Nationalité française par mariage, état de bigamie et communauté de vie

Une femme de nationalité algérienne a contracté mariage en 1998 en Algérie avec un Français. Le mariage a été transcrit sur les registres de l’état civil en 2007. En novembre 2010, l’époux français contracte une seconde union en Algérie, le plaçant dans un état de bigamie. La première épouse souscrit en mai 2014 une déclaration de nationalité sur le fondement de l’article 21-2 du code civil, laquelle a été enregistrée le 9 février 2015.

En mars 2016, le ministère public l’a assignée en nullité de cet enregistrement en soutenant que l’état de bigamie de son conjoint excluait toute communauté de vie.

Le tribunal de grande instance de Lille rejette la demande et la cour d’appel de Douai, par un arrêt du 17 janvier 2019, confirme le jugement qui refuse l’annulation de la déclaration d’acquisition de la nationalité française souscrite par l’épouse. Elle a estimé en effet que les conditions posées par l’article 21-2, et notamment la persistance de la vie commune, étaient remplies car, malgré le second mariage liant l’époux, la vie commune avec la première épouse n’avait pas cessé au jour de la déclaration et était caractérisée par le fait que les...

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Notification du certificat de vérification des dépens et effet interruptif du délai de prescription

Suivant l’arrêt du 11 avril 2013, la cour d’appel de Montpellier a prononcé la caducité d’une déclaration d’appel et a laissé les dépens de l’instance à la charge de l’appelant.

L’avocat de la société intimée introduit une requête aux fins de taxation le 20 juillet 2017. Le 26 juillet, il obtient du secrétaire de la juridiction un certificat de vérification des dépens qu’il notifie à l’appelant par lettre recommandée avec accusé de réception, le 28 juillet 2017.

L’appelant conteste ce certificat pour cause de prescription de l’action de l’avocat en recouvrement des dépens.

Par ordonnance du 27 juin 2019, l’action de l’avocat a été jugée prescrite au motif que les causes d’interruption de la prescription étant limitativement énumérées par les articles 2240 et suivants du code civil, la demande de vérification des dépens, qui n’est pas une demande en justice, et la notification du certificat de vérification des dépens, qui ne vaut pas acceptation ni reconnaissance par écrit de la dette, ne sont pas susceptibles d’interrompre la prescription extinctive.

L’appelant forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation. Ce dernier expose que le délai de prescription étant interrompu par la demande en justice, la notification du certificat de vérification des dépens, emportant acceptation par son auteur du compte vérifié, faite par lettre recommandée avec accusé de réception, avait valablement interrompu le délai de prescription de son action en recouvrement.

La question posée à la Cour de cassation était donc celle de savoir si la notification par...

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Quelle signification papier d’une déclaration d’appel dématérialisée ?

Le 22 octobre 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt, destiné à une large publication, à propos d’une déclaration d’appel effectuée par voie électronique que l’appelant a voulu signifier à l’intimé non constitué – donc par voie papier. Pour répondre à la question de savoir ce qui doit alors être signifié, l’arrêt met en œuvre les articles 901, 902 et l’article 748-3 du code de procédure civile, ainsi l’article 10 de l’arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique (CPVE) dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel, alors en vigueur, pris pour l’application des articles 748-1 et suivants et 930-1 du code de procédure civile (Sur la CPVE, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile. Droit interne et européen, S. Guinchard (dir.), Dalloz Action, 10e éd., 2020/2021, chap. 273 (à paraître). ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, sept. 2012 [actu. janv. 20]. ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, LexisNexis, 4e éd. 2018, nos 485 s.).

Une société fait appel du jugement d’un tribunal de commerce, nécessairement par RPVA (art. 930-1 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, op. cit., n° 295). Il faut déduire des arguments de l’appelant et des motifs des juges que l’intimé ne constitue pas avocat dans le délai d’un mois suivant la date de l’envoi de la lettre de notification effectuée par le greffe (art. 902, al. 1er et 2) ; que, dès lors, l’appelant doit lui signifier la déclaration d’appel par voie papier (art. 902, al. 3). Faute de signification conforme, un conseiller de la mise en état prononce la caducité de la déclaration d’appel (sanction prévue par le même alinéa). L’appelant défère à la cour d’appel l’ordonnance du CME. La juridiction du second degré confirme l’ordonnance. Pour ce faire, elle estime notamment que « la déclaration d’appel émise et signée par l’avocat [de l’appelant] et remise au greffe le 5 avril 2018 à 15h57, qui est annexée aux actes de signification du 1er juin 2018, ne constitue pas la déclaration d’appel devant être signifiée aux intimées non constituées en application de l’article 902 du code de procédure civile » ; elle juge aussi « par motifs réputés adoptés qu’“il ressort de la comparaison entre le document annexé aux actes de signification et le récapitulatif de la déclaration d’appel que le premier ne confirme nullement la réception par le greffe de l’acte d’appel et qu’il ne mentionne même pas la cour d’appel à laquelle cet acte a été adressé. Il ne comporte pas plus le numéro de la déclaration d’appel, ni la chambre de la cour à laquelle l’affaire a été distribuée, ni le numéro du dossier au répertoire général” et, par motif propre, que “ces significations faites le 1er juin 2018 sont celles d’un avis d’avoir à signifier, délivré par le greffe de la cour et des données saisies qui lui ont été adressées...

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Signification de la déclaration de saisine sur renvoi après cassation : par-delà les textes

Un premier arrêt de cour d’appel fait l’objet d’une cassation en 2014, puis l’arrêt de la cour de renvoi est à son tour cassé en 2017 et l’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Pau, troisième cour à statuer sur le litige. Les choses n’étant pas suffisamment compliquées, le déclarant-saisissant régularise deux déclarations de saisine, l’une en septembre 2017 et l’autre en février 2018, jointes par la cour de renvoi. Les intimés invoquent l’irrecevabilité et la caducité des deux actes de saisine mais ne sont pas suivies par la cour d’appel de Pau. Les demanderesses au pourvoi, qui étaient les trois sociétés intimées sur les deux déclarations de saisine, reprochaient à la cour d’appel de ne pas avoir retenu la caducité de la déclaration de saisine alors que l’avocat de l’appelant, déclarant-saisissant, s’était contenté de la notifier aux deux avocats constitués avant la réception de l’avis de fixation au lieu de la signifier aux parties. Quant à la troisième société qui avait constitué après l’avis de fixation, elle faisait grief à la cour d’appel d’avoir écarté la caducité alors que l’acte de saisine n’avait pas été signifié dans le délai de dix jours de la réception de l’avis de fixation mais avait été notifié à l’avocat des sociétés intimées qui s’était constitué le jour même de l’avis. La deuxième chambre civile rejette les deux moyens.

Dans le premier cas, elle juge que la cour d’appel ayant constaté qu’avant même la notification par le greffe de l’avis de fixation, l’avocat de l’appelant avait notifié la déclaration de saisine à l’avocat constitué pour les sociétés intimées, c’est par une exacte application de l’article 1037-1 du code de procédure civile qu’elle a retenu qu’il était dispensé de signifier la déclaration de saisine à ces deux sociétés, cette diligence étant devenue sans objet. Dans le second, elle estime que la cour d’appel ayant constaté que, dans les dix jours de la notification par le greffe de l’avis de fixation relatif à la seconde déclaration de saisine, l’avocat de l’appelant avait notifié cette déclaration à l’avocat que les sociétés avaient constitué le jour même de cet avis, c’est sans violer l’article 1037-1 du code de procédure civile qu’elle en a déduit que cette diligence le dispensait de signifier la déclaration de saisine aux sociétés, cette signification étant devenue sans objet.

On ne sait que trop, maintenant, quel sort est réservé à l’avocat de l’appelant, après qu’il a reçu l’avis du greffe d’avoir à signifier, lorsqu’il ne dénonce pas sa déclaration d’appel à l’avocat qui se constitue...

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Troubles de voisinage : création d’une clause incluse dans les actes authentiques de vente

« Dans les Côtes-d’Armor, la mer se retire trop loin »…

Voici les récents propos d’un acquéreur, qui pourraient presque faire sourire s’ils n’illustraient pas si bien le nombre croissant de situations incongrues, à l’origine de troubles de voisinage.

Ils traduisent un phénomène que veulent endiguer Olivier Arens, président de la chambre des notaires du Morbihan, et Patrice Faure, préfet de département, comme ils l’ont exposé le 22 octobre dernier, à l’occasion d’une conférence de presse consacrée à la présentation de leur fructueux partenariat.

Vivre à la campagne suppose l’acceptation, voire l’adhésion à un mode de vie, à une culture, parfois même à une tradition, expliquent-ils. Comme tout avantage a ses limites, il induit, en contrepartie et au nom du « vivre ensemble », d’éventuelles accommodations, que certains acquéreurs citadins, fraîchement arrivés, n’entendent visiblement pas souffrir bien longtemps après leur installation en province.

Las de la réception abondante de missives, de l’augmentation croissante des dépôts de plainte abusifs et déplorant d’une seule voix l’encombrement administratif et judiciaire qu’ils génèrent, Olivier Arens et Patrice Faure ont ainsi eu l’idée de créer une clause contractuelle, destinée à être insérée dans tout acte authentique portant sur une vente immobilière dans le département du Morbihan.

Expérimentée depuis juin 2020, elle vise à porter à la connaissance de l’acquéreur certaines informations relatives à la situation de l’immeuble et à son environnement immédiat, notamment aux activités professionnelles susceptibles d’occasionner des nuisances sonores, olfactives ou visuelles.

Deux propositions de loi, à l’examen, ont déjà été présentées à l’Assemblée nationale avec pour objets respectifs de « préserver les activités traditionnelles et usages locaux des actions en justice de voisins sensibles aux bruits et aux odeurs » (proposition de loi AN n° 2334, 16 oct. 2019) et « de définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises » (proposition de loi AN n° 2211, 11 sept. 2019, D. 2020. 757 image, note G. Leray image ; ibid. 1761, obs. Y. Strickler image ; JT 2020. 227. p. 3, obs. X. Delpech image ; AJCT 2020. 116, obs. M. Falaise image).

Toutefois, pour ses créateurs, la clause ne consiste pas à légiférer davantage : les textes en vigueur, disséminés dans plusieurs codes, s’avérant amplement suffisants (par ex., C. civ., art. 544, 1240 et 1241 ; CCH, art. L. 112-16 ; CSP, art. R. 1334-31).

Elle vise plus précisément à responsabiliser l’acquéreur de manière à ce qu’il prenne pleinement conscience de la portée de son achat ; il devra ainsi « déclarer avoir accompli toutes les diligences », « s’être entouré de toutes les informations nécessaires » et, enfin, « renoncer à exercer tout recours contre le vendeur à quelque titre que ce soit ».

Fortement ambitieux, cet objectif est d’autant plus actuel au regard de la crise sanitaire, qui est devenue déterminante dans l’achat impulsif de biens immobiliers se situant sur le littoral français.

Dès lors, en cas de litige, l’acquéreur ne pourra se prévaloir de son ignorance, comme ce fut le cas dans l’« affaire du coq Maurice » qui a marqué les esprits en devenant le symbole de ce type de conflits devenus récurrents entre ruraux et néoruraux (T. corr. Rochefort-sur-Mer, 5 sept. 2019, n° 11-19-000233, Dalloz actualité, 12 sept. 2019, obs. N. Kilgus ; AJDA 2020. 266 image ; D. 2020. 1183, obs. J.-M. Bruguière image).

Cette clause devrait donc avoir une fonction préventive, celle de limiter les recours contentieux.

En cas de saisine d’un juge judiciaire ou administratif, elle faciliterait également la preuve de l’anormalité d’un trouble, une théorie qui trouve son origine dans une jurisprudence de la Cour de cassation du 27 novembre 1844 (DP 1845. 1. 13) et qui est parfois appréciée différemment d’une juridiction à une autre.

Il est encore trop tôt pour se prononcer sur le succès de l’insertion de cette clause dans les contrats de vente immobilière et sur son application par d’autres départements, même s’il paraît difficile pour y parvenir de passer outre l’intervention du législateur.

De la difficulté de prouver une erreur sur les qualités substantielles

Avant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l’erreur sur les qualités substantielles apparaissait comme source de difficultés dans l’interprétation des vices du consentement. Expression empruntée à Pothier (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 261, n° 304), la qualité substantielle est celle qui détermine le consentement du contractant. Voici un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation qui permet d’explorer cette définition à travers un contentieux sur une « Table compas signée Jean Prouvé ». Génie du travail du métal, Jean Prouvé a laissé une empreinte assez forte dans le mobilier français, notamment utilitaire. On trouve donc fréquemment dans les ventes aux enchères des tables ou des fauteuils signés par l’artiste qui se vendent à prix d’or. Les faits témoignent d’un contentieux assez long puisque l’affaire a déjà donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation (Civ. 1re, 10 déc. 2014, n° 13-24.043, JAC 2015, n° 22, p. 12, obs. P. Henaff image). En l’espèce, une maison de vente aux enchères assigne l’acquéreur de plusieurs lots afin que soit reconnue judiciairement la vente. L’acquéreur demande reconventionnellement la nullité ou à défaut la résolution pour défaut de paiement et défaut de délivrance outre la restitution des sommes versées. Sur le lot qu’il restait après l’arrêt rendu par la Cour de cassation (précisément, cette table en question), une expertise est ordonnée pour déterminer s’il s’agissait d’une véritable pièce signée Jean Prouvé. La table se révèle finalement bien authentique et la cour d’appel de Versailles refuse de voir une erreur sur les qualités substantielles dans la simple qualité du bois formant le plateau de la table. L’acquéreur sollicitait, en effet, la nullité car ce plateau n’était pas en chêne mais en « bois plaqué chêne ». La cour d’appel déboute également l’acquéreur de sa demande de dommages-intérêts adressée au vendeur. Le catalogue mentionnait, en effet, un plateau en chêne et l’acheteur souhaitait obtenir réparation du préjudice subi de cette mauvaise information. Mais celui-ci n’étant pas prouvé pour les juges du fond, il n’a pas été indemnisé. L’acquéreur se pourvoit donc en cassation. La Haute juridiction rejette le pourvoi assez sèchement et nous allons analyser les deux enseignements principaux de l’arrêt.

D’une part, la Cour de cassation refuse l’argumentation du demandeur au pourvoi reposant sur la qualité du bois pour démontrer une erreur sur les qualités substantielles. La question au centre de cette difficulté repose sur la volonté de l’acquéreur. Voulait-il acheter une table compas signée Jean Prouvé ou une table avec un simple plateau en chêne ? On peine un peu à comprendre l’argumentation du demandeur, en réalité. L’œuvre de Jean Prouvé repose grandement (mais pas seulement, certes) sur le travail du métal et comme le note l’arrêt d’appel, c’est le « piétement » qui fait toute l’originalité du bien en question ; le plateau étant moins caractéristique que les pieds. Une seconde difficulté reposait sur des restaurations éventuelles. Nous avons déjà étudié dans l’arrêt rendu le même jour (Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-10.536, D. 2020. 2119 image) l’importance de ces rénovations qui doivent être inscrites par le commissaire-priseur dans le catalogue. Mais dans cette espèce analysée aujourd’hui, elles n’étaient pas prouvées et elles reposaient essentiellement sur des hypothèses de l’acquéreur. Elles ne peuvent donc pas induire une erreur sur les qualités substantielles. Que penser donc de cette erreur sur le bois de la table ? Le matériel utilisé pour une table peut aisément être une qualité substantielle, déterminante pour le consentement. Mais ici, la cour d’appel note que le plateau était « conçu pour être changé ». C’est donc bien la preuve que la table était originale pour un autre point que le plateau précisément. Ainsi, l’acquéreur ne pouvait pas avoir fixé son consentement sur ce seul élément précis. La recherche factuelle menée par la cour d’appel conduit à rejeter la nullité. La qualité substantielle de la table n’était pas liée à la qualité du bois mais bien à son authenticité ; ce qui explique également le point suivant.

D’autre part, la Cour de cassation tranche une question au sujet des dommages-intérêts réclamés par l’acquéreur contre le vendeur dudit lot. Ce problème provient tout droit de l’inexactitude du catalogue qui a confondu « chêne » avec « plaqué chêne ». On retrouve ici le lien avec l’authenticité de la table. Cette « table compas » avait un prix estimé entre 35 000 et 45 000 € et les enchères ont quasiment été doublées puisque l’acquéreur a payé 80 000 €. Si le bois avait été si déterminant, l’acheteur aurait pu peut-être privilégier une table moins onéreuse. Cette question est donc assez rapidement évacuée par la Cour de cassation puisqu’aucun préjudice n’est prouvé du défaut dans la mention du catalogue. Il y a ici une appréciation souveraine des juges du fond en la matière qui doit être accueillie avec bienveillance. Pas de préjudice, pas de réparation. Reste à évoquer un problème autour de la prescription, lui aussi rejeté puisque comme le note la Cour « l’exigence du rappel de la mention du délai de prescription de cinq ans dans la publicité à laquelle donnent lieu les ventes aux enchères publiques ayant été posée à l’article L. 321-17 du code de commerce par la loi n° 2011-850 du 20 juillet 2011 » n’imposait aucun contrôle supplémentaire à la cour d’appel. L’action en dommages-intérêts contre la maison de vente aux enchères était donc prescrite quant à elle. Mais, quoiqu’il arrive, le préjudice n’était pas plus prouvé que contre le vendeur. Ceci n’appelle pas de remarques particulières à notre sens puisque les points faisant difficulté ont déjà été évoqués.

Cet arrêt aura pour principal enseignement de rappeler la délicate preuve de la qualité substantielle. Entre différentes qualités en concours pouvant être jugées substantielles, ce sont les seuls faits qui permettent de trancher. Ici, entre l’authenticité « Jean Prouvé » et la qualité du bois composant le plateau, c’est la première qui a emporté la conviction des juges du fond. Mais seule l’appréciation souveraine permet d’aller si loin dans le détail pour savoir ce qui a déterminé le consentement de l’acquéreur. Une précision connue mais toujours utile à rappeler.

Le profit subsistant en cas d’aliénation partielle

Le régime des récompenses est décidément un terrain propice à la cassation. Il faut avouer que l’article 1469 du code civil contient assez peu d’informations sur les méthodes de calcul du profit subsistant. Tout au plus indique-t-il que ce profit se détermine « sur » le bien concerné, c’est-à-dire en prenant sa valeur comme base de calcul. Il demeure que l’opération mathématique permettant de chiffrer l’enrichissement réellement procuré à la masse débitrice n’est pas précisé, comme s’il allait de bon sens. S’il est vrai qu’une logique arithmétique conduit aisément à la solution correcte, force est de constater que les juges du fond peinent régulièrement à la maîtriser. La Cour de cassation veille au grain et les solutions qu’elle énonce sont, en la matière, d’une parfaite orthodoxie juridique (elle ne se montre malheureusement pas aussi irréprochable dans son rôle de gardien que dans celui d’interprète de la règle de droit ; elle a refusé de censurer une décision d’appel retenant une méthode de calcul de profit subsistant qu’elle reconnaissait pourtant comme parfaitement erronée, v. Civ. 1re, 7 nov. 2018, n° 17-26.149, Dalloz actualité, 18 déc. 2018, obs. Q. Guiguet-Schielé ; D. 2018. 2185 image ; AJ fam. 2019. 99, obs. J. Casey image ; LEFP janv. 2019, n° 111u9, p. 6, note N. Peterka ; JCP N 2019. 1182, comm. A. Karm ; ibid. 1183, comm. X. Guédé ; Dr. fam. 2019. Comm. 10, obs. A. Tani ; Gaz. Pal., 2 avr. 2019, n° 346n3, p. 64, note S. Deville).

L’arrêt sous commentaire s’inscrit pleinement dans cette tendance. La Cour corrige une erreur commise par les juges du fond au terme d’une décision qui n’invite nullement à la critique mais qui se révèle pédagogiquement très précieuse et illustre une fois encore l’imprécision regrettable des textes en la matière.

En l’espèce, deux époux mariés en 1947 sans contrat de mariage sont respectivement décédés les 30 mars 1979 et 7 mai 1999. Un litige est apparu entre leurs héritiers dans le cadre des opérations de liquidation et partage de la communauté. L’un d’eux contestait le montant d’une récompense due par l’un des époux à la masse commune. La communauté avait en effet contribué partiellement au financement d’un bien propre, mais ce bien avait par la suite été en partie vendu. Cet enrichissement de la masse propre ouvrait droit à récompense au profit de la communauté sur le fondement des articles 1416 et 1437 du code civil. La contestation ne portait pas tant sur le principe du droit à récompense (il était acquis que l’époux avait « tiré un profit personnel des biens de la communauté » au sens de l’article 1437 du code civil) que sur l’évaluation de son montant. Dans un arrêt du 3 juillet 2018, la cour d’appel de Riom avait calculé la récompense en retenant la dépense faite, alors même qu’il s’agissait d’une dépense d’acquisition qui, conformément à l’alinéa 3 de l’article 1469 du code civil, doit être évaluée d’après le profit subsistant. Les juges du fond justifiaient leur décision, d’une part, au regard de l’aliénation partielle du bien avant la date de liquidation de la communauté, d’autre part, en raison d’une impossibilité de calculer le profit subsistant au prorata de la valeur totale du bien.

Sans surprise, le moyen du pourvoi reprochait à la décision d’appel de ne pas avoir fixé la récompense au profit subsistant, lequel aurait dû se calculer en proportion de la contribution de la communauté au financement de l’exploitation propre.

La Cour de cassation était ainsi invitée à préciser le mode de calcul de la récompense dans l’hypothèse où le bien acquis a été partiellement aliéné avant la liquidation du régime, ce qui la conduisait à répondre successivement à deux questions. D’une part, la récompense doit-elle être égale à la dépense faite ou au profit subsistant ? D’autre part, si la récompense est égale au profit subsistant, comment celui-ci se calcule-t-il ?

La première chambre civile procède à une cassation partielle avec renvoi aux visas des alinéas 1 et 3 de l’article 1469 du code civil et, incidemment, de l’article 4 du code civil. Elle considère que les juges du fond ont violé le premier texte en fixant la récompense à la dépense faite et le second en rejetant la demande au motif que l’expert n’était pas en mesure de délivrer les informations relatives à la valeur du bien au jour de la liquidation (ainsi le déni de justice s’ajoutait-il à l’erreur de droit). Les deux questions posées trouvent dès lors une réponse claire.

Dépense faite ou profit subsistant ?

Les juges du droit ne répondent qu’implicitement à la question de savoir si la récompense doit être égale à la dépense faite ou au profit subsistant lorsque le bien a été en partie aliéné avant la liquidation du régime matrimonial. La solution n’en est pas moins très claire et parfaitement ferme. Il ne faut voir dans cette absence de précision qu’une économie d’effort rendue possible par l’évidence de la réponse. La décision d’appel est cassée notamment au visa de l’alinéa 3 de l’article 1469 du code civil qui énonce en premier lieu que la récompense ne peut être inférieure au profit subsistant lorsque la valeur empruntée a servi « à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur ». En l’espèce, il s’agissait d’une dépense d’acquisition, cependant le bien avait en partie été aliéné. Les juges du fond en ont tiré argument pour rejeter l’application du texte : « L’exception prévue par l’alinéa 3 de l’article 1469 du code civil ne peut recevoir application lorsque le bien acquis a été partiellement aliéné avant la date de la liquidation de la communauté et ne se retrouve pas intégralement dans le patrimoine propre du mari » (§ 9).

On conçoit le malaise de la cour d’appel face à cette situation qui n’est pas spécifiquement réglée par l’article 1469 du code civil. Cependant, l’obstacle n’est en rien insurmontable. D’abord, l’aliénation du bien avant la liquidation n’exclut pas en elle-même l’application de l’alinéa 3 du texte. Elle invite uniquement à cristalliser le profit subsistant au jour de l’aliénation, de sorte que le nominalisme doit ainsi prendre le relai du valorisme (« L’aliénation du bien avant la liquidation fixe le montant de la dette de valeur », in Rép. civ., v° Communauté légale : liquidation et partage, par B. Vareille, n° 370). D’ailleurs, l’alinéa 3 fournit des explications sur le mode de détermination du profit subsistant en pareille hypothèse, preuve que le maintien du bien dans le patrimoine n’est pas une condition de l’exception postulée.

Ensuite, rien ne permet de considérer qu’une aliénation partielle exclut la règle selon laquelle la récompense ne peut être inférieure au profit subsistant. L’alinéa 3 de l’article 1469 du code civil ne distingue pas entre les cas dans lesquels le bien se retrouve en totalité dans la masse emprunteuse et ceux où il n’y subsisterait qu’en partie. Par conséquent, la cour d’appel ne pouvait, au vu de cette simple nuance, retenir que la récompense s’évaluait d’après la dépense faite. La règle doit s’interpréter largement, en conformité avec son esprit et par-delà l’étroitesse de sa lettre : ce qui justifie que le profit subsistant prévale n’est pas tant le maintien de tout ou partie du bien dans la masse emprunteuse que l’incarnation de la valeur empruntée dans un bien. En d’autres termes, pour que l’exception prévue par l’alinéa 3 de l’article 1469 du code civil reçoive application, il faut mais il suffit d’être en présence d’une dépense d’acquisition, d’amélioration ou de conservation d’un bien. La subsistance du bien dans la masse emprunteuse n’influe que sur la méthode de calcul du profit subsistant, non sur sa prévalence. Dans cette affaire, c’est essentiellement cette méthode qui a posé difficulté à la cour d’appel et c’est sans doute ce qui l’a orienté vers une solution plus simple mais parfaitement erronée.

Comment calculer le profit subsistant ?

L’alinéa 3 de l’article 1469 du code civil fournit en second lieu des indications sur la méthode de calcul du profit subsistant. Lorsque le bien se retrouve dans la masse emprunteuse au jour de la liquidation, la base de calcul du profit subsistant est constituée de la valeur de ce bien au jour de cette liquidation. Lorsque le bien a été aliéné sans être subrogé, il convient de retenir sa valeur au jour de l’aliénation (c’est-à-dire le prix lorsque le bien est aliéné à titre onéreux et la valeur du bien lui-même s’il a été aliéné à titre gratuit : v. B. Vareille, art. préc., n° 370). Lorsque le bien a été subrogé, le profit est évalué sur le nouveau bien.

Deux difficultés semblaient insurmontables aux juges du fond (§ 9). Non seulement la contribution de la masse commune ne constituait qu’une partie de la dépense d’acquisition (« le financement n’ayant été que partiel ») mais, de surcroît, le bien avait été aliéné, ce qui créait une incertitude quant à l’assiette sur laquelle devait être reportée la proportion de financement commun (« le profit subsistant ne peut être calculé au prorata de la valeur totale du bien »). C’est donc bien l’inaptitude des juges à calculer le profit subsistant qui les a conduits à privilégier la dépense faite.

La Cour de cassation remet les choses en ordre et expose la méthode à retenir en pareille circonstance (§ 8). Il convient d’abord de déterminer la proportion dans laquelle la masse prêteuse a contribué au financement du bien (« la proportion dans laquelle les fonds empruntés à la communauté ont contribué au financement de l’acquisition du bien propre »). Ce taux se détermine assez logiquement au jour de la dépense : la communauté a-t-elle payé 25 % du bien ? 50 % ? 75 % ?

Il convient ensuite d’appliquer cette proportion sur l’assiette idoine. En l’espèce, l’assiette ne peut être la valeur totale du bien puisqu’une partie en avait été aliénée, de sorte qu’elle ne pouvait être considérée comme ayant continué de profiter à la communauté (« le profit subsistant doit traduire fidèlement l’avantage réellement procuré au fonds emprunteur », in B. Vareille, art. préc., n° 371). Il faut en réalité retenir une double assiette dans la mesure où ce qu’il reste du profit retiré par la communauté se présente alors sous deux aspects : la partie non aliénée du bien acquis et le prix de vente de la partie aliénée. Il s’agit donc d’appliquer le taux de contribution commune « respectivement au prix de vente de la portion du bien aliénée et à la valeur au jour de la liquidation de l’autre portion du bien ». En d’autres termes, il convient de faire une application distributive d’un principe et d’une exception. Le principe consiste à calculer le profit subsistant sur la base du bien acquis s’il n’a pas été aliéné : cette règle doit s’appliquer sur la partie du bien qui n’a pas été vendue. L’exception consiste à calculer le profit subsistant sur la base de la valeur du bien aliéné et non subrogé au jour de cette aliénation : cette règle doit s’appliquer sur le prix résultant de la vente d’une partie du bien.

Il convient enfin d’additionner les deux sommes ainsi obtenues. Dans tous les cas, et c’est un autre rappel utile de l’arrêt, le juge ne peut refuser de juger sous prétexte que le rapport d’expertise ne fournit pas les éléments suffisants (§ 13).

Illustrons par l’exemple. Soit une communauté ayant abondé à hauteur de 20 000 € dans l’acquisition d’un bien propre valant 60 000 €. Imaginons qu’une partie du bien soit vendue avant la liquidation du régime matrimonial pour 12 000 €. La partie restante est estimée 90 000 € au jour de la liquidation.

S’agissant d’une dépense d’acquisition, la récompense ne peut être inférieure au profit subsistant. Celui-ci se calcule en trois étapes. La première consiste à déterminer la proportion de financement commun dans l’opération d’acquisition, en se plaçant au jour de cette acquisition. Dans notre exemple, la proportion est de 20 000 / 60 000, soit 1/3.

La deuxième étape consiste à appliquer cette proportion sur deux assiettes : le prix de vente (au jour de l’aliénation) et la valeur de ce qu’il reste du bien (au jour de la liquidation). Soit, pour la première assiette : 1/3 x 12 000 = 4 000 € ; et pour la seconde : 1/3 x 90 000 = 30 000 €.

Il ne reste plus, en guise d’ultime étape, qu’à additionner ces sommes. Le profit subsistant est alors égal à 4 000 € + 30 000 € = 34 000 €.

L’opération n’a rien de sorcier mais il est clair qu’elle n’est jamais énoncée explicitement par les textes. La cassation ici réalisée est l’occasion de rappeler les lacunes de l’article 1469 du code civil qui est dédié à l’arbitrage entre dépense faite et profit subsistant mais ne fournit que peu d’indications sur leurs définitions et sur leurs modes calcul. Il est notamment regrettable que rien ne soit expliqué de la fondamentale différence d’approche selon que la dépense est d’acquisition (la base de calcul est alors la valeur du bien) ou d’amélioration ou de conservation (il est nécessaire de déterminer l’augmentation de la valeur du bien). Ces imprécisions font du profit subsistant une question assez redoutée des juristes, des bancs de l’université aux prétoires en passant par les offices notariaux. Sans doute serait-il pertinent de réfléchir à la conception d’un droit commun du profit subsistant (car cette notion se retrouve aussi en matière d’indivision, d’accession, de créances entre époux et partenaires et d’enrichissement injustifié). À l’heure de la modernisation et de la simplification du droit, il ne paraît pas anachronique d’appeler à une meilleure lisibilité du droit liquidatif. La charge de travail de la Cour de cassation s’en trouverait allégée.

Procès civil et décès en cours de délibéré : à qui notifier le jugement ?

La Cour de cassation s’est prononcée sur une question inhabituelle pour laquelle le code de procédure civile n’apporte pour l’heure aucune solution.

En l’espèce, une affaire plaidée devant un tribunal de commerce est mise en délibéré. Pendant le cours du délibéré, le défendeur décède sans que le demandeur, la banque, ou le tribunal n’en soient informés.

Un jugement condamnant le défunt est prononcé le 14 juin 1996 puis signifié au dernier domicile connu de ce dernier le 14 octobre 1996.

Quelques années plus tard, une société de titrisation venant aux droits de la banque tente de poursuivre l’héritier du défendeur et lui fait signifier le jugement par acte du 18 septembre 2017, ce qui provoque immédiatement le dépôt d’une déclaration d‘appel par ce dernier le 17 octobre 2017.

L’appel est déclaré irrecevable au motif que le délai d’appel avait régulièrement couru lors de la première signification faite au défunt le 14 octobre 1996.

Saisie d’un pourvoi à l’encontre de cet arrêt, la Cour de cassation est amenée à se prononcer sur les effets de la notification d’un jugement faite à une partie décédée après la clôture des débats.

Les effets du décès sur l’instance lorsqu’il survient après l’ouverture des débats

Le décès, lorsqu’il survient après l’ouverture des débats, est dépourvu d’effet. En effet, il ressort des dispositions de l’article 371 du code de procédure civile que l’instance n’est pas interrompue si l’ événement survient ou est notifié après l’ouverture des débats. Dès lors, le jugement rendu en présence d’une partie décédée en cours de délibéré est parfaitement régulier (Civ. 2e, 19 mai 1980, n° 78-15.727 P, Gaz. Pal. 1980. 2. 622, note Viatte ; D. 1982. IR 169, obs. Julien ; RTD civ. 1981. 211, obs. R. Perrot ; Civ. 3e, 28 sept. 2005, n° 04-16.183 P,  D. 2005. 2483, et les obs. image ; AJDI 2006. 200 image, obs. F. de La Vaissière image).

Se pose néanmoins la question de savoir comment procéder à la notification du jugement.

L’article 531 du code de procédure civile ne vise que la seule hypothèse du décès survenu postérieurement au prononcé au jugement : « s’il se produit, au cours du délai du recours, un change-ment dans la capacité d’une partie à laquelle le jugement avait été notifié, le délai est interrompu. Ce délai est également interrompu par l’effet du jugement qui prononce la sauvegarde, le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire dans les causes où il emporte assistance ou dessaisissement du débiteur. Le délai court en vertu d’une notification faite à celui qui a désormais qualité pour la recevoir. »

Aucune disposition légale ne règle la question de la notification du jugement à l’encontre d’une partie décédée pendant le cours du délibéré.

La solution de la Cour de cassation

La Cour de cassation, au visa des articles 370, 371 et 531 du code de procédure civile ainsi que de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, décide d’étendre les effets de l’article 531 au jugement régulièrement rendu à l’encontre d’une partie décédée.

Par combinaison des textes susvisés, la Haute juridiction considère « qu’en cas de décès d’une partie après la clôture des débats, le délai d’appel, ouvert aux héritiers, ne court qu’à compter de la notification qui leur est faite de ce jugement ».

Elle casse ainsi l’arrêt rendu par la cour d’appel de Basse-Terre lequel avait déclaré l’appel formé par le fils du de cujus irrecevable, puisque « la notification du jugement à une partie qui était décédée ne faisait pas courir le délai de recours ».

Rappel pratique

Au-delà de la solution pragmatique de la Cour de cassation, cet arrêt offre l’occasion de revenir par ailleurs sur les effets du décès survenu en cours de procédure et avant l’ouverture des débats.

Deux actions doivent être distinguées : les actions non transmissibles, tel que le divorce, dans les-quelles le décès éteint l’action elle-même, et les actions transmissibles.

Le décès produit un effet interruptif d’instance dès sa notification (C. pr. civ., art. 370) au profit des seuls ayants droits du défunt (Civ. 1re, 9 déc. 1992, n° 90-14.208 P).

La reprise d’instance est volontaire, c’est-à-dire formulée par voie de conclusions. À défaut, elle peut l’être par voie de citation (C. pr. civ., art. 373).

Seule une reprise d’instance permet le prononcé d’un jugement régulier (C. pr. civ., art. 372).

À défaut de notification régulière, et de reprise d’instance, l’instance poursuivra son cours ce qui signifie d’une part que le délai de péremption continuera à courir, et, d’autre part, que le jugement sera rendu dans les mêmes conditions que lorsque l’événement survient postérieurement à l’ouverture des débats.

Mise en garde

Dans les procédures avec représentation obligatoire, il est vivement recommandé de procéder à la notification de l’acte de décès ou de l’acte de naissance faisant mention du décès aux avocats constitués, lequel doit également faire l’objet d’un dépôt au greffe.

Pour les parties ayant intérêt à poursuivre la procédure, il convient impérativement d’assigner les héritiers en reprise d’instance.

À défaut, aucun jugement ne pourra être prononcé tandis que le délai de péremption continuera à courir à l’encontre de ces seules parties (Civ. 2e, 4 févr. 1999, n° 96-19.479 P, D. 1999. 215 image, obs. P. Julien image).

Garantie des vices cachés (ventes successives) : prescription de l’action et application de la loi nouvelle

Malgré ses atours de décisions statuant exclusivement sur l’action en garantie des vices cachés, l’arrêt rapporté du 1er octobre 2020 pose davantage la délicate question de l’application dans le temps du délai butoir à cette action.

Par acte authentique des 18 décembre 1970 et 16 mai 1972, un couple avait fait l’acquisition de deux bungalows qu’il fit réunir en un seul immeuble. Depuis, ce bien a fait l’objet de plusieurs ventes, dont la dernière, conclue le 21 mai 2010, a été au cœur d’un épineux litige entre les vendeurs successifs et le dernier acheteur.

En effet, à la suite de la remise d’un rapport expertal concluant à l’existence de désordres rendant l’immeuble impropre à sa destination pour atteinte à sa solidité, celle-ci initia une action en garantie des vices cachés à l’encontre de chacun d’eux.

En cause d’appel, les juges du fond, dans un arrêt infirmatif, ont considéré que le jour de la naissance du droit devait être fixé au jour du contrat consacrant l’obligation à la garantie des vices cachés des premiers vendeurs. Ils jugèrent également que le report du point de départ du délai de la prescription au jour où l’acheteur avait eu connaissance du vice dans son ampleur ne pouvait avoir pour effet de porter la prescription au-delà de vingt ans à compter de la naissance du jour du droit. Et de déduire, que l’action qu’il avait engagée plus de vingt ans après la signature du contrat de vente était prescrite.

Dans son pourvoi en cassation, l’acheteur s’est prévalue de son opposition à la prise en compte, comme point de départ du délai de prescription, du jour de la conclusion du premier contrat de vente, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir fait courir ce délai à compter de l’apparition du dommage. Il contesta par ailleurs l’application des dispositions de l’article 2232 du code civil, opérée par les juges du fond, en...

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Saisie-attribution et transmission d’une créance : attention aux formalités

par Cédric Hélainele 23 novembre 2020

Civ. 2e, 22 oct. 2020, F-P+B+I, n° 19-19.999

L’arrêt présenté aujourd’hui revient sur les quelques hésitations existant autour de la transmission d’une créance ayant donné lieu à l’établissement d’une copie exécutoire à ordre (v. Rép. civ., v° Cession de créance, par C. Ophèle, n° 142). On sait que la loi n° 76-519 du 15 juin 1976 précise que les anciennes formalités de l’article 1690 du code civil avant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ne s’appliquaient pas à ces cessions particulières. Le contentieux porté devant la Cour de cassation tranche une question de formalité, celle de l’article 6 de la loi précitée lequel précise : « Le notaire signataire, en application de l’alinéa 2 ci-dessus, notifie l’endossement, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, au notaire qui a reçu l’acte ayant constaté la créance, au débiteur […] » (nous soulignons). Plus précisément encore, nous sommes au confluent du régime général de l’obligation et des procédures civiles d’exécution puisque des saisies-attributions avaient été réalisées par le cessionnaire. Rappelons brièvement les faits. Une banque cède le 23 avril 2015 à une société des créances qu’elle détenait sur une société civile immobilière (SCI) au titre de deux prêts consentis par acte notarié du 25 avril 2005 et du 22 avril 2006. Le 8 janvier 2016, deux actes d’endossement de la copie exécutoire des actes notariés ont été reçus par le notaire. Le 4 avril 2017 débutent plusieurs saisies-attributions à exécution successive entre les mains des locataires de la société débitrice. Celle-ci demande alors la mainlevée des...

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Requête à jour fixe : avec les conclusions, c’est mieux

Dans son rapport annuel de 2015, la Cour de cassation considérait que « le domaine et le régime du contredit apparaissent désormais poser plus de difficultés que ce dispositif ne comporte d’avantages par rapport à l’ouverture d’une voie de recours ordinaire ». Le législateur l’a entendu et, par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile, il a supprimé le contredit au profit d’un appel.

Mais là où la Cour de cassation suggérait que « l’instruction de cet appel devrait avoir lieu selon l’une des procédures d’appel accélérées : ainsi l’appel serait-il jugé suivant la procédure de l’article 905 du code de procédure civile, applicable au référé, voire selon la procédure à jour fixe si l’appelant l’estime nécessaire pour préserver ses droits », le décret a imposé une procédure à jour fixe.

La simplicité de la procédure de contredit et sa grande souplesse ont laissé place à un « appel-contredit » redouté par les avocats. Le législateur aurait voulu dissuader les plaideurs de faire appel de ce type de décisions qu’il ne s’en serait pas pris autrement. Et depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle procédure d’appel, le 1er septembre 2017, les avocats se heurtent à des difficultés de procédure qui alimentent la jurisprudence en la matière.

Dans le cadre d’un litige prud’homal, un conseil de prud’hommes s’est estimé incompétent au profit du tribunal du travail de Monaco.

Le salarié, mécontent de la décision, fait appel.

L’avocat qui représente la salariée comprend que l’appel relève de dispositions particulières, qui le fait échapper au circuit ordinaire. Il saisit donc le premier président… d’une demande de fixation prioritaire.

Le délégué du premier président requalifie cette demande de fixation prioritaire en demande d’autorisation à assigner à jour fixe et rend une ordonnance autorisant l’appelant à assigner.

L’appelant fait délivrer l’assignation à jour fixe.

L’intimé, qui ne se satisfait pas de cette demande de fixation prioritaire, conclut à titre principal à la caducité de l’appel pour non-respect par l’appelant de la procédure à jour fixe.

La caducité est écartée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui estime que c’est une « erreur de pure forme qui ne porte que sur les modalités de mise en œuvre de la procédure d’appel », et la cour infirme le jugement d’incompétence.

