplicité des prêts d’argent, notamment pour l’acquisition de biens immobiliers. Or, les prêteurs de deniers attendent parfois jusqu’au dernier moment pour agir, ce qui induit des discussions autour de la prescription extinctive. L’arrêt rendu le 20 octobre 2021 par la première chambre civile de la Cour de cassation s’inscrit dans la droite lignée de la jurisprudence constante de la Haute juridiction permettant ainsi, au fur et à mesure, l’essor d’un régime complet de la créance à exécution successive. Dans cet arrêt, une précision est apportée lorsque l’emprunteur meurt en cours d’exécution du remboursement du prêt.

Rappelons brièvement les faits de l’arrêt commenté. Par acte authentique du 31 octobre 2006, un établissement bancaire octroie deux prêts en devises à une personne physique. Le 7 mai 2015, l’emprunteur décède. Son assureur prend alors en charge une partie du solde restant dû. L’établissement bancaire a, pour le reste des sommes, mis en demeure les héritiers acceptants du de cujus. Toutefois, la demande reste vaine si bien que la banque prononce la déchéance du terme le 5 décembre 2017, soit deux ans après la mort de son cocontractant ; décision qui précède un commandement de payer aux fins de saisie-vente au début de l’année 2018. Les héritiers du débiteurs assignent alors l’établissement bancaire devant le juge de l’exécution pour obtenir la mainlevée de la saisie et voir l’action en paiement prescrite. Le tribunal d’instance d’Auch a rejeté l’exception de prescription soulevée par les héritiers de l’emprunteur. En appel, les juges du fond déclarent la créance prescrite en prenant comme postulat que la mort avait entraîné l’exigibilité du solde restant dû. La prescription avait pu, pour les juges du fond, commencer à courir à partir de la date à laquelle le créancier avait eu connaissance de l’identité des héritiers de son emprunteur, soit le 2 décembre 2015. Le commandement aux fins de saisie-vente était alors postérieur à l’écoulement du délai de prescription de l’article L. 218-2 du code de la consommation selon la cour d’appel d’Agen. Voici donc l’action en recouvrement de la banque prescrite pour les juges du fond. L’établissement bancaire se pourvoit par conséquent en cassation en arguant d’une interprétation erronée de l’exigibilité du solde restant dû, laquelle n’avait pas de lien avec la mort du débiteur.

Dans sa motivation, la Cour de cassation précise « qu’à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité, y compris en cas de décès de l’emprunteur ». La violation de la loi est alors consommée justifiant une cassation de l’arrêt.

Cette décision est l’occasion d’un rappel connu sur la division de la prescription et d’une précision très intéressante en cas de mort de l’emprunteur sur l’exigibilité des sommes restant dues.

Le rappel d’un principe désormais acquis : la division de la prescription

La Cour de cassation rappelle in extenso son attendu de principe sur la question dont la formulation est héritée d’un revirement de jurisprudence important (Civ. 1re, 11 févr. 2016 (quatre arrêts), nos 14-22.938, 14-27.143, 14.28-383 et 14.29-539, D. 2016. 870 image, note M. Lagelée-Heymann image ; ibid. 2305, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJDI 2016. 445 image, obs. G. Valdelièvre image ; RDI 2016. 269, obs. H. Heugas-Darraspen image ; RTD civ. 2016. 364, obs. H. Barbier image ; sur ce point, F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil - Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 1844, n° 1770). L’état antérieur de la question pouvait donner l’impression d’un certain désordre comme le note un auteur dans sa thèse de doctorat (P.-E. Audit, La « naissance » des créances, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de thèses », vol. 141, 2015, préf. D. Mazeaud, spéc. nos 1 s., p. 1 s.). La solution de 2016 avait alors tranché un vieux problème sur la conception même de l’obligation et notamment des créances à exécution successive : s’agit-il d’une créance unique formant une sorte de continuum (E. Putman, La formation des créances, Aix-en-Provence, thèse, J. Mestre [dir.], 1988, p. 152, n° 138) ou d’une pluralité de créances différenciées (P. Ancel, Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, RTD civ. 1999. 771 image). Le revirement de jurisprudence de 2016 se rapproche plutôt de la seconde théorie : la division de la dette implique une pluralité de délais de prescription débutant à retardement avec chaque exigibilité (sur ce point et sur le débat, C. Hélaine, L’extinction partielle des dettes, thèse, Aix-en-Provence, V. Égéa et E. Putman [dir.], 2019, p. 83 s., nos 69 s.). Le solde restant dû, quant à lui, n’est exigible qu’au moment où la banque prononce la déchéance du terme. La solution est désormais acquise en droit positif. 

Le rappel opéré par la Cour de cassation dans l’arrêt commenté n’est pas le premier, ni probablement le dernier de ces arrêts rappelant plus ou moins utilement l’attendu désormais connu par tous les commentateurs des questions de prescription. Tous les arrêts postérieurs de la Cour de cassation ont rejoint cette ligne directrice (par ex., Civ. 1re, 4 juill. 2019, n° 18-19.135) dont la Haute juridiction ne dévie quasiment jamais. Notons donc utilement que ce n’est pas sur ce point que la cassation intervient. Les juges du fond avaient parfaitement utilisé cette partie de la jurisprudence sur les créances à exécution successive.

La difficulté résidait, en réalité, sur la mort de l’emprunteur et sur l’exigibilité automatique ou non du solde restant dû.

La précision sur l’incidence de la mort du débiteur : du point de départ de la prescription du solde restant dû

Une lecture de l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Agen le 30 septembre 2019 nous permet de comprendre la difficulté : le problème se situe dans la motivation de la décision lorsque les juges du fond estiment que « le décès constitue l’évènement qui rend la créance exigible ». Cette formulation prête nécessairement le flanc à la cassation. Au décès de l’emprunteur, la dette continue d’exister d’abord dans la masse successorale puis dans chaque patrimoine des héritiers acceptant la succession. C’était le cas ici puisque deux héritiers, les parents du de cujus, avaient recueilli les droits de leur fils. La dette est donc passée d’un patrimoine à un autre et, avec elle, ses modalités, ici son terme. La déchéance du terme n’a été prononcée que presque deux ans après, le 5 décembre 2017. Le solde restant dû n’était donc pas exigible, en l’état, jusqu’à cette date. Le raisonnement des juges du fond restait intéressant, sans cette erreur sur l’exigibilité du solde restant dû. Citant un arrêt de 2017 (Civ. 1re, 15 mars 2017, n° 15-27.754), la cour d’appel d’Agen avait estimé que le point de départ de la prescription devait être fixé au moment où les héritiers de l’emprunteur étaient connus par l’établissement bancaire.

Quelle aurait été la démarche pertinente selon la Cour de cassation ? De la lecture de l’arrêt, on comprend qu’il fallait procéder en deux étapes. D’une part, attendre que l’établissement bancaire prononce la déchéance du terme pour que l’exigibilité du solde restant dû soit acquise et que sa prescription puisse commencer à courir. C’est ce qui est arrivé le 5 décembre 2017 d’après les faits. À partir de ce moment-là, deux possibilités : soit l’emprunteur connaît l’identité des héritiers et le délai de deux ans peut commencer à courir, soit l’emprunteur ne connait pas les héritiers et le point de départ de la prescription est différé à cette révélation. Il n’était pas contesté que l’emprunteur ait appris l’identité des héritiers par courrier assez rapidement après le décès de l’emprunteur et même avant la déchéance du terme. La question ne posait donc pas difficulté. Les héritiers ne pouvaient donc pas soulever l’irrecevabilité de l’action en recouvrement. La solution rendue, et l’adaptation de celle-ci avec l’interférence de la mort du débiteur, nous paraît par conséquent plutôt originale car il s’agit de l’une des rares solutions se penchant sur le problème précisément.

Dans sa conception classique, le droit des successions organise une continuité du défunt par les héritiers reprenant l’actif comme le passif en fonction de l’orientation de leur option successorale. À partir de ce moment, c’est à l’emprunteur de réagir rapidement en fonction de la date de déchéance du terme pour agir contre les héritiers. La mort du débiteur n’entraîne pas, par conséquent, l’exigibilité de l’intégralité de la dette. En ce sens, la solution est conforme tant au droit des successions qu’à la théorie générale de l’obligation.

Enlèvement international d’enfant : conditions du retour

Un couple a trois enfants. Après avoir vécu en France, la famille s’établit au Portugal. Quelques mois plus tard, la mère revient s’installer en France avec les enfants, sans l’accord du père.

Ce dernier demande alors le retour des enfants au Portugal, sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et du règlement Bruxelles II bis n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. Le ministère public agit donc en ce sens à l’encontre de la mère, comme le prévoit l’article 1210-4 du code de procédure civile.

Cette affaire soulève la question des conditions du retour des enfants.

Si l’article 12 de la Convention pose le principe du retour immédiat de l’enfant déplacé ou retenu illicitement, l’article 13 prévoit que « l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit : a) que la personne, l’institution ou l’organisme qui avait le soin de la personne de l’enfant n’exerçait pas effectivement le droit de garde à l’époque du déplacement ou du non-retour, ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour ; ou b) qu’il existe un risque...

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[PODCAST] Nouvelle loi de bioéthique, Episode 2 : l’intelligence artificielle fait son entrée

par Orianne Merger, Rédactrice en chef du Dictionnaire Permanent Santé, Bioéthique, Biotechnologies, Editions législativesle 26 octobre 2021

Dans ce deuxième épisode, Margo Bernelin, chargée de recherche au CNRS et membre du laboratoire Droit et changement social de l’université de Nantes, revient sur l’article 17 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 qui introduit dans le droit de la bioéthique la question de l’intelligence artificielle dans le domaine médical.

Ecouter le podcast

Sur la réforme de la loi bioéthique, v. déjà notre dossier « Réforme de la loi de bioéthique ».

Webinaire du 10 décembre sur la nouvelle loi de bioéthique: s’inscrire.

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Booking.com condamné à 1,2 million d’euros

Certaines décisions de première instance défraient la chronique. Après la cagnotte du « boxeur gilet jaune » (TJ Paris, 6 janv. 2021, n° 19/03587, Dalloz actualité, 19 janv. 2021, obs. C. Hélaine), le tribunal judiciaire de Paris rend un nouveau jugement très médiatique le 18 octobre 2021 avec la décision Ville de Paris c/ Booking.com, en l’accompagnant d’un communiqué de presse. La condamnation prononcée contre le géant du e-commerce de tourisme, 1,2 million d’euros, permet d’assujettir les grands comme les petits opérateurs de ce secteur aux règles applicables en matière de meublés de tourisme. Le jugement rendu selon la procédure accélérée au fond le 18 octobre 2021, long de dix-huit pages, explique de manière pédagogique et claire les différents enjeux de la question en répondant à une défense intéressante présentée par la société Booking.com.

Positionnons le contexte pour comprendre comment la solution a été rendue et, surtout, dans quel contexte particulièrement tendu elle s’inscrit. Par plusieurs résolutions des 3, 4 et 5 juillet 2017, le Conseil municipal de Paris a soumis les logements meublés de tourisme loués dans la capitale à la procédure d’enregistrement mentionnée à l’article L. 324-1-1 du code de tourisme. La loi française limite, en effet, la location des résidences principales en meublés de tourisme à 120 jours par an par le jeu de l’article L. 324-1-1, IV, du code précité. Afin de contrôler ce seuil maximum et les changements de destination des biens, l’article L. 324-2-1 prévoit la transmission à la première demande de certaines données par les intermédiaires du secteur. Le délai retenu pour la transmission de ces informations est d’un mois, ce qui peut paraître assez peu pour les opérateurs ayant un nombre d’annonces très élevé. Un arrêté du 31 octobre 2019 est venu préciser la marche à suivre à ce sujet, notamment par la confection d’un tableau à seize colonnes qui cristallisera une partie de la difficulté de transmission, en l’espèce. Que se passe-t-il en cas de violation de l’obligation de transmission de ces données dans le délai imparti ? L’article L. 324-2-1 prévoit que le tribunal judiciaire statue selon la procédure accélérée au fond (anciennement, en la forme des référés) pour obtenir une décision rapidement mais tout de même au fond. À ce titre, on peut toutefois se demander avec M. Strickler si une procédure accélérée au fond est vraiment utile dans ce contentieux précis (Rép. civ., v° Procédure accélérée au fond, par Y. Strickler, n° 50). C’est d’ailleurs, dans ce contexte, que le tribunal judiciaire de Paris avait d’ailleurs rendu une autre décision très médiatique en juillet dernier contre la société Airbnb (TJ Paris, réf., 1er juill. 2021, n° 19/54288, Dalloz actualité, 19 juill. 2021, obs. P. de Plater) se soldant par une condamnation à plus de 8 millions d’euros d’amende civile pour absence des numéros de déclaration devant se trouver dans les annonces de la plateforme en ligne.

Revenons-en aux faits de la décision commentée. La société Booking.com a donc été contactée par la ville de Paris au 6 février 2020 en ce qu’elle est un opérateur de ce marché du tourisme sur la capitale française et donc un intermédiaire numérique pour la location de meublés de tourisme qui doit transmettre lesdites données évoquées à l’article L. 324-2-1 du code du tourisme pour respecter la législation en vigueur sur ces biens. Au 7 mars 2020, soit à l’expiration du délai d’un mois donné par la loi, aucune réponse n’est reçue par les services de la ville. La société Booking.com finit par communiquer un tableau le 15 juin 2020 et une nouvelle version le 16 août suivant. Mais la municipalité juge le tableau incomplet eu égard aux textes applicables. 

Le 6 janvier 2021, la ville de Paris a par conséquent fait assigner la société Booking.com devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant selon la procédure accélérée au fond pour juger que la société a enfreint les dispositions précitées du code de tourisme en ne transmettant pas, dans les délais impartis, les informations sollicitées. Elle demandait que la société Booking.com soit condamnée à une amende civile astronomique de 154 250 000 € et à ce que cette somme soit versée à la ville de Paris conformément au code du tourisme.

Quant à la société Booking.com, sa défense s’axait notamment sur une contradiction entre l’article L. 324-2-1 du code du tourisme et la directive 2000/31/CE sur la libre circulation des services. Elle estimait nécessaire un renvoi préjudiciel en raison de plusieurs difficultés d’interprétation dans le cadre de cette affaire et elle n’avait d’ailleurs pas hésité à formuler plusieurs propositions de questions pour la Cour de justice de l’Union européenne.

Pour mieux comprendre pourquoi le jugement aboutit à la condamnation de la société, nous reviendrons point après point sur la motivation de la décision qui, il faut le noter, est remarquablement amenée malgré la complexité du fond de l’affaire.

1er volet du jugement : la conformité du droit français aux impératifs de l’Union

La société Booking.com avait argué devant le tribunal judiciaire que l’article L. 324-2-1 du code du tourisme constituait une restriction si ce n’est injustifiée au moins disproportionnée à la liberté de circulation des services de la société d’information. Le problème se concentrait donc, pour la défenderesse, sur la directive 2000/31/CE.

Selon ce texte, les État membres ne peuvent, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre pour des raisons relevant du domaine coordonné (article 2 de la directive). Pour la société Booking.com, les dispositions du code du tourisme ne peuvent pas répondre au paragraphe 4 de l’article 3 de la directive posant une exception à cette interdiction de la restriction de la libre circulation des services puisque son contenu ne serait pas nécessaire aux items cités (ordre public, sécurité publique, santé publique ou protection des consommateurs). Ainsi, les dispositions critiquées de l’article L. 324-2-1 s’ajouteraient « inutilement » aux dispositions déjà lourdes du droit français.

Après avoir rappelé la qualification du « domaine coordonné » dont parle l’article 2 de la directive avec notamment l’interprétation qui en est faite par la Cour de justice (CJUE 1er oct. 2020, aff. C-649/18, D. 2020. 1897 image ; 19 déc. 2019, aff. C-390/18, D. 2020. 11 image ; ibid. 2262, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny image ; AJDI 2020. 458 image, obs. M. Thioye image ; RDI 2020. 273, tribune Ninon Forster et A. Fuchs-Cessot image ; Dalloz IP/IT 2020. 265, obs. A. Lecourt image ; JT 2020, n° 226, p. 11, obs. X. Delpech image ; RTD eur. 2021. 188, obs. B. Bertrand image), le jugement s’attaque naturellement au fond du problème soit déterminer s’il y a ou non restriction à la libre circulation des services de la société de l’information. En somme, le juge pourrait écarter la loi contraire à la législation de l’Union. Le jugement cite d’ailleurs le fameux arrêt Simenthal à ce titre (CJUE 9 mars 1978, aff. C-106/77).

Le contexte du problème est le suivant : la société Booking.com exerce depuis les Pays-Bas. Son activité ne provient donc pas de la France dont la législation pose difficulté ici, mais d’un autre État-membre.

L’argumentation se concentrait ainsi sur l’obligation que faisait peser la loi française pour pouvoir recueillir les informations liées à l’article L. 324-2-1 du code du tourisme. La société y évoquait notamment l’arrêté de 2019 et son fameux tableau à plus de seize colonnes qui ralentissait nécessairement les opérations de compilation des données nécessaires demandées par la ville de Paris. Or, pour le jugement du tribunal judiciaire de Paris page 11 « la société Booking.com BV est placée dans une stricte situation d’égalité par rapport aux autres prestataires sur le marché des meublés de tourisme en France qu’ils opèrent pour une plateforme numérique ou non. Ceux-ci doivent fournir les mêmes informations si les services municipaux les sollicitent et encourent les mêmes sanctions en cas de manquement » (nous soulignons). On détecte par cette motivation la volonté d’assujettir les grands comme les petits opérateurs aux mêmes règles. N’est-ce pas, au fond, l’impératif de la règle de justice ?

Par conséquent, les dispositions très strictes du code du tourisme (notamment l’individualisation du décompte des jours de location) n’étaient pas de nature à restreindre la libre circulation des services de la société Booking.com. Le jugement note d’ailleurs page 12 que cette solution est une sorte de pis-aller : « le recueil de l’information du nombre de nuitées n’est réalisable, en l’état des débats et de la législation en cause, par aucun autre moyen technique ou humain ». Citant le fameux arrêt Cali Apartments SCI et HX (CJUE 22 sept. 2020, aff. C-724/18, AJDA 2020. 1759 image ; D. 2020. 1838 image ; ibid. 2262, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny image ; ibid. 2021. 1048, obs. N. Damas image ; JT 2020, n° 234, p. 11, obs. X. Delpech image), le tribunal judiciaire de Paris précise que les éléments cités à l’article L. 324-2-1 du code du tourisme permettent de rendre effective l’interprétation de la Cour de justice par cet arrêt et qu’il n’y a donc pas de restriction à la liberté de circulation des services. La règle en jeu a pour vocation « une raison impérieuse d’intérêt général reconnue par le droit de l’Union européenne de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location ». En somme, en dépit du caractère contraignant de la règle, son caractère nécessaire la rend insusceptible de créer une entrave à la libre circulation au sens de la directive.

On notera que le jugement se défait complètement d’opérer un renvoi préjudiciel. La technique à l’œuvre est plutôt remarquable par sa minutie et par l’argumentation déployée citant notamment des arrêts sur la restriction à la libre prestation des services (par ex., CJUE 3 mars 2020, aff. C-482/18, p. 10 du jugement, RTD eur. 2021. 389, obs. A. Maitrot de la Motte image ; ibid. 398, obs. A. Maitrot de la Motte image). Un renvoi préjudiciel aurait probablement été intéressant en la matière tant la question peut être sujette à discussion pour déterminer si la loi nationale n’est pas une entrave à la liberté alléguée. Même si l’on peut très probablement remettre en cause la solution, la démonstration est irréprochable d’un point de vue formel. Ce faisant, ce choix permettait de se pencher sans difficulté sur la possibilité d’une amende civile et sur son calcul qui cristallisait une forte opposition entre les parties.

2e volet du jugement : l’amende civile et son calcul

Une difficulté s’était cristallisée à titre préliminaire sur le statut d’hébergeur ou d’éditeur de la société Booking.com. Dans le second cas, il existe une présomption de détention des informations mentionnées par la loi sauf pour les ajouts consécutifs à l’arrêté du 31 octobre 2019. Le débat portait donc sur le point de savoir si la société Booking.com avait un certain contrôle des données de son site, i.e. les références utiles à l’article L. 324-2-1 du code du tourisme sur l’identité du loueur, son adresse, son numéro de déclaration, etc. Le jugement procède page 16, là-encore, à une démarche très fine en démontrant que la société Booking.com n’est pas qu’un hébergeur mais un véritable éditeur de son contenu notamment par un programme premium qu’elle met en place pour améliorer le classement de certains utilisateurs, d’une part et, par un système de notation « géré par la plateforme », d’autre part. On ne peut qu’accueillir avec bienveillance cette qualification d’éditeur car il paraîtrait assez étonnant qu’une telle société n’ait pas le contrôle ou la connaissance des données stockées sur son site.

Pouvant ainsi utiliser la présomption de détention de certaines données comme le nombre de jours loués ou le nom du loueur, le jugement n’avait plus qu’à s’engouffrer dans la plaie béante de l’exécution tardive de la communication des éléments exigés à l’article L. 324-2-1 du code du tourisme. La communication par la société Booking.com d’un « support informatique contenant un tableur » comportant les mentions demandées pour 6.058 annonces est insuffisante pour éviter l’amende civile d’autant que le jugement note le caractère lacunaire du tableau puisque certaines informations sont « ponctuellement manquantes » signant ainsi définitivement l’inexécution des dispositions légales. Le jugement note ainsi « une communication est donc faite, quoique tardive, car il est établi par les écritures des parties et le constat de l’agent assermenté qu’au 7 mars 2020, date d’expiration du délai d’un mois, aucun document n’était communiqué à la commune. La société se place donc, de ce seul fait, en situation de méconnaissance de la loi » (nous soulignons). L’illégalité est donc consommée et la difficulté pointée par la société dans l’élaboration du document ne produisent pas d’effet à ce sujet. Là où la loi ne distingue pas, on ne doit pas distinguer. Même si l’obligation mise à la charge de la société était très importante, le code du tourisme n’opère pas de différence entre les opérateurs en accordant un délai plus long à certains d’entre eux qui auraient plus de données à collecter.

Mais le jugement n’accable pas pour autant la société Booking.com notant page 17 une certaine ambivalence : l’entreprise a bien communiqué les documents demandés qui représentent une quantité importante de travail eu égard au nombre d’annonces publiées sur le site de e-commerce. Toutefois, cette communication tardive ne doit pas rester impunie compte tenu de l’action de la ville de Paris. L’intermédiaire se doit de réagir rapidement, dans le délai légal imposé, i.e. un mois par l’article L. 324-2-1 du code du tourisme.

Restait à déterminer précisément le calcul de l’amende civile. La ville de Paris proposait un total astronomique de 154 250 000 €. Le jugement ne retiendra finalement qu’une amende civile de 400 € par annonce, soit pour 3 085 annonces la somme importante de 1 234 000 €. La solution peut interroger, notamment sur le temps qu’avait la société Booking.com pour collecter des informations et les compiler dans un tableau dans le délai imparti. Mais elle est la garante d’un respect par tous les opérateurs des dispositions du code du tourisme et ce afin de lutter contre la pénurie de logements meublés. Une seule solution alors pour ces grands groupes : renforcer les équipes des services juridiques de ces sociétés pour pouvoir réagir rapidement aux contraintes de la législation en vigueur.

Voici donc de quoi être particulièrement vigilant pour toutes les sociétés ayant une activité de tourisme. La communication des informations exigées à l’article L. 324-2-1 du code du tourisme n’est pas à prendre à la légère ! Même si l’opérateur économique est un géant du secteur, il doit s’y plier, aussi difficile soit la collecte et la compilation des données requises. En tout état de cause, ce genre de décisions permet de ne pas laisser les multinationales du e-commerce, ici du tourisme, déroger aux règles posées par la législation française. La route est encore longue, mais le chemin est assurément le bon.

Référé : compétence dans l’Union et loi applicable

Un contrat portant sur la construction d’une voie rapide en Pologne est conclu. Une société d’assurance bulgare émet deux garanties au profit de l’autorité adjudicatrice polonaise.

Des différends surgissent sur la qualité des travaux et le respect des délais. Les sociétés de construction, de droit italien, saisissent un tribunal polonais contre l’autorité adjudicatrice, à la fois sur le fond et en référé. Les demandes formées dans la procédure de référé sont rejetées.

Parallèlement, ces mêmes sociétés de construction saisissent un tribunal bulgare contre l’autorité adjudicatrice des mêmes demandes en référé. La Cour de cassation bulgare pose alors trois questions préjudicielles à la Cour de justice, relatives à l’article 35 du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Cet article dispose que « les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond ». Rappelons que ces mesures sont celles qui « sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond » (CJCE 26 mars 1992, aff. C-261/90, D. 1992. 131 image ; Rev. crit. DIP 1992. 714, note B. Ancel image ; JDI 1993. 461, obs. A. Huet ; v., sur ce que recouvre ces mesures, Rép. dr. inter., v° Compétence judiciaire européenne, par A. Huet et D. Alexandre, spéc. n° 286). Leur importance pratique n’est plus à démontrer dans le contexte de l’Union européenne (pour une étude d’ensemble, J.-F. Van Drooghenbroeck et C. De Boe, Les mesures provisoires et conservatoires dans le règlement Bruxelles I bis, in E. Guinchard [dir.], Le nouveau règlement Bruxelles I bis, Bruylant, 2014, p. 167).

Champ d’application du règlement

La première question vise à déterminer si le litige s’insère ou non dans le champ d’application du règlement, qui concerne la « matière civile et commerciale » et qui « ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii) » (art. 1).

La Cour est régulièrement saisie de différends dans lesquels il s’agit de déterminer si la matière litigieuse relève ou non de la matière civile et commerciale. Elle a ainsi jugé qu’un recours en indemnité contre des personnes de droit privé exerçant une activité de classification et de certification de navires pour le compte et sur délégation d’un État tiers relève de cette matière (CJUE 7 mai 2020, aff. C-641/18, Dalloz actualité, 28 mai 2020, obs. F. Mélin ; AJDA 2020. 1652, chron. P. Bonneville, C. Gänser et S. Markarian image ; D. 2020. 1039 image ; ibid. 1970, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; Rev. crit. DIP 2021. 157, note G. Cuniberti image ; RTD com. 2020. 735, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast image ; RTD eur. 2020. 934, obs. M.-E. Ancel image ; ibid. 2021. 457, obs. L. Grard image) ou encore qu’une action en référé contre une organisation internationale, créée dans le cadre de l’OTAN et qui invoque son immunité, relève de la notion de matière civile ou commerciale, même si elle est engagée parallèlement à une procédure au fond relative au paiement de carburants fournis pour les besoins d’une opération de maintien de la paix (CJUE 3 sept. 2020, aff. C-186/19, Dalloz actualité, 23 sept. 2020, obs. F. Mélin ; D. 2021. 226 image, note D. Foussard image ; ibid. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; Rev. crit. DIP 2021. 157, note G. Cuniberti image ; RTD civ. 2021. 193, obs. P. Théry image ; RTD eur. 2020. 934, obs. M.-E. Ancel image).

L’arrêt du 6 octobre 2021 offre une nouvelle illustration en ce domaine, en retenant « qu’une action en référé introduite et poursuivie, selon les règles de droit commun, devant une juridiction d’un État membre, portant sur des pénalités au titre de l’exécution d’un contrat de travaux de construction d’une voie expresse publique conclu à l’issue d’une procédure de passation des marchés dont le pouvoir adjudicateur est une autorité publique relève de la notion de matière civile et commerciale ».

Pour justifier cette solution, l’arrêt rappelle, de manière générale, que dès lors que l’action en référé tend à l’obtention de mesures provisoires afin de sauvegarder une situation de fait soumise à l’appréciation du juge dans le cadre d’une procédure au fond, il faut considérer qu’elle porte sur des mesures provisoires et conservatoires, au sens de l’article 35 (arrêt, pt 34). Et pour déterminer si ces mesures relèvent du champ d’application du règlement, il faut non pas examiner leur nature propre mais prendre en considération la nature des droits dont elles visent à assurer la sauvegarde au fond (CJUE 3 sept. 2020, préc., pt 54). Dans ce cadre, la finalité publique de certaines activités ne constitue pas, en soi, un élément suffisant pour qualifier ces activités comme étant accomplies iure imperii : il faut en tout état de cause rechercher si elles correspondent à l’exercice de pouvoirs exorbitants au regard des règles applicables dans les relations entre les particuliers (même arrêt, pt 66).

Compte tenu de ces principes généraux, la solution s’explique aisément : l’objet de l’action en référé consistait à assurer la sauvegarde des droits nés du contrat entre les sociétés de construction et l’autorité adjudicatrice ; et ni l’objet du contrat ni le fait que cette dernière pouvait passer des marchés publics ne révélaient à eux-seuls l’exercice de prérogatives de puissance publique (arrêt, pts 40 et 41).

Décision sur le compétence

La deuxième question préjudicielle vise à déterminer si au regard de l’article 35, une juridiction d’un État membre saisie d’une demande de mesures provisoires ou conservatoires est tenue de se déclarer incompétente lorsque la juridiction d’un autre État membre, compétente pour connaître du fond, a déjà statué sur une demande ayant le même objet et la même cause et formée entre les mêmes parties.

L’arrêt répond à cette question par la négative. Il indique qu’il résulte des termes mêmes de l’article 35 qu’il attribue compétence « d’une part, aux juridictions d’un État membre compétentes pour connaître du fond du litige et, d’autre part, sous certaines conditions, aux juridictions d’autres États membres » (arrêt, pt 55).

Ainsi, cet article 35 n’instaure pas de hiérarchie entre ces fors (arrêt, pt 59), qui existent de façon parallèle (v., G. Cuniberti, C. Normand et F. Cornette, Droit international de l’exécution, LGDJ, 2011, nos 813 s.).

Il faut en déduire qu’une juridiction d’un État membre saisie d’une demande de mesures provisoires ou conservatoires n’est pas tenue de se déclarer incompétente lorsqu’une juridiction d’un autre État membre, compétente pour connaître du fond, a déjà statué sur une demande ayant le même objet et la même cause et formée entre les mêmes parties.

Cette solution permet d’assurer l’effectivité des mesures considérées, qui peuvent être ainsi être obtenues du juge de l’Etat où ces mesures doivent être mises en œuvre, même si le juge d’un autre Etat membre est saisi du fond (A.-L. Calvo Caravaca et J. Carrascosa Gonzalez [dir.], Litigacion internacional en la Union Europea I, Aranzadi, 2017, n° 534).

Il est vrai qu’un conflit de décisions est alors à craindre, puisque deux juges, au fond et en référé, peuvent alors se prononcer sur des questions identiques ou proches. Toutefois, l’arrêt prend soin de relever que les effets respectifs des décisions de ces deux juges sont différents (arrêt, pts 56 et 57), ce qui permet d’écarter ou au moins d’atténuer cette crainte. L’article 2, a), précise en effet qu’au sens du règlement, on entend par « décision », toute décision rendue par une juridiction d’un État membre et, surtout, que le terme « décision » englobe les mesures provisoires ou les mesures conservatoires ordonnées par une juridiction qui est compétente au fond. Et prolongeant cette perspective, le considérant 33 du règlement retient que « lorsque des mesures provisoires ou conservatoires sont ordonnées par une juridiction compétente au fond, leur libre circulation devrait être assurée au titre du (…) règlement », mais que « lorsque des mesures provisoires ou conservatoires sont ordonnées par une juridiction d’un État membre non compétente au fond, leur effet devrait être limité, au titre du présent règlement, au territoire de cet État membre ».

Détermination de la loi applicable

La troisième question préjudicielle conduit en substance à s’interroger sur la détermination de la loi applicable à ces mesures. Faut-il appliquer le droit national concerné ? Ou le droit de l’Union a-t-il un place ? La question était ici déterminante puisque le droit bulgare considère que les actions en référé dirigées contre des autorités publiques sont irrecevables.

L’arrêt énonce à ce sujet que « l’article 35 (…) doit être interprété en ce sens qu’une demande de mesures provisoires ou conservatoires doit être examinée au regard de la loi de l’État membre de la juridiction saisie et ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui n’autorise pas une action en référé relative à un recours portant sur une créance pécuniaire à l’égard de l’État ou d’une autorité publique ».

Cette solution s’explique aisément. Il résulte en effet des termes de l’article 35 que les mesures provisoires et conservatoires sont celles prévues par la loi de l’État membre concerné (arrêt, pt 63).

Le bien-fondé de cette solution ne prête pas à discussions, la doctrine relevant que la loi du tribunal saisi s’impose avec évidence (par ex., O. Cachard et P. Klötgen, Droit international privé, Bruylant, 2021, n° 235).

***

À titre de conclusion, précisons que si cet arrêt ne consacre pas de solutions inattendues, il mérite de retenir l’attention car il permet de mieux cerner les dispositions de l’article 35 du règlement, dont l’imprécision a pu être regrettée (H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, LGDJ, 2018, n° 337). Il facilitera à l’évidence la mise en œuvre des procédures en ce domaine.

De l’examen d’office des clauses abusives par le juge

L’actualité des clauses abusives reste décidément assez dense pour l’année 2021. Nous avions commenté, en effet, en juin dernier le renvoi préjudiciel de cinq questions concernant les clauses de déchéance du terme et de leur lien avec les clauses abusives que la Cour de cassation avait transmises à la Cour de justice (Civ. 1re, 16 juin 2021, n° 20-12.154 FS-B, Dalloz actualité, 23 juin 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1619 image, note A. Etienney-de Sainte Marie image). Aujourd’hui, c’est un arrêt à la publication maximale qui attire notre attention puisque la décision est destinée au très sélectif Rapport annuel de la Cour de cassation. Après un premier arrêt sur l’autorité de la concurrence également placé sous ces auspices (Civ. 2e, 30 sept. 2021, n° 20-18.672 FS-B+R, Dalloz actualité, 11 oct. 2021, obs. N. Hoffschir ; D. 2021. 1812 image), la deuxième chambre civile s’attaque aux clauses abusives dans une décision à la croisée des chemins entre droit de la consommation et procédure civile. 

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 14 octobre 2021 n’étonnera guère les spécialistes des clauses abusives tant elle s’inscrit dans la stricte orthodoxie des solutions rendues en la matière par la Cour de justice de l’Union européenne. La décision concourt, comme nous le verrons, à la construction d’une conception de l’office du juge particulièrement poussée en la matière. Comme toujours en matière de clauses abusives, les faits sont importants pour se rendre compte du contexte. Une personne adhère le 7 octobre 2003 à un contrat d’assurance-vie souscrit par une association auprès d’un organisme bancaire, par l’intermédiaire d’un courtier. En cours de contrat, un problème apparaît : l’adhérent note une baisse importante du montant de la rente annuelle susceptible de lui être versée à partir du 1er janvier 2014 en raison de l’application d’une table de mortalité unisexe en lieu et place de la table de mortalité TGH05 (la table masculine en la matière). Après avoir interrogé son courtier sans résultat, l’assuré se tourne vers l’assureur qui refuse de substituer à la table unisexe la table masculine que l’assuré pensait applicable et qui lui était préférable pour le calcul de sa rente viagère. L’assuré assigne alors son assureur devant le Tribunal de grande instance de Paris en exécution forcée des engagements contractuels et, subsidiairement, en indemnisation d’une perte de chance. Débouté de sa demande, l’assuré interjette appel. La Cour d’appel de Paris estime que l’application de la table unisexe était parfaitement possible et que les stipulations contractuelles n’indiquaient pas le contraire eu égard à la clause de transformation du capital en rente viagère (la clause X). L’assuré se pourvoit en cassation en arguant de moyens peu efficaces pour faire prospérer son pourvoi. Le rejet pouvait sembler inévitable d’un point de vue contractuel. Le contrat était antérieur à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et surtout de son article 1171 nouveau élargissant au droit commun la lutte contre les clauses abusives (F. Chénedé, Le nouveau droit des obligations et des contrats, 2e éd., Dalloz  Référence, 2018, p. 84, n° 123.351). Mais en dépit de cette antériorité, le demandeur n’avait jamais invoqué de moyen lié au caractère abusif de la clause sur le fondement de l’article L. 212-1 du code de la consommation parfaitement applicable dans le domaine du droit des assurances.

C’était sans compter sur un moyen relevé d’office qui emportera, finalement, la cassation. La haute juridiction casse l’arrêt d’appel en précisant « qu’il lui incombait d’examiner d’office la conformité de cette clause aux dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives en recherchant si elle était rédigée de façon claire et compréhensible et permettait à l’adhérent d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières qui en découlaient pour lui, et, dans le cas contraire, si elle n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du non-professionnel ou consommateur » (nous soulignons). La violation de la loi ainsi prononcée est sévère mais elle montre à quel point la jurisprudence doit être vigilante sur le contrôle des clauses abusives eu égard à la jurisprudence elle-même exigeante de la Cour de justice de l’Union.

L’arrêt appelle naturellement des commentaires sur l’office du juge avant de se pencher sur la clause litigieuse plus précisément.

Sur l’office du juge en matière de clauses abusives

Voici donc un rappel important tout droit issu d’une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union, le célèbre arrêt Pannon (CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08, D. 2009. 2312 image, note G. Poissonnier image ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero image ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; Rev. prat. rec. 2020. 17, chron. A. Raynouard image ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay image ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais image). Cet arrêt avait pu préciser que « le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose ». C’est précisément ce que rappelle la Cour de cassation dans le cinquième paragraphe de l’arrêt commenté. Bien évidemment, ceci impose comme pour chaque moyen relevé d’office de solliciter les observations des parties ; ce qu’a d’ailleurs naturellement fait la Cour de cassation pour respecter le principe du contradictoire de l’article 16 du code de procédure civile. L’application de cette interprétation fait écho à un autre arrêt très récent (CJUE 5 mars 2020, aff. C-679/18, Dalloz actualité, 22 avr. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 537 image ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. V. Valette-Ercole image ; ibid. 35, chron. K. De La Asuncion Planes image) qui parachève ce mouvement jurisprudentiel en imposant au juge de relever d’office les dispositions protégeant le consommateur de manière générale. La Cour de cassation vient donc appliquer sans réserve l’interprétation de la Cour de justice des textes issus de la directive 93/13/CEE modifiée en 2011 par une nouvelle directive 2011/83/UE.

La nécessité d’examiner d’office le caractère abusif ne tient toutefois que lorsque le juge est en possession des éléments factuels qui peuvent le conduire à cette conclusion (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 198, n° 178). Bien souvent, il faudra toutefois avouer qu’il ne reste pas forcément tout à fait évident de détecter une clause abusive à tous les coups ; surtout quand le vocabulaire employé est susceptible de diverses interprétations et que les parties ne portent pas du tout leurs moyens sur cette question. On peut ainsi regretter que la jurisprudence de l’Union ne se soit pas limitée à la simple possibilité de relever d’office le moyen telle qu’elle l’avait formulé dans l’arrêt Oceano (CJCE 27 juin 2000, aff. C-240/98, spéc. n° 29, RTD civ. 2000. 939, obs. J. Raynard image ; ibid. 2001. 878, obs. J. Mestre et B. Fages image ; RTD com. 2001. 291, obs. M. Luby image). Le résultat actuel donne parfois l’impression d’une cote mal taillée : le juge doit contrôler même d’office la clause quand il a suffisamment d’éléments lui faisant suspecter le caractère abusif. La réunion de ces indices comporte, tout de même, un aspect subjectif qu’il est difficile de nier et on ne saurait reprocher aux juges du fond de ne pas avoir déclenché un tel mécanisme en fonction de leur propre point de vue. Quoiqu’il arrive, ceci interroge sur l’office du juge avec ce « pas supplémentaire » (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 474, n° 591) franchi par l’arrêt Pannon. Cet office s’en trouve largement étendu jusqu’à des horizons qui ne semblent pas facilement maîtrisables eu égard à la difficulté de détection de ces clauses dans certaines affaires. Quoi qu’il en soit, la Cour de cassation vient donc opérer un contrôle très strict sur l’obligation incombant au juge en la matière.

