Plus de sept ans après le dernier important arrêt de la Cour de cassation en matière de corruption (Civ. 1re, 12 févr. 2014, n° 10-17.076, Schneider, D. 2014. 490 ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; JCP 2014. 782, note D. Mouralis ; ibid. 777, concl. P. Chevalier ; Procédures 2014, n° 4, comm. 107, p. 22, note L. Weiller ; Rev. arb. 2014. 389, note D. Vidal), celle-ci laisse passer une occasion d’affirmer sa doctrine, là où celle de la cour d’appel de Paris a considérablement évolué. Pour autant, l’arrêt Alstom (Civ. 1re, 29 sept. 2021, n° 19-19.769) est loin d’être dénué d’intérêt. Il faudra encore attendre un peu – quelques semaines peut-être – pour en savoir plus. Au-delà de cette décision, plusieurs arrêts méritent l’attention du lecteur. Les arrêts Nurol (Paris, 28 sept. 2021, n° 19/19834) et Aboukhalil (Paris, 12 oct. 2021, n° 19/21625) portent sur les questions de compétence fondée sur un traité bilatéral d’investissements. Elles sont de nature à rassurer les praticiens inquiets depuis plusieurs mois de la position française en la matière. À propos de l’obligation de révélation, c’est l’arrêt National Highway Authority (Paris, 14 sept. 2021, n° 19/16071) qui suscitera l’intérêt, en contribuant à fixer (lentement) le régime sur cette question. Bref, de beaux arrêts qui réjouiront les observateurs. Néanmoins, la présente livraison ne pouvait être trop belle et est gâchée par une nouvelle intervention de la Cour de justice (CJUE, 26 oct. 2021, aff. C-109/20, PL Holdings).
I. L’arrêt Alstom
La saga Alstom est connue des spécialistes de l’arbitrage, tant elle a été commentée et est au cœur d’une évolution jurisprudentielle cruciale.
La société française Alstom transport et la société anglaise Alstom Network (Alstom) ont conclu plusieurs contrats de consultant avec la société chinoise de Hong Kong Alexander Brothers. Alstom a remporté auprès du ministère chinois des Chemins de fer tous les appels d’offres en vue desquels les contrats de consultant avaient été signés, mais elle a refusé de payer le solde des commissions dû pour deux de ces contrats et de verser tout paiement pour un troisième, prétextant un risque pénal pour des versements qui servaient peut-être à corrompre des agents publics. La société Alexander Brothers a introduit une procédure d’arbitrage devant la Chambre de commerce internationale (CCI). Une sentence condamnant Alstom à payer, sur le fondement du droit suisse applicable, le solde des commissions dues au titre de deux contrats a été rendue à Genève.
Saisie d’une demande d’exequatur, la cour d’appel de Paris a répondu en deux arrêts successifs et a refusé l’exequatur (Paris, 28 mai 2019, n° 16/11182, Alstom (2nd arrêt), Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; ibid. 2435, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2019. 850, note E. Gaillard ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, Alstom (1er arrêt), D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard ; Cah. arb. 2018. 465, note A. Pinna). Elle a identifié une méthodologie du contrôle des allégations de corruption de l’ordre public international.
Pour mémoire, en voici les principaux traits. Premièrement, l’intensité du contrôle ne nécessite plus une violation flagrante de l’ordre public international, le contrôle étant réalisé en droit et en fait sur tous les éléments. Deuxièmement, la mauvaise foi ne fait pas obstacle à la discussion d’un argument relatif à la corruption, pas plus que le défaut de présentation du moyen devant le tribunal arbitral. Troisièmement, la reconnaissance ou l’exécution de la sentence ne doit pas avoir pour effet de permettre l’exécution d’un contrat de corruption. Quatrièmement, peu importe si les faits ont été pénalement qualifiés ou non par une juridiction pénale. Cinquièmement, c’est à travers un faisceau d’indices (des red flags à la française) et le caractère suffisamment grave, précis et concordant de ceux-ci que porte la discussion. L’arrêt du 10 avril 2018 donne une liste exhaustive des indices susceptibles de retenir l’attention.
Tous les ingrédients étaient réunis pour que la Cour de cassation rende une solution de principe – un grand arrêt – d’autant qu’elle était saisie d’un pourvoi de près de cinquante pages, articulé en trois moyens de trois, huit et une branches. C’est donc avec un certain étonnement, pour ne pas dire une légère déception, que la décision livrée est un pur arrêt d’espèce, rendue en formation restreinte présidée par le conseiller doyen (Civ. 1re, 29 sept. 2021, n° 19-19.769). La montagne a-t-elle accouché d’une souris ?
Pour le savoir, il convient de s’intéresser aux motifs de la cassation. Elle est prononcée au visa d’un principe : « vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ». C’est une cassation pour dénaturation qui est prononcée (M.-N. Jobard-Bachellier, X. Bachellier et J. Buk Lament, La technique de cassation, 9e éd., Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 2018, p. 230). La dénaturation peut porter sur un contrat, sur les preuves, ou encore sur les conclusions. En l’espèce, elle concerne la transcription de l’audience arbitrale (le transcript). Pour l’essentiel, il était considéré par la cour d’appel que la gérante du consultant avait refusé de répondre aux questions posées lors des débats. À l’inverse, le transcript fait état de diverses réponses.
Que peut-on tirer d’une telle décision ? Rien, en apparence. Les spécialistes de la procédure de cassation soulignent que « les arrêts sanctionnant une telle dénaturation, purement “disciplinaire”, ne présentent strictement aucun intérêt sur plan du fond du droit » (M.-N. Jobard-Bachellier et al., op. cit., p. 125).
Pour autant, on peut constater que les transcripts sont élevés au rang des éléments susceptibles de faire l’objet d’un contrôle de la dénaturation. Le constat est loin d’être dénué d’intérêt. Comme éléments de preuves, il est loin d’être anormal qu’ils fassent l’objet d’un tel contrôle. Reste qu’ils sont établis au moment du procès arbitral. D’un point de vue chronologique, ils ne datent donc pas de l’époque des faits de corruption, mais de l’instance arbitrale à l’occasion de laquelle ces faits sont discutés. De plus, il n’existe aucun formalisme relatif aux transcripts. Rien n’impose d’y recourir et, lorsqu’il en est décidé autrement, aucune forme n’est prédéfinie. Il en résulte une diversité de pratique, aussi bien sur le support de l’enregistrement (audio ou écrit) que sur l’exhaustivité de la retranscription (en particulier à l’écrit ; l’audio soulève plutôt des difficultés quant au caractère audible de l’enregistrement). En conséquence, les praticiens doivent prendre conscience de l’importance de cet élément : d’une part, en étant vigilant au moment de sa constitution (en soulignant certains points à l’audience et en faisant une relecture attentive du transcript ensuite) ; d’autre part, en s’intéressant de façon sérieuse à la plus-value de cette retranscription dans le cadre du recours. Rien que pour cela, l’arrêt mérite d’être signalé.
Cela dit, l’arrêt soulève une question qui est, de notre point de vue, beaucoup plus sérieuse. Dans la présente affaire, on ne connaît pas la taille précise du transcript, mais il atteint au moins les 180 pages en version anglaise (et 130 en version française). Pour le dire simplement, c’est long. La Cour de cassation pose un véritable défi à la cour d’appel : comment réaliser son office face à des dossiers volumineux et complexes sans commettre une dénaturation ?
Le problème ne doit pas être sous-estimé. D’un côté se trouvent les parties au litige et le dossier qui les oppose. Chacune des parties est représentée par les meilleurs cabinets d’avocats, au sein desquels des dizaines de personnes peuvent travailler sur un même dossier. À l’occasion de l’arbitrage, des mémoires volumineux ont été produits, des wagons de pièces ont été échangés, des audiences-fleuves ont eu lieu. Tout ce qui a été dit et/ou produit à l’occasion de l’instance arbitrale et l’est à nouveau à l’occasion du recours peut faire l’objet d’une dénaturation. Très concrètement, il n’y a aucune raison, lorsque la cour d’appel est conduite à se prononcer sur des faits de corruption, que le débat soit moins riche devant elle qu’il ne l’a été devant le tribunal arbitral. Pourquoi les parties s’en priveraient-elles alors que, disons-le clairement, la cour rejuge cette question de fond ? Ainsi, les parties se présentent devant le juge français avec un dossier dont elles maîtrisent toutes les subtilités. De l’autre côté se trouve la cour d’appel de Paris. En dépit de ses moyens pharaoniques, elle ne dispose que de trois juges (dans sa formation internationale) et d’une poignée de juristes-assistants pour faire face à la masse des recours.
C’est un combat à armes inégales qui se profile sur les questions de corruption. D’un côté, la cour d’appel, aux moyens humains insuffisants pour faire face à de tels dossiers et sur laquelle pèse l’épée de Damoclès de la dénaturation. De l’autre, des parties disposant d’une batterie de conseils connaissant parfaitement le dossier (notamment lorsqu’elles l’ont suivi pendant l’arbitrage) et en mesure de passer le temps qu’il faut pour identifier la moindre dénaturation.
Au final, dans cet arrêt de la Cour de cassation, c’est bien la souris qui a accouché d’une montagne.
Disons-le d’emblée : il nous semble qu’en l’état actuel de ses moyens et au regard du nombre de dossiers dans lesquels figurent des problématiques de corruption (ou autres infractions, en particulier blanchiment), la cour d’appel de Paris n’est pas outillée pour répondre aux attentes de la Cour de cassation.
Reste à savoir s’il est possible de trouver une voie pour ne pas renoncer à son contrôle sans imploser face à l’afflux de dossiers. Une piste mérite d’être explorée. De plus en plus d’arbitres prennent très au sérieux les allégations de corruption et réalisent un examen minutieux des circonstances avant de rendre une décision longuement réfléchie. À notre avis, il ne serait pas interdit, au regard de la nature du recours contre les sentences, de partir du raisonnement de l’arbitre. Le premier travail du juge ne serait donc pas de s’intéresser directement aux allégations de corruption pour se faire sa propre opinion, mais d’examiner le travail de l’arbitre. Dès lors, de deux choses l’une : soit la décision de l’arbitre a été rendue à la suite d’un débat riche et d’une motivation solide ; soit le travail est insuffisant ou inexistant (notamment, car le moyen n’avait pas été invoqué). Dans la première hypothèse, le juge ne réaliserait pas de contrôle, considérant que celui de l’arbitre est suffisant. Dans la seconde, le juge reprendrait l’examen complet des allégations, selon les critères de la jurisprudence Alstom et sous le contrôle de la dénaturation par la Cour de cassation.