Sur pourvoi de l’employeur, l’arrêt est cassé et l’appel déclaré caduc.

Fixation prioritaire ou jour fixe ?

Si l’article 84, alinéa 2, du code de procédure civile renvoie à l’autorisation d’être assigné à jour fixe, il est également...

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Comment la Chancellerie tente d’aménager le travail à distance des greffiers

Critiquée pour son manque d’anticipation, la Chancellerie tente en urgence de rattraper son retard sur l’accès à distance informatique des greffiers du civil, privés pour la plupart de télétravail à cause des défaillances de la chaîne applicative Winci. Après avoir annoncé des premiers tests, le ministère de la Justice a annoncé, lundi 2 novembre, des résultats encourageants. 95 % des juridictions semblent être en effet en mesure de proposer un accès à distance au logiciel.

Cependant, les informaticiens de la Place Vendôme marchent sur des œufs avec cette fonctionnalité qui était naguère présentée comme impossible. « Pour garantir une montée en charge progressive de ce dispositif et pallier une éventuelle saturation du réseau », Paul Huber, le directeur des services judiciaires, dans un courrier du 30 octobre, a demandé aux chefs de cour de recenser une liste d’utilisateurs minimale et maximale. Au total, la direction des services judiciaires a reçu des demandes d’accès à distance pour 2 125 utilisateurs répartis dans 87 juridictions. Parmi eux, 1 225 utilisateurs, jugés prioritaires, vont obtenir, « à brève échéance », un accès à distance. On ignore cependant les modalités exactes du calendrier envisagé. Seconde évolution en cours, l’accès à distance à la messagerie personnelle depuis un équipement personnel, est désormais possible. Enfin, le ministère a indiqué avoir distribué la semaine passée 1 300 ordinateurs ultraportables, destinés en priorité aux greffiers, « un effort très substantiel ».

Les organisations syndicales du ministère de la Justice restent cependant circonspectes face à ces annonces. Le 5 novembre dernier, elles avaient déjà appelé en vain à la réactivation des plans de continuité d’activité, comme au printemps. « Le télétravail est une illusion. Pour la cour d’appel de Paris, on nous parle d’environ 150 utilisateurs qui seraient éligibles à l’accès à distance, alors que nous estimons qu’un millier de personnels du greffe doivent travailler sur Winci dans cette juridiction », explique à Dalloz actualité Hervé Bonglet, le secrétaire général de l’UNSA services judiciaires. « C’est une rustine », ajoute David Melison, trésorier adjoint de l’Union syndicale des magistrats. Et de s’inquiéter, dans sa juridiction, d’une présence quasi normale des personnels de greffe dans leurs bureaux malgré le confinement. « Ce sont eux qui travaillent en open space et qui ont plus de risques d’être contaminés par la covid-19, alors que leur part de travail non faisable à distance est évaluée à une petite moitié », souligne David Melison. Une situation de crise tempérée par le ministère, qui remarque la faible proportion d’agents des services judiciaires malades, 260 au 16 novembre, et l’impossibilité, pour de nombreux agents, de faire du télétravail pour leur mission principale, l’audience.

P. Rancé, [I]Les ennemis jurés. Juges et politiques[/I]

Une fois n’est pas coutume : peut-être faut-il dire un mot de l’homme avant d’évoquer son ouvrage. Pierre Rancé connaît son sujet. Il est un homme de la justice tout autant qu’un homme, pourrait-on écrire, de son livre, dans la mesure où nul n’avait meilleur poste d’observation que le sien, ces dernières années, pour évoquer les liaisons entre politique et justice, entre juges et hommes politiques. De ce fait, son ouvrage se révèle un précieux et passionnant témoignage de cet entrelacs bien embarrassant de notre époque contemporaine. En effet, Pierre Rancé est d’abord un spécialiste des affaires de justice, chroniqueur pour différents médias nationaux qui lui ont donné une fine connaissance des dossiers qu’il analysera ensuite. Mais il a aussi été le porte-parole de Christiane Taubira, à l’époque où elle était garde des Sceaux. Ainsi maîtrise-t-il les rouages de ce monde si complexe et notamment cette question, fonction de porte-parole oblige, des relations entre ces deux mondes qui devraient rester hermétiquement distincts dans une saine démocratie.

Ce n’est pourtant pas faute pour la magistrature de le souhaiter et de lutter pour son indépendance. Et Pierre Rancé commence fort, mais à juste titre. L’instrumentalisation de la justice par le pouvoir politique serait le fait de chaque gouvernement de la Ve République, une sorte de funeste « tradition historique » dont il faudrait faire remonter l’origine – et l’explication – à la conception du pouvoir judiciaire par la Constitution. Une phrase, évoquée ailleurs par l’auteur à propos de l’expression de « parquet », résume malheureusement bien cet état des choses : « comme quoi les habitudes ont la vie dure, surtout dans la justice » (p. 17). Mais cette situation n’est pas simple, loin s’en faut : elle aboutit, selon l’auteur, à ce que les tentatives de certains personnages politiques pour museler la justice, au cours de l’histoire récente, ont été légion, en dépit des efforts remarqués de beaucoup de magistrats pour tenter de s’émanciper de cette tutelle, sans que ceux-là même qui ont été à l’origine de telles pressions ne s’en émeuvent.

En posant les bases, pour bien comprendre les enjeux et les moyens de cette instrumentalisation, l’auteur rappelle quelques éléments mobilisés par le pouvoir politique et qui sont parfois oubliés, au profit de méthodes plus connues (c’est ce qui est, selon Pierre Rancé, en dessous de l’iceberg, p. 28). Ainsi, par exemple, l’instrumentalisation passe aussi par les ressources que l’on affecte à l’enquête. « L’intervention du politique pour empêcher les juges de travailler peut donc passer aussi par les moyens mis à la disposition de la justice » et, pour freiner une affaire, il suffit « d’atrophier le service de police chargé de l’enquête ». Il s’agit d’ « un soft power efficace dont personne ne parle, ou rarement » (p. 29).

Le livre de Pierre Rancé, qui se lit comme un thriller dont on peine parfois à croire qu’il est vrai, fait utilement le point sur une histoire du temps présent qui peut faire frémir. Les affaires emblématiques des trente dernières années sont relatées avec beaucoup de soin. On se souvient de la tentaculaire affaire Urba, qui a duré presque le temps d’une décennie, des HLM de Paris ou encore de ce procureur que l’on est parti chercher en hélicoptère, alors qu’il se trouvait en plein cœur du Népal, en haut de l’Himalaya. Ce qui fascine, à la lecture de l’ouvrage de Pierre Rancé, c’est cette impression d’irréel tant les ficelles sont grossières, tant les faits sont commis sans vergogne. Et pourtant, le récit n’est pas un mythe. Pierre Rancé a interrogé nombre des protagonistes des dossiers auxquels il s’est intéressé, donnant la voix à ces juges d’instruction qui ont tenté de s’opposer à la mainmise du politique, à des ministres, des avocats, des conseillers et autres experts ayant eu à intervenir dans ces affaires. Pierre Rancé, particulièrement bien informé, donne vie à tous ces dossiers qui doivent demeurer en tête comme autant de dérives qu’il convient d’éviter. Nombreux sont les personnages qui défilent sous sa plume et qui rappellent combien certains n’ont parfois éprouvé aucun scrupule à fouler allègrement les principes essentiels d’une justice saine et démocratique.

La justice est certes une institution collective, mais le juge d’instruction s’est retrouvé bien seul dans les dossiers que décrit l’auteur. Aujourd’hui, selon l’auteur, la situation a peut-être changé. Les relations entre politique et justice semblent avoir évolué. C’est toutefois au prix d’une sorte de « contournement ». Et à long terme, celui-ci pourrait s’avérer tout aussi néfaste.

Pierre Rancé, Les ennemis jurés. Juges et politiques, Robert Laffont, 2020.

De la précision de la motivation dans le rejet d’une mainlevée d’hospitalisation sans consentement

1. L’hospitalisation sans consentement repose en grande partie sur le certificat médical attestant de la nécessité de la mesure. Il s’agit de la pièce maîtresse de l’institution, véritable clef de voûte de tout ce mécanisme aussi subtil que complexe. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 15 octobre 2020 permet d’entrevoir les conséquences de cette subtilité sur la décision judiciaire elle-même. En l’espèce, une personne présente des troubles psychiatriques qui motivent son admission en alternant soins psychiatriques et soins ambulatoires selon un programme établi par un médecin. Le 7 décembre 2018, le Préfet décide une réadmission en soins psychiatriques de l’intéressé. La Cour de cassation est venue casser l’arrêt d’appel rejetant la nullité aux fins de mainlevée de la mesure, sans renvoi. Cet arrêt de la Cour de cassation a été étudié dans ces colonnes par Madame Peterka l’année passée, nous renvoyons donc le lecteur à son analyse (Civ. 1re, 21 nov. 2019, n° 19-17.941 F-P+B+I, Dalloz actualité, 5 déc. 2019, obs. N. Peterka ; D. 2019. 2304 image ; RTD civ. 2020. 73, obs. A.-M. Leroyer image). Le 27 janvier 2020 suivant, le Préfet maintient pour six mois le programme de soins décidé le 25 octobre 2019. Le 31 janvier, l’intéressé saisit le juge des libertés et de la détention (JLD) pour obtenir la mainlevée de la mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12-1...

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Déontologie en politique : la France est-elle la nouvelle Suède ?

Au début des années 2000, la déontologie était un concept exotique, réservé aux pays scandinaves. Des choses se sont progressivement mises en place. Un comité de déontologie au Sénat en 2009, puis un déontologue à l’Assemblée nationale. En 2013, le scandale Cahuzac a entraîné la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et imposé les déclarations de patrimoine et d’intérêts. En 2017, la loi Confiance, votée après une présidentielle marquée par l’affaire Fillon, a été une nouvelle brique à l’édifice.

Pour le directeur général de l’observatoire de l’éthique publique, Mathieu Caron, « jusqu’aux années 2000, nous avons traité les questions de probité des responsables publics sous un angle excessivement pénal. Cela a été un échec à double titre. D’abord, le faible nombre de peines de prison ferme a nourri le ressentiment d’une impunité des politiques. Ensuite, de nombreux écarts de nos politiques ne relèvent pas de la responsabilité pénale mais de la responsabilité politique, voire individuelle ». D’où l’intérêt de la déontologie, qui vise à introduire des questionnements et une autodiscipline des responsables. De la « morale en action ».

La technique du « copain de vestiaire »

Outre des inspirations britanniques ou canadiennes, la France étend souvent des institutions préexistantes. Ainsi, à la suite de l’affaire Cahuzac, l’ancienne commission de déontologie s’est muée en HATVP. Pour Baptiste Javary, qui a soutenu une thèse sur la déontologie parlementaire, « c’est ce qui explique cette focalisation sur les déclarations de patrimoine, une spécificité française ».

Par ailleurs, les instances déontologiques s’adaptent à leurs institutions. Alors que l’Assemblée a fait le choix d’un déontologue indépendant, le Sénat a mis en place un comité de déontologie composé d’un sénateur par groupe, au départ présidé par Robert Badinter. Pour un haut fonctionnaire parlementaire, « ce choix a été fait dans l’inconscient de chaque assemblée ».

Au Sénat, le comité fonctionne par consensus. « En deux ans, il n’y a qu’un ou deux votes, sur des sujets secondaires », nous explique son président, le sénateur LR Arnaud Bazin. Le président du Sénat Gérard Larcher prend au sérieux ce comité et demande aux groupes d’y envoyer des sénateurs ayant une certaine envergure. Pour Arnaud Bazin, « les membres transmettent à l’intérieur de leurs groupes les bonnes pratiques ». Un fonctionnement qui nous a été décrit par d’autres, comme la technique du « copain de vestiaire » : « si un sénateur adopte un comportement contestable, il sera recadré par un membre du comité. Si cela ne suffit pas, son président de groupe, voire le président du Sénat, interviendra ». L’institution est très consciente du risque de scandale et ne souhaite plus être entachée par un mouton noir.

L’Assemblée nationale, plus exposée médiatiquement et plus clivée politiquement, a fait le choix d’un déontologue extérieur. Depuis 2017, c’est Agnès Roblot-Troizier, professeure de droit public : « J’ai beaucoup plus de pouvoirs que mes prédécesseurs parce qu’il y a eu une volonté politique de renforcer mes missions. Cette volonté est liée à un contexte : l’affaire Fillon, puis la loi Confiance de 2017 qui lui a répondu. Certains députés ont bien compris l’intérêt du recours au déontologue et me sollicitent par anticipation pour s’assurer de leur respect des règles déontologiques : ce réflexe est particulièrement sain. »

Les recours à la déontologue, en effet, explosent. Sur sa première année, Agnès Roblot-Troizier avait été saisie à 1 467 reprises. Vingt fois plus que Noëlle Lenoir, cinq ans auparavant. Pour y faire face, la déontologue dispose de dix fonctionnaires, contre une seule auparavant. L’arrivée d’une nouvelle génération de députés, élus dans les suites de l’affaire Fillon, est une des explications. Mais le constat est identique au Sénat. Pour Arnaud Bazin, « il y a une forte appétence des nouveaux collègues. La déontologie entre dans les mœurs et dans l’esprit des parlementaires ».

Quand une députée doit rembourser ses frais de mandat

Spécificité de la France : déontologie et contrôle sont mélangés. Pour Sofia Wickberg, docteure en science politique, « la France donne une place prépondérante aux institutions de contrôle indépendantes et aux administrations, là où d’autres misent sur l’autorégulation. En Suède, la pression du groupe parlementaire est centrale. On me disait souvent qu’il ne fallait pas embarrasser le groupe ». En France, les groupes parlementaires sont faibles et excluent rarement leurs membres mis en examen.

Le plus bel exemple de ce tropisme français pour les administrations de contrôle est la HATVP. Créée en 2013, elle a, en cinq ans, saisi 73 fois la justice. Elle a aussi saisi le parquet national financier pour dix-huit parlementaires, dont Jean-Christophe Cambadélis ou Thierry Solère en raison de l’utilisation de leur enveloppe de frais de mandat, avant 2017. Car s’il n’existait alors pas de règles internes sur ces enveloppes (ou sur les collaborateurs familiaux fictifs), le droit pénal punit tout détournement à des fins d’enrichissement personnel. Instaurer des règles internes protège du pénal. Ce que confirme Arnaud Bazin : « Je dis toujours aux collègues qu’il vaut mieux un comité de déontologie plutôt que de se retrouver dans des situations délicates devant la HATVP. »

Quand il a fallu instaurer un contrôle des frais de mandat en 2017, le législateur l’a confié aux instances déontologiques. Le résultat d’un long combat. Comme le rappelle la déontologue : « À l’origine, l’IRFM [indemnité représentative de frais de mandat, ndlr] était perçue comme un complément de salaire, sans contrôle. D’où des pratiques qui aujourd’hui choquent. »

Même si 2019 a été une année d’apprentissage, les deux assemblées tirent un bilan positif de ce contrôle. Au Sénat, trente-cinq experts-comptables ont travaillé pendant trois mois et aucun signalement n’a été fait au bureau. Difficile d’en savoir plus sur les parlementaires épinglés. Les instances déontologiques cultivent le secret et la seule source d’information est le rapport annuel. Toutefois, à l’Assemblée nationale, selon nos informations, une députée de l’opposition a vu son compte refusé et doit rembourser 30 000 €. D’autres députés ont dû rembourser certaines dépenses insuffisamment justifiées.

Quand la déontologie se noie dans le sirop

Mais parfois la déontologie hoquette. Ainsi, la HATVP, après un premier mandat de Jean-Louis Nadal tonitruant, se fait plus discrète depuis quelques mois. Elle doit digérer de nombreuses réformes, dont le contrôle du lobbying et du pantouflage des fonctionnaires. Son collège a été complété avec difficulté, plusieurs personnalités refusant de l’intégrer. D’autant que les membres du collège sont, comme les ministres, strictement contrôlés, ce qui a posé problème à certains d’entre eux dans le passé.

Autre exemple de la digestion lente des nouvelles règles : l’affaire des sirops Monin. Fin 2019, le député François Cormier-Bouligeon avait posé à la buvette avec des bouteilles de sirop Monin, produit de sa circonscription. Or l’article 5 du code de déontologie est clair : les députés « s’abstiennent d’utiliser les locaux ou les moyens de l’Assemblée pour promouvoir des intérêts privés ». La déontologue a donc logiquement saisi le bureau. Mais plutôt qu’un simple rappel à la règle, ce dernier a considéré « qu’en l’absence de conflit d’intérêts, il n’y avait pas lieu à statuer ». Une interprétation très libre de la règle et un désaveu pour la déontologue. Pour Agnès Roblot-Troizier, « il y a eu, selon moi, une forme d’incompréhension de la règle. De mon point de vue, le bureau a envoyé un mauvais signal ».

Une tension fréquente entre déontologue et organe de sanction. Pour Baptiste Javary, « même au Canada ou au Royaume-Uni, c’est le Parlement qui sanctionne. Et ils déjugent parfois le déontologue. Après, dans les pays qui fonctionnent avec un comité de déontologie, il n’est pas toujours facile de réprimander un collègue. Alors que la déontologue, indépendante, n’a rien à craindre ». Une indépendance qu’Agnès Roblot-Troizier revendique : « Il faut une certaine indépendance pour exercer les fonctions d’un déontologue. Il m’est parfois opposé le fait que, n’étant pas élue, je connaîtrais mal le quotidien d’un député. Mais j’échange régulièrement avec les députés et j’ajouterais, de manière imagée, qu’un médecin n’a pas besoin d’avoir été malade pour poser un diagnostic. Une trop forte proximité peut également nuire. »

La France n’a plus à rougir

La France est-elle devenue un pays scandinave ? Pas encore. Pour Elsa Foucraut, de Transparency International : « Nous sommes à un état encore immature, il y a une vraie progression de la déontologie dans toutes les sphères, mais les acteurs sont encore dans une démarche de gestion du risque : ils saisissent le déontologue d’abord pour se protéger, plus dans une démarche de questionnement. La déontologie continue de faire peur. » Pour Sofia Wickberg : « Je ne dirai pas que la France est en retard aujourd’hui. Mais les règles sont encore récentes, et il y a besoin de les intérioriser, comme dans les pays où elles existent depuis cinquante ans. »

Ce que confirme Agnès Roblot-Troizier : « Chaque pays a fait avancer la déontologie en fonction de ses affaires. Nous ne sommes pas au bout et nous cherchons encore les bons instruments. Mais nous n’avons plus à rougir de notre situation si on se compare aux autres pays. » Une avancée qui pourra répondre à la crise de confiance envers les politiques ? Pour la déontologue : « L’antiparlementarisme actuel est très inquiétant. Porter un discours rassurant sur l’honnêteté des parlementaires, comme je le fais, est inaudible. Mais, à la différence de certains, je ne pense pas que la déontologie et la transparence soient une source de cet antiparlementarisme. En revanche, elles répondent à l’augmentation de la demande citoyenne souhaitant des élus irréprochables. »

GPA et adoption de l’enfant du conjoint : la Cour de cassation enfonce le clou

Les faits des espèces ayant donné lieu à deux arrêts de la première chambre civile du 4 novembre 2020 (pourvois nos 19-15.739 et 19-50.042) sont désormais assez classiques. Dans les deux cas, un homme de nationalité française se rend dans un pays étranger autorisant la gestation pour autrui – Mexique dans l’une des affaires, Inde dans l’autre – pour recourir aux services d’une mère porteuse. Il établit son lien de filiation à l’égard de l’enfant puis fait transcrire l’acte de naissance étranger sur les registres de l’état civil français. Dans les deux cas, c’est le point important ici, aucune filiation maternelle ne figure sur les actes transcrits. Enfin, l’époux du père demande à adopter plénièrement l’enfant de son conjoint.

Les deux affaires ont été portées devant la cour d’appel de Paris. Dans les deux cas, la cour d’appel, s’alignant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, a rappelé que le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne faisait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption si les conditions légales de celle-ci en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant. Les juges ont ensuite considéré que tel était le cas uniquement dans la seconde affaire.

En effet, dans l’arrêt n° 641 (pourvoi n° 19-15.739), la cour d’appel a refusé de prononcer l’adoption au motif que rien ne permettait « d’appréhender les modalités selon lesquelles la femme ayant accouché de B… aurait renoncé de manière définitive à l’établissement de la filiation maternelle et qu’il en est de même du consentement de cette femme à l’adoption de l’enfant, par le mari du père ». Les juges ont alors estimé que, dans ces conditions, il ne pouvait « être conclu que l’adoption sollicitée, exclusivement en la forme plénière et avec les effets définitifs qui s’attachent à cette dernière, soit conforme à l’intérêt de l’enfant, qui ne peut s’apprécier qu’au vu d’éléments biographiques suffisants » concernant la mère. Le conjoint du père s’est pourvu en cassation. La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel au visa des articles 16-7, 353, alinéa 1er, 345-1, 1°, et 47 du code civil. Pour la haute juridiction, il résulte de ces textes que le droit français n’interdit pas le prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui et que l’acte de naissance de l’enfant, qui ne fait mention que d’un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l’absence de tout élément de fraude. Aussi, la cour d’appel aurait dû rechercher si les documents produits ne démontraient pas que l’acte de naissance, comportant le seul nom du père, était conforme à la loi de l’État de Tabasco (Mexique), de sorte qu’en l’absence de lien de filiation établi avec la femme ayant donné naissance à l’enfant, l’adoption plénière était juridiquement possible et qu’elle a donc privé sa décision de base légale au regard des textes visés.

Au contraire, dans l’arrêt 642 (pourvoi n° 19-50.042), la cour d’appel a prononcé l’adoption après avoir relevé que le père de l’enfant et son époux avaient versé aux débats le contrat de gestation pour autrui conclu entre le père, d’une part, et la mère porteuse et son époux, d’autre part. Ici, c’est le procureur général près la cour d’appel qui s’est pourvu en cassation. Selon lui, « l’acte d’état civil doit comporter le nom de la mère qui accouche afin qu’il soit conforme à la “réalité” au sens des dispositions de l’article 47 du code civil ». Ainsi, selon le pourvoi, « en refusant de considérer que l’acte de naissance de l’enfant qui omet de mentionner la filiation maternelle est irrégulier en droit français, la cour d’appel de Paris a violé l’article susmentionné ». La Cour de cassation, après avoir rappelé ici aussi les articles 16-7, 345-1, 1°, et 47 du code civil, auxquels est ajouté l’article 370-3 du même code relatif aux conditions de l’adoption, approuve la cour d’appel d’avoir déclaré que « le droit français n’interdit pas le prononcé de l’adoption par l’époux du père de l’enfant né à l’étranger de cette procréation lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui et que l’acte de naissance de l’enfant, qui ne fait mention que d’un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l’absence de tout élément de fraude ». Elle retrace ensuite l’évolution du droit indien reconstitué par la cour d’appel pour en conclure qu’à l’époque des faits, l’acte de naissance dressé sans le nom de la mère avait été établi « conformément aux dispositions de la législation indienne et qu’il ne saurait donc être reproché au requérant un détournement ou une fraude ». Elle en conclut qu’ainsi, la cour d’appel avait exactement déduit de ces diverses constatations que l’acte de naissance de l’enfant avait été régulièrement dressé en application de la loi indienne et qu’en l’absence de filiation maternelle établie en Inde, l’adoption de l’enfant par l’époux du père était légalement possible.

Pour comprendre quels sont les enseignements à tirer de ces deux arrêts, il convient de brosser à grands traits la fulgurante évolution de la position de la Cour de cassation en matière de gestation pour autrui, en particulier ces dernières années.

On se souvient à peine que, dans un passé fort fort lointain, la Cour de cassation avait, avant même le législateur, condamné fermement le recours à la gestation pour autrui (Cass., ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20.105, D. 1991. 417 image, rapp. Y. Chartier image ; ibid. 318, obs. J.-L. Aubert image, note D. Thouvenin image ; ibid. 1992. 59, obs. F. Dekeuwer-Défossez image ; RFDA 1991. 395, étude M. Long image ; Rev. crit. DIP 1991. 711, note C. Labrusse-Riou image ; RTD civ. 1991. 517, obs. D. Huet-Weiller image ; ibid. 1992. 88, obs. J. Mestre image ; ibid. 489, étude M. Gobert image). On sait aussi comment, sous la pression de l’augmentation de la stérilité, du développement du tourisme procréatif et, surtout, d’une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 26 juin 2014, Mennesson c. France, req. n° 65192/11, Dalloz actualité, 30 juin 2014, art. T. Coustet ; AJDA 2014. 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen image ; D. 2014. 1797, et les obs. image, note F. Chénedé image ; ibid. 1773, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon image ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; ibid. 1806, note L. d’Avout image ; ibid. 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; ibid. 1007, obs. REGINE image ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2014. 499, obs. B. Haftel image ; ibid. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RDSS 2014. 887, note C. Bergoignan-Esper image ; Rev. crit. DIP 2015. 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon image ; ibid. 144, note S. Bollée image ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser image ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud image ; JCP 2014, n° 877, obs. A. Gouttenoire), la Cour de cassation a finalement accepté de faire produire des effets à une telle convention en admettant la transcription sur les registres français de l’état civil de l’acte de naissance indiquant la paternité du père biologique de l’enfant dès lors que rien dans l’acte ne laissait présumer qu’il soit irrégulier, falsifié ou que les faits qui y étaient déclarés ne correspondent pas à la réalité conformément à l’article 47 du code civil (Cass., ass. plén., 3 juill. 2015, nos 14-21.323 et 15-50.002, Dalloz actualité, 7 juill. 2015, obs. R. Mésa ; D. 2015. 1819, obs. I. Gallmeister image, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon image ; ibid. 1481, édito. S. Bollée image ; ibid. 1773, point de vue D. Sindres image ; ibid. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 857, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 915, obs. REGINE image ; ibid. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2015. 496 image ; ibid. 364, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; Rev. crit. DIP 2015. 885, et la note image ; RTD civ. 2015. 581, obs. J. Hauser image). Toutefois, pour la Cour de cassation, à l’époque, la réalité au sens de cet article devait s’entendre de la réalité des faits, ce qui faisait obstacle à la transcription intégrale lorsque l’acte désignait la mère ou le père d’intention comme mère juridique de l’enfant, faute pour ce « parent » d’avoir accouché. Une telle conception de la réalité de l’article 47 du code civil permettait ainsi de limiter les effets de ces conventions illicites en droit français. C’est néanmoins à partir de là que, pour reprendre les mots d’un auteur, les digues ont commencé à céder (J.-R. Binet, GPA : les digues cèdent en France, Dr. fam. 2020, comm. n° 39). En l’espace de quelques années, la jurisprudence de la Cour de cassation a permis puis facilité l’établissement du double lien de filiation à l’égard du couple d’intention. Pour cela, elle a évolué à la fois sur la question de l’adoption de l’enfant du conjoint et sur celle de la transcription de l’acte de naissance.

D’une part, à l’occasion d’une série d’arrêts rendus le 5 juillet 2017, la Cour de cassation a posé le principe que « le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant » (v. not. Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16-16.455, Dalloz actualité, 6 juill. 2017, art. T. Coustet ; D. 2017. 1737 image, note H. Fulchiron image ; ibid. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; ibid. 2018. 528, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 641, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2017. 482 image ; ibid. 375, point de vue F. Chénedé image ; ibid. 643, Pratique P. Salvage-Gerest image ; Rev. crit. DIP 2018. 143, note S. Bollée image).

D’autre part, la Cour de cassation a jugé que la réalité à laquelle se réfère l’article 47 du code civil pour autoriser la transcription de l’acte étranger ne désignait pas non plus la réalité des faits (et donc, ici, de l’accouchement de la personne désignée comme mère dans l’acte de naissance) mais l’exactitude juridique, au regard du droit étranger, des éléments inscrits dans l’acte. Dès lors, les actes de naissance qui, conformément au droit du pays dans lequel a eu lieu la GPA, désigneraient comme père et mère juridiques les parents d’intention pourraient donc intégralement être transcrits à l’état civil français (Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, n° 10-19.053, Dalloz actualité, 8 oct. 2019, art. T. Coustet ; D. 2019. 2228, et les obs. image, note H. Fulchiron et C. Bidaud image ; ibid. 1985, édito. G. Loiseau image ; ibid. 2000, point de vue J. Guillaumé image ; ibid. 2423, point de vue T. Perroud image ; ibid. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 677, obs. P. Hilt image ; ibid. 843, obs. RÉGINE image ; ibid. 951, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1696, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; JA 2019, n° 610, p. 11, obs. X. Delpech image ; AJ fam. 2019. 592, obs. J. Houssier image, obs. G. Kessler image ; ibid. 481, point de vue L. Brunet image ; ibid. 487, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RTD civ. 2019. 817, obs. J.-P. Marguénaud image ; ibid. 841, obs. A.-M. Leroyer image ; ibid. 2020. 459, obs. N. Cayrol image ; JCP 2019, n° 1184, note A. Gouttenoire et F. Sudre ; Dr. fam. 2019, n° 261, note J.-R. Binet). D’abord présentée comme une solution exceptionnelle, les juges devant privilégier la voie de l’adoption de l’enfant du conjoint (Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, préc.), cette transcription intégrale fait désormais figure de quasi-principe « afin d’unifier le traitement des situations » (Civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-11.815, Dalloz actualité, 20 déc. 2019, art. T. Coustet ; D. 2020. 426 image, note S. Paricard image ; ibid. 506, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 843, obs. RÉGINE image ; AJ fam. 2020. 131 image ; ibid. 9, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RTD civ. 2020. 81, obs. A.-M. Leroyer image).

On peut donc résumer ainsi le droit positif en la matière : alors que la loi française prohibe toujours le recours à la gestation pour autrui (C. civ., art. 16-7 : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle »), l’acte de naissance d’un enfant issu d’une telle procréation, dès lors qu’il est régulier au regard du pays dans lequel elle a eu lieu, pourra être transcrit sans difficulté en France, y compris s’il désigne les parents d’intention comme parents juridiques de l’enfant, en particulier si l’adoption de l’enfant par le parent non biologique n’est pas possible (par exemple lorsque le couple d’intention n’est pas marié). Par ailleurs, si c’est la voie de l’adoption de l’enfant du conjoint qui est choisie, celle-ci sera prononcée si les conditions en sont réunies et, notamment, si tel est l’intérêt de l’enfant conformément à l’article 353, alinéa 1, du code civil. C’est précisément sur ce point qu’interviennent les arrêts sous examen, lesquels s’inscrivent ainsi dans cette évolution plus globale qu’ils parachèvent.

En effet, parallèlement à cette évolution récente que nous venons d’exposer, la cour d’appel de Paris, tout en faisant mine de se ranger scrupuleusement aux solutions dégagées par la Cour de cassation, a manifestement entrepris de faire de la « résistance » (H. Fulchiron, Résistance ou cas d’espèce ? Pas d’adoption plénière pour le père d’intention, note ss Paris, 30 janv. 2018, Dr. fam. 2018. 92). Dans un arrêt du 30 janvier 2018, qui n’est pas passé inaperçu (v. Paris, 30 janv. 2018, Dalloz actualité, 14 févr. 2018, obs. M. Borde ; AJ fam. 2018. 171, obs. A. Le Gouvello image ; ibid. 139, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; JCP 2018. 345, obs. L. Lambert-Garrel et F. Vialla ; Dr. fam. 2018. Comm. 92, note H. Fulchiron ; RJPF 2018-3/34, obs. A. Cheynet de Beaupré), à propos d’un enfant également né en Inde et dont l’acte de naissance ne portait là non plus aucune indication du nom de la mère, elle a refusé de faire droit à la demande d’adoption formulée par l’époux du père car elle ne disposait d’aucune information sur la mère biologique de l’enfant ni d’aucune précision sur les circonstances dans lesquelles la mère aurait remis l’enfant au père et aurait ainsi renoncé, de façon définitive, à tout lien de filiation avec celui-ci. Faute de pouvoir s’assurer que la mère avait bien consenti à cette adoption ou qu’elle avait volontairement décidé de renoncer à tout droit de filiation, la cour d’appel avait estimé qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant de prononcer son adoption plénière par le conjoint de son père. Puis, dans deux décisions du 18 septembre 2018 (Paris, 18 sept. 2018, nos 16/23399 et 16/23402, D. 2019. 663, obs. F. Granet-Lambrechts image ; AJ fam. 2018. 616, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; ibid. 497, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; Dr. fam. 2018. Comm. 260, note H. Fulchiron, et Entretien 3, obs. C. Mécary), cette même cour d’appel a prononcé l’adoption plénière par le conjoint de leur père biologique d’enfants nés de GPA au Canada, après examen de diverses pièces fournies par les demandeurs qui permettaient d’attester du consentement de la gestatrice à ne pas être la « mère » et à ce que le père d’intention soit le seul parent des enfants, ainsi que de son absence d’intention d’avoir des droits ou responsabilités à leur égard. La cour a alors considéré que ces pièces étaient « suffisantes » pour apprécier l’intérêt de l’enfant au regard des effets de l’adoption plénière et en particulier de son caractère irrévocable.

On retrouve clairement les raisonnements tenus dans les arrêts de la cour d’appel de Paris soumis ici à la Cour de cassation. Dans l’arrêt n° 641, la cour d’appel a refusé l’adoption faute d’informations précises relatives à la mère porteuse et, dans l’arrêt n° 642, il semble bien que, si l’adoption a été prononcée, c’est parce que la convention de gestation a été fournie aux juges et qu’elle contenait les fameux éléments biographiques permettant d’apprécier l’intérêt de l’enfant d’après les juges.

Comme cela a pu être souligné par un auteur, les juges du fond utilisent ainsi l’intérêt de l’enfant à l’adoption plénière pour, en réalité, contrôler la volonté de la gestatrice (A. Dionisi-Peyrusse, obs. ss Paris, 18 sept. 2018, D. 2019. 663, obs. F. Granet-Lambrechts image ; AJ fam. 2018. 616, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; ibid. 497, obs. A. Dionisi-Peyrusse image). Or les motifs utilisés par la Cour de cassation dans les arrêts sous examen semblent bien traduire une condamnation de cette jurisprudence.

En particulier, dans l’arrêt n° 641, après avoir rappelé que les juges du fond s’étaient fondés sur l’absence d’éléments biographiques pour refuser l’adoption, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel pour défaut de base légale. Elle reproche aux juges de ne pas avoir recherché s’il ne ressortait pas des documents produits que l’acte de naissance était conforme au droit mexicain applicable ce qui impliquait qu’en l’absence de filiation maternelle, une adoption plénière par le conjoint du père était juridiquement possible. Or force est de reconnaître que la cour d’appel elle-même avait admis que l’adoption était « juridiquement possible » mais elle a jugé qu’elle n’était pas dans l’intérêt de l’enfant faute de renseignements précis sur la mère. On remarque donc que la Cour de cassation recentre ostensiblement le débat sur la possibilité juridique de prononcer l’adoption plénière plutôt que sur l’opportunité de la celle-ci, en l’absence de filiation maternelle établie. Il nous semble qu’on peut déduire de ce « glissement » de la Cour de cassation qu’elle considère que, dès lors que les règles d’élaboration de l’acte étranger sont respectées, l’adoption peut être prononcée et que le juge n’a pas à « réintroduire » la question de la volonté de la mère au moment de l’appréciation de l’intérêt de l’enfant.

Dans l’arrêt n° 642, la condamnation du raisonnement de la cour d’appel est plus indirecte. On peut néanmoins la déduire de ce que, pour approuver le prononcé de l’adoption par la cour d’appel, la Cour de cassation se fonde uniquement sur la régularité de l’acte au regard de la loi indienne, sans s’attarder sur le raisonnement de la cour d’appel qui n’a manifestement prononcé l’adoption qu’au vu des documents relatifs à la mère d’intention. On peut donc y voir un autre signe de la volonté de la Cour de cassation de s’en tenir à la régularité de l’acte au regard du droit étranger – et à rien d’autre – pour apprécier si l’adoption de l’enfant du conjoint est « juridiquement possible ».

En mettant fin à la tentative de la cour d’appel de Paris de s’assurer de la volonté de la mère avant de prononcer l’adoption plénière de l’enfant issu d’une GPA par le conjoint de son père biologique, la Cour de cassation facilite définitivement la construction d’un projet parental fondé sur une GPA à l’étranger (déjà en ce sens, v. D. 2020. 1696, obs. A. Gouttenoire et P. Bonfils image) malgré, il faut encore le rappeler, la condamnation ferme de cette pratique par la loi. Elle renforce par là même ce qu’on a pu appeler « le schisme entre loi et jurisprudence » (S. Paricard, La transcription totale des actes étrangers des enfants nés d’une GPA : un schisme entre loi et jurisprudence, D. 2020. 426 image), schisme qui devrait perdurer au-delà de la réforme des lois bioéthiques qui n’envisage pas de revenir sur cet interdit.

Que penser de cette nouvelle étape ? Les fervents défenseurs de l’égalité s’en réjouiront sans doute et souligneront que, bientôt, la procréation médicalement assistée pour toutes consacrera un peu plus « un droit à l’enfant » dont les couples homosexuels masculins, les célibataires masculins et les couples hétérosexuels dont la femme est stérile seraient exclus sans cela. Les farouches opposants à la GPA déploreront la condamnation d’une jurisprudence qui tendait in fine à sanctionner « l’effacement » complet de la mère porteuse dans des conditions parfois opaques (en ce sens, v. H. Fulchiron, note ss Paris, 30 janv. 2018, préc. ; A. Le Gouvello, note ss Paris, 30 janv. 2018, art. préc.). Au milieu, les pauvres enseignants du droit de la famille se demanderont une fois de plus comment expliquer la cohérence de notre système juridique en la matière…

Assurance automobile : prospérité devant la chambre criminelle de l’inopposabilité de la nullité à la victime

Par un important arrêt rendu le 8 septembre 2020 (Crim. 8 sept. 2020, n° 19-84.983, FS-P+B+I, D. 2020. 1719 image), la chambre criminelle de la Cour de cassation poursuit, en parallèle de l’évolution législative, le renversement de sa jurisprudence acquise depuis 1971 relative à l’opposabilité des nullités résultant de l’article L. 113-8 du code des assurances (Civ. 1re, 23 juin 1971, n° 70-10.512, Bull. civ. I, n° 204). À ce titre, elle retenait traditionnellement qu’était opposable à la victime la nullité du contrat pour réticence ou fausse déclaration intentionnelle de l’assuré à l’assureur, conformément au droit commun des contrats (A. Cayol, L’assurance automobile, in R. Bigot et A. Cayol (dir.), Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 1re éd., 2020, p. 378).

Partant, la victime était privée de toute indemnisation par l’assurance. Elle devait, en conséquence, se tourner vers le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO). Cette solution s’expliquait notamment par le fait que le contrat d’assurance était rétroactivement annulé. En ce sens, ce contrat était sensé n’avoir jamais existé. Dès lors, les tiers victimes ne pouvaient aucunement s’en prévaloir.

Ce n’est que depuis 2019 (Civ. 2e, 29 août 2019, F-P+B+I, n° 18-14.768, Dalloz actualité, 20 sept. 2019, obs. R. Bigot ; D. 2019. 1652 image ; ibid. 2020. 1205, obs. M. Bacache, D. Noguéro et P. Pierre image ; bjda.fr 2019, n° 65, obs. A. Cayol) que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation admet - position confirmée en début d’année 2020 (Civ. 2e, 16 janv. 2020, F-P+B+I, n° 18-23.381, Dalloz actualité, 29 janv. 2020, obs. R. Bigot ; D. 2020. 79 image ; ibid. 1205, obs. M. Bacache, D. Noguéro et P. Pierre image) – que les nullités tirées de l’article L. 113-8 du code des assurances sont inopposables à la victime et à ses ayants droit. Dès lors, l’assureur est désormais tenu de verser à ces derniers une indemnité pour le compte de l’assuré responsable. Il peut ensuite exercer contre celui-ci un recours subrogatoire pour toutes les sommes réglées ou mises en réserve. Il supporte alors le risque d’insolvabilité de l’assuré (D. Noguéro, L’inopposabilité de la nullité du contrat d’assurance responsabilité obligatoire automobile fondée sur la fausse déclaration intentionnelle du risque, D. 2020. 1205 image).

Ce bouleversement jurisprudentiel cristallise, à n’en pas douter, la position de la jurisprudence européenne en droit interne. En effet, par un arrêt « quatre étoiles » rendu en 2017, nommé Fidelidade, la Cour de justice de l’Union européenne a ouvert le bal de l’inopposabilité de la nullité aux tiers lésés en matière d’assurance automobile (CJUE, 6e ch., 20 juill. 2017, Fidelidade Companhia de Seguros, aff. C-287/16). À ce titre, les juges luxembourgeois ont dit pour droit que les articles 3 et 13 de la directive n° 2009/103 du 16 septembre 2009 « doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet que soient opposables aux tiers victimes […] la nullité d’un contrat d’assurance de responsabilité...

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Compétence internationale en matière d’autorité parentale

Une femme de nationalités suisse, irlandaise et danoise, épouse le 11 juin 2004 en Suisse un homme de nationalités suisse et française. Deux enfants sont issus de l’union. Le couple se sépare en 2015, et les enfants vont être alors en résidence alternée entre la France (dans l’ancien domicile du couple, avec leur père) et la Suisse (avec leur mère). En novembre 2015, une juridiction suisse s’est déclarée incompétente pour statuer sur la responsabilité parentale.