Cet examen d’office manqué par les juges du fond (en première instance comme en cause d’appel, nécessairement puisque le moyen n’était pas dans le débat) explique la violation de la loi qui sert de fondement à la cassation de l’arrêt d’appel entrepris. Voyons quels éléments factuels devaient donc guider la détection de cette clause pour la Cour de cassation.

Sur le caractère abusif de la clause plus précisément

Pour plus de clarté, nous reproduirons la portée de la clause litigieuse insérée dans le contrat. Il s’agissait d’une stipulation contractuelle portant sur la transformation de l’épargne constituée en rente viagère ; question intéressant l’objet principal du contrat assurément comme le note la Cour de cassation.

« L’épargne constituée à la date de la transformation en rente détermine le capital constitutif de la rente, le montant de la rente est alors calculé selon le tarif en vigueur à la date de transformation en rente et les options choisies au titre des garanties proposées ».

Pour déterminer si une clause portant sur l’objet principal du contrat est abusive, la Cour de cassation rappelle la méthode à l’œuvre au paragraphe n° 9 de son arrêt. On comprend à première lecture que ce qui aurait dû aiguiller les juges du fond sur la nécessité de relever d’office le contrôle des clauses abusives. Il s’agissait de l’expression « selon le tarif en vigueur » (que nous avons souligné dans la clause précitée). L’expression peut laisser présager un certain pouvoir trop important en faveur du professionnel qui manipulerait à sa guise la transformation en rente viagère. Le caractère clair et compréhensible fait probablement défaut ici : l’expression du « tarif en vigueur » étant au moins sibylline pour l’assuré. L’article L. 212-1 du code de la consommation devient donc applicable.

Il faut noter que le caractère abusif de la clause pouvait probablement être décelé dans ce qui s’est passé factuellement : en substituant la table unisexe à la table TGH05 (la table masculine plus favorable à l’assuré), l’assureur a appliqué à son profit ladite clause de transformation en rente viagère. C’est d’ailleurs ce qu’avait décidé l’arrêt d’appel en y voyant « la parfaite application des dispositions contractuelles ». Effectivement, le contrat avait été parfaitement appliqué… Mais la clause était probablement abusive eu égard aux dispositions de l’article L. 212-1 du code de la consommation ! Le phénomène peut d’ailleurs se reproduire sur un certain nombre de contrats conclus avant la transposition de la directive 2004/113/CE qui est à l’origine de ces tables dite « unisexe ». La clause permettait une certaine liberté sur l’application de l’une ou l’autre des tables  dans une période de droit transitoire. Ce flottement signe le déséquilibre significatif caractéristique des clauses abusives.

On ne peut alors que saluer ce rappel de l’obligation de relever le caractère abusif par le juge puisque comme le note M. Pellier dans son ouvrage « le consommateur n’a pas forcément les moyens de détecter le caractère abusif d’une clause » (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, Dalloz, coll. « Cours », mars 2021, p. 151, n° 112). Mais c’est, toutefois à notre sens, faire peser sur le magistrat une obligation de surveillance très poussée sur les stipulations potentiellement abusives. Il faut donc pour le juge « détecter » la sémantique pouvant laisser présager la nécessité de relever d’office l’article L. 212-1 du code de la consommation. Reste que la Cour de cassation rappelle que le consommateur peut tout à fait renoncer à la suppression de la clause abusive ; ce qui signerait qu’il n’a pas relevé le moyen volontairement dans ses écritures car il ne souhaitait pas que le débat se concentre sur ce point et que la clause joue d’une manière ou d’une autre.

Par conséquent, l’arrêt commenté aujourd’hui implique une conception de l’office du juge particulièrement extensive que l’on pourrait qualifier soit de sévère, soit de bienveillante. Sévère en ce qu’elle fait peser sur le magistrat un devoir de contrôle des stipulations contractuelles en droit de la consommation, imposant une détection minutieuse des clauses abusives quand suffisamment d’indices laissent présager la nécessité d’un tel contrôle. Bienveillante en ce qu’elle protège le consommateur qui ne l’aurait pas perçu de son point de vue, ou plus exactement, du point de vue de son avocat. Prudence, donc, lors de la rédaction des contrats !

La production de documents contenant des informations concernant sa santé est de droit

La demande d’une personne qui souhaite obtenir communication de documents contenant des informations concernant sa santé peut-elle être rejetée si celle-ci n’apparaît pas utile pour la solution d’un litige ?

Telle était la question posée à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté.

Les faits de l’espèce n’étaient guère originaux. Une personne avait été victime d’un accident de la circulation. Comme c’est fréquemment le cas, l’assureur du véhicule impliqué avait diligenté une expertise amiable qui a été réalisée par un médecin. La victime et quelques-uns de ses parents ont alors assigné en référé l’assureur ainsi que plusieurs autres personnes susceptibles d’être obligées à réparation aux fins que le président du tribunal judiciaire ordonne une expertise médicale destinée à évaluer le préjudice corporel subi, le versement d’une provision et la communication des notes techniques de l’expert amiable.

Le débat s’est essentiellement cristallisé autour de la communication de ces notes techniques. Après que le juge des référés a ordonné leur communication, la cour d’appel a finalement fait « machine arrière » parce que l’existence de ces notes n’était pas établie de manière certaine, qu’elles pouvaient contenir des informations strictement confidentielles d’ordre administratif et que leur communication n’apparaissait pas véritablement utile dès lors qu’une expertise judiciaire avait été parallèlement ordonnée et que les requérants disposaient d’autres documents. Les juges du fond avaient ainsi fait état de considérations généralement déterminantes au regard du jeu de l’article 145 du code de procédure civile en soulignant, au moins implicitement, que les documents litigieux n’étaient pas utiles pour la solution du litige et que les demandeurs auraient dû fournir la preuve de leur existence.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation n’a cependant pas avalisé cette manière de voir les choses et a censuré l’arrêt rendu par la cour d’appel au double visa des articles L. 1111-7 du code de la santé publique et 145 du code de procédure civile : après avoir rappelé les termes du premier de ces textes, elle en a déduit que le médecin était tenu de communiquer les informations relatives à la santé de la victime recueillies au cours de l’expertise amiable et que l’assureur devait « s’assurer » de cette communication.

De prime abord, cet arrêt constitue une bizarrerie procédurale.

Lorsqu’il est saisi sur requête ou en référé sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, le juge n’ordonne en principe une mesure d’instruction ou la production de pièces que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Cette notion de « motif légitime » est laissée à l’appréciation des juges du fond (Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-22.619, à paraître au Bulletin ; 12 mai 2016, n° 15-17.290, inédit ; Com. 18 nov. 2014, n° 13-19.767, Bull. civ. IV, n° 172 ; D. 2014. 2405 image ; ibid. 2015. 996, chron. J. Lecaroz, F. Arbellot, S. Tréard et T. Gauthier image) : ceux-ci peuvent rejeter la demande lorsqu’ils estiment que la mesure n’est pas utile pour la solution du litige (Com. 17 mars 2021, n° 18-25.236, inédit) ou lorsque l’existence des documents n’est pas établie avec certitude ou du moins vraisemblable (Civ. 2e, 17 nov. 1993, n° 92-12.922, Bull. civ. II, n° 330). Au regard des conditions d’application de l’article 145 du code de procédure civile, l’arrêt rendu par la cour d’appel paraissait justifié.

S’il en va autrement, c’est en raison de nature particulière des documents dont la communication était sollicitée. Il s’agissait de documents contenant des informations relatives à la santé du demandeur auxquelles l’accès est garanti par l’article L. 1111-7 du code de la santé publique. Ce droit d’accéder aux informations concernant sa propre santé est indépendant de toute considération de nature probatoire ; chacun doit pouvoir accéder à celles-ci même s’il n’entend pas se servir des documents recueillis comme preuve. Le but premier de cet accès est en effet qu’une personne puisse avoir connaissance de son propre état de santé. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation estime que le demandeur avait un droit d’y accéder, même si leur utilité pour le litige n’était pas avérée, et qu’elle censure l’arrêt rendu par la cour d’appel. C’est alors l’existence d’un droit du demandeur sur l’information litigieuse qui fonde directement son action, si bien que l’article 145 du code de procédure civile est, en quelque sorte, mis au ban ; bien qu’elle vise ce dernier, la Cour de cassation n’en déduit d’ailleurs aucune conséquence…

L’assureur étant tenu de garantir la communication des informations recueillies au cours de l’expertise amiable qu’il avait diligentée, la demande était en outre bien dirigée : il ne reste plus à l’assureur ou au médecin qu’à communiquer les notes techniques, au pire en biffant les informations d’ordre administratif pouvant s’y trouver…

Cela permet de rappeler qu’il existe deux moyens d’obtenir une preuve.

D’une part, et c’est le cas le plus fréquent, un individu peut revendiquer des documents sur lesquels il ne dispose d’aucun droit quelconque. Seule leur utilité probatoire justifie que ces documents soient communiqués par un tiers et encore le seront-ils uniquement si aucun « motif légitime » (tel un secret) n’y fait obstacle ; une intervention du juge est alors nécessaire dès lors que le concours que doit apporter tout justiciable en vue de la manifestation de la vérité « est celui qui doit être apporté non aux particuliers, mais à l’autorité judiciaire » (Civ. 1re, 25 oct. 1994, n° 92-15.020, Bull. civ. IV, n° 306 ; D. 1994. 257 image).

D’autre part, un individu peut disposer d’un droit sur un élément litigieux ou sur une information détenu par autrui : ce peut être un droit d’accès aux informations concernant sa santé ou encore un droit de propriété… La production de pièces fondée sur un tel droit a d’ailleurs sans doute précédé celle destinée à des fins probatoires (v. sur l’évolution, J.-J. Daigre, La production forcée de pièces dans le procès civil, PUF, coll. « Publications de la faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers », préf. C. Lombois, Paris 1979). Ce droit sur l’élément litigieux ou sur l’information existe indépendamment de toute intervention du juge. La lecture des articles L. 1111-7 et R. 1111-1 du code de la santé publique permet aisément de s’en convaincre en ce qui concerne le droit d’accéder aux informations concernant sa propre santé. Aucun motif légitime, aucun secret ne peut alors faire obstacle à l’exercice de ce droit même si l’élément recueilli peut finalement servir de preuve. Mais l’article 145 du code de procédure civile n’est pas toujours le fondement le plus judicieux pour obtenir l’élément litigieux en référé ; il peut parfois être plus opportun de demander au juge des référés d’ordonner au tiers détenteur d’exécuter son obligation, dès lors que celle-ci n’est pas sérieusement contestable…

Opposabilité d’acquisition de mitoyenneté : pas de publication de l’acte

Dans la décision rapportée, la Cour de cassation s’attache à déterminer les conditions de l’opposabilité de la mitoyenneté d’un mur qu’un propriétaire, se pensant seul propriétaire divis, entendait faire araser. Il ne le pourra finalement pas, et ce, malgré l’absence de toute publication de la cession de la mitoyenneté.

L’affaire prend sa source à la fin du XIXe siècle si ce n’est bien avant. C’est en tout cas à cette époque que le Comte de Paris se sépare d’un hôtel particulier au profit du Comte de Thoinnet de la Turmelière qui à son tour le cède au début du siècle suivant aux auteurs de l’actuel propriétaire. Ce dernier est alors opposé dans la présente affaire au syndicat de la copropriété voisine qui entend araser le mur qu’il considère être sa propriété unique ce que lui refuse la cour d’appel de Paris.

À l’appui de son pourvoi, le syndicat fait tout d’abord valoir que le transfert du droit de propriété sur le mur au profit du Comte de Paris n’a fait l’objet d’aucune publication. Dès lors, il ne saurait produire ses effets au-delà des parties à l’acte conformément au principe de l’effet relatif des conventions posé à l’article 1199 du code civil et au régime de la publicité foncière contenu au décret du 4 janvier 1955 qui, par la combinaison de ses articles 28 et 30, rend inopposable aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, les droits concurrents emportant mutation ou constitution de droits réels immobiliers. C’est au nom de ces mêmes principes que le pourvoi...

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Procédure et formalités d’obtention d’un titre exécutoire à la suite d’une mesure conservatoire : précisions

L’article L. 111-2, alinéa 2, du code des procédures civiles d’exécution pose le principe selon lequel le créancier peut pratiquer une mesure conservatoire pour assurer la sauvegarde de ses droits.

La mesure conservatoire peut prendre la forme d’une sûreté judiciaire que le créancier inscrira sur les biens du débiteur ce qui lui assurera un droit de suite et un rang privilégié sur le prix en cas de vente du bien.

Mesure conservatoire ou sûreté judiciaire peuvent être prises sans autorisation du juge de l’exécution lorsque le créancier est titulaire d’un titre exécutoire (C. pr. exéc., art. L. 511-2).

Lorsque le créancier ne dispose pas d’un titre exécutoire au sens de l’article L. 511-2 précité, l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution permet à toute personne dont la créance paraît fondée en son principe de solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.

Cependant, mesure conservatoire ou sûreté judiciaire, le créancier devra, une fois la saisie conservatoire prise ou la sûreté judiciaire inscrite, rester actif.

En effet, à peine de caducité de la mesure conservatoire ou sûreté judiciaire, l’article R. 511-7 du code des procédures civiles d’exécution impose au créancier, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, d’introduire une procédure ou d’accomplir les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire.

Ces vingt-huit dernières années depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution et le décret d’application n° 92-755 du 31 juillet 1992, la jurisprudence a peu à peu précisé ce qui constituait une procédure ou...

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Retour sur l’autorité de chose jugée de la décision fixant la date de cessation des paiements

L’état de cessation des paiements d’un débiteur est un élément central du droit des entreprises en difficulté. Il conditionne, d’une part, l’application des procédures de redressement et de liquidation judiciaires ou, à défaut, le choix d’opter en faveur d’une autre procédure. D’autre part, la fixation de la date de cessation des paiements permet aussi la détermination de l’étendue de la période suspecte. À ce propos, le code de commerce prévoit qu’au sein du jugement d’ouverture de la procédure, le tribunal fixe la date de cessation des paiements (C. com., art. L. 631-8, al. 1).

En pratique, cette date est arrêtée par les juges au jour de la déclaration de la cessation des paiements, sauf s’ils disposent d’éléments leur permettant de déterminer l’apparition de cet état à une date antérieure. Reste qu’en règle générale, au moment de l’ouverture de la procédure, la connaissance par le tribunal de la situation exacte de l’entreprise est limitée. Partant, la loi prévoit la possibilité, postérieurement au jugement d’ouverture, de reporter une ou plusieurs fois la date de cessation des paiements. Cette dernière règle connaît toutefois deux limites. D’une part, la date de report ne peut être antérieure de plus de dix-huit mois à la date du jugement d’ouverture (C. com., art. L. 631-8, al. 2). D’autre part, la demande de modification de la date doit être présentée au tribunal dans le délai d’un an à compter du jugement d’ouverture de la procédure (C. com., art. L. 631-8, al. 4).

Portant sur ce thème, l’arrêt ici rapporté a ceci d’intéressant qu’il repose sur une problématique en apparence inextricable.

Nous savons que le jugement d’ouverture d’une procédure collective a autorité et force de chose jugée (Com. 13 févr. 2007, n° 05-13.526, Bull. civ. IV, n° 36 ; D. 2007. 583, obs. A. Lienhard image ; RTD com. 2008. 624, obs. A. Martin-Serf image). Or, selon un auteur, l’autorité absolue de la chose jugée attachée au jugement d’ouverture s’étend à la date de cessation des paiements, qu’elle soit fixée par le jugement d’ouverture ou par un...

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Toutes les prétentions, rien que les prétentions !

Dans le cadre d’un litige en concurrence déloyale, un appel est formé devant la cour d’appel de Douai.
L’intimé, reconnu coupable des faits de concurrence déloyale et condamné en conséquence, se porte appelant incident.

Dans ses conclusions, il développe une argumentation sur la nullité de la requête aux fins de constat d’huissier et du constat d’huissier qui a servi de fondement à l’action en concurrence déloyale.

Toutefois, l’intimé se contente, dans ses conclusions, de demander l’infirmation du jugement et le débouté des demandes de son adversaire, sans reprendre la nullité.

Au visa de l’article 954, la cour d’appel de Douai estime ne pas être saisie de cette nullité, qualifiée de prétention, sur laquelle elle ne statue pas.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 30 septembre 2021, ne dit pas autre chose et rejette le pourvoi.

« L’exception de nullité est un moyen de défense ». C’est pas faux ! Mais encore ?

La nullité est opposée à celui qui forme des demandes, par celui qui les subit.

En conséquence, c’est bien pour se défendre sur cette attaque que la nullité est invoquée.
En ce sens, effectivement, la nullité est un « moyen de se défendre ».

Cependant, au sens procédural, ce moyen de se défendre doit être qualifié un peu plus précisément.

Les « moyens de défense » ont droit à un titre, le VI, dans le code de procédure civile.

Et dans ces moyens de défense, on trouve notamment les défenses au fond, les fins de non-recevoir et celle qui nous concerne ici, l’exception de nullité.

L’article 71, qui concerne la « défense au fond », précise que « constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire ».

C’est l’argumentation qui était celle de l’intimé, demandeur au pourvoi : s’il opposait la nullité de la requête et du constat d’huissier, c’était pour demander le débouté des demandes de son adversaire.

Et il est exact que, dans ses conclusions, et plus exactement dans le dispositif, l’intimé avait pris soin de former une demande de débouté.

Toutefois, c’était perdre de vue que l’intimé, en arguant de cette nullité de la requête et du constat, ne se situait pas dans le cadre de l’article 71.

Il fallait qu’il aille voir un peu plus bas, et plus précisément au chapitre II du titre cinquième, relatif au « exceptions de procédure », lequel chapitre contient une section sur les « exceptions de nullité ».

Car c’est bien de cela dont il s’agit. En invoquant la nullité de la requête et du constat, l’intimé se prévalait d’une exception de nullité qui est une exception de procédure.

Et que nous dit l’article 73 si ce n’est que « constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours ».

Nous apprenons donc qu’une exception de procédure est un moyen. Jusque-là, l’intimé avait raison en soutenant qu’il soulevait un moyen de...

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Contrariété de jugements dans le cadre d’une escroquerie à la sécurité sociale

« L’escroquerie est sans doute l’incrimination que l’on associe le plus souvent à la fraude à l’assurance » (Rép. pén., v° Assurance, par B. Neraudeau, A.-C. Pichereau et P. Guillot, n° 55). Les manœuvres frauduleuses d’assurés mal intentionnés (Crim. 19 mars 2014, n° 13-82.416, Bull. crim. n° 89 ; RSC 2015. 93, obs. H. Matsopoulou ; D. 2014. 779 image ; ibid. 1564, obs. C. Mascala image ; ibid. 2423, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et C. Ginestet image ; AJ pénal 2014. 299, obs. C. Renaud-Duparc image ; Dr. soc. 2015. 159, chron. R. Salomon image ; RSC 2015. 93, obs. H. Matsopoulou image ; RTD com. 2014. 425, obs. B. Bouloc image ; Dr. pénal 2014, n° 71, 2e esp., note Véron) peuvent conduire l’organisme à réaliser des versements indus. Une telle hypothèse va alors mobiliser les juridictions du domaine des assurances dans un premier temps, et les juridictions répressives dans un second temps. Or, il peut résulter une sorte de conflit de décisions, et plus précisément une contrariété de jugements. Tels étaient les faits qui ont conduit à l’arrêt du 5 octobre 2021.

En l’espèce, un individu a bénéficié, à la suite d’un accident du travail, d’une période d’indemnisation d’arrêt de travail sur un an pour un montant total de 69 115,27 €, versé par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Dans ce contexte, le tribunal des affaires de sécurité sociale a rendu une ordonnance de référé qui a constaté l’engagement de la CPAM à indemniser l’individu. À la suite d’une enquête de police, l’intéressé a été cité devant le tribunal correctionnel du chef d’escroqueries, pour s’être, entre autres, fait faussement salarier au sein de la société La Licorne bleue puis avoir, un mois après son embauche, déclaré un accident du travail imaginaire, et ainsi trompé la caisse pour la déterminer à lui remettre des fonds, en l’espèce 69 115,27 €.

Par jugement, le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable des faits, l’a condamné à une peine et à indemniser les parties civiles. La cour d’appel a confirmé le jugement sur la culpabilité à raison d’une partie des faits et a ordonné une expertise pour le surplus. La Cour de cassation a cassé cette décision en toutes ses dispositions (Crim. 21 févr. 2017, n°...

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Mesure d’instruction [I]in futurum[/I] : caractérisation d’une instance au fond en cours sur le même litige

Dans l’arrêt commenté, des sociétés (les sociétés A) ont formé une requête le 16 novembre 2018 devant le président d’un tribunal de commerce afin que des mesures d’instruction in futurum soient ordonnées dans les locaux d’une société exploitante d’un club de gym (la société B). Une ordonnance du 20 novembre 2018 a fait droit à leur demande.

D’autres sociétés (les sociétés C) ont saisi le juge des référés en rétractation de cette ordonnance au motif qu’une procédure au fond avait été introduite à leur encontre par les mêmes sociétés demanderesses.

Par arrêt du 19 octobre 2019, la cour d’appel de Reims a prononcé l’irrecevabilité de la requête du 16 novembre 2018 et a rétracté l’ordonnance du 20 novembre 2018.

Les sociétés A ont interjeté appel de cette décision au motif que la cour d’appel n’avait pas statué au visa de leurs dernières écritures et qu’elle ne caractérisait pas l’existence d’une instance en cours portant sur le même litige.

L’effet des conclusions récapitulatives sur la saisine du juge

Aux termes de l’article 954, alinéa 4, du code de procédure civile, les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et les moyens qu’elles entendent faire valoir, faute de quoi elles sont réputées les avoir abandonnés.

La Cour de cassation rappelle ainsi que le juge, s’il n’expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, n’est saisi que des dernières écritures et doit viser celles-ci dans sa décision en indiquant la date de leur dépôt.

En l’espèce les dernières conclusions des sociétés appelantes étaient identiques à celles remises antérieurement de sorte que le moyen était inopérant.

La notion d’instance en cours portant sur un litige identique

L’article 145 du code de procédure civile subordonne l’organisation de mesures d’instruction in...

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Nouveau décret de procédure civile : du mieux, du moins bon et de l’incertain

Si le nouveau texte, publié au Journal officiel le 13 octobre 2021, supprime, avec raison, certaines difficultés apparues dans la mise en œuvre de la réforme, il laisse en suspens d’autres questions. Les avocats vont devoir persister dans leurs capacités d’adaptation et de réactivité.

Cette première lecture du décret ne concerne que les seules dispositions touchant à la procédure civile contentieuse. Nous laisserons donc de côté celles touchant à certaines décisions rendues par le bâtonnier en matière de contestation d’honoraires et qui peuvent désormais être rendues exécutoires de plein droit (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 6) de même que celles concernant l’application, dans certains territoires d’outre-mer, de la convention de Lugano du 30 octobre 2007 (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 7).

Pas moins de huit questions méritent, en revanche, d’être développées.

Désormais un seul délai de remise au greffe de l’assignation à date : 15 jours avant l’audience

Le code de procédure civile prévoyait, en ses articles 754 (compris dans les dispositions communes applicables au tribunal judiciaire) et 1108 (divorce et séparation de corps judiciaires), deux délais distincts à respecter pour la remise, au greffe, de l’assignation à date signifiée par huissier :

- deux mois à compter de la communication par voie électronique (RPVA) de la date d’audience par le greffe ; - quinze jours avant la date de l’audience.

Le délai de deux mois, dont l’utilité restait à démontrer, est désormais supprimé (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 1er).

Le délai de quinze jours avant l’audience est maintenu. Rappelons que le non-respect de cette règle est sanctionné par la caducité de l’assignation, constatée d’office par ordonnance du juge, ou, à défaut, à la requête d’une partie.

D’une manière générale la caducité d’un acte est un incident d’instance. Elle n’est pas une exception de procédure devant être soulevée in limine litis (Civ. 2e, 5 sept. 2019, n° 18-21.717, R. Laffly, Régime de la caducité et signification des conclusions à l’intimé déjà constitué, Dalloz actualité, 8 oct. 2019 ; D. 2019. 1656 image ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero image). Elle se distingue également d’une fin de non-recevoir. En théorie elle peut être invoquée en tout état de cause et même en appel. L’avocat veillera donc à conserver les messages RPVA lui permettant de justifier du respect des délais de remise de l’assignation.

Il n’en demeure pas moins que cette modification est la bienvenue. Elle entre en vigueur le lendemain de la publication du décret, soit le 14 octobre 2021 (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 8, II, 1°). Pour toutes les dates, communiquées par le greffe, avant le 14 octobre 2021, le délai de deux mois reste applicable.

Possibilité du dépôt de dossier en procédure écrite ordinaire

L’article 799, alinéa 3, du code de procédure civile permettait déjà aux parties qui avaient donné leur accord pour que la procédure se déroule sans audience conformément aux dispositions de l’article L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire, de déposer les dossiers au greffe de la chambre à une date fixée par le juge de la mise en état.

Cette faculté qui existait antérieurement à la réforme opérée en 2019 (anc. C. pr. civ., art. 779, al. 3) est rétablie pour les dossiers dans lesquels le juge considère que l’affaire ne requiert pas de plaidoirie et à condition qu’elle ait fait l’objet d’une demande des avocats (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 2, 1°).

Cette modification entre en vigueur au 1er novembre 2021 et est applicable aux instances en cours à cette date (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 8, I).

Interdiction du recours à la procédure judiciaire de tentative préalable de conciliation lorsqu’un MARD doit être tenté

La réforme de la procédure civile a institué l’obligation, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, de tenter un Mode alternatif de règlement des différends (MARD) lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 € ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire (C. pr. civ., art. 750-1).

Pour autant, et sans égard pour les plaideurs soumis à un délai de forclusion ou de prescription arrivant à brève échéance, la réforme n’avait pas prévu de modification des dispositions permettant d’interrompre les délais pour agir.

On sait qu’en application de l’article 2238 du code civil la prescription est suspendue si les parties conviennent, par écrit, de recourir à un MARD, ou, à défaut d’écrit, à compter de la première réunion de médiation ou de conciliation.

En l’absence de disposition spécifique permettant d’interrompre les délais pour agir, les praticiens ont pu avoir recours à la procédure judiciaire de tentative préalable de conciliation prévue à l’article 820 du code de procédure civile : « La demande aux fins de tentative préalable de conciliation est formée par requête faite, remise ou adressée au greffe.

La prescription et les délais pour agir sont interrompus par l’enregistrement de la demande. »

Son intérêt était certain puisque l’enregistrement de la demande avait un effet interruptif de tous les délais pour agir (C. pr. civ., art. 820, al. 2).

La chancellerie a manifestement considéré qu’il s’agissait là d’un détournement de l’objectif visé à l’article 750-1 du code de procédure civile.

Le décret du 11 octobre 2021 interdit désormais cette possibilité en ajoutant, à l’article 820 précité, un premier alinéa ainsi rédigé (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 2, 2°) : « La demande en justice peut être formée aux fins de tentative préalable de conciliation hors les cas dans lesquels le premier alinéa de l’article 750-1 s’applique. »

Cette modification entre en vigueur au 1er novembre 2021 et est applicable aux instances en cours à cette date (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 8, I). D’ici là il est totalement vain de persister à déposer ce type de demande puisqu’il suffira au juge d’attendre l’échéance du 1er novembre 2021 pour la déclarer irrecevable.

Les praticiens se retrouvent donc démunis pour interrompre immédiatement un délai d’action dans une matière imposant une tentative de MARD. Le décret commenté aurait pu utilement prévoir un délai interruptif des délais pour agir dès le recours à un MARD. Il n’en est rien.

Précision quant aux dérogations au principe de la représentation obligatoire par avocat devant le tribunal de commerce

L’article 853 du code de procédure civile est complété par un alinéa ainsi rédigé : « L’État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics peuvent se faire assister ou représenter par un fonctionnaire ou un agent de leur administration. »

Cet ajout est logique puisque c’est l’article 2, I. de la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 (mod. L. n° 2019-222) relative à la simplification du droit qui a édicté cette dispense générale au profit des personnes publiques (c. en ce sens, pour les procédures devant le juge de l’exécution, l’avis de la deuxième chambre civile, Civ. 2e, avis, 18 févr. 2021, n° 20-70.006, Dalloz actualité, 9 mars 2021, obs. F. Kieffer).

L’acte introductif d’instance devant le tribunal de commerce doit mentionner les conditions dans lesquelles le défendeur peut ou doit se faire assister ou représenter (C. pr. civ., art. 855, al. 2). Il sera par conséquent nécessaire de compléter les mentions figurant dans les assignations par le nouvel alinéa de l’article 853 précité.

Cette modification entre en vigueur au 1er novembre 2021 et est applicable aux instances en cours à cette date (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 8, I).

Ajustement des mentions de l’acte de saisine du tribunal paritaire des baux ruraux

En procédure ordinaire le tribunal paritaire des baux ruraux est saisi par requête ou pour les demandes soumises à publication au fichier immobilier par acte d’huissier (C. pr. civ., art. 885). Le défendeur est convoqué par le greffe, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, quinze jours au moins avant la date fixée par le président du tribunal (C. pr. civ., art. 886)

Le décret procède à un ajustement des textes. Il supprime, en toute logique, la nécessité de faire figurer dans l’acte la date d’audience ainsi que l’indication des modalités de comparution devant la juridiction, mentions qui résultaient d’un renvoi inopportun des textes initiaux (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 2, 4°).

Cette modification entre en vigueur au 1er novembre 2021 et est applicable aux instances en cours à cette date (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 8, I).

Incertitudes sur la modification concernant le contenu de la déclaration d’appel en procédure ordinaire avec représentation obligatoire

Le décret opère une modification ponctuelle de l’article 901 du code de procédure civile qui n’est pas sans soulever des interrogations (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 2, 5°).

L’article 901 du code de procédure civile énonce dans sa rédaction actuelle : « La déclaration d’appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le troisième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité :
  1° La constitution de l’avocat de l’appelant ;
  2° L’indication de la décision attaquée ;
  3° L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;
  4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

Elle est signée par l’avocat constitué. Elle est accompagnée d’une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d’inscription au rôle. »

L’article 57 du même code, dont nous soulignons le troisième alinéa, visé dans le texte précédent, dispose :« Lorsqu’elle est formée par le demandeur, la requête saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé. Lorsqu’elle est remise ou adressée conjointement par les parties, elle soumet au juge leurs prétentions respectives, les points sur lesquels elles sont en désaccord ainsi que leurs moyens respectifs.
  Elle contient, outre les mentions énoncées à l’article 54, également à peine de nullité :
  - lorsqu’elle est formée par une seule partie, l’indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée ou s’il s’agit d’une personne morale, de sa dénomination et de son siège social ;
  - dans tous les cas, l’indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée.
Elle est datée et signée. »

Le décret commenté précise qu’au premier alinéa de l’article 901 du même code, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « cinquième ». Le cinquième alinéa de l’article 57 indique : « Elle est datée et signée ».

La nécessité d’une signature de la déclaration d’appel figure déjà à l’article 901 du code de procédure civile. En pratique elle intervient de manière électronique. Quant à sa date elle est nécessairement celle à laquelle elle est effectuée également par voie électronique (C. pr. civ., art. 930-1, al. 1er).

La nécessité de dater et de signer, matériellement, une déclaration d’appel peut cependant retrouver son sens pour celle qui serait formée, sur support papier, lorsqu’elle ne peut être transmise par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit (C. pr. civ., art. 930-1, al. 2).

Cette modification peut apparaît assez énigmatique. Tout au plus pouvons-nous imaginer qu’elle tendrait à rectifier une erreur dans le décompte des alinéas de l’article 57, tels qu’ils sont visés à l’article 901, dans sa rédaction actuelle.

Selon le Guide de légistique publié par le Secrétariat général du gouvernement : « Constitue un alinéa toute phrase, tout mot, tout ensemble de phrases ou de mots commençant à la ligne, précédés ou non d’un tiret, d’un point, d’une numérotation ou de guillemets, sans qu’il y ait lieu d’établir des distinctions selon la nature du signe placé à la fin de la ligne précédente (point, deux-points ou point-virgule) (…) Cette définition, traditionnellement retenue par le Parlement, n’a été reprise par le Conseil d’État et le secrétariat général du Gouvernement, pour les textes réglementaires, qu’à partir de l’année 2000. Jusqu’à cette date, il n’était procédé à la computation d’un nouvel alinéa que lors de chaque passage à la ligne faisant suite à un point » (Guide de légistique, La documentation française, 3e éd. 2017, p. 286).

Si l’on décompte les alinéas de l’article 57, selon l’ancienne méthode, le troisième alinéa s’entend effectivement du cinquième, selon la nouvelle méthode. Le troisième alinéa de l’article 57, régulièrement décompté, fait d’ailleurs double emploi avec les mentions prescrites par le 3° de l’article 54 déjà visé à l’article 901.

Enfin la notice, publiée en tête du décret, est également muette sur une modification de fond des mentions de la déclaration d’appel. Ce silence plaide également en faveur d’une simple rectification matérielle du texte.

Cette modification entre en vigueur au 1er novembre 2021 et est applicable aux instances en cours à cette date (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 8, I).

Simplification de la procédure d’injonction de payer

Le décret simplifie la procédure d’injonction de payer en prévoyant que l’ordonnance portant injonction de payer est immédiatement revêtue de la formule exécutoire.

L’article 1407 du code de procédure civile est désormais rédigé en ces termes (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 3, 1°) : « La demande est formée par requête remise ou adressée, selon le cas, au greffe par le créancier ou par tout mandataire. Outre les mentions prescrites par l’article 57, la requête contient l’indication précise du montant de la somme réclamée avec le décompte des différents éléments de la créance le fondement de celle-ci ainsi que le bordereau des documents justificatifs produits à l’appui de la requête. Elle est accompagnée de ces documents. »

En cas d’acceptation de la requête, le greffe remet au requérant une copie certifiée conforme de la requête et de l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire et lui restitue les documents produits (C. pr. civ., art. 1410 mod. ; Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 3, 2°).

C’est cette ordonnance, revêtue de la formule exécutoire, qui devra être signifiée au débiteur, avec la requête ainsi que les documents justificatifs produits à l’appui de celle-ci (C. pr. civ., art. 1411 mod. ; Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 3, 3°).

La signification des pièces au débiteur participe de son information et constitue une évolution positive dans cette procédure d’exception qui comprend une phase non contradictoire.

On notera à cet égard que le délai d’opposition figurant dans l’acte de signification devra désormais être indiqué « de manière très apparente » (C. pr. civ., art. 1413 mod. ; Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 3, 4°).

Le débiteur formant opposition devra, à peine de nullité de celle-ci, mentionner son adresse (C. pr. civ., art. 1415 mod. ; Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 3, 5°).

Selon le nouvel article 1422 (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 3, 7°) : « Quelles que soient les modalités de la signification, le délai d’opposition prévu au premier alinéa de l’article 1416 est suspensif d’exécution. L’opposition formée dans ce délai est également suspensive.

L’ordonnance ne constitue un titre exécutoire et ne produit les effets d’un tel titre ou d’une décision de justice qu’à l’expiration des causes suspensives d’exécution prévues au premier alinéa. Elle produit alors tous les effets d’un jugement contradictoire. Elle n’est pas susceptible d’appel même si elle accorde des délais de paiement. »

L’ordonnance, même revêtue de la formule exécutoire, n’est donc pas exécutoire de plein droit mais seulement à l’expiration des délais d’opposition.

Ces modifications relatives à la procédure d’injonction de payer entreront en vigueur à une date fixée par arrêté du garde des Sceaux et au plus tard le 1er mars 2022 (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 8, II, 2°).

Vers un renouveau de la procédure participative aux fins de mise en état ?

On sait que l’un des freins à la mise en œuvre d’une procédure participative aux fins de mise en état (PPMEE) résidait dans le dernier alinéa de l’article 1546-1 du code de procédure civile ainsi rédigé : « La signature d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état vaut renonciation de chaque partie à se prévaloir d’une fin de non-recevoir, de toute exception de procédure et des dispositions de l’article 47 du présent code, à l’exception de celles qui surviennent ou sont révélées postérieurement à la signature de la convention de procédure participative. »

En d’autres termes la signature d’une convention de PPMEE avait pour effet de purger la demande de toutes exceptions de procédure et fins de non-recevoir.

Cette règle constituait un danger considérable pour le défendeur, définitivement privé de la faculté de s’en prévaloir, dans l’hypothèse où le litige ne pourrait trouver, au final, qu’une solution juridictionnelle.

En outre de potentielles exceptions ou fins de non-recevoir peuvent parfaitement constituer des éléments non négligeables entrant en ligne de compte dans une négociation.

Le décret supprime les dispositions précitées.

Cette renonciation ne devient plus qu’une simple faculté (C. pr. civ., art. 1546-1 mod. ; Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 4, 1°) : « Les parties ont, à tout moment, la possibilité de renoncer expressément à se prévaloir de toute fin de non-recevoir, de toute exception de procédure et des dispositions de l’article 47, à l’exception de celles qui surviennent ou sont révélées postérieurement à la signature de la convention de procédure participative. »

Cette rectification du texte doit être saluée tout comme celle apportée au régime du rapport, déposé par le technicien choisi d’un commun accord par les parties, dans le cadre de la convention de PPMEE (C. pr. civ., art. 1547 s.).

Ce rapport aura « valeur de rapport d’expertise judiciaire » (C. pr. civ., art. 1554 mod. ; Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 4, 2°).

Ces modifications devraient enfin permettre aux avocats de s’emparer de cet outil que constitue la convention de PPMEE. Elle reste, à ce jour, l’une des meilleures illustrations du principe dispositif selon lequel « le procès est la chose des parties ».

Elles entrent en vigueur au 1er novembre 2021 et sont applicables aux instances en cours à cette date (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 8, I).

***

Au-delà de ces nouvelles modifications apportées au code de procédure civile nous regretterons, une fois encore, qu’il n’ait toujours pas été tenu compte des propositions contenues dans le rapport déposé par la commission Perben sur l’avenir de la profession d’avocat (P. Januel, Rapport Perben : comment sauver les avocats ?, Dalloz actualité, 26 août 2020 ; adde, sur ce rapport, D. Perben [entretien], Mission Perben : « des solutions concrètes rapidement réalisables », D. avocats 2020. 483 image ; A. Savignat et D. Lecomte, Réflexion sur le rapport Perben, D. avocats 2020. 549 image.

Comme nous l’indiquions il y a près d’un an (F.-X. Berger, Réforme de la procédure civile : pas de répit pour les praticiens, Dalloz actualité, 1er déc. 2020) : « L’une d’elles concernait les délais de la procédure d’appel, difficilement tenables et pour lesquels elle indiquait qu’il était possible, pour donner un peu plus de souplesse, de les rallonger, sans engendrer d’effets négatifs. »

Nous évoquions alors « une occasion manquée ». Bis repetita placent.

Convention de Lugano : compétence et changement de domicile du consommateur

L’application de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale est entrée en vigueur le 1er janvier 2010 pour l’Union européenne, le Danemark et la Norvège, le 1er janvier 2011 pour la Suisse, le 1er mai 2011 pour l’Islande. Elle donne lieu à un contentieux limité mais régulier (par ex., Civ. 1re, 30 janv. 2019, n° 17-28.555 F-P+B, Dalloz actualité, 18 févr. 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 261 image ; ibid. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; Rev. crit. DIP 2019. 820, note C. Chalas image ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau image ; CJUE 2 mai 2019, aff. C-694/17, Dalloz actualité, 27 mai 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 997 image ; ibid. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; RTD com. 2019. 790, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast image).

L’arrêt de la Cour de justice du 30 septembre 2021 mérite de retenir l’attention car il se prononce pour la première fois sur une difficulté que les auteurs spécialisés ne semblent pas avoir envisagée.