Une telle solution présente plusieurs avantages. D’abord, il faut rappeler que nous ne sommes pas ici dans le domaine de la certitude, mais dans celui des incertitudes et des indices. Rien n’est blanc ou noir et la décision de l’arbitre ou du juge sera toujours sujette au doute. Ensuite, il s’agit de faire confiance à celui qui a passé du temps pour éplucher un dossier. À cet égard, l’arbitre est supérieur au juge étatique, les moyens de l’un et de l’autre étant sans comparaison. Or la doctrine a pu regarder d’un œil inquiet certaines décisions étatiques sur ces questions, à l’occasion desquelles la motivation semblait un peu légère. Enfin, une telle solution rétablit l’équilibre entre les sentences sanctionnant la corruption et celles écartant la corruption. En effet, à l’heure actuelle, les premières ne sont jamais réexaminées, là où les secondes le sont systématiquement. Il y a un déséquilibre : dans un cas (les allégations sont retenues), il suffit de gagner une fois (devant l’arbitre ou le juge) pour que la décision soit définitive ; dans l’autre (les allégations sont rejetées), il convient de l’emporter deux fois (devant l’arbitre et devant le juge) pour que la décision soit définitive. En s’intéressant au travail de l’arbitre, on rapproche le traitement des sentences, quelle que soit la solution, tout en conservant une soupape de sécurité pour les cas problématiques.
Naturellement, on pourra dire qu’un tel recul de l’office du juge emporte le risque d’une intégration dans l’ordre juridique français de sentences qui pourraient ignorer des faits de corruption. On répondra néanmoins qu’une décision rendue trop hâtivement et emportant annulation ou refus d’exequatur d’une sentence au motif que des soupçons de corruption existent est un déni de justice, qui est lui aussi une atteinte à l’ordre public international. Sur ces questions très sensibles, le moins que l’on doive aux parties est un procès sérieux et complet, pas une décision au doigt mouillé. En l’occurrence, ce sont les arbitres, plus que la cour d’appel de Paris, qui sont en mesure de le connaître.
Il n’est d’ailleurs pas indifférent de constater que, dans l’arrêt Aboukhalil, la cour d’appel de Paris adopte une démarche relativement proche de celle qui vient d’être proposée (Paris, 12 oct. 2021, n° 19/21625). Pour examiner un grief portant sur la contrariété à l’ordre public international d’une sentence arbitrale en raison d’une opération de complicité d’enrichissement illicite et de blanchiment, la cour revient longuement sur le raisonnement retenu par le tribunal arbitral (§ 107 s.). La cour ne se limite pas à son propre examen des griefs ; elle reprend à son compte la motivation du tribunal arbitral sans la démentir. Pour écarter le moyen tiré de la violation de l’ordre public international, elle retient l’existence d’éléments « précis et concordants » de l’absence d’infraction pénale (§ 119) et, à l’inverse, refuse d’examiner un à un tous les éléments présentés par le requérant (§ 120). D’un point de vue méthodologique, il en résulte que la cour trace une voie intermédiaire entre un examen de novo des allégations de blanchiment et une absence totale de contrôle. Elle préfère se fonder sur le raisonnement du tribunal arbitral tout en ajoutant des éléments qu’elle juge pertinents. L’arrêt Global Voice s’inscrit également dans cette logique (Paris, 7 sept. 2021, n° 19/17531, § 87 s.). La cour achève son raisonnement par une formule très révélatrice et qui, de notre point de vue, doit être suivie : « Il ressort ainsi tant du contrôle auquel le tribunal arbitral s’est livré, comme il lui incombait à juste titre de le faire, que de l’analyse de chacun des indices pris séparément et dans leur ensemble, que les agissements allégués ne caractérisent pas des indices graves, précis et concordants susceptibles de conduire à une annulation de la sentence pour méconnaissance de l’ordre public international ». C’est une voie qui paraît viable au regard des exigences désormais posées par la Cour de cassation dans l’arrêt Alstom.
On dira un mot supplémentaire sur l’arrêt Global Voice (Paris, 7 sept. 2021, n° 19/17531), au cours duquel des allégations de corruption étaient soumises au juge. La cour opère une distinction intéressante, et potentiellement fructueuse pour les praticiens. Elle estime que les preuves rapportées concernent un avenant au contrat et constate que le tribunal arbitral n’a prononcé aucune condamnation sur le fondement de celui-ci. La solution est importante, car elle invite à ne pas retenir une approche globale de la corruption, mais une approche fine. Tel un chirurgien, il est possible d’extraire les cellules cancéreuses afin de préserver les cellules saines. Ce faisant, un tribunal arbitral peut donner effet à des obligations qui ne sont pas touchées par la corruption ! Par ailleurs, la cour rejette les allégations résiduelles de corruption (celles touchant les obligations dont l’exécution est ordonnée par la sentence). Si elle considère que les indices apportés sont insuffisants, elle retient, une nouvelle fois, un indice négatif dans l’absence de poursuites pénales des faits par les autorités publiques (v. égal. Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques).
II. La clause compromissoire
L’articulation entre les articles 2061 du code civil et L. 721-3 du code de commerce est loin d’être évidente. Il n’est pas rare de partir du principe que le second constitue une disposition anecdotique dont on pourrait se dispenser. Deux raisons expliquent ce désintérêt. Premièrement, l’article 2061 du code civil pose un principe général de validité de la clause compromissoire. Il paraît donc inutile de le réaffirmer en matière commerciale, là où il devrait poser le moins de difficultés. Deuxièmement, l’article L. 721-3 du code de commerce n’a pas vocation à s’appliquer en matière internationale, bien que cela n’ait jamais été, à notre connaissance, jugé. C’est la logique de l’arrêt Dalico.
Pour autant, on aurait tort de penser qu’il faut se désintéresser de l’article L. 721-3 du code de commerce. Rappelons que la Cour de cassation a jugé que cet article « prévoit des dispositions particulières qui figurent au nombre de celles visées par l’article 2061 du code civil » (Civ. 1re, 22 oct. 2014, n° 13-11.568, D. 2015. 56 , note B. Dondero ; ibid. 2014. 2541, obs. T. Clay ; AJCA 2015. 74, obs. M. Boucaron-Nardetto ; RTD com. 2016. 66, obs. E. Loquin ; JCP 2014. 2011, obs. B. Le Bars ; Gaz. Pal. 2014, n° 335, p. 18, obs. B. Dondero ; BMIS 2014, n° 12, p. 685, J.-J. Barbieri ; RLDC 2015, n° 122, p. 17, C. Le Gallou ; Procédures 2015, n° 2, p. 29, L. Weiller ; JCP E 2015, n° 16, p. 28, note M. Caffin-Moi). Autrement dit, les dispositions du code de commerce sont des règles spéciales dérogeant à celles du code civil. C’est en suivant cette logique que l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 réformant le droit des sûretés a opéré une modification de l’article L. 721-3 du code de commerce (J.-D. Pellier, Réforme du droit des sûretés [Saison 2, épisode 1] : le cautionnement [dispositions générales], Dalloz actualité, 20 sept. 2021). Partant du principe que l’article 2061 du code civil est sans effet, il a été ajouté au dernier alinéa de l’article L. 721-3 du code de commerce une nouvelle exception : « lorsque le cautionnement d’une dette commerciale n’a pas été souscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de la caution, la clause compromissoire ne peut être opposée à celle-ci ». Elle entrera en vigueur le 1er janvier 2022 et ne sera applicable, conformément à l’article 37, II, de l’ordonnance, qu’aux cautionnements conclus à partir de cette date. Cette disposition bénéficiera aux cautionnements internes. En revanche, elle ne devrait pas être étendue aux cautionnements internationaux (sauf à y voir une règle impérative du droit français).
Cette question est complexifiée par l’irruption du principe de compétence-compétence, comme dans une affaire récente (Paris, 14 sept. 2021, n° 21/03556). La clause figure dans une convention de participation ayant pour objet l’acquisition de parts sociales de plusieurs sociétés, dont une commerciale faisant l’objet d’une prise de contrôle. Une partie prétend ne pas avoir contracté à titre professionnel. Elle se prévaut de l’ancien article 2061 du code civil pour faire valoir la nullité de la clause. L’autre considère que, s’agissant d’un acte de commerce, l’article L. 721-3 du code de commerce prime. La cour juge, dans la droite ligne de l’arrêt du 22 octobre 2014, que le second est un texte spécial, alors que le premier est un texte général. En conséquence, la commercialité de l’acte est susceptible de faire échec à l’absence d’activité professionnelle d’un des contractants.
Une fois que cela est dit, il faut bien admettre que l’on est embêté pour déterminer si la cour peut examiner la qualification d’acte de commerce. Répondre positivement revient à accepter une entorse au principe de compétence-compétence. Répondre négativement emporte un risque de voir des parties se prévaloir de façon opportuniste de la commercialité de la convention dans l’espoir de renvoyer à un tribunal arbitral. À peu de choses près, la question se pose de façon identique à propos du critère de l’exercice d’une activité professionnelle : le juge peut-il réaliser cette qualification ? Dans ce deuxième cas de figure, la Cour de cassation a déjà jugé, à propos de retraités, que ceux-ci n’exerçaient « plus aucune activité professionnelle, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que les contrats n’ont pas été conclus en raison d’une activité professionnelle au sens de l’article 2061 du code civil, de sorte que la clause compromissoire était nulle et de nul effet » (Civ. 1re, 29 févr. 2012, n° 11-12.782, Dalloz actualité, 6 mars 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 1312, obs. X. Delpech , note A.-C. Rouaud ; ibid. 2991, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2012. 359, note M. de Fontmichel ; JCP 2012. Act. 310, obs. J. Béguin ; JCP E 2012. 1314, note J. Monéger ; ibid. 2012. 1498, obs. J. Ortscheidt ; Procédures 2012, n° 4, p. 21, obs. L. Weiller ; LPA 2012, n° 102, p. 11, note V. Legrand ; ibid. n° 135, p. 7, note A.-S. Courdier-Cuisinier ; ibid. n° 187, p. 14, note E. Faivre). Elle n’a pas hésité à se départir du principe de compétence-compétence pour déclarer la clause nulle.