Monsieur dépose une requête en divorce devant le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse en janvier 2016. En octobre 2016, la résidence des enfants est fixée uniquement en Suisse, en raison de l’incarcération du père. En mars 2017, l’ordonnance de non conciliation, rendue par le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, déclare incompétente la juridiction française, en ce que la résidence habituelle des enfants est désormais fixée en Suisse. Monsieur interjette appel, et la cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 5 mars 2019, retient la compétence du juge français pour statuer sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale, au titre de l’article 8 du règlement Bruxelles II bis. La cour d’appel de Lyon a pris soin de caractériser la résidence habituelle, notamment en démontrant l’intégration des enfants dans leur environnement social et familial en France, en se plaçant au moment de la saisine, soit en janvier 2016.

Madame se pourvoit alors en cassation. Elle soutient à l’appui de son pourvoi que le règlement Bruxelles II bis ne s’applique en matière de responsabilité parentale que dans l’hypothèse où l’enfant a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre. Or en l’espèce les enfants ont, au moment de l’arrêt de la cour d’appel, leur résidence habituelle dans un État tiers, qui se trouve être un...

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Commission Mattei sur le secret professionnel des avocats : les membres

La commission relative aux droits de la défense durant l’enquête pénale et secret professionnel des avocats, lancée par le garde des Sceaux le 6 novembre et présidée par l’ancien bâtonnier de Marseille Dominique Mattei, devra rendre d’ici la fin de l’année un rapport sur « les modalités d’un plus large accès au dossier par les personnes mises en cause et leurs conseils, la question du concours de l’avocat à l’enquête, l’opportunité et les modalités possibles d’un encadrement de la durée des enquêtes initiales et les garanties de la protection du secret professionnel de l’avocat ».

Elle est composée de :

Président : Maître Dominique MATTEI, avocat au Barreau de Marseille

Maître Luc FEBBRARO, avocat au Barreau d’Aix-en-Provence
Maître Bruno REBSTOCK, avocat au Barreau d’Aix-en-Provence
Maître Benoît LELIEUR, avocat au Barreau de Paris
Maître Vincent NIORÉ, avocat au Barreau de Paris
Hervé TEMIME, avocat au Barreau de Paris
Jacqueline LAFFONT, avocate au Barreau de Paris
Éric MATHAIS, procureur de la République à Dijon
Christian SAINTE, Directeur de la PJ à la préfecture de police de Paris

Nouvelle précision sur le pouvoir du juge de l’honoraire soulevant un moyen d’office

La Cour de cassation poursuit sa construction jurisprudentielle sur l’étendue du pouvoir du juge de l’honoraire (voir récemment, C. Caseau-Roche, Les pouvoirs du juge de l’honoraire : encore une pierre à l’édifice jurisprudentiel, JCP 2020. 1745) en apportant une nouvelle précision sur son office cette fois pour un moyen soulevé d’office dans un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 22 octobre 2020.

En l’espèce un client a conclu une convention d’honoraires avec son avocat en vue de la défense de ses intérêts. Après avoir acquitté trois factures pour un montant global de 4 200 € et dessaisi son avocat avant la fin de la mission, il a refusé de régler deux nouvelles factures de 1 800 € chacune et a porté sa contestation devant le bâtonnier. Le premier Président, intervenu en appel, a relevé d’office la caducité de la convention et a fixé les honoraires à la somme de 2 200 €, obligeant ainsi l’avocat à restituer la somme de 2000 euros à titre de trop perçu. L’avocat a donc formé un pourvoi contre cette ordonnance en considérant que le juge ne peut relever d’office un moyen sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. Sur le fond, la question, au cœur du contentieux, porte sur la validité de la convention d’honoraires, et plus particulièrement sur le défaut de la fixation du taux horaire, alors même que le mandat du conseil a pris fin avant l’achèvement de sa mission. La Cour de cassation s’est néanmoins concentrée sur le problème de la procédure. Au visa de l’article 16 du code de procédure civile, elle rappelle (§§ 4 et 5) dans un chapeau interprétatif très pédagogique : « qu’aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. En procédure orale, il ne peut être présumé qu’un moyen relevé d’office par le juge a été débattu contradictoirement, dès lors qu’une partie n’était pas présente à l’audience ». Elle censure donc le Premier président d’avoir réduit les honoraires alors que : « le client n’était pas présent à l’audience et qu’il ne ressort ni de la décision ni des pièces du dossier de procédure que la partie présente ait été, au préalable, invitée à formuler ses observations sur le moyen relevé d’office, pris de la caducité de la convention d’honoraires » (§§ 7 et 8).

L’arrêt, destiné à la publication, est un arrêt de principe. La nouveauté réside dans le fait que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation applique à la procédure de contestation d’honoraires la solution bien établie pour d’autres procédures. Elle a en effet déjà considéré dans le passé que le juge, qui soulève d’office un moyen, a l’obligation d’inviter les parties à présenter leurs observations (Civ. 2e, 8 déc. 2016, n° 16-13.745 ; 5 juil. 2018, n° 17-20.622). Alors qu’en matière de procédure sans représentation obligatoire, il existe une présomption que les parties ont débattu contradictoirement, la Cour de cassation a précisé que cette présomption cède si une des parties n’a pas comparu (Civ. 2e, 6 mars 2003, n° 02-60.835 ; 21 févr. 2013, n° 11-27.051 ; N. Cayrol, Les moyens retenus par la décision sont présumés, sauf preuve contraire, avoir été débattus contradictoirement, RTD civ. 2015. 943 image). Désormais la présomption tombe donc également en l’absence d’une des parties devant le juge taxateur sur le fondement du principe directeur du contradictoire.

La solution est cohérente mais elle n’est pas sans soulever d’éventuelles difficultés. Comment en effet apporter la preuve que les parties n’ont pas présenté leurs observations dans le cadre d’une procédure orale ? Une telle preuve peut s’avérer, comme cela a déjà été justement souligné, « une véritable diabolica probatio » (S. Amrani-Mekki et Y. Strickler, Procédure civile, PUF, 2014, n° 240). Ce faisant, combattre la présomption en l’espèce était assez simple car le client avait justifié son absence à l’audience en fournissant un certificat médical.

Devant la cour d’appel de renvoi, le débat contradictoire devrait porter sur la circonstance que le client a mis fin à la mission avant le terme et donc de la possibilité de se référer à la convention d’honoraires. L’affaire montre une fois encore tout l’intérêt de rédiger avec minutie et créativité ladite convention et d’y insérer une clause de dessaisissement (en ce sens, v. C. Caseau-Roche, Rédiger une convention d’honoraires parce que les avocats le valent bien !, D. avocats 2019. 153 image). Cette clause, dont la validité a été consacrée (Décr. n° 2017-1226, JO 4 août, texte n° 9 ; JCP 2017. Prat. 916), présente en effet l’avantage de régler le sort des honoraires en prévoyant qu’ils restent dus nonobstant la fin de la mission avant son terme et partant d’éviter que le juge écarte le contrat en soulevant un moyen d’office. Néanmoins le juge taxateur pourra toujours réduire l’honoraire excessif …       

Obligation de mise en garde et exigence de proportionnalité en matière de cautionnement, un couple infernal

Parmi les nombreux moyens de défense dont dispose la caution, l’obligation de mise en garde ainsi que la proportionnalité figurent en bonne place. Ils sont d’ailleurs fréquemment soulevés en même temps, comme en témoigne un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 21 octobre 2020. En l’espèce, le 1er février 2010, une banque a consenti à une société un prêt de 170 000 € pour lequel son gérant s’est rendu caution solidaire dans la limite de 221 000 €. Se prévalant d’une créance impayée, la banque a assigné en paiement la société débitrice principale, ultérieurement mise en redressement puis liquidation judiciaire. La caution lui a alors opposé la disproportion manifeste de son engagement et un manquement à son obligation de mise en garde. Les juges du fond n’ont pas fait droit à ses demandes et l’ont condamné, en conséquence, à payer à la banque la somme de 114 240 € avec intérêts au taux légal capitalisés à compter du 3 avril 2014. Elle se pourvut donc en cassation, mais en vain.

S’agissant tout d’abord de l’exigence de proportionnalité du cautionnement, la Cour régulatrice retient qu’« Il résulte de l’article L. 341-4 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 alors applicable que, dès lors qu’un cautionnement conclu par une personne physique n’était pas, au moment de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, le créancier peut s’en prévaloir sans être tenu de rapporter la preuve que le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à son obligation au moment où elle a été appelée » (pt 4) et que « le moyen, qui postule le contraire, n’est pas fondé » (pt 5). La solution est irréprochable : l’ancien article L. 341-4 du code de la consommation (devenu l’article L. 332-1 à la faveur de l’ordonnance du 14 mars 2016. V. égal., C. consom., art. L. 343-4, posant exactement la même règle !) dispose en effet qu’ « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et...

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Précisions sur la preuve de la remise du formulaire de rétractation en matière de crédit à la consommation

On sait qu’un droit de rétractation est reconnu à l’emprunteur en matière de crédit à la consommation (C. consom., art. L. 312-19, anc. art. L. 311-12). Afin d’assurer l’effectivité de ce droit, le législateur, sous l’influence de l’Union européenne (dir. 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avr. 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs), impose au prêteur de joindre à l’exemplaire du contrat de crédit remis à l’emprunteur un formulaire de rétractation détachable (C. consom., art. L. 312-21, anc. art. L. 311-12), sous peine de déchéance du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge (C. consom., art. L. 341-4, anc. art. L. 311-48) et d’une amende prévue pour les contraventions de la 5e classe (C. consom., art. R. 341-4). Pour renforcer cette exigence, il revient au professionnel de prouver qu’il a bien exécuté son obligation. Mais la reconnaissance par l’emprunteur de cette remise au sein de l’offre préalable constitue-t-elle une preuve suffisante ? C’est à cette question qu’a dû répondre la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 21 octobre 2020. En l’espèce, suivant acte du 5 février 2013, une banque, a consenti à un emprunteur un crédit à la consommation. À la suite d’échéances demeurées impayées et du placement sous curatelle de l’emprunteur, prononcé par jugement du 18 février 2015, la banque l’a, par actes des 8 et 9 juin suivants, assigné ainsi que son curateur, en paiement du solde du prêt. L’emprunteur a notamment demandé que la banque soit déchue de son droit aux intérêts, en l’absence de remise du bordereau de rétractation prévu à l’article L. 311-12 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation.

La cour d’appel de Pau, dans un arrêt du 29 novembre 2018, a rejeté la demande de l’emprunteur et l’a condamné au paiement d’une certaine somme à la banque au motif que la reconnaissance écrite, dans le corps de l’offre préalable, de la remise d’un bordereau de rétractation détachable joint à cette offre laisse présumer sa remise effective et que l’emprunteur n’apporte pas la preuve de l’absence de remise du bordereau de rétractation par...

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Prestation compensatoire sous forme de rente viagère : transmission d’une QPC

L’arrêt de la remière chambre civile de la Cour de cassation rendu le 15 octobre 2020 (n° 20-14.584) intervient dans un domaine où le contentieux ne semble pas tarir : la révision de la prestation compensatoire fixée sous forme de rente viagère. Pour autant, c’est la première fois semble-t-il que le système mis en place par le législateur en 2004 fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise au Conseil constitutionnel. 

En l’espèce, deux époux avaient divorcé en 1999 et le jugement avait accordé à l’épouse une prestation compensatoire sous la forme d’une rente viagère indexée. En 2015, l’époux a demandé la suppression de la rente, ce qui lui a été accordé par un arrêt du 14 mai 2019 sur le fondement des articles 33-VI de la loi du 26 mai 2004 et 276-3 du code civil, dans sa rédaction issue de ce texte. L’épouse a alors formé un pourvoi dans le cadre duquel elle a formulé deux questions prioritaires de constitutionnalité.

Ces questions étaient les suivantes :
« 1 / L’article 33-VI de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 méconnaît-il l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en ce qu’il prévoit la possibilité pour le juge de supprimer la prestation compensatoire versée sous forme de rente viagère et fixée, judiciairement ou par convention, avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000, tandis qu’une telle faculté de suppression n’était pas ouverte au jour où la prestation a été fixée ? »
« 2 / L’article 33-VI de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce méconnaît-il l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en ce qu’il prévoit que les prestations compensatoires fixées sous forme de rente viagère avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 pourront être révisées, suspendues ou supprimées en cas de changement important intervenu dans les besoins ou les ressources de l’une ou l’autre des parties ou en cas d’avantage manifestement excessif procuré au créancier par le maintien de la prestation compensatoire alors que les prestations compensatoires fixées sous forme de rente viagère après l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 ne peuvent être révisées, suspendues ou supprimées qu’en cas de changement important intervenu dans les besoins ou les ressources de l’une ou l’autre des parties ? »

Le mécanisme de la QPC est connu. Pour que la Cour de cassation décide de saisir le Conseil constitutionnel de la question transmise, il faut que la disposition législative critiquée soit applicable au litige ou à la procédure en cours, ou constitue le fondement des poursuites, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et enfin que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. La Cour de cassation a considéré qu’en l’espèce ces trois conditions étaient réunies en raison notamment du caractère sérieux des questions posées.

Pour comprendre le sérieux de ces questions, il convient d’exposer sommairement l’évolution du droit en matière de prestations compensatoires fixées sous forme de rente viagère. Cette évolution repose sur trois lois principales.

Sous l’empire de la loi de 1975 (loi n° 75-617 du 11 juill. 1975 portant réforme du divorce), les prestations compensatoires, assez souvent fixées sous forme de rentes viagères, ne pouvaient être révisées « même en cas de changement imprévu dans les ressources ou les besoins des parties, sauf si l’absence de révision devait avoir pour l’un des conjoints des conséquences d’une exceptionnelle gravité » (C. civ., art. 273 anc.). L’application très stricte que les juges faisaient de cet article aboutissait à une quasi impossibilité de réviser ces prestations, de plus en plus nombreuses, et conduisait à des situations dont l’injustice était souvent dénoncée (en ce sens, H. Bosse-Platière, Régime de la prestation compensatoire, in P. Murat (dir.),...

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Prescription biennale du code de la consommation et trust

On sait que la profession d’avocat n’échappe pas à la prescription biennale consacrée par l’article L. 218-2 du code de la consommation aux termes duquel « L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans » (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 124). Encore faut-il, toutefois, que le client débiteur de l’honoraire soit un consommateur, défini par l’article liminaire du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation comme, « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole » (V. par ex., Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-15.013 et n° 14-11.599, D. 2015. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle image ; ibid. 2016. 101, obs. T. Wickers image ; ibid. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; 14 janv. 2016, n° 14-26.943). C’est cette évidence que rappelle la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 21 octobre 2020. En l’espèce, la veuve d’un sculpteur a été désignée, par testament, légataire universelle et exécutrice testamentaire, ainsi que « trustee » du trust créé par celui-ci afin de gérer ses œuvres. Elle a donné mandat à un avocat de défendre ses intérêts dans le règlement de la succession de son...

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Consignation du prix de vente et droit de préemption urbain

Si bien des arrêts existent sur la consignation en cas de préemption urbaine, cet arrêt aborde ce thème de façon inédite. Six mois après la réalisation d’une vente immobilière sous conditions suspensives, la communauté urbaine de Lyon exerça son droit de préemption au prix de la promesse de vente et informa le vendeur d’une consignation du prix de vente. Ce dernier assigna la métropole de Lyon en rétrocession de son bien. Entre-temps, il avait vu son recours contre l’arrêté contestant l’exercice du droit de préemption rejeté par la juridiction administrative.

Son action en rétrocession fut également rejetée par la cour d’appel.

À l’appui de ses moyens, le vendeur contestait les conditions de consignation du prix de vente, qu’il estimait non respectées. Les deux questions se posant devant la Cour de cassation étaient ainsi les suivantes :

• l’existence d’un recours en annulation devant la juridiction administrative caractérise-t-elle une situation d’obstacle au paiement justifiant la consignation prévue par l’article L. 213-14 du code de l’urbanisme ?

• L’article 642 du code de procédure civile, qui permet une prorogation du délai expirant un dimanche, est-il applicable au délai pour agir en consignation prévu par le code de l’urbanisme ?

La Cour de cassation rejette le pourvoi et valide, quant aux deux moyens, le raisonnement de la cour d’appel. L’article L. 213-14 du code de l’urbanisme régit les modalités de paiement du prix de vente lorsque le droit de préemption urbain est exercé. La disposition fixe un délai de quatre mois pour le paiement du prix en cas d’acquisition, ou, en cas d’obstacle au paiement, pour la consignation. Elle prévoit qu’en l’absence de paiement ou de consignation, le vendeur retrouvera sa liberté contractuelle et donc la faculté de vendre le bien à qui elle le souhaite. Avant l’entrée en vigueur de la Loi ALUR (L. n° 2014-366, 24 mars 2014), le délai était de six mois, et c’est ce délai qui est applicable aux faits de l’arrêt. Il est à noter que l’ancienne disposition était moins souple pour le vendeur qui, en l’absence de paiement ou de consignation, pouvait agir en rétrocession du bien. C’est ainsi sur ce fondement qu’agissait le demandeur au pourvoi, qui soutenait le manquement aux conditions pour consigner prévues à l’article L. 213-14 du code de l’urbanisme pour justifier son action en rétrocession du bien. Il essayait également de faire jouer l’absence de prorogation du délai qui arrivait à expiration un dimanche. Mais la Cour de cassation, en se rangeant derrière l’appréciation des juges du fond dont elle valide le contenu, n’est pas de cet avis.

La condition relative à l’ouverture de la consignation : caractérisation de la notion d’obstacle au paiement

L’article L. 213-14 du code de l’urbanisme exige qu’en cas d’obstacle au paiement, la consignation de la somme due doit être effectuée par le titulaire du droit de préemption. Mais qu’est-ce qu’un obstacle au paiement ? Pour les juges du fond, l’obstacle se caractérisait par l’existence d’un recours en annulation que le vendeur avait préalablement formé devant la juridiction administrative. Ces derniers se sont fondés sur l’hypothèse où le juge administratif aurait annulé la décision administrative d’exercice du droit de préemption urbain sur l’immeuble. Dès lors, une telle réponse aurait constitué, pour la communauté urbaine de Lyon, un « risque avéré de non-représentation » du vendeur, ou plus concrètement, un risque que le vendeur garde la somme conclue du fait de la vente et ne la restitue pas au titulaire. La troisième chambre civile illustre la notion d’obstacle au paiement, offrant ainsi une interprétation de l’article L. 213-14 qui permettra sans aucun doute aux titulaires du droit de préemption urbain d’avoir une meilleure marge de manœuvre lors de la consignation, dans les cas où une méfiance existe à l’égard du vendeur.

L’argument du demandeur au pourvoi n’avait en outre guère de chance de prospérer, puisque ce dernier considérait que « seule l’existence d’un obstacle au paiement de l’indemnité d’expropriation permet à l’expropriant de prendre possession du bien exproprié en consignant le montant de l’indemnité ». Or une telle exigence ne concerne qu’un cas spécifique, qui est celui où la mairie propose un prix inférieur au prix de vente et où le vendeur manifeste son désaccord : alors l’article 214-4 du code de l’urbanisme, qui dispose qu’« à défaut d’accord amiable, le prix d’acquisition est fixé par la juridiction compétente en matière d’expropriation », trouve à s’appliquer. Or, dans ce cas d’espèce, la mairie avait préempté au prix de vente initial et, donc, telle disposition ne pouvait s’appliquer, ce qu’ont rappelé les juges du fond, approuvés par la troisième chambre civile.

La condition relative au délai pour consigner : applicabilité des dispositions du code de procédure civile

La loi ALUR a modifié le délai applicable pour agir en paiement ou en consignation en le réduisant : quatre mois au lieu de six dans l’ancienne version de l’article L. 213-14 du code de l’urbanisme, dans les temps qui suivent – les dispositions n’ont sur ce point pas changé –, « soit la décision d’acquérir le bien au prix indiqué par le vendeur ou accepté par lui, soit la décision définitive de la juridiction compétente en matière d’expropriation, soit la date de l’acte ou du jugement d’adjudication ».

La disposition n’en dit pas plus sur la computation du délai. Or le délai des six mois trouvait à s’appliquer un dimanche et la commune avait agi le lundi. Un tel délai devait-il être considéré comme ayant expiré, rendant le titulaire de l’action forclos, ou bien était-il prorogé au lundi suivant ?

L’article 642 du code de procédure civile énonce une prorogation : « Tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures », mais « le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant ». Pour le demandeur au pourvoi, un tel article n’était pas applicable car « les règles de computation des délais de procédure ne s’appliquent pas aux délais prévus pour l’accomplissement d’un acte ou d’une obligation de nature non contentieuse ». La troisième chambre civile justifie l’applicabilité d’un tel mode de computation des délais de façon assez laconique, en faisant référence, sans le citer, au contenu de l’article 640 du code de procédure civile qui évoque que les règles de computation s’appliquent « lorsqu’un acte ou une formalité doit être accompli avant l’expiration d’un délai ».

Or l’applicabilité d’un tel article au cas d’espèce ne va pas de soi. Une interprétation stricte de la loi porterait à penser que les dispositions des articles 640 et suivants sont dans le code de procédure civile et concernent donc… les délais de procédure, et plus précisément des procédures en cours. D’ailleurs, le chapitre « la computation des délais » relève des délais, actes d’huissiers de justice et notifications relatives au livre Ier, sur les dispositions communes à toutes les juridictions. Il n’en va pas ainsi de l’action litigieuse ici, qui était une action en consignation du prix.

Cependant, il n’existe pas, en droit positif, d’autres dispositions communes relatives aux délais. Les articles 640 et suivants relatifs à la computation des délais semblent avoir une valeur de principe de droit, voire de droit commun, de computation des délais. En outre, on peut considérer que, si, formellement, il n’y avait pas, dans le cas d’espèce, de procédure ou d’instance, du point de vue substantiel en revanche, un contentieux était déjà né puisque la consignation avait lieu en réaction au recours qu’avait intenté le vendeur devant la juridiction administrative. L’applicabilité de l’article 642 signifierait ainsi qu’il y a, par extension, un contentieux qui rayonne sur l’action en consignation.

Participation du majeur vulnérable au financement de la mesure : les ressources et rien que les ressources !

La création par la loi de 2007 des mandataires judiciaires à la protection des majeurs avait pour principale fonction de contribuer à offrir un « nouveau visage » à ce que l’on appelait jadis les incapacités et que l’on dénomme désormais le droit des majeurs vulnérables (P. Malaurie, Droit des personnes. La protection des mineurs et des majeurs, Lextenso, coll. « Droit civil », 2017, p. 355, n° 758). Mais le statut de ces mandataires – certes réglementé par de nombreux textes du code civil et du code de l’action sociale et des familles – pose de nouvelles questions inédites depuis lors. Le point névralgique repose, dans cet arrêt rendu par la première chambre civile, sur l’indemnité reçue par le mandataire s’occupant du majeur. L’article 419 du code civil prévoit que leur mission est à titre onéreux (v. Rép. civ., v° Majeur vulnérable, par F. Marchadier, n° 25) ; ce qui tranche singulièrement avec les missions d’un tuteur classique. Extérieur à la famille, le mandataire exerce ces fonctions à titre professionnel. Les faits de l’arrêt permettent de comprendre la difficulté. En l’espèce, une personne est placée en tutelle en 2014. Un mandataire judiciaire à la protection des majeurs est désigné pour assurer les fonctions de tuteur. En avril 2017, la mesure est substituée par le juge des tutelles par une habilitation familiale. Le fils de la majeure protégée vient alors demander la condamnation du mandataire judiciaire au titre d’un trop-perçu de financement. Il demande également des dommages-intérêts. Pour le débouter de sa demande, le juge précise que le mandataire a « été contraint d’effectuer un travail particulièrement important pour retrouver les pièces fiscales et autres justificatifs qui avaient disparu ou avaient été jetés ». Le fils se pourvoit alors en cassation en arguant que le juge n’avait pas à prendre en compte ces opérations, aussi longues soient-elles. C’est effectivement ce que la Cour de cassation vient confirmer en cassant le jugement entrepris. En confondant rémunération de droit commun du mandataire judiciaire à la protection des majeurs et indemnité exceptionnelle dudit mandataire, le tribunal a privé de base légale sa décision. Voici une façon intéressante quoiqu’indirecte de rappeler l’importance d’appliquer le droit commun avant la disposition spéciale au sein de plusieurs corps de textes épars et – il faut bien l’avouer – complexes à lire.

Cette distinction est le principal enseignement de l’arrêt présenté. Comme nous l’avons dit plus haut, la mission du mandataire judiciaire à la protection des majeurs est onéreuse par principe. L’article 419, alinéa 2, précisant que, « si la mesure judiciaire de protection est exercée par un mandataire judiciaire à la protection des majeurs, son financement est à la charge totale ou partielle de la personne protégée en fonction de ses ressources et selon les modalités prévues par le code de l’action sociale et des familles ». Pour calculer son financement, l’article R. 471-5-1 du code de l’action sociale et des familles pose plusieurs principes selon le type de mesure. Il faut noter avec M. Marchadier que le système apparaît « globalement, d’une rare complexité » (Rép. civ., v° Majeur protégé, par F. Marchadier). On pouvait donc raisonnablement se demander si les diligences particulièrement longues et complexes que le mandataire a dû réaliser pouvaient entrer dans le champ du financement de la mesure. La réponse reste assurément positive mais il convenait alors de déclencher une indemnité exceptionnelle sur le fondement de l’article 419, alinéa 4, du code civil. C’est précisément ici que la subtilité de la cassation pour défaut de base légale intervient. Le juge était saisi d’une action en remboursement d’un trop-perçu non sur cette indemnité exceptionnelle du mandataire – laquelle n’avait pas été demandée – mais sur sa rémunération de droit commun. Or ce n’est qu’à l’alinéa 4 traitant de l’indemnité exceptionnelle que le texte parle des diligences particulièrement longues. Ainsi, le financement de la mesure ne doit pas être influencé par ces différentes difficultés. Le caractère exceptionnel de l’article 419, alinéa 4, est appuyé par le législateur (nous soulignons) : « À titre exceptionnel, le juge ou le conseil de famille s’il a été constitué peut, après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, allouer au mandataire judiciaire à la protection des majeurs, pour l’accomplissement d’un acte ou d’une série d’actes requis par la mesure de protection et impliquant des diligences particulièrement longues ou complexes, une indemnité en complément des sommes perçues au titre des deux alinéas précédents lorsqu’elles s’avèrent manifestement insuffisantes. Cette indemnité est à la charge de la personne protégée ». Si l’avis du parquet est sollicité, c’est précisément pour éviter les abus de cette indemnité exceptionnelle, laquelle doit dépasser les fonctions normales du mandataire judiciaire à la protection des majeurs. La frontière reste parfois poreuse entre les recherches normales et les actes d’une particulière longueur ou complexité. On comprend donc aisément que la Cour de cassation s’arcboute sur ce point. Là où la loi ne distingue pas entre diligences complexes et diligences normales dans le financement de la mesure, il convient ainsi de ne pas distinguer.

Pour éviter le défaut de base légale, encore fallait-il donc vérifier que les montants fixés n’avaient pas été dépassés. En réalité, c’est ici qu’une adéquation doit être recherchée entre le principe selon lequel « la participation de la personne protégée est versée au mandataire judiciaire à la protection des majeurs par douzième tous les mois échus sur la base du montant annuel des ressources dont a bénéficié la personne protégée l’avant-dernière année civile » et la détection d’un éventuel supplément qui serait alors un trop-perçu. Si tel est bien le cas, diligences complexes ou non, un trop-perçu doit être constaté et le remboursement ordonné. On comprend facilement que des difficultés peuvent venir heurter le travail du mandataire judiciaire mais l’indemnité exceptionnelle est précisément là pour ceci (sur ce point, v. F. Terré et D. Fenouillet, Droit civil. Les personnes, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2012, p. 652, n° 618). Là encore, si une telle indemnité avait été demandée, un trop-perçu aurait été d’ailleurs encore bien évidemment possible. Mais dans notre situation, le travail de la cour d’appel de renvoi (en l’occurrence, celle de Paris) consistera à vérifier l’adéquation de ce douzième mensuel sur la base du montant annuel des ressources à la réalité ponctionnée. Si tel n’est pas le cas et qu’un dépassement est constaté, la justification par des diligences complexes est purement et simplement inopérante.

On pourrait trouver la solution sévère mais la mission du mandataire judiciaire s’apprécie particulièrement. Certes onéreuse, elle n’en reste pas moins l’avatar d’une mission censée être gratuite et souvent endossée par un membre de la famille du majeur vulnérable. La conception du financement d’un tel acteur demeure donc en tout état de cause assez restrictive. Voici de quoi rassurer un tant soit peu ceux qui doutaient d’un appauvrissement de la fonction sociale du droit des majeurs vulnérables.

Précisions sur la mission et la rémunération d’un commissaire-priseur en liquidation judiciaire

Afin de déterminer la solution idoine qui doit être réservée à une entreprise sous procédure collective, le législateur impose une information complète de la situation active et passive du patrimoine du débiteur. Partant, dès l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, une prisée et un inventaire du patrimoine du débiteur sont requis. L’inventaire suppose l’identification du patrimoine visé par la procédure collective et les éventuelles garanties y attachées. La prisée est quant à elle une estimation de ce patrimoine et des garanties qui le grèvent. Sauf exception, l’inventaire et la prisée sont dressés par un professionnel de l’évaluation. Ce dernier peut être un huissier, un notaire, un courtier en marchandises assermenté ou un commissaire priseur (C. com., art. L. 641-1, II, al. 7).

En principe, dans le cadre d’une liquidation judiciaire, le président du tribunal ou son délégué arrête la rémunération de la personne désignée pour dresser l’inventaire, au vu d’un compte détaillé ou le cas échéant selon le tarif qui lui est applicable (C. com., art. R. 641-14). En outre, il est également tenu compte des diligences accomplies, de la qualité du travail fourni et du respect des délais impartis par le technicien désigné (C. com., art. R. 621-23).

Ce corps de règles ne semble pas susciter de difficultés et il n’est pas étonnant de constater le faible nombre d’arrêts ou d’écrits portant sur la fixation de la rémunération du professionnel de l’évaluation en procédure collective. Reste que l’articulation du « droit...

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Libre installation des notaires

La profession notariale est l’une des plus anciennes professions du droit (A. Coignac, Une journée avec…un notaire, Dalloz actualité, 23 févr. 2011). Officier public ministériel, le notaire bénéficie d’un statut singulier qui la soumet à des obligations déontologiques (P. Januel, Améliorer la déontologie des officiers publics ministériels, Dalloz actualité, 9 oct. 2020) et, en cas de manquements, l’expose à des sanctions disciplinaires (A. Tani, Devoirs déontologiques et sanctions disciplinaires du notaire, Dalloz actualité, 28 juin 2019) qui peuvent aller jusqu’à la destitution (F. Melin, Destitution d’un notaire et garanties procédurales, Dalloz actualité, 22 juin 2016).

La spécificité de la mission des notaires n’exclut cependant pas la dimension économique de celle-ci : le notariat est une profession libérale (A. Coignac, Une journée avec…un notaire, préc.) dont l’activité s’inscrit pleinement dans l’économie et le marché du droit (S. Lavric, Grande profession du droit : l’avis des notaires, Dalloz actualité, 22 sept. 2008). Ainsi, les honoraires des notaires relèvent, en effet, des prestations qu’ils délivrent à leurs clients et en contrepartie desquelles ils perçoivent une rémunération (M. Kebir, Notaires : le juge taxateur ne peut connaitre de la responsabilité du notaire, Dalloz actualité, 12 déc. 2014). C’est également dans ce cadre que la question de la liberté d’installation des notaires se pose (C. Fleuriot, Liberté d’installation des notaires : des textes réglementaires dans le viseur des députés, Dalloz actualité, 22 févr. 2017). Le projet de loi « Macron » entendait en effet aménager le principe de libre installation des notaires pour ne pas de ne pas causer de préjudice anormal aux offices installés ni compromettre la qualité du service rendu (C. Fleuriot, Le gouvernement présente le projet de loi pour la croissance et l’activité, Dalloz actualité, 11 déc. 2014 ; Rapp. C. Fleuriot, Le Conseil constitutionnel examine le droit de présentation des notaires, Dalloz actualité, 13 nov. 2014 ; Professions réglementées : toutes les mesures du projet de loi Macron, Dalloz actualité, 21 nov. 2014 ; Réforme Macron : manifestation historique des professions du droit, Dalloz actualité, 11 déc. 2014 ; Réforme des professions réglementées : la grogne entendue à l’Assemblée nationale, Dalloz actualité, 9 oct. 2014 ; M. Babonneau, Le député Ferrand veut réformer « sans casser » les professions réglementées, Dalloz actualité, 4 nov. 2014 ; Le Conseil d’État pointe les lacunes du projet de loi Macron, Dalloz actualité, 11 déc. 2014).

Considérant que « le développement de l’offre ne peut être laissé à la seule initiative de ces professions », l’Autorité de la concurrence avait préconisé un principe de libre installation tempérée dans les zones pour lesquelles une concentration excessive des offices serait de nature à mettre en péril le bon exercice des missions d’intérêt général que doivent remplir ces professionnels (L. Constantin et J.-M. Pastor, L’Autorité de la concurrence conforte le volet professions juridiques du projet de loi Macron, Dalloz actualité, 16 janv. 2015). Afin d’organiser le maillage territorial, la loi n° 2015-990 du 6 aout 2015 prévoit que cette liberté ne peut s’exercer que dans les zones où l’implantation d’offices apparaît utile pour...

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Saisie immobilière : réitération des enchères, précisions sur la résolution de plein droit

Cette décision est une grande importance pratique et la Cour de cassation ne s’y est pas trompée en prévoyant sa large diffusion (F-P+B+I). En effet, il met fin à l’incertitude que laissait peser la rédaction tranchante de l’article L. 322-12, alinéa 1er, du code des procédures civiles d’exécution : « À défaut de versement du prix ou de sa consignation et de paiement des frais, la vente est résolue de plein droit ».

Ce libellé a pu laisser penser qu’au-delà du délai imparti par les textes, l’adjudicataire défaillant était privé de la possibilité de payer le prix, augmenté des intérêts et des frais et que la résolution de plein droit de la vente s’imposait.

La saisie des immeubles, instituée au XIIIe siècle, fut, dès l’origine, soumise à des restrictions et des formalités destinées à garantir la protection des droits respectifs des parties concernées avec un point d’orgue dès l’édit des criées du 3 septembre 1551 qui tendait à uniformiser la diversité des coutumes et usages locaux, ce que s’efforce de faire la Cour de cassation pour l’actuelle procédure de saisie immobilière.

Lorsque l’adjudicataire ne payait pas le prix de vente, il était qualifié de « fol enchérisseur » et il était alors poursuivi par la voie de la procédure de « folle enchère ».

Le droit révolutionnaire, puis le droit napoléonien, puis celui du décret-loi du 17 juin 1938 avaient maintenu une partie du vocabulaire traditionnel comme celui concernant la « folle enchère » (v. D. Talon, La deuxième mort de la folle enchère, JCP 2015. 245).

Hélas, les temps modernes ont signé son enterrement et son remplacement par la « procédure de réitération des enchères », avec la réforme de la procédure de saisie immobilière (ord. n° 2006-461, 21 avr. 2006 et décr. n° 2006-936, 27 juill. 2006, textes aujourd’hui codifiés dans le code des procédures civiles d’exécution).

Le « fol enchérisseur » est désormais qualifié, de façon moins imagée, d’« adjudicataire défaillant ».

Avant d’examiner l’arrêt commenté, un petit rappel de la procédure de réitération des enchères n’est pas inutile. L’article R. 322-56 du code des procédures civiles d’exécution dispose que le délai pour verser le prix au séquestre est de deux mois à compter de la date d’adjudication définitive.

L’article R. 322-66 du même code précise que lorsque l’adjudicataire n’a pas payé dans les délais prescrits, le prix, les frais taxés ou les droits de mutation, le bien est remis en vente à l’initiative du créancier poursuivant, d’un créancier inscrit ou même du débiteur saisi. Pour mettre en œuvre cette procédure, la partie qui décide d’en prendre l’initiative doit solliciter du greffe la délivrance d’un certificat constatant que l’adjudicataire n’a pas justifié du paiement du prix, ou du paiement des frais taxés ou des droits de mutation. Cette charge pesant sur le greffe est étrange...

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Le désistement vaut acquiescement… si je veux

L’avocat se méfie du désistement, dont les effets sont irréversibles, et il faut donc le manier avec la plus grande précaution. C’est d’ailleurs parce qu’il s’agit d’un acte grave que l’article 417 du code de procédure civile prévoit expressément que « la personne investie d’un mandat de représentation en justice est réputée à l’égard du juge et de la partie adverse, avoir reçu pouvoir spécial de faire ou accepter un désistement, d’acquiescer ». Et à l’égard de son client, le représentant investi de ce mandat de représentation prend soin d’obtenir ce mandat spécial pour formaliser ce désistement qui, d’un point de vue procédural, est un incident d’instance mettant fin à l’instance.

Toutefois, depuis peu, une certaine souplesse se dessine, avec une réécriture de l’article 403 du code de procédure civile jugé peut-être excessif. À la lettre de l’article, la Cour de cassation semble désormais préférer l’esprit. Et c’est ainsi que les juges sont invités à rechercher les raisons du désistement pour apprécier ses effets.

En l’espèce, un appelant, en matière sociale, par acte du 31 janvier 2017, saisit la cour d’appel d’Aix-en-Provence d’un jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale (désormais pôle social du tribunal judiciaire). L’appel relève de la procédure sans représentation obligatoire, mais peu importe.

L’appelant se trompe de juridiction d’appel pour inscrire son recours, ce dont il se rend compte postérieurement à l’expiration du délai d’appel.

Il saisit alors la juridiction compétente pour connaître de l’appel, à savoir la cour d’appel de Grenoble, et il se désiste de son premier appel. La cour d’appel d’Aix-en-Provence constate son dessaisissement.

Devant la cour de Grenoble, est prononcée l’irrecevabilité de l’appel pour tardiveté, le jugement ayant été notifié le 19 janvier 2017, et les appels ayant été inscrits devant la cour compétente les 8 mars 2017 et 23 mars 2017.

L’effet interruptif de l’acte d’appel formé devant une juridiction incompétente

Aux termes de l’article 2241 du code civil, « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion », l’alinéa 2 précisant que « Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure. ».

Depuis le 16 octobre 2014, il a été admis par la Cour de cassation que l’article 2241 du code civil s’applique aux instances d’appel, dès lors que « la déclaration d’appel est l’acte de saisine de la cour d’appel » (Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-22.088 P, D. 2014. 2118 image ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero image ; ibid. 517, chron. T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati image).

Cette jurisprudence a rendu peu opportun les incidents en nullité de l’acte d’appel, l’appelant pouvant profiter de cet effet interruptif pour réitérer son acte d’appel. La nullité de l’acte d’appel est devenu un cadeau fait à un appelant, pour lui permettre de refaire un acte d’appel propre. En effet, la sanction de la nullité laisse la possibilité de réitérer l’acte d’appel nul, alors même que l’appelant n’est plus dans le délai d’appel (Civ. 2e, 16 oct. 2014, préc. ; 1er juin...

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Quand le droit de la consommation rejoint le droit civil

Le droit de la consommation déroge souvent aux principes les mieux établis du droit civil à des fins de protection du consommateur (V. à ce sujet, D. Fenouillet in D. Fenouillet (dir.), Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2020, nos 012.00 s., spéc., n° 012.33). Mais il n’en est pas toujours ainsi, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 21 octobre 2020. En l’espèce, à la suite d’un démarchage à domicile, un couple a acquis auprès d’une société une installation photovoltaïque, financée par un crédit de 22 500 €, souscrit auprès d’une banque. Soutenant que des irrégularités affectaient le bon de commande et que leur consentement avait été vicié en raison de manœuvres dolosives, les acquéreurs ont assigné le liquidateur du vendeur et la banque en nullité des contrats principal et de crédit affecté, en restitution des sommes versées au titre du crédit et en paiement de dommages-intérêts. La cour d’appel de Bourges, dans un arrêt du 25 octobre 2018, a rejeté leur demande d’annulation des contrats de vente et de crédit affecté, ce qui motiva un pourvoi en cassation, articulé en deux moyens. En premier lieu, les acquéreurs estimaient que la rentabilité économique d’une installation photovoltaïque relevait des caractéristiques essentielles du bien vendu. La Cour régulatrice ne fut pas sensible à cet argument : « Après avoir énoncé, à bon droit, que la rentabilité économique ne constitue une caractéristique essentielle d’une installation photovoltaïque au sens de l’article L. 111-1 du code de la consommation, qu’à la condition que les parties l’aient fait entrer dans le champ contractuel, la cour d’appel a retenu, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve produits et après avoir procédé à la recherche prétendument omise, qu’il n’était pas établi que le vendeur se serait engagé sur une rentabilité particulière qui serait inatteignable ou n’aurait obtenu le consentement des acquéreurs qu’en leur communiquant une étude économique fallacieuse. Elle a ajouté qu’il n’était pas prouvé que le vendeur aurait sciemment fait état d’un partenariat mensonger...

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Compétence du juge de l’exécution et caducité d’une procédure de distribution résultant de l’ouverture d’une procédure collective

La discipline collective constitue la promesse d’un apurement cohérent du passif du débiteur sous procédure collective. Le concept soumet les créanciers concernés à plusieurs règles afin d’assurer une certaine égalité de traitement entre eux. Parmi elles, à compter du jugement d’ouverture de la procédure, les créanciers sont soumis au principe de l’arrêt ou de l’interdiction des procédures civiles d’exécution et de toutes les procédures de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture sous peine de caducité (C. com., art. L. 622-21-II et R. 622-19). Si cette sanction est prononcée, les fonds non distribués sont remis au liquidateur pour répartition entre les créanciers (C. com., art. R. 641-24). Ceci nous intéressera plus particulièrement sous l’angle de la compétence du juge pour prononcer la caducité. En effet, au sein de l’arrêt sous commentaire, la chambre commerciale de la Cour de cassation a eu à déterminer quel était le juge compétent pour prononcer la sanction affectant une procédure de distribution en cours à la date du jugement d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.