Un particulier domicilié en Allemagne avait ouvert un compte courant dans ce même État, auprès d’un établissement bancaire de droit allemand. Ce compte présentant un solde débiteur, un litige apparut entre les parties et l’établissement bancaire saisit un juge allemand. Or, le consommateur s’était, postérieurement à la conclusion du contrat mais avant la saisine du juge allemand, installé en Suisse.

La question à résoudre était, dans ces conditions, la suivante : la compétence du juge devait-elle être appréciée à la date de la conclusion du contrat – auquel cas il s’agissait d’un simple litige interne soumis au droit allemand – ou fallait-il prendre en considération l’apparition postérieure d’un élément d’extranéité lié au déménagement du consommateur en Suisse ?

Pour bien comprendre l’arrêt, il faut rappeler que :

- l’article 15 de cette convention dispose qu’« en matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par (les art. 15 à 17), sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5, paragraphe 5 : a) lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ; b) lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets ; c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État lié par la (…) convention sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État ou vers plusieurs États, dont cet État, et que le contrat entre dans le cadre de ces activité » ;
- l’article 16 ajoute, notamment, que « l’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État lié par la (…) convention sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié » et que « l’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État lié par la (…) convention sur le territoire duquel est domicilié le consommateur ».

La notion de domicile du consommateur est donc essentielle, notamment au regard de l’article 15, §1er, sous c), applicable en l’espèce.

Or, en application de l’article 18 du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 qui énonce par ses articles 17 à 19 des règles équivalentes à celles posées par les articles 15 et suivants de la Convention de Lugano, la Cour de justice a jugé que cette notion doit être interprétée comme désignant le domicile du consommateur à la date de l’introduction du recours juridictionnel (CJUE, ord., 3 sept. 2020, mBank, aff. C-98/20, RTD com. 2021. 227, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast image).

L’arrêt du 30 septembre 2021 rappelle cette solution. Il ajoute que l’article 15 de la Convention de Lugano ne prévoit pas que, à la date à laquelle le contrat a été conclu, l’activité professionnelle doit nécessairement être dirigée vers un autre État que celui du siège du professionnel et que, par ailleurs, rien n’indique non plus que l’État dans lequel le consommateur a son domicile doit être, à cette date, un État autre que celui du siège du cocontractant professionnel (arrêt, pt 42). L’arrêt précisé également qu’aucune des trois hypothèses visées à l’article 15 ne fait mention de la nécessité que l’activité exercée présente un élément d’extranéité à la date de la conclusion du contrat (arrêt, pt 49).

La Cour en déduit que l’article 15, paragraphe 1, sous c), « détermine la compétence dans le cas où le professionnel et le consommateur, parties à un contrat de consommation, étaient, à la date de la conclusion de ce contrat, domiciliés dans le même État lié par cette convention, et où un élément d’extranéité du rapport juridique n’est apparu que postérieurement à ladite conclusion, en raison du transfert ultérieur du domicile du consommateur dans un autre État lié par la Convention de Lugano ».

Cette position peut être approuvée, même s’il est certain qu’elle n’a vocation à être mise en œuvre que rarement. Certes, la détermination des règles de compétence applicables dépend alors de la volonté du consommateur, s’il décide de déménager dans un autre État lié par la Convention de Lugano. Toutefois, le risque d’une manipulation de ces règles est très limité car il appartient au juge saisi de vérifier la réalité du nouveau domicile dont il se prévaut. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’objet des dispositions de la Convention de Lugano consacrées aux contrats de consommation est précisément d’offrir au consommateur, considéré par principe comme une partie faible, des règles protectrices.

Il est enfin à noter que la solution retenue par l’arrêt du 30 septembre 2021 peut être transposée à propos des articles 17 et suivants du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, compte tenu de la proximité des règles énoncées par ce texte et celles de la Convention de Lugano.

L’Autorité de la concurrence n’est pas une juridiction !

C’est la mise en oeuvre de certaines pratiques dans le secteur des isolants thermiques qui aura conduit la Cour de cassation à répondre à la question de savoir si la requête en récusation dirigée contre le rapporteur désigné par l’Autorité de la concurrence pour procéder à une instruction est recevable.

Le point de départ de toute l’affaire réside dans l’arrêt Autorité polynésienne de la concurrence rendu le 4 juin 2020. Dans cet arrêt inédit, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait décidé que « lorsqu’elle est amenée à prononcer une sanction, l’Autorité polynésienne de la concurrence est une juridiction au sens des articles [6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et L. 111-8 du code de l’organisation judiciaire] de sorte que, même en l’absence de disposition spécifique, toute personne poursuivie devant elle doit pouvoir demander le renvoi pour cause de suspicion légitime devant la juridiction ayant à connaître des recours de cette autorité » (Civ. 2e, 4 juin 2020, n° 19-13.775, inédit, RLC sept. 2020, note B. Bouloc ; ibid. oct. 2020, p. 40, note M. Dumarçay ; CCC 2020. Comm. 130, note D. Bosco). C’était là un petit séisme dans le monde des autorités administratives indépendantes dont les répliques ne se sont pas faites attendre. Dès le 24 juillet 2020, le président de la cour d’appel de Paris jugeait, non sans raison, qu’un raisonnement analogue devait être tenu pour admettre la présentation d’une requête en récusation dirigée contre le rapporteur désigné dans le cadre d’une instruction diligentée devant l’Autorité de la concurrence ; et si les requêtes en récusation dont il était saisi étaient finalement déclarées irrecevables, c’était uniquement parce qu’elles n’avaient pas été déposées suffisamment tôt (Paris, 24 juill. 2020, pôle 1 - ch. 7, n° 20/08149).

Les décisions ainsi rendues par le président de la Cour d’appel de Paris ont fait l’objet de pourvois en cassation qui, assez logiquement, s’évertuaient à souligner que les requêtes en récusation étaient bien recevables car, avant l’arrêt rendu le 4 juin 2020, elles n’avaient aucune chance de succès !

Dans les deux arrêts commentés, la Cour de cassation rejette pourtant les pourvois après avoir opéré une substitution de motifs. Au terme de deux arrêts longuement motivés, elle juge que les requêtes en récusation dirigées contre le rapporteur désigné pour instruire l’affaire devant l’Autorité de la concurrence n’était effectivement pas recevables. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour de cassation laisse entendre, sans l’affirmer toutefois expressément, que l’Autorité de la concurrence ne constitue pas une juridiction, si bien que les dispositions organisant la procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime devant les juridictions civiles ne lui sont pas applicables.

Entre arguments logiques et d’autorité

La Cour de cassation avance que l’Autorité de la concurrence constitue une « autorité administrative indépendante », reprenant ainsi à son compte la qualification donnée par l’article L. 461-1 du code de commerce. Mais elle a tenté de démontrer qu’il ne s’agissait pas d’une juridiction ou d’une autorité exerçant un pouvoir juridictionnel en s’appuyant sur une argumentation logique doublée d’arguments d’autorité.

L’argumentation logique de la Cour de cassation est bâtie autour des critères matériels et formels de qualification de la notion de juridiction ; chacun sait que la notion de juridiction est assez fuyante et, en l’absence de certitude, ne peut réellement être déduite qu’à partir d’indices plus ou moins pertinents (L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani-Mekki, Théorie générale du procès, 3e éd., PUF, 2020, nos 213 s. ; E. Jeuland, Droit processuel général, 4e éd., LGDJ, 2018, nos 68 s.). La Cour de cassation ne s’est pas dérobée à cette tâche et a recensé divers indices (déjà utilisés par la Cour de justice de l’Union européenne, CJUE 16 sept. 2020, aff. C-462/19, Anesco) : après avoir rappelé la finalité « administrative » de l’Autorité de la concurrence (chargée de veiller au libre jeu de la concurrence et de contrôler les opérations de concentration économique), elle a relevé qu’elle est appelée à devenir partie à l’instance en cas de recours dirigé contre sa décision, qu’elle peut être dessaisie d’une affaire par la Commission européenne et que son président peut former un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris ayant annulé ou réformé sa décision. Autant d’indices qui laissent effectivement penser que l’autorité administrative indépendante ne constitue pas une véritable juridiction car elle peut être dessaisie d’une affaire et ne rend pas ses décisions en qualité de « tiers ».

Quoi qu’il en soit, la Cour de cassation ne s’est cependant pas arrêtée là et a cru bon d’invoquer deux arguments d’autorité en relevant que la Cour de justice de l’Union européenne avait jugé que l’Autorité de la concurrence n’est pas une juridiction apte à lui poser une question préjudicielle en application de l’article 267 du TFUE (CJUE 16 sept. 2020, aff. C-462/19, préc. ; 31 mai 2005, aff. C-53/03, Syfait, RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise image) et que le Conseil constitutionnel avait retenu que l’Autorité de la concurrence est une autorité de nature non juridictionnelle (Cons. const. 12 oct. 2012, n° 2012-280 QPC, Groupe Canal Plus (Sté), consid. 16, AJDA 2012. 1928 image ; D. 2012. 2382 image ; ibid. 2013. 1584, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano image ; RFDA 2013. 141, chron. Agnés Roblot-Troizier et G. Tusseau image ; Constitutions 2013. 95, obs. O. Le Bot image). Il s’agit là de purs arguments d’autorité ; rien n’interdisait d’ailleurs de penser que la Cour de justice de l’Union européenne ou le Conseil constitutionnel avaient exclu la qualification de juridiction au regard de préoccupations propres…

Même si elle s’est ainsi fondée sur l’autorité de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation n’a pas pour autant occulté la Cour européenne des droits de l’homme. Il est vrai que, pour apprécier l’applicabilité de l’article 6, § 1er, de la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme se borne à rechercher non l’existence d’une juridiction ou d’un tribunal, mais si une personne a fait l’objet d’une « accusation en matière pénale » : « la notion de juridiction intervient donc dans la mise en œuvre de l’article 6-1 et non dans ses conditions d’applicabilité » (E. Jeuland, Droit processuel général, 4e éd., LGDJ, 2018, n° 68). Incontestablement, lorsque l’Autorité de la concurrence est appelée à prononcer une éventuelle sanction administrative, elle apprécie le bienfondé d’une accusation en matière pénale (CEDH 3 déc. 2002, n° 53892/00, Lilly France SA c/ France). À ce titre, il faudrait qu’elle puisse être qualifiée de tribunal indépendant et impartial (v. par ex. le raisonnement suivi dans CEDH 4 mars 2014, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, Grande Stevens et a. c/ Italie, D. 2015. 1506, obs. C. Mascala image ; Rev. sociétés 2014. 675, note H. Matsopoulou image ; RSC 2014. 110, obs. F. Stasiak image ; ibid. 2015. 169, obs. J.-P. Marguénaud image ; RTD eur. 2015. 235, obs. L. d’Ambrosio et D. Vozza image) ; mais ce qui importe à la Cour est moins que l’organe ayant prononcé des sanctions puisse être qualifié de tribunal que son indépendance ou son impartialité (même si toutes ces notions sont liées). Or, la Cour européenne des droits de l’homme admet que « dans une procédure de nature administrative, une « peine » soit imposée d’abord par une autorité administrative » dès lors que les sanctions prononcées par celle-ci peuvent faire l’objet de contestations devant un organe judiciaire effectuant un contrôle de pleine juridiction selon une procédure, cette fois-ci, conforme aux canons de l’article 6, §1er de la Convention de sauvegarde (v. par ex., CEDH 10 déc. 2020, n° 68954/13 et 70495/13, Edizioni del Roma societa cooperativa A.R.L. et Edizioni del Roma S.R.L. c/ Italie ; 27 sept. 2011, n° 43509/08, A. Menarini Diagnostics S.R.L. c/ Italie, RTD eur. 2012. 117, étude M. Abenhaïm image). Ayant rappelé cet état de la jurisprudence, la Cour de cassation avait beau jeu de souligner que les décisions rendues par l’Autorité de la concurrence peuvent faire l’objet d’un contrôle de « pleine juridiction » devant la Cour d’appel de Paris, si bien que la partialité éventuelle de l’Autorité de la concurrence ne saurait de facto entraîner le constat de la violation des garanties tirées du droit à un procès équitable.

Au terme de sa démonstration, la Cour de cassation ne peut tirer qu’une unique conclusion : l’Autorité de la concurrence ne constitue pas une juridiction. Elle ne l’exprime pourtant pas expressément et se borne à en tirer la conséquence principale : il n’y a pas lieu de faire application des instruments propres aux juridictions civiles que sont la procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime. 

La démonstration paraît impeccable ; il reste à l’éprouver. À dire vrai, il est particulièrement délicat de démontrer que les critères avancés par la Cour de cassation pour établir que l’Autorité de la concurrence ne constitue pas une juridiction sont erronés, même s’il est toujours permis de discuter de l’un ou de l’autre (par exemple même si l’Autorité de la concurrence est réglementairement « partie à l’instance », elle a un rôle singulier). Les critères qui permettent d’établir qu’une institution constitue une juridiction sont variés et leur mise en œuvre peut conduire à des résultats fluctuants ; on ne saurait donc reprocher à la Cour de cassation d’avoir utilisé certains critères plutôt que d’autres. Tout au plus peut-on regretter qu’elle n’ait pas dégagé ses propres indices et ait préféré reprendre une argumentation développée par la Cour de justice pour répondre à une autre question…

Des exigences procédurales aux techniques de leur mise en oeuvre 

Il ne faudrait pas croire que l’impartialité constitue une exigence qui n’a pas sa place devant l’Autorité de la concurrence. Tel n’est assurément pas le sens des arrêts rendus le 30 septembre 2021 ! Même si la Cour de cassation se refuse, au moins implicitement, à qualifier l’Autorité de la concurrence de juridiction, cela n’exclut nullement que certaines exigences procédurales soient applicables aux procédures se déroulant devant elle. L’article L. 463-1 du code de commerce énonce ainsi qu’en principe l’instruction et la procédure devant l’Autorité de la concurrence sont contradictoires. La Cour de cassation ne nie pas que les exigences d’indépendance et d’impartialité trouvent à s’appliquer, dans une certaine mesure, devant cette autorité : elle souligne ainsi que l’organisation de l’Autorité de la concurrence est fondée sur une stricte séparation des fonctions de poursuite et d’instruction et que les textes fixant la composition du collège de l’Autorité de la concurrence et organisant les procédures devant elle tendent à garantir son indépendance et son impartialité. En somme, l’impartialité a sa place devant l’Autorité de la concurrence ; simplement, les techniques mises en œuvre pour la garantir ne sont pas les mêmes que devant les juridictions civiles…

Il reste alors à se demander ce qu’il reste de l’arrêt du 4 juin 2020. Deux chemins s’offrent à l’interprète.

Le premier revient à considérer que l’arrêt du 4 juin 2020 ne constituait finalement qu’un arrêt d’espèce, peut-être lié aux difficultés de fonctionnement qu’a pu rencontrer l’Autorité polynésienne de la concurrence à ses débuts et qui ne se retrouvent pas (ou en tout cas pas avec la même force) à propos de l’Autorité de la concurrence. Cela inviterait à se demander à l’instar du « professeur Zozo » si « ces arrêts ne méritent jamais le détour et que la lettre D, dont la Cour de cassation les accable, les condamne fatalement aux oubliettes du droit jurisprudentiel » (F. Rome, Yoyo et Zozo sont dans un restau…, D. 2011. 2921 image). Toutefois, l’arrêt du 4 juin 2020 paraît bel et bien formuler un principe. Et l’existence d’une divergence de jurisprudence ou d’un revirement ne peut être admise que si toutes les autres explications méritent d’être écartées.

Il faut donc s’efforcer de concilier ce dernier arrêt avec ceux rendus le 30 septembre qui font l’objet du présent commentaire. En somme, cela revient à se poser la question suivante : existe-t-il une raison justifiant que l’Autorité polynésienne de la concurrence soit qualifiée de juridiction lorsqu’elle est amenée à prononcer une sanction quand l’Autorité de la concurrence n’en constitue pas une ? La chose n’est pas aisée et plusieurs commentateurs de l’arrêt rendu le 4 juin 2020 semblaient admettre que la solution retenue à l’égard de la première devait être transposée, par voie d’analogie, à la seconde (v. notes préc.). Et, en ce sens, il est permis d’observer que l’Autorité polynésienne de la concurrence est bâtie selon un modèle similaire à celui de l’Autorité de la concurrence. Il faut toutefois remarquer que les arrêts faisant l’objet du présent commentaire sont fortement inspirés de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, elle-même fondée en tout ou partie sur le droit de la concurrence de l’Union européenne (et notamment sur l’existence de liens entre la Commission et l’Autorité de la concurrence), droit qui n’a pas vocation à s’appliquer en Polynésie française. Cela pourrait bien expliquer la qualification différente retenue à l’égard de l’Autorité polynésienne de la concurrence…

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Les droits de la défense et la sanction du dirigeant

La Cour de cassation a rendu le 29 septembre 2021 un arrêt qui mérite un commentaire et une critique.

En l’espèce, un dirigeant – précisément le gérant d’un groupement forestier en liquidation judiciaire – s’était vu infliger la mesure d’interdiction de gérer prévue par l’article L. 653-8 du code de commerce. Il considérait que les droits de la défense avaient été violés, dès lors que l’exigence d’un procès équitable implique qu’en matière de sanction, l’intéressé ou son avocat soit entendu à l’audience et puisse avoir la parole en dernier, mention devant en être faite dans la décision. Or, la cour d’appel n’avait pas relevé que le dirigeant ou son conseil avait été invité à prendre la parole en dernier et il était donc indiqué que l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales avait été violé. La Cour de cassation a jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur des moyens qui ne lui paraissaient pas être de nature à entraîner la cassation, en application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile.

Dans cette affaire, la cour d’appel de Versailles avait statué sur une demande de faillite personnelle et d’interdiction de gérer présentée par le liquidateur, à la suite d’une décision de liquidation judiciaire prononcée le 19 décembre 2014. La cassation a été encourue pour un autre motif car le dirigeant avait été condamné pour n’avoir pas tenu de comptabilité alors qu’il s’agissait d’une société civile (ce qu’est un groupement forestier) et que les textes applicables ne semblaient pas lui imposer la tenue d’une comptabilité.

L’interdiction de gérer ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes, la cassation a été encourue pour ce motif, dès lors que l’une des fautes n’était pas constituée et qu’il convenait d’appliquer le principe de proportionnalité. Cependant, la motivation qui nous intéresse concerne l’exigence du procès équitable et...

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Caducité et indivisibilité, la confrontation

Des demandeurs jugés irrecevables en leur action en condamnation de défendeurs à leur consentir une vente relèvent appel devant la cour d’appel de Colmar. Le 12 février 2018, le conseiller de la mise en état constate la caducité de la déclaration d’appel faute de sa signification dans le délai prévu à l’article 902 du code de procédure civile à l’égard de l’un des co-intimés. Par voie d’assignation, les appelants appellent alors en cause cette même partie. Le conseiller de la mise en état rend une nouvelle ordonnance, confirmée sur déféré par la Cour le 5 mars 2019, relevant l’irrecevabilité de la mise en cause et la caducité de la déclaration d’appel à l’égard des deux autres propriétaires indivis intimés. Les demandeurs au pourvoi contestèrent en substance la possibilité pour le conseiller de la mise en état, au regard de l’article 552 du code de procédure civile et de l’indivisibilité du litige, de retenir l’application de l’article 911-1 du même code, interdisant tout nouvel appel après que le premier ait été jugé caduc ou irrecevable. La deuxième chambre civile, qui rejette le pourvoi, répond que :

« 8. Il résulte de l’article 552, alinéa 2, du code de procédure civile, qu’en cas de solidarité ou d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, l’appel dirigé contre l’une des parties réserve à l’appelant la faculté d’appeler les autres à l’instance.
9. Cette faculté, qui est limitée au cas où la recevabilité de l’appel est conditionnée à l’appel en cause de toutes les parties à l’instance, permet à l’appelant, par une nouvelle déclaration d’appel, d’étendre l’intimation aux parties omises dans la déclaration d’appel initiale. Elle ne l’autorise pas à former un nouvel appel principal du même jugement à l’égard de la même partie, sauf à méconnaître les dispositions de l’article 911-1, alinéa 3 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n 2017-891 du 6 mai 2017.
10. Ces dispositions ne restreignent pas l’accès au juge d’appel d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. Elles poursuivent, d’une part, le but légitime d’une bonne administration de la justice, l’appelant ne pouvant multiplier les déclarations d’appel alors que sa déclaration initiale a régulièrement saisi la cour d’appel, et d’autre part, elles ne sont pas disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.
11. Après avoir exactement décidé que, statuant sur déféré d’une ordonnance du conseiller de la mise en état, elle était compétente pour examiner la recevabilité de l’appel en cause de Mme X, sur le fondement de l’article 552, alinéa 2, du code de procédure civile, qui s’analyse en un appel, c’est donc à bon droit, et sans...

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Quand la Justice condamne la Justice pour dysfonctionnement de la Justice

Chaque année un rapport, non public mais transmis au Parlement, retrace les actions en responsabilité engagées contre l’État du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice. Le Canard enchaîné (15/09) avait évoqué ce rapport, que Dalloz actualité publie aujourd’hui.

78 % de nouvelles affaires en 2020

Selon le rapport, les actions en responsabilité du fait d’un dysfonctionnement de la justice constituent un contentieux en forte hausse depuis 2014, en raison, notamment, des délais déraisonnables devant les juridictions prud’homales. En 2020, le nombre de nouvelles assignations contre l’État a ainsi très fortement augmenté (+ 78 %) : il y a eu 908, dont 600 dus aux contentieux prud’homales (essentiellement des délais).

En revanche, le nombre de décisions rendues a baissé de 17 %, du fait de la crise sanitaire. Dans le détail, sur les 426 décisions rendues en 2020, l’État a été condamné à 249 reprises, les requérants déboutés 149 fois, et la procédure interrompue dans 28 dossiers pour d’autres motifs (irrecevabilité, péremption, radiation,…).

Plus de sept millions d’indemnités versées en deux ans

Dans les 249 décisions ayant donné lieu à condamnation, le montant des sommes à la charge de l’État s’élève à 1,98 million d’euros. Une somme nettement moins importante qu’en 2019, où 352 condamnations avaient abouti à 5,29 millions d’indemnités. Outre la baisse du nombre de décisions rendues, en 2019, deux affaires représentaient à elles seules 2,88 millions d’euros. Par ailleurs, depuis 2019 l’État a développé les modes alternatifs de règlement des conflits : deux protocoles transactionnels ont été signés en 2019, sept en 2020 (pour 520 000 €) et dix sont en cours de finalisation.

En 2020, 83 % des condamnations prononcées concernent la matière civile, contre 17 % pour la matière pénale. 81 % des condamnations au civil sont dues aux conseils de prud’hommes. Au pénal, les condamnations sont moins nombreuses, mais avec des conséquences financières plus importantes (19 600 € en moyenne contre 5 050 € au civil).

Si le taux de condamnation est de 88 % pour les décisions rendues en matière de délai déraisonnable, il n’est que de 17 % dans les actions engagées sur le fondement de la faute lourde ou simple. Ces dernières sont plus difficiles à établir.

Parmi les 23 condamnations pour faute lourde, il y a eu six condamnations pour des litiges relatifs à la perte de scellés, une détention arbitraire, un défaut d’ouverture d’une information judiciaire sur un décès qui a conduit à la prescription de l’action publique et quatre défauts de traitement de plainte (dont un homicide conjugal précédé d’une plainte de la victime non transmise au parquet et non suivie d’effet). Des contrôles d’identité discriminatoires, concernant onze personnes, ont également été indemnisés. Au total, onze condamnations ont été prononcées du fait des opérations de police judiciaire (191 300 € d’indemnisation).

Les condamnations devant la CEDH

Enfin, le rapport retrace les recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui concernent le ministère de la Justice. En 2020, le nombre de nouvelles requêtes impliquant la Chancellerie a fortement augmenté (33 en 2020 contre 18 en 2019).

La Cour a rendu trente-huit décisions et arrêts concernant la France, dont dix constatant une violation. Sept arrêtés de violation impliquaient le ministère de la Justice, auxquels il faut ajouter deux règlements amiables. Au total, en 2019, le montant des réparations imputables sur les crédits du ministère de la Justice s’élevaient à 885 000 € (dont les 3/5e concernaient l’administration pénitentiaire).

Dans les détails de la hausse du budget de la justice

Les hausses différent en fonction des programmes : la plus importante concerne le pilotage général de la justice, qui coordonne notamment les investissements informatiques (+ 19,3 %), puis l’accès au droit et l’aide juridictionnelle (+ 16,2 %), l’administration pénitentiaire (+ 7,4 %), la PJJ (+ 4,2 %) et la justice judiciaire (+ 3,5 %). Les budgets d’investissements bénéficieront en particulier de l’afflux de crédits.

Justice judiciaire

Si les crédits de la justice continuent d’augmenter, l’augmentation des postes sera plus limitée. Le nombre de magistrats n’augmentera que faiblement. La loi de finances ne prévoit que 50 magistrats supplémentaires, 50 personnels d’encadrement et 47 greffiers. Le nombre de personnels techniques diminue même de 107. Le ministère fait valoir que d’importants recrutements d’agents ont été faits depuis fin 2020 (les « sucres rapides »), et que la trajectoire de la loi de programmation est respectée.

L’enveloppe consacrée aux frais de justice augmentera de 20 millions d’euros, après une hausse de 128 millions en 2021. Les dépenses moyennes pour une affaire pénale sont passés de 374 euros en 2019 à 461 euros en 2021. Parmi les explications : le nombre d’expertises demandées par affaire, les coûts de traduction et la reprise de l’activité post-covid. Ils seront tirés en 2022 par la revalorisation des expertises (P. Januel, Dalloz actualité, 14 sept. 2021) et des enquêtes sociales rapides. Pour limiter la hausse, le gouvernement compte notamment sur le déploiement en 2022 du logiciel de traduction neuronal et sur un plan d’actions co-construit avec les chefs de cours d’appel avec « la mise en place d’outils de suivi et d’actions de sensibilisation à l’attention de tous les acteurs, y compris les officiers de police judiciaire ».

Pour une meilleure mesure de l’activité, le bleu justice annonce également une concrétisation opérationnelle, d’ici la fin 2022, du groupe de travail travaillant sur un système de pondération des affaires judiciaires, dans le but de mieux appréhender l’activité des tribunaux : « une expérimentation permettant de confronter la pertinence des tables élaborées par le groupe à l’expérience des praticiens débutera à compter du second semestre 2021. »

À noter, les durées moyennes des procédures ont toutes diminué (des tribunaux judiciaires à la cassation), mais moins que ce prévoyait le budget 2021.

Administration pénitentiaire

Les créations d’emplois seront concentrées sur la pénitentiaire. Sur 599 créations, 419 iront vers les nouveaux établissements et la réduction des vacances d’emplois et 250 dans le renforcement des SPIP.

Le ministère est toujours mobilisé dans la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. Des travaux sont en cours ou seront lancés d’ici la fin 2021 à Caen-Ifs, Troyes-Lavau, Koné, Basse-Terre et Bordeaux-Gradignan. Toutefois, au titre des opérations de la seconde vague de construction d’établissements (8 000 places), seuls 46 millions d’euros de crédits de paiement sont prévus.

Par ailleurs, les indicateurs nous apprennent qu’en 2021, la part des personnes détenues condamnées à une peine de six mois ou moins est passé de 9 % en 2019 à 20 % en 2020 et 26 % en 2021. Alors même que la LPJ souhaitait lutter contre les courtes peines.

Protection judiciaire de la jeunesse

51 emplois seront créés en 2022 dans une administration mobilisée par le nouveau code de la justice pénale des mineurs. La promesse présidentielle de construction de cinq centres éducatifs fermés entre 2019 et 2021 n’aura pas été respectée. En 2022, seules deux structures auront ouvert (Epernay et Saint-Nazaire). Des travaux sont engagés en Dordogne et en Charente-Maritime. Mais le faible taux d’occupation des CEF (70 % en 2021) remet en cause la pertinence de ce programme de construction.

Aide juridictionnelle

L’aide juridictionnelle connaît à nouveau une forte hausse, les crédits budgétés passant de 534 millions à 615 millions en 2022. Par ailleurs, la loi de finances prévoit que l’unité de valeur passera de 34 à 36 euros. Cette nouvelle hausse avait été annoncée fin 2020, dans les suites du rapport Perben (P. Januel, Dalloz actualité, 26 août 2020). À noter, elle sera faite sans les contreparties initialement envisagées (P. Januel, Dalloz actualité, 3 nov. 2020).

Mission de recherche Droit et Justice et IHEJ

La Mission de recherche Droit et Justice fusionnera au 1er janvier 2022 avec l’Institut des Hautes études sur le justice (IHEJ ; P. Januel, Dalloz actualité, 28 oct. 2020) afin de donner naissance à un nouveau « Groupement d’intérêt public pour la recherche et les études prospectives sur la justice ». En conséquence les crédits passeront de 770 000 € à 1,37 millions. Une hausse qui apparaît toutefois limitée, compte tenu de cette fusion.

Justice administrative

Enfin, s’ils ne relèvent pas de la mission Justice, les crédits du programme Conseil d’État et autres juridictions administratives augmenteront de 30 millions (de 451 à 481 millions). Toutefois la justice administrative fait face à la hausse du contentieux (+ 10 % sur les 7 premiers mois de 2021 par rapport à 2019).

Rejet des prétentions de son adversaire en première instance : quelle portée en appel ?

Celui qui se borne en première instance à soulever la péremption de l’instance peut-il solliciter le rejet au fond des prétentions de son adversaire en appel et invoquer à cette fin tout moyen utile ? C’est à cette question que répond l’arrêt du 9  septembre 2021 sous commentaire.

Les faits de l’affaire soumise à la Haute juridiction étaient d’une grande banalité. Alors qu’une caisse primaire d’assurance maladie avait reconnu le caractère professionnel d’une infection contractée par un salarié, la société de travaux qui l’employait avait saisi feu les juridictions de la sécurité sociale afin que la décision de prise en charge de la maladie professionnelle lui soit déclarée inopposable. La caisse s’était bornée à soulever la péremption de l’instance et, sûre de son bon droit, n’avait pas même sollicité à titre subsidiaire le rejet des prétentions de l’employeur. Mal lui en a pris puisque le moyen tiré de la péremption a fait long feu et le tribunal a déclaré inopposable à la société de travaux la décision de prise en charge de la maladie professionnelle. La caisse a alors interjeté appel et, changeant son fusil d’épaule, a sollicité le rejet des prétentions au fond de son adversaire en invoquant divers moyens. La cour d’appel a cependant excipé l’article 563 du code de procédure civile pour déclarer irrecevable le tout : parce que la caisse n’avait pas demandé au premier juge qu’il rejette les demandes de l’employeur, elle ne pouvait soulever aucun moyen au soutien de cette prétention qui, étant nouvelle, était irrecevable. La nasse procédurale s’était ainsi refermée sur la caisse, qui n’avait d’autres alternatives pour en sortir que de former un pourvoi en cassation.

Et la Cour de cassation a partiellement donné raison à la caisse en censurant l’arrêt rendu par la cour d’appel. Certes, la caisse n’ayant pas sollicité en première instance le rejet des prétentions de son adversaire, elle ne pouvait aucunement avancer de nouveaux moyens au soutien de cette « prétention » en appel en se fondant sur l’article 563 du code de procédure civile. Mais, parce que la demande tendant au rejet des prétentions de l’employeur tendait à « faire écarter les prétentions adverses », elle était recevable (et les moyens qui la soutenaient également) en cause d’appel sur le fondement de l’article 564 du code de procédure civile. La caisse s’en tire finalement à bon compte !

Demander le rejet d’une prétention c’est formuler une prétention !

Demander le rejet d’une prétention, c’est déjà formuler une prétention ! Tel est le premier enseignement de l’arrêt commenté. Ce postulat admis, le reste du raisonnement en découle. Dès lors, à lire l’article 563 du code de procédure civile, que c’est uniquement pour justifier en appel les prétentions soumises au premier juge qu’une partie peut invoquer de nouveaux moyens, elle ne peut soulever aucun moyen destiné au rejet de la demande de son adversaire si elle n’a pas déjà sollicité ce rejet en première instance !

La Cour de cassation avait d’ailleurs déjà considéré que la partie qui, en appel, sollicite le rejet de la prétention de son adversaire élève lui-même une prétention pour en déduire qu’elle avait l’obligation de l’indiquer dans le dispositif de ses conclusions (C. pr. civ., art. 954) : elle a ainsi jugé qu’une cour d’appel n’est saisie d’aucune prétention lorsque l’appelant ne sollicite pas, dans le dispositif de ses conclusions, le rejet des prétentions formulées par son adversaire auxquelles avait fait droit le premier juge (Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-21.885, inédit) ou encore que le moyen tiré du défaut d’information de la caution, « qui ne vient qu’au soutien de la prétention tendant à voire rejeter la demande en paiement de la banque, n’a pas à être énoncé au dispositif des conclusions de la caution » (Com. 5 mai 2021, n° 19-22.688, inédit).

Mais, même s’il n’est donc pas totalement neuf, le postulat selon lequel demander le rejet des prétentions de son adversaire est déjà une prétention doit-il sérieusement être admis ?

Le code de procédure civile est bâti sur l’opposition entre les demandes et les moyens de défense.

Mise à part, peut-être, celle résultant de l’exercice d’une action déclaratoire, toute demande en justice contient une prétention. Qu’elle soit assimilée au résultat social ou économique que son auteur entend déduire en justice (H. Motulsky, Le rôle respectif du juge et des parties dans l’allégation des faits, in Les écrits. Études et notes de procédure civile, préf. G. Bolard, Dalloz, 2009, p. 38, n° 12) ou à l’effet juridique attaché à une règle de droit que l’auteur de la demande entend voir mise en œuvre à son profit (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, 2019, n° 116), la prétention peut (voire doit) être soutenue par un certain nombre de moyens qui constituent autant de raisonnements, articulés en fait et en droit, destinés à démontrer que les différentes conditions d’application d’une (ou de la) règle sont bien réunies. Vraisemblablement, c’est en ayant à l’esprit cet aspect substantiel de la prétention que les auteurs du code de procédure civile ont rédigé l’article 4 du code de procédure civile indiquant que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ». À la lecture de ce texte, on est assez enclin à admettre qu’à défaut de toute demande reconventionnelle, le juge n’est saisi que de la prétention contenue dans la demande initiale (L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 11e éd., LexisNexis, 2020, n° 499).

Les rédacteurs du code de procédure civile se sont cependant penchés sur les seuls moyens de défense, ce qui laisse dans l’ombre un point important : ces moyens soutiennent-ils, à l’instar des demandes, des prétentions ? La lecture de l’article 4 du code de procédure civile permet d’en douter alors que le juge peut d’office soulever certains moyens de défense pour en déduire par exemple l’irrecevabilité d’une demande. Pourtant, la mise en échec d’une demande passe bien souvent, comme les demandes, par le déclenchement de l’effet juridique d’une règle ; en somme, les moyens de défense, ou tout du moins certains d’entre eux, ne sont pas exclusifs de la formulation de ce qui s’apparente bien à une prétention (v. sur ce point, J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, op. cit., n° 140). Lorsqu’est soulevée une fin de non-recevoir ou une exception de procédure, le moyen tend à une fin (l’irrecevabilité de la demande, la nullité d’un acte de procédure…) qui peut être assimilée à une prétention ; ce qui la dissocie d’une demande est que l’avantage dont tire profit le défendeur est parfois purement procédural (C. Bléry, L’efficacité substantielle des jugements civils, LGDJ, 2000, J. Héron [dir.], préf. P. Mayer, nos 363 s.). En faisant abstraction de ce dernier point, il est ainsi possible d’admettre, comme semble d’ailleurs le faire la Cour de cassation, qu’une partie soulève une prétention, qu’elle doit comme telle faire figurer dans le dispositif de ses écritures adressées à la cour d’appel, lorsqu’elle prétend que la demande ou le recours formé par son adversaire est irrecevable (Civ. 1re, 9 juin 2021, n° 19-10.550 P ; Civ. 2e, 15 avr. 2021, n° 19-25.929 ; Soc. 2 déc. 2020, n° 19-20.546).

Il n’y a alors plus qu’un pas pour considérer que solliciter le rejet d’une prétention revient à élever une prétention. Solus et Perrot semblaient d’ailleurs le faire lorsqu’ils écrivaient à propos du défendeur que, « dans la mesure où il résiste à la demande de son adversaire, il émet la prétention que celle-ci soit rejetée » (H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, t 3, Procédure de première instance, Sirey, 1991, n° 64). Cette dernière analyse peut être discutée dans la mesure où celui qui sollicite le rejet de la prétention de son adversaire ne sollicite pas du juge qu’il fasse jouer l’effet juridique d’une règle ; le jugement qui rejette effectivement au fond une prétention n’emporte aucun effet substantiel ou procédural (C. Bléry, L’efficacité substantielle des jugements civils, op. cit., nos 105 s.).

Les parties peuvent soumettre de nouvelles prétentions pour faire écarter les prétentions adverses

Mais ce que la Cour de cassation écarte d’une main, elle l’admet de l’autre ! Car, sur le fondement de l’article 564 du code de procédure civile, elle rappelle que « les parties peuvent soumettre à la cour d’appel de nouvelles prétentions pour faire écarter les prétentions adverses ». La caisse avait ainsi pu solliciter le rejet des prétentions de son adversaire pour la première fois en appel.

Cette solution, qui s’appuie sur la lettre de l’article 564 du code de procédure civile, implique que les « prétentions adverses » sont non seulement celles élevées en cause d’appel, mais également toutes celles sur lesquelles les premiers juges ont statué (v. déjà, Civ. 3e, 3 avr. 1997, n° 95-14.998, Bull. civ. III, n° 76 ; AJDI 1997. 771 image, obs. D. Talon image). Dès lors, la caisse pouvait pour la première fois en appel demander le rejet des prétentions formulées par son adversaire en première instance.

Cette solution permet de rappeler que celui qui omet de solliciter le rejet des prétentions de son adversaire en première instance n’acquiesce pas à ses demandes pour autant. L’acquiescement résulte d’une volonté claire et dénuée d’équivoque du défendeur de renoncer à son action (Civ. 2e, 25 mai 1994, n° 93-10.881, Bull. civ. II, n° 134 ; D. 1995. 107 image, obs. N. Fricero image ; Civ. 3e, 23 oct. 1991, n° 89-18.458, Bull. civ. III, n° 244) ; celui qui a exprimé cette volonté est liée par celle-ci, si bien qu’il est alors irrecevable à interjeter appel de la décision qui constate son acquiescement pour discuter à nouveau du fond devant la cour d’appel (Civ. 2e, 14 déc. 2006, n° 05-22.057, inédit ; 5 mars 1986, n° 84-16.754, Bull. civ. II, n° 30). Or, celui qui omet de solliciter le rejet des prétentions de son adversaire en première instance ne manifeste nullement une telle volonté, l’absence de contestation ne suffisant pas à caractériser un acquiescement (Civ. 2e, 16 déc. 2004, n° 03-12.642, Bull. civ. II, n° 525 ; D. 2005. 311, et les obs. image) ; c’est la raison pour laquelle il peut encore en appel demander le rejet des prétentions de son adversaire…

Engagement de la masse commune et cautionnement des époux

La communauté réduite aux acquêts est un régime matrimonial nuancé où le créancier doit composer avec des règles protectrices de la masse commune qui viennent limiter le principe d’engagement des biens communs de l’article 1413 du code civil au stade de l’obligation à la dette (P. Malaurie, L. Aynès et N. Peterka, Droit des régimes matrimoniaux, 8e éd., Paris, LGDJ, coll. « Droit civil », nos 512 s.). C’est ainsi que l’article 1415 vient restreindre le gage des créanciers d’un cautionnement ou d’un emprunt pour un époux agissant seul. En pareille situation, seule la masse propre de l’époux caution ou emprunteur ainsi que ses revenus peuvent être saisis, le reste de la masse commune étant mise à l’abri par le législateur. Pour pouvoir saisir les biens communs, le créancier doit avoir recueilli le « consentement exprès » de l’autre époux, ce qui n’est pas chose aisée. La jurisprudence a pu interpréter très largement cet article afin de maximiser la protection offerte à l’époux n’ayant pas consenti le cautionnement (F. Terré et P. Simler, Droit des régimes matrimoniaux, Dalloz, coll. « Précis », 2019, 8e éd., p. 429, n° 403). L’arrêt rendu par la chambre commerciale le 29 septembre 2021 vient poser un nouveau jalon dans l’approche de l’article 1415 du code civil quand les cautionnements des époux communs en biens ont été recueillis dans le même acte mais que l’un d’entre-eux est annulé.