C’est cette logique que suit la cour d’appel : elle tranche la question de la commercialité de la convention pour décider de renvoyer à l’arbitrage. Ainsi, à ce stade, la jurisprudence s’émancipe du principe de compétence-compétence pour vérifier le caractère professionnel de l’activité ou le caractère commercial de l’acte. Il n’est pas sûr qu’il faille s’en émouvoir.
La question que l’on pourrait néanmoins se poser est de savoir s’il serait possible de traiter ces deux questions différemment : accepter la vérification de l’activité professionnelle, mais refuser de contrôler la commercialité. À notre avis, non. En effet, réaliser une telle distinction inciterait les parties à invoquer la commercialité pour échapper au contrôle du juge sur l’activité professionnelle (le juge serait obligé de renvoyer à l’arbitre en cas de doute sur la commercialité, alors que l’absence d’activité professionnelle est établie). Ce ne serait pas satisfaisant. La vérification par le juge que l’on est bien en présence d’un acte de commerce est une condition à la bonne mise en œuvre de l’article 2061. Mais alors, un nouveau doute surgit. La solution de la Cour de cassation du 22 octobre 2014 a été rendue à une époque où 2061 et L. 721-3 du code de commerce portaient, l’un et l’autre, sur la validité de la clause compromissoire. Désormais, l’article 2061, alinéa 2, ne concerne plus la validité de la clause, mais son opposabilité. Question distincte, donc. Dès lors, l’article L. 721-3 du code de commerce doit-il être considéré comme dérogatoire à l’alinéa 2 de l’article 2061 du code civil ? Rien n’est moins sûr, d’autant que le nouvel article 2061 ne contient pas la réserve des « dispositions législatives particulières ». À ce titre, l’ordonnance du 15 septembre pourra être utilisée comme argument pour convaincre du fait que le rapport du général au spécial persiste. Mais était-ce une bonne idée ? Ne faudrait-il pas, une bonne fois pour toutes, abroger l’article L. 721-3 du code de commerce ?
III. Le principe compétence-compétence
Les décisions rendues en matière de principe compétence-compétence sont toujours aussi nombreuses. Les lecteurs assidus de cette chronique savent que le principe fait l’objet d’une appréciation variable selon les juridictions saisies. Difficile de savoir si celle-ci s’explique par une méconnaissance du droit de l’arbitrage ou un refus conscient d’en faire application.
Le principe est fixé à l’article 1448 du code de procédure civile qui, en présence d’une clause compromissoire, interdit au juge judiciaire de connaître de sa compétence ou de celle de l’arbitre, sauf nullité ou inapplicabilité manifeste. La clé réside dans le mot « manifeste », qui fait l’objet d’un assaisonnement local. Deux arrêts de la cour d’appel de Paris montrent comment être bon élève. Dans le premier, la cour constate que le demandeur revendique sa qualité d’assuré même s’il n’est pas signataire du contrat d’assurance. Cela suffit à renvoyer les parties à l’arbitrage pour permettre à l’arbitre de se prononcer sur sa compétence (Paris, 21 sept. 2021, n° 21/01271). Simple. Dans le deuxième, l’action concernait une rupture brutale des relations commerciales établies. La cour constate que la clause vise un litige « découlant ou en relation avec la commande » et estime qu’un simple examen prima facie ne permet pas de dire si elle est manifestement inapplicable. En conséquence, elle renvoie aux arbitres (Paris, 29 sept. 2021, n° 20/18243). Basique.
Un troisième arrêt apporte des réponses à des questions un peu plus complexes (Paris, 20 oct. 2021, n° 21/06054). D’une part, il rappelle qu’en présence d’un ensemble contractuel indivisible où figurent des clauses différentes (voire des absences de clause), il convient tout de même de renvoyer à l’arbitrage. D’autre part, il rejette l’argument de l’impécuniosité des parties et la prétendue violation de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme au motif qu’« il revient aux acteurs de l’arbitrage d’écarter tout risque de déni de justice en permettant l’accès du justiciable au tribunal arbitral, quels que soient ses moyens financiers ». L’impécuniosité n’est donc toujours pas une situation permettant d’éviter un renvoi devant les arbitres (sur le contrôle au stade du recours contre la sentence, v. infra).
À l’inverse, d’autres juridictions adoptent des interprétations plus libres du principe de compétence-compétence. C’est le cas de celle qui, en présence de deux pactes d’associés, considère que la clause contenue dans l’un est manifestement inapplicable aux litiges impliquant le second (Aix-en-Provence, 23 sept. 2021, n° 21/01407). Pour motiver sa décision, la cour passe par une longue démonstration qui devrait, à elle seule, suffire à établir que l’inapplicabilité de la clause est tout sauf manifeste. Quand bien même la cour a peut-être raison sur le fond, d’autant que le deuxième pacte contient une clause attributive de juridiction, la priorité revient au tribunal arbitral, auquel il est nécessaire de renvoyer.
C’est encore le cas dans une décision de la cour d’appel de Lyon (Lyon, 14 oct. 2021, n° 21/01459). La clause compromissoire figure dans un contrat entre un entrepreneur principal et un sous-traitant. D’abord, la cour estime qu’« en présence de clauses contradictoires, il appartient au juge de rechercher l’intention commune des parties par application de l’article 1188 du code civil », alors que cette vérification revient en priorité aux arbitres. Ensuite, pour écarter la clause figurant dans le contrat de sous-traitance, elle se fonde sur la loi n° 75-1334 du 13 décembre 1975, relative à la sous-traitance. Elle explique que, parce qu’il existe une action directe contre le maître d’ouvrage – un tiers au contrat et au litige – la clause compromissoire figurant dans le contrat de sous-traitance doit être écartée (le lecteur pourra relire deux fois la phrase, qui ne contient aucune erreur). Elle ajoute que la sentence arbitrale qui serait rendue sur le litige entre l’entrepreneur principal et le sous-traitant serait inopposable au maître de l’ouvrage, ce qui est tout simplement faux. Un tel arrêt illustre une fois de plus la méconnaissance du droit de l’arbitrage au-delà de certaines juridictions spécialisées.
IV. Les recours contre les sentences arbitrales
A. Aspects procéduraux du recours
1. L’internationalité de l’arbitrage
Depuis quelque temps, nous avons fait part à nos lecteurs du recul progressif de l’internationalité au profit d’une « internité » de l’arbitrage (v. notre comm. sur l’arrêt Aurier, Paris, 8 juin 2021, n° 19/02245, Dalloz actualité, 17 sept. 2021). La tendance se confirme avec l’arrêt Léa Nature (Paris, 28 sept. 2021, n° 19/05842), rendu par la formation interne de la 5-16. Le caractère interne d’un contrat de cession d’action était contesté. Pour l’établir, la cour retient que « le contrat du 10 janvier 2014 porte sur la cession d’actions de la société de droit français, Alpha Nutrition, ayant son siège dans la commune de La Seauve-sur-Semene, à une autre société de droit français, le groupe Léa Nature, ayant son siège à Perigny. L’opération économique s’est donc dénouée uniquement en France ». Jusque-là, le raisonnement est rigoureux. Il y a toutefois un bémol. Les défendeurs au recours, qui sont les cédants dans le contrat de cession, ont fait valoir qu’ils résident en Espagne et que les chèques y ont été encaissés. La cour tient cet élément pour indifférent. Elle précise que peu importe « que les cédants soient de nationalité espagnole et domiciliés en Espagne et peu important que les chèques, émis en France et tirés sur une banque française, aient été encaissés en Espagne ». Il faut bien admettre que c’est pousser très loin de reflux de l’internationalité du litige que de considérer que dans un contrat, la situation de l’un des cocontractants est indifférente à la détermination du caractère interne ou international de l’arbitrage. Dans une conception classique de l’internationalité, le fait pour l’une des parties au contrat de recevoir son paiement dans un État étranger ne devrait laisser aucun doute sur la solution. Comment, à défaut, caractériser le fameux mouvement de flux et de reflux au-dessus des frontières ? Il est sans doute temps de remettre cette question à plat !
2. Les conséquences de l’annulation d’une sentence interne
Lorsqu’une sentence arbitrale rendue dans un arbitrage interne est annulée, l’article 1493 du code de procédure civile prévoit que la cour « statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire des parties ». Le plus souvent, à défaut de précision dans les conclusions, elle renvoie les parties à une audience ultérieure afin de préciser leur volonté. Dans l’affaire Oc’Via 2 (Paris, 26 oct. 2021, n° 19/07103, [formation interne], le lecteur est informé que le rédacteur de cette chronique a été impliqué dans le recours), après avoir annulé la sentence, la cour précise que « les parties sont donc invitées à indiquer à la cour si elles entendent, notamment, rechercher une solution transactionnelle au litige, demander la désignation d’un médiateur ou saisir un tribunal arbitral. À défaut, la cour statuera sur le fond ». La formule est nouvelle et illustre une préférence manifeste de la cour à ce que le litige soit résolu autrement que par ses soins. Elle n’est guère étonnante et s’inscrit dans une tendance lourde de la justice étatique à inciter les parties à résoudre les différends hors les murs du tribunal.