En l’espèce, une banque inscrite en qualité de créancière hypothécaire sur un bien immobilier de son débiteur obtient, par un jugement d’adjudication du 26 septembre 2014, la vente aux enchères de ce bien. Le prix est séquestré entre les mains du créancier dans l’attente de sa distribution. Un mois plus tard, le débiteur est placé en liquidation judiciaire et le créancier procède à la déclaration de sa créance hypothécaire. Las, celle-ci sera admise à titre chirographaire par le juge commissaire, et ce, en raison de la disparition du privilège de la banque.

Estimant que la procédure de distribution du prix de vente de l’immeuble était caduque, le liquidateur assigne la banque devant le juge des référés du tribunal de grande instance, afin de la voir condamnée, sous astreinte, à restituer à la liquidation judiciaire le prix de vente et les intérêts sur les fonds séquestrés. Le mandataire fonde cette demande sur la lettre de l’article R. 622-19 du code de commerce, applicable en liquidation judiciaire par le biais de l’article R. 641-24, selon lequel les procédures de distribution du prix de vente d’un immeuble ne faisant pas suite à une procédure d’exécution ayant produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture, en cours au jour de ce jugement, sont caduques. La banque, de son côté, se prévaut de l’incompétence du juge des référés au profit de celle du juge de l’exécution pour prononcer cette sanction...

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Déclaration d’appel motivée : avec les conclusions, c’est mieux !

Depuis le 1er septembre 2017, le contredit n’existe plus. La partie qui souhaite contester un jugement statuant sur une exception d’incompétence doit désormais se plier à une procédure d’appel beaucoup plus exigeante que ne l’était feu le contredit, puisqu’il lui faut passer par une demande à jour fixe. Ce qui ne change pas est que l’appel doit être motivé, tout comme devait l’être le contredit. Mais quid du sort de l’appel qui ne serait pas motivé ?

Un salarié saisit le conseil de prud’hommes d’une contestation de son licenciement.

Les sociétés en défense ayant leur siège social à l’étranger soulèvent une exception d’incompétence qui est accueillie par les juges prud’homaux.

Le salarié fait appel de ce jugement statuant sur la compétence par acte du 12 juin 2018.

Il omet cependant de motiver son acte d’appel, ou d’y joindre ses conclusions.

Les intimés concluent à l’irrecevabilité de l’appel pour absence de motivation de la déclaration d’appel.

Par arrêt du 11 avril 2019, l’appel est déclaré irrecevable, la cour d’appel considérant que l’appelant ne pouvait se prévaloir des conclusions contenues dans la requête remise au premier président, et peu important que les conclusions d’appel aient été remises au greffe de la cour par le RPVA deux jours après l’inscription de l’appel.

Les conclusions, c’est dans la déclaration d’appel, pas dans la requête

L’article 84 du code de procédure civile prévoit, en matière d’appel d’un jugement statuant sur la compétence, que la déclaration d’appel est motivée, tout comme l’était le contredit. Mais si le contredit pouvait se contenter d’une motivation succincte, sachant que la procédure était orale, il n’en va plus de même aujourd’hui.

L’appelant doit véritablement motiver son appel, soit dans l’acte lui-même – ce qui en pratique est impossible au regard de la limitation à 4080 caractères, soit près de moitié moins que le présent...

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Précisions procédurales sur l’hospitalisation sans consentement

par Cédric Hélainele 5 novembre 2020

Civ. 1re, 15 oct. 2020, F-P, n° 20-14.721

1. L’hospitalisation sans consentement appelle toujours de la part de la Cour de cassation diverses précisions procédurales. Comme le rappelle la Haute juridiction dans l’arrêt analysé, « la procédure judiciaire pour connaître des mesures de soins psychiatriques sans consentement est régie par le code de procédure civile sous réserve des dispositions de la section III du chapitre I du titre I du livre deuxième consacré à la lutte contre les maladies mentales ». Cette confluence entre procédure civile classique et dispositions spéciales implique bien des originalités en la matière. Ceci est d’autant plus vrai dans la variété de soins psychiatriques concernée par l’arrêt, l’hospitalisation pour péril imminent (Rép. civ., v° Malades mentaux, par D. Truchet, juin 2020. V. not. l’appendice en fin de répertoire, Loi n° 2013-869 du 27 sept. 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juill. 2011). Cet arrêt rendu par la première chambre civile le 15 octobre 2020 vient apporter trois précisions intéressantes qui n’ont pourtant pas valu à cet arrêt les honneurs d’une publication au Bulletin. En l’espèce, un majeur est placé sous une mesure d’hospitalisation sans consentement le 25 février 2020 en raison d’un péril imminent, sur décision du directeur d’établissement comme le prévoit l’article L. 3212-1, II, 2°, du code de la santé publique. Le directeur d’établissement demande au juge des libertés et de la détention – trois jours plus tard – la prolongation de la mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du même code. La majeure internée soulève à cette occasion plusieurs irrégularités de procédure de son point de vue. La procédure se poursuit en appel devant le premier président de...

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Cautionnement et Convention européenne des droits de l’homme

Il est rare que le cautionnement soit confronté aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme et de ses protocoles additionnels. Il convient donc de prêter une certaine attention à l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 21 octobre 2020. En l’espèce, par un acte sous seing privé du 7 juin 2004, une société de crédit a consenti à une société un prêt d’un montant de 100 000 €. Par un acte du même jour, deux personnes se rendues caution de ce prêt. La société débitrice ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 27 juillet et 23 novembre 2006, la créancière a assigné les cautions en exécution de leurs engagements. Celles-ci ont demandé, reconventionnellement, l’annulation desdits engagements sur le fondement des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016. La cour d’appel de Basse-Terre, dans un arrêt du 12 novembre 2018, fait droit à leur demande en raison de l’irrégularité des mentions manuscrites, ce qui motiva un pourvoi en cassation de la créancière.

L’annulation du cautionnement était toutefois inéluctable au regard de la mention rédigée par les cautions : « Bon pour engagement de caution solidaire et indivise à concurrence de la somme de cinquante mille euros (50 000 euros) en capital, augmentée des intérêts du prêt au taux de 5,85 %, commissions, intérêts moratoires, frais et accessoires quelconques y afférents ». On comprend donc parfaitement que la Cour de cassation ait considéré que « l’arrêt en déduit exactement que le formalisme des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, n’a pas été respecté, dès lors que la mention manuscrite litigieuse ne comporte ni la durée du cautionnement ni l’identité du débiteur principal, et ne précise pas le sens de l’engagement ni n’indique ce que signifie son caractère “solidaire”. L’arrêt retient, en outre, que l’adjectif “indivise” contribue à la confusion et à l’imprécision en ce qu’il constitue un ajout par rapport à la mention légale, et que, de plus, il est impropre, et, en tout état de cause, non défini. En l’état de ces éléments, la cour d’appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision » (pt 4). On sait en effet que le formalisme des anciens articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation (devenus les articles L. 331-1 et L. 331-2 à la faveur de l’ordonnance du 14 mars 2016) est sanctionné par la nullité du cautionnement (cette nullité étant relative, v. en ce sens Com. 5 févr. 2013, n° 12-11.720 : « Mais attendu que la violation du formalisme des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, qui a pour finalité la protection des intérêts de la caution, est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle elle peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l’affectant », Dalloz actualité,  21 févr. 2013, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2013. 1113, obs. V. Avena-Robardet image, note R. Libchaber image ; ibid. 1706, obs. P. Crocq image ; Rev. sociétés 2013. 479, note D. Legeais image). Certes, ce formalisme a pu être quelque peu assoupli, mais certainement pas au point de faire l’impasse sur des éléments aussi importants que l’identité du débiteur principal ou encore la durée du cautionnement (v. à ce sujet P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés. la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, n° 118). On observera toutefois que l’adjectif « indivise », pour impropre qu’il soit, fait sans doute référence au caractère indivisible du cautionnement, caractère qui ne figure certes pas dans les mentions prévues par le code de la consommation, mais qui devrait sans l’ombre d’un doute pouvoir être stipulé au risque de brider la liberté contractuelle. L’intérêt d’une telle stipulation réside dans la possibilité de rendre le cautionnement indivisible à l’égard des héritiers de la caution (sur le caractère artificiel d’une telle stipulation en présence d’une obligation monétaire et l’intérêt du recours à la solidarité, v. M. Julienne, « Un contractant peut-il obliger solidairement ses héritiers ? », in Mélanges en l’honneur du professeur Michel Grimaldi. Liber amicorum, Defrénois, 2020).

Mais l’arrêt rendu par la chambre commerciale contient un autre enseignement : « la sanction de la nullité du cautionnement dont la mention manuscrite n’est pas conforme à celle prévue par la loi, qui est fondée sur la protection de la caution, ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit de l’établissement de crédit prêteur au respect de ses biens garanti par l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (pt 5). On sait que les créanciers tentent souvent de faire valoir le droit au respect de leurs biens sur le fondement de ce texte (v. égal. Com. 3 avr. 2019, n° 18-11.247 : « Attendu que la sanction de l’absence de revendication par le propriétaire d’un bien dans le délai prévu par l’article L. 624-9 du code de commerce ne consiste pas à transférer ce bien non revendiqué dans le patrimoine du débiteur mais à rendre le droit de propriété sur ce bien inopposable à la procédure collective, ce qui a pour effet d’affecter le bien au gage commun des créanciers, permettant ainsi, en tant que de besoin, sa réalisation au profit de leur collectivité ou son utilisation en vue du redressement de l’entreprise, afin d’assurer la poursuite de l’activité, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif ; que s’il en résulte une restriction aux conditions d’exercice du droit de propriété de celui qui s’est abstenu de revendiquer son bien, cette atteinte est prévue par la loi et se justifie par un motif d’intérêt général, dès lors que l’encadrement de la revendication a pour but de déterminer rapidement et avec certitude les actifs susceptibles d’être appréhendés par la procédure collective afin qu’il soit statué, dans un délai raisonnable, sur l’issue de celle-ci dans l’intérêt de tous ; que ne constitue pas, en conséquence, une charge excessive pour le propriétaire l’obligation de se plier à la discipline collective générale inhérente à toute procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaires, en faisant connaître sa position quant au sort de son bien, dans les conditions prévues par la loi et en jouissant des garanties procédurales qu’elle lui assure quant à la possibilité d’agir en revendication dans un délai de forclusion de courte durée mais qui ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir », Dalloz actualité, 20 juin 2019, obs. X. Delpech ; D. 2019. 758 image ; ibid. 1801, obs. N. Reboul-Maupin et Y. Strickler image ; ibid. 1903, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli image ; RTD civ. 2019. 617, obs. W. Dross image ; RTD com. 2019. 490, obs. A. Martin-Serf image ; ibid. 2020. 176, obs. A. Martin-Serf image). Mais l’argument ne pouvait prospérer : il y a certainement une atteinte à ce droit dans la mesure où le cautionnement se trouve annulé, ce qui anéantit la créance contre la caution, mais cette atteinte est justifiée par la protection de cette dernière, objectif cher au législateur, comme en témoigne l’habilitation délivrée au gouvernement par l’article 60, I, 1°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, qui prévoit de « réformer le droit du cautionnement, afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique » (l’avant-projet de réforme du droit des sûretés sous l’égide de l’association Henri-Capitant, piloté par le professeur Michel Grimaldi, prévoit d’abroger les dispositions du code de la consommation et de les remplacer par un article 2298 du code civil ainsi rédigé : « La caution personne physique appose elle-même, à peine de nullité de son engagement, la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. En cas de cautionnement solidaire, la caution reconnaît dans ladite mention être tenue solidairement et ne pouvoir exiger du créancier ni qu’il poursuive d’abord le débiteur ni, le cas échéant, qu’il divise ses poursuites entre les cautions. Le mandat de se porter caution est soumis aux mêmes dispositions ». Pour une proposition alternative, consistant à généraliser à l’ensemble des garants personnes physiques l’exigence d’une telle mention, v. J.-D. Pellier, in L. Andreu et J.-D. Pellier, « L’incidence de la réforme du droit des obligations sur les sûretés personnelles », in L. Andreu et M. Mignot [dir.], Les contrats spéciaux et la réforme du droit des obligations, LGDJ/Institut universitaire Varenne, 2017, p. 499, n° 27). Au demeurant, à quoi bon prévoir un formalisme informatif si aucune sanction n’est encourue ?

Liquidation des intérêts patrimoniaux des époux : compétence dans l’Union

Une action est engagée le 23 juillet 2009 devant un tribunal français à propos de la liquidation des intérêts patrimoniaux d’époux mariés en Irlande, dont l’un est domicilié en France et l’autre en Irlande.

Les juges du fond se déclarent incompétents en application du règlement n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale.

Leur décision est cassée par la première chambre civile, par un arrêt pédagogique dont la solution est indiscutable.

Il était en effet certain que le règlement du 27 novembre 2003 n’avait pas vocation à s’appliquer à propos de la liquidation d’intérêts patrimoniaux d’époux. C’est ce qui résulte du considérant 8 du préambule de ce texte, selon lequel celui-ci ne s’applique pas à propos des effets patrimoniaux du mariage, et de la jurisprudence de la...

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Chefs expressément critiqués : [I]nullité versus[/I] irrecevabilité

Le 20 décembre 2017, la Cour de cassation a inauguré une construction jurisprudentielle dont nous savions que les trois avis ne constituaient que les premières pierres. Un arrêt publié du 14 octobre 2020 apporte une nouvelle pierre à l’édifice, mais sans l’achever. Si la Cour de cassation approuve le raisonnement des juges d’appel quant à la régularité de l’acte d’appel, elle rappelle néanmoins la sanction applicable lorsqu’il s’agit de discuter de la régularité d’un acte d’appel quant à la mention des chefs critiqués.

En l’espèce, un employeur fait appel d’une ordonnance de référé du conseil de prud’hommes l’ayant débouté de sa demande en instauration d’une nouvelle expertise.

Il rédige sa déclaration d’appel de cette manière : « Objet/portée de l’appel : appel total : en ce que l’ordonnance dont appel estime que : la procédure mise en place par la SARL CDE pourrait avoir pour objectif d’éviter le paiement de l’indemnité de licenciement due à monsieur XY ».

Devant la cour d’appel, le salarié intimé soutient que « l’appel est irrecevable en application des dispositions de l’article 901, 4°, du code de procédure civile ».

La chambre sociale de la cour d’appel relève que l’acte d’appel vise la motivation du jugement, non un chef de décision, et déclare en conséquence l’appel irrecevable.

Les chefs du jugement ne sont pas les motifs du jugement

Pour la chambre sociale de la Cour de cassation, qui a pris avis auprès de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (C. pr. civ., art. 1015-1), « la déclaration d’appel ne peut être limitée que par la mention des chefs du dispositif du jugement attaqué ».

Elle ne précise toutefois pas ce que l’appelant aurait dû mentionner dans son acte d’appel.

L’employeur, appelant, avait été débouté de sa demande. Il est vraisemblable que le dispositif du jugement dont appel était rédigé de cette manière : « déboute la SARL CDE de toutes ses demandes », sans autres précisions.

Il peut être restrictif, et dangereux, de ne s’en tenir qu’au seul dispositif, surtout lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, de faire appel d’un jugement de débouté.

En effet, il est douteux que l’appelant satisfasse aux dispositions de l’article 901, 4°, imposant de mentionner les chefs « expressément » critiqués s’il fait appel du jugement en ce qu’il a « débouté X de l’ensemble de ses demandes » (Procédures d’appel, Dalloz, coll. « Delmas express », n° 318).

Si l’on considère que la déclaration doit se suffire à elle-même pour apprécier la dévolution, alors cette mention est insuffisante pour satisfaire à l’exigence du texte, et se conformer à ce que devrait être l’objectif de la réforme.

L’intimé qui reçoit l’acte d’appel doit comprendre sur quoi porte l’appel, de manière à ce qu’il sache s’il est concerné par ce recours, et dans quelle mesure. Ainsi, si l’intimé constate que l’appel est limité à des chefs qui ne le concernent pas, il pourra s’abstenir de se faire représenter, et donc d’exposer des frais de procédure. Mais il ne s’agit pas pour l’appelant, au stade de la déclaration d’appel, de motiver son recours et de préciser en quoi il ne se satisfait pas du jugement qu’il entend contester. C’est l’objet des conclusions.

Mentionner les motifs du jugement, et a fortiori les motifs de l’appel, ne permet pas de satisfaire à l’exigence du texte. L’appelant doit mentionner ce qui a été jugé.

En l’espèce, le conseil de prud’hommes avait débouté l’employeur de sa demande en nouvelle expertise, estimant que la procédure mise en place par l’employeur pourrait avoir pour...

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Réduction en nature : limites à la restitution des fruits du bien donné

Fructus augent hereditatem (« les fruits augmentent la succession ») est une règle bien malmenée par la décision rendue ce 30 septembre 2020 par la première chambre civile de la Cour de cassation. L’espèce n’augurait pourtant aucune complexité particulière. En 1976, des époux avaient fait une donation hors part successorale à deux de leurs sept enfants portant sur trois parcelles de terre. À la suite du décès du couple en 1986, les cinq autres descendants assignèrent les donataires en partage et réduction de cette libéralité. Un arrêt fut rendu le 24 octobre 1994, aux termes duquel les donataires étaient autorisés à conserver les biens reçus à concurrence de la quotité disponible. En d’autres termes, la donation était réductible en nature (tel était le principe avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006) : une partie des terres données devait être restituée aux autres héritiers réservataires. Le partage n’était pas réalisé pour autant et le conflit s’enlisa. Le litige portait notamment sur les fruits des biens donnés. En effet, l’article 928 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006, prévoyait que « le donataire restituera les fruits de ce qui excédera la portion disponible, à compter du jour du décès du donateur, si la demande en réduction a été faite dans l’année ; sinon, du jour de la demande » (v. aussi Civ. 1re, 21 juin 1989, n° 87-15.986, D. 1989. 525, note Morin ; RTD civ. 1990. 130, obs. J. Patarin image ; JCP 1990. II. 21574, note Salvage ; 2 juin 1992, n° 90-17.034 P, RTD civ. 1993. 178, obs. J. Patarin image ; JCP 1993. I. 3713, n° 8, obs. Testu). Notons que la restitution des fruits n’est pas due lorsque la réduction s’opère en valeur (C. civ., art. 928, dans sa rédaction issue de L. 2006-728, 23 juin 2006 ; Civ. 1re, 3 févr. 2004, n° 01-11.555, Bull. civ. I, n° 36 ; AJ fam. 2004. 104 image), à la différence du rapport successoral (C. civ., art. 856).

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, par un arrêt du 5 décembre 2018 rendu sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 20 juin 2006, n° 04-16.227, Dalloz jurisprudence), rejeta la demande de la cohérie en restitution des fruits au motif qu’il convient de prendre en compte le revenu de l’exploitant ainsi que les tâches de gestion administrative et financière qui, indépendamment des fruits tirés du travail de la terre, doivent donner lieu à rémunération. En d’autres termes, aucun paiement ne serait dû car l’obligation des donataires de restituer les fruits devrait se compenser avec leur droit à rémunération.

Le moyen du pourvoi formé à l’encontre de la décision d’appel relève avec pertinence une certaine contradiction dans le raisonnement. Les juges d’appel ne pouvaient tout à la fois nier l’existence de fruits et constater leur compensation avec la rémunération des donataires. Ainsi, selon le moyen du pourvoi, il résultait des propres énonciations de la cour d’appel « que les sommes litigieuses constituaient des fruits devant par principe être restitués dans les limites de l’article 928 du code civil ».

Un autre argument est soulevé par le pourvoi : contrairement au droit à rémunération de l’indivisaire...

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Le second confinement remet à l’épreuve la numérisation de la justice

L’ouverture des tribunaux et l’absence d’activation des plans de continuité d’activité ressemblent fort à une indispensable bouée de sauvetage pour le ministère de la Justice. Après un premier confinement qui avait dévoilé ses failles en matière de numérisation (lire aussi l’interview du président du tribunal judiciaire de Paris, Stéphane Noël), relevées dans plusieurs rapports parlementaires, l’adoucissement des conditions du second confinement devrait en effet permettre d’éviter un nouveau long supplice numérique dans les tribunaux. Car, cinq mois après le déconfinement, le télétravail de certains agents, en particulier les greffiers, mais aussi des magistrats, se heurte toujours aux mêmes problématiques : sous-dotation en équipement informatique, accès impossible à distance à la chaîne applicative civile Winci ou encore défaillances de la visioconférence. « Le niveau d’impréparation est toujours aussi sidérant, résume David Melison, trésorier adjoint de l’Union syndicale des magistrats. Malgré les critiques énormes émises sur le fonctionnement du ministère pendant le confinement, nous en sommes toujours au même point. »

Livraisons d’ultraportables toujours en cours

Ainsi, le déploiement des 3 500 nouveaux ultraportables est toujours en cours, alors que la perspective d’un rebond de la pandémie à l’automne était déjà évoquée en mai dernier. Les livraisons de cet équipement informatique, qui a tant fait défaut aux greffes lors du premier confinement, sont en cours depuis le début du mois d’octobre. Elles doivent se terminer à la fin de l’année. 90 % des magistrats et la moitié des greffiers devraient alors être équipés d’un des 18 000 ordinateurs. « J’ai demandé à la secrétaire générale d’achever au plus vite le plan prévu de déploiement des ordinateurs portables, afin de permettre au plus grand nombre d’entre vous d’exercer votre activité professionnelle, si c’est possible, à distance », a indiqué, dans une vidéo diffusée jeudi soir, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti. « Il aurait fallu faire cette commande plus tôt », regrette Isabelle Besnier-Houben, la secrétaire générale du Syndicat des greffiers de France - FO. « Tout se fait dans l’urgence : la semaine dernière, c’était la course pour savoir quel ordinateur les greffiers pouvaient emporter avec eux, rapporte-t-elle. Et, à Dijon, les 300 stagiaires de l’École nationale des greffes vont devoir traverser toute la France ce lundi 2 novembre pour récupérer leur dotation informatique. »

La question du nombre d’ordinateurs ultraportables, devenue l’indicateur numérique mis en avant par la place Vendôme, masque cependant d’autres difficultés informatiques encore plus inquiétantes. La principale réside dans l’impossibilité, aujourd’hui, d’accéder à distance à la plupart des applications de la chaîne civile, basées sur un logiciel conçu dans les années 1990. Ce qui empêche de facto le télétravail. Un problème ancien qui doit être résolu avec le projet Portalis, au déploiement prévu pour… décembre 2025. Vendredi, lors d’une conférence de presse, le ministère de la Justice a annoncé mener des tests pour permettre l’accès à distance du logiciel de la chaîne civile Winci TGI. Le ministère espère désormais savoir très rapidement si cet accès à distance pourra être généralisé, une annonce qui laisse sceptique. « On nous expliquait auparavant que ce n’était pas possible pour des raisons de sécurité informatique, rappelle Henri-Ferréol Billy, secrétaire national de la CGT des Chancelleries et services judiciaires. Mais l’accès à distance changerait la vie des agents du civil, qui pourraient alors travailler à distance quasiment comme ceux du pénal, en répondant aux avocats ou en produisant des convocations. » Autre problème toujours non résolu, celui du dispositif de visioconférence, qui ne donne toujours pas satisfaction. Au point de le voir substituer par des logiciels privés tels que Zoom, WhatsApp ou encore Skype.

Deux points de satisfaction

Malgré ce panorama plutôt sombre, deux points de satisfaction sont à souligner. Le réseau privé virtuel (VPN) est désormais suffisamment dimensionné – selon Le Monde, il autorise aujourd’hui plus de 100 000 connexions par jour. Et la nouvelle plateforme d’échanges numériques Plex, qui permet d’échanger avec les avocats de grosses pièces jointes dans les affaires pénales, semble également avoir trouvé son public. Le ministère a compté ainsi plus de 27 000 échanges en septembre. Mais seulement 5 000 avocats ont créé leur compte sur la plateforme, signe d’une diffusion pour l’instant relative de l’outil dans la profession. « Elle a le mérite d’exister, mais dans le quotidien des juridictions la plateforme n’a pas changé grand-chose », observe, sans enthousiasme, un magistrat niçois. « Ce sont les seuls points d’amélioration visibles, le reste, ce sont des effets d’annonce, abonde le magistrat David Melison. Nous n’avons pas fait de progrès significatifs et, si nous rebasculons dans un confinement dur, nous serons juste davantage en capacité de nous organiser. Lors du premier confinement, nous avons su faire. Mais au prix d’une dégradation de la justice. »

Forme des demandes incidentes et procédure à jour fixe

par Antoine Bolzele 2 novembre 2020

Civ. 3e, 1er oct. 2020, FS-P+B+I, n° 18-15.670

Quelle forme doit suivre le tiers qui veut intervenir dans une procédure engagée à jour fixe devant le tribunal judiciaire ? En l’espèce, un litige entre deux voisins avait conduit à une expertise, laquelle avait donné lieu à une assignation à jour fixe en ouverture de rapport. Un tiers avait déposé des conclusions au titre d’une intervention volontaire à titre principal pour faire valoir son préjudice. La cour d’appel rejette cependant cette demande incidente pour une raison de pure forme. En effet, la procédure ayant été engagée à jour fixe, le demandeur à l’intervention volontaire était tenu de suivre la même forme. Autrement dit, l’intervenant devait assigner à jour fixe et donc déposer une requête pour y être autorisé. À défaut, les conclusions sont irrecevables. Les juges du droit censurent au visa de l’article 68 du code de procédure civile. Selon la Cour de cassation, la procédure à jour fixe n’apporte aucune dérogation à la forme des demandes incidentes qui sont régies par l’article 68 du code de procédure civile : « Les demandes incidentes sont formées à l’encontre des parties à l’instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense....

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De la confirmation d’un contrat d’agent sportif nul pour défaut de signature électronique

Les contrats liés au monde du sport sont un excellent laboratoire d’expérimentation pour le droit des obligations. Cet arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 7 octobre 2020 en est un exemple topique. Les faits sont assez classiques dans le monde du football : le directeur général du directoire de l’AS Saint-Étienne donne mandat à un agent sportif pour mener à bien des négociations avec le club allemand du Borussia Dortmund afin de transférer un joueur du club français. L’arrêt ne le précise pas, mais la période laisse suggérer qu’il s’agit de Pierre-Emerick Aubameyang, par ailleurs désormais avant-centre à Arsenal. L’opération de 2013 s’élevant à la bagatelle de plus de quinze millions d’euros, les pourparlers entre les deux clubs sont plus longs que prévus et la négociation, initialement fixée au 27 juin 2013, doit être prorogée au 30 juin de la même année. Mais voici où le nœud du problème apparaît. Le contrat d’agent sportif n’avait pas été signé par les parties. En réalité, ce contrat n’était constitué que d’échanges de courriels. L’agent n’ayant pas été payé, il assigne la société AS Saint-Étienne en paiement de la commission conventionnellement décidée et en allocation de dommages-intérêts. En appel, les juges du fond décident que « les courriels échangés par les parties, qui ne regroupent pas dans un seul document les mentions obligatoires prévues par l’article L. 222-17, ne sont pas conformes aux dispositions de ce texte ».

L’agent sportif s’est alors pourvu en cassation et, dans un arrêt du 11 juillet 2018, la Cour de cassation a pu préciser, d’une part, « qu’en statuant ainsi, alors que l’article L. 222-17 du code du sport n’impose pas que le contrat dont il fixe le régime juridique soit établi sous la forme d’un acte écrit unique, la cour d’appel, en...

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Le gouvernement propose sa réforme de l’aide juridictionnelle

Il y a un an, les députés Naïma Moutchou et Philippe Gosselin mettaient en œuvre une réforme de l’aide juridictionnelle. Lors de la présentation du budget, Éric Dupond-Moretti avait annoncé une augmentation de l’aide de 50 millions d’euros. Cette hausse n’étant que prévisionnelle, il était nécessaire de la traduire en mesure. En commission, le ministre avait précisé qu’il s’attendait à une hausse des missions entraînée par la réforme de la justice pénale des mineurs et il annonçait le triplement du nombre d’UV pour les missions de médiation (de 4 à 12 UV).

Le gouvernement a déposé hier un long amendement sur l’aide juridictionnelle, ayant trois objets principaux. D’abord, revaloriser le montant de l’unité de valeur de référence, de 32 € à 34 € HT.

Ensuite, l’amendement inscrit dans la loi les cas de commission d’office ouvrant droit à l’aide juridictionnelle sans examen préalable de la situation du justiciable. Il donne aux bureaux de l’aide juridictionnelle (BAJ) la mission de faire un contrôle a posteriori, pour recouvrer des sommes auprès des personnes non éligibles. L’Union nationale des CARPA (UNCA) centralisera les informations permettant de procéder au recouvrement. Par ailleurs, le retrait de l’aide juridictionnelle pourra intervenir jusqu’à quatre ans après la fin de l’instance.

Enfin, l’amendement simplifie les modalités de versement d’une dotation annuelle unique permettant aux CARPA de rétribuer les avocats. La répartition par barreau de cette dotation sera faite par arrêté du garde des Sceaux.

Dans les suites du rapport Perben, les avocats réclament une hausse plus importante de l’aide juridictionnelle (même si le budget aura augmenté de 62 % entre 2015 et 2021). Mais la réforme des retraites, principal sujet de crispation, est provisoirement enterrée. Tout comme l’idée de réintroduire le droit de timbre. Une augmentation plus importante ne pourra qu’être le résultat d’une négociation avec la profession.

Les obligations du juge en matière de signification à comparaître

La Cour de cassation signe ici un arrêt extrêmement strict sur le contrôle par le juge des conditions dans lesquelles la signification à comparaître a été délivrée à son destinataire. En l’espèce, une affaire revient devant la cour d’appel après une cassation. Devant la cour de renvoi, l’intimé est considéré comme n’étant ni présent ni représenté. En réalité, il ressortait des éléments du dossier qu’il avait reçu à domicile la citation à comparaître, ainsi que les conclusions et les pièces afférentes. Dès lors, rien ne pouvait justifier son défaut de comparution. La Cour de cassation censure la cour d’appel au visa des articles 14, 471 et 655 à 659 du code de procédure civile et l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et livre un véritable mode d’emploi des vérifications à opérer par le juge en cas de signification par huissier de justice.

L’article 55 du code de procédure civile rappelle que l’assignation est l’acte d’huissier de justice par lequel le demandeur cite son adversaire à comparaître devant le juge. Bien que rédigé en pratique par un avocat, il est délivré sous la responsabilité de l’huissier de justice. Ce dernier doit donc s’assurer de la validité de l’acte. De plus, l’acte est délivré par une signification, qui est un autre acte de procédure même s’il fait corps avec l’assignation. Cet acte de procédure...

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Reconfinement et justice : « Dans les juridictions, les PCA […] ne seront pas activés »

Pour Éric Dupond-Moretti, « nous devons tous ensemble, membres du même ministère, garder confiance en l’avenir et être à la hauteur des attentes des Français qui – surtout en cette période difficile – ne peuvent se passer du service public de la justice ».

S’agissant des mesures à prendre :

• Les services d’accueil uniques des justiciables resteront ouverts mais sur rendez-vous.

• L’activité juridictionnelle sera maintenue en présence des personnes « dûment convoquées », dans le respect des mesures sanitaires applicables à la covid-19.

• Le déploiement des ordinateurs portables, inexistant lors du premier confinement notamment pour les greffiers, devra être achevé « au plus vite ».

• Les mesures sanitaires seront tout autant appliquées au personnel pénitentiaire qu’au personnel dont la présence ponctuelle et régulière est requise.

• Concernant plus particulièrement les prisons : « le respect des mesures sanitaires ne conduit pas à remettre en cause les conditions de vie comme les parloirs ou le travail en détention », a ajouté Éric Dupond-Moretti. Lors du confinement de mars, toutes les visites et les activités avaient été interrompues.

• L’activité des agents de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sera également maintenue « avec les adaptations et précautions nécessaires ».

• Un suivi régulier de la situation sera mis en place avec les chefs de cours d’appel « de zone de défense », les directeurs interrégionaux des services pénitentiaires et ceux de la protection judiciaire de la jeunesse. Et avec les organisations syndicales, a-t-il précisé également.

 

À consulter également, paru vendredi 30 octobre 2020 :

Décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire

Et notamment, au titre des exceptions, sont autorisés :

- à l’article 4, 7° : les déplacements pour répondre à une convocation judiciaire ou administrative ou pour se rendre dans un service public ou chez un professionnel du droit, pour un acte ou une démarche qui ne peuvent être réalisés à distance ;

- à l’article 45, I : Les établissements relevant des catégories mentionnées par le règlement pris en application de l’article R. 123-12 du code de la construction et de l’habitation figurant ci-après ne peuvent accueillir du public, sauf :

les salles d’audience des juridictions,
  les crématoriums et les chambres funéraires,
  l’activité des artistes professionnels,
  les activités mentionnées au II de l’article 42, à l’exception de ses deuxième, troisième et quatrième alinéas.

Preuve de la filiation maternelle et nationalité française

Une femme née en Côte d’Ivoire demande la transcription de son acte de naissance et de son acte de mariage sur les registres de l’état civil français. Elle produit à l’appui de sa demande un jugement supplétif rendu le 25 juillet 2005 par le tribunal de première instance de Grand-Bassam, sur requête de son oncle, sans que l’intéressée ni sa prétendue mère soient appelées à la cause. La femme assigne en juillet 2014 le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes afin d’obtenir la transcription. La demande est rejetée en première instance comme en appel. La cour d’appel s’appuie tout d’abord sur l’article 47 du code civil, qui confère la même force probante aux actes d’état civil étrangers qu’aux actes français, sauf s’ils sont irréguliers, falsifiés ou mensongers. Ici a été produit un jugement supplétif, qui peut, conformément au droit ivoirien, suppléer l’absence d’acte de naissance : or ce jugement supplétif a été établi à la requête de l’oncle de l’intéressée, sans qu’elle-même ni sa prétendue mère soient appelées à la cause. Les juges d’appel considèrent que ce jugement est contraire à l’ordre public international français et ne peut donc recevoir application en France.

L’intéressée se pourvoit en cassation, au motif que la cour d’appel, qui n’a pas constaté que l’acte de naissance résultant du jugement supplétif était irrégulier, falsifié ou mensonger, s’est affranchie des conditions posées par l’article 47 du code civil : les juges du fond ne pouvaient, sans violer le texte, exiger une reconnaissance d’enfant, qui n’était pas requise par la loi ivoirienne. Le pourvoi conteste la contrariété à l’ordre public international du jugement supplétif, car la loi ivoirienne prévoit que le juge peut appeler ou entendre les personnes dont les intérêts sont susceptibles d’être affectés par une décision rendue en matière gracieuse. En outre, seule l’intéressée avait qualité et intérêt pour se prévaloir de ce que, devant le juge étranger et dans le cadre de la procédure gracieuse, elle n’avait pas été appelée ou entendue.

La Cour de cassation s’écarte totalement des arguments de la cour d’appel et opère une substitution de motifs. Elle rappelle qu’aux termes de l’article 311-14 du code civil, la filiation est régie par la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l’enfant. Cela conduit en l’espèce à l’application de la loi française à la question de la filiation. Elle rappelle ensuite que, si un jugement supplétif régulier est réputé, en raison de son caractère déclaratif, établir la filiation de l’enfant à la date de sa naissance, cette filiation ne saurait emporter d’effets utiles en matière de nationalité que dans les conditions prévues par les dispositions combinées de l’article 311-25 du code civil et de l’article 20, II, 6°, de l’ordonnance du 4 juillet 2005. La Cour rappelle que ces dispositions impliquent que si la filiation peut être établie par indication de la mère dans l’acte de naissance, elle est sans effet sur la nationalité de l’enfant majeur à la date du 1er juillet 2006, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2005. Par conséquent, puisque l’intéressée dont la filiation était en cause et qui était née hors mariage était majeure au 1er juillet 2006, sa filiation maternelle n’avait pas d’incidence sur sa nationalité, et son acte de naissance ne pouvait donc pas être transcrit sur les registres d’état civil français. La Cour de cassation se retranche derrière la technicité du droit transitoire en matière de nationalité, et laisse de côté les méthodes du droit international privé. Peu importe en définitive la contrariété ou non à l’ordre public international du jugement supplétif, puisque ce qui est demandé ici est la transcription de l’acte de naissance. Or, à défaut de nationalité française de l’intéressée, cette transcription ne peut être opérée.

Il convient de reprendre rapidement les éléments de débats pertinents. En 2005, afin de se mettre en conformité avec les exigences européennes, l’ordonnance portant réforme de la filiation a inscrit dans le code civil l’article 311-25, aux termes duquel : « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant », indépendamment du mariage ou non des parents. Pour contrer l’afflux de demandes pour acquérir la nationalité française par filiation et une jurisprudence « bienveillante » de la Cour de cassation qui s’appuyait volontiers sur les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (v. par ex., dans le cadre d’action déclaratoire de nationalité, Civ. 1re, 14 févr. 2006, n° 05-13.006, D. 2006. 1029, obs. I. Gallmeister image, note G. Kessler image ; ibid. 1139, obs. F. Granet-Lambrechts image ; AJ fam. 2006. 162, obs. F. Chénedé image ; RTD civ. 2006. 294, obs. J. Hauser image ; 13 mars 2007, n° 06-16.675, Rev. crit. DIP 2008. 81, note P. Lagarde image), l’article 91 de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 modifia les dispositions transitoires de l’ordonnance de 2005 en précisant que « les dispositions de la présente ordonnance n’ont pas d’effet sur la nationalité des personnes majeures à la date de son entrée en vigueur ». Était ainsi instaurée une double discrimination :

• d’une part, entre les personnes nées hors mariage, majeures ou non à la date du 1er juillet 2006 (mais ici, la différence de traitement, résultant du droit transitoire entre deux régimes, n’est pas en soi contraire au principe d’égalité),

• d’autre part, entre les personnes majeures au moment de l’entrée en vigueur de la loi, selon qu’elles sont nées en mariage ou hors mariage.

La disposition fit l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation, et le Conseil constitutionnel se prononça le 21 octobre 2011 (QPC n° 2011-186/187/188/189, AJ fam. 2011. 608, obs. E. Viganotti image ; Rev. crit. DIP 2011. 825, note P. Lagarde image ; RTD civ. 2012. 107, obs. J. Hauser image). Les requérants considéraient que ces dispositions privaient les seuls enfants nés hors mariage qui avaient atteint l’âge de la majorité à la date du 1er juillet 2006 (entrée en vigueur de l’ordonnance de 2005 portant réforme de la filiation) de la possibilité d’obtenir la nationalité française en rapportant la preuve du lien de filiation qui les rattache à leur mère de nationalité française en se fondant sur la seule mention de la mère dans l’acte de naissance. Le Conseil constitutionnel, arguant de la nécessité d’assurer la stabilité de la nationalité des personnes à la date de leur majorité, affirma qu’il n’y avait pas de rupture du principe d’égalité parce que la différence de traitement ne portant pas sur la filiation des enfants légitimes ou naturels, mais sur les effets de cette filiation sur la nationalité, la différence ne présentait qu’un caractère résiduel.

Même si la décision du Conseil constitutionnel fit l’objet de critique (notamment sur le caractère « résiduel » de la question de la nationalité française [ !]), la Cour de cassation s’inclina, en tout cas pour les actions déclaratoires engagées après l’entrée en vigueur de la loi de 2006 (Civ. 1re, 17 déc. 2010, n° 10-10.906, D. 2011. 160 image ; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot image ; AJ fam. 2011. 105, obs. M. Douris image ; AJCT 2011. 139, obs. I. Gallmeister image ; Rev. crit. DIP 2011. 49, note P. Lagarde image).

Dans l’arrêt sous examen, concernant une demande de transcription et non une action déclaratoire de nationalité, la Cour de cassation manque ainsi l’occasion de revenir à sa jurisprudence antérieure pour constater la contrariété de la disposition aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (qu’une partie de la doctrine appelait de ses vœux, v. not. Rev. crit. DIP 2011. 825, obs. P. Lagarde image ; J.-Cl. Civ. Code, par H. Fulchiron et E. Cornut, fasc. 20, nos 53 s.).

Elle rappelle sèchement que la filiation établie est sans incidence sur la nationalité de l’enfant majeur à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2006, éludant ainsi le débat sur la force probante de l’acte de naissance résultant du jugement supplétif.

Quand la faculté d’invitation du juge se mue en une obligation d’appeler en la cause

Le juge veille (C. pr. civ., art. 3). Il impartit et ordonne (C. pr. civ., art. 4 ; 10). Il concilie – rarement (C. pr. civ., art. 21), homologue – de plus en plus souvent (C. pr. civ., art. 131 s. ; 824 ; 1099 ; 1300-4 s. ; 1534 ; 1560 s.). Et bien sûr, il tranche (C. pr. civ., art. 12). À cette panoplie qui structure un office en métamorphose (N. Cayrol, « Les métamorphoses de l’office du juge », Gaz. Pal. 31 juill. 2014, n° 178z4), oscillant entre imperium et jurisdictio (R. Laher, Imperium et jurisdictio en droit judiciaire privé, Mare & Martin, coll. « Bibliothèque de thèses », 2016), s’ajoute une prérogative étonnante qui emprunte plutôt au registre du performatif : l’invitation. Qu’elle prenne la forme d’une proposition (v. not., C. pr. civ., art. 127) ou d’une invitation stricto sensu, cette « prière courtoise » suscite la perplexité de la doctrine (Com. 11 déc. 2007, n° 06-18.618, inédit, RTD civ. 2008. 154, obs. R. Perrot image). À vrai dire, le code de procédure civile y recours peu (C. pr. civ., art. 8 ; 13 ; 245 ; 376). Mais parmi ces cas, il en est un qui concentre régulièrement l’attention de la Cour de cassation : en matière contentieuse, l’invitation des parties par le juge à mettre en cause tous les intéressés dont la présence lui paraît nécessaire à la solution du litige (C. pr. civ., art. 332, al. 1er).