Les faits sont classiques : un établissement bancaire a consenti à une société un prêt d’un montant de 175 000 € remboursable sur 84 mensualités. Le prêt est garanti par un acte unique du 30 janvier 2013 dans lequel des époux mariés sous la communauté réduite aux acquêts – dirigeants de ladite société – se sont rendus cautions solidaires de l’engagement souscrit. La banque consent, par la suite, un nouveau prêt à l’automne 2013 à la même société. La seconde opération est garantie par un nouveau cautionnement solidaire des époux dirigeants.

L’emprunteur est mis en liquidation judiciaire si bien que le créancier assigne les cautions solidaires. Les époux opposent la disproportion de l’engagement et la nullité du cautionnement de l’époux car celui-ci n’avait pas rédigé la mention manuscrite prévue par l’article L. 341-2 du code de la consommation, applicable au litige. Seule la mention manuscrite de son épouse apparaissait sur l’acte de cautionnement qu’il avait signé le 30 janvier 2013.

En cause d’appel, une discussion se noue autour de l’article 1415 du code civil après la nullité prononcée de l’engagement de l’époux pour défaut de mention manuscrite. La banque pensait pouvoir contourner la restriction du gage des créanciers en se servant de l’engagement de l’épouse signé, en bas de document, par son conjoint. La cour d’appel de Colmar précise que « l’acte de cautionnement du 30 janvier 2013 est de nul effet en ce qui concerne un quelconque engagement de M. X., il ne saurait être tiré de la présence de sa signature dans les conditions précitées sur le document qui valide le cautionnement de son épouse, qu’il a expressément accepté un tel cautionnement ». Ainsi, la masse commune ne pouvait pas être saisie. Seuls les biens propres et les revenus de l’épouse étaient saisissables.

C’est sur ce point précisément que toute la discussion porte pour le demandeur au pourvoi incident, à savoir la banque prêteuse de deniers. Nous ne reviendrons pas sur le pourvoi principal des cautions qui s’attardait sur un moyen n’ayant pas entraîné une décision spécialement motivée car n’étant pas de nature à entraîner la cassation (il s’agissait de la disproportion manifeste de l’engagement).

La Cour de cassation rejette le pourvoi incident de la banque : la seule signature de l’autre époux ne suffit pas à valoir consentement exprès au sens de l’article 1415 du code civil. La masse commune est donc à l’abri dans cette situation. Il s’agit d’une lecture exigeante qui implique, avant d’en comprendre la portée et les limites, de rappeler l’importance de la nullité de l’engagement de l’un des époux faisant que la situation ne correspond plus à un cautionnement simultané mais à un cautionnement de l’un des époux seulement.

L’importance de la nullité de l’engagement de l’un des époux

L’argumentation du demandeur au pourvoi incident était simple : si la signature de l’époux ne pouvait valoir cautionnement pour son propre engagement en raison de la nullité prononcée, elle était toutefois suffisante pour démontrer un consentement exprès au sens de l’article 1415 du code civil pour le cautionnement de son conjoint.

Il faut ici comprendre qu’il n’y avait qu’un seul acte de cautionnement pour la garantie prise le 30 janvier 2013 dans lequel les époux se portaient cautions solidaires du premier emprunt. Il n’existait donc pas deux actes séparés de cautionnement de chacun des époux. La différence est importante car on sait que dans cette situation où les actes sont distincts, la Cour de cassation veille à un consentement exprès de chaque époux pour engager la communauté conformément à l’article 1415 du code civil (Civ. 1re, 8 mars 2005, n° 01-12.734, D. 2005. 1048 image ; AJ fam. 2005. 238, obs. P. Hilt image). Par jeu de miroir, la Haute juridiction a pu préciser pour un même acte réunissant les deux cautionnements que « ces derniers (les époux) se sont engagés en termes identiques sur le même acte de prêt en qualité de caution pour la garantie de la même dette ; qu’ayant ainsi fait ressortir qu’ils s’étaient engagés simultanément, la cour d’appel en a exactement déduit que l’article 1415 du code civil n’avait pas vocation à s’appliquer » (Com. 5 févr. 2013, n° 11-18.644, D. 2013. 1253, obs. V. Avena-Robardet image, note A. Molière image ; ibid. 1706, obs. P. Crocq image ; AJ fam. 2013. 187, obs. P. Hilt image ; Rev. sociétés 2013. 507, note I. Dauriac image). Ce régime de la simultanéité a pu conduire certains auteurs à critiquer la solution retenue (M. Mignot, Le cautionnement unique des époux hors du champ d’application de l’article 1415 du code civil, Gaz. Pal. 7 mars 2013).

Quelle particularité alors pour l’arrêt rendu le 29 septembre 2021 qui prône la solution inverse ? L’engagement de l’un des époux avait été annulé par la cour d’appel de Colmar car ce dernier n’avait pas reporté la mention manuscrite de l’article L. 341-2 du code de la consommation. Par conséquent, exit le cautionnement souscrit par chacun des époux puisque celui-ci ne respectait pas le formalisme exigé en la matière (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2021, p. 223, n° 171). C’est précisément sur ce point que la nuance porte car si la nullité n’avait pas été prononcée, l’article 1415 du code civil n’aurait pas trouvé application ; chacun des époux ayant été partie à la sûreté personnelle dans le même acte. Il n’y a donc pas ici cautionnement simultané des deux époux mais un seul cautionnement, de l’épouse en l’espèce.

L’article 1415 du code civil retrouve alors tout son empire puisque seul un époux s’est porté caution : la nullité de l’engagement de l’autre implique de faire comme s’il n’avait jamais été garant ; retour au statu quo ante oblige.

Un retour à une application exigeante de l’article 1415 du code civil

La chambre commerciale opte pour une motivation lapidaire mais néanmoins efficace selon laquelle « lorsque les cautionnements d’époux communs en biens ont été recueillis au sein du même acte pour garantir la même dette et que l’un des cautionnements est annulé, la seule signature au pied de cet engagement ne vaut pas consentement exprès au cautionnement de l’autre conjoint, emportant engagement des biens communs en application de l’article 1415 du code civil » (nous soulignons). En somme, une simple signature n’est pas le « consentement exprès » dont parle la lettre de l’article 1415 du code civil. C’est un retour à une solution exigeante en terme probatoire.

Qu’aurait-il fallu de plus, alors ? Un arrêt rendu en 2017 (Com. 17 mai 2017, n° 15-24.184 et n° 15-24.187) avait pu préciser dans le même contexte d’une nullité de l’engagement de l’autre époux que la signature accompagnée de la mention « lu et approuvé. Bon pour caution solidaire du montant du prêt en principal augmenté des intérêts au taux conventionnel stipulé à l’article modalités, commissions, frais et accessoires » était un consentement exprès au sens de l’article 1415 du code civil. On connaît la portée probatoire quasi-nulle des mentions « lu et approuvé » mais rien n’empêche le juge d’en tirer des conclusions sur le consentement à l’acte et donc sur l’engagement des biens communs qui en résulte.

Tout reste donc dépendant d’une appréciation très fine pour déterminer si, malgré la nullité, le consentement exprès a été donné ou non. Une certitude toutefois : on ne peut pas se servir de la partie de l’acte annulé (le consentement du conjoint n’ayant pas recopié la mention manuscrite) pour justifier que ce dernier a voulu donner son consentement exprès. Ce serait une solution de facilité qui méconnaîtrait la portée de la nullité qui consiste à faire comme si cette partie de l’acte n’avait jamais existé. L’article 1415 du code civil retrouve sa fonction de cran de sécurité pour protéger la communauté en pareille situation à travers la recherche d’un consentement exprès.

En revenant donc à ce qui est explicitement dans l’acte, la seule signature ne suffit pas. La solution est exigeante voire sévère pour le créancier qui a obtenu une sûreté qu’il pensait particulièrement efficace. L’arrêt commenté n’est donc pas un revirement de jurisprudence mais une simple nuance à la construction opérée par la Cour de cassation en cas de nullité de l’un des cautionnements recueillis au sein du même acte. Gare donc au consentement exprès qui nécessite une clause à lui seul !

Douce et légère brise de clémence sur la procédure d’appel sans représentation obligatoire

Dans plusieurs litiges opposant l’URSSAF, pour des redressements, les personnes redressées ont saisi la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

En application de l’article R.142-11 du code de la sécurité sociale, « la procédure d’appel est sans représentation obligatoire ». En conséquence, comme le prévoit l’article 933 du code de procédure civile, la déclaration d’appel doit préciser les chefs du jugement critiqués auquel l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement.

Or, dans les déclarations d’appel formées, il était seulement indiqué que les appels tendaient « à l’annulation ou à tout le moins à la réformation de la décision déféré », sans préciser les chefs critiqués.

L’URSSAF s’était emparée de ce point de procédure pour soutenir qu’en application de l’article 562, la cour d’appel n’était saisie d’aucun moyen en l’absence d’effet dévolutif de l’acte d’appel.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, par arrêts du 20 décembre 2019, n’avait pas entendu l’argument, et avait statué au fond et annulé les redressements. À noter, qu’entre temps, la cour d’appel d’Aix-en-Provence était revenue sur cette jurisprudence clémente, pour considérer que de telles déclarations n’opéraient pas dévolution (v. not. Aix-en-Provence, ch. 4-8, 28 mai 2021, n° 20/10558 ; 23 juill. 2021, n° 20/12372  ; 9 avr. 2021, n° 20/07972).

L’URSSAF s’est pourvue en cassation, invoquant l’absence d’effet dévolutif.

Le moyen est rejeté par la Cour de cassation, qui donne à l’article 562 une portée différente selon que la procédure est avec ou sans représentation obligatoire.

Une dévolution à géométrie variable

Alors que l’appel était sans représentation obligatoire, la Cour de cassation, pour justifier sa position, rappelle l’état du droit dans les procédures avec représentation obligatoire.

Ce rappel présente l’avantage de souligner que cet arrêt n’est pas un revirement quant à la portée de l’article 562.

Et c’est par un long développement que la Cour de cassation reprend sa jurisprudence récente et bien établie concernant les chefs critiqués, dans les procédures avec représentation obligatoire. Ces « chefs expressément critiqués » doivent apparaître dans l’acte d’appel, faute de quoi la dévolution n’opère pas et la cour d’appel n’est alors saisie d’aucun litige (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 image ; ibid. 576, obs. N. Fricero image ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon image ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry image ; ibid. 458, obs. N. Cayrol image ; 25 mars 2021, n° 20-12.037 P, Rev. prat. rec. 2021. 6, chron. O. Cousin, Anne-Isabelle Gregori, E. Jullien, F. Kieffer, A. Provansal et C. Simon image ; 2 juill. 2020, n° 19-16.954 P, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; JCP 2020. 1170, note Herman ; Gaz. Pal. 3 nov. 2020, p. 61 note Hoffschir ; ibid. 6 oct. 2020, p. 24, note Fertier).

Nous pourrions considérer que cela est acquis, mais la pratique nous montre que de nombreuses déclarations d’appel restent très discutables à cet égard, ce qui justifie cet opportun rappel.

Et pour justifier cette lecture clémente de l’article 562, la Cour de cassation souligne que lorsque les parties doivent être représentées, elles le sont par un « professionnel du droit » (Civ. 2e , 4 juin 2020, n° 19-24.598 P, D. 2020. 1235 image ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle image), aussi qualifié de « professionnel averti » ou de « professionnel avisé » (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-18.150, D. 2019. 555, obs. N. Fricero image ; ibid. 555, obs. N. Fricero image ; 21 févr. 2019, n° 17-28.285 P, D. 2020. 576, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol image ; 4 juin 2020, n° 18-23.248 P, D. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol image ; 2 juill. 2020, n° 19-11.624 P, D. 2020. 1471 image ; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol image ; 25 mars 2021, n° 18-23.299 P, RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol image ; 20 mai 2021, n° 19-19.258 P). Et ce professionnel qu’est l’avocat connaît les « règles (qui) sont dépourvues d’ambiguïté » pour lui.

Il est vrai que cette affirmation est sujette à discussion, et mériterait d’être relativisée, lorsque l’on voit que la procédure d’appel reste tout de même la hantise de la profession d’avocat, et sa complexité provoque l’ire des avocats tombés dans l’un de ses pièges.

Mais dans les procédures sans représentation obligatoire, dans lesquelles cette représentation est seulement possible, rien de tel.

Pour la Cour de cassation, il importe de donner aux parties la possibilité d’accéder au juge de manière effective, et donc d’accomplir pour ce faire les actes de la procédure d’appel leur permettant d’être jugé.

Pour que cet objectif soit rempli, et puisque les parties peuvent se défendre seules sans l’assistance d’un professionnel du droit, la « charge procédurale » ne doit pas être « excessive », et il faut donc un formalisme allégé.

C’est, pour la Haute juridiction, l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et son droit à l’accès au juge, qui permet ce régime de faveur qui n’est toutefois pas exempte de critique.

Une résurrection de l’ancien article 562 dans les procédures sans représentation obligatoire ?

La solution adoptée par la Cour de cassation est tout de même assez radicale.

En effet, il est considéré que dès lors que la partie n’a pas l’obligation d’être représentée par un professionnel du droit, alors, la dévolution opère pour le tout en l’absence des chefs critiqués.

Il s’agit ni plus ni moins que de faire revivre l’alinéa 2 de l’ancien article 562 selon lequel « la dévolution s’opère pour le tout lorsque l’appel n’est pas limité à certains chefs », et de balayer la version née du décret du 6 mai 2017.

Mais nous pouvons nous interroger si la Cour de cassation entend également faire revivre son premier alinéa, et considérer en conséquence que « l’appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément ».

Il en résulterait que si l’appelant mentionne des chefs, la dévolution serait limité à ces chefs, et les demandes dépassant cette dévolution ne seraient pas examinées, et qu’en l’absence de chefs, la dévolution serait totale.

Nous ignorons quelle portée la Cour de cassation entend donner à cette jurisprudence. Mais ce retour total à « l’avant 2017 » n’est certainement pas opportun, et pourrait être regardé comme un formalisme excessif, privant l’appel de son droit à l’accès au juge.

En conséquence, il faudrait retenir que la mention des chefs critiqués dans la déclaration d’appel dans les procédures sans représentation obligatoire serait purement esthétique, sans la moindre conséquence sur la dévolution opérée par l’acte d’appel. Cette obligation, sans sanction, serait un peu comme l’obligation de mentionner les chefs expressément critiqués dans la déclaration de saisine après cassation, laquelle obligation n’a aucune conséquence sur la saisine de la cour (Civ. 2e, 14 janv. 2021, n° 19-14.293 P, Dalloz actualité, 29 janv. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; JCP 2021. 176, note Herman), et ne pouvant être sanctionnée que sur justification d’un grief impossible à démontrer en pratique (Civ. 2e, 15 avr. 2021, n° 19-20.416 P).

La Cour de cassation ne pouvait-elle pas adopter une position médiane, peut-être davantage en cohérence avec la raison pour laquelle la charge procédurale a été écartée ?

En effet, c’est l’absence d’un professionnel du droit qui a motivé cette jurisprudence.

Mais si cette représentation n’est pas obligatoire, elle est toutefois permise.

Dans un tel cas, dès lors que l’appelant a fait le choix d’être représenté par un avocat, ce dernier, qui connaît les arcanes procédurales, n’a aucune raison valable pour ne pas y satisfaire.

La clémence à l’égard de ce professionnel averti, qui a omis les chefs critiqués dans son acte d’appel, est-elle davantage admissible selon que la partie avait ou non l’obligation de recourir à ses services ?

Cela n’est tout de même pas très cohérent.

Mais la Cour de cassation n’opère pas un telle distinction, et nous ignorons si en l’espèce les appelants avaient pris soin de se faire représenter par un avocat.

Il n’aurait pas été absurde de faire une telle distinction, qui au demeurant existe déjà par ailleurs.

En effet, l’article 446-2, qui permet de mettre de l’écrit dans les procédures orales, impose un formalisme particulier pour les conclusions lorsque toutes les parties sont assistés ou représentés par un avocat, faisant de ces écritures des conclusions équivalentes à celles de l’article 954 dont nous connaissons l’exigence et les conséquences en cas de manquement.

Même une position plus rigoureuse que celle dont la Cour de cassation a fait preuve n’aurait pas immanquablement donné lieu à une hécatombe procédurale.

Si l’acte d’appel sans chef n’avait pas opéré dévolution, il n’en demeure pas moins que si l’on s’en tient aux avis de 2017 (Civ. 2e, 20 déc. 2017, nos 17019, 17020 et 17021 P, Dalloz actualité, 12 janv. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 18 image ; ibid. 692, obs. N. Fricero image ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle image ; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean image ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, p. 34 ; JCP 2018. 173, note Gerbay), cette irrégularité pouvait être corrigée dans le délai pour présenter ses prétentions, qui en matière orale correspondrait à l’audience. Ainsi, l’appelant qui se verrait opposer une absence de dévolution avait une relative marge de manœuvre pour réitérer son acte d’appel, et ce même après le délai d’appel compte tenu de l’effet interruptif de l’article 2241 du code civil (Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-22.088 P, Bull. civ. II, n° 215 ; D. 2014. 2118 image ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero image ; ibid. 517, chron. T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati image ; 1er juin 2017, n° 16-14.300 P, Bull civ. II, n° 116 ; D. 2017. 1196 image ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image).

L’absence des mentions des chefs critiqués n’aurait donc pas eu, en tout état de cause, les mêmes conséquences en procédure sans représentation obligatoire.

Mais ce n’est pas la position retenue par la Cour de cassation, qui a peut-être voulu faire au plus simple.

Les avocats ne se plaindront pas de cette clémence, ni les justiciables qui de toute manière seront restés à l’écart de cette problématique procédurale.

Ceux qui, en revanche, verront cette jurisprudence d’un très mauvais œil sont les cours d’appel, et notamment les chambres sociales des cours d’appel de Paris, Nancy, Versailles, Aix-en-Provence, Bordeaux, Rennes, qui, à trop vouloir écouter le chant des sirènes, se sont laissés imprudemment piéger par cette séduisante échappatoire. Un rapide coup d’œil sur les bases de données laisse à penser que ce n’est pas moins de 200 décisions qui, potentiellement, seraient concernées par cette jurisprudence, et qui dont sont susceptibles d’être cassées. Reste que de nombreux arrêts sont peut-être irrévocables à ce jour, sans qu’un pourvoi en cassation n’ait été envisagé ou formé. Quoiqu’il en soit, le retour après cassation promet d’être quelque peu douloureux…

Adaptation de la garantie légale de conformité pour les biens et les contenus et services numériques

L’adaptation du code de la consommation aux impératifs de la modernité est un objectif si ce n’est fondamental, au moins nécessaire pour la mise en jeu de la protection du consommateur notamment en droit de l’Union européenne (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Dépincé, Droit de la consommation, Dalloz, coll. « Précis », 10e éd., 2020, sur la construction européenne, p. 47, nos 43 s.). L’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 sur la garantie légale de conformité vient à la fois moderniser et adapter les règles existantes pour tenir compte de cet objectif. Rappelons que cette ordonnance est la suite logique de la transposition de la directive (UE) 2019/770 sur les contrats de fourniture de contenus numériques ou de services numériques (v. J.-D. Pellier, Le droit de la consommation à l’ère du numérique, RDC 2019, n° 4, p. 86 s.) ainsi que de la directive (UE) 2019/771 concernant les contrats de vente de biens. L’ordonnance a été prise sur le fondement de la loi n°2020-1508 du 3 décembre 2020. Le Rapport remis au Président de la République indique que cette transposition obéit à « un souci de modernisation du cadre juridique de la protection des consommateurs, tenant compte de l’accroissement des ventes de produits connectés (tels que « l’internet des objets »), ainsi que de la fourniture de contenus et services numériques sous différentes formes ». Les nouvelles règles concernant la garantie légale de conformité s’appliquent aux contrats conclus à partir du 1er janvier 2022 ainsi qu’aux contenus et services numériques fournis à compter de cette date. Cette étape finale permettra aux directives précédemment citées de déployer tous leurs effets en droit positif et d’assurer une protection plus importante du consommateur à une époque où le numérique est omniprésent. Le parcours reste toutefois semé d’obstacles. Les dispositions introduites sont d’une certaine complexité et il faudra composer avec quelques doutes sur le sens de certaines dispositions jusqu’à des interprétations jurisprudentielles prochaines. Ceci n’empêche pas le texte d’être plutôt bien mené et respectueux, dans l’ensemble, des directives transposées avec quelques mois de retard sur la date initialement convenue (à savoir le 1er juill. 2021 avant la pandémie de covid-19).

Nous étudierons les traits caractéristiques de l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 afin de les examiner et de percevoir les changements majeurs en droit positif. À titre préliminaire, notons immédiatement que plusieurs dispositions sont touchées de manière incidentes par les modifications opérées par l’ordonnance. Ainsi en est-il particulièrement de l’article liminaire du code de la consommation dont nous verrons que sa refonte peut laisser perplexe certains auteurs. Les principaux changements opérés par l’ordonnance sont sur le volet de la vente de biens et sur le volet de la fourniture de contenus et de services numériques, lequel dépend étroitement du précédent. Tel est le plan de notre étude.

Une modification substantielle de l’article liminaire

L’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 vient, en premier lieu, bousculer l’architecture de l’article liminaire du Code de la consommation. Le mot « bousculer » est employé à dessein puisqu’on assiste à une certaine hypertrophie de cet article liminaire avec l’ordonnance nouvelle. On sait que les définitions données avant le 1er octobre 2021 n’étaient pas forcément entièrement satisfaisantes (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, Dalloz, coll. « Cours », p. 19, n°11). L’ordonnance du 14 mars 2016 ratifiée par la loi n° 2017-203 du 21 février 2017 a pu apporter toutefois un éclairage intéressant en proposant un article unifiant trois définitions fondamentales à la matière pour l’application des règles du code de la consommation. La définition du professionnel, absente dans un premier temps, a pu à ce titre clarifier quelques discussions doctrinales en posant de nouvelles questions qui ne sont pas réglées par l’ordonnance n° 2021-1247 (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, Dalloz, coll. « Précis », p. 4, nos 3 s.). 

Désormais, l’article liminaire du Code de la consommation accueille dix nouveaux venus au rang des définitions apportées : le producteur, les biens comportant des éléments numériques, le contenu numérique, le service numérique, le support durable, la fonctionnalité, la compatibilité, l’interopérabilité, la durabilité et les données à caractère personnel. Il reste assez intéressant de voir la technique à l’œuvre : la définition donnée de ces termes à l’orée du Code de la consommation donne un tempo bien différent de celui du Code civil, par exemple. On sait que certains juristes ont pu s’interroger sur l’utilité et le risque de définir dans la loi (G. Cornu, Les définitions dans la loi, Mélanges dédiés au doyen Jean Vincent, Dalloz LexisNexis, 1981, § 1er à la fois un « trésor de définitions » et § 36 « dogmatique, elle est plus rigide »). Les définitions introduites dans l’ordonnance n° 2021-1247 multiplient, probablement un peu trop, les délimitations légales pour mieux encadrer les transpositions des deux directives (UE) 2019/770 et (UE) 2019/771. Mais il n’en reste pas moins que l’article perd probablement un peu en clarté au profit d’une délimitation certaine des notions évoquées par l’ordonnance (v. en ce sens, J.-D. Pellier, La dénaturation de l’article liminaire du code de la consommation (à propos de l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques), à paraitre au Recueil).

Quoiqu’il en soit, l’ordonnance vient donc modifier de manière importante le cadre de l’article liminaire du Code de la consommation afin de procéder à des renvois réguliers pour mieux cerner les notions introduites, notamment sous l’angle des éléments numériques que sous-tend la transposition de la directive (UE) 2019/770.

Outre ce changement d’architecture de l’article liminaire, c’est bien évidemment la garantie légale de conformité qui occupe la place centrale de l’ordonnance éponyme. 

La métamorphose de la garantie légale de conformité

Comme le note le compte-rendu du Conseil des ministres du 29 septembre 2021, « la garantie légale de conformité couvre désormais également les produits numériques tels qu’un abonnement à une chaîne numérique ou l’achat d’un jeu vidéo en ligne. Elle est également applicable aux relations contractuelles des consommateurs avec les opérateurs de réseaux sociaux ».

L’ordonnance entend séparer dans deux sections distinctes la garantie légale de conformité pour la vente de biens (art. L. 217-1 à L. 217-32) et pour la fourniture des contenus et services numériques (art. L. 224-25-1 à L. 224-25-32) tous deux frappés du sceau de l’ordre public (art. L. 219-1 et L. 224-25-32) afin d’éviter tout contournement par le contrat ; ce qui réduirait la protection à une peau de chagrin (en ce sens, v. l’art. 22 de la dir. (UE) 2019/770 qui permet bien évidemment d’aller au-delà de la protection offerte par le législateur).

Une constante quel que soit le type de contrat envisagé doit immédiatement attirer l’attention. Les dispositions concernées sont applicables aux contrats conclus entre professionnels et consommateurs mais aussi aux contrats conclus entre professionnels et non professionnels (C. consom., nouvel art. L. 217-32 pour la vente de biens et nouvel art. L. 224-25-31 pour la fourniture de contenus numériques ou de services numériques). C’est une modification substantielle qui élargit la protection à de nouveaux horizons, de manière fort bienvenue puisque le non-professionnel est, peu ou prou, dans une situation comparable à celui du consommateur dans le cadre de la vente de biens ou de fournitures de contenus numériques puisque, par définition, n’agissant pas à des fins professionnels (v. art. liminaire).

Afin de dissuader toute pratique des professionnels faisant obstacle à l’application des règles introduites, l’ordonnance cite une myriade de sanctions civiles (C. consom., art. L. 241-5 à L. 241-7 pour la vente de biens ; art. L. 242-18-1 à L. 242-18-3 pour la fourniture de contenus numériques) et de sanctions administratives (C. consom., art. L. 241-8 à L. 241-15 pour la vente de biens ; art. L. 242-18-4 à L. 242-18-9 pour la fourniture de contenus numériques) afin d’assurer au texte une application raisonnée et, par l’effet comminatoire, empêcher toute inapplication à titre préventif.

Est ajouté un article L. 112-4-1 ainsi libellé : « lorsque le contrat de vente de biens ou le contrat de fourniture de contenus numériques ou de services numériques ne prévoit pas le paiement d’un prix, le professionnel précise la nature de l’avantage procuré par le consommateur au sens des articles L. 217-1 et L. 224-25-2 ». L’addition permet un gain de clarté pour les consommateurs qui sauront à quoi s’en tenir quand un contrat de vente ou de fournitures est offert sans le paiement d’un prix, ce qui se distingue assez souvent d’une complète gratuité par ailleurs puisque parfois des données personnelles peuvent être récoltées par le professionnel.

Afin de mieux cerner les nouveautés, nous diviserons le propos en deux sous-parties. Le texte utilise un modèle, celui de la vente de biens pour parachever la protection en adaptant celui-ci aux fournitures de contenus numériques et de services numériques.

Le modèle de la protection : la vente de biens

En ce qui concerne le domaine de la garantie légale de conformité, l’ordonnance n° 2021-1247 vient réécrire de manière substantielle l’article L. 217-2 du code de la consommation afin de procéder à des exclusions déjà présentes dans la loi (biens vendus par autorité de justice et enchères publiques) et pour expressément exclure les contrats de vente d’animaux. Sur ce point, le Rapport remis au président de la République vient rappeler que des dispositions spécifiques du Code rural sont applicables à ces derniers contrats (p. 2, par renvoi en réalité aux dispositions des vices cachés à certaines conditions).

Les recours demeurent les mêmes qu’auparavant en cas de défaut de conformité : la réparation ou le remplacement du bien comme solution de principe (sans frais, évidemment) avec un délai maximum pour le professionnel de trente jours. Si ceci n’est pas possible, le consommateur obtient la réduction du prix ou la résolution du contrat comme par le passé. La durée de cette garantie reste de deux ans à compter de la délivrance du bien (art. L. 217-3). 

Se créent souvent des discussions autour de ce qu’est la conformité du produit. L’article L. 217-4 issu de l’ordonnance vient, sans réelle surprise, faire référence à la conformité au contrat et l’article L. 217-5 donne des critères de conformité que l’ordonnance liste de manière in abstracto comme l’usage habituellement attendu d’un bien de même type ou la conformité à un échantillon ou à un modèle. Il faudra, bien souvent, préférer l’approche contractuelle car les critères objectifs peuvent laisser perplexes tant il sera difficile pour le consommateur d’y faire référence utilement.

La présomption d’antériorité survit également à l’ordonnance n° 2021-1247 à l’article L. 217-7 lequel subit une réécriture assez importante, par ailleurs, pour y inclure le cas où la vente de biens comporte des éléments numériques prévoyant une fourniture continue de contenus. Notons que pour les biens d’occasion, le délai passe de six actuellement à douze mois au 1er janvier 2022 (art. L. 217-7, al. 2 nouv.).

La construction d’un régime de la garantie légale de conformité pour les contenus numériques et les services numériques s’adosse à ce régime en l’adaptant ponctuellement dans une section dédiée.

Le parachèvement de la protection à travers la fourniture de contenus et services numériques

Sur les contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques, deux définitions (celles de l’environnement numérique et de l’intégration) sont données à l’article L. 224-25-1 nouveau, ce qui renforce l’idée selon laquelle les définitions se sont multipliées dans le Code de la consommation afin de respecter au mieux le champ des transpositions notamment de la directive (UE) 2019/770 (sur ce point, v. J.-D. Pellier, Le droit de la consommation à l’ère du numérique, préc., spéc. n° 6).

La garantie légale de conformité applicable aux contenus numériques et aux services numériques ressemble peu ou prou à celle que nous connaissons pour la vente de biens. On y retrouve les traits caractéristiques de l’attente contractuelle avec la conformité du contenu au contrat conclu (C. consom., art. L. 224-25-12 nouv.). Les remèdes offerts par la directive (UE) 2019/770 aux problèmes de conformité se retrouvent aux articles L. 224-25-17 et suivants opérant comme pour la vente de biens pour un choix hiérarchisé. En premier lieu, il s’agit de la mise en conformité du contenu numérique, si possible. En second lieu, le consommateur peut obtenir la réduction du prix ou la résolution du contrat. Cette structure hiérarchisée se déduit des articles L. 224-25-18 à L. 224-25-23 nouveaux du Code de la consommation. On notera l’application possible de l’exception d’inexécution de l’article 1219 du Code civil : le consommateur peut suspendre le paiement de tout ou partie du prix jusqu’à ce que le professionnel ait satisfait aux obligations qui lui incombent dans la mise en conformité du contenu. Voici un renvoi au droit commun fort intéressant montrant que le droit de la consommation reste du droit spécial des contrats.

Le délai retenu est celui de deux ans à partir de la fourniture. Quand le service est fourni de manière continue, le professionnel est tenu des défauts apparaissant au cours de la période de fourniture, ceci n’étant que l’adaptation du délai précédent au type particulier de fourniture pendant un temps précis. La règle permet de prendre acte de manière dynamique des abonnements continus de type abonnement à un cloud (de sauvegarde de données, par exemple) ou de streaming. La présomption d’antériorité est d’une année à compter de la fourniture du service (C. consom., art. L. 224-25-16-I nouv.), là où elle est de deux ans à compter de la délivrance du bien comme nous l’avons étudié précédemment. La présomption est simple, le professionnel peut rapporter la preuve contraire s’il y parvient.

L’ordonnance n° 2021-1247 fait une place de choix aux mises à jour des contenus numériques, à travers les articles L. 224-25-24 nouveaux du code de la consommation avec, une fois de plus, une définition de ce qu’est une mise à jour dont le critère est le maintien, l’adaptation ou l’évolution des fonctionnalités ou des services numériques souscrits. Le consommateur dispose d’un droit à l’information de la disponibilité de ces mises à jour ainsi qu’à leur réception sur le produit concerné. Le Rapport remis au président de la République (p. 3) rappelle, à ce titre, que l’ordonnance reprend les innovations de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 sur la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Ceci se traduit par l’ajout d’une information du consommateur sur la durée des fournitures de mise à jour. L’ajout est important, par exemple, pour les logiciels systèmes qui cessent peu à peu d’être mis à jour quand une nouvelle version payante est disponible.

Conclusion

Voici donc une ordonnance qui entend accompagner le Code de la consommation dans une société du tout-numérique qui évite le gaspillage par ailleurs (v. par ex., l’extension automatique de six mois de la garantie légale en cas de réparation, art. L. 217-3 nouv.). Certains regretteront des définitions à foison et des règles trop nombreuses, parfois qualifiées de peu digestes par la doctrine. Mais le contenu final est une transposition assez fidèle des directives (UE) 2019/770 et (UE) 2019/771 qui permettent une protection intéressante du consommateur. Le modèle de la vente de biens est tantôt calqué, tantôt adaptée pour éviter des écueils notamment sur les spécificités du numérique et la volatilité de son contenu. Ce premier pas doit être accueilli avec bienveillance et des adaptations se feront au fur et à mesure, notamment en premier lieu avec une loi de ratification.

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Spin off #3) : les garanties grevant le fonds de commerce

Des difficultés persistantes

Par sûretés grevant le fonds de commerce, il faut entendre le privilège du vendeur de ce fonds et le nantissement dudit fonds. Malgré une volonté de clarification du droit positif, ces sûretés ont été les oubliées de la grande réforme intervenue à l’occasion de l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, relative aux sûretés. En effet, ni l’une ni l’autre ont été directement touchées par le nouveau texte. Cependant, leurs régimes et leur efficacité subissent tout de même quelques incidences des règles nouvelles. En effet, le régime spécial du nantissement sur fonds de commerce est source de difficultés pratiques en raison de l’absence d’harmonisation (R. Dammann, La réforme des sûretés mobilières : une occasion manquée, D. 2006. 1298 image), notamment s’agissant de la possibilité ou non de conclure un pacte commissoire et celle de nantir un fonds futur (A. Reygrobellet, Fonds de commerce, Dalloz Action, 2012, nos 73.22 et 73.39). Par ailleurs, l’efficacité de ces sûretés est critiquée par la doctrine alors qu’elles sont fréquemment utilisées – du moins le nantissement – par les entreprises pour garantir leurs financements (M.-P. Dumont-Lefrand et H. Kenfack [dir.] et alii, Droit et pratique des baux commerciaux 2021/2022, 6e éd., Dalloz Action, 2020, n° 783.08). Concernant le droit de préférence reconnu au vendeur du fonds, sa portée réduite lui est reprochée : dans la mesure où le législateur protège les intérêts des créanciers chirographaires de l’acquéreur, le code de commerce dérogeant au principe d’indivisibilité du droit commun des sûretés en vertu duquel toute sûreté garantit la totalité de la dette, il y a un fractionnement du privilège en trois parties (marchandises, matériel, éléments incorporels) et surtout, le paiement des acomptes s’impute chronologiquement sur les marchandises, puis le matériel et, enfin, les éléments incorporels, ce qui implique que la garantie effective dont dispose le vendeur ne s’exerce quasiment jamais sur la totalité de la créance impayée du prix de vente (ibid., n° 783.06 ; A. Reygrobellet, Fonds de commerce, op. cit., n° 71.21 ; S. Rezek, Réflexion sur l’unité du privilège de vendeur de fonds de commerce, JCP N juill. 2011, n° 29, étude 1224 ; S. Rezek, Vingt raisons de réformer la vente des fonds de commerce, JCP N sept. 2006, n° 39, étude 1311). Quant au nantissement, de nombreux griefs sont formulés à son encontre. Au-delà de la complexité de son mode de constitution et son rang relativement médiocre (P. Deniau et P. Rouast-Bertier, Les sûretés réelles dans les financements de projet après l’ordonnance du 23 mars 2006, RD banc. fin. juill. 2008, n° 4, étude 13), il ne permet généralement pas au créancier d’être désintéressé de façon satisfaisante dans la mesure où celui-ci ne peut ni se prévaloir d’un droit de rétention même fictif ni demander l’attribution judiciaire ni en conséquence insérer dans le contrat de nantissement un pacte commissoire et la vente forcée du fonds n’est pas d’un grand secours dans le sens où ledit fonds a généralement perdu une grande partie de sa valeur (A. Reygrobellet, Fonds de commerce, op. cit., n° 71.22 ; M.-P. Dumont-Lefrand et H. Kenfack [dir.] et alii, Droit et pratique des baux commerciaux 2021/2022, op. cit., n° 783.07 ; P. Deniau et P. Rouast-Bertier, Les sûretés réelles dans les financements de projet après l’ordonnance du 23 mars 2006, art. préc.). Qui plus est, l’étroitesse de son assiette est également décriée par certains auteurs, ceux-ci estimant incongrues les restrictions opérées par l’article L. 142-2 du code de commerce qui énumère certains éléments du fonds de commerce alors que « l’universalité de la notion de fonds de commerce ouvrait des perspectives intéressantes » (P. Deniau et P. Rouast-Bertier, Les sûretés réelles dans les financements de projet après l’ordonnance du 23 mars 2006, préc. ; S. Rezek, Vingt raisons de réformer la vente des fonds de commerce, préc.). Voilà bien des doléances que le législateur de 2006 aurait dû entendre, mais il n’en fût rien. Par l’ordonnance de réforme du droit des sûretés du 15 septembre 2021, le législateur est venu impacter les deux garanties en modifiant les dispositions relatives au fonds de commerce dans le code de commerce, mais cela est-il bien suffisant ? Alors que les objectifs poursuivis par la réforme réunissaient la sécurité juridique, le renforcement de l’efficacité du droit des sûretés avec un maintien d’un niveau de protection satisfaisant des constituants et des garants ainsi que le renforcement de l’attractivité du droit français, notamment sur le plan économique, on constate que les changements apportés sont essentiellement superficiels, ce qui, certes, offre une simplification et une meilleure lisibilité des certaines règles en cause, mais ne s’attaque pas aux problèmes d’efficacité et d’attractivité économique en profondeur.

Des apports superficiels

Parmi les améliorations issues de l’ordonnance, on relate d’abord la simplification de certaines règles relatives à la publicité du nantissement du fonds de commerce. Alors que certaines dispositions relatives à la publicité de ce nantissement complexifiaient inutilement les formalités d’inscription et fragilisaient la sécurité de cette garantie (Rapport au président de la République, sept. 2021, texte n° 18 ; Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés), le nécessaire a été fait avec la modification du second alinéa de l’article L. 142-3 du code de commerce, et la suppression du premier alinéa de l’article L. 142-4 du même code. Ainsi, le défaut d’inscription du nantissement dans le délai préfix n’est plus sanctionné par la nullité, mais par l’inopposabilité de l’acte. Il en va de même pour le défaut d’inscription à l’Institut national de la propriété industrielle qui se voit frappé d’inopposabilité selon la nouvelle formule de l’article L. 143-17, alinéa premier. La même substitution de sanctions (de la nullité par l’inopposabilité) est adoptée pour les défauts d’inscription du privilège du vendeur du fonds de commerce avec la reformulation des articles L. 141-6, alinéa premier et L. 143-17, alinéa premier. On recense également des remaniements terminologiques puisqu’il n’est plus question de « créancier gagiste » mais de « créancier nanti » ou de « créancier inscrit ». De la même manière, les deux sûretés ne sont plus qualifiées de « gages », mais par leur propre appellation. Cela est plutôt bienvenu pour dissiper les éventuelles confusions. Enfin, en vue de clarifier les règles de classement entre créanciers inscrits sur l’entier fonds et ceux inscrits sur un seul élément du fonds, en cas de vente de ce dernier, un nouvel article L. 143-15-1 fait son entrée dans le code de commerce, prévoyant que l’ordre sera fonction de l’antériorité de la date de l’inscription, sans autre distinction. De même, une réorganisation de l’articulation de l’article L. 143-3 est opérée qui précise la procédure par laquelle le juge est saisi d’une demande de vente du fonds en cas de poursuite de saisie-vente à l’encontre de son propriétaire.