3. La mention des irrecevabilités dans le dispositif des conclusions
Nous avions déjà eu l’occasion d’alerter les praticiens sur un danger à l’occasion de l’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, nos 19/07575 et 19/15816 à 19/15819, Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg ; ibid., 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ; JCP 2020. 870, note M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2020. 501, note L. Jaeger ; Procédures 2020, n° 6, p. 23, obs. L. Weiller) : il appartient aux parties de dissocier dans le dispositif de leurs conclusions les moyens tirés de l’irrecevabilité du grief de ceux tirés de son mal-fondé (Paris, 19 oct. 2021, n° 19/23071). Cette obligation résulte de l’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile. À défaut, les moyens sont irrecevables. En arbitrage, cela impose de faire apparaître de façon distincte au sein du dispositif ce qui relève d’une renonciation à se prévaloir du grief et ce qui relève du fond.
B. Aspects substantiels du recours
1. La compétence
a. La compétence fondée sur un traité bilatéral d’investissements (TBI)
Cela fait plusieurs années que Paris est désigné comme siège pour des arbitrages en matière d’investissements. Ce choix est une récompense pour le droit français et sa jurisprudence, régulièrement loués pour leurs qualités. Pourtant, les nuages n’ont cessé de s’accumuler au-dessus de la place parisienne. La faute, d’une part, à des choix malvenus, notamment celui de renvoyer une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Komstroy (CJUE 2 sept. 2021, aff. C-741/19, Dalloz actualité, 17 sept. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. 1849, note M. Barba et C. Nourissat). La faute, d’autre part, à des analyses parfois abruptes et, par conséquent, discutables, conduisant à des annulations de sentences. Il n’en fallait pas plus pour que l’on s’inquiète pour un droit français qui, subitement, toussotait.
Il est trop tôt pour dire si cet épisode est un mauvais souvenir. Reste que, par deux décisions, la cour d’appel rassure et met du baume aux cœurs des défendeurs de Paris comme siège de l’arbitrage. Les arrêts Nurol (Paris, 28 sept. 2021, n° 19/19834) et Aboukhalil (Paris, 12 oct. 2021, n° 19/21625) sont donc importants à ce titre. Ils le sont, d’abord, parce qu’ils ne remettent pas en cause la compétence du tribunal arbitral, ce qui est naturellement un motif de satisfaction. Ils le sont surtout car, d’un point de vue méthodologique, le raisonnement de la cour semble arriver à maturation. C’est évidemment de cela que l’on se réjouira. En effet, il ne s’agit pas de plaider pour une faveur aveugle à l’arbitrage. Il s’agit en revanche de prôner un contrôle à la hauteur de l’enjeu. C’est ce vers quoi l’on semble désormais tendre.
D’un point de vue méthodologique, la grande idée de la cour est que le contrôle de la compétence fondée sur un TBI doit être identique au contrôle de la compétence fondée sur une clause compromissoire stipulée dans un contrat. Il s’agit là de la concrétisation d’une idée que l’on voit déjà depuis longtemps dans les arrêts, selon laquelle « il n’en va pas différemment lorsque les arbitres sont saisis sur le fondement d’un traité » (§ 22 de l’arrêt Nurol). Il en résulte que, comme en matière commerciale, l’examen de la compétence est « plein », c’est-à-dire que le juge recherche en droit et en faits tous les éléments permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage (§ 21 de l’arrêt Aboukhalil et § 22 de l’arrêt Nurol). Sont ainsi étendues à l’arbitrage d’investissements les jurisprudences Plateau des pyramides (Paris, 12 juill. 1984, Égypte c. SPP, Rev. arb. 1986. 75 ; JDI 1985. 129, note B. Goldman ; Civ. 1re, 6 janv. 1987, SPP c. Égypte, Rev. arb. 1987. 469, note P. Leboulanger ; JDI 1987. 638, note B. Goldman) et Abela (Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 08-20.563, Abela, Dalloz actualité, 18 oct. 2010, obs. X. Delpech ; D. 2010. 2441, obs. X. Delpech ; ibid. 2933, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2011. 85, note F. Jault-Seseke ; Rev. arb. 2010. 813, note F.-X. Train ; JCP 2010. 1028, note P. Chevalier ; ibid. 1286, obs. J. Ortscheidt ; Gaz. Pal. 8 févr. 2011. 14, obs. D. Bensaude). Dans la même logique, la cour accepte d’examiner les moyens nouveaux pour contester la compétence du tribunal arbitral (§ 39 de l’arrêt Aboukhalil), sur le fondement de la jurisprudence Schooner (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 ; ibid. 2021. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2021. 419, note P. Duprey et M. Le Duc). Malgré tout le mal que l’on continue de penser de cette jurisprudence, la solution est cohérente.
Toutefois, l’essentiel d’un point de vue méthodologique n’est pas là. Il se situe dans la transposition des jurisprudences Gosset-Hecht-Dalico à l’arbitrage d’investissements. Si cette évolution était déjà perceptible, le virage est désormais acté.
La première idée est celle de l’autonomie matérielle de la clause compromissoire. Dans la lignée de la jurisprudence Gosset, la cour juge que, « lorsque la clause d’arbitrage résulte d’un traité bilatéral d’investissements, l’offre permanente d’arbitre est autonome et indépendante de la validité de l’opération qui a donné naissance à l’investissement ou qui la soutient » (§ 55 de l’arrêt Aboukhalil et § 57 de l’arrêt Nurol). La transposition n’est évidemment pas parfaite, mais il s’agit bien de ne pas contaminer la compétence arbitrale par un vice qui affecterait non pas le contrat mais l’investissement.
La deuxième idée est celle de l’autonomie juridique de la clause compromissoire. Dans l’arrêt Nurol, la cour juge « qu’un investissement doit être réalisé en respectant les lois et règlements de l’État hôte, et non que l’investissement doit être défini par les lois et règlements de l’État hôte. La volonté des parties est bien de soumettre l’investissement à une exigence de légalité et non de conformité » (§ 76 de l’arrêt Nurol). La cour soustrait largement la définition de l’investissement aux lois étatiques, ce qui s’inscrit dans la logique des jurisprudences Hecht et Galakis.
La troisième idée, la plus fondamentale, est celle qui convient de rechercher la commune volonté des parties, laquelle est appréciée au regard de l’ensemble des dispositions du traité (§ 25 de l’arrêt Aboukhalil et § 53 de l’arrêt Nurol). C’est, cette fois, la logique de l’arrêt Dalico. L’examen réalisé conduit à vérifier la compétence du tribunal arbitral selon le triptyque champ d’application ratione materiae, ratione personae et ratione temporis. Ainsi, le contrôle de la compétence du tribunal arbitral en matière d’arbitrage d’investissement est une question de fait, qui suppose de s’atteler à l’analyse du traité. La précision peut paraître inutile. Elle ne l’est en réalité pas du tout. La conséquence est de ne pas figer les solutions, qui peuvent varier selon la rédaction des traités. Les solutions posées par les arrêts ne sont donc pas universelles, la cour précisant par exemple dans l’arrêt Aboukhalil qu’elle vaut « contrairement à d’autres instruments internationaux » (§ 37). Cette démarche doit être saluée : il existe plusieurs modèles de traités et plusieurs générations de traités. Le juge doit prendre la mesure de cette diversité, comme il l’a prise depuis longtemps concernant les clauses compromissoires. Cette analyse factuelle est guidée par un principe directeur : le souci de ne pas ajouter de conditions à celles prévues par le traité (par ex. § 37 ou § 43 de l’arrêt Aboukhalil).
La quatrième idée, la plus novatrice, se trouve dans l’arrêt Aboukhalil. Si la cour cite abondamment le TBI, elle prend également la peine de reproduire, à plusieurs reprises, certains passages de la sentence arbitrale (§ 28, § 34, § 50). Dans ce dernier paragraphe, c’est même le tribunal arbitral qui a la parole en dernier. La symbolique est forte. Elle est d’autant plus remarquable que la cour d’appel utilise la formule « a pu », ce qui, dans le langage de la Cour de cassation, renvoie à un contrôle léger. Cette façon de faire est nouvelle, en ce que le juge du recours réalise le plus souvent son examen de la compétence en toute indifférence pour le raisonnement du tribunal arbitral. Elle est bienvenue. En effet, même si le contrôle porte sur la compétence et non sur la sentence, rien n’interdit d’examiner la motivation des arbitres et, le cas échéant, de la suivre si elle est convaincante. Dans des domaines aussi riches que le droit des investissements, avec une multitude de traités et une diversité des sentences, il est dommage que le juge étatique se prive de la motivation des arbitres pour trancher la question de la compétence. Ce sillon mérite d’être creusé (v. not. J. Jourdan-Marques, Faut-il consolider Dalico ? Réflexion sur les règles matérielles relatives à la compétence arbitrale, Rev. arb., à paraître). L’arrêt Nurol, antérieur dans le temps, ne suit pas cette logique. En revanche, la cour y vise un de ses précédents arrêts rendus contre le défendeur et constate que l’État n’avait pas formulé le même moyen relatif à l’absence d’entrée en vigueur du traité bilatéral d’investissement (§ 39). Même si ce passage de la motivation peut être considéré comme surabondant, il est tout de même exceptionnel de voir la cour se prévaloir d’une sorte d’autorité positive de chose jugée de ses propres décisions. Elle est à tout le moins discutable, dès lors qu’elle interdit à une partie de faire évoluer son argumentation.
Une fois ce cadre établi, le débat peut rebondir sur une deuxième problématique. Il convient de se demander ce qui, au sein du traité, est un critère de compétence et, à l’inverse, ce qui doit être considéré comme extérieur à la compétence.
D’une part, il peut y avoir des hésitations entre la recevabilité et la compétence (personne n’a oublié la saga Rusoro, v. Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-11.551, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 704 ; JCP 2021. 1214, obs. P. Giraud). Dans l’arrêt Aboukhalil, la cour d’appel considère – et c’est logique – que les questions relatives à la faculté d’un binational de se fonder sur un traité d’investissements (ici, un Franco-Sénégalais agissant contre le Sénégal sur le fondement d’un traité conclu avec la France) sont des questions de compétence et pas de recevabilité (§ 22).