Avant d’aller plus loin, il doit être rappelé qu’une intervention forcée n’a pas toujours le même objet (Rép. pr. civ., v° Intervention, par D. d’Ambra et A.-M. Boucon, 2014). Elle peut être destinée à obtenir la condamnation d’un tiers (C. pr. civ., art. 331, al. 1er). Elle peut aussi être destinée à rendre commun un jugement ou un arrêt à un tiers (C. pr. civ., art. 331, 2). Destinée à donner autorité de chose jugée à la décision de justice à son égard, la mise en cause se transforme ici en un opportun « relais préventif pour devancer une tierce opposition éventuelle » (Civ. 2e, 21 mars 2013, n° 11-22.312, D. 2013. 1574, obs. A. Leborgne image ; RTD civ. 2013. 433, obs. R. Perrot, spéc. 434 image). C’est justement d’une telle intervention aux fins de déclaration d’arrêt commun dont il est question en l’espèce.

Un médecin a exercé sa profession à titre libéral de 1979 à 2011, date à laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite. À compter d’octobre 2013, il a repris une activité non salariée de formateur auprès d’un institut d’ostéopathie. En 2015, la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) l’a mis en demeure de lui payer les cotisations afférentes à l’exercice 2014. Constatant le non-paiement de la créance litigieuse, la CARMF a émis une contrainte à l’encontre du médecin. Ce dernier a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Gironde d’une opposition à cette contrainte. Par un jugement, la juridiction de première instance a annulé la contrainte décernée par la caisse et condamné celle-ci à rembourser une somme au titre des cotisations et majorations de retard. La CARMF a logiquement interjeté appel de ce jugement. Outre la demande de réformation du jugement attaqué, elle formule également une demande d’intervention forcée dirigée contre une caisse de retraite concurrente : la caisse interprofessionnelle de prévoyante et d’assurance vieillesse (la CIPAV). Mais si l’article 555 du code de procédure civile autorise la mise en cause d’un tiers qui n’a été ni partie, ni représenté au premier degré, encore faut-il qu’elle soit justifiée par une évolution du litige (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile. Droit commun et spécial du procès civil. MARD et arbitrage, 35e éd., 2020, Dalloz, n° 1355, p. 980-981). Or, pour les juges de la cour d’appel, l’appelante ayant eu connaissance du conflit d’affiliation avant l’audience, aucun élément nouveau révélé par le jugement ou survenu postérieurement ne venait satisfaire la condition d’évolution du litige. Faisant grief à l’arrêt de déclarer irrecevabilité l’intervention forcée de la CIPAV, la CARMF a formé un pourvoi en cassation. À son soutien, elle formule deux moyens : premièrement, en cas d’invisibilité, et notamment dans l’hypothèse d’un conflit d’affiliation, toutes les caisses intéressées doivent être appelées à la procédure, au besoin d’office ; deuxièmement, dès lors qu’il y a indivisibilité et que la mise en cause d’un tiers s’impose, l’intervention est toujours recevable en cause d’appel sans qu’il soit besoin d’une évolution du litige.

L’argumentaire a convaincu la Cour de cassation. Au visa des articles 332 et 552 du code de procédure civile, et l’article R. 643-2 du code de la sécurité sociale, dans un paragraphe aux allures de principe, elle juge que « lorsqu’une même personne est susceptible de relever de plusieurs régimes de sécurité sociale, le juge du litige ne peut se prononcer sans avoir appelé en la cause tous les organismes en charge des régimes intéressés ». Or, en disant irrecevable l’intervention forcée de la CIPAV, alors qu’il ressortait de leur constatation que le litige portait sur un conflit d’affiliation entre deux sections professionnelles distinctes de l’organisation autonome d’assurance vieillesse des professions libérales, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

D’une faculté à une obligation d’appeler en la cause. En constatant l’emploi du verbe « pouvoir » à l’article 332, alinéa 1er, du code de procédure civile, l’invitation des parties à mettre en cause les intéressées apparaît comme une simple faculté pour le juge. Cette lecture a été confirmée par la Cour de cassation (Com. 11 déc. 2007, n° 06-18.618, RTD civ. 2008. 154, obs. R. Perrot image). Pour autant, il est des cas où la mise en cause d’un tiers est rendue obligatoire par la loi (P. Hoonaker, Intervention, in S. Guinchard (dir.), Droit et pratique de la procédure civile 2017-2018, 9e éd., 2016, n° 312.45, p. 926). À titre d’exemples, on citera les articles L. 622-22 et L. 622-23 du code de commerce par lesquels la reprise d’une instance suspendue en raison de l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire exige la mise en cause du représentant des créanciers et, le cas échéant, de l’administrateur. On citera aussi l’article L. 376-1, alinéa 8, du code de la sécurité sociale imposant à l’intéressé ou ses ayants droit d’appeler les caisses en déclaration de jugement commun en matière d’accidents non professionnels, ou l’article L. 455-2, alinéa 3, par lequel la victime ou ses ayants droit sont tenus à une obligation identique en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Mais là où une loi spéciale peut déroger à une règle de portée générale, en va-t-il de même pour une jurisprudence ? C’est ce à quoi s’autorise, en l’espèce, la Cour de cassation en matière de conflits d’affiliation. Censurant la décision tranchant un tel conflit sans avoir mis en cause tous les organismes de sécurité sociale susceptibles d’être intéressés, la Haute juridiction transforme un simple pouvoir d’initiative du juge en une obligation d’appeler en cause les tiers intéressés.

À bien y regarder, cette solution n’est pas inédite ; elle est même classique si l’on se cantonne à l’enceinte de la chambre sociale (Soc. 19 juin 1975, n° 74-10.548, Bull. civ. V, n° 343 ; 6 juill. 1976, n° 75-10.370, Bull. civ. V, n° 425 ; 13 janv. 1977, n° 75-13.382, Bull. civ. V, n° 30 ; 30 mars 1978, n° 77-10.908). À l’inverse, et sauf à remonter très loin (v. par ex., Req., 2 août 1876, DP 1877. 1. 224 ; S. 1877. 1. 306), les autres chambres de la Cour de cassation se sont toujours refusées à permettre au juge d’ordonner d’office l’intervention forcée d’un tiers (Civ. 2e, 30 avr. 1954, Bull. civ. II, n° 114 ; Civ. 3e, 5 nov. 1975, n° 74-11.546, Bull. civ. III, n° 318), même lorsqu’elles statuaient en matière de conflits d’affiliation (Civ. 2e, 14 oct. 1959, Bull. civ. II, n° 648 ; 22 nov. 1961, JCP  1962. II. 12464 ; D. 1962. 546, note Brunet). Dans l’arrêt commenté, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation fait donc tomber la cloison qui la séparait jusqu’à alors de la chambre sociale. Dans la matière considérée, en dehors même des cas où la loi le prescrit, le juge doit ordonner l’intervention forcée d’un tiers. Sa saisine est conditionnée au fait d’avoir préalablement appelé en la cause tous les organismes de sécurité sociale susceptible d’être intéressés (sur la notion de saisine, v. N. Cayrol, Procédure civile, 3e éd., 2020, n° 414 s., p. 189 s.). La justification de cette solution est à rechercher dans la spécificité de la matière litigieuse (CSS, art. R. 643-2). Mais à la lecture de l’arrêt, il est un doute dont on a dû mal à se départir : la mise en cause du tiers demeure-t-elle soumise à la volonté des parties ?

Appeler en la cause et volonté des parties. « […] on oublie trop facilement que toute intervention forcée passe nécessairement par la volonté des parties, même lorsqu’elle est suscitée par un juge. Ce n’est pas lui, en effet, qui se charge d’accomplir les formalités requises pour appeler le tiers dans la cause. La mission du juge se limite simplement à une incitation plus ou moins pressante qui, pour se réaliser dans les faits, a besoin du concours de l’une des parties » (Civ. 3e, 6 oct. 1993, n° 91-15.728, RDI 1994. 75, obs. G. Leguay et P. Dubois image ; RTD civ. 1994. 163, obs. R. Perrot image). La lecture de cette affirmation suffit à dissiper le doute. L’intervention forcée est une demande en justice ; elle prend la forme d’un acte de procédure, et ce même lorsqu’elle intervient en cause d’appel (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, op. cit., n° 361, p. 290). Sans le concours de l’une des parties, le juge ne peut appeler en cause de son propre chef.

De là, deux situations sont possibles. Premièrement, l’une des parties réalise les formalités nécessaires à la mise en cause et l’instance se poursuit en présence de tous les organismes de sécurité sociale intéressés. Deuxièmement, les parties ignorent l’initiative du juge. Si cette dernière hypothèse paraît d’école, elle n’en demeure pas moins possible. Quelle conséquence sur le déroulement de l’instance ? À première vue, pas grand-chose… Le juge ne disposerait d’aucun moyen d’action pour contraindre les parties à une mise en cause qu’elles ne désirent pas (RTD civ. 1994. 163, préc.). Mais se comporter de la sorte à l’égard de celui qui va devoir apprécier l’opportunité des prétentions soulevées, c’est adopter une stratégie audacieuse dont on ne voit pas comment elle peut être profitable. Surtout, la lecture d’un arrêt récent fait craindre de voir le juge conditionner l’examen au fond à la mise en cause du tiers intéressé (dans une espèce où l’objet du pourvoi était indivisible, Com. 16 janv. 2019, n° 16-26.989, publié au Bulletin). Ainsi, illustrant une tendance lourde observée dans le déroulement de l’instance (L. Mayer, La maîtrise du procès par les parties et les contraintes procédurales, L. Flise et E. Jeuland (dir.), Le procès est-il encore la chose des parties, Actes des 5e rencontres de procédure civile, 2015, IRJS, p. 51 s.), en matière d’intervention forcée, les parties seraient de plus en plus sous la menace du juge.

Procédure d’appel en matière prud’homale : notification des conclusions à une SEL hors ressort

Le 23 novembre 2017 un salarié relève appel d’un jugement du conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence lequel le déboutait des demandes qu’il formait contre son ancien employeur. L’appel a été effectué par l’intermédiaire de son avocat inscrit au barreau de Nîmes.

Le 4 décembre 2017 un avocat inscrit au barreau de Marseille, membre d’une société d’exercice libéral inter-barreaux dont le siège est établi à Lyon, se constitue pour l’employeur et notifie sa constitution à l’avocat du salarié.
Le 2 février 2018, l’appelant envoie ses conclusions par lettres recommandées adressées au greffe de la cour d’appel et à la société d’avocats, à l’adresse de son siège à Lyon.

L’avocat de l’employeur soulève la caducité de la déclaration d’appel au motif que la notification des conclusions a été effectuée au siège de la société d’exercice libérale inter-barreau alors qu’elle aurait dû l’être au cabinet de Marseille auprès duquel il est domicilié.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence prononce la caducité de la déclaration d’appel au motif que seul dispose d’un mandat de représentation devant la cour d’appel, emportant pouvoir et devoir d’accomplir au nom de son mandant les actes de procédure, l’avocat constitué devant la cour, soit l’avocat inscrit au barreau de Marseille, dont le cabinet se trouve dans cette ville et qu’en conséquence, c’est à juste titre que l’intimée fait valoir que la notification faite au siège de la société d’exercice à Lyon est inopérante.

Le salarié invoquait notamment au soutien de son pourvoi que « chaque avocat associé exerçant au sein d’une société d’exercice libéral exerce les fonctions d’avocat au nom de la société de sorte que le mandat donné à un avocat associé d’une société d’exercice libéral d’avocats vaut pour la société et pour tous les avocats membres de celle-ci ».

Trois textes méritent d’être reproduits pour analyser la solution de l’arrêt et la portée de celui-ci.

L’article 8, Ill, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (dans sa rédaction issue de l’ord. n° 2019-964 du 18 sept. 2019) : « L’association ou la société peut postuler auprès de l’ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de cour d’appel dans lequel un de ses membres est établi et devant ladite cour d’appel par le ministère d’un avocat inscrit au barreau établi près l’un de ces tribunaux ».

L’article 21 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993 : « Chaque avocat associé exerçant au sein d’une société d’exercice libéral exerce les fonctions d’avocat au nom de la société ».

L’article 690 du code de procédure civile : « La notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial est faite au lieu de son établissement. À défaut d’un tel lieu, elle l’est en la personne de l’un de ses membres habilités à la recevoir ».

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence aux motifs suivants : « La cour d’appel ayant constaté que l’avocat de l’employeur agissait au nom de la société d’avocats dont il était membre, il s’en déduit que seule cette société avait été constituée par l’intimé.
Or, en application de l’article 690 du code de procédure civile, les notifications entre avocats sont régulièrement accomplies, à l’égard d’une société d’avocats, au siège de celle-ci. Il n’est dérogé, s’il y a lieu, à cette règle que pour les affaires soumises à une postulation par avocat, hypothèse dans laquelle il résulte de l’article 8, Ill, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-394 du 31 mars 2016, que les notifications sont, à peine de nullité pour vice de forme, adressées au lieu où est établi l’avocat membre de la société d’avocats par le ministère duquel celle-ci postule.
En statuant comme elle l’a fait, dans une affaire prud’homale qui n’était pas soumise aux règles de la postulation par avocat, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

La solution rendue par la Cour de cassation a une triple portée :

1 - Les règles de la postulation devant la cour d’appel en matière prud’homale

La Cour de cassation confirme ses avis rendus le 5 mai 2017 lesquels énoncent que les règles de la postulation prévues aux articles 5 et 5-1 de la loi n° 71- 1130 du 31 décembre 1971 modifiée ne s’appliquent pas devant les cours d’appel statuant en matière prud’homale, consécutivement à la mise en place de la procédure avec représentation obligatoire (Cass., avis, 5 mai 2017, n° 17-70.004 et n° 17-70.005, Dalloz actualité, 10 mai 2017, obs. C. Bléry).

Pour rappel, le premier alinéa de l’article 5 dispose que « les avocats peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions, et de celles du deuxième alinéa de ce même texte, qu’ils peuvent postuler devant l’ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de la cour d’appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel, sous réserve des règles relatives à la multipostulation prévue à l’article 5-1 de la même loi ».

Ainsi, en matière prud’homale, les parties peuvent être représentées devant la Cour par tout avocat si elles ne font pas le choix d’un défenseur syndical.

2 - Les règles de notification des actes à destination d’une société d’exercice libérale d’avocats

Il convient de distinguer deux types de situations dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire :

En droit commun, l’article 8, III, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 doit recevoir application. L’acte devra obligatoirement être notifié à la société au lieu où est établi l’avocat membre de la société d’avocats par le ministère duquel celle-ci postule ; En matière prud’homale, la notification est régulièrement accomplie au siège de la société d’avocats.

3 - Les modes de notification des actes entre avocats de ressorts différents dans une procédure d’appel en matière prud’homale

Dans les procédures d’appel en matière prud’homale, jusqu’à présent les textes ne semblaient autoriser que trois modes de notification pour l’avocat extérieur hors ressort : « la notification par RPVA, qui est possible entre avocats de ressorts différents, bien qu’impossible avec une juridiction hors ressort (C. pr. civ., art. 748-1 s.) ; par acte d’huissier (C. pr. civ., art. 672) ; ou par remise directe en double exemplaire (C. pr. civ., art. 673 ; R. Laffly, Avocat extérieur au ressort de la cour d’appel et appel par lettre recommandée, Dalloz actualité, 25 juin 2019) ».

L’arrêt de la Cour de cassation, en validant la notification des conclusions par lettre recommandée, dégage ainsi un quatrième mode de notification.

Il est tout de même vivement recommandé d’utiliser le mode de notification par RPVA qui reste le moyen de notification offrant le plus de sécurité.

Protection possessoire : exclusion des anciennes actions possessoires

À la lumière d’un référé-expertise des propriétaires, pensant bénéficier d’une servitude de passage, ont assigné les propriétaires du fonds servant sur le fondement de la protection possessoire en demandant notamment l’enlèvement d’une clôture et d’une barrière qui, de leur point de vue, créaient un trouble à leur possession. Se plaçant sur un terrain spécifique en faisant valoir pour moyen de droit celui des actions possessoires, les plaideurs se sont trouvés confrontés aux évolutions législatives propres à ce domaine. Il faut en reprendre les principales étapes.

Initialement, les trois actions possessoires (complainte, dénonciation de nouvel œuvre et réintégrande, qui visaient uniquement le fait de possession) étaient confiées à la connaissance des tribunaux d’instance, alors que les actions pétitoires (le fond du droit) relevaient des tribunaux de grande instance. Simple en théorie, la distinction des questions possessoires et du fond du droit a toutefois conduit le législateur, par la loi n° 2005-47 du 26 janvier 2005, à regrouper les questions touchant à la propriété immobilière, pour les soumettre à la compétence exclusive du tribunal de grande instance. Ceci étant, dans la quasi-totalité des cas, compte tenu de la lenteur de la protection possessoire (et plus encore devant le TGI que devant le TI), les plaideurs avaient rapidement pris l’habitude d’abandonner la voie des actions possessoires pour leur préférer une procédure plus rapide, plus simple et plus efficace : le référé. La coexistence de deux voies de protection de la possession – actions possessoires et référé – n’était pas en soi une difficulté, même si la Cour de...

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Possession de bonne foi et restitution des fruits

L’arrêt présenté a été rendu sur renvoi après cassation (en réalité, c’est le troisième arrêt rendu par la Haute juridiction dans ce dossier). Il éclaire le moment auquel s’apprécie la bonne foi dans le contentieux post-annulation d’un contrat.

L’annulation d’un contrat produit, on le sait, un effet rétroactif. L’acquéreur est réputé n’avoir jamais été propriétaire du bien litigieux. Cependant, s’il doit rendre le bien, les loyers qu’il a produits et que l’acquéreur a perçu dans l’intervalle, peuvent être conservés par lui, à la mesure toutefois de sa bonne foi. De sorte que si un possesseur de bonne foi doit en effet restituer la chose à son légitime propriétaire, il peut conserver les fruits qu’elle a généré (v. C. civ., art. 549).

En droit des biens, la bonne foi suppose de celui qui s’en prévaut, d’ignorer les vices qui affectent l’acte dont il pense tirer son droit : la bonne foi est « la croyance de l’acquéreur, au moment de l’acquisition, de tenir la chose du véritable...

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Défaut de notification de conclusions à l’égard d’un co-intimé défaillant : effet et recours

Le 5 avril 2012 un acquéreur (Monsieur Z) acquiert un véhicule d’occasion affichant au compteur un certain kilométrage, auprès de Monsieur Y, qui l’avait lui-même acheté, le 18 octobre 2011, à Monsieur X, qui s’en était rendu propriétaire, le 18 août 2011, auprès de Monsieur W.

Alléguant une modification du kilométrage au compteur, l’acquéreur obtient, par ordonnance de référé, l’instauration d’une mesure d’expertise au contradictoire de Monsieur Y et de Monsieur X.

À la suite du dépôt du rapport d’expertise, l’acquéreur assigne son vendeur, Monsieur Y, à l’effet d’obtenir la résolution de la vente pour défaut de délivrance.

Ce dernier exerce alors une action récursoire à l’encontre de Monsieur X, lequel a attrait aux mêmes fins Monsieur W.

Le tribunal de grande instance déboute l’acquéreur de ses prétentions et rejette les demandes à être relevés et garantie indemne, présentées par Messieurs Y et X.

Sur appel de l’acquéreur devant la cour d’appel de Grenoble à l’encontre de l’ensemble des parties, seul Monsieur Y a comparu. Monsieur X, cité à sa personne, et Monsieur W, cité à la personne de son épouse, n’ont pas constitué avocat.

Par arrêt daté du 3 avril 2018 rendu par défaut, la cour d’appel de Grenoble a accueilli la demande de résolution de la vente présentée par l’acquéreur ainsi que la demande tendant à être relevé et garantie formulée par Monsieur Y à l’encontre de Monsieur X.

Monsieur X a formé une opposition à l’encontre de cet arrêt laquelle a été déclarée irrecevable par arrêt du 11 décembre 2018.

Monsieur X...

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Infirmation d’une décision de justice exécutoire à titre provisoire : responsabilité sans faute du créancier

Aux termes de l’article L. 111-10 du code des procédures civiles d’exécution, l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme sur le fondement d’un titre exécutoire à titre provisoire. Ce principe connait une exception et un aménagement, tous deux visés dans ce même article. L’exception a trait à la saisie immobilière, laquelle peut être engagée en vertu d’une décision de justice exécutoire par provision, mais pas être menée à son terme sur ce fondement ; la vente forcée de l’immeuble saisi ne pouvant intervenir qu’après une décision définitive passée en force de chose jugée (C. pr. exéc., art. L 311-4, al. 1er). L’aménagement est quant à lui relatif à l’hypothèse d’une modification ultérieure du titre servant de base aux poursuites. Dans une telle situation, il incombe au créancier de rétablir le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent. Plus généralement, il est affirmé que l’exécution d’un tel titre est poursuivie aux risques du créancier.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle les conditions de l’engagement de la responsabilité civile du créancier lorsque le titre exécutoire à titre provisoire est ultérieurement modifié. Si, dans son principe, la solution retenue est bien établie, sa portée doit désormais être envisagée dans le contexte de la réforme opérée par l’importante loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation...

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Histoire de la CPVE : illustration en matière d’expropriation

L’arrêt rendu le 23 septembre 2020 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, en matière de communication par voie électronique, ne surprend pas… tout au moins sur le fond car sa forme – plus précisément sa publicité – apparaît plus étonnante.

Dès le 10 novembre 2016, la deuxième chambre civile avait statué dans des termes identiques à ceux rapportés en chapô, déjà à propos d’une procédure d’expropriation (Civ. 2e, 10 nov. 2016, n° 15-25.431 P ; D. 2016. 2502 image, note C. Bléry image ; ibid. 2017. 605, chron. E. de Leiris, N. Palle, G. Hénon, N. Touati et O. Becuwe image ; D. avocats 2017. 72, obs. C. Lhermitte image ; Dalloz actualité, 1er déc. 2016, obs. R. Laffly. À combiner avec Civ. 2e, 10 nov. 2016, n° 14-25.631 P, D. 2016. 2502 image, note C. Bléry image ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero image ; ibid. 605, chron. E. de Leiris, N. Palle, G. Hénon, N. Touati et O. Becuwe image ; AJDI 2017. 94, étude S. Gilbert image). Dans cette lignée, la décision de la troisième chambre civile illustre les difficultés suscitées par la détermination du champ d’application de la CPVE, notamment en appel (Sur la CPVE, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile. Droit interne et européen, S. Guinchard (dir.), Dalloz Action, 9e éd., 2016/2017, nos 161.221 s. ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, sept. 2012 [actu. janv. 2016] ; C. Bléry et J.-P. Teboul, Une nouvelle ère pour la communication par voie électronique, in 40 ans après… Une nouvelle ère pour la procédure civile ?, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2016, p. 31 s. et Numérique et échanges procéduraux, in Vers une procédure civile 2.0, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2018, p. 7 s. ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, LexisNexis, 4e éd. 2018, nos 485 s.).

La surprise vient, en revanche, de la grande diffusion à laquelle l’arrêt est appelé… puisqu’il met en œuvre une règle qui appartient aujourd’hui à l’histoire du droit ! Certes, lorsque la cour d’appel a rendu son arrêt, elle a appliqué le droit positif d’alors, mais il en va heureusement autrement à la date de la décision de la Cour de cassation qui n’est dès lors plus qu’un cas d’espèce.

Comme dans l’arrêt de 2016 (n° 15-25.431), c’est l’exproprié qui forme appel à l’encontre du jugement indemnitaire rendu par le juge de l’expropriation, à la suite de l’ordonnance d’expropriation. Postérieurement à la déclaration d’appel, son avocat transmet à la cour d’appel les conclusions d’appel de l’appelant par voie électronique dans le délai de trois mois de l’article R. 311-26 (al. 1er) du code de l’expropriation, puis par voie papier, au-delà du délai. La cour d’appel prononce la caducité de l’appel, faute de transmission de conclusions, qui soit compatible avec les exigences de l’article R. 311-26 (al. 1er) du code de l’expropriation. L’exproprié se pourvoit. Les quatre branches de son moyen invoquent une violation ou un manque de base légale au regard de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des articles R. 311-26 et R. 311-29 du code de l’expropriation, des articles 748-1 et 748-6 du code de procédure civile et de l’arrêté du 5 mai 2010, ou encore des articles 114 et 16 du code de procédure civile – les textes étant visés ensemble ou séparément : en substance, selon le pourvoi, la communication par voie électronique facultative est permise devant toutes les juridictions, rien ne justifie une dérogation en matière d’expropriation et un accès au juge, inhérent au droit à un procès équitable, lui a été indûment refusé par la cour d’appel ; celle-ci s’est en outre trompée quant à la sanction, qui tout au plus, aurait été une nullité pour vice de forme et non une caducité.

La Cour de cassation rejette le pourvoi dans les termes rappelés ci-dessus, identiques – comme déjà dit – à ceux de 2016 (arrêt n° 15-25.431)… Elle ajoute que « la caducité étant encourue, non pas au titre d’un vice de forme de la déclaration d’appel, mais en application de l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique imposant un délai pour déposer ou adresser au greffe les conclusions et pièces, la cour d’appel n’avait pas à rechercher si cette irrégularité avait causé un...

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Chronique d’arbitrage : la Cour de cassation coule la Jaguar et le Rado

C’est une décision qui fera grand bruit (Civ. 1re, 30 sept. 2020, n° 18-19.241, PWC). Assurément une des décisions les plus importantes de la Cour de cassation depuis longtemps. La solution est simple et s’énonce en quelques mots : l’effet négatif du principe compétence-compétence n’impose pas, dans un contrat international, de renvoyer le consommateur devant l’arbitre pour discuter la compétence. Les conséquences sont vertigineuses. Nous profiterons également de cette chronique pour commenter les autres arrêts rendus en matière d’arbitrage. La période est calme, puisque nous n’évoquerons que cinq autres arrêts, parmi lesquels seul l’arrêt Samwell présente un véritable intérêt (Paris, 15 sept. 2020, n° 19/09058).

I – Arbitrage et consommateur

Avant de revenir sur l’arrêt, rappelons le droit positif tel qu’il existait au 29 septembre 2020.

Le point de départ est simple : qui du juge étatique ou de l’arbitre doit trancher les contestations des parties sur la compétence en présence d’une clause compromissoire ? La compétence de l’arbitre pour en connaître n’est pas discutée depuis bien longtemps ; on parle d’effet positif du principe compétence-compétence. Reste à savoir si cette compétence de l’arbitre pour examiner sa compétence est exclusive ou alternative à celle du juge étatique. La réponse figure à l’article 1448 du code de procédure civile, qui énonce que « lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ». Tel est le sens de l’effet négatif du principe compétence-compétence : seul l’arbitre est compétent pour examiner sa propre compétence, le juge étatique ayant seulement la faculté de réaliser un examen prima facie très limité de cette question (E. Gaillard, L’effet négatif de la compétence-compétence. Études de procédure et d’arbitrage en l’honneur de Jean-François Poudret, Lausanne, 1999, p. 387 ; M. Boucaron-Nardetto, Le principe compétence-compétence en droit de l’arbitrage, préf. J.-B. Racine, PUAM, 2013).

La solution, déjà discutée dans son principe, soulève de sérieuses objections dans certains domaines, au premier rang desquels le droit du travail et le droit de la consommation. En effet, le salarié ou le consommateur, s’il entend se prévaloir des dispositions protectrices du droit du travail ou de la consommation, est contraint de saisir l’arbitre afin d’obtenir de sa part une sentence d’incompétence avant de revenir devant les juridictions judiciaires pour qu’elles puissent examiner le fond. On comprend aisément que la solution ne satisfait pas ceux favorables à une protection accrue des parties réputées faibles.

C’est donc logiquement que la jurisprudence s’est saisie de cette situation depuis longtemps. En droit du travail, la réponse diverge selon que l’on se retrouve en matière interne ou internationale. En matière internationale, c’est l’inopposabilité de la clause compromissoire qui est retenue (Soc. 16 févr. 1999, n° 96-40.643, Bull. civ. V, n° 78 ; Rapport Cour de cassation 1999, p. 328 ; D. 1999. 74 image ; Dr. soc. 1999. 632, obs. M.-A. Moreau image ; Rev. crit. DIP 1999. 745, note F. Jault-Seseke image ; Rev. arb. 1999. 290 [1re esp.], note M.-A. Moreau ; JCP E 1999, p. 1685, note P. Coursier ; JCP E 1999, p. 748, obs. F. Taquet ; Gaz. Pal. 2000. Somm. p. 699 [1re esp.], obs. M.-L. Niboyet ; LPA 2000, n° 158, p. 4 [1re esp.], obs. F. Jault-Seseke ; J. Pelissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud et E. Dockes, Les grands arrêts de droit du travail, Dalloz, 3e éd. 2004., n° 26). Elle permet au travailleur de saisir le juge étatique en se prévalant de l’inopposabilité de la clause, ce qui escamote la discussion sur la compétence. En matière interne, le principe compétence-compétence est inapplicable (Soc. 30 nov. 2011, nos 11-12.905 et 11-12.906, D. 2011. 3002 image ; ibid. 2012. 2991, obs. T. Clay image ; Dr. soc. 2012. 309, obs. B. Gauriau image ; RTD com. 2012. 351, obs. A. Constantin image ; ibid. 528, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2012. 333, note M. Boucaron-Nardetto [1re décis.] ; JCP 2012. 843, § 2, obs. C. Seraglini ; ibid. 2011. 2518, obs. N. Dedessus-Le-Moustier ; JCP S 2012, n° 5, p. 42, note S. Brissy ; Procédures 2012. Comm. 42, obs. L. Weiller ; ibid. Comm. 75, obs. A. Bugada ; RDC 2012. 539, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). Le juge étatique est pleinement compétent pour connaître de la validité de la clause.

En revanche, la situation est plus complexe en droit de la consommation. En matière interne, le consommateur bénéficie, depuis la loi du 18 novembre 2016 et en plus du code de la consommation, de la règle de l’inopposabilité de la clause compromissoire, prévue par l’article 2061 du code civil (C. Jarrosson et J.-B. Racine, Les dispositions relatives à l’arbitrage dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Rev. arb. 2016. 1007, n° 23). En revanche, le contrat international, quand bien même il s’agit d’un contrat de consommation, ne bénéficiait pas d’un régime spécifique. Par deux arrêts, Jaguar (Civ. 1re, 21 mai 1997, nos 95-11.429 et 95-11.427 [2 arrêts], RTD com. 1998. 330, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. crit. DIP 1998, 87, note V. Heuzé ; NY. L. J. 4 déc. 1997, obs. E. Gaillard ; Dr. et patr. 1997, n° 1800, obs. P. Laroche de Roussane ; RGDP 1998. 156, obs. M.-C. Rivier ; Rev. arb. 1997. 537, note E. Gaillard ; JDI 1998. 969, note S. Poillot-Peruzzetto) et Rado (Civ. 1re, 30 mars 2004, n° 02-12.259, D. 2004. 2458 image, note I. Najjar image ; ibid. 2005. 3050, obs. T. Clay image ; RTD com. 2004. 447, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2005. 115, note X. Boucobza ; JCP 2005. I. 134, § 3, obs. C. Seraglini), la Cour de cassation renvoyait l’examen de la compétence au tribunal arbitral, appliquant ainsi strictement l’effet négatif du principe compétence-compétence. C’est précisément sur ces deux solutions que revient l’arrêt PWC.

L’affaire est relative à une succession en Espagne. Afin de se faire assister pendant cette procédure, l’un des héritiers fait appel à une société de conseil espagnole appartenant à une société d’avocats ayant une activité internationale. À la suite d’un litige avec cette dernière, l’héritier saisit les juridictions françaises. En défense, la société d’avocats soulève une exception d’incompétence au profit du tribunal arbitral (et subsidiairement, au profit des juridictions espagnoles. Ce point ne sera pas discuté, mais fera sans aucun doute l’objet de commentaires par les spécialistes du droit international privé). Au soutien de son argument, le défendeur se prévaut du principe compétence-compétence et demande à ce que l’examen de la compétence soit réalisé par l’arbitre dès lors que la clause n’est pas manifestement nulle ou inapplicable. Pourtant, devant la cour d’appel de Versailles, l’exception d’incompétence est écartée et la compétence des juridictions françaises retenue (Versailles, 15 févr. 2018, n° 17/03779, LPA 2018, n° 135, p. 13, obs. C. Jalicot). La cour d’appel de Versailles n’a pas fait de mystère sur sa démarche. Elle a énoncé que « la cour […] examinera […] la valeur et la portée de la clause compromissoire contenue dans cette première convention pour statuer sur l’exception d’incompétence soutenue par la société PWC ». Ce faisant, elle se place en violation du principe compétence-compétence. Une fois émancipée de l’effet négatif du principe, elle examine la validité de la clause. Là encore, le raisonnement est marquant. En substance, la cour d’appel énonce que la clause n’a pas fait l’objet d’une « négociation individuelle » et qu’elle présente un « caractère standardisé ». En conséquence, elle juge la clause abusive. Pour finir, la cour d’appel de Versailles se reconnaît compétente pour trancher le litige, en application du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit Bruxelles 1 bis, au motif que la société PWC « dirige ses activités vers plusieurs États dont la France et l’Espagne, États membres de l’Union européenne, ce qui justifie l’application à l’espèce des dispositions combinées des articles 17 c et 18 du règlement Bruxelles I bis et permet de retenir la compétence d’une juridiction française ».

Un pourvoi est logiquement formé contre cet arrêt et aurait dû entraîner la cassation, la cour d’appel de Versailles ayant ouvertement violé le principe compétence-compétence. Il n’en est rien et le pourvoi est rejeté. En synthèse (la motivation est touffue), la Cour énonce que « la règle procédurale de priorité édictée par ce texte ne peut avoir pour effet de rendre impossible, ou excessivement difficile, l’exercice des droits conférés au consommateur par le droit communautaire que les juridictions nationales ont l’obligation de sauvegarder ». En conséquence, le principe compétence-compétence est ignoré. Elle ajoute ensuite que le défendeur « ne démontrait pas que la clause standardisée obligeant le client non-professionnel à saisir, en cas de différend, une juridiction arbitrale, avait fait l’objet d’une négociation individuelle ». La clause est donc écartée. Enfin, elle confirme la compétence des juridictions françaises, au motif que « la société d’avocats PWC dirigeait son activité professionnelle au-delà de la sphère territoriale de son barreau de rattachement, en proposant ses services à une clientèle internationale, domiciliée notamment en France, de sorte qu’en sa qualité de consommateur, [la demanderesse], domiciliée en France, pouvait porter son action devant les juridictions françaises ».

Certains voient dans cette décision une nouvelle hypothèse de nullité manifeste de la clause. Ce n’est pas l’analyse que nous en faisons, même si la lecture de l’arrêt est loin d’être évidente. L’articulation de l’arrêt nous semble révélatrice. Dans l’examen de la première branche du premier moyen, la Cour écarte implicitement l’effet négatif du principe compétence-compétence ; cela lui permet, dans l’examen des autres branches du moyen, de conforter l’analyse de la cour d’appel de Versailles pour écarter la clause. Il y a donc deux temps dans le raisonnement : d’une part, l’éviction du principe compétence-compétence (A) et, d’autre part, la condamnation de la clause (B). Néanmoins, on peut se demander si une autre approche n’est pas envisageable (C).

A - L’éviction du principe compétence-compétence

La consécration d’une solution nouvelle dans les contrats internationaux de consommation n’est pas étonnante. Elle était pressentie depuis longtemps et il est probable que seule l’occasion manquait. En doctrine, plusieurs travaux remarquables ont soutenu une évolution en la matière (M. de Fontmichel, Le faible et l’arbitrage, préf. de T. Clay, Économica, 2013 ; J. Clavel, Le déni de justice économique dans l’arbitrage international. L’effet négatif du principe de compétence-compétence, ss la dir. de G. Khairallah, thèse Paris II, nos 331 s. ; C. Seraglini, Les parties faibles face à l’arbitrage international, à la recherche d’un équilibre, Gaz. Pal. 2007, n° 349, p. 5, n° 26 ; en dernier lieu, C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Domat, Droit privé, LGDJ, 2019, n° 662). Par ailleurs, on ne peut ignorer que la Cour de justice, sans le dire expressément, invitait à l’adoption d’une telle solution (CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05, Mme Mostaza Claro c/ Centro Movil Milenium SL, D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 3026, obs. T. Clay image ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages image ; ibid. 633, obs. P. Théry image ; JDI 2007. 581, note A. Mourre ; Rev. arb. 2007. 109, note L. Idot ; JCP 2007. I. 168, § 1, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal. 29 avr.-3 mai 2007, p. 17, obs. F.-X. Train ; LPA 2007, n° 152, p. 9, obs. C. Legros ; ibid., n° 189, p. 9, note G. Poissonier et J.-P. Tricoit ; RDAI 2007, n° 14, p. 55, obs. C. Nourissat ; Europe 2006, n° 378, p. 28, obs. L. Idot). Pour analyser la décision, il convient de revenir sur la motivation exprimée (1), les fondements suggérés (2) et la portée indéterminée (3).

1 - La motivation exprimée

Le droit européen est au cœur du raisonnement de la Cour de cassation. En effet, la législation française sur les clauses abusives est issue d’une transposition de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993. La Cour de cassation reprend in extenso la motivation d’une décision rendue par la Cour de justice à propos de ce texte (CJUE 20 sept. 2018, aff. C-51/17, § 89, D. 2018. 1861 image ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki image ; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; AJ contrat 2018. 431, obs. E. Bazin image) : « étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive 93/13 assure aux consommateurs, l’article 6 de celle-ci doit être considéré comme une norme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de normes d’ordre public ». D’ores et déjà, on peut signaler deux éléments intéressants. Premièrement, la législation sur les clauses abusives n’est pas considérée comme étant simplement protectrice des intérêts privés des consommateurs. Elle garantit également l’intérêt public. Deuxièmement, c’est cette préservation des intérêts publics qui justifie une intégration au sein des normes d’ordre public (v. en ce sens en matière d’arbitrage, J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, n° 160, préf. T. Clay, nos 503 s.).

Une fois ce point établi, la Cour de cassation déroule son raisonnement. Elle énonce qu’il est nécessaire de « prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats » et que, « au nombre des moyens adéquats et efficaces devant garantir aux consommateurs un droit à un recours effectif doit figurer la possibilité d’introduire un recours ou de former opposition dans des conditions procédurales raisonnables, de sorte que l’exercice de leurs droits ne soit pas soumis à des conditions, notamment de délais ou de frais, qui amenuisent l’exercice des droits garantis par la directive 93/13/CEE ». Or il convient que les modalités procédurales « ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire ». À ce stade, la Cour sonne déjà le glas du principe compétence-compétence. Il ne lui revient plus que de conclure. C’est ce qu’elle fait, en soulignant que « la règle procédurale de priorité édictée par ce texte ne peut avoir pour effet de rendre impossible, ou excessivement difficile, l’exercice des droits conférés au consommateur par le droit communautaire que les juridictions nationales ont l’obligation de sauvegarder » et que, dès lors, « la cour d’appel qui, après en avoir examiné l’applicabilité, en tenant compte de tous les éléments de droit et de fait nécessaires dont elle disposait, a écarté la clause compromissoire en raison de son caractère abusif, a, sans méconnaître les dispositions de l’article 1448 du code de procédure civile, accompli son office de juge étatique auquel il incombe d’assurer la pleine efficacité du droit communautaire de protection du consommateur ».

On est doublement frustré par la motivation. D’une part, la Cour de cassation s’efforce de poser les fondements de sa décision, en rappelant dans plusieurs paragraphes successifs, que nous avons présentés, la valeur de la protection du consommateur contre les clauses abusives et le sens de la jurisprudence européenne. On peut se réjouir de cette motivation enrichie, soigneusement choisie. Néanmoins, à aucun moment la Cour de cassation n’explique en quoi l’effet négatif du principe compétence-compétence a pour effet de rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés au consommateur. Alors certes, on pourra dire que la réponse est évidente, et elle l’est sûrement. En effet, on peut difficilement attendre du consommateur qu’il saisisse l’arbitre dans le seul et unique but d’obtenir une décision d’incompétence afin de saisir le juge étatique. Toutefois, pourquoi ne pas le dire explicitement ? D’autre part, on est un peu surpris par la conclusion sur cette première branche du premier moyen. Alors que le raisonnement précédent visait essentiellement à mettre en lumière l’importance d’un droit à un recours effectif pour le consommateur et la problématique révélée par l’effet négatif du principe compétence-compétence, la Cour répond uniquement sur le fond en approuvant la cour d’appel d’avoir écarté la clause compromissoire. Or ce n’est pas la même chose de s’interroger, d’un côté, sur l’application du principe compétence-compétence à un consommateur et, d’un autre côté, sur la validité de la clause à son égard.

C’est ce qui rend l’analyse de l’arrêt particulièrement délicate. La Cour a-t-elle véritablement décidé d’écarter le principe compétence-compétence ? Il nous semble que la réponse est positive. À aucun moment une inapplicabilité ou une nullité manifeste n’est envisagée. C’est au contraire un examen approfondi de la clause qui est réalisé, la Cour de cassation retenant que la cour d’appel a tenu compte « de tous les éléments de droit et de fait nécessaires dont elle disposait ». Si la cour d’appel n’a pas « méconn[u] les dispositions de l’article 1448 du code de procédure civile », c’est que la Cour de cassation a dû estimer que l’effet négatif était sans application dans de telles circonstances. Mais quel est le mécanisme à l’œuvre ?