Pour le reste, il échet d’admettre que les codificateurs n’ont pas dissout les problématiques de fond intéressant par exemple l’unification de l’assiette du privilège du vendeur de fonds de commerce. Le travail de juriste n’est donc toujours pas facilité sur ce point puisqu’il continuera à effectuer le choix de l’imputation des paiements (S. Rezek, Réflexion sur l’unité du privilège de vendeur de fonds de commerce, préc.). Le droit de préférence de ce privilège n’est pas non plus renforcé dans la mesure où il ne subsiste pas sur le prix de revente de l’ensemble du fonds jusqu’à extinction totale de la dette garantie par le privilège (ibid.). Rien n’est prévu aussi pour corriger l’incohérence du droit de suite en cas de revente du fonds grevé. Le droit de suite est accordé au créancier inscrit uniquement lors de la revente du fonds de commerce dans son universalité alors que le droit de préférence ne lui est réservé que sur les seuls éléments sur lesquels subsiste le privilège de vendeur de fonds de commerce par suite de l’imputation d’ordre public des paiements à terme ou des mensualités bancaires, ce qui est paradoxal (ibid.). Pourtant, l’ordonnance de réforme aurait pu être l’opportunité de cette unification pour simplifier la constitution et l’exercice de ce privilège et améliorer la protection du créancier inscrit sans pour autant léser le débiteur propriétaire du fonds grevé. En outre, le silence est gardé à l’égard des incertitudes inhérentes au nantissement du fonds de commerce en formation, tout comme à propos de la possibilité ou non de conclure un pacte commissoire. S’agissant encore de l’assiette du nantissement du fonds de commerce, aucune innovation n’est envisagée. Cet état des lieux sommaire ne laisse donc pas présager de grands chamboulements.

Des perspectives circonscrites

Ces deux sûretés ne ressortent pas vraiment grandies de cette nouvelle réforme. Et on songe presque à une seconde occasion manquée du législateur (après celle de 2006) de s’attaquer au régime des garanties affectant le fonds de commerce. Si on reconnaît bien volontiers que ces deux garanties demeurent utilisées par la pratique, souvent couplées, et qu’elles présentent une certaine attractivité notamment pour les bailleurs de fonds engagés dans les financements de projet , il reste qu’eu égard aux objectifs défendus par la réforme et à l’utilité des sûretés, qui n’est autre que de gérer le risque d’insolvabilité de son partenaire, ou tout au moins de renforcer ses chances de paiement en aménageant des mécanismes propices à développer la confiance en son débiteur, quelques améliorations auraient probablement mérité de voir le jour. Les perspectives d’avenir du privilège du vendeur et du nantissement de fonds de commerce semblent ainsi circonscrites.

 

 

Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :

• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 5) : les privilèges mobiliers, par Cédric Hélaine le 21 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 6) : le gage, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, par Jean-Denis Pellier le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 8) : la réserve de propriété, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 9) : la fiducie utilisée à titre de garantie, par Cédric Hélaine le 23 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 10) : la cession de créance de droit commun à titre de garantie, par Jean-Denis Pellier le 23 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 11) : la cession de somme d’argent à titre de garantie, par Claire-Anne Michel le 24 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode final) : les sûretés réelles immobilières, par Cédric Hélaine le 24 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Spin off #1) : le code des procédures civiles d’exécution amendé, par Jean-Denis Pellier le 27 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Spin off #2) : le nantissement de compte-titres, par Cédric Hélaine le 28 septembre 2021

Règlement européen sur les successions : utiles précisions sur la faculté offerte à une juridiction de décliner sa compétence

Le règlement (IE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012, dit règlement successions, autorise toute personne à choisir sa loi nationale pour régir sa succession (art. 22 du règl. [UE] n° 650/2012). Cette règle de conflit de lois est désormais bien connue des praticiens. Le sont peut-être moins les règles de conflit de juridictions qui en dépendent. L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 9 septembre 2021 apporte d’intéressantes précisions à ces dernières.

En principe, l’article 4 du règlement attribue compétence aux juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès. Mais cette règle de compétence générale souffre de plusieurs tempéraments, notamment lorsque le défunt a choisi sa loi nationale pour régir sa succession. Au titre de ces aménagements, figure notamment l’article 6, a), du règlement, qui précise que, lorsque le défunt a choisi sa loi nationale pour régir sa succession, les juridictions de l’État de résidence habituelle du défunt, en principe compétentes en vertu de l’article 4, peuvent, à la demande de l’une des parties, décliner leur compétence si elles estiment que les juridictions de l’État de nationalité du défunt sont mieux placées pour statuer sur la succession compte tenu notamment de la résidence habituelle des parties et de la localisation des biens. Et l’article 7 a) complète cette disposition en attribuant compétence aux juridictions nationales du défunt dans l’hypothèse où les juridictions de résidence habituelle du défunt, préalablement saisies, auraient décliné leur compétence en vertu de l’article 6. Cette disposition a notamment pour objet de permettre d’aligner la compétence juridictionnelle sur la loi applicable et d’éviter toutes les difficultés inhérentes à l’application d’un droit étranger (consid. 27 et CJUE 21 juin 2018, Oberle, aff. C-20/17, pts 50 et 52, D. 2018. 1383 image ; ibid. 2384, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier image ; AJ fam. 2018. 554, obs. C. Gossart image ; ibid. 372 et les obs. image ; Rev. crit. DIP 2018. 850, note L. Perreau-Saussine image ; RTD eur. 2018. 845, obs. V. Egéa image).

En l’espèce, un homme de nationalité allemande est décédé le 9 mars 2017. Il avait, préalablement le 14 juin 1990, rédigé un testament en langue allemande désignant son épouse comme unique héritière. L’épouse a alors saisi une juridiction allemande en délivrance d’un certificat d’hérédité national et d’un certificat successoral européen. Pour la compréhension de la procédure, il faut ici rappeler qu’à la différence de la France, ce sont en Allemagne les juridictions qui sont compétentes pour délivrer un certificat d’hérédité ou un certificat successoral européen. Le frère du défunt a contesté la compétence des juridictions allemandes pour trancher le litige successoral au motif que, au moment du décès, le défunt avait sa résidence en Espagne et que le testament ne contenait pas un choix exprès en faveur de la loi allemande. Parallèlement à la procédure allemande, le tribunal de première instance espagnol, saisi par l’épouse, a décidé de « renoncer à rendre une décision » jugeant les juridictions allemandes mieux placées pour statuer sur la succession au regard de la résidence habituelle de l’épouse et « du lieu de situation de la partie substantielle de la succession ». L’épouse a alors formé une nouvelle demande de certificat d’hérédité national et de certificat successoral européen devant les juridictions allemandes en se prévalant de la décision de la juridiction espagnole. C’est dans ces conditions que la juridiction allemande saisie a posé trois questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.

Sur la forme du déclinatoire de compétence

La première question portait sur la forme du déclinatoire de compétence. Doit-il être exprès ou peut-il être déduit implicitement de la décision étrangère ? En effet, la juridiction espagnole n’avait pas littéralement décliné sa compétence, mais « déclaré renoncer à rendre une décision ». À cette première question, la Cour de justice a répondu qu’il n’est pas nécessaire que le déclinatoire soit exprès. Il suffit que l’intention de décliner la compétence ressorte sans équivoque de la décision rendue par les juridictions de résidence habituelle du défunt. Le texte du règlement européen n’impose en effet aucune forme particulière. La cour de justice en déduit donc naturellement qu’un déclinatoire exprès n’est pas nécessaire, dès lors qu’il ressort sans équivoque de la décision que la juridiction saisie entend bien se dessaisir en faveur des juridictions nationales (pt 34).

Sur le rôle des juridictions nationales en cas de déclinatoire de compétence des juridictions de résidence habituelle

La deuxième question abordait le rôle des juridictions nationales en cas de déclinatoire de compétence des juridictions de résidence habituelle. Doivent-elles vérifier le bien-fondé de ce déclinatoire ou sont-elles liées par la décision étrangère avec pour conséquence l’obligation de se reconnaître compétentes ? Il est certain que la possibilité de décliner sa compétence est subordonnée, aux termes de l’article 6, à trois conditions : 1° une demande de l’une des parties ; 2° un choix de loi nationale par le défunt et 3° que les juridictions nationales soient mieux placées pour connaître du litige compte tenu notamment de la résidence habituelle des parties et de la localisation des biens. La Cour de justice de l’Union européenne estime que la juridiction saisie à la suite d’un déclinatoire de compétence n’est pas habilitée à contrôler si les conditions du déclinatoire sont réunies. Le seul fait que les juridictions de résidence habituelle déclinent leur compétence suffit à rendre compétentes les juridictions nationales du défunt (v. déjà, A. Bonomi et P. Wautelet, Le droit européen des successions. Commentaire du Règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012, 2e éd., Bruylant, 2016, ss art. 6, § 20, p. 220). Cette solution paraît raisonnable pour éviter un conflit négatif de compétence pouvant conduire à un déni de justice (pt 48). Par ailleurs, le principe de reconnaissance de plein droit des décisions rendues dans un autre État membre, posé par le règlement, interdit, en dehors des motifs limitatifs de non reconnaissance, tout réexamen du bien-fondé d’une décision d’un autre État membre. Or, c’est bien ce qu’il adviendrait en cas de vérification du bien-fondé du déclinatoire (comp. pour un raisonnement similaire en application du règl. n° 44/2001 du 22 décembre 2000, dit « Bruxelles I », CJUE 15 nov. 2012, aff. C-456/11, Gothaer Allgemeine Versicherung, pt 41, D. 2013. 1503, obs. F. Jault-Seseke image ; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; Rev. crit. DIP 2013. 686, note M. Nioche image).

Sur l’absence de choix exprès effectué par le défunt

La troisième, et dernière question, était liée à la circonstance qu’en l’espèce, aucun choix de loi exprès n’avait été opéré par le défunt. Le choix de loi était présumé par le jeu d’une disposition transitoire dont l’importance n’a pas suffisamment été soulignée. Selon l’article 83, § 4, dès lors que le défunt a, avant l’entrée en application du règlement le 17 août 2015, pris un acte de planification successorale (testament, donation entre époux de biens à venir, etc.) conformément à sa loi nationale, cette loi est réputée avoir été choisie comme loi applicable à la succession. L’article 83, § 4, pose donc une présomption de professio juris dès lors que le défunt a pris une « disposition à cause de mort » en contemplation de sa loi nationale, c’est-à-dire au regard des dispositions substantielles de sa loi nationale. La finalité de l’article 83, § 4, est de ne pas déjouer les légitimes prévisions, par exemple d’un testateur, en remettant en cause son testament par l’application d’une autre loi que sa loi nationale, sachant qu’il ne pouvait pas, avant le règlement successions, savoir qu’il lui était possible de désigner sa loi nationale (v. aussi, A. Bonomi et P. Wautelet évoquant des mécanismes « fondés sur l’idée qu’il importe de préserver les attentes légitimes des justiciables, op. cit., ss art. 83, § 6, p. 963). La Cour de justice considère que l’article 6 a) ou 7 a) trouvent à s’appliquer aussi bien en cas de choix de loi par le défunt qu’en cas de présomption de choix de loi résultant de l’existence d’une disposition d’anticipation successorale antérieure au 17 août 2015. Cette solution mérite approbation. La solution inverse aurait en effet contrarié l’objectif des articles 6 et 7, à savoir assurer le parallélisme entre la juridiction compétente et la loi applicable.

Exclusion de la renonciation tacite lorsque le contrat impose des formalités

Acte abdicatif, irrévocable et unilatéral, la renonciation repose sur l’unique volonté du titulaire du droit abandonné (Rép. civ., v° Renonciation, par D. Houtcieff). Sauf disposition légale ou conventionnelle particulière, aucune formalité n’est imposée (Com. 1er juill. 2008, n° 07-17.786, D. 2008. 2079 image ; AJ fam. 2008. 434, obs. V. A.-R. image). Toutefois, en raison de la gravité des effets, cette volonté doit être certaine et éclairée. C’est pourquoi, si les juges admettent la renonciation tacite, celle-ci doit résulter d’actes non équivoques, incompatibles avec la prérogative abdiquée, effectués en toute connaissance de cause. Ainsi, il a été récemment jugé que l’envoi d’une offre de renouvellement au locataire vaut renonciation du bailleur de se prévaloir de la résolution du bail (Civ. 3e, 21 janv. 2021, n° 19-24.466, AJDI 2021. 281 image ; Loyers et copr. 2021. Comm. 58, obs. J. Monèger) ; que le fait de poursuivre l’exécution du contrat après avoir renvoyé un bon d’annulation vaut renonciation tacite à la faculté de rétractation (Civ. 1re,...

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De la motivation des arrêtés en cas d’hospitalisation d’office

L’hospitalisation sans consentement continue de nourrir avec abondance le contentieux de la première chambre civile de la Cour de cassation. Nous avions pointé il y a quelques jours la nécessité rappelée de la démonstration d’une atteinte aux droits pour obtenir la mainlevée de la mesure (Civ. 1re, 15 sept. 2021 F-B, n° 20-15.610, Dalloz actualité, 27 sept. 2021, obs. C. Hélaine). Cette fois-ci, c’est le cas spécifique du danger imminent pour la sûreté des personnes qui sert de toile de fond pour cet arrêt rendu par la première chambre civile le 29 septembre 2021 et publié au Bulletin. Les faits sont tout à fait classiques. Le maire d’une commune décide le 27 mai 2014 de certaines mesures provisoires concernant un individu, sur le fondement de l’article L. 3213-2 du code de la santé publique, prenant la forme d’une hospitalisation au sein de l’établissement Alsace Nord. Le lendemain, le représentant de l’État prend une décision d’admission en soins psychiatriques sous contrainte sous la forme d’une hospitalisation complète. Le 2 juin, la mesure est renouvelée. L’hospitalisation prend fin le 20 juin suivant. Plusieurs membres de la famille de la personne hospitalisée ont, par la suite, assigné en responsabilité, la commune, l’État et l’établissement public de santé sur le fondement de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique en raison de plusieurs irrégularités commises selon eux dans la procédure d’admission et de maintien dans l’établissement concerné.

En cause d’appel, plusieurs points font encore difficulté. Sur la demande d’annulation des arrêtés préfectoraux, la cour d’appel de Paris déboute la famille de l’intéressé puisque ces derniers étaient suffisamment motivés pour justifier de la mesure prise. L’arrêt d’appel relève également que les observations de l’intéressé avaient été recueillies en dépit de son opposition aux soins prodigués sans...

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Réformes des sûretés et des entreprises en difficulté : consolidation des textes

Le 16 septembre 2021, sont parues au Journal officiel deux ordonnances très attendues.

La première, l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, rend plus cohérent le droit applicable aux sûretés – éclaté précédemment entre plusieurs codes – tout en rénovant ou abrogeant certains dispositifs considérés comme obsolètes.

La seconde, l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce, réforme les dispositions relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés, tout en transposant la directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019 dite « Restructuration et insolvabilité ». Elle s’accompagne de son décret d’application du 23 septembre 2021.

L’entrée en vigueur de ces réformes étant prévues le 1er janvier 2022 pour les sûretés et le 1er octobre 2021 pour le livre VI du code de commerce, nous avons choisi de mettre à la disposition des utilisateurs des codes civil et de commerce Dalloz une version consolidée des articles du code civil et du code de commerce impactés par ces textes.

Le fascicule de consolidation des éditions Dalloz est alors le complément idéal de ces deux codes, permettant de comparer anciennes et nouvelles dispositions. Le lecteur dispose ainsi de la version complète du nouveau livre IV du code civil, étant précisé que pour chaque article, il est mentionné s’il est nouveau, inchangé, modifié ou déplacé, afin de se référer ensuite aux enrichissements présents dans le code civil Dalloz. Une table des matières et une table alphabétique le complètent.

Pour un commentaire de la réforme des sûretés, v. notre dossier, sous la direction de Jean-Denis Pellier, Professeur à l’Université de Rouen, Codirecteur du Master 2 Droit privé général : partie I et partie II. Et, dans le prolongement de ce dossier, vous pouvez vous inscrire ici au colloque Dalloz formation sur la réforme.

Pour un commentaire de la réforme des entreprises en difficultés, v. notre dossier rédigé par Karine Lemercier, Maître de conférences à l’Université du Maine et François Mercier, Administrateur Judiciaire, 2M&associés. Et, dans le prolongement de ce dossier, vous pouvez vous inscrire ici à la formation Elegia Formation.

Travaux de rénovation d’un bâtiment en ruine : exclusion de l’article 555 du code civil

Les constructions et plantations réalisées sur le terrain d’autrui sont, en vertu de l’accession par incorporation, acquises par le propriétaire du sol (Civ. 3e, 27 mars 2002, n° 00-18.201, RDI 2002. 384, obs. M. Bruschi image) – et ce, en principe, immédiatement (rappelons qu’en présence d’un contrat de bail, le jeu de l’accession est différé au terme de ce dernier, Civ. 1re, 1er déc. 1964, Bull. civ. n° 535, pour des constructions ; Civ. 3e, 23 nov. 2017, n° 16-16.815, pour des plantations, D. 2018. 781 image, note F. Roussel image ; RTD civ. 2018. 436, obs. W. Dross image).

L’article 555, alinéa 1, du code civil règle la question de l’indemnisation du tiers (voir, sur cette question, A. Cayol, Le droit des biens en tableaux, 1re éd., Ellipses, 2019, p. 288). Le propriétaire du sol peut décider, soit de conserver la propriété des constructions et plantations réalisées par le tiers, soit d’obliger ce dernier à les enlever. Dans le premier cas, le propriétaire du terrain est tenu, à son choix, de lui rembourser une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, ou le coût des matériaux et le prix de la main-d’œuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l’état dans lequel se trouvent lesdites constructions ou plantations (C. civ., art. 555, al. 3). Dans le second cas, la destruction a lieu aux frais du tiers (C. civ., art. 555, al. 2).

Un tel choix n’est, toutefois, offert au propriétaire du sol que si le tiers est de mauvaise foi. « Si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé qui n’aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits », le propriétaire ne pourra pas en exiger la suppression (C. civ., art. 555, al. 4). Il s’agit alors d’une forme d’acquisition forcée de la propriété. En vertu de l’article 2274 du code civil, la bonne foi est toujours présumée :...

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[Tribune] Des mots, toujours des mots (1 000), mais pas de moyens…

En préconisant « la structuration des écritures des avocats » par l’insertion, avant le dispositif, d’une synthèse des moyens invoqués dans la discussion, une note de la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS), du 27 août dernier, a suscité l’émoi de la profession. Celle-ci s’est focalisée sur la limitation de la taille de cette synthèse à un maximum de 10 % des conclusions dans la limite de 1 000 mots.

Des interrogations pratiques et substantielles

On le comprend tant cette proposition interroge. Des interrogations pratiques d’abord : faudra-t-il tenir compte des seuls mots de la discussion ou de l’acte dans son ensemble pour apprécier la taille des écritures ? Comment faire pour les contentieux complexes où ce cadre risque de se révéler insuffisant ? Comment sélectionner ce qui mérite de figurer dans la synthèse ? Des interrogations plus substantielles, ensuite et surtout : cette obligation ne fait-t-elle pas figure de nouvel analgésique destiné à calmer l’engorgement pathologique et chronique du rôle des juridictions ? Depuis plusieurs années, la médication employée pour combattre ce mal consiste à offrir au juge la faculté d’évacuer certaines affaires sans statuer au fond, pour motifs de pure forme. Ainsi, les articles 758 et 954 du code de procédure civile imposent, depuis les décrets n° 2017-891 et n° 2017-892 du 6 mai 2017, d’énoncer ses prétentions sous forme de dispositif et d’invoquer l’ensemble des moyens dans la discussion, sans quoi la juridiction n’en est pas saisie. La proposition de la DACS vient, sous la même sanction, ajouter l’obligation de rédiger une synthèse des moyens invoqués prenant la forme d’une liste numérotée, accentuant encore la prévalence de la forme sur le fond.

Le remède pour soigner le mal est pourtant connu de tous et depuis longtemps : il faut des moyens humains et matériels. Les mesures déployées se contentent néanmoins d’en attaquer les symptômes par l’accroissement des obligations des avocats, dont les écritures trop longues, mal organisées, peu maniables seraient la cause première d’une affection bien plus endogène. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas de nier les bénéfices qui résulteraient d’une meilleure structuration des conclusions, mais de souligner qu’elle ne doit pas cacher l’effet recherché : simplifier et alléger le travail du juge pour accélérer le cours de la justice. Ceci, puisque l’hypothèse d’une absence de synthèse – à laquelle on doit rattacher la synthèse incomplète ou erronée – serait investie de conséquences procédurales radicales, le juge étant dispensé d’avoir à statuer sur les moyens de fait ou de droit dont il ne serait pas saisi.

Des conséquences procédurales radicales

Le cœur du problème réside dans la sanction de ce nouveau formalisme. Sur ce point, la DACS estime inopportun de prévoir une irrecevabilité spécifique et considère que la difficulté est suffisamment adressée par le fait que la juridiction ne sera pas saisie des moyens non ou mal repris dans la synthèse. Cette solution, qui est déjà appliquée aux prétentions qui ne sont pas récapitulées dans le dispositif des conclusions, consiste à édicter une sanction qui ne dit pas son nom, alors qu’elle est radicale. En effet, lorsqu’une juridiction n’est pas saisie des prétentions d’une partie, cette dernière n’a pas le droit d’être entendue sur le fond de celles-ci. Il faudrait donc admettre que ces prétentions sont irrecevables (C. pr. civ., art. 30). Ce n’est pourtant pas l’analyse retenue par la Cour de cassation qui a estimé que, si la cour d’appel n’était pas saisie des chefs du dispositif non mentionnés dans la déclaration d’appel (C. pr. civ., art. 562), cela n’emportait pour autant pas fin de non-recevoir (Cass. avis 20 déc. 2017, n° 17-70.036 P, D. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle image ; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean image). La nature procédurale de la sanction apparaît donc incertaine. Elle est pourtant essentielle notamment pour pouvoir rédiger correctement le dispositif de ses écritures. Cette problématique sera inéluctablement transposée à la rédaction de la synthèse soumise à un régime identique. Et que dire de l’attitude du contradicteur désireux de critiquer cette synthèse ? S’il ne peut invoquer une fin de non-recevoir, il sera contraint de suggérer au juge, par une périphrase, qu’il n’est pas saisi de tel ou tel moyen ; ce qui va à l’encontre de l’objectif poursuivi. La nouvelle étape franchie dans la « structuration des écritures » renforce ainsi la place donnée à cette sanction, consistant à permettre au juge de ne pas statuer lorsque les conclusions d’avocat ne respectent pas un standard. Les modalités formelles de présentation des écritures des représentants ad litem sont progressivement érigées en condition pour qu’une décision soit rendue sur les demandes des parties. Le transfert progressif sur l’avocat de charges qui relèvent de l’office du juge, permet à ce dernier de faire l’économie de dire le droit. Voici une entreprise qui se fait au détriment du justiciable.

La sanction de la structuration des écritures doit également être mise en relation avec l’existence d’un recours : quelles contestations les parties pourront-elles soulever lorsque le juge ne s’est pas considéré saisi de leurs moyens au motif qu’ils n’étaient pas – ou qu’ils étaient mal – repris dans la synthèse ? A priori si le juge est valablement saisi d’une prétention sans pouvoir examiner les moyens censés la justifier, il devra la rejeter, sauf à relever d’office le moyen litigieux sur le fondement de l’article 12 du code de procédure civile. Si le juge n’use pas du pouvoir que lui confère ce texte et déboute le plaideur, celui-ci n’aura d’autre choix que d’interjeter appel, ce qui lui permettra d’invoquer ce moyen, nécessairement nouveau, faute d’avoir été examiné en première instance (C. pr. civ., art. 563). La création d’un nouveau cas de défaut de saisine du juge risque d’entraîner un effet secondaire regrettable : l’augmentation mécanique du nombre des appels formés par des justiciables désireux d’être entendus sur leurs moyens. Si cette situation devait se produire en cause d’appel, il ne resterait que le pourvoi en cassation. Sauf à admettre que les moyens non repris dans la synthèse donneraient lieu à fin de non-recevoir, ce qui aurait pour conséquence, selon le cas, de les faire entrer dans le champ de compétence du juge ou du conseiller de la mise en état et d’ouvrir la voie de l’appel ou du déféré à l’encontre de l’ordonnance.

Cette obligation de synthétiser les moyens ne concernera que les conclusions rédigées par un avocat. Il n’est donc pas prévu de modifier l’article 446-2, alinéa 3, du code de procédure civile qui s’applique lorsque, dans une procédure orale, les parties formulent leurs prétentions et moyens par écrit sans être assistées ou représentées par un mandataire ad litem.

Une utilité douteuse pour la bonne administration de la justice

Enfin, on l’a dit : structurer les actes du procès est une nécessité. À ce titre, « la structuration des conclusions d’avocats », qui sont des actes de procédure, est une bonne idée. On peut toutefois s’interroger sur l’utilité de l’insertion d’un résumé de la discussion dans les conclusions pour mieux structurer l’acte. Le but de cette synthèse paraît plus de simplifier l’activité de juger, dès lors que le juge pourra être tenté de s’y référer exclusivement, plutôt que de permettre une meilleure organisation des écritures. Imposer un plan aurait eu une vertu plus structurante. Derrière la notion de « structuration » se cache le spectre de la simplification du contentieux.

Mais il y a pire, tant il est difficile d’accepter qu’in fine ce soit le justiciable qui pâtisse de la radicalité de la sanction. Ceci d’autant plus qu’elle n’était ni nécessaire, ni souhaitable, dès lors que les avocats sont enclins à respecter le formalisme prévu par le code alors même qu’il n’est assorti d’aucune sanction. On en voudra pour preuve l’exigence d’un bordereau récapitulatif des pièces annexé à l’assignation (C. pr. civ., art. 56) qui, jusqu’à l’entrée en vigueur de la réforme du 11 décembre 2019, n’était pas prévu à peine de nullité. Néanmoins, en dépit de l’absence de sanction, l’hypothèse d’une assignation sans bordereau de pièces demeurait marginale. On regrette la tendance à sanctionner les bonnes pratiques judiciaires sur le terrain du fond, qui n’engendre aucun bénéfice et pénalise les justiciables. Il est dommage que les solutions mises en œuvre pour traiter le mal dont souffre le procès civil en viennent à affecter les parties.

En revanche, la proposition tendant à la mise en place d’un dossier et d’un bordereau de pièces uniques pour un litige donné, similaire à ce qui existe en droit administratif (CJA, art. R. 412-2), est intéressante et de nature à apporter de réels bénéfices. La prise en charge des pièces dans le procès civil peut être améliorée. Chaque partie numérote elle-même les pièces visées dans ses conclusions, qui ne sont remises à la juridiction, en version papier principalement, qu’au moment du dépôt du dossier de plaidoirie. Aussi, un dossier unique à disposition du juge et des parties comportant une nomenclature harmonisée, constant en première instance et en appel, constituerait une avancée indéniable. Toutefois, il est à craindre que les outils numériques à disposition des juridictions et des auxiliaires de justice ne permettent pas, en l’état, d’atteindre cet objectif. Dès lors, la mise en œuvre de cette proposition suppose des investissements dont il est à craindre qu’ils ne soient réalisés dans un avenir proche. On le voit, la question des moyens invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions ne permettra jamais de s’affranchir du débat relatif aux moyens de la Justice. 

C’est un peu court, jeune homme, mais c’est pour la bonne cause !

Le 25 mars 2019, une partie fait appel devant la cour d’appel de Lyon.

S’agissant de l’appel d’une ordonnance de référé, l’appel suit de droit le régime du circuit court, et un avis de fixation intervient le 1er avril 2019, soit quelques jours après l’inscription de l’appel.

L’appelant omet de signifier la déclaration d’appel aux intimés défaillants dans le délai de dix jours de l’avis de fixation, ce qu’il ne fait que tardivement, le 30 avril 2019.

Les intimés, qui ont constitué avocat et conclu dans leur délai, saisissent le président de la chambre qui constate la caducité par ordonnance en application de l’article 905-1 du code de procédure civile. Sa décision est confirmée, sur déféré, par arrêt de la cour d’appel de Lyon du 7 novembre 2019.

L’appelant se pourvoit en cassation, arguant que la sanction de la caducité le prive de son droit de former appel, ce qui constitue une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge.

Le pourvoi est rejeté.

Dix jours, un délai prévisible et suffisant

Pour l’appelant, un des arguments consistait à soutenir que le délai de dix jours pour signifier l’acte d’appel à l’intimé défaillant était imprévisible et trop court.

Et il est exact que si le délai est connu, à savoir dix jours, son point de départ reste la grande inconnue dans ce type de procédure lorsqu’une partie forme appel. En effet, ce point de départ dépend d’un avis de fixation qui peut intervenir quelques jours après la déclaration d’appel comme il peut intervenir plusieurs mois après. Et ce délai de dix jours – qui au demeurant comprend au moins deux jours chômés – est particulièrement court, et ce d’autant qu’il n’existe aucune règle pour cet avis de fixation, qui peut être remis à l’avocat alors que ce dernier est absent pour quelques jours du cabinet, voire en congés. Et on pense alors aux fixations du mois d’août, même s’il peut exister des usages permettant d’éviter des fixations en période estivale.

Et il faut, dans ce délai, que l’huissier puisse signifier l’acte, mais pas trop rapidement non plus pour qui veut éviter les émoluments dits d’urgence de l’article A. 444-12 du code de commerce.

Cet argument, qui pourtant s’entend, est néanmoins balayé par la Cour de cassation.

Pour la Haute juridiction, dans les matières relevant du circuit court, il faut aller vite, et c’est cette « exigence de célérité » qui justifie cette réglementation dont la cour de cassation rappelle qu’elle relève de la marge d’appréciation des États.

En l’espèce, soulignons que l’avis de fixation était intervenu quelques jours seulement après l’inscription de l’appel, ce qui mérite d’être salué.

Mais il n’en va pas toujours ainsi, et il faut parfois attendre plusieurs semaines avant d’obtenir cet avis, pour une audience qui se tiendra de longs mois après.

Et alors, l’argument tenant à la célérité devient un peu plus difficile à entendre.

Car la réalité est celle-là, à savoir des cours d’appel qui sont dans l’impossibilité de traiter dans un vrai bref délai les appels relevant pourtant du circuit court.

En outre, l’argument de la célérité est-il présent lorsque l’affaire revient après cassation, alors que, aux termes de l’article 1037-1 du code de procédure civile, c’est le même délai de dix jours que l’auteur de la déclaration de saisine doit respecter pour signifier la déclaration de saisine aux parties non représentées. Dans ces procédures de renvoi de cassation, qui ne sont pas des procédures à bref délai, et ne concernent pas des affaires urgentes par nature, le délai de dix jours n’est pas imposé pour des raisons de célérité. Un délai d’un mois, comme en circuit ordinaire avec désignation d’un conseiller de la mise en état, aurait tout aussi bien pu être envisagé.

Il résulte de cela que le rejet au motif de l’exigence de célérité ne convaincra pas nécessairement.

L’avocat, professionnel du droit

Nous aurions pu attendre la Cour de cassation sur un autre terrain, sur lequel elle se déplace de manière assez régulière depuis peu, lorsque lui est opposé l’article 6, § 1, de la Convention.

D’ailleurs, cet argument n’est-il pas invoqué à demi-mot, ou à tout le moins de manière moins abrupte ?

La Cour de cassation, pour appuyer son rejet, rappelle que le droit d’accès au juge est garanti, à charge pour la partie, qui n’est pas seule, puisqu’elle agit par l’intermédiaire de son avocat, de faire preuve de vigilance.

Et ce n’est pas la partie elle-même, qui doit faire montre de vigilance, mais son représentant,
car la procédure est avec représentation obligatoire.

La Cour de cassation n’a pas usé des termes que l’on retrouve désormais dans ses arrêts pour justifier les sanctions, lourdes de conséquences, propres à la procédure d’appel.

Elle se contente de rappeler l’existence d’un avocat, mais sans le qualifier de « professionnel du droit », ou de « professionnel averti » ou « professionnel avisé », comme elle le qualifie désormais de manière habituelle (« professionnel avisé », Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-18.150, D. 2019. 555, obs. N. Fricero image ; ibid. 555, obs. N. Fricero image ; 21 févr. 2019, n° 17-28.285 P, D. 2020. 576, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol image ; 4 juin 2020, n° 18-23.248 P, D. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol image ; 2 juill. 2020, n° 19-11.624 P, D. 2020. 1471 image ; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol image ; 25 mars 2021, n° 18-23.299 P, RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol image ; 20 mai 2021, n° 19-19.258 P ; « professionnel averti », Civ. 2e, 7 juin 2018, n° 17-14.694, D. 2019. 555, obs. N. Fricero image ; 9 janv. 2020, n° 18-24.513 P, D. 2020. 88 image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; Rev. prat. rec. 2020. 8, chron. O. Salati image ; « professionnel du droit », Civ. 2e, 4 juin 2020, n° 19-24.598 P, D. 2020. 1235 image ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle image).

La procédure d’appel est certes lourde et complexe, mais la partie a l’obligation d’être représentée d’un professionnel pour qui la procédure d’appel est dénuée d’ambiguïté. C’est tout au moins ce qu’affirme la Cour de cassation, la réalité étant à nuancer, les avocats ayant davantage l’impression d’être en terrain miné dès l’instant où ils entrent dans l’arène.

Cette formule de la Cour de cassation n’est pas gratuite, mais répond à un objectif bien précis, à savoir rappeler que le principe de proportionnalité est respecté, et que nonobstant des règles compliquées en appel, et des sanctions lourdes, la partie a tout de même accès au juge et a droit à un procès équitable.

C’est de cette manière que la Cour de cassation a considéré que l’avocat ne pouvait se méprendre sur son délai pour signifier l’acte d’appel à réception de l’avis du greffe (Civ. 2e, 7 juin 2018, n° 17-14.694, préc.), sur son obligation d’avoir à conclure en qualité d’intimé, à peine d’irrecevabilité, dans le délai de l’article 909 (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-18.150, préc.), sur le délai pour déférer à la cour d’appel une ordonnance de mise en état (Civ. 2e, 21 févr. 2019, n° 17-28.285 P, préc.), sur l’obligation de remettre au greffe l’assignation à jour fixe par voie électronique à peine de caducité (Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-24.513 P, préc.), sur l’absence d’augmentation des délais en raison de la distance pour déférer une ordonnance de mise en état (Civ. 2e, 4 juin 2020, n° 18-23.248 P, préc.), sur l’obligation de signifier la déclaration d’appel en circuit court lorsque la partie bénéficie de l’aide juridictionnelle (Civ. 2e, 4 juin 2020, n° 19-24.598 P, préc.), sur l’obligation de procéder selon la procédure à jour fixe pour faire appel d’un jugement statuant en matière d’exception d’incompétence (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-11.624, préc.), sur l’obligation de procéder selon la procédure à jour fixe lorsque le jugement d’incompétence a été rendu par un juge de la mise en état (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-11.624 P, préc.), sur l’obligation de remettre l’assignation au greffe de la cour d’appel, à peine de caducité, dans les procédures à jour fixe (Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 19-19.258 P, préc.).

Mais cela suppose une représentation de la partie par cet avocat, professionnel.

D’ailleurs, le même jour, la Cour de cassation écartait purement et simplement une application trop stricte de l’alinéa 1er de l’article 562, concernant la dévolution opérée par l’acte d’appel, dans une procédure d’appel sans représentation obligatoire. La Cour de cassation estimait alors qu’en application de l’article 6, § 1, de la Convention, et du droit d’accès au juge, il ne pouvait être exigé de la partie la même charge procédurale, quant aux chefs critiqués mentionnés dans l’acte d’appel, dans les procédures avec et sans représentation obligatoire (Civ. 2e, 9 sept. 2021, n° 20-13.662 FS-B+R, D. 2021. 1680 image - voire aussi pour une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge au motif que les parties n’étaient pas tenues de constituer un avocat, Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 18-23.299 P, préc.).

Au regard de cette jurisprudence, et d’un article 6, § 1, qu’elle écarte davantage qu’elle ne l’accueille, cet arrêt ne crée pas la surprise. Même s’il est bien de nourrir quelques espoirs, il était tout de même peu probable que la Cour de cassation aménage le circuit court pour, par exemple, prolonger le délai de signification à un mois de l’avis de fixation.

La procédure d’appel avec représentation obligatoire est complexe et manifestement, elle le restera, à charge pour la partie de faire preuve de vigilance dans son affaire… et de croiser les doigts, on ne sait jamais…

Divorce : ordonnance de non-conciliation et litispendance internationale

L’arrêt de la première chambre civile du 15 septembre 2021 retiendra l’attention des praticiens du droit du divorce.

Pour bien appréhender sa portée, il est impératif, d’une part, de préciser qu’il a été prononcé en application du droit antérieur à la réforme du divorce opérée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et par les textes postérieurs. Il faut, d’autre part, noter que l’affaire était également soumise aux dispositions de la convention franco-tunisienne relative à l’entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires du 28 juin 1972.

En l’espèce, un époux, ayant les nationalités française et tunisienne, avait saisi en 2010 un juge tunisien d’une demande en divorce. Le divorce avait été prononcé en 2012, par une décision tunisienne devenue irrévocable.

Parallèlement, l’épouse, également française et tunisienne, avait saisi en France un juge aux affaires familiales en 2011 d’une requête en divorce. La difficulté tenant à l’existence d’une procédure engagée en Tunisie avait alors été soulevée par l’époux, par la voie d’une exception de litispendance. L’ordonnance de non-conciliation avait toutefois écarté cette exception ; et l’époux n’avait pas exercé de recours. Le divorce avait ensuite été prononcé.

Devant la cour d’appel, l’époux a tenté de se prévaloir à nouveau de la procédure tunisienne, en opposant à la demande en divorce l’existence du jugement de divorce tunisien, qui bénéficiait à ce stade de l’autorité de chose jugée en Tunisie.

Le débat s’est alors focalisé sur la portée de deux textes, à savoir :

l’article 15 de la convention franco-tunisienne du 28 juin 1972, selon lequel en matière civile ou commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant en France ou en Tunisie sont reconnues de plein droit sur le territoire de l’autre État s’il est satisfait à différentes conditions et en particulier à la condition que la décision ne soit pas contraire à une décision judiciaire rendue dans l’État requis et y ayant l’autorité de la chose jugée ; l’ancien article 1110 du code de procédure civile (dans sa rédaction antérieure au décr. n° 2019-1380 du 17 déc. 2019), qui dispose, à propos de la tentative de conciliation en matière de divorce, qu’« au jour indiqué, le juge statue d’abord, s’il y a lieu, sur la compétence. Il rappelle aux époux les dispositions de l’article 252-4 du code civil ; il procède ensuite à la tentative de conciliation selon les prescriptions des articles 252-1 à 253 du même code (…) ».