D’autre part, il peut y avoir des hésitations entre la compétence et le fond. C’est le cas sur la question de la légalité et de la licéité de l’investissement. S’agit-il d’une question de compétence, pouvant faire l’objet d’un contrôle par la cour d’appel ou d’une question de fond ? Dans un épisode précédent (Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, préc.), la cour avait tranché en faveur de la seconde branche et refusé d’exercer son contrôle. Les arrêts Aboukhalil et Nurol consolident cette solution tout en faisant évoluer le périmètre de l’intervention. La cour réitère l’existence d’une distinction entre licéité et légalité de l’investissement. La licéité de l’investissement est la plus facile à cerner : elle concerne d’éventuelles allégations de corruption. Elle est discutée dans l’arrêt Nurol. L’illégalité de l’investissement est plus floue. Elle vise le respect d’un certain nombre de conditions pour réaliser l’investissement. On retrouve ce moyen dans l’arrêt Aboukhalil. À ce stade jurisprudentiel, on peine à identifier l’intérêt de cette distinction. Elle présente d’ailleurs un risque de confusion. Par exemple, dans l’arrêt Nurol, alors que la question de la licéité est examinée, la cour laisse échapper une mention sur l’investissement « illégal » (§ 56 de l’arrêt Nurol). Le principal inconvénient est de se faire des nœuds au cerveau pour une distinction qui, au niveau du régime, n’emporte aucune conséquence.
En effet, sur les questions de régime, la cour fait évoluer son appréciation. Dans l’arrêt Cengiz, la légalité et la licéité échappaient à un contrôle sur le fondement de la compétence. Le régime n’était toutefois pas parfaitement identique, la légalité pouvant être vérifiée en présence d’une gravité particulière. Ce n’est plus le cas avec les arrêts Aboukhalil et Nurol.
Dans l’arrêt Aboukhalil, la cour énonce que les conditions d’application temporelle, personnelle et matérielle du traité « ne doivent pas conduire à priver l’exercice par le tribunal arbitral de son pouvoir juridictionnel et ainsi faire dépendre la compétence du tribunal ni de la recevabilité des demandes portées devant lui, ni de l’examen du bénéfice effectif de la protection substantielle à l’investissement litigieux, dont l’appréciation dépend uniquement d’une analyse au fond du litige » (§ 53). La précision est doublement importante : d’une part, elle signifie que, par principe, l’exigence de légalité n’est pas une condition de la compétence de l’arbitre ; d’autre part, quand bien même le traité laisse penser qu’il s’agit d’une question de compétence, il faudrait y voir une question de fond. La cour se dit prête à ignorer la formulation claire et précise d’un traité pour ne pas contrôler l’exigence de légalité de l’investissement sur le fondement de la compétence. Elle conclut que, « sous couvert d’un contrôle de la compétence, le juge de l’annulation ne peut, se substituer à l’arbitre pour apprécier la validité ou la régularité de l’investissement litigieux, qui ne relève que du seul fond du litige et non de l’appréciation de la compétence du tribunal arbitral pour en connaître » (§ 54). En définitive, contrairement à l’arrêt Cengiz, la cour écarte définitivement du champ du contrôle de la compétence les questions relatives à la légalité (§ 80 de l’arrêt Cengiz), laissant au tribunal arbitral les mains libres sur ces questions.
Le raisonnement de l’arrêt Nurol sur la licéité est, quant à lui, un quasi-copier-coller de l’arrêt Cengiz (comp. § 52 s. de Nurol et § 42 s. de Cengiz). Toutefois, la cour ajoute un nouveau paragraphe à sa motivation (§ 55) : « S’agissant de l’allégation de corruption au visa de l’article 1520, 1°, du code de procédure civile sur la compétence du tribunal arbitral dont la cour est saisie, le contrôle opéré par le juge de l’annulation sur ce moyen ne saurait priver les parties en amont et avant toute décision des arbitres sur le fond, du droit de soumettre leur litige à l’arbitrage, sauf si le vice allégué porte sur la seule compétence du tribunal arbitral lui-même, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ». L’essentiel ici concerne la réserve formulée. Elle semble devoir être interprétée comme l’hypothèse d’un grief de corruption concernant directement la compétence du tribunal. La formule est sibylline, mais il pourrait s’agir d’une hypothèse où le consentement à l’arbitrage de l’État a été obtenu à la suite d’un acte de corruption (v. égal. § 63 de la décision).
b. Les règles matérielles relatives à la compétence
La spécificité du droit français en matière de contrôle de la compétence tient à l’existence de règles matérielles. L’un des résultats de cette méthode est l’exclusion des lois nationales, françaises ou étrangères. C’est ce que rappelle la cour dans une affaire Global Voice (Paris, 7 sept. 2021, n° 19/17531). Alors que le contrat contient une clause compromissoire institutionnelle, le requérant prétend que celle-ci doit céder devant une des dispositions de son code des marchés publics qui prévoit un arbitrage ad hoc. Le moyen n’avait aucune chance de prospérer. Pour l’écarter, la cour rappelle le principe bien connu selon lequel, « en vertu d’une règle matérielle du droit international de l’arbitrage, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence, et son existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique ». Examinant tout de même l’hypothèse du choix exprès des parties de faire régir la clause compromissoire par une loi nationale (laquelle résulte de la jurisprudence Uni-Kod, v. Civ. 1re, 30 mars 2004, n° 01-14.311, RTD com. 2004. 443, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2005. 959, note C. Seraglini ; JCP 2004. II. 10132, note G. Chabot ; S. Bollée, Quelques remarques sur la pérennité [relative] de la jurisprudence Dalico et la portée de l’article IX de la Convention européenne de Genève. À propos de l’arrêt Sté Uni-kod c. Sté Ouralkali, JDI 2006. 126), la cour souligne que la désignation d’une loi applicable au contrat n’est pas suffisante pour déroger à la règle matérielle. En conséquence, elle confirme l’applicabilité de la clause au litige et la compétence du tribunal arbitral constitué sous l’égide de la CCI.
Le plus souvent, la règle matérielle invite le tribunal arbitral et la cour d’appel à rechercher la volonté des parties, ce qui revient à examiner la clause compromissoire. C’était le cas dans un arrêt Freudenberger (Paris, 14 sept. 2021, n° 19/23063). À titre liminaire, la cour précise que « le juge de l’annulation n’étant pas le juge de révision de la sentence, il ne lui appartient pas d’infirmer ou de confirmer les motifs de la sentence rendue sur cette question, mais d’apprécier au regard de la volonté des parties et de la convention d’arbitrage si le tribunal était compétent ». La formule n’est pas courante (v. toutefois Paris, 23 mars 2021, n° 18/05756, DS Construction, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). En elle-même, elle n’est pas étonnante, la cour ayant toujours adopté, en matière de contrôle de la compétence, une approche indépendante de celle du tribunal arbitral. En l’espèce, la clause prévoyait que « les litiges seront réglés par la chambre arbitrale de Paris selon les règles ISF ». La difficulté est née de la perte de l’affiliation ISF par la CAIP. Il était donc nécessaire d’interpréter la clause pour savoir si la volonté des parties était de privilégier une institution ou des règles. Pour valider la sentence arbitrale rendue par un tribunal arbitral constitué sous l’égide de la CAIP, la cour retient que la clause ne vise pas spécifiquement les règles de procédure ISF, alors que le choix de la CAIP est explicite. Dès lors, elle fait prévaloir le choix de l’institution sur celui des règles.
Les règles matérielles du droit français de l’arbitrage ne se limitent pas à celle issue de l’arrêt Dalico. Il faut également compter sur des règles matérielles spéciales, indépendantes de la volonté des parties. Parmi elles, on trouve celle de l’extension de la clause compromissoire. Dans l’arrêt Global Voice, la question se pose à l’égard d’un État. La cour énonce « qu’une clause compromissoire insérée dans un contrat international est dotée d’une validité et d’une efficacité propres qui commandent d’en étendre l’application à une personne qui, bien que non expressément mentionnée comme “partie” au contrat dans lequel la clause d’arbitrage est incluse, est, selon la volonté commune des parties et les circonstances de la cause, directement impliquée dans l’exécution du contrat et intéressée aux bénéfices de ce contrat ». La formule est nouvelle. À première vue, elle ne fait que confirmer le principe d’extension de la clause aux parties impliquées dans l’exécution d’un contrat. Néanmoins, si l’on examine attentivement les critères posés, on remarque que la formule retenue renforce le flou entourant, depuis quelques années, la question de l’extension de la clause. Récemment, on avait pu signaler que trois règles cohabitaient (J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : où va le contrôle étatique de l’arbitrage international ?, Dalloz actualité, 30 avr. 2021). La première, la plus exigeante, requiert de la part du tiers la connaissance et l’acceptation de la clause, fût-elle présumée (Paris, 23 juin 2020, n° 17/22943, Kout Food Group, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ; Cah. Arb. 2020. 61, note P. Rosher ; Rev. arb. 2020. 701, note E. Gaillard ; JDI 2021. 153, note J.-B. Racine). La deuxième, intermédiaire, requiert simplement la connaissance, mais pas l’acceptation de la clause (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; 26 févr. 2013, n° 11/17961, Rev. arb. 2014. 82, note P. Duprey et C. Fouchard). La troisième, la plus libérale, ne fait référence, comme dans le présent arrêt, ni à la connaissance ni à l’acceptation (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech , note S. Bollée ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP 2007. II. 10118, note C. Golhen ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; CCC 2007. 166, note L. Leveneur). La règle de Global Voice ne s’inscrit dans aucune de ces hypothèses. Elle renvoie à des critères comme la « volonté commune des parties » ou encore l’intéressement aux « bénéfices de ce contrat ». On finit par avoir le sentiment que c’est un syllogisme régressif qui guide la jurisprudence en cette matière. Ce n’est pas la règle matérielle qui détermine l’extension de la clause d’arbitrage après examen des faits, mais ce sont les faits qui déterminent la construction d’une règle matérielle après avoir acquis la conviction que la clause devait être étendue. Une telle solution est acceptable tant qu’elle ne vient pas prendre à revers un tribunal arbitral qui aurait suivi une des quatre règles matérielles posées par la jurisprudence, mais n’aurait pas su anticiper celle tirée au sort par le juge du recours.