2 - Le fondement suggéré

Si l’on comprend que la législation européenne de protection du consommateur présente une valeur particulière aux yeux de la Cour de cassation et que l’effet négatif du principe compétence-compétence est un obstacle à son effectivité, on reste tout de même, à la lecture de l’arrêt, dubitatif sur le mécanisme à l’œuvre pour aboutir au résultat. Pour l’essentiel, la Cour de cassation met en lumière « l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection » du consommateur et qualifie donc la règle « de normes d’ordre public ». Néanmoins, cette motivation est insuffisante à expliquer la mise à l’écart des dispositions du code de procédure civile.

Certains seront sans doute tentés de voir à l’œuvre des techniques issues du droit international privé, notamment une loi de police. En effet, ce ne serait pas la première fois qu’une disposition européenne revêtirait une telle qualification (CJCE 9 nov. 2000, aff. C-381/98, Rev. crit. DIP 2001. 107, note L. Idot image ; JDI 2001. 517, note J.-M. Jacquet). Cependant, la qualification ne nous semble pas adaptée : la loi de police a vocation à intervenir dans une situation de conflit de lois, écartant de façon anticipée la règle de conflit. Rien de tel en l’espèce, puisque c’est une règle procédurale française qui est évincée !

En revanche, deux explications plus satisfaisantes, et finalement plus simples, peuvent être avancées. La première consiste à retenir une application du principe specialia generalibus derogant : la nécessité d’assurer au consommateur un droit à un recours effectif dans des conditions procédurales raisonnables constitue une règle spéciale qui déroge à la règle générale fixée par l’article 1448 du code de procédure civile. La seconde est un peu différente, mais entraîne des conséquences similaires. Il s’agit de considérer que la Cour de cassation réalise un banal examen de conventionnalité. La directive, droit européen dérivé, et son interprétation par la Cour de justice, étant supérieures au code de procédure civile, texte de nature réglementaire, la contrariété du second aux premières permet d’écarter l’effet négatif du principe compétence-compétence. C’est sans doute le sens du § 13 de l’arrêt, où la Cour énonce que « la règle procédurale de priorité édictée par ce texte ne peut avoir pour effet de rendre impossible, ou excessivement difficile, l’exercice des droits conférés au consommateur par le droit communautaire que les juridictions nationales ont l’obligation de sauvegarder ».

En réalité, ni l’une ni l’autre de ces explications ne nous paraît pleinement conforme à la lettre de la décision. La première ne nécessite pas l’identification d’une règle ayant une valeur particulière (d’ordre public) pour être mise en œuvre, alors que la Cour insiste particulièrement sur cet aspect. La seconde conduit à retenir uniquement un conflit entre une norme européenne et une norme interne, là où la Cour semble hésiter entre l’utilisation la directive ou le droit de la consommation (elle parle ainsi de la valeur de la règle dans « l’ordre juridique interne »). Autrement, la Cour de cassation a presque trop motivé sa décision, ce qui rend délicat l’identification de la solution. Reste à en déterminer la portée.

3 - La portée indéterminée

a. Un champ d’application incertain

La détermination du champ d’application de la solution présente un enjeu considérable. Il convient en effet qu’elle ne se répande pas, par capillarité, à d’autres domaines. À défaut, il en serait fini d’un des principaux mécanismes de protection de la compétence arbitrale.

Fort logiquement, il convient en premier lieu de déterminer le champ d’application personnel du principe. A priori, la réponse n’est pas difficile : il s’applique dans une relation entre un professionnel et un consommateur. Pourtant, la solution n’est peut-être pas si évidente. D’une part, on constate que la définition des consommateur et professionnel est distincte entre l’article 2 de la directive et l’article liminaire du code de la consommation. Laquelle des deux faut-il retenir ? D’autre part, on rappellera que l’article L. 212-2 du code de la consommation étend le bénéfice du dispositif sur les clauses abusives au non-professionnel. Doit-il, en conséquence, bénéficier de l’éviction du principe compétence-compétence ? En toute logique, si c’est bien un contrôle de conventionnalité qui a été réalisé, il devrait être nécessaire de s’en tenir au texte européen (sauf à réaliser un contrôle de légalité entre l’art. L. 212-1 c. consom. et l’art. 1448 c. pr. civ. ?). Il en va différemment si la Cour a opté pour une articulation entre règle générale et règle spéciale…

En deuxième lieu, il faut s’interroger sur un éventuel champ d’application spatial de la solution. Pour le dire simplement : le principe compétence-compétence doit-il être écarté dans l’intégralité des contrats de consommation au monde lorsqu’il se présente devant le juge français ? Prenons un exemple pour illustrer la problématique. Un consommateur américain acquiert le produit d’un professionnel français exerçant une activité sur le sol américain. Le contrat contient une clause compromissoire. Le consommateur peut-il se prévaloir du droit européen pour faire écarter le principe compétence-compétence et saisir les juridictions françaises ? Derrière, il y a une véritable question de champ d’application du texte. Or le risque est de tomber dans un raisonnement de recherche de la loi applicable au contrat. Un tel raisonnement serait, d’abord, éminemment complexe pour un consommateur, et surtout, parfaitement illogique. Il conduit non seulement à faire dépendre la compétence du juge du droit applicable au contrat (ce qui est une problématique classique), mais surtout à faire litière de l’indépendance juridique de la clause compromissoire par rapport au contrat principal. Il est donc préférable de fixer un champ d’application sans obliger les parties et le juge à des circonvolutions.

b. Un potentiel d’extension à craindre

Du point de vue de l’arbitrage, cette décision est un coup de canif supplémentaire à l’effet négatif compétence-compétence, qui commence à être sérieusement fragilisé (v. égal. l’utilisation du principe d’estoppel pour faire échec au principe, Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-27.823, D. 2018. 2448, obs. T. Clay image ; RTD civ. 2018. 482, obs. N. Cayrol image ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude ; JDI 2018. Comm. 18, note J. Jourdan-Marques). Il y a l’exception, déjà évoquée, du contrat de travail, qui constitue déjà une première entorse. Mais n’y a-t-il pas à craindre qu’une lame de fond finisse par emporter l’ensemble ? En effet, on ne peut ignorer que les tentatives de remise en cause de la clause au stade pré-arbitral sont de plus en plus importantes. Ainsi, on connaît les discussions autour de la clause en présence d’une partie impécunieuse ou d’un tiers non-signataire. La jurisprudence laisse d’ailleurs entendre que le déséquilibre significatif pourrait être de nature à remettre en cause, au moins au stade du contrôle de la sentence, la clause compromissoire (J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : l’arbitrage à l’épreuve du déséquilibre significatif, Dalloz actualité, 29 juill. 2020).

On peut également redouter que le principe finisse par céder en présence de législations européennes. Dans le présent arrêt, la mise à l’écart du principe compétence-compétence repose autant, si ce n’est plus, sur la source européenne de la législation protectrice du consommateur que sur la fragilité du consommateur. L’un des passages-clés est la mention du principe d’effectivité (§ 11). Celui-ci énonce que les dispositions procédurales des États membres ne doivent pas rendre « impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire ». Or c’est justement ce principe qui est repris dans le paragraphe décisif (§ 13). Le problème vient du fait que le principe d’effectivité ne concerne pas que le consommateur. Ainsi, dans un arrêt du 7 juillet 2017 ( Cass., ch. mixte, 7 juill. 2017, n° 15-25.651, D. 2017. 1800, communiqué C. cass. image, note M. Bacache image ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD civ. 2017. 829, obs. L. Usunier image ; ibid. 872, obs. P. Jourdain image ; ibid. 882, obs. P.-Y. Gautier image ; RTD eur. 2018. 341, obs. A. Jeauneau image ; RLDC 2017, n° 151, p. 4, obs. B. Bernard ; JCP 2017. 1580, note C. Quézel-Ambrunaz ; Gaz. Pal. 2017, n° 34, p. 30, obs. N. Blanc ; ibid. n° 37, p. 65, obs. N. Hoffschir ; CCC 2017, n° 11, p. 24, obs. L. Leveneur), la Cour de cassation a, au visa du principe d’effectivité, consacré une obligation pour le juge judiciaire de relever d’office l’applicabilité des dispositions relatives aux produits défectueux. Faut-il dès lors considérer que le principe compétence-compétence doit également être écarté en présence d’une action relative à un produit défectueux, sur le fondement du principe d’effectivité ? À suivre une telle direction, on risque d’aboutir rapidement à une inarbitrabilité généralisée des litiges relevant du droit européen, ce qui constituerait un retour en arrière considérable.

Il est essentiel de se rappeler que si l’on veut protéger le consommateur, ce n’est pas parce que le droit européen l’impose, mais parce qu’il mérite une protection particulière. Autant assumer ce postulat et prévoir un cadre protecteur pour ce dernier, autonome du droit européen, mais respectueux de celui-ci !

B - La condamnation de la clause

Une fois l’effet négatif du principe compétence-compétence écarté, la Cour examine les critiques relatives à la validité de la clause compromissoire. Rappelons-en les modalités, qui ne sont pas évoquées dans l’arrêt. L’examen d’une clause compromissoire, qui est en principe réalisé au stade post-arbitral, s’inscrit dans le cadre de l’arrêt Dalico : « en vertu d’une règle matérielle du droit international de l’arbitrage, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence et que son existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique » (Civ. 1re, 20 déc. 1993, n° 91-16.828, Rev. crit. DIP 1994. 663, note P. Mayer image ; RTD com. 1994. 254, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin image ; Rev. arb. 1994. 116, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1994. 432, note E. Gaillard). Cet arrêt entraîne deux conséquences essentielles : d’une part, l’examen de la clause compromissoire est réalisé à l’aune de la seule règle matérielle posée par la décision ; d’autre part, aucune loi nationale ne s’applique à la clause, pas même le droit interne français (sous réserve de l’exception posée par l’arrêt). Cette seconde précision est importante. Elle conduit la jurisprudence, dans l’arrêt Zanzi, à énoncer que « l’article 2061 du code civil est sans application dans l’ordre international » (Civ. 1re, 5 janv. 1999, n° 96-21.430, Zanzi c/ Coninck, D. 1999. 31 image ; Rev. crit. DIP 1999. 546, note D. Bureau image ; RTD com. 1999. 380, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 1999.260, note P. Fouchard ; RCDIP 1999.546, note D. Bureau ; D. aff. 1999.291, obs. X. Delpech ; RGDP 1999.409, obs. M.-C. Rivier ; Dr et patr., 2000. 2514, obs. P. Mousseron ; RDAI 1999.823, obs. C. Imhoos ; RJDA 1999.360 ; Gaz. Pal. 9-11 janv. 2000, p. 64 ; ibid. 13-14 oct. 2000, p. 10, obs. E. du Rusquec).

Dès lors, de deux choses l’une : soit la Cour entend, pour écarter la clause, réaliser un examen de la commune volonté des parties, soit elle souhaite se prévaloir d’une règle impérative du droit français et de l’ordre public international. Pourtant, l’examen des deuxième, troisième et quatrième branches du premier moyen ne révèle pas vraiment un choix au profit de l’une ou de l’autre de ces solutions.

Assez spontanément, on s’attendait à ce que la Cour reprenne le travail de qualification réalisé dans l’examen de la première branche et se prévale du « rang de normes d’ordre public » du dispositif relatif aux clauses abusives. La Cour s’est elle-même créé un boulevard pour examiner la validité de la clause au regard du droit de la consommation, règle impérative du droit français. Pourtant, telle ne semble pas être la démarche retenue, la Cour ne visant ni le droit de la consommation ni un quelconque caractère abusif de la clause. Autrement dit, la Cour semble plutôt à la recherche de la commune volonté des parties.

Pour ce faire, la Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel de Versailles, qui tient en trois temps : d’abord, elle regrette l’absence de preuve d’une négociation sur la clause ; ensuite, elle constate que la clause est une simple traduction de la clause type espagnole ; enfin, elle souligne que le consommateur n’était pas en mesure de négocier la clause dans un rapport équilibré. La Cour de cassation, tout en précisant que cette question relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, énonce que « la société PWC ne démontrait pas que la clause standardisée obligeant le client non-professionnel à saisir, en cas de différend, une juridiction arbitrale, avait fait l’objet d’une négociation individuelle, a légalement justifié sa décision de ce chef ».

Les spécialistes de l’arbitrage feront le rapprochement entre cette motivation et celle de l’arrêt Prunier. Il y a 177 ans, la Cour de cassation signait le début de la cryogénisation de la clause compromissoire en expliquant notamment que « si l’on validait dans le cas d’assurances contre l’incendie la simple convention ou clause compromissoire, il faudrait reconnaître et consacrer sa validité dans tous les contrats […] que cette stipulation deviendrait en quelque sorte banale et de pur style » (Civ. 10 juill. 1843, Prunier, S. 1843. 1. 561 ; D. 1843. 1. 343 ; Rev. arb. 1992. 399 ; Les grandes décisions du droit de l’arbitrage commercial, Dalloz, n° 1). Une fois encore, la clause compromissoire est stigmatisée pour ne pas avoir fait l’objet d’une négociation ad hoc.

On est tout de même étonné de voir que la critique des deux cours s’articule autour de l’absence de négociation individuelle de la clause. Cette approche semble confirmer que la Cour ne se situe pas sur le terrain de clauses abusives (v. égal., à propos de l’arrêt d’appel, C. Jalicot, obs. ss Versailles, 15 févr. 2018, LPA 2018, n° 135, p. 13). En effet, ce n’est aucunement le critère retenu par les textes. L’article L. 212-1 du code de la consommation retient une approche différente : « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Pire, le droit français de la consommation n’interdit pas qu’une clause négociée soit finalement qualifiée d’abusive. De plus, l’article 3 de la directive n° 93/13/CEE du 5 avril 1993, s’il vise bien les clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, ne les condamne pas ipso facto : « une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ». En définitive, ce n’est pas l’absence de négociation qui condamne une clause ; et fort heureusement d’ailleurs, car le consommateur négocie rarement les clauses de ses contrats ! Cependant, si le raisonnement ne se tient pas en termes de clause abusive, on comprend mal pour quelle raison la charge de la preuve pèse sur le professionnel, alors que c’est précisément l’intérêt d’une classification au sein des clauses grises.

Faut-il comprendre qu’il n’y a pas de consentement à une clause si elle n’a pas fait l’objet d’une négociation ? La solution est déroutante, même pour un consommateur. Elle deviendrait effrayante en dehors du droit de la consommation, dès lors que la plupart des clauses compromissoires intégrées dans les contrats sont des clauses types et qu’elles ne font l’objet d’aucune négociation individuelle.

La solution paraît d’autant plus étonnante qu’il nous semble que certaines clauses compromissoires, sans pour autant faire l’objet d’une négociation, ne sont pas nécessairement génératrices d’un déséquilibre. Que doit-on penser d’une clause par laquelle le professionnel s’engage à prendre à sa charge l’intégralité des frais d’arbitrage avec une procédure dématérialisée et une sentence rendue dans des délais raisonnables ? Naturellement, on peut être hostile, par principe, à l’arbitrage en matière de droit de la consommation ; mais lorsqu’on ne l’est pas, est-il véritablement satisfaisant de considérer que le critère pertinent est celui de l’absence de négociation ?

On est donc particulièrement mal à l’aise face à cette solution, d’autant qu’un raisonnement classique en termes de déséquilibre significatif, appuyé par la présomption fixée par le code de la consommation, permet d’aboutir à une solution identique.

C - Une solution alternative ?

On peut sans doute se satisfaire du revirement opéré par la Cour de cassation. La solution était attendue. Mais son fondement inquiète. D’abord, l’arrêt contribue à émousser le principe compétence-compétence et ouvre la voie à de nouvelles contestations. Ensuite, il maintient une différence de régime pour les consommateurs, entre le consommateur dans un contrat interne (lequel peut se prévaloir de l’inopposabilité de la clause compromissoire de l’art. 2061 c. civ.) et le consommateur dans un contrat international. La même différence de régime se retrouve d’ailleurs entre le contrat de travail international (la clause est inopposable) et le contrat de consommation international. Enfin, il laisse potentiellement sur le bord du chemin des parties qui ne pourraient pas prétendre à la qualification de consommateur et qui, pourtant, mériteraient de faire l’objet d’une protection.

Une autre approche était-elle envisageable ? Sans doute. Au XXIe siècle, les contrats sont de plus en plus internationaux. En effet, tout un chacun conclut au quotidien – ou presque – des contrats contenant des éléments d’extranéité. Ainsi du passager de transport aérien qui achète un voyage avec une compagnie nationale vers une destination étrangère. Ainsi de l’internaute qui s’inscrit sur un réseau social dont le siège est situé à l’étranger. Ainsi du e-shopper qui achète un produit auprès d’un marchand implanté dans un pays voisin. Dans ces hypothèses, la partie n’a quasiment jamais conscience de conclure un contrat international. Et d’ailleurs, l’est-il vraiment ?

En droit de l’arbitrage, le critère de l’internationalité n’est pas le critère juridique. L’article 1504 du code de procédure civile retient le critère économique : « Est international l’arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international ». Plus précisément, la jurisprudence évoque anciennement le « mouvement de flux et de reflux au-dessus des frontières, des conséquences réciproques dans un pays et dans un autre » (Civ., 17 mai 1927, DP 1928. I. 25, concl. Matter, note H. Capitant). Très concrètement, il est peut-être temps de se demander si ce critère, qui date de près d’un siècle, ne doit pas être nouvellement interprété à l’aune des évolutions de notre société (sur ces critères, C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Domat, Droit privé, LGDJ, 2019, n° 30 [pour le critère de la commercialité] et n° 35 [pour l’internationalité]). Le critère n’est d’ailleurs, en lui-même, absolument pas discutable. Très simplement, et sans faire de publicité, pour l’achat d’une paire de chaussures à 50 € sur le site Zalando, dont les mentions légales indiquent un siège en Allemagne, le contrat met-il vraiment en cause les intérêts du commerce international et entraîne-t-il des conséquences réciproques dans un pays et dans l’autre ? N’est-il pas nécessaire de prévoir une appréciation mesurée de l’internationalité (dont les critères exacts restent à déterminer) afin d’éviter un déclenchement trop brusque du régime de l’arbitrage international ? D’ailleurs, l’arbitrage Tapie n’a-t-il pas ouvert la voie, en retenant une appréciation restrictive de l’internationalité (Paris, 17 févr. 2015, n° 13/13278, Sté CDR créances c/ Sté CDR-Consortium de réalisation, Dalloz actualité, 20 févr. 2015, obs. X. Delpech ; ibid. 18 déc. 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 1253 image, note D. Mouralis image ; ibid. 425, édito. T. Clay image ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; Rev. arb. 2015. 832, note P. Mayer ; JCP 2015. 289, note S. Bollée ; Procédures avr. 2015. Étude 4, obs. L. Weiller ; Cah. arb. 2015. 281, note A. de Fontmichel ; Gaz. Pal. 2015, n° 94, p. 17, note M. Boissavy ; ibid., n° 167, p. 22, obs. M. Nioche ; Bull. ASA 2016. 207, note M. Henry ; Civ. 1re, 30 juin 2016, nos 15-13.755, 15-13.904, 15-14.145, Dalloz actualité, 30 août 2016, obs. X. Delpech ; D. 2016. 1505 image ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2589, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2017. 245, note J.-B. Racine image ; JCP 2016. 954, note S. Bollée ; Procédures 2016, n° 290, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2016. 1123, note P. Mayer ; Cah. arb. 2017. 339, note M. Henry) ?

Naturellement, cette évolution du critère a des conséquences bien au-delà du consommateur. Mais est-ce pour autant un mal ? Ce faisant, on peut réaliser un tri plus fin entre les contrats pour lesquels l’internationalité est « fortuite » et ceux qui résultent d’une véritable dynamique. D’ailleurs, rien n’interdit de s’approprier les critères posés par l’article 6 du Règlement Rome I (le professionnel « a) exerce son activité professionnelle dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, ou b) par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays, dont celui-ci ») pour éviter une admonestation de la Cour de justice.

Quel est l’intérêt de cette démarche ? Il n’est pas seulement de faire bénéficier du régime de l’arbitrage interne des articles 1442 et suivants du code de procédure civile. Il est surtout dans la faculté retrouvée d’appliquer l’article 2061 du code civil ! En effet, on l’a rappelé, l’internationalité de l’arbitrage interdit l’application de cette disposition en vertu de la jurisprudence Dalico/Zanzi. Si l’arbitrage redevient interne, l’article 2061 du code civil permet au consommateur de se prévaloir de l’inopposabilité de la clause compromissoire. Les intérêts de la solution sont multiples.

Premièrement, on peut retrouver une unité de régime. Ainsi, le travailleur, le consommateur, mais aussi celui qui n’a « pas contracté dans le cadre de son activité » bénéficient tous de l’inopposabilité de clause, sans besoin de recourir à un texte spécial. Il suffit pour cela que le contrat soit qualifié d’interne au regard du nouveau critère.

Deuxièmement, on peut exclure du bénéfice de ces dispositions les hypothèses où le contrat est international en application de ce nouveau critère. Le consommateur qui irait acheter son véhicule de luxe à l’étranger ne pourrait pas se prévaloir, comme c’est le cas aujourd’hui, de l’article 2061 du code civil et ne pourrait pas non plus obtenir la mise à l’écart de l’effet négatif.

Troisièmement, on préserve le principe compétence-compétence. D’une part, l’application de l’article 2061 du code civil ne remet aucunement en cause le principe, puisque l’inopposabilité évite un débat sur la compétence. D’autre part, on peut maintenir l’application du principe dans toutes les hypothèses où le contrat est international, sans aucune exception.

Reste à savoir si une telle voie est plus simple à suivre que celle retenue par la Cour de cassation. Difficile à dire avec certitude. Néanmoins, elle nécessite uniquement de répondre à deux questions : d’abord, le contrat est-il interne ou international ; ensuite, si et seulement si le contrat est interne, l’une des parties est-elle un non-professionnel (formule retenue par l’article 2061 du code civil) ? L’une et l’autre de ces questions sont tranchées en application du droit français, puisqu’il s’agit d’une simple question de qualification, réalisée lege fori.

En tout état de cause, cette piste, comme de nombreuses autres, doit être explorée. Il est désormais temps pour la doctrine arbitragiste de se saisir de cet arrêt afin de préserver au mieux la cohérence du droit de l’arbitrage.

II - Le principe compétence-compétence

L’arrêt PWC n’est pas le seul rendu le par la Cour de cassation le 30 septembre 2020. Un autre arrêt est également rendu, à nouveau sur le principe compétence-compétence (Civ. 1re, 30 sept. 2020, n° 19-15.728, Matisa). Dans le cadre de la fourniture d’un train, la société ETF a eu recours à la société Matisa Suisse. Elle a ensuite commandé à la société Matisa France, filiale de Matisa Suisse, de nouveaux ressorts d’essieux. À la suite d’un déraillement, elle a assigné ces sociétés et son assureur devant le tribunal de commerce. La société Matisa Suisse a soulevé l’existence d’une clause compromissoire contenue dans ses conditions générales de livraison.

La question posée est celle de l’application de la clause à l’ensemble du litige. La cour d’appel a fait application du principe compétence-compétence et accueilli l’exception d’incompétence. Le pourvoi est rejeté. Pour l’essentiel, la Cour de cassation relève l’appréciation souveraine des juges du fond sur cette question. Néanmoins, elle illustre, de la part de la cour d’appel, une méconnaissance du principe compétence-compétence. La Cour de cassation retient que « la cour d’appel a souverainement admis l’existence d’un engagement, à l’initiative de la société ETF, des trois parties dans des opérations techniques impliquant le recours au savoir-faire des deux sociétés Matisa. Elle a pu en déduire que la clause d’arbitrage stipulée dans les conditions générales de la société Matisa Suisse, dont la société ETF avait pleinement connaissance pour les avoir acceptées lors de la commande du train, s’appliquait manifestement au litige ayant son origine dans l’intervention des sociétés Matisa ». Ainsi, la cour ne caractérise pas l’absence d’inapplicabilité manifeste ; à l’opposé, elle caractérise une « applicabilité manifeste » en appliquant la jurisprudence relative à l’extension de clause. Ce faisant, elle tranche de façon anticipée le débat sur la compétence et viole l’effet négatif.

L’arrêt est néanmoins cassé, en ce que la cour d’appel a désigné la cour d’arbitrage de la chambre de commerce internationale de Paris, en violation de l’article 81 du code de procédure civile. Toutefois, la Cour de cassation use de la faculté offerte par l’article L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire pour renvoyer les parties à mieux se pourvoir.

III – Les cas d’ouverture du recours

A - Le caractère contradictoire de la procédure

Le respect du calendrier d’arbitrage justifie-t-il rejeter une demande de production d’une attestation de témoin ? Telle est en substance la question posée à la cour d’appel de Paris (Paris, 29 sept. 2020, n° 19/11695, Periscoop). L’une des parties conteste le refus de l’arbitre de faire droit à sa demande de produire une déclaration de témoin, là où son adversaire a pu produire une telle déclaration. Dans le cadre de la procédure, l’arbitre, en accord avec les parties, a fixé une date limite pour la production de telles attestations. C’est postérieurement à cette date que la demande discutée a été formulée. L’arbitre, après avoir soumis cette question à la discussion des parties, a rejeté la demande, au motif qu’« en l’absence d’un accord entre les Parties postérieurement à l’Ordonnance de procédure n° 1 afin de déroger à ce calendrier procédural et en l’absence d’un troisième jeu d’écritures prévu ou convenu entre les Parties, le Tribunal arbitral ne peut pas accepter que la Défenderesse produise des attestations de témoins avec son Deuxième Mémoire ».

Le moyen est rejeté. La cour retient que la décision a été prise « au regard des dates impératives du calendrier de la procédure, soumis de surcroît aux dispositions de la procédure accélérée, auquel il n’y avait pas lieu de déroger dès lors que les parties avaient sur un pied d’égalité disposé du même temps et de l’opportunité de produire des attestations de témoins dans des délais acceptés ». La cour fait ainsi prévaloir la sécurité de la procédure et évite de faire droit aux manœuvres dilatoires dans le cadre d’une procédure accélérée. Deux questions se posent néanmoins. D’une part, la solution aurait-elle été identique en dehors du cadre spécifique de la procédure accélérée ? D’autre part, la cour fait deux fois mention de l’absence d’explications de la partie sur sa demande. La solution aurait-elle été différente en présence de telles explications ?

On évoquera aussi rapidement un autre arrêt de la cour d’appel (Paris, 15 sept. 2020, n° 18/01360), dans le contentieux sériel avec l’entreprise Subway. La cour rappelle que « le principe de la contradiction exige seulement que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n’ait échappé à leur débat contradictoire ». À ce titre, une partie qui n’a pas participé à la procédure, mais qui a reçu « par e-mail », « via UPS » ou « via Federal Express » l’ensemble des actes de la procédure arbitrale ne peut invoquer une violation du contradictoire.

B - Arbitrage et procédures collectives

L’articulation d’une procédure arbitrale avec une procédure collective requiert une vigilance accrue de la part des arbitres qui, dans le cadre de leur mission, ne doivent pas empiéter sur la compétence exclusive du juge de la faillite (D. Cohen, note ss Civ. 1re, 6 mai 2009, Rev. arb. 2010. 299, spéc. p. 305 : « L’arbitrage entretient des rapports complexes et subtils avec la matière des faillites : si l’arbitrabilité du droit des procédures collectives ne fait plus aujourd’hui de doute, il n’en reste pas moins que l’arbitre ne saurait empiéter sur la compétence exclusive du juge de la faillite – notamment pour ouvrir une procédure collective du débiteur, recevoir les déclarations de créances ou nommer des représentants de la procédure – et qu’il ne saurait violer des règles d’ordre public interne, voire international, du droit des faillites, teinté de considérations d’intérêt général manifestes »). La violation de certaines règles relatives aux procédures collectives est de nature à entraîner l’annulation de la sentence arbitrale. Si l’arbitre est compétent pour déterminer le montant d’une créance à l’égard d’une société en procédure collective, il ne peut condamner le débiteur à payer cette somme (v. sur cette question P. Ancel, Arbitrage et procédures collectives, Rev. arb. 1983. 275 ; P. Ancel, Arbitrage et procédures collectives après la loi du 25 janvier 1985, Rev. arb. 1987. 127 ; P. Fouchard, Arbitrage et faillite, Rev. arb. 1998. 471).

C’est ce principe qui est rappelé par la cour d’appel de Paris (Paris, 15 sept. 2020, n° 19/09580, Sharmel). Elle énonce que « le principe de l’arrêt des poursuites individuelles qui est à la fois d’ordre public interne et international, interdit après l’ouverture de la procédure collective la saisine du tribunal arbitral par un créancier dont la créance a son origine antérieurement au jugement d’ouverture, sans qu’il se soit soumis, au préalable, à la procédure de vérification des créances et en tout état de cause, que la décision rendue puisse conduire au prononcé d’une condamnation, seule la fixation de la créance étant admise ».

En l’espèce, la cour reconnaît implicitement que le tribunal arbitral a été saisi postérieurement à l’ouverture de la procédure collective. Pour cela, elle fixe la date de saisine du tribunal à la signature de l’acte de mission (le 3 juillet 2017), postérieurement à l’ouverture de la procédure (le 15 mai 2017). Néanmoins, la demande d’arbitrage date du 26 septembre 2016. On peut se demander s’il n’était pas possible de retenir une date antérieure à la conclusion de l’acte de mission pour l’acceptation par l’arbitre unique de sa mission.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas ce grief qui emporte la conviction de la cour. En effet, l’arbitre unique a condamné la société placée en redressement judiciaire au paiement de certaines sommes, « au mépris du principe d’égalité des créanciers et d’arrêt des poursuites individuelles ». La sanction est donc inévitable : la sentence viole l’ordre public international et l’ordonnance d’exequatur est infirmée.

C - Arbitrage et corruption

La corruption est désormais une question classique du droit de l’arbitrage. Force est de constater que les arbitres y sont de plus en plus sensibilisés, puisqu’ils n’hésitent pas à sanctionner un contrat qu’ils estiment entaché de telles circonstances. C’est le cas d’une sentence déférée à la cour d’appel de Paris (Paris, 15 sept. 2020, n° 19/09058, Samwell). Dans le cadre de la vente d’hélicoptères en Chine, un opérateur a eu recours à un intermédiaire. Finalement, le vendeur a refusé de payer le montant des factures et l’intermédiaire a saisi une juridiction arbitrale. L’arbitre a retenu l’existence d’indices de corruption de sorte que l’exécution des contrats viole l’ordre public international. Le débat devant la cour d’appel, s’il est articulé autour de plusieurs moyens, est centré autour de la question de la mission de l’arbitre.

Le contrat prévoit l’application du droit français. Or le demandeur au recours estime que l’arbitre devait se tenir aux critères de la corruption prévus par l’arrêt Alstom (Paris, 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard ; Paris, 28 mai 2019, n° 16/11182, D. 2019. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; ibid. 2435, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard ; Cah. arb. 2018. 465, note A. Pinna) et lui reproche d’avoir fait application de critères issus du droit américain, tirés de la doctrine des red flags. La cour rejette fermement le moyen. Elle énonce, d’une part, que « le fait pour le tribunal arbitral d’avoir, pour caractériser la corruption, examiné des indices de corruption avancés par la société Airbus H., fussent-il inspirés des “red flags” issus de la liste annexée à l’US Foreign Corrupt Practices Act de 1977, loi fédérale américaine et/ou résultant d’un guide établi en 2012 par la division criminelle du Département de Justice américain, ne peut conduire à considérer qu’il a fait, même partiellement, application de la loi américaine pour trancher ce litige ». Elle retient, d’autre part, qu’« il ne ressort nullement de cette décision [Alstom] que cette liste devrait être regardée comme limitative en droit français » et ajoute que « quand bien même aurait-elle été envisagée comme telle par la cour en 2018, elle ne saurait en aucune manière lier une autre juridiction, à défaut de consécration par la loi d’une liste limitative s’imposant au juge quant aux indices à prendre en compte pour caractériser une corruption, à l’exclusion de tout autre ». La solution est heureuse. Il est paradoxal d’interdire à un arbitre d’user de tous les outils existants pour identifier un contrat de corruption à une époque où la lutte contre ce fléau est considérée comme une priorité.

Néanmoins, le raisonnement, tel qu’il est mené par la cour d’appel, présente une sérieuse limite. La cour prend en effet la peine de mentionner l’usage de la notion de « faisceau d’indices », du recours à la preuve par indices « graves, précis et concordants » pour juger que « le tribunal arbitral a bien fait une application exclusive du droit français quand bien même il a pu considérer que certains indices, aujourd’hui aussi retenus par la législation américaine, pouvaient être pris en compte pour caractériser la corruption, sans se départir de l’application du droit français ». Cette motivation nous paraît dangereuse. À la suivre, dès lors que les parties ont fait le choix d’un droit applicable au contrat, l’examen de la corruption doit être réalisé en contemplation de ce droit. À défaut, l’arbitre viole sa mission. On comprend alors immédiatement qu’il suffit aux parties de choisir, lors de la conclusion du contrat, un droit beaucoup plus permissif pour échapper à la corruption. La cour d’appel se retrouve face à une situation insoluble : l’arbitre qui a refusé d’appliquer le droit étranger pour établir des faits de corruption viole sa mission (mais la sentence est conforme à l’ordre public international) ; l’arbitre qui a appliqué scrupuleusement le droit étranger permissif viole l’ordre public international (mais il a respecté sa mission !). Cette voie n’est évidemment pas sérieusement envisageable. La solution réside sans doute dans l’alinéa 2 de l’article 1511 du code de procédure civile, selon lequel l’arbitre « tient compte, dans tous les cas, des usages du commerce ». Il est tout à fait admissible de considérer que la lutte contre la corruption intègre désormais ces usages et que les arbitres sont libres d’y piocher les outils pour y faire face, indépendamment de l’État les ayant forgés.

Deux griefs supplémentaires sont écartés. Si l’arbitre doit naturellement motiver sa sentence en appréciant l’existence d’un faisceau d’indices susceptibles de caractériser des faits de corruption, il n’a pas nécessairement à entrer dans le détail pour chacun des indices qu’il retient, la cour précisant que « le juge de l’annulation [ne peut] en apprécier la suffisance ou la pertinence ». Enfin, l’arbitre peut évidemment se fonder sur des circonstances dans les débats, quand bien même les parties n’ont pas insisté sur ce point, sans violer le contradictoire.

Retour sur le dépôt hôtelier

On sait que le dépôt hôtelier, qui « doit être regardé comme un dépôt nécessaire » selon l’article 1952 du code civil, est soumis à des règles spécifiques, en partie issues de la loi n° 73-441 du 24 décembre 1973 (V. à ce sujet, F. Collart Dutilleul et P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Dalloz, coll. « Précis », 11e éd., 2019, nos 824 s., spéc. n° 827 ; P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux, 11e éd., 2020, LGDJ, n° 630. V. égal., C. Lachièze, Droit du tourisme, 2e éd., LexisNexis, 2020, nos 541 s., spéc. nos 550 s.). En particulier, l’hôtelier est soumis à une responsabilité de plein droit, qui n’est donc pas fondée sur la faute, mais encore faut-il rapporter la preuve de la valeur des objets volés ou détériorés, preuve qui est toutefois libre puisque l’hôtelier est un commerçant (V., D. Houtcieff, Droit commercial, 4e éd., Sirey, 2016, n° 151). L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 23 septembre 2020 rappelle ces principes élémentaires de manière très pédagogique. En l’espèce, un couple qui séjournait au sein d’un hôtel a été victime d’un vol d’effets personnels dans sa chambre. Les intéressés ont alors assigné...

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Dommage subi dans un établissement commercial : pas de responsabilité autonome de l’exploitant

Après avoir trébuché sur un panneau publicitaire et s’être blessée, la cliente d’un supermarché a assigné en réparation de son préjudice l’exploitant de l’établissement commercial et son assureur. La cour d’appel de Lyon a fait droit à cette demande et a condamné solidairement l’exploitant du magasin et son assureur à indemniser la victime. Les juges du fond ont écarté l’application de la responsabilité du fait des choses issue de l’article 1242, alinéa 1er, du code civil, faute de preuve de l’anormalité de la chose inerte. En revanche, ils sont appuyés sur l’article L. 421-3 du code de la consommation qui prévoit que « les produits et les services doivent présenter, dans des conditions normales d’utilisation ou dans d’autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes » et sur l’arrêt de la première chambre civile du 20 septembre 2017, qui avait perçu dans ce texte une obligation de sécurité de résultat à la charge de l’exploitant d’un magasin dont la responsabilité était alors délictuelle.

Insatisfait de cette décision, l’exploitant de l’établissement responsable s’est pourvu en cassation. Il soutenait que la responsabilité de l’exploitant d’un magasin en libre-service ne peut être recherchée que sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle et, précisément, sur celui de la responsabilité du fait des choses, laquelle ne pouvait pas s’appliquer en l’espèce puisque la victime ne rapportait pas la preuve du rôle actif de la chose.

La Cour de cassation était donc amenée à s’interroger sur la valeur de l’article L. 421-3 du code de la consommation. Faut-il voir dans ses termes l’existence d’une véritable obligation de sécurité de résultat qui, dans le cas où elle ne serait pas correctement exécutée, donnerait lieu à un régime de responsabilité autonome déconnecté du droit commun ?

Pour comprendre l’enjeu de cette décision, il convient de relever l’évolution récente de la jurisprudence en matière de prestation de service.

Jusqu’en 2017, les prestataires de service étaient susceptibles d’engager leur responsabilité sur trois fondements différents.

En l’absence de contrat conclu entre le prestataire et le client, le premier pouvait engager sa responsabilité à l’égard du second sur le fondement de la responsabilité du fait des choses (Civ. 2e, 11 janv. 1995, n° 92-20.162, Bull. civ. II, n° 18 ; 24 févr. 2005, n° 03-18.135, Bull. civ. II, n° 52 ; D. 2005. 1395 image, note N. Damas image ; RTD civ. 2005. 407, obs. P. Jourdain image ; 29 mars 2012, n° 10-27.553, Bull. civ. II, n° 66 ; Dalloz actualité, 10 avr. 2012, obs. J. Marrocchella ; D. 2012. 1008 image). Le client victime devait toutefois prouver le mauvais positionnement ou l’anormalité de la chose lorsque celle-ci est inerte.

Le prestataire pouvait également engager sa responsabilité sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux prévue aux articles 1245 et suivants du code civil, laquelle s’applique qu’un contrat ait été conclu ou non (Civ. 1re, 14 nov. 2018, n° 17-23.668, Dalloz jurisprudence). Toutefois, son application est soumise à la condition que le prestataire revête la qualité de producteur au sens de l’article 3 de la directive CE n° 85/374 du Conseil du 25 juillet 1985 et non celle d’utilisateur du produit au cours de l’exécution de la prestation fournie (CJUE 21 déc. 2011, CHU de Besançon, aff. C-495/10, Dalloz actualité, 2 janv. 2012, obs. R. Grand ; AJDA 2011. 2505 image ; ibid. 2012. 306, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat image ; D. 2012. 926 image, note J.-S. Borghetti image ; ibid. 1558, point de vue P. Véron et F. Vialla image ; ibid. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout image ; RTD civ. 2012. 329, obs. P. Jourdain image ; RTD eur. 2012. 679, obs. C. Aubert de Vincelles image).

Enfin, le prestataire était susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle sur le fondement d’une obligation de sécurité insérée dans certains types de contrats par la jurisprudence qui peut être de résultat ou de moyens selon le rôle actif joué par la victime dans l’exécution de la prestation (Civ. 1re, 21 oct. 1997, n° 95-18.558, Bull. civ. I, n° 287 ; D. 1998. 271 image, note P. Brun image ; ibid. 199, obs. P. Jourdain image ; ibid. 1999. 85, obs. A. Lacabarats image ; RTD civ. 1998. 116, obs. P. Jourdain image ; 22 janv. 2009, n° 07-21.843, D. 2010. 400, obs. Centre de droit et d’économie du sport Université de Limoges image).

Depuis 2017, la question se pose de savoir si, en présence d’un dommage corporel subi dans un établissement commercial, la Cour de cassation n’a pas ajouté une quatrième option et un nouveau régime de responsabilité du prestataire fondé sur l’article L. 421-3 du code de la consommation.

Dans un premier temps, la première chambre civile a approuvé une cour d’appel d’avoir décidé, sur le fondement des articles 1147, devenu 1231-1 du code civil et L. 221-1, devenu L. 421-3 du code de la consommation, que le professionnel qui utilise un produit pour exécuter une prestation de services est tenu, à l’égard de son cocontractant, d’une obligation de sécurité de résultat (Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 15-24.696 NP,...