Dans ce cadre, la cour d’appel a considéré que par l’ordonnance de non-conciliation, le juge aux affaires familiales n’avait statué qu’à propos de la conciliation, sans préjuger de la compétence en ce qui concerne l’instance au divorce au fond. Elle en a déduit que le jugement tunisien de divorce pouvait être reconnu en France, ce qui conduisait à juger irrecevable la requête de l’épouse devant le juge français.

La décision d’appel est toutefois cassée par l’arrêt du 15 septembre 2021, qui s’appuie sur le principe reproduit en tête de ces observations et dont il faut déduire que le juge qui statue sur le fond du divorce est lié par la teneur de l’ordonnance de non-conciliation ayant statué sur la litispendance.

Cette cassation s’explique aisément au regard de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation.

Il faut en effet rappeler que selon le droit du divorce antérieur à la réforme, le juge aux affaires familiales pouvait statuer, dans l’ordonnance de non-conciliation, sur une fin de non-recevoir tiré de l’existence d’un jugement de divorce déjà prononcé à l’étranger (Civ. 1re, 10 mai 2007, n° 06-12.476, D. 2007. 1432 image ; ibid. 2327, chron. P. Chauvin et C. Creton image ; ibid. 2008. 1507, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2007. 433, obs. A. Boiché image ; JCP 2007. Act. 242, obs. A. Devers ; ibid. 2007. IV. 2192 ; v. égal. approuvant cette solution, M. Farge, I. Rein-Lescastereyres et R. Nato-Kalfane, in P. Murat [dir.], Droit de la famille 2020-2021, Dalloz Action, n° 511-222) et qu’il pouvait donc connaître d’une exception de litispendance.

Or, sur ce point, la Cour de cassation a déjà approuvé une cour d’appel ayant constaté que l’exception de litispendance soulevée lors de l’audience de conciliation avait été rejetée par une décision définitive d’en avoir déduit que ce rejet faisait obstacle à ce que cette exception soit à nouveau soulevée devant le juge du fond (Civ. 1re, 19 sept. 2007, n° 06-14.506, Dr. fam. 2008. Comm. 114, note M. Farge ; Defrénois 2008. 572, note J. Massip).

La Cour a également retenu – dans une affaire proche de celle jugée le 15 septembre 2021 – que lorsque le juge aux affaires familiales a déclaré le juge français compétent pour connaître du divorce par une décision passée en force de chose jugée, la cour d’appel ne peut plus accueillir une exception de litispendance (Civ. 1re, 12 juill. 2017, n° 16-22.158, D. 2017. 1529 image ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; JCP 9 oct. 2017. 1052, note E. Fongaro ; Dr. fam. mars 2018. Comm. 78, obs. M. Farge).

Si la solution consacrée par l’arrêt du 15 septembre 2021 n’est pas surprenante au regard de cette jurisprudence, elle sera sans doute critiquée. Une partie de la doctrine internationaliste s’est en effet prononcée, à propos de cette difficulté, en faveur de la solution opposée, au motif qu’« il semble qu’en raison de son “caractère provisoire”, la décision du juge conciliateur sur la régularité de la décision étrangère ne lie pas le juge saisi au fond » (J.-Cl. Divorce, v° Divorce prononcé en France, Introduction, Compétence des tribunaux français, Particularités de l’instance, par H. Gaudemet-Tallon, fasc. 420, n° 111). Néanmoins, sans doute faut-il considérer que cette solution, qui a été qualifiée de bon sens (J. Massip, note préc.), s’explique avant tout par une volonté d’efficacité procédurale, en faisant en sorte qu’une fois réglée par l’ordonnance de non-conciliation, la question de la litispendance et donc de la compétence sorte définitivement du champ des débats.

Formalisme de l’appel d’un jugement sur la compétence : entre rigorisme et souplesse…

La deuxième chambre de la Cour de cassation a effectué sa rentrée 2021 le 9 septembre. Parmi les arrêts de ce jour, l’un est dû au formalisme électronique de l’appel particulier en matière de compétence, alors que nous sommes en procédure avec représentation obligatoire : si ce formalisme très rigoureux, voire rigoriste, n’est pas respecté, l’appel est irrecevable… à moins d’une régularisation, que la Cour de cassation admet heureusement.

Une société intente un procès à une autre devant un tribunal de commerce, puis assigne en intervention forcée une troisième société, qui conteste tant sa mise en cause que la compétence du tribunal. Le jugement n’accueille ni la fin de non-recevoir, ni le déclinatoire de sa compétence.

La société appelée en intervention interjette appel du jugement statuant sur la compétence.

La cour d’appel déclare ce recours irrecevable. Elle constate que l’appel est interjeté le 11 septembre 2019 et que, le même jour, des conclusions d’appel relatives à l’incompétence du tribunal de commerce de Paris sont remises. Pour autant elle affirme qu’aucune conclusion sur la motivation n’a été jointe à la déclaration d’appel.

L’appelante se pourvoit en cassation, par deux moyens, le premier divisé en deux branches. Elle rappelle que, selon l’article 85 du code de procédure civile, la déclaration d’appel dirigée contre un jugement statuant sur la compétence doit, à peine d’irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration. Elle reproche aux juges du second degré une violation de ce texte et de l’article 4 du même code (première branche du premier moyen), un manque de base légale au regard du texte (seconde branche du premier moyen) et à nouveau une violation de ce texte mais aussi de l’article 126 du même code (second moyen).

En substance, selon le premier moyen, la société avait remis des conclusions relatives à l’incompétence du tribunal de commerce le même jour que la déclaration d’appel : cela est attesté par les mentions du message adressé, également le même jour, via le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) par le conseil de la société à la cour d’appel de Paris ; dès lors, il y avait bien motivation de la déclaration d’appel par jonction des conclusions. Selon le second moyen, « le défaut de motivation du recours, susceptible de donner lieu à la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel du jugement statuant sur la compétence, peut être régularisé, en matière de procédure avec représentation obligatoire, par le dépôt au greffe, avant l’expiration du délai d’appel, d’une nouvelle déclaration d’appel motivée ou de conclusions comportant la motivation du recours, adressées à la cour d’appel » ; or ici, les « conclusions, à supposer qu’elles n’aient pas été jointes à la déclaration d’appel, étaient de nature à régulariser l’absence de motivation de la déclaration d’appel dès lors qu’elles avaient été déposées devant la cour d’appel avant l’expiration du délai d’appel ».

La Cour de cassation rejette le premier moyen mais casse sur le second : il n’y avait pas jonction des conclusions à la déclaration d’appel, faute de respecter le formalisme électronique pour ce faire, mais il y avait bien régularisation par le dépôt de conclusions avec la motivation dans le délai d’appel.

Le règlement des incidents de compétence a été profondément réformé par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile (pris pour l’application de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et entré en vigueur le 1er septembre 2017 ; C. pr. civ., art. 83 s. Sur la question, v. L. Mayer, Le nouvel appel du jugement sur la compétence, Gaz. Pal. 25 juill. 2017, p. 71, n° 1 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, nos 521 s., spéc. n° 530 s. ; D. d’Ambra, Droit et pratique de l’appel, 4e éd., Dalloz Référence, 2021/2022, nos 234.00 s. ; P. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès civil en appel 2021/2022, LexisNexis, 2020, nos 92 s. ; C. Lhermitte, Procédures d’appel 2020/2021, Dalloz Delmas express, 2020, nos 1701 s. ; J. Pellerin, La réforme de la procédure d’appel : nouveautés et vigilance !, Gaz. Pal. 23 mai 2017, p. 13 ; C. Laporte, Appel du jugement sur la compétence : un nouveau jour fixe imposé, Procédures 2017. Étude 29.

Le contredit, supprimé par le décret n° 2017-891, a été remplacé par un appel particulier, dont le champ d’application correspond à peu près à celui du contredit, mais qui est élargi : cet appel particulier doit être interjeté pour contester les jugements qui statuent exclusivement sur la compétence. L’appel ordinaire, de son côté, permet la critique des jugements qui statuent sur la compétence et le fond. Rappelons que la Cour de cassation a dû rendre plusieurs arrêts pour affirmer la généralité de l’appel particulier contre la décision de toute juridiction du premier degré se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige (Civ. 2e, 11 juill. 2019, n° 18-23.617 et 19-70.012, Dalloz actualité, 16 juill. 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 1499 image ; ibid. 1792, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero image ; ibid. 1380, obs. A. Leborgne image ; Gaz. Pal. 5 nov. 2019, p. 53, obs. N. Hoffschir ; JCP 2019. 942, obs. N. Gerbay ; 2 juill. 2020, n° 19-11.624, Dalloz actualité, 1er sept. 2020, obs. C. Bléry ; D. 2020. 1471 image ; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol image ; Gaz. Pal. 3 nov. 2020, p. 60, obs. M. Guez).

Quant à la procédure de l’appel particulier, elle consiste soit en un jour fixe imposé lorsque la représentation est obligatoire, soit en une fixation prioritaire lorsque la représentation n’est pas obligatoire. Il ne faisait aucun doute ici que le jour fixe imposé devait être emprunté.

Il appartenait à l’appelant de se conformer aux articles 84 et 85, plus exactement à leurs dispositions applicables en procédure avec représentation obligatoire :
- l’appelant devait donc saisir, dans le délai d’appel (soit quinze jours à compter de la notification du jugement par le greffe), le premier président en vue d’être autorisé à assigner à jour fixe ; ceci à peine de caducité de la déclaration d’appel » (art. 84). Notons que, compte tenu de sa date, que l’autorisation d’assigner à jour fixe a nécessairement été requise par voie papier, puisque la Cour de cassation jugeait – de manière peu heureuse – qu’il s’agit d’une procédure autonome, non régie par les arrêtés techniques alors en vigueur, dont celui du 30 mars 2011 (procédure avec représentation obligatoire) et donc exclue de la communication par voie électronique (Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 17-01.695 F-P+B, D. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 61, obs. C. Bléry ; Dalloz actualité, 20 juill. 2017, obs. M. Kebir ; 6 sept. 2018, n° 17-20.047 F-P+B, Dalloz actualité, 14 sept. 2018, obs. C. Bléry ; JCP 2018. 1174, obs. N. Gerbay ; 7 déc. 2017, n° 16-19.336 F-P+B+I, Dalloz actualité, 14 déc. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2017. 2542 image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne image ; Gaz. Pal. 15 mai 2018, p. 77, obs. N. Hoffschir. Adde C. Bléry et J.-P. Teboul, Numérique et échanges procéduraux, in Vers une procédure civile 2.0, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2018, p. 7 s., n° 12 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, op. cit., n° 491 »). Cela a été le cas jusqu’au 31 août 2020. Puis, à partir du 1er septembre 2020, l’arrêté du 20 mai 2020 a « ouvert les tuyaux » devant le premier président : plus exactement, le plaideur a eu la faculté (et non l’obligation malgré un texte manquant de netteté) d’emprunter le RPVA pour cette procédure (C. Bléry, Arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel : entre espoir et déception…, Dalloz actualité, 2 juin 2020) ;
- l’appelant devait aussi respecter l’article 85, qui prévoit que, outre les mentions de l’article 901, « la déclaration d’appel précise qu’elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d’irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration ».

Précisons que, étant en procédure avec représentation obligatoire par avocat, l’article 930-1 du code de procédure civile imposait la remise de la déclaration d’appel et des conclusions au greffe par RPVA. Ce que l’appelant avait respecté : il avait adressé, d’une part, la déclaration d’appel par voie électronique, et d’autre part, les conclusions contenant la motivation : les deux envois étant effectué le même jour. C’est la motivation qui faisait difficulté ici.

Première question : adresser par voie électronique la déclaration d’appel et les conclusions visées à l’article 85 le même jour pouvait-il être analysé comme la jonction évoquée par ledit article ?

Pour l’appelant, la réponse était positive… mais pas pour la cour d’appel, approuvée en cela par la Cour de cassation. En effet, « l’article 6 de l’arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire par avocat devant les cours d’appel, alors applicable, dispose que lorsqu’un document doit être joint à un acte, il est communiqué sous la forme d’un fichier séparé du fichier au format XML contenant l’acte sous forme de message de données ». La jonction juridique de l’article 85 (et d’autres textes du code de procédure civile) a une traduction informatique. Le droit et l’informatique impliquent d’ailleurs une action concrète – celle de joindre – qui va au-delà de la concomitance des envois. Si la CPVE, c’est « de la procédure civile avant tout » (C. Bléry et J.-P. Teboul, JCP 2012. 1189), elle passe par un formalisme informatique résultat de la démarche d’équivalence suivie pour le titre XXI du livre I du code de procédure civile (la CPVE, version 1). En fait, l’annonce de la jonction des conclusions à venir aurait dû être faite dans le champ informatique (RPVA) de la déclaration d’appel et les conclusions elles-mêmes adressées en pièce jointe par le même envoi RPVA.

En outre, ici faisait défaut la preuve de la remise d’un tel message, prétendument adressé via le RPVA, par le conseil de la société appelante. Celui-ci n’aurait pas produit d’avis électronique attestant de cette réception conformément aux exigences de l’article 748-3 du code de procédure civile. Or, on sait que, si « avec l’avis de réception, tout est bon ! », sans cet avis, l’avocat doit se faire du souci (la Cour de cassation a rendu divers arrêts en ce sens, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et de l’Union européenne 2021/2022, S. Guinchard [dir.], Dalloz Action, 10e éd., 2020, n° 273.112 et les réf.) : l’arrêt est une nouvelle illustration de cette jurisprudence. C’est assez logique si les conclusions n’ont pas été adressées en pièce jointe à la déclaration d’appel…

L’arrêté du 30 mars 2011 est aujourd’hui abrogé, mais l’article 4 de l’arrêté du 20 mai 2020 précité reproduit la règle posée à l’article 6 visé par notre arrêt pour la jonction. Il faut donc la retenir tant qu’il sera techniquement difficile de motiver directement dans la déclaration d’appel… faute de place suffisante dans le RPVA pour ce faire (v. J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, op. cit., n° 533 : « l’avocat ne parait ainsi pas pouvoir se dispenser de prendre des conclusions qu’il joindra au message électronique transmettant sa déclaration d’appel, ne serait-ce qu’en raison du fait que l’état des arrêtés techniques et du développement des outils de communication présidant aux transmissions ente avocats et cour d’appel interdisant l’inclusion, dans le corps de la déclaration d’appel d’une motivation détaillée » – l’auteur renvoie en note à la circulaire NOR JUSC1721995, du 4 août 2017. Dans le même sens, C. Lhermitte, Procédures d’appel, op. cit., n° 1712 : « l’alternative n’existe pas et en pratique, la partie appelante devra opter pour les conclusions jointes à la déclaration d’appel »).

Si la Cour de cassation n’a pas admis la jonction en l’état des textes (et ne l’admettrait pas davantage sous l’empire du nouvel arrêté technique), elle a, heureusement, a été plus souple et offert une autre « planche de salut » à l’appelant : il s’agit là de la réitération d’une jurisprudence récente.

Seconde question : adresser les conclusions visées à l’article 85 avant l’expiration du délai d’appel pouvait-il être analysé comme une régularisation de la déclaration d’appel ?

La société considérait que c’était bien le cas, de même que la Cour de cassation. La deuxième chambre civile reproche dès lors à la cour d’appel de ne pas avoir recherché « si les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 11 septembre 2019 pour la société Yingli, qui étaient visées dans l’arrêt, ne comportaient pas la motivation de l’appel formé par une déclaration du même jour » : elle casse l’arrêt d’appel pour manque de base légale au regard des articles 85 et 126 du code de procédure civile.

La Cour de cassation réaffirme ici une solution de bon sens (C. Lhermitte, Procédures d’appel, op. cit., n° 1715), récemment posée (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-17.630 F-P+B+I, Dalloz actualité, 5 nov. 2020, obs. C. Lhermitte) et déjà reprise, en ce qu’elle est conforme à l’article 6, § 1, de la Conv. EDH (Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-12.257 F-P+B+I, Dalloz actualité, 20 janv. 2021, obs. G. Sansone ; D. 2021. 25 image ; ibid. 543, obs. N. Fricero image). La seule question qui se posait pour sa mise en œuvre était de savoir si les conclusions étaient bien motivées conformément aux exigences de l’article 85. Ce que la cour d’appel contestait… ou n’avait pas vérifié, de sorte qu’elle doit « revoir sa copie »…

Ce qu’il faut retenir :

l’appel sur la compétence peut décidément être régularisé quand la motivation exigée à l’article 85 fait défaut… la motivation fait défaut si des conclusions ne sont pas jointes à la déclaration d’appel « muette » ; or l’envoi concomitant des deux actes ne vaut pas respect du formalisme informatique, issu de l’arrêté technique applicable hier ou aujourd’hui ; sans l’avis de réception de l’article 743-3, rien ne va ! 

La poursuite de l’uniformisation des sanctions civiles en matière de TEG

La Cour de cassation poursuit son œuvre d’uniformisation des sanctions civiles en matière de taux effectif global (TEG), comme en témoigne l’arrêt rendu par sa première chambre civile le 22 septembre 2021. En l’espèce, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs deux offres de prêts immobiliers, formalisés par actes authentiques les 17 et 23 octobre 2008. Arguant notamment d’un défaut de communication du taux de période du taux effectif global de chacun des contrats, les emprunteurs ont sollicité la nullité des stipulations d’intérêts.

La cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 19 septembre 2019, rendu sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 15-24.914, D. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image), a prononcé cette nullité et a substitué le taux d’intérêt légal aux taux conventionnels, après avoir constaté que les taux de période des TEG des prêts incluant la période d’anticipation n’ont été ni mentionnés ni communiqués aux emprunteurs.

L’affaire ayant à nouveau été portée devant la Cour régulatrice, celle-ci censure l’arrêt douaisien au visa des articles L. 313-1 et L. 313-2 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et de l’article R. 313-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2016-607 du 13 mai 2016 : les hauts magistrats rappellent tout d’abord le contenu de ces textes et l’existence, sous l’empire du droit normalement applicable à la cause, d’une dualité de sanctions suivant que le défaut de communication du TEG affecte l’offre de crédit (déchéance du droit au intérêts, v. par ex., Civ. 1re, 12 juin 2020, n° 19-12.984 et n° 19-16.401, Dalloz actualité, 26 juin 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 1292 image ; RDI 2020. 448, obs. H. Heugas-Darraspen image ; 6 janv. 2021, n° 18-25.865, Dalloz actualité, 19 janv. 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 76 image ; RDI 2021. 145, obs. J. Bruttin image ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. V. Valette-Ercole image ; RTD com. 2021. 169, obs. D. Legeais image) ou le contrat lui-même (nullité de la stipulation d’intérêt et substitution à celui-ci de l’intérêt légal, v. par ex., Civ. 1re, 24 juin 1981, n° 80-12.903 ; 15 oct. 2014, n° 13-16.555, D. 2014. 2108, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 2015. 2145, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; RTD com. 2014. 835, obs. D. Legeais image). Ils rappellent également que ces sanctions ne sont encourues que dans l’hypothèse où l’écart entre le taux communiqué à l’emprunteur et le taux réel est supérieur à la décimale (concernant l’offre, v. par ex., Civ. 1re, 5 févr. 2020, n° 19-11.939, Dalloz actualité, 21 févr. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 279 image ; RDI 2020. 298, obs. H. Heugas-Darraspen image ; AJ contrat 2020. 145, obs. J. Lasserre Capdeville image ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. V. Valette-Ercole image ; RTD civ. 2020. 459, obs. N. Cayrol image ; RTD com. 2020. 435, obs. D. Legeais image. Concernant le contrat, v. par ex., Civ. 1re, 25 janv. 2017, n° 15-24.607, D. 2017. 293 image ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJDI 2017. 449 image, obs. J. Moreau, O. Poindron et B. Wertenschlag image ; RTD com. 2017. 152, obs. D. Legeais image ; Com. 18 mai 2017, n° 16-11.147, D. 2017. 1958 image, note G. Cattalano-Cloarec image ; AJDI 2017. 601 image, obs. J. Moreau image ; AJ contrat 2017. 336, obs. J. Martinet image).

Puis, la Cour fait état de l’évolution du droit en la matière : « pour les contrats souscrits postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global dans un écrit constatant un contrat de prêt, le prêteur n’encourt pas l’annulation de la stipulation de l’intérêt conventionnel, mais peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l’emprunteur » (pt 7). Elle ajoute, ensuite, que « Pour permettre au juge de prendre en considération, dans les contrats souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l’emprunteur, le régime des sanctions a été uniformisé et il a été jugé qu’en cas d’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de prêt, comme en cas d’erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge (Civ. 1re, 10 juin 2020, n° 18-24.287 P, D. 2020. 1440 image ; ibid. 1434, note J.-P. Sudre image ; ibid. 1441, note J.-D. Pellier image ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; ibid. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJDI 2021. 223 image, obs. J. Moreau image ; RDI 2020. 448, obs. H. Heugas-Darraspen image ; AJ contrat 2020. 387, obs. F. Guéranger image ; RTD civ. 2020. 605, obs. H. Barbier image ; RTD com. 2020. 693, obs. D. Legeais image) » (pt 8). La première chambre civile rappelle alors qu’« Il avait également été jugé que le défaut de communication du taux et/ou de la durée de la période dans le contrat de prêt ou un document relatif à celui-ci était sanctionné par la nullité de la clause stipulant l’intérêt conventionnel et la substitution à celui-ci de l’intérêt légal (Civ. 1re, 1er juin 2016, n° 15-15.813, RTD com. 2016. 825, obs. D. Legeais image ; 7 mars 2019, n° 18-11.617 ; 27 mars 2019, n° 18-11.448) » (pt 9). C’est précisément ce courant jurisprudentiel qui est brisé dans le présent arrêt et ce, au nom de l’uniformisation des sanctions civiles en matière de TEG : « Pour les motifs exposés au point 8 et dans la suite de l’arrêt précité du 10 juin 2020, il convient de poursuivre l’uniformisation des sanctions et de juger que le défaut de communication du taux et/ou de la durée de la période est sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, sous réserve que l’écart entre le TEG mentionné et le taux réel soit supérieur à la décimale prescrite par l’annexe à l’article R. 313-1 susvisé » (pt 10). À l’aune de cet objectif d’uniformisation, l’arrêt des juges du fond, en ce qu’il avait prononcé la nullité des stipulations d’intérêts mentionnées dans les contrats de prêts immobiliers et substitué le taux d’intérêt légal aux taux conventionnels sans constater un écart entre le TEG mentionné et le TEG réel supérieur ou égal à la décimale, ne pouvait donc qu’être cassé : « En statuant ainsi, alors que n’était nullement allégué un écart entre le TEG mentionné et le TEG réel supérieur ou égal à la décimale et qu’est seule encourue la déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (pt 12).

L’arrêt sous commentaire est une excellente synthèse de l’actuelle position prétorienne à l’égard des sanctions civiles en matière de TEG, qui est en réalité dictée par la volonté de tarir le contentieux dans ce domaine (v. à ce sujet, P. Métais et E. Valette, Le contentieux du TEG : état des lieux d’un contentieux évolutif à l’aube de la réforme, JCP 2019. 122) et de répondre aux objectifs du droit l’Union européenne, qui impose, en matière de crédit comme en d’autres domaines, des « sanctions effectives, proportionnées et dissuasives » (on retrouve en effet une telle exigence au sein de nombreuses directives, dont la dir. 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avr. 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs [art. 23] et la dir. 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 févr. 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel [art. 38]. La récente dir. 2019/2161/UE du Parlement européen et du Conseil du 27 nov. 2019, dite « Omnibus », prévoit également cette exigence et met en exergue un certain nombre de critères devant être pris en considération à cet égard. V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Regard sur la directive dite Omnibus 2019/2161/UE du 27 novembre 2019, RDC 2020/2, n° 9. Sur l’appréciation de ce triple caractère, v. CJUE 10 juin 2021, aff. C-303/20, Dalloz actualité, 2 juill. 2021, obs. J.-D. Pellier). Il n’en demeure pas moins que la solution adoptée revient à faire une application anticipée de l’ordonnance du 17 juillet 2019 (sur laquelle, v. G. Biardeaud, Succès en trompe-l’œil pour les banques, D. 2019. 1613 image ; F. Clapiès, TEG : une clarification attendue du régime des sanctions civiles, RLDA oct. 2019, p. 20 ; X. Delpech, Un nouveau régime de sanctions en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, AJ Contrat 2019. 361 image ; J. Lasserre Capdeville, L’adoption d’une sanction unique aux manquements liés au TEG/TAEG, JCP E 12 sept 2019. Act. 574 ; M. Latina, La sanction civile du TAEG est unifiée, L’essentiel Droit des contrats, oct. 2019, p. 2 ; P. Métais et E. Valette, La réforme du TEG adoptée : la déchéance du droit aux intérêts du prêteur proportionnée au préjudice… RLDC oct. 2019, p. 9 ; V. Prevesianos, Une ordonnance fixe les sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, Dalloz actualité, 30 juill. 2019), n’en déplaise à la Cour de cassation (Civ. 1re, 10 juin 2020, n° 18-24.287, D. 2020. 1440 image ; ibid. 1434, note J.-P. Sudre image ; ibid. 1441, note J.-D. Pellier image ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; ibid. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJDI 2021. 223 image, obs. J. Moreau image ; RDI 2020. 448, obs. H. Heugas-Darraspen image ; AJ contrat 2020. 387, obs. F. Guéranger image ; RTD civ. 2020. 605, obs. H. Barbier image ; RTD com. 2020. 693, obs. D. Legeais image ; v. égal., Civ. 1re, 10 juin 2020, avis n° 15004, D. 2020. 1410, point de vue G. Biardeaud image ; ibid. 2085, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; ibid. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RDI 2020. 446, obs. J. Bruttin image). Ce faisant, comme nous l’avions déjà souligné, elle applique (sans le dire) le principe de la rétroactivité in mitius en matière civile alors que ce principe est traditionnellement cantonné à la matière répressive en vertu de l’article 112-1, alinéa 3, du code pénal (en faveur d’une telle application, v. P.-Y. Gautier, Pour la rétroactivité in mitius en matière civile, in Mélanges dédiés à la mémoire du doyen J. Héron, LGDJ, 2009, p. 235).

En outre, et corrélativement, elle consacre une hypothèse de déchéance sans texte, ce qui est remarquable dans la mesure où elle y est en principe hostile (v. par ex., en matière de regroupement de crédits, Civ. 1re, 9 janv. 2019, n° 17-20.565, Dalloz actualité, 24 janv. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 68 image ; AJDI 2019. 632 image, obs. J. Moreau, M. Phankongsy et O. Poindron image ; RDI 2019. 440, obs. J. Salvandy image ; AJ contrat 2019. 184, obs. J. Lasserre Capdeville image ; v. égal., en matière de surendettement, Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 18-25.160, D. 2020. 484 image ; Rev. prat. rec. 2020. 9, chron. M. Draillard, Rudy Laher, A. Provansal, O. Salati et E. Jullien image ; JCP E 11 juin 2020. 1227, note J.-D. Pellier). Il est vrai, cependant, que la solution présente le mérite de la cohérence, la Cour de cassation poursuivant son œuvre d’uniformisation, comme elle le déclare elle-même (v. égal., Com. 24 mars 2021, n° 19-14.307, Dalloz actualité, 8 avr. 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 692 image ; AJDI 2021. 456 image ; RTD civ. 2021. 404, obs. H. Barbier image).

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Spin off #2) : le nantissement de compte-titres

Droit antérieur à la réforme

Dans une étude datant de 1995, un auteur a pu estimer que « le nantissement des valeurs mobilières ne représente qu’un aspect de l’éparpillement des techniques de mise en gage et renforce la nécessité d’une réforme d’ensemble du droit des sûretés, pour en faire un outil plus cohérent et mieux adapté aux richesses » (D. Fasquelle, Le nantissement de valeurs mobilières, RTD com. 1995. 1, spéc. n° 74 image). À l’heure de la publication de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, il est bon de savoir si les changements apportés au nantissement de compte-titres, à travers l’article 29 de l’ordonnance modifiant l’article L. 211-20 du code monétaire et financier et financier, sont parvenus à cet objectif.

Le nantissement de compte-titres – anciennement dénommé gage de compte d’instrument financier – a pu gagner souplesse et efficacité grâce à la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 (J.-Cl. BCB, v° Nantissement de compte titre, juin 2020, n° 4). L’institution a fait l’objet de plusieurs réformes successives jusqu’à arriver au modèle que nous connaissons aujourd’hui avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2021-1192. L’article L. 211-20 du Code monétaire et financier parle d’instruments financiers, changement terminologique plutôt récent et important pour englober tout à la fois les valeurs mobilières classiques et les parts et actions d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) incluant fonds communs et sociétés d’investissement à capital variable abrégés par la pratique en SICAV (L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, Paris, LGDJ, Droit civil, 2020, 14e éd., n° 537). Sous ce vocabulaire emportant avec lui donc tant les titres financiers que les contrats financiers, le législateur a voulu unifier la dénomination des titres éligibles à un nantissement de compte-titres (Pour une approche antérieure à cette dénomination, v. P. Emy, Le titre financier, thèse, Bordeaux, sous la dir. de B. Saintourens et la recension de la thèse par E. Putman, RTD civ. 2006. 647 image).

Actuellement, le mécanisme fonctionne grâce à une constitution très simple puisqu’il s’agit d’une déclaration signée par le titulaire du compte qui est la suite logique d’un contrat passé entre les parties sur les modalités du nantissement du compte-titres en lui-même (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, Dalloz, coll. « Précis », 7e éd., 2016, p. 630, n° 575). Cette déclaration est exigée à peine de nullité en nécessitant des mentions spécifiques prévues par l’article D. 211-10 du code monétaire et financier. Une solution rendue à propos de la législation antérieure – celle du gage de compte d’instruments financiers – a pu préciser que « la constitution en gage d’un compte d’instruments financiers est réalisée, tant entre les parties qu’à l’égard de la personne morale émettrice et des tiers, par la seule déclaration de gage signée par le titulaire du compte » (Com. 20 juin 2018, n° 17-12.559, D. 2018. 1381 image ; ibid. 1884, obs. P. Crocq image ; AJ contrat 2018. 439, obs. L.-J. Laisney image). En d’autres termes, l’opposabilité du gage d’un compte d’instruments financiers (ou d’un nantissement de compte-titres depuis la nouvelle dénomination issue de l’ordonnance n° 2009-107 du 30 janv. 2009) n’est pas subordonnée à sa notification (sur cette question, S. Chenu, L’efficacité des sûretés réelles conventionnelles dans les financements d’acquisitions à effet de levier, thèse, Université Bretagne Loire, 2018, p. 59, nos 92 s.). La solution est garante d’une efficacité redoutable pour le créancier. L’article L. 211-20 du code monétaire et financier évoque le virement des titres nantis vers un compte spécifiquement dédié au nantissement que l’on appelle le compte spécial. Mais la doctrine s’accorde à dire que cette condition n’est pas exigée sous l’angle de la validité de la sûreté (Rép. civ., v° Nantissement, par P. Crocq, n° 86). C’est d’ailleurs également le cas pour l’inventaire décrit dans la fin du I- de l’article qui dispose que « le créancier nanti peut obtenir, sur simple demande au teneur de compte, une attestation de nantissement de compte-titres, comportant inventaire des titres financiers et sommes en toute monnaie inscrits en compte nanti à la date de délivrance de cette attestation ». Sur l’assiette du gage, l’article L. 211-20 prévoit encore une certaine souplesse faisant la part-belle à la subrogation réelle et à l’accession en considérant les titres substitués ou ceux qui les complètent comme compris dans l’assiette du nantissement à l’instar des fruits et produits des titres figurant initialement dans le compte et les titres financiers et sommes postérieurement inscrits (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, op. cit. p. 631, n° 675). La réalisation de la sûreté implique une condition essentielle : une mise en demeure du débiteur notifiée au constituant du nantissement quand il n’est pas le débiteur par ailleurs tout comme au teneur du compte quand il n’est pas le créancier nanti. La mise en demeure comprend des mentions exigées à peine de nullité à l’article D. 211-11 du code monétaire et financier. Dans sa thèse, Mme Claire Séjean-Chazal note le caractère tout à fait remarquable de cette disposition expresse alors que le droit commercial est normalement plus souple que le droit commun (C. Séjean-Chazal, La réalisation de la sûreté, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de thèse », 2019, p. 279, n° 227). Ceci montre l’attention portée par le législateur à la réalisation de la sûreté réelle et aux droits du débiteur défaillant pour que le créancier puisse appréhender le prix de vente ou s’attribuer le bien objet de la sûreté.

Quelles nouveautés sont issues de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 ? Avant toute chose, notons que le nantissement de compte-titres reste dans le code monétaire et financier ; ce qui est discuté par une partie de la doctrine depuis 2006 qui souhaitait son inclusion dans le code civil. L’avant-projet présidé par Michel Grimaldi avait, en effet, prévu un plan du Livre IV « Des sûretés » incluant dans son Titre II « Des sûretés réelles » et dans son Chapitre III « Du nantissement », une sous-section III « Du nantissement d’instruments financiers ». La proposition était restée, assez malheureusement, lettre-morte. L’éparpillement reste ici de mise encore à partir du 1er janvier 2022 puisque l’institution est toujours codifiée à l’article L. 211-20 du code monétaire et financier.

Droit issu de la réforme et perspectives

Le droit issu de l’ordonnance n’entend pas bouleverser le nantissement de compte-titres mais il procède à de nombreux changements rendant l’institution encore plus souple et efficace contre quelques crans de sécurité supplémentaires pour le débiteur constituant. À titre liminaire, précisons que même si l’ordonnance nouvelle prévoit que les nantissements ne confèrent pas, en principe, un droit de rétention, le nantissement de comptes-titres conserve un tel droit de rétention car ce dernier est mentionné expressément par l’article L. 211-20 du code monétaire et financier (rapport remis au président de la République, s.-sect. 3 : dispositions relatives au nantissement de meubles incorporels citant, Com. 26 nov. 2013, n° 12-27.390, D. 2014. 1610, obs. P. Crocq image ; RTD civ. 2014. 158, obs. P. Crocq image ; J.-D. Pellier, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, Dalloz actualité, 22 sept. 2021). La précision est importante car la rétention fonde partiellement l’efficacité de cette sûreté (pour une étude de la rétention à la lumière des titres financiers, J.-D. Pellier, Droit de rétention et nantissement de titres financiers, D. 2019. 1846 distinguant l’universalité de fait du compte-titre et le titre lui-même ; sur les titres nantis spécifiquement et la possibilité des blockchain, M. Julienne et S. Praicheux, Réforme du code civil, crise financière, blockchain : où en sont les garanties financières ?, in Réforme du droit des sûretés et activités bancaires, ss dir. de H. Synvet, RD banc. fin. 2018. Dossier 27, art. 32).

Une modification majeure réside dans l’insertion explicite de la possibilité d’exclure les fruits et produits par la convention des parties au nantissement de comptes-titres. Le créancier et le débiteur peuvent donc tout à fait librement faire le choix d’inclure ou non les fruits et produits, ce qui laisse une marge importante à la liberté contractuelle. L’article L. 211-20 nouveau prévoit également, à ce titre, désormais une dualité terminologique plus claire pour distinguer le « compte spécial » (le compte qui fait l’objet du nantissement de compte-titres) et le « compte fruits et produits » (celui spécifiquement dédié pour y inscrire au crédit lesdits fruits et produits des titres). La distinction permet d’éviter des confusions sémantiques qui peuvent conduire à des erreurs dans le maniement de la sûreté notamment au moment de sa réalisation.

La souplesse préside, là-encore, quand le texte mentionne que l’inscription au crédit du compte fruits et produits peut avoir lieu à tout moment. Ceci permet de contrebalancer la dernière phrase l’article L. 211-20, III- nouveau qui prévoit qu’« à défaut d’inscription au crédit d’un compte fruits et produits, à la date à laquelle la sûreté peut être réalisée, les fruits et produits sont exclus de l’assiette du nantissement » (nous soulignons). Ite missa est : la loi est donc très claire sur la nécessité d’ouverture d’un compte « fruits et produits » spécifique pour que le créancier puisse en bénéficier. C’est l’un des crans de sécurité supplémentaires dont nous parlions précédemment. En pratique, les fruits et produits seront bien souvent dans l’assiette du nantissement pour maximiser l’efficacité de la sûreté.

L’exigence d’unification préside quand la dernière partie de l’article L. 211-20 du code monétaire et financier prend acte de l’abrogation de l’article L. 521-3 du code de commerce (Ord., art. 28). Ceci pouvait créer une interrogation sur la réalisation du gage commercial lequel se distinguait de la réalisation du nantissement de compte-titres. Le projet d’ordonnance notait en commentaire que « la réalisation du nantissement de compte titres portant sur des titres cotés repose sur une simple mise en demeure. Ainsi, dès lors que le gage commercial est supprimé et que les dispositions de l’article L. 521-3 sont reprises au sein de l’article L. 211-20 il ne semble pas justifié de maintenir cette différence. Il y a lieu d’aligner les modalités de réalisation dans un souci de simplification et de cohérence ». Il faut très certainement approuver cette unification qui conduit à reformuler à droit constant le V° de l’article L. 211-20 nouveau, mis à part donc sur l’unification de la notification au lieu d’une « simple signification » actuellement prévue pour le gage commercial par l’article L. 521-3, alinéa 1er, du code de commerce. Des perspectives intéressantes s’ouvrent donc, avec cette réforme, quant à l’objectif d’unité du gage et du nantissement évoqué par M. Fasquelle en 1995 (D. Fasquelle, Le nantissement de valeurs mobilières, préc.). Le texte harmonise d’ailleurs également les délais applicables pour la réalisation de la sûreté selon la qualité du titre qu’il soit ou non admissible à une plateforme de négociation.

Autre ajout textuel explicite important, celui de la possibilité de nantir successivement un même compte-titres qui avait fait l’objet d’un débat doctrinal en raison de l’indivisibilité du droit de rétention (contra pour une « impossibilité implicite », J. Mestre, M. Billiau et E. Putman, Traité de droit civil – Tome 2 : Droit spécial des sûretés réelles, ss la dir. de J. Ghestin, 1996, p. 389, n° 948 ; Pro : L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, op. cit. n° 538 : « rien ne s’oppose à ce que, à l’instar du tiers possesseur en cas d’entiercement, celui-ci exerce cette possession, et le droit de rétention qui en serait la conséquence, pour le compte de plusieurs créanciers »). Le débat est désormais terminé, l’ordonnance tranchant pour la solution la plus souple pour la sûreté. La prise de rang est alors classique, selon la date de la déclaration initiale étudiée précédemment mais les parties peuvent aménager ce point par convention ; ce qui est assurément une bonne chose en laissant donc une place encore importante à la liberté contractuelle.

On notera également, de manière plus ou moins anecdotique la substitution de l’expression de la qualité des titres « négociés sur un marché réglementé » par « admis sur une plateforme de négociation » que nous avions croisée déjà pour la fiducie à titre de garantie (C. Hélaine, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 9) : la fiducie utilisée à titre de garantie, Dalloz actualité, 23 sept. 2021). L’expression nouvelle recoupe, effectivement la sémantique utilisée par le Code monétaire et financier à l’article L. 420-1 qui définit la notion ainsi : « une plateforme de négociation est un marché réglementé au sens de l’article L. 421-1, un système multilatéral de négociation au sens de l’article L. 424-1 ou un système organisé de négociation au sens de l’article L. 425-1 ». L’harmonisation du vocabulaire poursuit donc sa route et le droit des sûretés n’y fait pas exception.