Il n’y a d’ailleurs aucune raison pour que le nombre de règles matérielles soit fini. C’est une nouvelle qui émerge avec l’arrêt Monster Energy Company (Paris, 19 oct. 2021, n° 18/01254). La question portait sur un devoir précontractuel d’information, fondé notamment sur l’article 1112-1 du code civil. La cour rejette cette disposition pour des raisons de droit transitoire, le contrat étant antérieur à la l’ordonnance du 10 février 2016. Reste qu’elle écarte implicitement le principe, en énonçant qu’« en matière d’arbitrage international cependant ce devoir repose sur chacune des parties à qui il incombe de s’informer sur les modalités de l’arbitrage étant en outre observé que le consentement à une convention d’arbitrage emporte nécessairement renonciation à soumettre un litige à une justice étatique ». Ce faisant, la cour pose une véritable règle matérielle (négative), dérogatoire au droit interne, excluant un quelconque devoir d’information à propos de la clause compromissoire.
c. L’impécuniosité des parties
L’arrêt Monster Energy Company (Paris, 19 oct. 2021, n° 18/01254) apporte des informations complémentaires sur la validité de la clause compromissoire en présence d’une partie prétendument impécunieuse (v. égal. M. de Fontmichel, L’équilibre contractuel des clauses relatives au litige, JCP 2019. Doctr. 583). Elle précise un raisonnement déjà entamé avec l’arrêt Subway (v. dernièrement Paris, 2 juin 2020, n° 17/18900, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2421, cours de droit de la concurrence Yves Serra (CDED Y. S.EA n° 4216) ; ibid. 2484, obs. T. Clay ). D’abord, elle juge que « l’accès à la justice, en ce qu’il permet de garantir l’effectivité des droits, relève de l’ordre public international. Dès lors, une convention d’arbitrage qui ferait obstacle à cet accès, serait contraire à l’ordre public international et donc nulle ». D’un point de vue théorique, la solution est fondamentale, puisqu’il s’agit d’une des rares exceptions à la validité de la clause compromissoire fondée sur « l’ordre public international ». Il y a bien une place pour contester la validité d’une clause compromissoire sur le fondement de l’accès au juge, étant rappelé que celle-ci doit se faire prioritairement devant l’arbitre puis devant le juge du recours. Ensuite, la cour distingue le principe du recours à l’arbitrage, qui n’est pas suffisant pour constituer une telle atteinte, en dépit de la renonciation à la gratuité de la justice, de ses modalités. Ce sont dans les modalités que l’atteinte à l’accès au juge peut être identifiée. À cet égard, la cour prend en considération non seulement la connaissance des frais de l’arbitrage, mais aussi l’absence de preuves du requérant de son incapacité à en faire l’avance. Il est donc certain qu’un plaideur ne peut se dispenser d’apporter des éléments de preuve de son impécuniosité s’il veut remettre en cause la clause. Enfin, la cour écarte l’argument fondé sur les frais d’avocats mis à sa charge par l’arbitre, au motif que « le litige au fond […] n’est pas de nature à emporter la nullité de la convention d’arbitrage ».
2. La constitution du tribunal arbitral
a. L’obligation de révélation
On commence à y voir plus clair dans la jurisprudence en matière d’obligation de révélation, ce qui n’est jamais une mauvaise chose. Après la révolution de l’arrêt Vidatel (Paris, 26 janv. 2021, n° 19/10666, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. Doctr. 696, obs. P. Giraud), les choses se stabilisent et les arrêts successifs corrigent les scories de cette première décision. L’arrêt National Highway Authority (ci-après, NHA) (Paris, 14 sept. 2021, n° 19/16071) apporte des précisions qui devraient clore certains débats. Reste qu’il n’est pas totalement dépourvu, lui aussi, d’ambiguïtés.
Premièrement, il est désormais établi que les règlements d’arbitrage constituent des sources précieuses pour déterminer l’étendue de l’obligation de révélation. La solution avait été confirmée par l’arrêt Fiorilla (Paris, 12 juill. 2021, n° 19/11413, Dalloz actualité, 17 sept. 2021, obs. J. Jourdan-Marques), alors que l’arrêt LERCO n’y faisait aucunement référence (Paris, 23 févr. 2021, n° 18/03068, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; JCP 2021. Doctr. 696, obs. P. Giraud). Pour autant, l’arrêt NHA n’est que modérément clair. Il retient qu’« afin de mieux apprécier le champ de son obligation, l’arbitre peut notamment se référer aux recommandations émises en cette matière par ce centre d’arbitrage ». L’hypothèse d’une simple faculté, plutôt que d’une obligation, est déroutante. La cour ajoute d’ailleurs que, s’agissant de la Note aux parties de la CCI, celle-ci contient des « circonstances qui doivent particulièrement être considérées ». Cette fois, il s’agit d’une obligation de prise en considération, sorte d’intermédiaire entre la faculté et l’obligation. Bref, on peine à savoir si les règles relatives à la révélation prévues par un règlement d’arbitrage sont obligatoires ou facultatives. L’enjeu est pourtant énorme : répondre positivement permet de passer immédiatement à la deuxième étape – la caractérisation du doute raisonnable – alors qu’une réponse négative peut conduire le débat à s’éterniser autour de la question de savoir si l’arbitre devait révéler. Il l’est d’autant plus lorsque le règlement d’arbitrage prévoit, comme dans l’arrêt Fiorilla avec le règlement FINRA, un questionnaire destiné aux arbitres : doivent-ils y répondre ou peuvent-ils s’en dispenser ? La confusion est encore accrue par le fait que, dans l’arrêt NHA, l’arbitre avait signé sa déclaration d’indépendance le 11 juin 2015, soit avant la publication de la Note aux parties qui date de 2016 ! Comment l’arbitre aurait-il pu apprécier le champ de son obligation de révélation en s’appuyant sur une note qui n’était pas encore publiée ? Faut-il y voir une explication au simple caractère facultatif de la note, alors qu’elle deviendrait obligatoire pour les arbitrages postérieurs ? Dans l’arrêt LERCO, nous avions en tout cas émis l’hypothèse que le silence de la cour sur la note s’expliquait par l’antériorité de la révélation à la publication de la note. Ici, ce n’est pas le cas et il faut bien avouer que l’on finit un peu perdu. La seule chose qui est certaine, c’est qu’il est désormais établi que les règlements d’arbitrage ont un rôle à jouer dans la détermination des faits à révéler par les arbitres.
Deuxièmement, la cour confirme, après le doute laissé par l’arrêt Vidatel, qu’un défaut de révélation n’est pas suffisant, même en présence d’une obligation prévue par un règlement. On en revient donc à la solution classique, connue depuis l’arrêt Neoelectra (Civ. 1re, 10 oct. 2012, n° 11-20.299, Sté Neoelectra Group c. Sté Tecso, Dalloz actualité, 19 oct. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2458, obs. X. Delpech ; ibid. 2991, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2013. 678, note C. Chalas ; RTD com. 2013. 481, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2013. 129, note C. Jarrosson ; JCP 2012. Act. 1127, obs. M. Henry ; ibid. 2012. Doctr. 1268, note B. Le Bars ; ibid. 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Procédures 2012. Comm. 354, note L. Weiller). La cour juge que « la non-révélation par l’arbitre de l’une de ces circonstances ne suffit pas à constituer un défaut d’indépendance ou d’impartialité. Encore faut-il que les éléments non révélés soient de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre ». La formule figurait déjà, presque à l’identique, dans les arrêts Fiorilla, LERCO et Dommo (25 févr. 2020, nos 19/07575 et 19/15816 à 19/15819, Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg ; ibid., 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ; JCP 2020. 870, note M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2020. 501, note L. Jaeger ; Procédures 2020, n° 6, p. 23, obs. L. Weiller). Elle confirme, là encore dans la ligne de ces arrêts, le caractère structurant de la distinction entre les liens directs et indirects au stade de l’établissement du doute raisonnable : « ce doute raisonnable doit résulter d’un potentiel conflit d’intérêts dans la personne de l’arbitre, qui peut être soit direct, parce qu’il concerne un lien avec une partie, soit indirect, parce qu’il vise un lien d’un arbitre avec un tiers intéressé à l’arbitrage ». Ainsi, en distinguant le lien direct du lien indirect, la cour indique que, par principe, les premiers sont plus graves que les seconds. À propos des seconds, la cour ajoute une formule nouvelle, selon laquelle, « lorsque le potentiel conflit d’intérêts est seulement indirect, l’appréciation du doute raisonnable dépendra notamment de l’intensité et la proximité du lien entre l’arbitre, le tiers intéressé et l’une des parties à l’arbitrage ».
Si l’on fait le bilan, l’arrêt Vidatel doit être considéré comme une sorte de ballon d’essai jurisprudentiel. Neuf mois plus tard, les règles prévues par les règlements d’arbitrage sont définitivement élevées au rang de source de l’obligation de révélation, bien que leur valeur exacte demeure incertaine. En revanche, la seule violation de ce qui est prévu par le règlement n’est pas suffisante pour emporter l’annulation de la sentence, ce qui conduit à maintenir une solution qui existe depuis une décennie. Pour établir ce doute raisonnable, la distinction entre les liens directs et les liens indirects prend de l’épaisseur, même s’il est à peu près sûr qu’elle n’a pas révélé tous ses mystères. Pour le praticien, il est, à l’heure actuelle, indispensable de jongler avec les arrêts Dommo, Vidatel, LERCO, Fiorilla et NHA pour tenter d’y voir plus clair dans le droit positif.
Nous n’évoquerons pas le fond de l’arrêt. Le débat ne se situe même pas sur le défaut de révélation de l’arbitre, puisqu’il n’est pas établi (mais les faits sont confus) qu’il existait un lien entre le tiers et les parties au litige. Dès lors, il n’y a logiquement pas lieu à révélation.
b. L’impartialité du tribunal arbitral
À côté de l’inépuisable débat sur l’obligation de révélation, il existe des hypothèses où l’impartialité du tribunal arbitral est discutée, en particulier lorsqu’un comportement permet d’en douter. La partialité est néanmoins délicate à établir. L’arrêt Aboukhalil le montre une fois encore (Paris, 12 oct. 2021, n° 19/21625). Lorsque les comportements stigmatisés se sont déroulés pendant l’instance, il convient immédiatement de solliciter la récusation de l’arbitre, sous peine d’y renoncer. Il en va autrement lorsque la partialité ressort de la sentence arbitrale. Toutefois, encore faut-il, comme en matière de révélation, que les éléments figurant dans la sentence créent « dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur son impartialité ». Il faut, pour cela, identifier des éléments précis sans qu’il soit nécessaire de contrôler la motivation de la sentence arbitrale. C’est malheureusement souvent le cas, les parties incitant le juge étatique à réviser la sentence au fond. Dans une telle hypothèse, le recours est, comme en l’espèce, rejeté.
C’est également le cas dans l’arrêt NHA (Paris, 14 sept. 2021, n° 19/16071). La cour rappelle que « l’indépendance s’apprécie objectivement au regard de facteurs précis et vérifiables externes à l’arbitre et l’impartialité suppose l’absence de préjugés ou de parti pris susceptibles d’affecter le jugement des arbitres ». Elle ajoute, dans une formule particulièrement pédagogique, que, « si un doute raisonnable sur l’impartialité de l’arbitre peut le cas échéant résulter de la sentence elle-même, encore faut-il, dès lors que le contenu de la motivation de la sentence arbitrale échappe au contrôle du juge de l’annulation, que ce doute soit fondé sur des éléments précis et objectifs quant à la structure de la sentence ou ses termes mêmes, qui laisseraient supposer que l’attitude de l’arbitre a été partiale ou à tout le moins seraient de nature à donner le sentiment qu’elle l’a été. Une sentence qui tranche en faveur d’une partie au détriment d’une autre contient nécessairement des éléments d’appréciation sur les faits qui sont utiles à la motivation, sans pour autant refléter une quelconque partialité. L’arbitre peut décider de s’appuyer sur des pièces ou des témoignages au détriment d’autres pièces ou témoignages et retenir l’argumentation de l’une des parties plutôt que de l’autre ». Si la distinction est clairement posée, il est certain que la tentation est grande pour les parties de faire passer la motivation des arbitres jugeant en leur défaveur pour le révélateur d’une partialité. C’est donc à la cour de faire la part des choses, ce qu’elle fait parfaitement jusqu’à maintenant. Les arbitres peuvent en être rassurés.
3. Le respect par le tribunal arbitral de sa mission
Un tribunal arbitral peut-il faire référence à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) dans une sentence d’investissements, au titre du traitement juste et équitable, alors que le TBI n’y fait pas référence ? Telle était l’une des questions posées dans l’arrêt Aboukhalil (Paris, 12 oct. 2021, n° 19/21625). Le TBI fait référence aux « principes du droit international ». Si la cour d’appel constate que les références faites par le tribunal arbitral à la Convention européenne des droits de l’homme sont essentiellement illustratives et surabondantes, elle apporte néanmoins une précision intéressante. Elle juge que, « bien que non directement applicable au présent litige, la Convention européenne et la jurisprudence de la [CEDH] contribuent à l’émergence des standards de protection en droit international et participent ainsi à l’élaboration des principes du droit international auxquels fait référence le TBI précité. Le fait que la République du Sénégal n’ait pas ratifié la Convention européenne n’interdisait donc pas au tribunal arbitral de faire référence à ce texte dans sa sentence pour se livrer à une appréciation du contenu du standard du traitement juste et équitable à la lumière des principes du droit international, voire même à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dès lors qu’il ne s’appuie pas précisément et exclusivement sur ce texte pour caractériser la violation de l’engagement pris par la RS, mais uniquement sur les “principes du droit international” et l’article 4 du TBI ». Ainsi, la cour ouvre la voie à l’utilisation par les tribunaux arbitraux de la Convention européenne des droits de l’homme, indépendamment d’un quelconque engagement de l’État, au titre des principes du droit international.
Un arrêt Oc’Via 2 soulève quant à lui des questions relatives au respect de sa mission par le tribunal arbitral (Paris, 26 oct. 2021, n° 19/07103, [formation interne], le lecteur est informé que le rédacteur de cette chronique a été impliqué dans le recours). En l’espèce, dans le cadre d’un litige relatif au paiement d’une facture relative à des livraisons de certaines matières premières, l’arbitre a calculé l’indemnisation en fonction d’un prix de 4,28 € au lieu des 4,26 € le mètre cube. Dérisoire pour une annulation de la sentence ? Pas selon la cour d’appel, qui annule logiquement la sentence. Il est parfaitement établi que le tribunal arbitral est tenu, dans l’exercice de sa mission, par les demandes des parties. Le dépassement de ces prétentions suffit à entraîner l’annulation de la sentence.
La même sentence est annulée sur un autre motif. Il était établi qu’un certain nombre de paiements avaient déjà été réalisés. Pourtant, l’arbitre a calculé une somme globale, sans déduire un quelconque paiement déjà réalisé. Dans sa sentence, il s’est contenté de juger que le débiteur était condamné à « 5 597 816,52 € HT duquel il faut déduire les sommes correspondant aux quantités déjà facturées et les acomptes déjà encaissés et auquel il faut ajouter la TGAP et la TVA ». Autrement dit, les parties doivent ressortir leur calculette pour connaître le montant réel de la condamnation. L’annulation sur le fondement de l’ultra petita est à nouveau justifiée, la cour soulignant que l’arbitre ne précise pas « le montant effectif de la condamnation ».
4. Le respect du contradictoire
Dans une affaire, l’arbitre unique est confronté à l’absence d’une partie à une audience (Paris, 19 oct. 2021, n° 19/23071). La partie invoque une violation du contradictoire, justifiant son absence par l’impossibilité matérielle de se rendre à l’audience. Après avoir constaté que les échanges entre avocats et l’arbitre ainsi que les raisons de l’absence de report sont longuement retracés dans la sentence et constaté que l’arbitre a fait ce qu’il a pu pour compenser l’absence de la partie à l’occasion de l’audition des témoins, la cour d’appel rejette le moyen. Ce faisant, elle confirme la possibilité pour les arbitres d’outrepasser l’absence d’une partie à l’audience et de favoriser le déroulement de l’instance arbitrale.
5. L’ordre public international
a. La renonciation à se prévaloir d’une contrariété à l’ordre public international
L’ordre public procédural est susceptible de renonciation. C’est ce que la cour rappelle par deux arrêts successifs, à propos du principe de l’égalité des armes. Dans le premier (Paris, 12 oct. 2021, n° 20/02301, Tasyapi), il est établi que, faute d’avoir élevé une quelconque protestation pendant l’instance, les parties ont renoncé à se prévaloir d’une violation de la contraction (C. pr. civ., art. 1520, 4°) et de l’égalité des armes (C. pr. civ., art. 1520, 5°). Une solution parfaitement identique est retenue dans la seconde décision (Paris, 19 oct. 2021, n° 19/23071, Heliotrop), qui énonce que « ce texte ne vise pas les seules irrégularités procédurales mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences, en ce compris le principe d’égalité des armes qui relève de l’ordre public international de protection, à l’exception des moyens tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait l’ordre public international de fond ».
b. La conformité à l’ordre public international d’une sentence sur la compétence
Une sentence sur la compétence peut-elle être contraire à l’ordre public international ? La question n’est pas anecdotique, dès lors qu’il est fréquent que, à la suite d’une bifurcation, une sentence partielle sur la compétence soit rendue. C’est à cette question originale à laquelle répond l’arrêt Nurol (Paris, 28 sept. 2021, n° 19/19834). La cour juge que « s’agissant d’une sentence statuant uniquement sur la compétence, et non sur le fond, le contrôle du juge porte uniquement sur les conséquences que l’exécution de cette sentence pourrait avoir au regard de la conception française de l’ordre public international lié à l’exercice de ladite compétence, c’est-à-dire la tenue du tribunal arbitral pour trancher le litige au fond opposant les parties » (§ 104). Or, s’agissant d’allégations de corruption, celles-ci relèvent du fond et non de la compétence. Il en résulte que celles-ci doivent être examinées par le tribunal arbitral à l’occasion de l’examen du fond du litige. Il en va du respect de la priorité de l’arbitre pour trancher le litige. La solution est donc bienvenue.
c. Les lois de police
Il faut compter sur une nouvelle loi de police en arbitrage international (Paris, 19 oct. 2021, n° 18/01254, Monster Energy Company). Il s’agit de l’article 5 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012, dite loi Lurel, ayant donné lieu à la création de l’article L. 420-2-1 du code de commerce. Celui-ci prohibe, dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution (Guadeloupe, Martinique, Réunion, Guyane et Mayotte) et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d’accorder des droits exclusifs d’importation à une entreprise ou à un groupe d’entreprises. La cour juge que « cette disposition, qui participe de la sauvegarde d’une organisation économique et sociale pour un secteur de l’activité économique d’un pays, constitue ainsi une loi de police française, dont l’ignorance par un tribunal arbitral est susceptible de faire obstacle à l’exequatur de la sentence si celle-ci heurte de manière manifeste, effective et concrète l’ordre public international ». La qualification est peu contestable, d’autant qu’elle vise à préserver le marché et non les intérêts des contractants.