Conclusion

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 vient à la fois assouplir, clarifier et maintenir les grandes lignes d’une institution appréciée par la pratique. Le nantissement de compte-titre se trouve renforcé d’abord, par un gain de souplesse notamment sur ce que le contrat peut prévoir (par l’exclusion des fruits et produits du nantissement ou par la modification de la prise de rang en cas de nantissements successifs du même compte-titres). Cette souplesse était, à dire vrai, probablement déjà permise malgré des débats doctrinaux mais sa confirmation est fort bienvenue. L’institution se trouve, ensuite, également clarifiée, par exemple grâce à la spécificité terminologique entre compte spécial (le compte nanti) et compte « fruits et produits » qui permettra de savoir rapidement, au moment de la réalisation de la sûreté, si le créancier peut se servir également sur ces accroissements. Enfin, il faut noter que la conservation des grandes lignes de l’institution permettra aux créanciers de continuer à l’utiliser sans heurts, notamment en raison de son efficacité par le droit de rétention. L’avenir nous dira si ces modifications plus ou moins importantes auront conduit à conserver le nantissement de comptes-titres parmi les sûretés de droit spécial particulièrement appréciées par la pratique notamment bancaire et plus généralement du monde des affaires.

Divorce : entre le droit à la vie privée et le droit à la preuve

L’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme protège le droit au respect de la vie privée. La notion de vie privée est une notion large qui englobe de multiples aspects de l’identité d’un individu : son nom, son orientation sexuelle, son droit à l’image, mais aussi le secret de ses correspondances, d’ailleurs expressément visé à l’article 8. Mais ce droit fondamental n’est pas absolu et peut être limité par d’autres droits fondamentaux. L’arrêt illustre bien le contrôle de proportionnalité qu’opère régulièrement la Cour européenne entre différents droits fondamentaux, en l’espèce le droit au secret des correspondances et le droit à la preuve.

Les faits, assez complexes, mêlant procédure devant les juridictions civiles et procédure devant les juridictions pénales, seront limités aux éléments essentiels à la compréhension de la décision.

Une femme de nationalité espagnole avait épousé un homme de nationalité portugaise avec lequel elle a eu deux enfants. Pour des raisons professionnelles, la famille partageait son temps entre l’Espagne et le Portugal. La vie conjugale du couple s’étant détériorée, Madame décida de s’installer définitivement en Espagne avec ses deux enfants, et saisit un tribunal espagnol afin d’obtenir la résidence habituelle des enfants, en attendant le divorce. En réponse, le mari saisit un tribunal portugais pour réclamer, dans un premier temps, la fixation provisoire de la résidence habituelle des enfants au Portugal, puis, dans un second temps, le divorce d’avec son épouse. À cette fin, il produisait des messages électroniques échangés entre son épouse et des correspondants masculins sur un site de rencontres occasionnelles, afin d’apporter la preuve de relations extra-conjugales de son épouse. Le mari avait accédé à cette messagerie après avoir tenté plusieurs combinaisons possibles de mots de passe, avant que son épouse lui donne un accès total à la messagerie afin de prouver qu’il ne s’agirait que d’une plaisanterie (pt 24).

La Cour de justice de l’Union européenne trancha dans un premier temps le conflit de compétences en faveur des juridictions espagnoles, premières saisies. Le tribunal espagnol prononça le divorce des époux, accordant à l’épouse la résidence habituelle des enfants et à son mari un droit de visite, sans tenir compte dans sa motivation des messages électroniques échangés. L’affaire aurait pu (aurait du) s’arrêter là.

Mais, parallèlement à la procédure de divorce, l’épouse avait saisi le procureur près les juridictions répressives de Lisbonne d’une plainte contre son mari pour violation du secret des correspondances dans le cadre des procédures de répartition de l’autorité parentale et de divorce. Les juridictions portugaises ont prononcé une ordonnance de non-lieu à l’égard du mari. D’une part, elles ont déduit, du fait que les conjoints avaient, durant leur vie de couple, une certaine liberté d’accéder à la messagerie de l’autre, une autorisation tacite d’accéder au contenu des messages électroniques litigieux, de sorte que les messages électroniques feraient partis du patrimoine moral commun du couple, ce qui impliquait une autorisation tacite de les utiliser « dans le cadre de la relation conjugale et de ses dérivés », donc dans la procédure de divorce et de répartition de l’autorité parentale. D’autre part, pour les juridictions portugaises, l’accès total à la messagerie qu’avait fini par donner l’épouse avait pour conséquence que les messages feraient désormais partie de la vie privée du couple et non de la seule épouse.

C’est dans ces conditions que l’épouse a engagé une procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme contre la République portugaise estimant que les juridictions portugaises avaient manqué à leur obligation de garantir son droit au respect de sa vie privée. Il est certain que la responsabilité d’un État peut être engagée s’il a failli à garantir le droit au respect de la vie privée. En d’autres termes, le droit au respect de la vie privée n’a pas seulement un volet négatif – s’abstenir pour un État de s’ingérer dans la vie privée des citoyens – il a aussi un volet positif – adopter des mesures permettant de garantir à chacun le respect de sa vie privée, y compris dans les relations entre individus entre eux (CEDH 5 sept. 2017, Barbulescu c/ Roumanie, n° 61496/08, § 110, AJDA 2017. 1639 image ; ibid. 2018. 150, chron. L. Burgorgue-Larsen image ; D. 2017. 1709, et les obs. image ; ibid. 2018. 138, obs. J.-F. Renucci image ; ibid. 1033, obs. B. Fauvarque-Cosson et W. Maxwell image ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; JA 2017, n° 568, p. 40, étude J. Marfisi image ; Dr. soc. 2018. 455, étude B. Dabosville image ; Dalloz IP/IT 2017. 548, obs. E. Derieux image ; 23 sept. 2010, Schüth c/ Allemagne, n° 1620/03, §§ 54 et 57, D. 2011. 1637, chron. J.-P. Marguénaud et J. Mouly image ; ibid. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta image ; RDT 2011. 45, obs. J. Couard image ; 12 nov. 2013, Söderman c/ Suède, n° 5786/08, § 78 ; 7 févr. 2012, Von Hannover c/ Allemagne (n° 2), nos 40660/08 et 60641/08, § 98, AJDA 2012. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen image ; D. 2012. 1040 image, note J.-F. Renucci image ; ibid. 2013. 457, obs. E. Dreyer image ; Légipresse 2012. 142 et les obs. image ; ibid. 243, comm. G. Loiseau image ; RTD civ. 2012. 279, obs. J.-P. Marguénaud image).

Le non-lieu prononcé par les juridictions portugaises traduisait-il une violation de l’obligation de la République portugaise de garantir le droit au respect des correspondances de l’épouse ? Avait-il été ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le droit de l’épouse au respect de sa vie privée et, d’autre part, le droit à la preuve du mari, c’est-à-dire son droit à bénéficier d’une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions ne le plaçant pas dans une situation de net désavantage par rapport à son épouse (CEDH 27 oct. 1993, Dombo Beheer BV c/ Pays-Bas, n° 14448/88, § 33, AJDA 1994. 16, chron. J.-F. Flauss image ; 6 oct. 2009, Almeida Santos c/ Portugal, n° 50812/06, § 38 ; 10 oct. 2006, LL c/ France, n° 7508/02, § 40, D. 2006. 2692 image ; RTD civ. 2007. 95, obs. J. Hauser image).

La cour européenne des droits de l’homme a considéré qu’il n’y avait pas eu violation du droit au secret des correspondances. La Cour européenne estime certes sujettes à caution les conclusions des juridictions portugaises selon lesquelles les messages feraient parties de la vie privée du couple, d’autant que le consentement de l’épouse pour que son mari accède à la totalité des messages était intervenu dans un contexte conflictuel (pt 47). L’existence d’un « patrimoine moral commun du couple » impliquant « une autorisation tacite d’utiliser » la messagerie de son conjoint retenue par les juridictions portugaises n’est donc pas spécialement approuvée par la Cour européenne.

Mais cette dernière ne condamne pas pour autant le Portugal, car elle estime que la production des messages litigieux était pertinente pour apprécier la situation personnelle des conjoints et de la famille (pt 48) et que les messages n’avaient été divulgués que dans le cadre de procédures civiles à la publicité limitée (pt 49). La Cour européenne des droits de l’homme avait déjà retenu une analyse similaire s’agissant de correspondance papier faisant état d’une relation extraconjugale dans le cadre d’une procédure de mesures provisoires dans l’attente d’un divorce, mais elle avait expressément souligné les garanties de la loi belge, à savoir que la personne ne soit pas entrée irrégulièrement en possession des pièces qu’elle produit et que la pièce ne soit pas couverte par le secret professionnel (CEDH 13 mai 2008, NN et TA c/ Belgique, n° 65097/01, D. 2009. 2714, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur image ; RTD civ. 2008. 650, obs. J.-P. Marguénaud image ; JCP 2008. I. 167, obs. Sudre). Elle avait en revanche retenu une solution inverse en refusant la production d’un compte rendu d’opération chirurgicale adressé par le chirurgien au médecin traitant attestant de l’alcoolisme de l’époux dans le cadre d’une procédure de divorce, au motif que des témoignages faisaient déjà état des habitudes alcooliques du conjoint et que des certificats médicaux prouvaient la violence dont l’épouse avait été victime, ce qui justifiait le prononcé d’un divorce aux torts exclusifs sans nécessité de produire un document couvert par le secret médical (CEDH 10 oct. 2006, préc., § 46. V. pour une appréciation inverse admettant la production de documents médicaux concernant la partie adverse au titre du droit à la preuve, Com. 15 mai 2007, n° 06-10.606, D. 2007. 1605 image ; ibid. 2771, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot image ; Just. & cass. 2008. 205, Conférence G. Tapie image ; RTD civ. 2007. 637, obs. R. Perrot image ; ibid. 753, obs. J. Hauser image).

La jurisprudence française est conforme à cette approche. D’une part, l’article 259-1 du code civil interdit à un époux, dans le cadre d’une procédure de divorce, de « verser aux débats un élément de preuve qu’il aurait obtenu par violence ou fraude ». D’autre part, l’articulation du droit à la preuve avec le droit au respect de la vie privée est abordée à travers le prisme d’un rapport de proportionnalité. Il s’agit de trancher un conflit de droits fondamentaux. Le droit à la preuve ne peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée qu’à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi (Civ. 1re, 25 févr. 2016, n° 15-12.403, Bull. civ. I, n° 48 ; D. 2016. 884 image, note J.-C. Saint-Pau image ; ibid. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; AJ pénal 2016. 326, obs. D. Aubert image ; RTD civ. 2016. 320, obs. J. Hauser image ; ibid. 371, obs. H. Barbier image ; Soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.058, Bull. à paraître, D. 2020. 2383 image, note C. Golhen image ; ibid. 2312, obs. S. Vernac et Y. Ferkane image ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; JA 2021, n° 632, p. 38, étude M. Julien et J.-F. Paulin image ; Dr. soc. 2021. 14, étude P. Adam image ; RDT 2020. 753, obs. T. Kahn dit Cohen image ; ibid. 764, obs. C. Lhomond image ; Dalloz IP/IT 2021. 56, obs. G. Haas et M. Torelli image ; Légipresse 2020. 528 et les obs. image ; ibid. 2021. 57, étude G. Loiseau image ; Rev. prat. rec. 2021. 31, chron. S. Dorol image ; 9 nov. 2016, n° 15-10.203, D. 2017. 37, obs. N. explicative de la Cour de cassation image, note G. Lardeux image ; ibid. 2018. 259, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; Just. & cass. 2017. 170, rapp. A. David image ; ibid. 170, rapp. A. David image ; ibid. 188, avis H. Liffran image ; ibid. 188, avis H. Liffran image ; Dr. soc. 2017. 89, obs. J. Mouly image ; RDT 2017. 134, obs. B. Géniaut image ; RTD civ. 2017. 96, obs. J. Hauser image). A ainsi été cassé un arrêt ayant refusé de prendre en compte une lettre trouvée par un héritier dans les papiers de son père et établissant une donation, pour atteinte au secret des correspondances, sans rechercher si la production litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177, Bull. civ. I, n° 85 ; D. 2012. 1596 image, note G. Lardeux image ; ibid. 2826, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon image ; ibid. 2013. 269, obs. N. Fricero image ; ibid. 457, obs. E. Dreyer image ; RTD civ. 2012. 506, obs. J. Hauser image)

Dans notre espèce, le caractère régulier de l’entrée en possession des messages électroniques semblait discutable, puisqu’avant que son épouse ne donne un accès total à la messagerie, il semble que le mari en avait eu un accès partiel à la suite de plusieurs tentatives de mots de passe. Mais l’accès total à la messagerie, quoiqu’intervenu dans un contexte conflictuel, semble avoir couvert l’irrégularité première. En droit interne, il a à cet égard été jugé que le fait d’avoir profité de l’opportunité d’accéder à la messagerie électronique de l’épouse après son départ du domicile conjugal caractérise certes un manque de délicatesse, mais ne constitue pas une fraude dès lors que le mot de passe n’a pas été obtenu par fraude (Paris, 17 nov. 2016, n° 14/14482, D. 2017. 1082, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; AJ fam. 2017. 67, obs. A. de Guillenchmidt-Guignot image ; Dr. fam. 2017, n° 2, obs. Binet). Il semble donc que si l’accès au mot de passe n’avait été obtenu que par de multiples tentatives de mots de passe possibles, une atteinte au secret des correspondances aurait probablement été retenue.

Règlement européen sur les successions internationales : notion de pacte successoral et précision sur les dispositions transitoires

Au cours de l’année 1975, un homme, de nationalité allemande, avait prévu par contrat de transférer à son décès, à titre de donation, en faveur de son fils, de nationalité allemande, et de sa belle-fille de l’époque, de nationalité autrichienne, pour moitié chacun, la propriété d’un terrain situé en Autriche, y compris ce qui au moment du décès y aurait été construit. Ce contrat, soumis expressément au droit autrichien, était toutefois soumis à certaines conditions notamment l’obligation pour le père de construire dans les dix ans une maison bi-familiale, le fait que son fils et sa belle-fille soient encore mariés au moment du décès et que cette dernière soit en vie. Si cette dernière condition n’était pas satisfaite, le contrat prévoyait que le transfert n’aurait lieu qu’au bénéfice du seul fils. L’acte prévoyait également la possibilité d’inscrire le transfert de propriété dans le livre foncier autrichien sur présentation d’un acte officiel de décès et de la preuve que les conditions requises pour l’exécution du transfert de propriété étaient réunies. Lors de la conclusion du contrat, les parties avaient toutes leur résidence en Allemagne.

Le 13 mai 2018, la succession du père a été ouverte devant le tribunal allemand du lieu de sa dernière résidence. Avant ce décès, le fils et son épouse avaient divorcé et cette dernière était même décédée. Le fils a donc demandé l’inscription sur le livre foncier de son droit de propriété relatif au bien immobilier situé en Autriche devant un tribunal autrichien en faisant valoir qu’au moment du décès il était l’unique bénéficiaire du contrat. Les juridictions...

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Panneaux photovoltaïques et droit de la consommation : rappels

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du Premier Président de la Cour d'appel d'Aix-en-Provencele 29 septembre 2021

Civ. 1re, 22 sept. 2021, F-B, n° 19-24.817

Les panneaux photovoltaïques continuent de nourrir avec abondance le contentieux de droit de la consommation tant les particuliers qui les font installer peuvent parfois être déçus de la production effective d’électricité qu’ils peuvent revendre à EDF par raccordement au réseau ERDF. C’est ainsi qu’un certain nombre de déçus engagent des actions en nullité des contrats qui se répercutent nécessairement sur les emprunts qui y sont attachés. Dans d’autres situations, c’est au moment d’une action du prêteur de deniers qu’une demande reconventionnelle de nullité apparaît devant les juridictions. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 22 septembre 2021 commenté aujourd’hui s’inscrit dans cette seconde optique. Les faits sont classiques : une personne a conclu avec une société un contrat de fourniture et d’installation de douze panneaux photovoltaïques d’une puissance globale de 3 000 Wc financé par un crédit souscrit le même jour auprès d’une société bancaire aux droits de laquelle vient une autre société très connue du grand public. Une fois les panneaux posés, l’emprunteur ne rembourse aucune échéance du prêt conclu. La banque assigne donc en paiement l’acquéreur qui a sollicité reconventionnellement la nullité des contrats conclus hors établissement après avoir mis en cause la société venderesse des panneaux photovoltaïques.

L’affaire mélange un certain nombre de points car l’emprunteur avait soulevé de nombreux moyens devant la juridiction d’appel. Trois points majeurs ont été discutés devant les juges du fond. D’abord, la cour d’appel d’Orléans a refusé de voir dans le bon de commande les insuffisances reprochées par l’acquéreur des panneaux photovoltaïques. Ensuite, la composition collégiale a également refusé la nullité des contrats de vente sur le fondement...

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Irrecevabilité des conclusions sur renvoi de cassation ou le péché par omission

Amenée à statuer sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Poitiers, pour débouter le déclarant-saisissant de sa demande d’irrecevabilité des conclusions adverses, relève que s’il est constant que les intimés n’ont pas conclu dans le délai de deux mois imposé par l’article 1037-1 du code de procédure civile, « encore faut-il que le président de la chambre soit saisi de cette demande de constat d’irrecevabilité, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ; que la formation de jugement de la cour d’appel ne peut donc se substituer au président de la chambre ». Le moyen du pourvoi tiré de la violation de la lettre même de l’article 1037-1 était tout trouvé, ce qui amena la deuxième chambre civile, au visa de cet article, à casser et annuler en toutes ses dispositions l’arrêt selon la solution la suivante :
« 9. Selon ce texte, les parties à l’instance ayant donné lieu à la cassation, qui ne respectent pas les délais qui leur sont impartis pour conclure, sont réputées s’en tenir aux moyens et prétentions qu’elles avaient soumis à la cour d’appel dont l’arrêt a été cassé. Il en résulte qu’en ce cas, les conclusions que ces parties prennent, hors délai, devant la cour d’appel de renvoi sont irrecevables.
10. Par ailleurs, ce texte confère au président de la chambre ou au magistrat désigné par le premier président, le pouvoir de statuer sur la caducité de la déclaration de saisine sur renvoi de cassation, en cas de dépassement du délai dans lequel doit être notifiée cette déclaration aux parties adverses, et sur l’irrecevabilité des conclusions tardives de l’intervenant, volontaire ou forcé. En revanche, la disposition de ce texte prévoyant que l’affaire est fixée à bref délai, dans les conditions de l’article 905 du code de procédure civile, ne concerne que l’application de cet article, à l’exclusion de celles des dispositions des articles 905-1 et 905-2 conférant à ce magistrat des attributions destinées à sanctionner le respect par les parties des diligences prescrites par ces deux derniers textes. Or la liste des attributions conférées à ce magistrat, qui font exception à la compétence de principe de la formation collégiale de la cour d’appel, est, pour ce motif, limitative.
11. Par conséquent, seule la cour d’appel, à l’exclusion du président de la chambre ou du magistrat désigné par le premier président, peut prononcer l’irrecevabilité des conclusions des parties à l’instance ayant donné lieu à la cassation.
12. Pour rejeter la demande de la coopérative tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions notifiées le 6 août 2018 par M. [C] et l’EARL, ainsi que leurs conclusions postérieures, l’arrêt retient que la formation de jugement de la cour d’appel ne peut se substituer au président de la chambre pour constater que les parties auxquelles a été signifiée la déclaration de saisine de la cour de renvoi sont réputées s’en tenir aux prétentions et moyens qu’elles avaient soumis à la cour d’appel dont l’arrêt a été cassé.
13. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Faute avouée, pas toujours pardonnée

Faiblesses rédactionnelles, erreurs de syntaxe, omissions malheureuses, il ne fait mystère pour personne...

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Dispositif des conclusions d’appel : la fin justifie les moyens

À modifier les règles du jeu en cours de partie, il est à craindre que les parties et leurs avocats n’aient plus envie de jouer. La question de procédure posée à la Cour de cassation comme la solution du reste apparaissaient pourtant simples. Sur appel d’un jugement du conseil de prud’hommes, une chambre sociale de la cour d’appel de Paris relève la caducité de la déclaration d’appel faute pour l’appelant d’avoir récapitulé ses prétentions sous forme de dispositif. Le pourvoi du salarié reprochait à la cour d’avoir énoncé, pour retenir la caducité, que le respect de la diligence impartie par l’article 908 du code de procédure civile est nécessairement apprécié en considération de l’article 954 de ce code et que la méconnaissance de ce dernier texte ne pouvait conduire au prononcé d’une caducité. À question intéressante, réponse embarrassante ! La deuxième chambre civile apporte la solution suivante qui, pour être appréhendée, mérite d’être rappelée exhaustivement : « 4. En application de l’article 908 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour conclure.
5. Les conclusions d’appelant exigées par cet article 908 sont toutes celles remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ce texte, qui déterminent l’objet du litige porté devant la cour d’appel.
6. L’étendue des prétentions dont est saisie la cour d’appel étant déterminée dans les conditions fixées par l’article 954 du même code, dans sa rédaction alors applicable, le respect de la diligence impartie par l’article 908 s’apprécie nécessairement en considération des prescriptions de cet article 954.
7. Selon cet article 954, pris en son alinéa 2, les prétentions des parties sont récapitulées sous forme de dispositif, la cour d’appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif. Il résulte de ce texte, dénué d’ambiguïté, que le dispositif des conclusions de l’appelant remises dans le délai de l’article 908, doit comporter, en vue de l’infirmation ou de l’annulation du jugement frappé d’appel, des prétentions sur le litige, sans lesquelles la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement frappé d’appel. Cette règle poursuit un but légitime, tenant au respect des droits de la défense et à la bonne administration de la justice.
8. Il résulte de la combinaison de ces règles que, dans le cas où l’appelant n’a pas pris, dans le délai de l’article 908, de conclusions comportant, en leur dispositif, de telles prétentions, la caducité de la déclaration d’appel est encourue.
9. Cette sanction, qui permet d’éviter de mener à son terme un appel irrémédiablement dénué de toute portée pour son auteur, poursuit un but légitime de célérité de la procédure et de bonne administration de la justice.
10. Par ailleurs, cette règle ne résulte pas de l’interprétation nouvelle faite par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 septembre 2020 (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, D. 2020. 2046 image, note M. Barba image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne image ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet image ; D. avocats 2020. 448 et les obs. image ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, Anne-Isabelle Gregori, Rudy Laher et A. Provansal image ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol image), imposant que l’appelant demande dans le dispositif de ses conclusions, l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ou l’annulation du jugement. Il en résulte que cette règle n’entre pas dans le champ du différé d’application que cet arrêt a retenu en vue de respecter le droit à un procès équitable.
11. L’arrêt constate que les conclusions d’appelant, prises dans le délai prévu à l’article 908, comportaient un dispositif se bornant à demander de confirmer pour partie le jugement et pour le surplus, de faire droit à l’ensemble des demandes, de condamner la société à lui verser une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens et d’ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
12. En l’état de ces constatations, dont il résultait que le dispositif des conclusions de l’appelante, qui procédait par renvoi, ne comportait pas de prétentions déterminant l’objet du litige, c’est à bon droit, sans faire preuve d’un formalisme excessif, que la cour d’appel a prononcé la caducité de la déclaration d’appel.
13. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé ».

Les pieds sur terre, commençons par dégager les évidences

La portée de cet arrêt doit être remise dans un contexte, particulier, qui ne ressort ni de cette décision ni du moyen soutenu mais du seul arrêt de la cour d’appel de Paris. Déjà et contrairement aux apparences, il ne s’agissait pas d’un arrêt rendu sur déféré, après que le conseiller de la mise en état a statué, comme on pourrait le penser. C’est la cour d’appel qui, au fond, décida de soulever le moyen de caducité. Le pouvait-elle ? Si l’on se réfère à l’article 914 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, oui car une fin de phrase perdue à l’article 914 du code de procédure civile qui fixe les pouvoirs du conseiller de la mise en état précise que « Néanmoins, sans préjudice du dernier alinéa du présent article, la cour d’appel peut, d’office, relever la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel ou la caducité de celui-ci ». Sauf qu’il n’aura pas échappé au lecteur attentif que l’appel avait été formé avant l’entrée en vigueur dudit décret, lecteur qui n’ignore toutefois pas que la Cour de cassation avait déjà consacré une possibilité pour les cours, sans référence donc à l’ordre public et avant 2017, de relever la caducité de la déclaration d’appel ou l’irrecevabilité des conclusions si les parties et le conseiller de la mise en état ne s’en étaient précédemment emparés. Mais que l’on se trouve avant ou après le 1er septembre 2017, l’article 954 précise depuis le 1er janvier 2011 que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Or, le dispositif des conclusions de l’appelant, s’il sollicitait la confirmation du jugement en ce que le grief d’insuffisance professionnelle et le licenciement sans cause réelle et sérieuse n’étaient pas établis, mentionnait ensuite et seulement : « faire droit à l’ensemble des demandes ». Face à un tel dispositif, une sanction ne faisait pas de doute tant les cours d’appels, et les différentes chambres de la Cour de cassation dès l’entrée en vigueur des décrets Magendie, ont rappelé cette exigence qui avait valeur d’évidence (Civ. 1re, 24 oct. 2012, n° 11-22.358 ; Civ. 3e, 2 juill. 2014, n° 13-13.738, D. 2014. 1505 image ; Procédures, oct. 2014, obs. H. Croze ; Com. 22 sept. 2015, n° 14-15.588). Mais ce qui étonnera, c’est la nature de cette sanction !

Haute cour, haute voltige

En effet, en pareil cas, la sanction n’est pas la caducité de la déclaration d’appel mais la confirmation du jugement. S’il n’était pas expressément demandé la réformation du jugement (et on sait ce que la deuxième chambre civile en pense pour les actes d’appel postérieurs au 17 septembre 2020 – infra), l’absence de prétentions au dispositif des dernières écritures (outre une demande au titre de l’art. 700 et des dépens) devait conduire la cour, qui n’était donc saisie de rien d’autre, à confirmer le jugement, pas à prononcer une caducité. La définition juridique de la caducité est la sanction de l’absence d’accomplissement d’un acte de procédure dans un délai imparti, comme l’illustrent d’ailleurs parfaitement les articles 902, 905-1, 905-2, 908 ou même 1037-1. Or, en l’espèce, la cour d’appel avait observé que les conclusions – qui contenaient tout de même des prétentions sans déterminer véritablement l’objet du litige – avaient bien été notifiées dans le délai de trois mois imposé à l’appelant pour conclure ce qui laissait augurer, pour avoir dégagé une caducité là où il n’y en avait pas, une censure de l’arrêt par la deuxième chambre civile. Car lorsque les cours confondent les sanctions, la Cour de cassation ne se prive pas de le dire. Elle le fit, on le sait, à l’égard des cours d’appel qui, saisies d’un appel « total », confirmaient à tort le jugement dès lors que la déclaration d’appel ne mentionnait pas les chefs de jugement critiqués pour, évoquant, dégager, par trois fois déjà, la sanction idoine : la cour n’a ni à confirmer ni à infirmer, elle doit dire qu’elle n’est pas saisie puisque c’est l’acte d’appel qui fonde l’effet dévolutif (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 image ; ibid. 576, obs. N. Fricero image ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon image ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry image ; ibid. 458, obs. N. Cayrol image ; Procédures, n° 4, avr. 2020, obs. H. Croze ; 2 juill. 2020, n° 19-16.954, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; 25 mars 2021, n° 20-12.037, Dalloz actualité, 26 avr. 2021, obs. R. Laffly ; Rev. prat. rec. 2021. 6, chron. O. Cousin, A.-I. Gregori, E. Jullien, F. Kieffer, A. Provansal et C. Simon image). Le demandeur au pourvoi pouvait donc, sereinement, attendre la solution de la Cour de cassation.

Acrobatie procédurale

Abondant dans le sens de la cour d’appel, la Cour de cassation commence par rappeler que les conclusions attendues sont toutes celles remises au greffe, notifiées dans les délais prévus par l’article 908 et qui déterminent l’objet du litige. C’est la rédaction même d’un article 910-1, issu du décret du 6 mai 2017… qui n’était donc pas applicable. Mais il est exact là aussi que la Cour de cassation avait déjà dégagé cette solution en y ajoutant (ce qui n’est plus vrai depuis) les conclusions qui soulèvent un incident de nature à mettre fin à l’instance (Cass., avis, 21 janv. 2013, n° 12-00.016, BICC 1er janv. 2013, p. 8, rapp. De Leiris et obs. Lathoud ; RTD civ. 2015. 199, obs. N. Cayrol image ; JCP 2013. 135, obs. Gerbay). Soit. Plus contestable ensuite, elle ajoute, selon une formule déjà utilisée mais dans un arrêt inédit pour tirer la même sanction de caducité en raison de l’absence cette fois d’une demande de réformation au dispositif (Civ. 2e, 31 janv. 2019, n° 18-10.983, inédit) que « L’étendue des prétentions dont est saisie la cour d’appel étant déterminée dans les conditions fixées par l’article 954 du même code, dans sa rédaction alors applicable, le respect de la diligence impartie par l’article 908 s’apprécie nécessairement en considération des prescriptions de cet article 954 » (6). Nécessairement, l’adverbe en devient suspect. L’article 908 ne s’apprécie en effet qu’à l’aune de la temporalité (le délai de forclusion de trois mois pour remettre ses conclusions au greffe) sans référence au contenu des écritures qui est tout l’objet d’un article 954 qui ne s’intéresse pas aux délais pour conclure et ressort, de surcroît, des pouvoirs de la cour statuant au fond. Le propos n’est évidemment pas de contester l’idée d’une sanction ; personne ne songera, en l’état de la procédure d’appel actuelle et des textes, à contester qu’une sanction puisse être prise face à des conclusions remises dans le délai mais qui seraient d’évidence défaillantes (aucun moyen, aucune prétention, aucun dispositif…), ce qui est terriblement gênant, c’est cette sanction, celle de la caducité. L’arrêt ne précise-t-il pas d’ailleurs que « le dispositif des conclusions de l’appelant remises dans le délai de l’article 908, doit comporter, en vue de l’infirmation ou de l’annulation du jugement frappé d’appel, des prétentions sur le litige, sans lesquelles la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement frappé d’appel » (7). La cour doit donc confirmer le jugement, pas dire que la déclaration est caduque ! Pourtant, la Haute cour poursuit, par un artifice juridique, en indiquant qu’il « résulte de la combinaison de ces règles que, dans le cas où l’appelant n’a pas pris, dans le délai de l’article 908, de conclusions comportant, en leur dispositif, de telles prétentions, la caducité de la déclaration d’appel est encourue » (8). Or, procéduralement, c’est faux. L’article 954 ne vise aucune sanction de caducité tandis que l’article 908 ne mentionne que le délai de remise et alors même, on l’a vu, que la caducité, en procédure civile d’appel, ne s’intéresse pas à la « qualité » des écritures. Il appartenait à la cour d’appel de Paris, comme le font d’ailleurs toutes les cours d’appel en pareille hypothèse et comme l’a déjà rappelé la Cour de cassation, de confirmer le jugement au regard d’un dispositif qui opérait par renvoi sans la moindre précision de prétention. La deuxième chambre civile sait très bien tout cela, mais fait comme si.

Contorsionnisme juridique

La raison profonde vient ensuite : « Cette sanction, qui permet d’éviter de mener à son terme un appel irrémédiablement dénué de toute portée pour son auteur, poursuit un but légitime de célérité de la procédure et de bonne administration de la justice » (9). Au cas présent pourtant, le procès était bien allé à son terme puisque la cour d’appel statuait, non pas sur déféré mais au fond tandis que la Cour de cassation, pas une seule fois, ne vise le conseiller de la mise en état ou l’article 914 du code de procédure civile qui liste ses compétences. Alors de deux choses l’une, soit la deuxième chambre civile a entendu juger que la cour, au fond, pouvait retenir la caducité au côté de la confirmation en cas d’omission au dispositif des conclusions des parties (c’est très discutable juridiquement, on l’a vu, mais cela ne change finalement pas grand-chose au résultat), soit il faut comprendre un message subliminal, que l’on voudrait ne pas comprendre. En consacrant la sanction de caducité au regard de conclusions éminemment défaillantes, la Cour de cassation entendrait en réalité donner la possibilité aux conseillers de la mise en état de statuer sur cette problématique. Mais alors pourquoi ne pas le dire, précisément, en usant de la motivation enrichie ? En offrant aux conseillers de la mise en état la possibilité de constater une caducité qui est, effectivement, de leur compétence, la deuxième chambre civile entendrait in fine court-circuiter la cour d’appel et accélérer le prononcé de la sanction. Pour cela, elle n’avait d’autre choix que de lier, artificiellement, la caducité prévue à l’article 908 à un article 954 qui n’entend les prétentions et le dispositif des conclusions que du côté de la cour d’appel.

Afin que les choses, osons le mot, soient claires, la Cour de cassation finit par rappeler que cette règle ne résulte pas de l’interprétation nouvelle faite par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 septembre 2020 (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, Procédures nov. 2020. Comm. 190, R. Laffly), imposant que l’appelant demande, dans le dispositif de ses conclusions, l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ou l’annulation du jugement, sans possibilité de différé d’application comme elle l’avait expressément précisé le 17 septembre 2020 (10). Il n’y aura pas de cession de rattrapage, et aucun différé d’application au 9 septembre 2021, comme il y en a eu un au 17 septembre 2020, ainsi que l’a encore rappelé, avec force et par deux fois, la Haute cour qui n’hésita pas à convoquer l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme au secours de l’appelant puis de l’intimé qui forme appel incident sans solliciter de demande de réformation dès les premières écritures (Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 19-22.316 et 20-13.210, D. 2021. 1217 image, note M. Barba image ; AJ fam. 2021. 317, édito. V. Avena-Robardet image ; ibid. 381, édito. V. Avena-Robardet image ; Procédures. 2021. Comm. 186, R. Laffly ; 1er juill. 2020, n° 20-10.694, D. 2021. 1337 image ; AJ fam. 2021. 505, obs. J. Casey image ; Procédures août-sept. 2021. Comm. 216, R. Laffly). A première vue, l’écart d’une modulation des effets temporels de cette jurisprudence, dont l’usage se fait en haut lieu avec parcimonie, peut s’expliquer. Car si l’arrêt du 17 septembre 2020 avait pu surprendre plus d’un juriste averti en assimilant la réformation ou l’annulation à une prétention au fond qui devait figurer donc au dispositif des premières conclusions, chacun sait, depuis 2011 donc, que le simple oubli d’une prétention au dispositif ne permet pas à la cour de statuer sur celle-ci. À première vue seulement. Parce que si l’intention de la deuxième chambre civile était de contourner ses propres arrêts des 17 septembre 2020, 20 mai 2021 et 1er juillet 2021 qui apparaissaient comme un puissant frein aux décisions de certaines cours frondeuses faisant rétroagir la sanction aux appels antérieurs au 17 septembre 2020 (au premier rang desquelles les conseillers de la mise en état des chambres sociales de la cour de Paris qui retiennent une caducité dès lors que l’appelant n’a pas sollicité de réformation ou d’annulation au dispositif de ses premières écritures), le procédé serait éminemment contestable. En l’état, si une partie précise ses prétentions au dispositif mais omet d’y faire figurer la réformation ou l’annulation, qui est donc une prétention au fond, la cour ne peut que confirmer le jugement si l’appel est postérieur au 17 septembre 2020, mais si aucune précision de prétention ne figure au dispositif, c’est la caducité qui est encourue, prononcée par la cour voire le conseiller de la mise en état, quelle que soit la date de l’appel. Et peut-être aussi la confirmation par la cour… On a connu arrêts plus inspirés.

Où s’arrêtera la prise de pouvoir du conseiller de la mise en état ?

Si c’était une volonté politique plus que juridique, et un gage donné à certains, le risque à venir est bien réel. Car au-delà même de textes qui ne prévoient pas une telle compétence, l’empiètement sur le pouvoir de la cour apparaît dangereux. Où placer en effet le degré de défaillance du dispositif des conclusions au regard de l’effet dévolutif de l’appel ? Lorsque n’apparaîtra, uniquement comme en l’espèce, ni demande de réformation ni indication des prétentions ? Ou bien le conseiller devient-il le juge de la qualité des écritures ? Quid d’une demande de réformation mais avec une indication de demandes globales et non détaillées ? Ou d’une demande omise voire mentionnée par la suite alors que ce pouvoir ne ressort, dans aucun texte, de ceux dévolus au conseiller de la mise en état ainsi que l’explicitait la circulaire du Ministère de la justice du 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile : « À l’instar du contentieux lié à la prohibition des prétentions nouvelles en appel, le contentieux à la concentration des prétentions relèvera de la seule cour d’appel et non du conseiller de la mise en état. Il sera relevé à cet égard que l’article 914, qui a trait à la compétence du conseiller de la mise en état, ne fait pas référence à l’article 910-4 ». Ni à l’article 954 on ajoutera. On voit bien qu’en s’intéressant à l’examen de la qualification des prétentions, même face à un dispositif clairement défaillant, le conseiller touche nécessairement à l’effet dévolutif de la cour d’appel. Alors même que la Cour de cassation a, par son avis remarqué (Civ. 2e, avis, 3 juin 2021, n° 21-70.006, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly), précisément entendu déconnecter la compétence du conseiller de la mise en état des fins de non-recevoir qui touchent l’effet dévolutif de la cour, cet arrêt laisse perplexe et inquiétera selon le sort que lui réservera l’avenir. Ou alors il faut réécrire les articles 542, 561, 562 du code de procédure civile si l’on veut faire du conseiller de la mise en état, définitivement, le couteau suisse de la procédure d’appel… suffisamment aiguisé pour tout trancher. Enfin, loin de la pratique, la fausse bonne idée est bien celle de l’omnipotence d’un conseiller de la mise en état qui devient le juge de tous les moyens de procédure. Devant la complexité de la procédure d’appel, l’augmentation des saisines du conseiller de la mise en état, à charge de déféré bien sûr, a un impact direct et l’effet inverse recherché sur les délais d’audiencement. Lorsque la fin justifie les moyens, le praticien reste sur sa faim si la Cour de cassation elle-même s’affranchit des règles procédurales pour arriver à la sienne. On connaît la célèbre phrase apocryphe de Camus : mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde. Il aurait dû le dire, c’était le penseur de la vérité.

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode finale) : les sûretés réelles immobilières

Droit antérieur à la réforme

L’importance prise par les sûretés réelles immobilières ne fait aucun doute. D’une efficacité redoutable, elles sont devenues rapidement incontournables et ce, qu’elles soient fondées sur la préférence ou sur l’exclusivité. Afin de traiter au mieux l’état du droit antérieur de cette question, nous rappellerons des constantes autour de leur qualification d’une part puis autour de leur régime, d’autre part.

D’une part, leur qualification est inchangée entre l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 et le droit actuel. Comme le disent certains auteurs, « on pénètre dans le domaine des sûretés réelles immobilières un peu comme on rentre dans une étude de notaire : à pas feutrés, et avec une certaine déférence » (P. Delebecque et P. Simler, Droit civil – Les sûretés. La publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, p. 383, n° 373). L’actuel article 2373 du code civil énumère leur nombre : « les sûretés sur les immeubles sont les privilèges, le gage immobilier et les hypothèques. » avant d’ajouter dans son second alinéa « la propriété de l’immeuble peut également être retenue ou cédée en garantie. ». Ainsi, à l’hypothèque faut-il rajouter le gage immobilier (que l’on appelait jadis l’antichrèse) et les privilèges immobiliers.

D’autre part, leur régime a pu connaître des évolutions importantes ces dernières années. La loi fait une place très importante à l’hypothèque que l’on appelle encore parfois volontiers « la reine des sûretés ». D’une importance cruciale, cette garantie occupe aujourd’hui de très nombreux articles du code civil. Mais il faut ici distinguer entre les sûretés pour dresser les traits caractéristiques des règles applicables du droit antérieur à l’ordonnance. Nous ne pourrons pas élaborer un état exhaustif de chaque question mais nous tenterons de dégager les grandes orientations de ce droit applicable jusqu’en 2022.

En ce qui concerne l’hypothèque, toute l’économie de cette sûreté réelle immobilière est résumée autour de l’article 2393 du code civil. Ce texte permet de comprendre plusieurs caractéristiques essentielles de l’hypothèque qui sont reprises et détaillées dans la suite des dispositions. En somme, l’hypothèque est un droit réel, accessoire et indivisible qui ne porte que sur les immeubles en dépit de l’existence de figures originales comme l’hypothèque maritime. La formulation même de l’article 2393 concernant son indivisibilité est une traduction en français assez fidèle de l’adage latin formulé par Dumoulin hypotheca est tota in toto et tota in qualibet parte qui a des effets importants sur des mécanismes ayant pour conséquence l’extinction partielle d’une dette garantie (sur ce point, C. Hélaine, L’extinction partielle des dettes, thèse Aix-en-Provence, 2019, dir. V. Égea et E. Putman, n° 36, p. 53).

L’hypothèque se présente donc comme une technique incontournable, notamment pour accéder au crédit. Elle peut être légale, conventionnelle ou judiciaire. Quand elle est conventionnelle, le débiteur s’exposant à un certain danger sur l’immeuble objet de la sûreté, toute une série de dispositions permet de rendre l’opération sécurisée. Son aspect solennel en est un des principaux traits caractéristiques. L’une des questions ayant agité le droit antérieur à ce sujet a notamment concerné l’hypothèque dite rechargeable qui a connu un sort plutôt funeste, tantôt supprimée, tantôt rétablie (L. Andreu, L’hypothèque rechargeable ressuscitée, JCP E 26 janv. 2015. 134 ; C. Gijsbers, Hypothèque rechargeable : rétablissement pour les professionnels par la loi du 20 décembre 2014, D. 2015. 69 image).

Devant l’ampleur de la question des règles applicables à l’hypothèque, nous comparerons les éléments de régime qui ont fait l’objet de modifications dans l’état futur du droit positif applicable selon les règles de droit transitoire de l’ordonnance n° 2021-1192 (v. infra).

En ce qui concerne le gage immobilier, le législateur a érigé cette sûreté sur le calque de l’hypothèque pour un nombre important de dispositions comme en témoigne l’article 2388 actuel du Code civil. De l’essence même du contrat (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, op. cit., p. 385, n° 375), la dépossession reste un trait distinctif du gage immobilier. Sa dénomination a d’ailleurs évolué : d’abord intitulée antichrèse, elle fut ensuite nommée gage immobilier pour simplifier sa qualification et éviter le recours à un terme jugé obscur. Cette dépossession se comprend surtout dans l’optique de la jouissance du bien puisque le créancier gagiste peut percevoir les fruits civils générés par le bien immeuble gagé.

En ce qui concerne les privilèges, le régime antérieur à l’ordonnance est gouverné par le concours entre privilèges immobiliers généraux et spéciaux que l’on retrouve également pour les privilèges mobiliers. Il faut se rappeler que la loi d’habilitation n’avait pas permis leur réforme en 2006 et il avait alors fallu maintenir en l’état le système antérieur. L’avant-projet rédigé sous l’égide de l’Association Henri Capitant avait jugé que les privilèges immobiliers spéciaux – prenant rang avant la date de leur inscription – n’étaient pas tolérables en l’état. S’est ainsi créé en doctrine un certain mouvement militant pour que ces privilèges spéciaux soient transformés en hypothèques légales qui ne prendraient effet qu’à la date de leur inscription. Le droit antérieur des privilèges immobiliers est donc régi par une certaine insécurité juridique à travers cette spécialité. À cette incertitude, s’ajoutent également des privilèges tout simplement inadaptés à notre époque comme nous l’avons vu pour les privilèges mobiliers (sur ce point de la réforme, C. Hélaine, Les privilèges mobiliers, Dalloz actualité, 21 sept. 2021).

Voici donc des sûretés plurielles que la loi regroupait autour du terme générique « sûretés réelles immobilières ».

Quels sont les changements issus de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 ?

Droit issu de la réforme et perspectives

Sur l’hypothèque

L’hypothèque voit plusieurs parties de son régime évoluer assez drastiquement. Mais avant de les évoquer, il faut rapidement étudier si ses caractéristiques générales ont changé. L’article 2393 actuel ayant été jugé imprécis, l’ordonnance entend le réécrire. Ce constat a conduit le gouvernement à proposer une définition de l’hypothèque éclatée dans plusieurs articles. Exit les principaux caractères dès le premier article ! Les principaux traits caractéristiques de l’institution sont disséminés aux quatre vents. Sur le fond, rien ne change toutefois sur les caractères de l’hypothèque désormais définie à l’article 2385 nouveau comme « l’affectation d’un immeuble en garantie d’une obligation sans dépossession de celui qui la constitue ».

Parmi les disparitions importantes, une attire l’attention. La fameuse règle « les meubles n’ont point de suite par hypothèque » de l’article 2398 du code civil (RTD civ. 1994. 543, obs. E. Putman image) est abandonnée. On peut le regretter, même si l’ordonnance le justifie avec l’inadaptation de la règle eu égard à la possibilité de l’hypothèque sur les navires, bateaux et aéronefs. La raison n’est-elle pas au moins discutable en raison du caractère dérogatoire de la nature juridique de ces biens ?

On retrouve ensuite la présentation classique : hypothèque légale, hypothèque conventionnelle et hypothèque judiciaire.

Sur cette dernière, on notera l’apparition d’un article 2408 nouveau indiquant que l’hypothèque judiciaire conservatoire est régie par le code des procédures civiles d’exécution. Ceci vient pallier un silence dans le Code civil de cette technique bien connue des voies d’exécution. On remarque ainsi la place désormais discrète de l’hypothèque judiciaire dans le code civil.

L’hypothèque légale est celle la plus touchée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021. Elle voit son régime aménagé pour que la transformation des privilèges immobiliers spéciaux puisse être accueillie dans les nouveaux articles 2391 et suivants et plus précisément à partir des articles 2402 et suivants. La solution paraît logique tant il existe des liens entre l’hypothèque légale et les privilèges (Rép. civ., v° Hypothèque légale, par A. Fournier, n° 2). Ainsi, peut-on désormais lire que les hypothèques légales sont générales ou spéciales pour tenir compte de ce changement. Cette coexistence entre hypothèques légales générales et spéciales complexifie un peu cet aspect de l’hypothèque il faut bien le dire.

Sur les hypothèques légales générales, notons la suppression massive de l’hypothèque légale des époux qui n’est conservée que pour un régime matrimonial très peu choisi, la participation aux acquêts. Il faut également bien accueillir la reconnaissance officielle de l’hypothèque légale du mineur qui, au lendemain de la loi n° 2007-208 du 5 mars 2007, avait été incertaine par la suppression d’une référence à ce sujet dans l’article 2409 du Code civil. Le projet d’ordonnance hésitait, dans un premier temps, sur le maintien de l’hypothèque légale des frais de dernière maladie et de fournitures de subsistances. L’ordonnance n° 2021-1192 les a supprimées pour éviter des hypothèques légales désuètes.

La suppression des privilèges immobiliers spéciaux pour devenir des hypothèques légales spéciales est probablement l’une des plus grandes nouveautés de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021. L’effet de ce changement est fondamental : la prise de rang se fait à l’inscription et non plus à la date de naissance de la créance (J.-D. Pellier, Les sûretés réelles immobilières, Lexbase, n° 3). Le but avoué est évidemment de « simplifier et unifier les sûretés immobilières » comme le précise le projet d’ordonnance de décembre 2020. Encore faudra-t-il se méfier des privilèges immobiliers spéciaux nés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance comme le note sur ce point le Rapport remis au président de la République concernant l’ordonnance étudiée. Les questions de droit de transitoire en droit des sûretés réelles immobilières ont encore de beaux jours devant elles !

L’hypothèque conventionnelle connaît quelques bouleversements. En premier lieu, l’article 2409 nouveau lequel reprend l’article 2416 du code civil hésitait – dans le cadre du projet d’ordonnance – à se défaire de la possibilité de conclure sous seing privé une promesse d’hypothèque (jurisprudence constante, Civ. 3e, 7 janv. 1987, Bull. civ. III, n° 4 depuis Civ. 7 févr. 1854). Il faut bien admettre que cette jurisprudence selon laquelle une telle promesse est valable est contraire au parallélisme des formes, certes. Le maintien d’une telle solution était, selon les rédacteurs du projet, assez discutable compte tenu de l’absence d’efficacité de la révocation de la promesse unilatérale de contrat issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (Rép. civ., v° Hypothèque conventionnelle, par C. Juillet, n° 56 ; V. Brémond, Hypothèque et promesse d’hypothèque, les liaisons dangereuses, JCP N 2003, nos 1369 et 1374). Mais sur ce point, le projet était un peu trop sévère et il est tout à fait bienvenue que l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 n’ait pas consacré une telle formule notariée pour la promesse d’hypothèque. Relevons également la codification à droit constant de la forme notariée du mandat d’hypothéquer, ce qui respecte parfaitement le principe de parallélisme des formes (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, op. cit., p. 415, n° 407 ; Rép. civ., v° Hypothèque conventionnelle, par C. Juillet, n° 12 et spéc. n°55).

Beaucoup de règles concernant l’hypothèque conventionnelle sont ensuite modernisées et renumérotées en raison de la suppression de certains textes. L’une des interrogations que suscite la lecture de l’ordonnance concerne le principe classique de prohibition des hypothèques sur bien futur lequel est complètement renversé. Il existe alors une difficulté sur le domaine de l’ordonnance puisque l’article 60, 12°, de la loi d’habilitation du 22 mai 2019 ne permettait qu’une réforme « élargissant les dérogations à la prohibition des hypothèques de biens à venir » (nous soulignons). En renversant le principe, l’article 2414 dispose désormais « l’hypothèque peut être consentie sur des immeubles présents ou futurs ». Or, il ne s’agit plus d’élargir mais de changer de paradigme à ce sujet. La disposition nouvelle brouille les frontières entre ce que pouvait faire l’ordonnance et ce qu’elle fait réellement. N’aurait-il pas fallu procéder par voie ordinaire et donc permettre des débats parlementaires pour cette question susceptible de beaucoup d’applications pratiques ? Bien évidemment, la loi de ratification viendra éliminer cette question (J.-D. Pellier, Les sûretés réelles immobilières, op. cit., n°5).

L’effet des hypothèques comprend désormais une première sous-section sur le droit de préférence et le droit de suite puis une seconde sur la purge. Cette présentation dynamique permet une meilleure compréhension des dispositions qui font l’objet de modernisation et de clarification diverses.

On notera que la purge qui profite au tiers acquéreur trouve désormais application également pour le gage d’un immeuble par destination (C. civ., art. 2472 nouv.) ; ce qui est assez original mais tout à fait pertinent. Le projet d’ordonnance l’explique ainsi : « en cas d’aliénation d’un immeuble incluant un immeuble par destination gagé, il est indispensable que soit ouverte la faculté de procéder à la purge de ce gage ; à défaut, en effet, aucun acquéreur ne se présenterait et le commerce des immeubles serait paralysé ».

Une subtilité importante concerne les droits du tiers acquéreur. Abandonnant une jurisprudence récente (Civ. 2e, 19 févr. 2015, n° 13-27.691, D. 2015. 964 image, note P. Théry image ; ibid. 1339, obs. A. Leborgne image ; ibid. 1810, obs. P. Crocq image ; RTD civ. 2015. 652, obs. W. Dross image) qui avait précisé que le tiers détenteur ne pouvait pas se prévaloir de la prescription de la créance principale (en l’espèce pour obtenir la mainlevée du commandement de payer, valant saisie), l’article 2455 nouveau du code civil issu de l’ordonnance dispose désormais que « le tiers acquéreur qui n’est pas personnellement obligé à la dette peut s’opposer à la vente de l’immeuble s’il demeure d’autres immeubles, hypothéqués à la même dette, en la possession du débiteur principal, et en requérir la discussion préalable selon la forme réglée au chapitre Ier du titre Ier du livre IV du présent code. Pendant cette discussion, il est sursis à la vente de l’immeuble hypothéqué » avant d’ajouter que « Ce tiers acquéreur peut encore, comme le pourrait une caution, opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal ». Voici de quoi assurer aux tiers acquéreurs une sécurité bienvenue et conforme aux règles du droit des sûretés concernant l’opposabilité des exceptions (v. sur ce point l’analyse de C. Juillet, Rép. civ., préc. n° 90). Il faut également souligner que l’alinéa 1er de l’article 2455 nouveau offre une extension importante du bénéfice discussion du tiers acquéreur face aux créanciers disposant d’une hypothèque spéciale sur l’immeuble alors que l’actuel article 2466 ne le permet pas.

En ce qui concerne l’extinction de l’hypothèque, on ne peut qu’apprécier l’ajout du vocable « notamment » dans les causes d’extinction citées à l’article 2474 du code civil issu de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021. Il existe, en effet, d’autres causes d’extinction que celles citées comme celle que rappelle d’ailleurs le projet d’ordonnance, le défaut de déclaration dans une procédure de rétablissement personnel (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 457, n° 362). On accueille également bien volontiers la suppression de la référence à la prescription dans l’extinction de l’hypothèque. Lorsqu’une créance est prescrite, l’hypothèque s’éteint par voie accessoire. Ainsi, il n’y a pas de nécessité de citer la prescription à l’article 2474 du code civil. L’ordonnance vient ici supprimer une référence surabondante de l’article 2488, 4°, en vigueur.

D’autres changements pourraient être utilement cités comme la modernisation du droit de suite (on préfère désormais l’expression de tiers acquéreur au tiers détenteur, plus juste), la modification de certains points de la purge judiciaire, l’abandon de la faculté de délaissement de l’article 2467 du code civil, etc. Sur ce point, la partie des « Des effets de l’hypothèque » du Rapport remis au président de la République est particulièrement éclairante sur les différentes modifications opérées.

Sur les autres sûretés réelles

En ce qui concerne les privilèges immobiliers, les changements introduits par l’ordonnance sont importants comme nous l’avons noté. Le 12° de l’article 60 de la loi du 22 mai 2019 précisait que l’ordonnance devait « améliorer les règles relatives aux sûretés réelles immobilières, notamment en remplaçant les privilèges immobiliers spéciaux soumis à publicité par des hypothèques légales ». C’était une proposition de l’Association Henri Capitant qui a été suivie ici. La modification reste une très bonne nouvelle pour la prise de rang qui sera ainsi celle de l’inscription de l’hypothèque. Certains privilèges immobiliers spéciaux sont purement et simplement supprimés comme celui des architectes de l’article 2382 en raison d’un formalisme trop important.

Pour les privilèges généraux, il faut noter que l’article 2377 nouveau, actuel article 2375 du code civil, est grandement modernisé. Le privilège des frais de justice comprend la même référence que pour son pendant en privilèges mobiliers, i.e. « sous la condition qu’ils aient profité au créancier auquel le privilège est opposé ».

C’est une codification à droit constant qui n’appelle aucune remarque particulière tant la solution est acquise (Com. 17 nov. 1970, Bull. civ. IV, n° 305). En ce qui concerne le privilège des salaires, la numérotation du Code du travail est reprise pour correspondre aux dernières réformes. Cet article 2377 nouveau sert de structure pour le classement des privilèges comme l’indique le nouvel article 2378 reprenant en la matière l’actuel article 2376. La disparition des privilèges spéciaux conduit à une importante renumérotation d’un certain nombre d’articles.

Il faut noter que les dispositions portant sur le gage immobilier n’ont fait l’objet d’aucune modification substantielle sauf – et c’est essentiel – concernant la définition du mécanisme. Le nouvel article 2379 du code civil dispose que « Le gage immobilier est l’affectation d’un immeuble en garantie d’une obligation avec dépossession de celui qui la constitue ». Voici une formulation qui semble mettre fin à un débat sur la dépossession comme effet ou comme condition du gage immobilier. La formulation se dirige dans le sens d’une condition, faisant probablement de cette sûreté réelle un contrat réel, ce qui est remarquable compte tenu de l’appauvrissement de cette catégorie juridique (sur ce point, v. J.-D. Pellier, Retour sur le gage immobilier à la lumière de la nouvelle réforme du droit des sûretés, à paraître). L’ensemble a été renuméroté aux articles 2379 et suivants du code civil. L’ordonnance n’a, mis à part pour la définition, opéré qu’une modification mineure, très souvent de formulation ou de renvois. Il faut peut-être regretter sur ce point que le terme d’antichrèse ne soit pas revenu dans le giron du code civil. Ceci aurait permis – comme le voulait le projet Capitant – une unité du gage comme une sûreté des meubles corporels. La proposition sera restée lettre morte. Ici donc, peut-être un regret mais assez mineur. La loi a peut-être évité le recours à un terme peu connu du grand public. Le futur dira si nous reviendrons à la dénomination d’antichrèse, plus fidèle à l’institution en elle-même.

En somme, le droit des sûretés réelles immobilières connaît des modifications importantes, plus ou moins conformes à la loi d’habilitation. Le droit qui en résulte est grandement modernisé et il faut probablement s’en féliciter. Des interrogations perdurent toutefois sur l’hypothèque de biens futurs ou sur la nécessité du maintien de certaines hypothèques légales spéciales, i.e. en réalité de certains privilèges immobiliers spéciaux du droit antérieur. Mais l’ensemble reste très intéressant sous l’angle de la technique juridique employée : moderniser sans trahir, restaurer sans trop en ajouter.

 

 

Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :

• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 5) : les privilèges mobiliers, par Cédric Hélaine le 21 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 6) : le gage, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, par Jean-Denis Pellier le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 8) : la réserve de propriété, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 9) : la fiducie utilisée à titre de garantie, par Cédric Hélaine le 23 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 10) : la cession de créance de droit commun à titre de garantie, par Jean-Denis Pellier, le 23 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 11) : la cession de somme d’argent à titre de garantie, par Claire-Anne Michel, le 24 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 11) : la cession de somme d’argent à titre de garantie

Multiplication des sûretés-propriétés mobilières. En matière de sûretés mobilières, les évolutions les plus marquantes de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés ne sont sans doute pas celles relatives au sûretés préférentielles (gage ou nantissement). Innovantes certes, elles s’inscrivent néanmoins dans la continuité de la voie initiée par l’ordonnance du 23 mars 2006. Bien différente est la conclusion qui s’impose s’agissant des sûretés-propriétés : entre consécration de la validité de la cession de créance à titre de garantie et consécration de la cession de somme d’argent à titre de garantie, la présente ordonnance fait œuvre de nouveauté. C’est à la faveur de l’article 60-I, 11°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 habilitant le gouvernement à « inscrire et organiser dans le code civil le transfert de somme d’argent au créancier à titre de garantie », que celui que l’on dénomme communément le « gage-espèces » est, « dans un souci d’attractivité du droit français, de lisibilité et de sécurité juridique » (v. Rapport au président de la République, spéc. sous présentation de l’art. 11 de l’ordonnance ), aujourd’hui consacré. En effet, en dépit de son importance pratique considérable, le gage-espèces s’épanouissait jusqu’alors sans support textuel spécifique. Or, les évolutions législatives contemporaines (consécration du gage avec dépossession de choses fongibles – art. 2341 c. civ. – ou encore fiducie-sûreté – art. 2011 c. civ. –) avaient fait naître des interrogations quant à la qualification de l’opération et donc quant à son régime, incertitudes que la présente ordonnance dissipe.

Ainsi, jusqu’à présent dans l’ombre, le gage-espèces accède aujourd’hui à la lumière.

Le droit antérieur à la réforme: une sûreté dans l’ombre

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 15 septembre 2021, lequel a vocation à s’appliquer jusqu’à l’entrée en vigueur de cette dernière le 1er janvier 2022 (Ord., art. 37), les principes avaient été établis par la jurisprudence, toutefois, leur pérennité était incertaine en raison de l’avènement, à l’initiative de l’ordonnance du 23 mars 2006, de l’article 2341 du code civil.

S’agissant des principes jurisprudentiels, une distinction devait être opérée selon le sort réservé à la somme remise au créancier. À défaut d’individualisation de la somme au sein du patrimoine de ce dernier, l’opération emportait transfert de la propriété de cette somme. La qualification de cession fiduciaire était retenue, en conséquence de quoi, à l’image de tout mécanisme fiduciaire, le créancier s’engageait à restituer la somme au constituant dès lors que l’obligation garantie était exécutée. En cas d’inexécution, il devenait définitivement propriétaire de la somme et la compensation fondait alors l’extinction de l’obligation de restitution (Com. 3 juin 1997, n° 95-13.365, D. 1998. 61 image, note J. François image ; ibid. 104, obs. S. Piédelièvre image ; RTD com. 1997. 663, obs. M. Cabrillac image ; ibid. 686, obs. A. Martin-Serf image ; ibid. 1998. 403, obs. B. Bouloc image). Cette qualification ne pouvait en revanche être retenue dans l’hypothèse où la somme remise au créancier demeurait individualisée dans le patrimoine du créancier. La qualification de gage était alors retenue (rappr. Com. 23 avr. 2003, n° 02-11.015, JCP 2003. I.176, obs. P. Delebecque), les modes de réalisation du gage s’imposaient alors. Néanmoins, à une époque où l’opprobre à l’encontre du pacte commissoire avait encore cours, la jurisprudence admettait ce mode de réalisation.

Mais quelle pérennité pour ces solutions avec l’avènement de l’article 2341, alinéa 2, du code civil, lequel prévoit que « si la convention dispense le créancier de (l’obligation de tenir les choses fongibles séparées des choses de même nature qui lui appartiennent), il acquiert la propriété des choses gagées à charge de restituer la même quantité de choses équivalentes ». Y avait-il encore place pour la cession fiduciaire innommée, non soumise aux articles 2333 et suivants consacrés au gage (v. semblant favorable au maintien de la cession fiduciaire innommée, Com. 3 avr. 2019, n° 18-11.281, D. 2019. 757 image ; Just. & cass. 2020. 282, rapp. A. Vaissette image ; RTD com. 2019. 990, obs. A. Martin-Serf image) ? Quelle était la nature juridique du mécanisme auquel aboutissait cette disposition : gage irrégulier ou fiducie-sûreté (v. M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 7e éd., 2019, n° 900) ? Les incertitudes affluaient. En consacrant la cession de somme d’argent à titre de garantie, l’ordonnance du 15 septembre 2021 apporte un élément de réponse.

Droit issu de la réforme : la lumière

Ce ne sont désormais pas moins de sept articles qui viendront bientôt régir le gage-espèces (futurs, C. civ., art. 2374 à 2374-6). Pour novatrice que sont ces textes, les solutions adoptées ne surprennent guère car elles tirent leur inspiration tantôt de dispositions communes aux sûretés réelles (v. par ex., C. civ., art. 2374-1 faisant de la sûreté une sûreté solennelle ou encore l’art. 2374-4 c. civ. envisageant le sort des fruits ; v. Rapport au président de la République), tantôt de mesures applicables à toutes les sûretés fiduciaires (V. par ex., C. civ., art. 2374-5 admettant l’imputation en cas de défaillance du débiteur ou encore l’art. 2374-6 imposant une restitution de la somme en cas d’exécution de la créance garantie). Que retenir de ces nouvelles règles ?

S’agissant de la constitution du gage-espèces, le code civil consacre une sûreté qui ne peut être qu’une sûreté avec dépossession. En effet, la remise des sommes au créancier, par tradition matérielle de monnaie fiduciaire ou par simple écriture en présence de monnaie scripturale, détermine l’opposabilité aux tiers de la sûreté (C. civ., art. 2374-2). S’agissant des effets, le cessionnaire devient propriétaire des sommes. Il acquiert, en outre, et par principe, le droit de disposer librement des sommes cédées ; seule la stipulation conventionnelle contraire prévoyant l’affectation des sommes peut y faire obstacle (C. civ., art. 2374-3). Cette libre disposition des sommes et son éventuelle entrave sont la clé de voûte permettant de préciser le sort des fruits et des intérêts. À défaut de libre de disposition, les fruits et intérêts viennent accroître l’assiette de la sûreté. La clause contraire est toutefois possible (C. civ., art. 2374-4, al. 1er). Différente est la règle en présence d’un créancier libre de disposer des sommes. La confusion des sommes au sein du patrimoine du créancier s’y oppose : comment, dans une telle situation, identifier « les fruits » produits par « la somme » remise au créancier à titre de garantie (v. Rapport au président de la République) ? Néanmoins, dans une telle situation, l’article 2374-4 permet aux parties de prévoir un intérêt au profit du cédant, lequel se « substituera » à un droit aux fruits impossible à concevoir.

S’agissant enfin des effets, les règles inhérentes au mécanisme fiduciaire se retrouvent tant dans l’article 2374-5, consacré à l’hypothèse de la défaillance du débiteur, qu’à l’article 2374-6, relatif, quant à lui, à l’hypothèse, plus heureuse, d’une exécution de la créance garantie. Dans la première, le créancier « peut » imputer le montant de la somme sur la créance garantie. La propriété menacée d’être provisoire devient alors définitive (rappr. C. Witz, Réflexions sur la fiducie-sûreté, JCP E 1993. I. 244). L’usage du verbe « pouvoir » suggère que l’imputation n’est pas automatique et que le créancier a la liberté procéder (ou de ne pas procéder) à l’imputation. La liberté du créancier dans la réalisation de la sûreté est ainsi implicitement affirmée (les termes de l’habilitation excluait qu’un tel principe soit érigé en des termes généraux ; il est néanmoins ponctuellement consacré, v. le nouvel art. 2314 c. civ. précisant que « la caution ne peut reprocher au créancier son choix du mode de réalisation d’une sûreté »). Sans surprise, le gage-espèces, pas plus que toute autre sûreté, ne saurait être une source d’enrichissement pour le créancier, qui est donc contraint de restituer l’éventuel excédant (C. civ., art. 2374-5). Dans la seconde hypothèse, l’absence de défaillance du débiteur, le re-transfert de la propriété, inhérent au mécanisme fiduciaire, s’impose au créancier.

Perspectives

Cette nouvelle sûreté nommée attire l’attention : l’innovation est majeure. Mais quelle articulation entre elle et l’article 2341 du code civil ? C’est une interrogation qui fera sans doute couler beaucoup d’encre sous peu (v. J.-D. Pellier, La propriété retenue ou cédée à titre de garantie, à paraître, n° 8).

 

 

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Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 10) : la cession de créance de droit commun à titre de garantie, par Jean-Denis Pellier, le 23 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 10) : la cession de créance de droit commun à titre de garantie

Droit antérieur à la réforme

Sous l’empire du droit antérieur à la nouvelle réforme du droit des sûretés, la cession de créance à titre de garantie n’était pas reconnue de manière générale. En effet, la Cour de cassation avait considéré qu’ « en dehors des cas prévus par la loi, l’acte par lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un nantissement de créance » (Com. 19 déc. 2006, n° 05-16.395, D. 2007. 344 image, note C. Larroumet image ; ibid. 76, obs. X. Delpech image ; ibid. 319, point de vue R. Dammann et G. Podeur image ; ibid. 961, chron. L. Aynès image ; AJDI 2007. 757 image, obs. F. Cohet-Cordey image ; RTD civ. 2007. 160, obs. P. Crocq image ; RTD com. 2007. 217, obs. D. Legeais image ; ibid. 591, obs. B. Bouloc image. Rappr. Com. 26 mai 2010, n° 09-13.388, D. 2010. 2201, obs. A. Lienhard image, note N. Borga image ; ibid. 2011. 406, obs. P. Crocq image ; RTD civ. 2010. 597, obs. P. Crocq image ; RTD com. 2010. 595, obs. D. Legeais image ; ibid. 601, obs. B. Bouloc image. Comp. Com. 17 juin 2020, n° 19-13.153, qui semble admettre la possibilité d’une telle cession, D. 2020. 1357 image ; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli image ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers image ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille image ; RTD civ. 2020. 671, obs. C. Gijsbers image ; RTD com. 2020. 951, obs. A. Martin-Serf image. V. à ce sujet, M. Mignot, Vers la validation de la cession de créance à titre de garantie ?, JCP 2020. 1037). Les seuls moyens de céder une créance à titre de garantie étaient donc la cession Dailly (C. mon. fin., art. L. 313-23 s.) ainsi que la cession fiduciaire de créance nommée (C. civ., art. 2018-2). Il est certes possible, également, de concevoir une cession de l’émolument de la créance, c’est-à-dire de son produit, à titre de garantie, la sûreté s’analysant alors en une cession fiduciaire portant sur un bien futur puisque n’appartenant pas encore au cédant (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Une figure méconnue : la cession de l’émolument de la créance, RTD civ. 2019. 229 image). Mais il ne s’agit plus alors d’une cession de créance.

Pourtant, l’on aurait pu penser qu’en définissant la cession de créance comme « un contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé à un tiers appelé le cessionnaire » (C. civ., art. 1321, al. 1er), l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations avait entendu englober l’hypothèse de la cession de créance à titre de garantie. Ce serait oublier que l’objet de la réforme n’était pas le droit des sûretés même si la considération est quelque peu artificielle (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Pour la cession de créance de droit commun à titre de garantie, in La réforme du droit des sûretés, dir. L. Andreu et M. Mignot, LGDJ, Institut universitaire Varenne, 2019, p. 243, spéc. nos 3 et 4). Quoi qu’il en soit, en exprimant clairement la possibilité d’une telle cession, les auteurs de la réforme ont fait le choix de couper court à toute difficulté.

Droit issu de la réforme

La consécration de la cession de créance de droit commun à titre de garantie avait été proposée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés sous l’égide de l’Association Henri Capitant (C. civ., art. 2373 à 2375). Les auteurs de cet avant-projet avait toutefois pris le soin d’indiquer à ce sujet que « l’insertion d’une cession de créance à titre de garantie, qui constituerait une fiducie particulière, soustraite au droit commun de la fiducie-sûreté, a donné lieu à des débats qui ont divisé la commission. C’est sous réserve que sont présentés les textes qui suivent ». La raison profonde de cette proposition est ensuite précisée clairement : « Dans un souci d’attractivité internationale de la loi française, le premier article de cette sous-section consacre la possibilité, actuellement déniée par la jurisprudence de la Cour de cassation, de réaliser un transfert de créance à titre de garantie sur le fondement du régime de droit commun de la cession de créance (C. civ., art. 1321 s.). Les deux autres articles en précisent les règles pour tenir compte des spécificités de l’opération de garantie (respect du principe de spécialité ; obligation de restitution du cessionnaire après complet paiement) » (sur l’attractivité du droit français, v. P. Delebecque, « L’attractivité » du droit français : un mot d’ordre dépourvu de sens ?, in Mélanges en l’honneur du Professeur Laurent Aynès, LGDJ, 2019, p. 185 ; v. égal., C. Larroumet, Le mythe de l’attractivité du droit civil français, in Mélanges en l’honneur du Professeur Laurent Aynès, LGDJ, 2019, p. 365). Le législateur a manifestement été sensible à cette considération, puisque l’article 60, I, 9°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « PACTE », a autorisé le gouvernement à « inscrire dans le code civil la possibilité de céder une créance à titre de garantie ». Le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance du 15 septembre 2021 précise d’ailleurs qu’« Il s’agit de permettre, aux côtés de la fiducie-sûreté et dans un souci d’attractivité internationale de la loi française, la cession de créance à titre de garantie ».

C’est ainsi que naquirent les nouveaux articles 2373 à 2373-3 du code civil. Le premier de ces texte dispose que « La propriété d’une créance peut être cédée à titre de garantie d’une obligation par l’effet d’un contrat conclu en application des articles 1321 à 1326 » (il s’agit d’une reprise pure et simple de l’avant-projet de l’Association Henri Capitant). La cession de créance à titre de garantie se coule ainsi dans le moule du droit commun de la cession de créance (v. à ce sujet, F. Chénedé, La cession de créance, in Le nouveau régime général des obligation, dir. V. Forti et L. Andreu, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2016, p. 87 ; C. Gijsbers, Le nouveau visage de la cession de créance, Dr. et patr., juill. 2016, p. 48 ; A. Gouëzel, Les opérations translatives, AJCA 2016. 135 image ; v. égal., au sujet du projet de réforme, M. Julienne, Cession de créance : transfert d’un bien ou changement de créancier ?, Dr. et patr., juill. 2015, p. 69). À cet égard, il faut d’ailleurs préciser que le gouvernement supprime fort opportunément l’alinéa 3 de l’article 1323 du code civil, qui prévoit que « le transfert d’une créance future n’a lieu qu’au jour de sa naissance, tant entre les parties que vis-à-vis des tiers ». Ce texte représentait en effet un sérieux handicap pour la cession de créance (v. F. Danos, Proposition de modification de l’article 1323 du code civil : l’opposabilité aux tiers de la cession d’une créance future, RDC 2017, n° 114, p. 200), souffrant à cet égard de la comparaison avec la cession Dailly et le nantissement de créance (v. à ce sujet, M. Julienne, Nantissement ou cession(s) fiduciaire(s) : que choisir ?, RDC 2018/2, p. 318, n° 15 ; v. égal., J.-D. Pellier, Pour la cession de créance de droit commun à titre de garantie, art. préc., nos 8, 9 et 10).

Ensuite, l’article 2373-1, conformément au principe de spécialité des sûretés réelles (non seulement quant à l’assiette de la sûreté, mais également quant à la créance garantie), prévoit que « Les créances garanties et les créances cédées sont désignées dans l’acte. Si elles sont futures, l’acte doit permettre leur individualisation ou contenir des éléments permettant celle-ci tels que l’indication du débiteur, le lieu de paiement, le montant des créances ou leur évaluation et, s’il y a lieu, leur échéance ». Sont ainsi repris les mêmes éléments d’identification des créances qu’en matière de nantissement (C. civ., art. 2356) et de cession Dailly (C. mon. fin., art. L. 313-27). On observera toutefois que, contrairement à ce que préconisait l’avant-projet de l’Association Henri Capitant, il n’est plus fait référence à la nature des créances, ce qui est regrettable, car la cession peut porter, en théorie, sur une créance non monétaire (v. à ce sujet, V. Egéa, La circulation d’une créance non monétaire l’exemple de la délivrance, D. 2012. 2111 image). Il est vrai, cependant, que le rapport au président de la République indique que cette liste n’est « qu’indicative ». Toutefois, l’on comprend, à la lecture de l’article suivant, que le régime de la cession de créance à titre de garantie a été pensé en contemplation des créances de sommes d’argent. En effet, le nouvel article 2373-2 du code civil prévoit que « Les sommes payées au cessionnaire au titre de la créance cédée s’imputent sur la créance garantie lorsqu’elle est échue. Dans le cas contraire, le cessionnaire les conserve dans les conditions prévues aux articles 2374-3 à 2374-6 ». La cession de créance à titre de garantie a donc vocation à se transformer en sûreté portant sur une somme d’argent (pour un mécanisme analogue en matière de nantissement de créance, v. M. Julienne, Le nantissement de créance, préf. L. Aynès, Économica, 2012, spéc. nos 195 s.). C’est la raison pour laquelle on lui applique les règles prévues pour la cession de somme d’argent à titre de garantie, également issues de la nouvelle ordonnance (v. C.-A. Michel, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 11) : la cession de somme d’argent à titre de garantie, Dalloz actualité, 24 sept. 2021 ; J.-D. Pellier, La propriété retenue ou cédée à titre de garantie, JCP à paraître, spéc. nos 7 et 8). Le rapport au président de la République indique à cet égard que « Dans une telle hypothèse en effet, le droit de propriété dont était titulaire le cessionnaire sur la créance se reporte sur la somme d’argent versée en paiement de celle-ci ; sa sûreté-propriété sur la créance se transforme en sûreté-propriété sur la somme d’argent, ce qui conduit à lui appliquer le régime prévu pour cette sûreté ». En revanche, il a sans doute été jugé superfétatoire de préciser que le créancier disposait d’un droit exclusif sur la créance cédée, contrairement à ce qui était prévu par l’avant-projet de l’Association Henri Capitant (C. civ., art. 2375 : « Le cessionnaire a sur la créance cédée un droit exclusif. Il exerce l’intégralité des droits qui lui sont attachés »).

Enfin, l’article 2373-3 énonce que « Lorsque la créance garantie est intégralement payée avant que la créance cédée ne le soit, le cédant recouvre de plein droit la propriété de celle-ci ». C’est donc automatiquement que le cédant redevient titulaire de sa créance, conformément à ce que la jurisprudence avait décidé en matière de cession Dailly (Civ. 1re, 19 sept. 2007, n° 04-18.372, D. 2007. 2532, obs. X. Delpech image ; RTD civ. 2008. 322, obs. T. Revet image ; RTD com. 2008. 162, obs. D. Legeais image, considérant, s’agissant d’une cession de créance à titre de garantie, « que c’est seulement dans ce dernier cas que le cédant d’origine peut retrouver la propriété de la créance cédée sans formalité particulière dans la mesure où la garantie prend fin lorsque son bénéficiaire n’a plus de créance à faire valoir ou lorsqu’il y renonce »). Il y a là une précision tout à fait heureuse (même si la jurisprudence serait certainement parvenue à ce résultat sans le secours d’un texte) et, aux dires du rapport au président de la République, « conforme à la logique des sûretés-propriétés : le transfert de propriété n’y est que temporaire ».

Perspectives

La consécration (bienvenue) de la cession de créance de droit commun à titre de garantie pose la question légitime de la concurrence de cette sûreté avec le nantissement de créance (sur la question de la concurrence entre les sûretés, v. de manière générale, C.-A. Michel, La concurrence entre les sûretés, préf. P. Dupichot, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », t. 580, 2018). Ce dernier investit en effet également le créancier d’un droit exclusif au paiement reposant (curieusement) sur un droit de rétention (v. J.-D. Pellier, Le nantissement de créance, Dalloz actualité, 22 sept. 2021), conformément au nouvel alinéa 1er de l’article 2363 du code civil (« Après notification, le créancier nanti bénéficie d’un droit de rétention sur la créance donnée en nantissement et a seul le droit à son paiement tant en capital qu’en intérêts »), ce que la jurisprudence avait au demeurant admis (sans toutefois se fonder sur un droit de rétention) avant même l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions (v. Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-11.417 et 19-13.636, D. 2020. 1940 image, note J.-D. Pellier image ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers image ; Rev. prat. rec. 2020. 6, obs. D. Cholet et A. Provansal image ; ibid. 7, obs. D. Cholet et O. Salati image ; ibid. 2021. 25, chron. O. Salati image ; RTD civ. 2020. 666, obs. C. Gijsbers image ; ibid. 946, obs. N. Cayrol image ; v. égal., Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 19-10.420, D. 2020. 1836 image ; RTD civ. 2020. 946, obs. N. Cayrol image ; rappr. Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-19.340 ; v. à ce sujet, M. Julienne, Le nantissement enfin pris au sérieux, Banque et Droit n° 194, sept.-oct. 2020, p, 4 ; J.-D. Pellier, La consécration du droit exclusif au paiement du créancier nanti, D. 2020. 1940 image). Toutefois, le nantissement ne saurait conférer au créancier qui en bénéficie l’ensemble des prérogatives du titulaire de la créance. La cession de créance pourrait donc bien sortir vainqueur de cet affrontement (Rappr. P. Théry, Quelques observations sur le droit des sûretés, advenu et à venir, RDA déc. 2019, p. 122 : « Si, à formalités égales, le créancier a le choix entre cession et nantissement, l’expérience de la loi Dailly qui traitait de la cession et du nantissement des créances professionnelles laisse augurer un abandon du nantissement au profit de la cession dont les effets sont plus énergiques mais aussi plus prévisibles grâce aux solutions dégagées depuis 1981 par la chambre commerciale »). Mais après tout, pour reprendre le mot du regretté Professeur Crocq, « abondance de biens ne nuit pas ! » (P. Crocq, Les sûretés fondées sur le droit de propriété, in Quelle réforme pour le droit des sûretés ?, dir. Y. Blandin et V. Mazeaud, Dalloz, 2019, p. 75 s., n° 18). 

Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :

 

• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 5) : les privilèges mobiliers, par Cédric Hélaine le 21 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 6) : le gage, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, par Jean-Denis Pellier le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 8) : la réserve de propriété, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 9) : la fiducie utilisée à titre de garantie, par Cédric Hélaine le 23 septembre 2021

  

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