Cela dit, la mise en œuvre de la loi de police est teintée de volontarisme. En effet, la cour énonce qu’il y a violation à l’ordre public international lorsque « le tribunal arbitral statue sans mettre en œuvre une loi de police française, en ignorant ainsi son applicabilité même au litige alors que le respect d’une telle loi est considéré comme crucial pour la sauvegarde des intérêts publics du pays tels que son organisation politique, sociale ou économique ». La cour s’écarte de la logique habituelle du contrôle de l’ordre public international, qui impose de ne pas s’intéresser à l’application de la règle, mais de vérifier si le résultat est ou non contraire à l’ordre public international. Or on peut se demander si, en dépit de l’absence d’application de la loi de police par le tribunal arbitral, la sentence est véritablement contraire à l’ordre public international. L’article L. 420-2-1 du code de commerce sanctionne les contrats contraires à son énoncé par une nullité. Le tribunal arbitral saisi du litige avait « jugé valide la résiliation du contrat ». Autrement dit, on parle d’un contrat dont le tribunal arbitral a confirmé qu’il ne produira plus d’effets. En revanche, aucune condamnation n’a été prononcée sur le fondement du contrat. Dès lors, on peut se demander si une résiliation plutôt qu’une nullité entraîne véritablement une contrariété à l’ordre public international. Naturellement, les effets ne sont pas identiques, notamment en ce qui concerne la rétroactivité de l’anéantissement du contrat. On aurait toutefois aimé que la cour explicite en quoi le choix d’une sanction par rapport à l’autre viole l’ordre public international. On n’est pas loin de penser – et à dire vrai on pourrait le comprendre – que la raison de cette décision ne se situe pas dans la résiliation du contrat, mais dans la répartition des frais. L’arbitre a condamné le défendeur non comparant à la somme de 5 200 $ de frais d’arbitrage et… 133 000 $ de frais d’avocats. Pour une sentence dont le seul intérêt est d’acter une résiliation en l’absence du défendeur, il est vrai que l’addition paraît salée.
V. Arbitrage et droit de l’Union européenne
Comme trop souvent, l’Union européenne vient gâcher les nuits paisibles de l’arbitragiste (CJUE 26 oct. 2021, aff. C-109/20, PL Holdings). Il est manifeste que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a, depuis longtemps, quitté le rivage de la rigueur juridique pour s’aventurer dans les eaux troubles de l’opportunisme juridique. Elle poursuit un objectif simple : lutter, quoi qu’il en compte, contre l’arbitrage d’investissement intraeuropéen. En ce domaine, la fin justifie les moyens (de droit).
L’affaire est entendue depuis l’arrêt Achmea (CJUE 6 mars 2018, aff. C-284/16, Dalloz actualité, 4 avr. 2018, obs. F. Mélin ; AJDA 2018. 1026, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2018. 2005 , note Veronika Korom ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2018. 616, note E. Gaillard ; RTD eur. 2018. 597, étude J. Cazala ; ibid. 649, obs. Alan Hervé ; ibid. 2019. 464, obs. L. Coutron ; Rev. arb. 2018. 424, note S. Lemaire ; Procédures 2018. Comm. 143, obs. C. Nourissat ; JDI 2018. 903, note Y. Nouvel ; JDI 2019. 271, note B. Rémy ; GAJUE, à paraître, note M. Barba) et a été fermement rappelée dans l’affaire Komstroy (CJUE 2 sept. 2021, aff. C-741/19, Komstroy, préc.) : l’arbitrage est inapproprié pour la résolution des différends intraeuropéens relatifs aux investissements. Quoi de neuf sous le soleil ?
Pour le comprendre, il faut s’attarder un peu sur les faits. L’action est intentée par PL Holdings contre la République de Pologne, sur le fondement d’un TBI contenant une convention d’arbitrage. Toutefois, la spécificité de cette affaire vient de la discussion autour de l’acceptation par la Pologne d’une convention d’arbitrage ad hoc. L’idée est que, conformément au droit suédois, PL Holdings aurait, par sa demande d’arbitrage, présenté une offre d’arbitrage qui aurait été tacitement acceptée en omettant de la contester dans les délais.
La question du consentement de la Pologne à cette offre d’arbitrage est évidemment discutée. Sur ce point, la cour bute sur sa propre jurisprudence, qui lui interdit d’examiner la réalité de ce consentement. Elle souligne qu’« il appartient à la seule juridiction de renvoi d’apprécier, au préalable, tous les éléments de fait entourant la situation en cause au principal afin d’établir l’existence éventuelle de la volonté de la République de Pologne, que cette dernière conteste, d’accepter l’offre d’arbitrage de PL Holdings » (§ 40). Elle n’hésite toutefois pas à donner un avis tranché sur la question en signalant plus ou moins subtilement à la cour de renvoi qu’une réponse négative s’impose.
Consciente des limites de ses prérogatives, elle s’intéresse également au fond de la question : quid de la validité d’une convention d’arbitrage ad hoc pour connaître d’un litige d’investissements ?
La réponse n’étonnera personne : la clause est nulle, aussi nulle que celle figurant dans le traité. La CJUE s’en explique longuement. Elle juge notamment que « permettre à un État membre, qui est partie à un litige susceptible de porter sur l’application et l’interprétation du droit de l’Union, de soumettre ce litige à un organisme arbitral ayant les mêmes caractéristiques que celui prévu par une clause d’arbitrage nulle contenue dans un accord international tel que celui visé au point 44 du présent arrêt, par la conclusion d’une convention d’arbitrage ad hoc de même contenu que cette clause, entraînerait en réalité un contournement des obligations découlant pour cet État membre des traités et, tout particulièrement, de l’article 4, § 3, du Traité de l’Union européenne (TUE) ainsi que des articles 267 et 344 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), tels qu’interprétés dans l’arrêt du 6 mars 2018, Achmea » (§ 47). Il faut bien admettre que, d’un point de vue téléologique, la solution coule de source.
Le problème, comme depuis le début de cette saga, réside dans la motivation. Plutôt de se limiter à poser un principe simple d’inarbitrabilité des litiges d’investissements, la Cour essaie de fonder sa solution en droit. C’est à ce stade que le raisonnement juridique devient un habillage désordonné et incohérent d’une solution politique.
La Cour de justice de l’Union européenne se heurte à une double difficulté dans cette affaire. D’une part, contrairement aux situations précédentes, la convention d’arbitrage discutée n’est pas conclue entre États membres, mais entre un État membre et une personne privée. D’autre part, la convention d’arbitrage ne figure pas dans un traité, mais dans une convention ad hoc. Or ces deux différences changent tout et rendent impossible la transposition de l’arrêt Achmea. Ils rapprochent la situation d’espèce d’un banal arbitrage commercial. À l’époque, la Cour avait jugé qu’« une procédure d’arbitrage, telle que celle visée à l’article 8 du TBI, se distingue d’une procédure d’arbitrage commercial. En effet, alors que la seconde trouve son origine dans l’autonomie de la volonté des parties en cause, la première résulte d’un traité, par lequel des États membres consentent à soustraire à la compétence de leurs propres juridictions et, partant, au système de voies de recours juridictionnel que l’article 19, § 1, 2nd alinéa, du TUE leur impose d’établir dans les domaines couverts par le droit de l’Union » (§ 55 de l’arrêt Achmea). Autant dire que la convention d’arbitrage conclue entre PL Holdings et la Pologne n’entre aucunement dans celles stigmatisées par Achmea, mais justement dans celles supposément préservées.
Naturellement, la CJUE ne s’en laisse pas compter et rivalise d’ingéniosité pour contourner l’obstacle. Certains développements nécessitent d’être bien assis sur sa chaise avant d’être lus. Elle explique que sa solution est « confirmé[e] par […] l’accord portant extinction des traités bilatéraux d’investissement […]. Cette règle est applicable mutatis mutandis à une situation dans laquelle la procédure d’arbitrage originellement initiée sur le fondement d’une clause d’arbitrage nulle du fait de sa non-conformité au droit de l’Union est poursuivie sur le fondement d’une convention d’arbitrage ad hoc conclue par les parties conformément au droit national applicable et dont le contenu serait identique à celui de cette clause » (§ 53). Ainsi, l’accord portant extinction des TBI n’entraînerait pas seulement un anéantissement rétroactif des conventions d’arbitrage y figurant, mais également de toute convention d’arbitrage ad hoc antérieure. Le raisonnement, en termes de conflit de lois dans le temps, est acrobatique. Toutefois, le pompon sur la Garonne reste l’incursion dans le droit des obligations pour justifier la solution : « toute tentative d’un État membre de remédier à la nullité d’une clause d’arbitrage au moyen d’un contrat avec un investisseur d’un autre État membre irait à l’encontre de l’obligation du premier État membre de contester la validité de la clause d’arbitrage et serait ainsi susceptible d’entacher d’illégalité la cause même de ce contrat dès lors qu’elle serait contraire aux dispositions et principes fondamentaux régissant l’ordre juridique de l’Union » (§ 54). On renonce à comprendre.
En réalité, encore une fois, l’hostilité de la Cour de justice à l’arbitrage d’investissements intraeuropéen est une chose entendue. On peut la désapprouver ou en contester les fondements. Pour autant, elle est claire. Ce qui est immensément problématique reste la motivation qui la sous-tend. Pour une raison simple : d’une part, elle n’offre aucune sécurité juridique, puisque la Cour n’hésite pas à balayer la précédente au profit d’une nouvelle, au gré des espèces ; d’autre part, car cette motivation est une bombe à fragmentation. En effet, elle fragilise l’arbitrage bien au-delà du droit des investissements. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le paragraphe 49 : « l’approche juridique envisagée par PL Holdings [si elle était retenue] pourrait être adoptée dans une multitude de litiges susceptibles de concerner l’application et l’interprétation du droit de l’Union, portant ainsi atteinte de manière répétée à l’autonomie de ce droit ». On le voit, ce n’est pas seulement l’arbitrage d’investissements qui est concerné. C’est potentiellement tout arbitrage avec une personne publique, voire tout arbitrage entre personnes privées nécessitant l’application du droit européen. Rien ne garantit que les digues posées par la Cour de justice, notamment l’exclusion de l’arbitrage commercial, ne sont pas de simples vannes susceptibles d’être ouvertes à chaque instant.
On finira par mentionner une décision du Tribunal de l’Union européenne (TUE, 22 sept. 2021, aff. T-639/14) dans laquelle le Tribunal retient la qualification de « tribunal étatique » à un tribunal arbitral, malgré son origine manifestement conventionnelle (§ 150 s.). Il ne s’agit pas, loin de là, d’une décision de principe, mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’une clé pour retrouver un équilibre entre l’arbitrage et le droit de l’Union européenne.