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Recevabilité de l’appel incident en cas d’appel irrecevable : deux poids, deux mesures

En statuant sur la recevabilité de l’appel incident en cas d’irrecevabilité de l’appel principal, l’enseignement majeur de la deuxième chambre civile est sans doute ce qu’elle ne dit pas : la portée d’une caducité de la déclaration d’appel. Le 29 février 2016, un maître de l’ouvrage relève appel devant la cour d’appel de Caen d’un jugement du tribunal de grande instance l’ayant débouté de diverses demandes formulées à l’encontre d’une entreprise générale et de locataires d’ouvrage. N’ayant pas fait signifier ses conclusions à l’une des sociétés intimées, l’appelant, en l’absence de signification du jugement, forme le 1er juillet 2016 un second appel. Le 14 septembre 2016, la caducité totale de la première déclaration d’appel est prononcée par le conseiller de la mise en état. Le 21 septembre 2016, la société intimée qui avait été condamnée à payer à l’appelante diverses sommes forme appel incident. Saisi d’une demande d’irrecevabilité du second appel, le conseiller de la mise en état rend, le 21 mars 2018, une ordonnance qui le déclare recevable. L’entreprise générale intimée dépose alors une requête en déféré et, selon arrêt du 30 octobre 2018, la cour d’appel de Caen infirme l’ordonnance en jugeant irrecevable le second appel et recevable l’appel incident. Un pourvoi principal et un pourvoi incident sont alors formés mais ce dernier seul fait l’objet d’une réponse. La deuxième chambre civile, pour rejeter le pourvoi, estime qu’« il résulte de l’article 550 du code de procédure civile que l’appel incident est recevable alors même que l’appel principal serait irrecevable, s’il a été formé dans le délai pour agir à titre principal » et que, dès lors que la cour d’appel avait constaté que l’appel incident avait suivi le second appel, c’est à bon droit qu’elle a décidé que l’irrecevabilité du second appel n’avait pas pour effet de rendre irrecevable l’appel incident interjeté dans le délai prévu pour l’appel principal, nonobstant la caducité de la première déclaration d’appel.

Si le pourvoi principal avait été initié par le maître de l’ouvrage, appelant devant la cour d’appel, celui-ci fut écarté par la Cour de cassation par application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, comme n’étant pas de nature à entraîner la cassation, et c’est au contraire le pourvoi incident, présenté par l’entreprise générale, intimée devant la cour d’appel, qui fut examiné. Il est vrai que les deux appels avaient été interjetés avant l’entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 applicable aux appels formés à compter du 1er septembre 2017, et l’on pouvait donc imaginer ce sort-là pour le pourvoi principal. Le moyen soutenu visait en effet à contester qu’un second appel puisse être jugé irrecevable faute d’intérêt à agir tandis que le premier appel, encore instruit, n’avait pas encore été jugé caduc ou irrecevable. On sait pourtant que, sous l’empire des anciens textes issus des décrets Magendie, un appelant ne disposait pas d’un intérêt à agir en formant un second appel identique au premier tant que la sanction de caducité ou d’irrecevabilité n’avait pas été prononcée. Aussi, dès lors que la cour d’appel était régulièrement saisie d’un appel dont la caducité n’avait pas été constatée, le second appel formé à l’encontre du même jugement et des mêmes parties était irrecevable (Civ. 2e, 11 mai 2017, n° 16-18.464, Dalloz actualité, 7 juin 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1053 image). Bien qu’elle ne soit plus d’actualité depuis la nouvelle rédaction de l’article 911-1 du code de procédure civile, cette jurisprudence, publiée au Bulletin, était connue, de sorte que, dans une espèce dans laquelle les deux appels avaient été formés en 2016, la Cour de cassation ne pouvait juger autrement.

C’est donc le pourvoi incident qui fut examiné et, disons-le, la réponse apportée, somme toute logique au regard de la lettre de l’article 550, a de quoi déconcerter si on la place en perspective avec la position antérieure adoptée par la deuxième chambre civile.

Car si la réponse de la haute cour est finalement favorable au droit d’accès au juge, on pouvait en effet, prima facie, ne pas douter d’une réponse inverse si l’on se référait à celle déjà faite dans un arrêt destiné à une très large publicité : « attendu que l’appel incident, peu important qu’il ait été interjeté dans le délai pour agir à titre principal, ne peut être reçu en cas de caducité de l’appel principal ; qu’ayant relevé que la caducité de l’appel principal avait été prononcée, la cour d’appel en a exactement déduit que l’instance d’appel était éteinte, de sorte qu’elle n’était pas saisie de l’appel incident » (Civ. 2e, 13 mai 2015, n° 14-13.801, Dalloz actualité, obs. M. Kebir ; D. 2015. 1423 image, note C. Bléry et L. Raschel image ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle image ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero image). En cas de caducité, c’est donc la solution diamétralement imposée ! Car, si cet arrêt avait nourri la critique des praticiens et de la doctrine, la réponse était cinglante : la caducité retenue anéantit tout appel incident, même formé dans le délai pour agir à titre principal. Alors que l’on aurait pu imaginer que l’appel incident, formé avant l’expiration du délai de trois mois pour conclure de l’appelant et qui plus est dans le délai légal puisse toujours être reçu, cette interprétation de l’article 550 pouvait apparaître très discutable au regard du texte. La sanction est d’autant plus sévère que l’erreur procédurale est celle de l’appelant, pas celle de l’intimé. N’apparaît donc, dans cette hypothèse, qu’une seule parade possible : l’intimé n’a pas d’autre choix que de former appel principal de son côté, dans le délai de l’appel bien sûr, c’est-à-dire celui de la signification ou de la notification de la décision, s’il veut être certain d’échapper à une caducité de l’appel de son adversaire. Or, sans même évoquer le temps parfois nécessaire pour que les parties échangent, avec leurs avocats, sur l’opportunité d’un appel ou entament une transaction, le délai d’appel n’est pas toujours maîtrisé, notamment lorsque la décision fait l’objet non pas d’une signification mais d’une notification par le greffe. À titre d’exemple, en interjetant appel en limite de délai de la notification par le greffe, la partie qui relèvera appel d’un jugement du conseil de prud’hommes pourra sciemment, et en toute quiétude, laisser rendre une caducité en privant son adversaire de toute possibilité de former appel principal, puisque celui-ci, une fois informé de l’appel de son adversaire, n’aura plus le temps d’interjeter à son tour appel principal.

De l’article 550, la Cour de cassation, en cas d’irrecevabilité de l’appel, tire pourtant une réponse opposée : l’irrecevabilité du second appel n’a pas pour effet de rendre irrecevable l’appel incident interjeté dans le délai prévu pour l’appel principal, nonobstant la caducité de la première déclaration d’appel. Que dit l’article 550 ? « Sous réserve des articles 909 et 910, l’appel incident ou l’appel provoqué peut être formé en tout état de cause, alors même que celui qui l’interjetterait serait forclos pour agir à titre principal. Dans ce dernier cas, il ne sera toutefois pas reçu si l’appel principal n’est pas lui-même recevable », le décret du 6 mai 2017 ayant seulement ajouté en début de phrase la référence à l’article « 905-2 » et en fin « ou s’il est caduc ».

On comprend donc de cet article que, pour que l’appel incident soit lui-même recevable, peu importe que l’appel principal soit forclos, encore faut-il qu’il ait été formé dans le délai pour agir à titre principal. C’est assez logique finalement. Pourtant, l’arrêt de 2015 apporte une autre réponse : l’appel incident, peu important qu’il ait été interjeté dans le délai pour agir à titre principal, ne peut être reçu en cas de caducité de l’appel principal. C’est donc qu’il existe une distinction à faire, au regard d’un texte qui ne dit rien (faut-il rappeler que la référence à la caducité est de surcroît intervenue avec le décret du 6 mai 2017) et ne distingue pas la caducité de l’irrecevabilité.

Saluons en tout cas le sens de l’anticipation de la cour d’appel de Caen, qui, sur cette question, avait estimé que « l’irrecevabilité totale de l’appel principal n’a pas pour effet de rendre irrecevables les appels incidents lorsqu’ils ont été formés dans le délai prévu pour l’appel principal, l’article 550 du code de procédure civile ne visant pas cette hypothèse ». Il est vrai que la Cour de cassation avait déjà jugé exactement en ce sens (Civ. 2e, 7 déc. 1994, n° 92-22.110, Dalloz jurisprudence), mais il y avait si longtemps qu’un doute était raisonnablement permis et qu’elle aurait pu rester sourde pour céder aux voix de la modernité. Car, si elle avait raison de le dire, le pourvoi incident soutenait, à raison aussi, dans le prolongement de l’arrêt de 2015 « que l’appel incident, peu important qu’il ait été interjeté dans le délai pour agir à titre principal, ne peut être reçu en cas de caducité totale, à l’égard de tous les intimés, de l’appel principal ». Or, en l’espèce, il ne fallait pas confondre les deux procédures. Si une caducité avait été prononcée, c’était à l’égard de la première déclaration d’appel tandis qu’il était constant que le second appel et l’appel incident avaient tous deux été formés dans le délai légal. La deuxième chambre en conclut donc, approuvant la cour de Caen, que l’irrecevabilité du second appel n’avait pas pour effet de rendre irrecevable l’appel incident interjeté dans le délai prévu pour l’appel principal, nonobstant la caducité de la première déclaration d’appel. Ou, si l’on simplifie les choses, ce qui permet de comprendre la portée de l’arrêt et la distinction opérée avec son arrêt de 2015, l’irrecevabilité d’un appel ne rend pas irrecevable l’appel incident interjeté dans le délai prévu pour l’appel principal.

On ne peut, encore une fois, que saluer la position de la Cour de cassation, mais il faut apporter une explication finale. Car de deux choses l’une : soit la deuxième chambre civile opère ici un revirement de jurisprudence – mais on s’empressera de dire qu’elle ne le dit pas et ne le laisse pas même entendre –, soit elle entend distinguer entre la sanction de caducité et celle d’irrecevabilité d’un texte… qui ne distingue pas.

Dans cette dernière hypothèse, qui est la plus certaine, il n’y a pas d’autre explication que celle de l’effet induit de la caducité. Si l’on sait que la caducité, non définie par le code de procédure civile et son article 385, qui vient sanctionner, en appel, le non-accomplissement d’une formalité procédurale imposée aux parties dans un délai déterminé (signification de la déclaration d’appel, de conclusions, etc.), est un incident d’instance et non une exception de procédure, et que l’irrecevabilité répond du régime des fins de non-recevoir, comment expliquer autrement une telle différence de régime que par l’effet même de la sanction ? Si la caducité n’entache pas la validité de l’acte lors de sa formation au contraire de la nullité, pour quelle raison, en appel, l’effet de l’irrecevabilité et de la caducité diffère ? La chose n’est pas simple car la Cour de cassation elle-même, on le sait, estime, selon les actes concernés, tantôt que la caducité n’anéantit pas les actes antérieurs mais n’a d’effet que pour l’avenir, tantôt qu’elle a, au contraire, un effet rétroactif. Le professeur Fricero apporte utilement cette définition : « En procédure civile, la caducité est l’anéantissement, le plus souvent rétroactif des effets d’un acte de procédure initialement valable » (v. J-Cl. Pr. civ., v° Caducité, fasc. 800-30). Le plus souvent donc, et c’est sans doute la distinction, avec l’irrecevabilité, à déterminer en appel : la caducité de la déclaration d’appel rétroagit et anéantit tout appel incident, pourtant valide, tandis que l’irrecevabilité de l’appel est privée d’effet rétroactif et laisse survivre un appel incident formé dans le délai légal. Cette rétroactivité de la caducité de la déclaration d’appel emporterait donc tout sur son passage, et, dès son prononcé, tel le ressac, avec elle les actes antérieurs, et avec elle l’appel incident de l’intimé.

Les enseignements à retenir en matière d’orientation de la politique pénale et remontées d’information

Le 1er octobre dernier, le garde des Sceaux a présenté sa circulaire de politique pénale générale. Celle-ci a vocation à repenser l’action pénale pour qu’elle « soit plus effective, plus rapide, mieux comprise et puisse asseoir la pleine crédibilité de l’autorité judiciaire ».

Parmi les annonces, l’augmentation de 8 % du budget consacré à la justice en 2021 a été particulièrement remarquée. La France, qui se trouve actuellement au 23e rang sur les 47 pays du Conseil de l’Europe, va désormais disposer de son budget le plus élevé depuis un quart de siècle, favorisant par la même de nombreux recrutements.

Il en va de même des choix d’orientation prioritaire dont une attention particulière est portée aux violences intrafamiliales, aux infractions portant sur la confiance dans les institutions et tout particulièrement aux atteintes à la probité ainsi que la lutte contre le terrorisme.

La présente circulaire traite également de l’épineuse question de la remontée d’information, laquelle fait aujourd’hui l’objet de nombreux débats comme en témoigne la récente enquête parlementaire relative à l’indépendance de la justice ou encore de l’avis du conseil supérieur de la magistrature du 15 septembre dernier.

Il faut remonter à la loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique – complétée par la circulaire du 31 janvier 2014 – pour que soit consacrée une base légale à la communication d’information au garde des Sceaux dans les affaires individuelles.

Pour rappel, l’article 1er de cette loi – lequel modifie l’article 30 du code de procédure pénale – dispose que « le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales. Il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles. Chaque année, il publie un rapport sur l’application de la politique pénale déterminée par le gouvernement, précisant les conditions de mise en œuvre de cette politique et des instructions générales adressées en application du deuxième alinéa. Ce rapport est transmis au Parlement. Il peut donner lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat ».

L’article 35 précise, en ce qui concerne les remontées d’information entre le parquet général et la Chancellerie, que le procureur général établit, soit d’initiative, soit sur demande du ministère de la justice, des rapports particuliers. Il adresse également à ce dernier un rapport annuel de politique pénale sur l’application de la loi et des instructions générales ainsi qu’un rapport annuel sur l’activité et la gestion des parquets de son ressort.

La circulaire du 31 janvier 2014 relève à ce titre que : « les parquets généraux doivent informer la Chancellerie régulièrement, de manière complète et en temps utile, des procédures les plus significatives et exercer pleinement leur rôle d’analyse et de synthèse » (circ. du 31 janv. 2014 de présentation et d’application de la loi n° 2013-669 du 25 juill. 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique).

La remontée d’information distille un sentiment de défiance quant à l’utilité et l’utilisation susceptible d’être faite des informations remontées. Parallèlement, le Groupe d’États contre la corruption (Greco) a récemment recommandé dans un rapport du 9 janvier 2019 que « des moyens supplémentaires, plus particulièrement en personnel, soient alloués au parquet national financier et que son indépendance par rapport à l’exécutif soit assurée, notamment ajoutant des garanties supplémentaires quant à la remontée d’information vers l’exécutif sur les procédures en cours qui concernent des personnes exerçant de hautes fonctions de l’exécutif afin de préserver l’intégrité des poursuites » (Greco, Rapport d’évaluation de la France, 9 janv. 2020, p. 37).

Pour autant, la remontée d’information apparaît comme une véritable nécessité en permettant au garde des Sceaux d’exercer pleinement ses attributions constitutionnelles et institutionnelles et, ce faisant, en définissant les contours de la politique pénale qu’il souhaite appliquer. Ces informations remontées lui permettent également d’évaluer les choix d’orientation mis en œuvre ainsi que l’affectation des moyens mis en œuvre pour l’application de la politique pénale. De même, le garde des Sceaux peut être interrogé sur la conduite de la politique pénale par les parlementaires, dans ce contexte, il doit pouvoir être renseigné « sur les procédures présentant une problématique d’ordre sociétal, un enjeu d’ordre public, ayant un retentissement médiatique national ou qui sont susceptibles de révéler une difficulté juridique ou d’application de la loi pénale ». Le garde des Sceaux doit également être tenu informé des procédures susceptibles de mettre en cause l’institution judiciaire et mis en mesure de veiller au bon fonctionnement de l’institution judiciaire et de l’ensemble des services placés sous son autorité. Enfin, l’intervention du garde des Sceaux peut être de nature à faciliter l’entraide judiciaire internationale.

Si bien qu’il apparaissait nécessaire de définir des critères suffisamment souples pour permettre une remontée d’information complète et pertinente au garde des Sceaux afin qu’il puisse mener l’ensemble de ses attributions tout en y consacrant des garde-fous afin d’empêcher tout soupçon d’interventionnisme.

La circulaire de 2014 indique à cet égard que les procédures devant être signalées répondront aux critères suivants lesquels pourront être cumulatifs : « gravité des faits (préjudice humain, financier, atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou au pacte républicain), de nature à nécessiter une action coordonnée des pouvoirs publics ou à leur donner un retentissement médiatique au niveau national, insertion dans un champ de politique pénale prioritaire, qualité des mis en cause ou des victimes et dimension internationale de la procédure ».

En parallèle, l’étude du rapport fait au nom de la commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire du 2 septembre 2020 est particulièrement instructive sur les pratiques des parquets généraux. M. Jean-Jacques Bosc, membre de la Conférence des procureurs généraux, a ainsi indiqué lors de son audition : « il existe une règle, que tout le monde applique : on ne fait remonter à la chancellerie que les décisions juridictionnelles, arrêts, jugements, et non les pièces de procédure, notamment les procès-verbaux, non plus que les mesures envisagées, comme une garde à vue ». M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, indiquait quant à lui que, « dans la pratique parquetière, les informations remontant à la chancellerie ne concernent que les actes d’enquête accomplis et non pas les actes à venir. C’était ma pratique personnelle, notamment au tribunal de Paris, et je n’y ai jamais dérogé. Je n’ai jamais, je dis bien jamais, avisé ma hiérarchie, parquet général ou chancellerie, d’actes à venir dans les dossiers, notamment s’agissant de perquisitions. Ma pratique était de ne les aviser des perquisitions que lorsque celles-ci avaient commencé » (Rapport Ass. nat. n° 3296 sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire, 2 sept. 2020, p. 108).

À l’aune de ces remarques, le rapport de la commission d’enquête préconise trois propositions intéressantes :

Inscrire dans la loi les critères de signalement des procédures lesquels sont actuellement fixés par la circulaire du 31 janvier 2014.
  Prévoir la motivation des demandes d’information émanant du garde des Sceaux ou de son cabinet.
  Créer un groupe de travail afin de prévenir les risques de conflit d’intérêts.

Dans une note du 29 septembre dernier, Mme Véronique Malbec, directrice du cabinet du garde des Sceaux, précisait au directeur des affaires criminelles et des grâces (DAGC) plusieurs préconisations quant au dispositif de communication d’information au cabinet du garde des Sceaux concernant des procédures dans lesquelles ce dernier est intervenu en qualité d’avocat ou dans lesquelles intervient son associé.

Afin d’éviter tout soupçon d’interventionnisme et de conflit d’intérêts, la directrice de cabinet invite la DAGC à ne transmettre au cabinet du garde des Sceaux aucun élément sur les procédures à l’exception de ceux qui s’avèrent nécessaires à l’exercice des prérogatives susceptibles d’être portées personnellement par le ministre s’agissant :

des affaires soulevant une question de droit nouveau ;
  des affaires mettant en cause le fonctionnement du service public de la justice ;
  des affaires présentant une dimension internationale avec une sensibilité diplomatique particulière.

Dans une telle hypothèse, la communication se fera sous une note établie par la DAGC ne contenant que des éléments strictement indispensables à une appréciation utile de la situation et des suites à lui donner.

De telles préconisations de nature à prévenir les éventuels risques de conflits d’intérêts sont salutaires et s’inscrivent dans la droite ligne des propositions de la commission d’enquête. Il convient désormais de suivre le sort de ces propositions avec attention.

Restriction dans l’acception de la globalisation des sinistres

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 24 septembre 2020 est promis à une publication maximale puisqu’il sera inclus dans le Rapport annuel de la Cour de cassation. La solution présentée intéresse vivement le droit des assurances, notamment le mécanisme de la globalisation des sinistres de l’article L. 124-1-1 du code des assurances. Mais ce n’est pas tout, l’arrêt est également l’occasion de certains rappels forts intéressants au sujet de la perte de chance consécutive au manquement à l’obligation d’information précontractuelle. Notons d’emblée qu’il s’agit de pourvois joints : une question d’indemnisation d’un poste de préjudice a été tranchée par la chambre commerciale (pourvoi n° 18-13.726) et une question de droit des assurances l’a été par la deuxième chambre civile rendant l’arrêt ici commenté. Penchons-nous sur les faits avant de savoir pourquoi cet arrêt a les faveurs d’une telle publication.

En l’espèce, une personne physique confie à la société Hedios Patrimoine un mandat de recherches d’offres de défiscalisation par le biais de différents investissements. En somme, l’individu concerné souhaitait savoir quels investissements pouvaient se révéler intéressants d’un point de vue fiscal. La personne physique qui a initié ces recherches investit, à la suite de cette recherche, dans le photovoltaïque. Un an plus tard, ce dernier investit encore dans un produit de défiscalisation supplémentaire conçu et proposé par le mandataire des recherches initiées précédemment. Mais voici là où le bât blesse : le mandant fait l’objet d’une procédure de rectification fiscale pour les souscriptions évoquées précédemment. À dire vrai, la société Hedios Patrimoine a été l’actrice d’un feuilleton judiciaire sur fond d’une importante exagération des produits vendus qui dissimulaient les risques fiscaux des investissements réalisés. En somme, les opérations promues par la société qui a réalisé les recherches n’étaient pas si pertinentes in fine. Assez logiquement, le mandant personne physique assigne ainsi la société Hedios Patrimoine en responsabilité. En cause d’appel, les juges du fond décident de condamner la société à payer à l’intéressé une somme de 21 632 € à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis par les investissements effectués en 2008 et en 2009. Le mandant aurait perdu une chance de ne pas contracter ou, du moins, de renoncer à ce projet à la suite du manquement à l’obligation d’information que devait la société chercheuse. La cour d’appel écarte, enfin, la globalisation des sinistres invoquée par l’assureur au titre de l’obligation d’information du professionnel de l’article L. 124-1-1 du code des assurances. La société Hedios Patrimoine forme un pourvoi sur le plan de l’indemnisation de la perte de chance tandis que son assureur se pourvoit également sur le point précis de la globalisation des sinistres. La Cour de cassation rejette les pourvois, joints pour l’occasion (le n° 18-12.593 de la deuxième chambre civile étant joint au 18-13.726 de la chambre commerciale). En insistant de manière importante sur la question technique de la globalisation des sinistres, la Cour de cassation revient également sur le terrain plus connu de la perte de chance née du manquement à l’obligation d’information et de conseil. Tel sera d’ailleurs l’ordre d’étude de la présente observation.

Les mandats de recherches en investissements concernés étant conclus avant le 1er octobre 2016, l’obligation d’information pesant sur les parties était donc régie par le droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. En introduisant l’article 1112-1 nouveau du code civil, le législateur a pallié une carence notable notamment dans l’assise textuelle d’un tel devoir au stade de la formation du contrat (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 162, n° 181). Ainsi, l’obligation d’information n’en restait pas moins dans le droit ancien une manifestation de la bonne foi comme l’indiquaient MM. Terré, Simler et Lequette dans la dixième édition de leur ouvrage de droit des obligations, édition la plus contemporaine des faits ayant donné lieu à cette affaire (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, 10e éd., Dalloz, 2009, nos 257 s., p. 267). Mais l’obligation d’information et de conseil n’en restait pas moins protéiforme et d’origines diverses, tantôt légale tantôt contractuelle. Ici, ce devoir provenait directement de la volonté des parties : « l’arrêt retient souverainement que cette société a pris, à l’égard de son client, l’engagement de l’informer des caractéristiques et risques des produits proposés et de vérifier leur adéquation à sa situation financière, son expérience et ses objectifs ». L’engagement d’information est entré dans la sphère contractuelle ; cette information n’est donc pas imposée par la loi mais par les parties volontairement. On peut également, même si l’arrêt reste muet à ce sujet, se questionner sur un point, à savoir si l’information requise ne l’était pas au titre de celles exigées dans les investissements financiers par le code monétaire et financier. Il était argué, notamment, que le mandant ayant demandé l’expertise des produits de défiscalisation possédait « des revenus suffisants et une situation patrimoniale et fiscale propice à l’étude et à la compréhension de ce type d’opération purement fiscal ».

L’argument reste insuffisant selon les juges du fond et leur appréciation souveraine empêche la Cour de cassation de s’y pencher. On comprend aisément ce qu’il en est : le manquement réside dans la minimisation ou – pire – la dissimulation d’un risque fiscal certain. Le préjudice consécutif à ce manquement à l’obligation d’information reste, en outre, assez classique puisqu’il s’agit en tout état de cause de la perte de chance d’échapper au risque qui s’est réalisé, c’est-à-dire en ne concluant pas le contrat. Il s’agit de l’une des formes de responsabilité possibles à la suite d’un défaut d’information (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2018, p. 374, n° 338). Par le biais des pièces fournies dans le dossier de l’appelant, la cour d’appel de Paris avait fixé les possibilités de ne pas conclure le contrat ou de renoncer au projet si le mandant avait été mieux informé à 80 %. Nous retrouvons ici le motif de l’appréciation souveraine des juges du fond. Le demandeur au pourvoi revenait sur l’exception classique de la perte de chance pour avancer son argumentation. Il indiquait, pour ce faire, que le mandant aurait tout de même souscrit aux produits de défiscalisation s’il avait été mieux informé du risque puisqu’après avoir conclu les contrats des années 2008 et 2009, il avait souscrit un nouveau contrat supplémentaire en 2010. Mais la Cour de cassation refuse cet enchaînement : on ne peut pas déduire de la seule conclusion postérieure d’un nouveau contrat d’investissement que le créancier de l’obligation d’information violée aurait tout de même conclu le contrat antérieur. L’analyse des pièces du dossier ayant permis de fixer un taux important selon lequel le mandant n’aurait probablement pas conclu le contrat, la Cour de cassation ne peut pas plus contrôler la situation en l’état. La cour d’appel de Paris avait procédé à un travail extrêmement méticuleux, le défaut de base légale n’est donc pas admissible ici. Sur ce point, nihil novi sub sole ; il s’agit d’une approche laissée entièrement aux mains des juges du fond.

Sur la globalisation des sinistres, l’arrêt apporte un éclairage très intéressant et surtout inédit à notre sens. Sans révolutionner la matière, la décision viendra préciser cette dernière notion pour les praticiens de ce droit de plus en plus technique. La globalisation des sinistres est liée à des dommages particuliers dits sériels, lesquels ne laissent pas indifférents les spécialistes de responsabilité civile. Mme Lambert-Faivre et M. Leveneur indiquent dans leur ouvrage à ce sujet : « les risques technologiques engendrent souvent des sinistres successifs dus à une même cause : aussi les contrats d’assurance de responsabilité civile prévoient-ils souvent des clauses dites de globalisation, dont l’objet est de « globaliser » des dommages qui sont distincts dans temps et qui affectent des victimes différentes, mais dont l’origine commune permet de les unifier contractuellement dans la fiction d’un sinistre unique qui prend la date du premier sinistre : la limitation de garantie fixée par sinistre et/ou par année d’assurance prend alors une efficacité redoutable à la fois pour l’assuré responsable (qui devrait veiller, lors de la conclusion du contrat, à ce que le plafond contractuel soit fixé en tenant compte de la perspective de sinistres sériels) et pour les victimes » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, p. 503, n° 704). L’article L. 124-1-1 du code des assurances vient donc poser un principe légal dit de globalisation des sinistres selon lequel « un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique ». Il s’agit d’une fiction juridique qui permet de considérer une pluralité de sinistres comme un seul. En somme, la loi répute unique des dommages pluriels subis par plusieurs personnes. Cette globalisation des sinistres attire donc nécessairement l’attention car elle vient limiter la mise en jeu de l’assurance de responsabilité civile. L’assureur de la société Hedios Patrimoine souhaitait évidemment voir appliquer un plafond unique en essayant de démontrer l’application pertinente de ce texte.

Certes, l’article L. 124-1-1 du code des assurances a aussi un effet positif sur les assureurs en évitant une résiliation en urgence après le premier sinistre d’une série prévisible d’autres cas (sur ce point, v. Rép. civ., v° Assurances de dommages, par C. Caillé, n° 216). Mais il n’en reste pas moins que cette globalisation des sinistres leur est très favorable. En somme, une indemnité est répartie entre les victimes du dommage sériel, proportionnellement à leur nombre. La question au centre de l’arrêt était donc la suivante : peut-on voir dans le manquement à l’obligation d’information et de conseil dont sont victimes diverses personnes physiques ayant conclu avec la société Hedios Patrimoine, la même « cause technique » citée à l’article L. 124-1-1 du code des assurances ? Vaste problème.

La notion de « cause technique » peut poser difficulté, faute de jurisprudences très abondantes sur ses contours précis. La sémantique n’aide pas beaucoup, on peut se demander pourquoi un tel choix de vocabulaire a d’ailleurs été fait, la technique renvoyant à des idées très différentes. Ici, la responsabilité reposait sur un défaut au devoir d’information subi par un nombre important d’assurés qui avaient contracté le même produit de défiscalisation. Pour remettre en perspective les faits, le photovoltaïque était extrêmement prisé dans les années 2008 à 2010, notamment en raison de la politique d’encouragement des énergies renouvelables. On comprend aisément dans ce contexte que certaines personnes aient donc discuté et contracté avec la société Hedios Patrimoine. Voir dans ce même manquement répété de manière très importante une même « cause technique » a donc du sens. La jurisprudence apparaissait avant cet arrêt comme « peu fournie » (v. JCP 1er avr. 2013, n° 14, doctr. 400, à propos de Civ. 2e, 7 févr. 2013, n° 11-24.154 NP).

Cette solution promise à une publication maximale vient probablement préciser utilement les choses à ce sujet. C’est l’exclusion automatique de la cause technique pour ces types de responsabilités encourus par les professionnels qui est particulièrement intéressante. La haute juridiction précise bien que « les dispositions de l’article L. 124-1 du code des assurances consacrant la globalisation des sinistres ne sont pas applicables à la responsabilité encourue par un professionnel en cas de manquements à ses obligations d’information et de conseil, celles-ci, individualisées par nature, excluant l’existence d’une cause technique, au sens de ce texte, permettant de les assimiler à un fait dommageable unique ». La Cour de cassation n’opère aucune distinction, ce faisant, entre l’obligation d’information et l’obligation de conseil. Il s’agit d’une curiosité pour certains spécialistes de droit des assurances puisqu’on sait que l’un et l’autre diffèrent sur plusieurs points précis.

Cette décision englobe donc une série de situations en somme assez fréquentes et possiblement sérielles. Solution originale pour le moins car l’argumentation inverse se tenait parfaitement en insistant notamment sur les faits d’espèce. La société Hedios Patrimoine avait bien manqué à l’information sur les risques fiscaux envers toute une série de cocontractants. Ne pouvait-on pas y voir une même cause technique ? L’hésitation est permise : mêmes documents, mêmes procédés, mêmes minimisations. Le dommage aurait pu être qualifié de sériel. Tout ceci ressemble bien à un même manquement subi par plusieurs victimes. Ce choix opéré par la Cour de cassation de rejeter le pourvoi peut s’expliquer de plusieurs raisons. La principale reste liée à la structure même de l’obligation d’information et de conseil. Chaque information doit être adaptée spécifiquement au cocontractant concerné. C’est pour cette raison que le dommage est individualisé selon la Cour. Il reste ainsi difficile intellectuellement de globaliser le sinistre consécutif à cette violation. Cette solution implique probablement de veiller d’autant plus au respect de l’information juste des parties, notamment et surtout quand l’opération est risquée. Certes, l’obligation d’information des professionnels s’est vue de plus en plus mise en œuvre ces dernières années. Mais la limitation par le jeu du droit des assurances à travers la globalisation des sinistres apparaît comme malvenue dans ce contexte précis. Ainsi faut-il accueillir cette publication au Rapport annuel de la Cour de cassation avec une certaine bienveillance afin d’harmoniser la jurisprudence au sujet de l’article L. 124-1-1 du code des assurances, notamment au sujet de l’obligation d’information des professionnels.

[I]Exequatur[/I] d’une décision américaine, conditions et objet de l’instance

Un litige oppose une société américaine (la société Paragon) à une société française (la société XT Soft) à propos de l’exécution d’un contrat. La société américaine, en application d’une clause attributive de juridiction stipulée au contrat, assigne la société française devant une juridiction californienne, en responsabilité et en paiement de diverses sommes.

La société française, qui s’est pourtant vu régulièrement signifier l’assignation, s’est désintéressée de la procédure, au cours de laquelle elle ne s’est pas fait représenter. Par ordonnance et jugement du 22 septembre 2014, elle a été condamnée par la juridiction californienne à payer la somme de 502 391,5 $.

Plus d’un an plus tard, la société Paragon signifie à la société XT Soft les condamnations américaines et procède à une saisie conservatoire sur son compte bancaire, avant d’assigner la société française en exequatur devant le tribunal de grande instance de Pontoise pour conférer la force exécutoire aux décisions américaines. En cours d’instance, la société XT Soft a été placée en liquidation judiciaire.

Déboutée en première instance, la société Paragon l’est aussi en appel. La cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 25 janvier 2019, a rejeté la demande d’exequatur au motif que le jugement américain portait atteinte à l’ordre public international français de procédure. Les juges du fond ont constaté que cet ordre public imposait que la loi du for ouvre des voies de recours contre le jugement de première instance spécialement quand il est rendu par défaut. Or la loi californienne prévoit certes un recours, mais qui doit être exercé dans un délai d’un an à compter du jugement, sans que soit prévue, contrairement au droit français, l’exigence d’une signification. La cour d’appel a par conséquent retenu que le défendeur était privé de recours effectif, ce qui contrevenait aux articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. En outre, accueillant la demande de la société XT Soft, la cour d’appel a condamné la société Paragon à payer la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts, retenant que le comportement de la société, qui avait signifié les décisions américaines postérieurement à l’expiration du délai de recours, caractérisait une déloyauté procédurale fautive, la manœuvre lui ayant permis de procéder à la saisie conservatoire du compte bancaire de la société XT Soft, alors créditeur.

La société américaine se pourvoit alors en cassation en soutenant deux moyens. Le premier consiste à contester la contrariété à l’ordre public international de procédure de la décision américaine. Cette contrariété ne peut être admise, selon le moyen, que s’il est démontré que les intérêts légitimes d’une partie ont été objectivement compromis par une violation des principes fondamentaux. Or, en l’espèce, le défendeur, qui s’est vu régulièrement signifier l’assignation, n’a marqué aucun intérêt pour la procédure engagée en Californie, a sciemment fait défaut et a choisi de ne pas se faire représenter. Il lui aurait pourtant été loisible de prendre connaissance de la condamnation et d’interjeter appel dans le délai imparti par le droit californien. La décision étrangère ne recelait donc pas d’atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge.

Le second moyen vise à contester la condamnation à des dommages-intérêts car les pouvoirs du juge de l’exequatur se limitent à la vérification des conditions de régularité internationale des décisions étrangères requises pour leur exequatur. Ainsi, les juges d’appel ne pouvaient faire droit à la demande de dommages-intérêts présentée par la société XT Soft à l’appui de laquelle était alléguée une prétendue faute de la société Paragon relative à une saisie conservatoire, dénuée de tout lien avec la procédure d’exequatur.

La Cour de cassation, par un arrêt du 16 mars 2020, casse et annule dans toutes ses dispositions l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, accueillant les deux moyens de la société Paragon. Réaffirmant que, « pour accorder l’exequatur, le juge français doit, en l’absence de convention internationale, s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure ainsi que l’absence de fraude », elle procède à un double rappel à propos de la procédure d’exequatur.

Le premier rappel, fait au visa de l’article 509 du code civil lu à la lumière des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, porte sur la condition de conformité de la décision étrangère à l’ordre public de procédure. La Cour de cassation retient que l’absence de signification de la décision à l’étranger ne fait pas obstacle à l’exequatur, autrement dit, ce n’est pas une condition de régularité de la décision. Si cette condition existe dans certains instruments internationaux (sur la question, v. not. E. Pataut, note sous Civ. 1re, 22 oct. 2002, n° 00-14.035, Rev. crit. DIP 2003. 299 image), elle est absente du droit commun français de l’exequatur, qui était seul applicable en la cause. Certes, le droit judiciaire français subordonne le caractère exécutoire d’une décision à sa notification, mais ce ne peut être le cas dans tous les ordres juridiques, et il n’appartient pas au droit français de déterminer les conditions dans lesquelles une décision est exécutoire dans son État d’origine. Manifestement, le droit californien n’exige pas de notification pour qu’une décision y soit exécutoire, cette condition ne peut donc pas être exigée par les juges français de l’exequatur. Reste que la question pouvait être examinée à l’aune de l’ordre public procédural, mais à ce propos la réponse de la Cour de cassation est plutôt claire. La cour d’appel aurait dû rechercher « si la connaissance par la société XT Soft de l’assignation et de l’instance devant la juridiction californienne ne démontrait pas que ses droits au procès équitable et au recours effectif, au sens des articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, avaient été respectés, nonobstant l’absence de notification des décisions rendues, dès lors qu’elle disposait d’un délai d’un an à compter de la décision pour former un recours ». En considérant que l’ordre public international de procédure n’a pas été violé, la haute juridiction refuse de protéger le défendeur défaillant qui se désintéresse sciemment d’une procédure pour laquelle il a été régulièrement assigné à l’étranger. La solution mérite en l’espèce d’autant plus l’approbation que la juridiction californienne tenait sa compétence d’une clause attributive de juridiction à laquelle le défendeur avait consenti.

Le second rappel de cet arrêt porte sur les pouvoirs du juge dans une instance d’exequatur. La Cour de cassation, au visa de l’article 509 du code de procédure civile, réaffirme que « le juge de l’exequatur, dont les pouvoirs se limitent à la vérification des conditions de l’exequatur, ne peut connaître d’une demande reconventionnelle en responsabilité fondée sur une faute qui n’a pas été commise au cours de l’instance dont il est saisi ». Depuis l’abandon du pouvoir de révision (sur l’évolution de la révision, v. L. d’Avout, note ss Civ. 1re, 14 janv. 2009, n° 07-17.194, Agrogabon, Rev. crit. DIP 2009. 331 image), formellement opéré par l’arrêt Munzer (Civ. 1re, 7 janv. 1964, Grands arrêts n° 41), il est communément admis que l’objet de l’instance en exequatur est simplement de permettre l’exécution en France de tout ou partie de la décision étrangère. Autrement dit, elle ne tend qu’à vérifier la régularité de la décision étrangère au regard de critères limitativement énumérés. La Cour de cassation s’est montrée nettement défavorable à ce que des demandes additionnelles ou reconventionnelles soient formées au cours d’une instance en exequatur. Si la doctrine a pu critiquer cette position (v. par ex. B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, LGDJ, 2018, n° 584), la Cour de cassation s’en tient à une stricte application du principe selon lequel l’objet de l’instance en exequatur est la vérification de la régularité de la décision étrangère, en limitant à cette mission les pouvoirs du juge de l’exequatur. Il ne peut donc allouer de dommages-intérêts pour une faute qui n’a pas été commise au cours de l’instance en exequatur.

Budget 2021 : une promesse intéressante

Un budget est d’abord une promesse. Le Parlement vote des plafonds de crédits et d’emplois proposés par le gouvernement, qui promet en échange qu’ils seront bien exécutés. Ce fut le cas en 2019 (v. Dalloz actualité, 7 mai 2020, art. P. Januel). Pour 2020, Nicole Belloubet avait renoncé à des crédits, sachant que l’administration pénitentiaire n’arriverait pas à tout consommer. Des interrogations subsistent pour 2020, dont l’exécution sera plombée par la crise sanitaire et pour 2021 : le ministère arrivera-t-il à consommer tous les crédits ?

Justice judiciaire et sucres rapides

Le budget de la justice devrait augmenter de 220 millions d’euros (+ 6,3 %). La hausse des crédits concerne en particulier le fonctionnement (+ 15,7 %). 318 emplois devraient être créés et, hors « cas pensions » et transferts, les dépenses de personnel augmenter de 2 %. Depuis fin juillet et l’arrêté du garde des Sceaux stabilisant les postes offerts aux concours de l’École nationale de la magistrature (250 places), la hausse relative du nombre d’emplois de magistrats était actée (+ 50 postes en 2021). Même problème chez les greffiers dont le taux de vacances stagne depuis plusieurs années à 7 %.

Le ministère a donc préféré se centrer sur l’embauche d’assistants spécialisés et d’assistants de greffe, annonçant 150 créations de plus par rapport à la loi de programmation de 2019. Des « sucres rapides » censés booster la justice et permettre de développer une « nouvelle juridiction chargée de réprimer les délits et incivilités de la vie quotidienne », prononçant des alternatives à l’incarcération. Il est envisagé de doubler le nombre de délégués du procureur.

Le ministère affiche une politique volontariste sur les frais de justice, pour améliorer l’accueil des victimes au sein des unité médico-judiciaire (UMJ) (20 millions d’euros), revaloriser plusieurs tarifs et systématiser les enquêtes sociales rapides. L’élargissement de la plateforme nationale des interventions judiciaires (PNIJ) à la géolocalisation, la création d’une base de données nationale des experts et l’embauche de traducteurs devraient entraîner des économies.

Parmi les grands projets immobiliers lancés : la cour d’appel d’Aix-en-Provence et le pôle pénal de Bobigny. Plusieurs projets accusent des retards importants, notamment Lille et Mont-de-Marsan.

Administration pénitentiaire

Les crédits de paiement de l’administration pénitentiaire seraient en hausse de 9 %, avec 1 092 emplois supplémentaires, dont 390 chez les surveillants, 300 dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et 415 pour les nouveaux établissements.

Les crédits immobiliers sont en forte hausse (+ 41 %). Ils seront consommés à condition de résoudre les problèmes de recherche de terrain qui expliquent une partie des retards déjà pris. Par ailleurs, la très forte augmentation des autorisations d’engagement indique que l’administration souhaite renouveler en gestion déléguée, et non en gestion publique, un certain nombre d’établissements pénitentiaires dont les contrats arrivés à échéances.

Concernant la prise en charge spécifique des détenus terroristes, la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) souhaite ouvrir deux nouveaux quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), dont un pour femmes ainsi que quatre quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) à Condé-sur-Sarthe, Aix-Luynes, Nancy et Bourg-en-Bresse. Les crédits consacrés à la sécurisation des établissements augmentent de 9 %, notamment pour l’achat de brouilleurs. L’équipement des cellules en téléphonie fixe devrait se généraliser en 2021 (62 % des établissements étaient équipés en août 2020).

Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) : des constructions

Le budget de la PJJ augmenterait de 5,7 % à 944 millions d’euros, avec 154 emplois supplémentaires. En 2021, 5 millions seront prévus pour construire de nouveaux centres éducatifs fermés (CEF). Emmanuel Macron avait promis 20 nouveaux CEF dans la mandature. Toutefois, le taux d’occupation des CEF stagne à 68 % en 2020, ce qui fait douter de la pertinence de ce programme.

Une hausse de l’aide juridictionnelle

Les crédits de l’aide juridictionnelle seront en augmentation de 50 millions pour atteindre 534 millions. Le nombre de bénéficiaires, qui a dépassé le million en 2019, devrait continuer à grimper avec l’adoption du revenu fiscal de référence comme critère d’attribution. L’enveloppe devrait aussi financer la hausse des missions due à la réforme de la justice pénale des mineurs et l’amélioration de la rétribution des avocats, comme le préconisait le rapport Perben (v. Dalloz actualité, 26 août 2020, art. P. Januel). Les crédits pour l’aide aux victimes devraient, quant à eux, augmenter de 11 % (violences conjugales et médiation familiale).

Reste un point noir : hormis une légère baisse pour les conflits du travail (les affaires prud’homales sont toutefois traitées en moyenne en quinze mois), la plupart des délais de jugement des affaires se dégradent. Le confinement n’a pas aidé : de janvier à mai 2020, le stock d’affaires civiles s’est accru de 18 000. Par ailleurs, malgré les promesses d’une nouvelle échelle des peines, les taux d’aménagement de peine devraient stagner, tandis que le taux de mise à exécution des peines d’emprisonnement ferme à douze mois restera à 82 %.

Nouveaux projets informatiques

La question numérique est prioritaire au ministère de la justice. L’indicateur de satisfaction des agents vis-à-vis de l’informatique n’était que 22 % en juin 2019 (28 % en juillet 2020). Le plan de transformation numérique du ministère augmentera de 30 millions d’euros pour passer à 207 millions. Un plan d’équipement de plus de 10 000 portables est prévu.

Mais 2021 devrait permettre la mise en service de nouvelles fonctionnalités. Fin 2020, le justiciable pourra, sur Portalis, saisir en ligne la justice sur la protection des majeurs (hors ouverture de mesure) et se constituer partie civile. En 2021, cette possibilité s’élargira aux contentieux prud’homaux. Portalis a deux nouvelles priorités : la communication électronique avec les avocats ainsi que l’intermédiation du paiement des pensions alimentaires.

Le ministère prévoit aussi de soutenir le renouvellement complet des logiciels de gestion de l’aide juridique.

Autre application, TIG 360°, qui devrait permettre mi-2021 la gestion complète des mesures de travail d’intérêt général (TIG) en ligne. En 2021, la prise de rendez-vous parloirs devrait être entièrement numérisée, via le portail famille du numérique en détention (NED). À terme, il y aura aussi un portail agent ainsi qu’un portail détenu (permettant la saisine électronique de l’administration, la gestion de la cantine et des modules sur l’enseignement et la formation).

De l’effet déclaratif du jugement et du l’utilisation du quasi-contrat

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L’infirmière amie de la testatrice : une application rigoureuse de l’incapacité de recevoir à titre gratuit

L’article 909 du code civil est remarquable à plus d’un titre. Non seulement il édicte des incapacités de jouissance, mais de surcroît il limite l’aptitude à recevoir une libéralité, c’est-à-dire à s’enrichir. Son alinéa 1er dispose que « les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci ». L’arrêt de principe rendu ce 16 septembre 2020 est l’occasion pour la première chambre civile de la Cour de cassation de confirmer son approche rigoriste des conditions de mise en œuvre du texte.

En l’espèce, la de cujus était décédée le 13 avril 2014 en l’état d’un testament olographe désignant une infirmière libérale légataire de divers biens mobiliers et immobiliers. L’acte était daté du 5 octobre 2012. Il avait été rédigé très peu de temps après que la testatrice avait subi une batterie d’examens médicaux ayant permis de déceler un volumineux syndrome de masse au niveau du sinus maxillaire. Mais ce n’est que quelque temps après la rédaction du testament que le diagnostic put être établi. De nouveaux examens ont relevé le caractère malin de la masse et confirmé l’existence d’une maladie dont la testatrice est finalement décédée dix-neuf mois plus tard.

Après le décès, le legs fut délivré, mais le frère de la défunte assigna la légataire en restitution de l’ensemble des biens légués et en paiement des intérêts au taux légal depuis le jour de la délivrance. Sa demande était fondée sur l’article 909 du code civil : la légataire avait en effet prodigué des soins à la testatrice au cours de la funeste maladie. La demande fut rejetée par les juges du fond. La cour d’appel de Versailles considéra, aux termes d’un arrêt du 15 février 2019, que les conditions de l’article 909 du code civil n’étaient pas réunies au motif que le testament avait été rédigé avant que la maladie ait été diagnostiquée. Un pourvoi fut formé en cassation, reprochant à la cour d’appel d’avoir ajouté une condition à la loi et violé l’article 909 du code civil en rejetant la demande malgré le constat que la testatrice était déjà malade au jour où elle avait rédigé le testament.

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 909 du code civil. Après avoir reproduit la teneur de l’alinéa premier de ce texte dans un attendu de principe, elle analyse les motifs de l’arrêt d’appel. Dans un dernier paragraphe, elle énonce que « l’incapacité de recevoir un legs est conditionnée à l’existence, au jour de la rédaction du testament, de la maladie dont est décédé le disposant, peu important la date de son diagnostic ». En exigeant, pour faire application du texte, que le testament soit rédigé après que le diagnostic fut posé, la cour d’appel a ajouté une condition à la loi et violé l’article 909 du code civil.

La Cour de cassation donne pleinement raison au pourvoi et procède à une interprétation stricte des conditions exigées par le texte, dont la dimension protectrice invite à la plus grande prudence dans la détermination du champ d’application. Le souci de préserver l’efficacité de la protection instaurée par le...

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Respect de l’obligation de loyauté du salarié en cas de création d’une entreprise concurrente durant le préavis

Cette décision est l’occasion de rappeler qu’il résulte de la liberté d’entreprendre que tout ancien salarié peut, en principe, créer une activité concurrentielle à celle de l’entreprise pour le compte de laquelle il exerçait son travail subordonné. Toutefois, le salarié est tenu par une obligation de loyauté. En effet, le contrat de travail, comme toute convention légalement formée, doit être exécuté de bonne foi. Selon le droit commun, il oblige en outre « non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature » (C. civ., art. 1135). La doctrine estime depuis longtemps que le salarié est naturellement redevable d’une obligation de loyauté lui interdisant de nuire d’une quelconque façon à l’employeur, notamment en étant à la fois collaborateur et concurrent (G.-H. Camerlynck, Traité de droit du travail. Tome 1. Le contrat de travail, 2e éd., 1982, Dalloz, n° 216 et mise à jour 1988 par M.-A. Moreau-Bourlès ; P. Durand et A. Vitu, Traité de droit du travail, Dalloz, t. 2, 1950, § 318 ; Y. Picod, Devoir de loyauté dans l’exécution du contrat de travail, LGDJ, 1988). L’obligation de loyauté s’impose par conséquent même en l’absence de disposition expresse du contrat de travail, ce qui n’empêche pas les parties, par précaution, d’en rappeler par écrit l’existence (Soc. 30 janv. 1985, D. 1985. IR 476, 1re esp., obs. Y. Serra ; Paris, 18 mai 1993, RJS 6/1994, n° 828). La Cour de cassation a déjà considéré qu’est constitutif d’une faute grave le fait pour un salarié d’avoir exercé, au cours de ses congés et pendant dix jours, les mêmes fonctions chez un concurrent de son employeur (Soc. 5 juill. 2017, n° 16-15.623, Dalloz actualité, 31 juill. 2017, par M. Peyronnet). Précédemment, la chambre sociale avait admis que « commet une faute grave le salarié...

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Une sûreté fortifiée : le nantissement du contrat d’assurance vie

Deux mois après avoir rendu un arrêt important, analogue, relatif à l’assurance vie rachetable et au droit exclusif au paiement du créancier nanti (Civ. 2e, 2 juill. 2020, nos 19-11.417 et 19-13.636, Dalloz actualité, 28 juill. 2020, obs. R. Bigot ; D. 2020. 1940 image, note J.-D. Pellier image ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers image ; Rev. prat. rec. 2020. 6, obs. D. Cholet et A. Provansal image ; ibid. 7, obs. D. Cholet et O. Salati image), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation réitère, sur le moyen désormais relevé d’office, la solution adoptée. La décision a également l’honneur d’une vaste publication, insistons (F-P+B+I). Au visa des articles 2363 du code civil et L. 132-10 du code des assurances, la haute juridiction confirme donc, avec un attendu de principe identique, qu’« il résulte de ces textes que le créancier bénéficiaire d’un nantissement de contrat d’assurance vie rachetable, qui peut provoquer le rachat, dispose d’un droit exclusif au paiement de la valeur de rachat, excluant ainsi tout concours avec les autres créanciers du souscripteur, même privilégiés » (décis., pt 4 ; comp. Civ. 2e, 2 juill. 2020, préc., pt 7).

En l’espèce, le comptable du service des impôts des particuliers du cinquième arrondissement de Paris (ci-après le comptable public), agissant sur le fondement de titres exécutoires délivrés à l’encontre d’un contribuable, a notifié, le 29 août 2016, entre les mains de l’assureur, deux avis à tiers détenteur portant, notamment, sur un contrat d’assurance vie rachetable Antarius Avenir souscrit par le débiteur. L’assureur a refusé tout versement. Le comptable public a assigné l’assureur devant un juge de l’exécution, en paiement des sommes objet des avis à tiers détenteur – près de 200 000 € en tout –, sur le fondement de l’article R. 211-9 du code des procédures civiles d’exécution et l’assureur a fait valoir que le contrat avait fait l’objet d’un nantissement le 11 avril 2011 au profit d’une banque. Par jugement du 27 septembre 2017, le juge de l’exécution a accueilli la demande formée par le comptable public.

Pour condamner l’assureur à verser au comptable public le montant visé par...

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Dispositif des conclusions d’appel et protection du domicile : une rentrée judiciaire en fanfare

Une banque ayant fait faillite, son liquidateur a engagé des procédures judiciaires à l’encontre de l’un ses dirigeants.

Ce dernier ayant été condamné par des jugements du tribunal de première instance d’Istanbul à payer une certaine somme à la banque, le liquidateur a fait procéder à plusieurs saisies conservatoires de créances et de droits d’associé et valeurs mobilières, ainsi qu’à une saisie conservatoire de meubles corporels pratiquée à son domicile.

Le dirigeant saisi conteste en vain les différentes saisies devant le juge de l’exécution.

Il forme appel de ce jugement lequel est fixé à bref délai conformément aux dispositions de l’article R. 121-20 du code des procédures civiles d’exécution.

Dans ses conclusions, prises dans le délai d’un mois imparti pour conclure, l’appelant sollicite l’annulation des saisies, leur mainlevée ou leur cantonnement sans demander l’infirmation du jugement attaqué.

La Cour prononce l’infirmation du jugement en ce qu’il avait rejeté la contestation de l’appelant portant sur la saisie conservatoire de meubles du 25 août 2017 et en ce qu’elle l’avait condamné aux dépens.

Ce faisant la Cour annule la mesure de saisie conservatoire au motif que l’huissier de justice a procédé à l’ouverture forcée des portes du domicile sans autorisation d’un juge.

Le pourvoi invoquait deux moyens :

le premier fait le reproche à la Cour d’appel d’avoir infirmé le jugement entrepris alors que l’appelant n’avait pas conclu à l’infirmation du jugement dans le dispositif de ses premières conclusions ;
  le second conteste l’obligation pour l’huissier qui pratique une mesure de saisie conservatoire de devoir requérir l’autorisation d’un juge pour procéder à l’ouverture forcée des portes du domicile.

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

Une nécessaire confirmation du jugement à défaut d’en avoir sollicité la réformation ou l’annulation dans le dispositif des conclusions

Quant au premier moyen, la Cour de cassation énonce : « Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement ».

Pour autant la deuxième chambre civile considère qu’il s’agit d’une interprétation nouvelle d’une disposition, au regard de la réforme de la procédure d’appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, laquelle n’a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié. La Haute juridiction décide en conséquence de ne pas appliquer la règle au motif que la déclaration d’appel était antérieure au présent arrêt.

La Cour de cassation n’entend pas priver les appelants du droit à un procès équitable en appliquant cette nouvelle solution aux instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date du présent arrêt.

Sur le fond, cette interprétation nouvelle apparaît assez logique au regard des dispositions des articles 542 et 954 du code de procédure civile.

Il ressort de la lecture de l’article 542 du code de procédure civile que « l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel. » L’objet de l’appel est de ce fait la réformation ou l’annulation du jugement.

Aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, la Cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. C’est la raison pour laquelle la Cour considère qu’à défaut d’être saisis d’une demande de d’infirmation ou d’annulation, les juges d’appel ne peuvent qu’entrer en voie de confirmation.

Sur la forme, cette nouvelle règle n’a pour seul objectif que d’obliger les parties à modéliser leurs écritures. À défaut l’on recherchera vainement son intérêt puisqu’ainsi qu’il a été rappelé, l’objet même de l’appel est nécessairement d’obtenir l’annulation ou à la réformation du jugement entrepris ainsi que cela ressort normalement du contenu de la déclaration d’appel.

Reste enfin la question de savoir si cette omission dans le dispositif peut être réparée par des conclusions ultérieures.

Il résulte en effet des dispositions de l’article 910-4 du code de procédure civile qu’à peine d’irrecevabilité les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. En l’occurrence dans la présente espèce l’appelant, au-delà du délai imparti pour conclure, avait régularisé son dispositif. La Cour de cassation ne tient pas compte de cette régularisation ultérieure et ne retient que le dispositif des conclusions signifiées dans le délai imparti pour conclure au soutien de l’appel.

L’attention des avocats est donc vivement attirée sur l’importance de la rédaction du dispositif de leurs écritures, d’autant plus que la Cour de cassation démontre à nouveau qu’elle apprécie très largement la notion de prétention telle que visée à l’article 954 (V. en matière de fins de non-recevoir, Civ. 2e, 26 juin 2014, n° 13-20.393 P ; Soc. 21 sept. 2017, n° 16-24.022 P, D. 2017. 1921, obs. N. explicative de la Cour de cassation image ; JA 2018, n° 572, p. 39, étude J.-F. Paulin et M. Julien image ; RDT 2018. 63, obs. M. Véricel image).

Interdiction de pratiquer une mesure de saisie conservatoire dans un lieu servant à l’habitation sans autorisation du juge

Sur le second moyen du pourvoi, la Cour de cassation adopte aussi une solution novatrice.

La question posée était de savoir si l’huissier de justice muni d’une décision de justice non exécutoire pouvait procéder à l’ouverture forcée des portes d’un lieu servant à l’habitation.

Le demandeur au pourvoi soutenait que l’huissier pouvait agir sans autorisation sur le fondement de l’article L. 142-3 du code des procédures civiles d’exécution dont il résulte qu’« à l’expiration d’un délai de huit jours à compter d’un commandement de payer signifié par un huissier de justice et resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l’habitation et, le cas échéant, faire procéder à l’ouverture des portes et des meuble ».

La Cour de cassation fait une interprétation a contrario en considérant que la mise en œuvre de l’article L. 142-3 du code des procédures civiles d’exécution nécessite qu’un commandement de payer soit délivré. L’article L. 511-1 du même code disposant par ailleurs que : « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. », la haute juridiction en déduit que nonobstant l’emplacement de l’article L. 142-3 dans le livre 1 du code des procédures civiles d’exécution, intitulé « Dispositions générales », sa lettre même, qui exige que l’entrée dans un lieu servant à l’habitation et l’ouverture éventuelle des portes et des meubles soient précédées d’un commandement et que l’huissier de justice justifie d’un titre exécutoire, exclut son application à une mesure conservatoire, qui ne nécessite pas la délivrance préalable d’un commandement et peut être accomplie sans titre exécutoire.

La deuxième chambre fait ainsi sienne l’appréciation de la doctrine selon laquelle il y lieu de distinguer d’une part le droit de procéder à une mesure conservatoire sans autorisation préalable du juge, et d’autre part, l’exécution matérielle de cette mesure (R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, 3e éd, Dalloz, n° 1143 ; en ce sens, Droit et pratique des voies d’exécution, Dalloz, 2018/2019, n° 0622.41).

La Cour de cassation exerce par ailleurs un contrôle de proportionnalité des dispositions de l’article L. 521-1 du code des procédures civiles d’exécution au regard du droit, à valeur constitutionnelle, au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui protège le domicile.

Aux termes de l’article 521-1 « la saisie conservatoire peut porter sur tous les biens meubles, corporels ou incorporels appartenant au débiteur, que le créancier peut faire procéder à la saisie conservatoire des biens de son débiteur situés dans un lieu servant à l’habitation et, le cas échéant procéder à cet effet à l’ouverture des portes ». La Cour de cassation juge que le droit, à valeur constitutionnelle, au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile, également consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, exclut que la mesure de saisie conservatoire susvisée puisse être pratiquée sans une autorisation donnée par un juge.

Selon la notice explicative de l’arrêt cette « analyse, qui permet une protection renforcée du domicile du débiteur, trouve son fondement tant dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (Cons. const. 5 avr. 2019, n° 2019-772 QPC, AJDA 2019. 786 image ; D. 2019. 696, et les obs. image ; AJDI 2019. 541 image, obs. C. Dreveau image ; Constitutions 2019. 154, Décision image) que dans celle de la Cour européenne des droits de l’homme » (CEDH 16 mai 2019, n° 66554/14, Halabi c/ France, AJDA 2019. 1079 image ; ibid. 1826 image, note P. Coleman image ; D. 2019. 1172, et les obs. image ; RDI 2019. 403, obs. C. de Jacobet de Nombel image ; AJ pénal 2019. 393, obs. V. Courcelle-Labrousse image).

Au regard de la nécessaire protection du domicile, la Cour de cassation ajoute de ce fait une condition de licéité à l’exécution de la mesure de saisie conservatoire au sein d’un lieu servant d’habitation.

Absence d’indivisibilité à l’égard du ministère public dans une liquidation judiciaire

À la suite de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre d’une société civile immobilière (SCI), le mandataire judiciaire a demandé la conversion de la procédure en liquidation judiciaire. Suite à cette conversion et la désignation d’un liquidateur, la SCI a interjeté appel de la décision rendue par le tribunal.

Conformément aux dispositions de l’article R. 661-6, 1o, du code de commerce, en cas d’appel du jugement d’ouverture de la liquidation, les mandataires de justice qui ne sont pas appelant doivent être intimés. C’est-à-dire que lorsque le débiteur interjette appel du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, il doit impérativement, à peine d’irrecevabilité,...

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Élections et diffamation : les conditions du référé d’heure à heure en questions

Le 1er octobre 2019, la société Manpower France (la société Manpower) reçut la profession de foi de l’Union des syndicats anti-précarité (le syndicat) devant être adressée le 16 octobre 2019 au prestataire chargé de sa diffusion dans le cadre des élections professionnelles. Estimant que le document comportait des passages diffamatoires à son égard, la société Manpower assigna en référé d’heure à heure le rédacteur du texte ainsi que le syndicat concerné en suppression des passages litigieux. Par ordonnance du 17 octobre 2019, le juge des référés prononça la nullité de l’assignation.

La première chambre civile était ici saisie de trois questions prioritaires de constitutionnalité transmises par la cour d’appel de Montpellier portant sur l’application des articles 54 et 55 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

L’article 55 de la loi sur la presse précise la procédure applicable quand l’auteur d’une diffamation souhaite prouver la vérité des faits diffamatoires (exceptio veritatis, prévue à l’art. 35 de la même loi). Le texte prévoit que celui-ci « devra, dans le délai de dix jours après la signification de la citation, faire signifier au ministère public ou au plaignant au domicile par lui élu, suivant qu’il est assigné à la requête de l’un ou de l’autre : 1° Les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité ; 2° La copie des pièces ; 3° Les noms, professions et demeures des...

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[DOCUMENTS] Circulaire de politique générale et notes sur les remontées d’informations

Dalloz actualité publie en intégralité la circulaire de politique générale du garde des Sceaux, envoyée le 1er octobre aux juridictions. Nous publions également les notes adressées le 29 septembre à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) puis aux procureurs généraux concernant les remontées d’informations de procédures individuelles qu’Éric Dupond-Moretti aurait eu à connaître quand il était avocat.

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Règlement Bruxelles I : conflit de décisions et principe de reconnaissance

En droit international privé, la présence de deux jugements inconciliables, l’un prononcé dans le for et l’autre dans un État étranger, constitue une difficulté classique, qui peut aboutir pour les parties à des situations inextricables.

Le législateur européen s’est donc saisi de cette difficulté. Le règlement Bruxelles I n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale prévoit certes, par son article 33, § 1, que les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. Néanmoins, l’article 34, point 3, précise qu’une décision n’est pas reconnue si « elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’État membre requis ». L’article 34, point 4, ajoute que la décision n’est pas non plus reconnue si « elle est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans un autre État membre ou dans un État tiers entre les mêmes parties dans un litige ayant le même objet et la même cause, lorsque la décision rendue antérieurement réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre requis ».

Ces principe sont bien connus (pour une présentation approfondie, H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e...

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L’avant-projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021

Le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran et le ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des finances et de la relance, chargé des Comptes publics, Olivier Dussopt, ont présenté mardi 29 septembre, lors d’une conférence de presse, le PLFSS 2021. L’avant-projet, diffusé également par d’autres médias, est à lire en pièce jointe.

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Autorité de la chose jugée des ordonnances du conseiller de la mise en état : fin de partie

Une partie qui avait assigné sur le fondement des vices cachés une société qui lui avait vendu un véhicule est déboutée par le tribunal de grande instance. Elle relève appel devant la cour d’appel d’Orléans mais elle est déboutée de l’ensemble de ses demandes et condamnée à payer à la société intimée une somme au titre des frais irrépétibles.

Elle forme alors un pourvoi en reprochant à la cour d’appel d’avoir statué au fond alors que le conseiller de la mise en état avait pourtant jugé irrecevables les conclusions de cette société comme notifiées au-delà du délai de l’article 909 du code de procédure civile et dont l’ordonnance, devenue définitive, avait acquis autorité de chose jugée. La haute cour juge en premier lieu recevable le moyen soulevé devant elle comme étant d’ordre public puisque tiré de la violation de l’autorité de chose jugée et précise que l’ordonnance du conseiller de la mise en état, versée au dossier de la cour d’appel, reposait sur un fait dont la cour avait été mise à même d’avoir connaissance. Quant au bien-fondé du moyen, la deuxième chambre civile, sur le fondement des articles 1355 du code civil et de l’article 914, dernier alinéa, du code de procédure civile, juge « qu’en statuant ainsi, alors que ces conclusions avaient été déclarées irrecevables par une ordonnance du conseiller de la mise en état du 9 janvier 2018, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». L’arrêt est cassé et annulé en toutes ses dispositions et les parties sont renvoyées devant la cour d’appel de Versailles.

On peut toujours s’interroger sur le sort des ordonnances rendues par le conseiller de la mise en état lorsque la cour d’appel est amenée à statuer au fond. Généralement, cela ne pose pas de difficulté, l’ordonnance est jointe au dossier et la cour d’appel, très souvent, y fait référence dans son arrêt rappelant, in limine par exemple, que les conclusions de l’intimé ont été jugées irrecevables par une précédente ordonnance du conseiller de la mise en état, voire...

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EDM et la magistrature : je t’aime, moi non plus

Rachida Dati et Éric Dupond-Moretti ont au moins un point commun. Celui d’avoir réussi à se mettre à dos les syndicats de magistrats en un temps record.

Jeudi, lors d’une conférence de presse commune, les présidentes du Syndicat de la magistrature (SM) et de l’Union syndicale des magistrats (USM), Katia Dubreuil et Céline Parisot, ont déclaré ne plus vouloir rencontrer le ministre en situation de conflit d’intérêts, selon elles, depuis l’ouverture d’une enquête administrative sur trois magistrats du PNF.

Ces trois magistrats, dont l’ex-cheffe du PNF, étaient chargés de la procédure visant à identifier la « taupe » qui a averti Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu’ils étaient sur écoutes dans une affaire de corruption.

Dans cette affaire, les fadettes de plusieurs avocats – dont celle de Me Dupond-Moretti –, mais également de magistrats, ont été épluchées. L’informateur n’a jamais été identifié au terme de six années de procédure. L’avocat Dupond-Moretti a porté plainte contre le PNF, avant de la retirer une fois nommé ministre de la justice.

Si la première inspection de fonctionnement du PNF a été ordonnée par l’ex-ministre de la justice, Nicole Belloubet, l’enquête administrative l’a été par Éric Dupond-Moretti. Les syndicats ont beau jeu de rappeler la « porosité » entre l’Inspection générale de la justice (IGJ) et le ministre de la justice.

Ils reprochent à ce dernier, concerné par une affaire lorsqu’il était avocat, d’utiliser ses prérogatives de garde des Sceaux pour régler ses comptes. Ils dénoncent une « difficulté démocratique et institutionnelle majeure ».

Par ricochet, cette enquête administrative déstabilise le PNF, une institution qui a fait preuve de son efficacité dans la lutte contre la délinquance financière. « Le ministre de la justice apporte de l’eau au moulin » des détracteurs du PNF, selon Mme Parisot. Elle arrive à quelques mois du procès de Nicolas Sarkozy, de son avocat Thierry Herzog, et d’un ex-haut magistrat, Gilbert Azibert, dans cette affaire de corruption supposée. L’alignement idéal des planètes, selon Céline Mamelin, trésorière de l’USM.

Fait exceptionnel, les deux plus hauts magistrats du pays, Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, et François Molins, procureur général près la Cour, se sont, dans une tribune publiée mardi dans Le Monde, inquiétés de la « situation inédite dans laquelle se trouve l’institution » depuis l’ouverture de cette enquête administrative.

Désormais, c’est la guerre froide. « Nous refusons de rencontrer un ministre qui n’a jamais répondu à nos sollicitations », souligne Céline Parisot. « Il n’y a pas de dialogue. Il distille des petites phrases », renchérit Katia Dubreuil. La garde des Sceaux, selon les syndicats, n’a pas répondu aux interrogations des syndicats sur les remontées d’informations dans les dossiers qu’il avait lorsqu’il était avocat.

Sans jamais demander la démission du ministre, les deux syndicats en appellent au président de la République, garant de l’indépendance de la magistrature, pour trouver une solution. « Le président de la République a choisi Éric Dupond-Moretti. Il doit trouver une solution. » Ils lui ont d’ailleurs écrit mi-septembre. Et se donnent un mois avant d’aviser.

Les attaques incessantes du garde des Sceaux sur leur corporatisme supposé heurtent les magistrats. Celui qui devrait les défendre les pilonne. Ce n’est pas tant la nomination d’une avocate à la direction de l’École nationale de la magistrature (ENM) que les propos qui l’ont accompagnée. « Traditions surannées », « tentation du vase clos et de l’entre-soi » ont fait déborder le vase.

Depuis, de nombreuses assemblées générales se sont tenues dans les juridictions (quatre-vingt-deux, selon les deux syndicats).

« Nommer une avocate, première femme à la tête de l’ENM, c’est un coup de génie. Mais il a tout gâché en se faisant plaisir pour pas cher », constate un magistrat passé par la Chancellerie. « C’est dommage, parce qu’il a obtenu une augmentation historique du budget de la justice », poursuit-il.

Avant cette conférence de presse, le ministre a reçu des représentants syndicaux à l’occasion d’un comité technique ministériel (CMT). Selon son entourage, il aurait pris la défense (quoi de plus normal pour un avocat) des magistrats de l’IGJ, qui travaillent « en toute indépendance ».

Ensuite, il a expliqué que c’est le bureau de la déontologie de la Direction des services judiciaires qui a estimé que les faits mis en évidence dans le rapport « pouvaient recevoir des qualifications disciplinaires ». « Ne pas donner suite aux recommandations de ses services aurait pu lui être reproché », fait valoir cette même source. Avant d’ajouter que la porte du ministre « était toujours ouverte ». Porte ouverte et écoute close ?

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Logement de famille indivis et demande de partage du créancier personnel de l’un des époux

La protection du logement de la famille est une préoccupation fondamentale du législateur, qui a pris un certain nombre de dispositions afin de l’assurer. Au premier titre de ces textes, nous trouvons, dans le cadre du régime primaire du mariage, l’article 215, alinéa 3, du code civil qui a vocation à protéger le foyer des actes imprudents, si ce n’est malveillants, de l’un des époux (P. Voirin et G. Goubeaux, Droit civil. Régimes matrimoniaux, successions-libéralités, 31e éd., LGDJ, coll. « Manuel », 2020, n° 18). Ce texte vient affirmer que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lequel est assuré le logement de la famille ». Malgré cette protection, il n’est pas original que les créanciers de l’un des époux décident, en raison de l’importance du passif, d’agir contre le couple, même séparé de biens, lorsque ceux-ci sont propriétaires indivis d’un immeuble dans lequel ils ont établi le logement de la famille. Ce faisant, la jurisprudence doit faire un arbitrage entre l’application de l’article 215, alinéa 3, du code civil et le régime de l’indivision avec en fond, la question de l’applicabilité de l’article 815-17 du code civil. En effet, ce dernier texte précise que, si « les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis, meubles ou immeubles » (al. 2), « ils ont toutefois la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage provoqué par lui. Les coïndivisaires peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur. Ceux qui exerceront cette faculté se rembourseront par prélèvement sur les biens indivis » (al. 3). Dit autrement, il appartient alors à la Cour de se prononcer sur l’articulation entre le principe de cogestion postulé par le régime primaire impératif du mariage et les règles de l’indivision permettant aux créanciers personnels d’un époux, par le truchement d’une action oblique permise par le texte précité, de pouvoir demander le partage au nom de son débiteur (c’est-à-dire l’époux).

Dans cette affaire, un homme et sa sœur s’engagent auprès d’un établissement financier comme cautions solidaires afin de garantir le règlement du prêt consenti à une société dans laquelle ils étaient associés. Le 7 avril 2009, la société fait l’objet d’un placement en liquidation judiciaire. Le 26 mai 2010, le tribunal de commerce inscrit au passif de cette liquidation la créance de la banque et condamne les cautions à payer à celle-ci la somme de 107 300,60 €. La banque décide alors d’assigner l’homme et son épouse séparée de biens afin de provoquer, sur le fondement de l’article 815-17, alinéa 3, du code civil, le partage de l’indivision existant entre eux et, pour y parvenir la licitation du bien immobilier indivis servant au logement de la famille. La cour d’appel de Paris, dans une décision du 10 avril 2019, accueille la demande de la banque et ordonne que soit procédé aux opérations de comptes, liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux. Dans ce but, les juges du fond ordonnent également la vente sur licitation de l’immeuble sur une mise à prix de 350 000 € estimant que les dispositions de l’article 215, alinéa 3, du code civil n’étaient pas opposables au créancier agissant sur le fondement de l’article 815-17 du même code. Les époux forment alors un pourvoi en cassation, lequel est rejeté par la première chambre civile dans la présente décision. La question soumise à l’attention de la haute juridiction consistait à déterminer si l’article 215, alinéa 3, du code civil faisait obstacle à la demande de partage et de licitation du créancier de l’époux. La Cour de cassation vient affirmer (§ 5) que « les dispositions protectrices du logement familial de l’article 215, alinéa 3, du code civil ne peuvent, hors le cas de fraude, être opposées aux créanciers personnels d’un indivisaire usant de la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur en application de l’article 815-17, alinéa 3, du même code ». Se faisant, la Cour relève qu’aucune fraude de l’établissement financier n’est alléguée, justifiant que soit accueillie la demande de partage de celui-ci.

L’objectif de l’article 215, alinéa 3, est de permettre aux époux, et plus largement à la famille, de se maintenir dans les lieux d’habitation indépendamment des choix malheureux qu’aurait pu faire l’un des époux. Son efficacité est assurée par l’interprétation que fait le juge qui le conduit à écarter les actions qui empêcheraient le maintien effectif de la famille dans les lieux. Toutefois, la protection ne joue pas à l’égard des demandes de partage dès lors qu’elles émanent des créanciers personnels d’un des époux qui invoquent le bénéfice de l’article 815-17 du code civil. C’est cette solution que la première chambre civile vient rappeler. Elle avait déjà statué en ce sens dès 1991, estimant que « les dispositions de ce dernier texte ne font pas obstacle à une demande de partage des biens indivis portant sur le logement de la famille ; qu’elles doivent, hors le cas de fraude, non allégué en l’espèce, être considérées comme inopposables aux créanciers ; que la cour d’appel était donc en droit d’accueillir la demande formée par La Mutuelle sur le fondement de l’article 815-17 du code civil » (Civ. 1re, 3 déc. 1991, n° 90-13.311, Dalloz jurisprudence). Cette décision était néanmoins apportée de longue date, de surcroît dans un arrêt ne bénéficiant pas de publicité. Aussi, au vu de la forte protection du logement de la famille, on pouvait légitimement s’interroger sur l’arbitrage que proposerait la Cour de cassation en la matière.

La question a été indirectement posée dans une affaire récente (Civ. 1re, 3 avr. 2019, n° 18-15.177, Dalloz actualité, 6 mai 2019, obs. J. Boisson ; D. 2019. 760 image ; ibid. 2020. 901, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; AJDI 2019. 815 image, obs. F. Cohet image ; AJ fam. 2019. 339, obs. J. Casey image ; RTD civ. 2019. 613, obs. W. Dross image ; ibid. 640, obs. B. Vareille image) dans le cadre d’une liquidation judiciaire avec une solution différente car l’action n’était pas introduite au nom des créanciers de l’époux sur le fondement de l’article 815-17 du code civil mais au nom de l’époux sur celui l’article 815. La Cour de cassation avait alors censuré la cour d’appel qui jugeait indifféremment les fondements de l’action et avait rejeté la demande de partage du mandataire (qui agissait dans le cadre d’une liquidation judiciaire). À l’occasion de cette décision, un auteur s’interrogeait dans ces colonnes (J. Boisson, L’article 215 est applicable à la demande en partage du logement familial par le liquidateur, Dalloz actualité, 6 mai 2019) sur le sort d’une telle action fondée au nom des créanciers, soulignant qu’elle serait probablement accueillie. La Cour de cassation offre une réponse positive : l’action des créanciers personnels d’un époux séparé de biens doit être accueillie favorablement en l’absence de fraude dès lors qu’elle se fonde sur l’article 815-17 du code civil.

Cette admission de l’action oblique du créancier de l’époux s’explique par la volonté de ne pas aller au-delà de la lettre et de l’esprit de l’article 215, alinéa 3, du code civil. L’objet de ce texte est d’assurer la protection effective du logement de la famille mais non à l’exclure du gage général des créanciers (C. civ., art. 2284). En effet, la Cour de cassation avait déjà énoncé que la protection du logement ne devait pas aboutir à une insaisissabilité du bien, laquelle serait contraire à la loi. Elle avait alors considéré que cette protection devait être inopposable aux créanciers de l’époux (Civ. 1re, 4 juill. 1978, n° 76-15.253, Bull. civ. I, n° 256 ; D. 1979. 479 : « nonobstant les dispositions de l’article 215, alinéa 3, du code civil, les époux A… le droit de demander le partage de biens indivis servant au logement de la famille et que ces dispositions doivent, hors le cas de fraude, être considérées comme inopposables aux créanciers sous peine de frapper les biens d’une insaisissabilité contraire à la loi »). Du point de vue de l’action oblique, l’on peut s’étonner que le créancier bénéficie de conditions plus favorables que celles dont bénéficie son débiteur lui-même, qui, lui, devrait agir sur le fondement de l’article 815. En effet, cette situation est une exception au principe en vertu duquel le créancier voit son action enfermée dans les conditions de celles de son débiteur. Cette limite permet d’atteindre un point d’équilibre. D’une part, les créanciers de l’époux qui agissent sans fraude doivent pouvoir, dans ces circonstances, agir utilement pour recouvrer leurs créances et leur débiteur ne saurait exclure de son gage général le bien indivis indéfiniment sous peine d’aller au-delà de la protection voulue par le régime primaire du mariage (d’ailleurs, on peut se demander si une protection absolue du logement de la famille qui conduirait à son insaisissabilité alors même qu’il s’agit du seul bien dans le patrimoine du débiteur ne pourrait pas être considérée comme attentatoire à la propriété des créanciers en vertu de l’article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme). D’autre part, il est cohérent que les époux, étant mariés et donc soumis à la règle de la cogestion, se voient opposer cette limite dans la gestion du bien indivis dans lequel ils ont décidé d’établir le logement de la famille. L’équilibre est donc atteint par une combinaison fine des textes qui nous semble respecter la lettre et l’esprit de ces derniers.

« Vous avez devant vous des juges humbles, qui doutent »

Si les histoires d’amour finissent mal en général, celle entre le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, et les magistrats s’est (presque) terminée avant d’avoir commencé. Pouvait-il en être autrement entre l’ancien avocat et un corps dont il n’a de cesse de critiquer le corporatisme ou la lâcheté supposés ?

Comme dans un flash mob, les petits pois, ainsi que les avait surnommés avec délicatesse Nicolas Sarkozy, sont arrivés peu avant 13 heures sur le parvis du tribunal judiciaire de Paris. De chorégraphie en robes noir et rouge, point. Mais une mobilisation pour dénoncer « le positionnement de [leur] ministre […] incohérent et dévastateur pour le bon fonctionnement de la justice ». Et quelques slogans sur des pancartes : « Garde des Sceaux, garde des siens », « Qui sont les barbouzes », « Qui veut la peau du PNF ». Et un slogan scandé en chœur : « Assis, debout mais pas couché ».

Pour rappel, le garde des Sceaux a demandé le 18 septembre l’ouverture d’une enquête administrative contre trois magistrats du parquet national financier (PNF) après un rapport de l’Inspection générale de la justice (IGJ) sur l’enquête dite des écoutes Sarkozy.

Dans cette affaire, de nombreuses fadettes d’avocats, dont celles d’Éric Dupond-Moretti, ont été épluchées. À l’époque, il avait dénoncé des méthodes de barbouzes et porté plainte. Retirée une fois devenu ministre.

Puis la nomination d’une avocate, Me Nathalie Roret à la tête de l’École nationale de la magistrature (ENM), sous couvert « de rompre avec des traditions surannées […] et la tentation du vase clos et de l’entre-soi », a été la goutte de trop.

Les présidentes du Syndicat de la magistrature (SM) et de l’Union syndicale des magistrats (USM), Katia Dubreuil et Céline Parisot, ont lu à deux voix un texte commun. Extraits :

« Souvent unis pour dénoncer ses conditions indigentes d’exercice, les personnels de justice sont aujourd’hui réunis, debout devant les tribunaux alors que le ministre aime à nous rabaisser, pour défendre des principes institutionnels, constitutionnels, démocratiques : la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice ».

« Il n’est pas question ici de corporatisme, d’entre-soi, d’irresponsabilité des juges, sujets qui sont au demeurant ouverts à débats, mais d’un ministre, placé dans une situation objective de conflit d’intérêts et qui œuvre manifestement pour des intérêts autres que celui d’une justice indépendante, sereine et dotée de moyens adaptés ».

« Puis, après avoir jeté le discrédit sur le PNF, à l’aube de la tenue d’un procès au cours duquel l’un des amis d’Éric Dupond-Moretti doit comparaître [le procès pour corruption mettant en cause Nicolas Sarkozy, l’avocat Thierry Herzog et le haut magistrat Gilbert Azibert, ndlr], c’est au tour de l’ENM d’être caricaturée et réduite à un outil de reproduction d’une caste, alors que cette école s’est ouverte sur la société civile depuis de nombreuses années ».

Dans les rangs, les propos à l’encontre du garde des Sceaux sont tout aussi amènes. « Nous avons un ministre qui utilise en permanence le mépris à l’égard des magistrats. Nous serions hors-sol. Je n’ai toujours pas compris pourquoi nous serions hors-sol. Nous sommes en prise directe avec les problèmes que rencontrent nos concitoyens », fulmine un haut magistrat. « C’est dire le peu de crédit que porte le président de la République sur l’institution judiciaire. »

« Éric Dupond-Moretti est dans un règlement de compte assez personnel avec le PNF », souligne un magistrat financier, « c’est la justice éco-fi qui est ciblée », ajoute-t-il. « On ne fait pas de la politique spectacle, on fait de la justice de fond », regrette une parquetière.

Dans la petite foule de badauds, ceint de son écharpe tricolore, le député de La France insoumise, Ugo Bernalicis, venu « soutenir » les magistrats. L’élu, coauteur, avec Didier Paris, d’un rapport sur les atteintes à l’indépendance du pouvoir judiciaire, boit du petit lait. « Le garde des Sceaux est là pour être l’avocat d’Emmanuel Macron et de ses intérêts », des intérêts « qui coïncident avec ceux de Nicolas Sarkozy », relève-t-il.

En déplacement à Pontoise pour le déploiement du bracelet antirapprochement, le ministre a déclaré, à propos de ces manifestations devant les tribunaux : « C’est l’expression syndicale, laissez-la s’exprimer. Je suis un démocrate convaincu. Les syndicats disent ce qu’ils veulent. Et moi aussi, je dis ce que j’ai envie de dire ».

Quoi qu’il en soit, nul besoin de bracelet antirapprochement entre Éric Dupond-Moretti et les magistrats. D’un médiateur, peut-être.

 

Déplacement de Monsieur Éric Dupont-Moretti
Ministre de la justice, Garde des Sceaux
Discours d’accueil de Madame Gwenola Joly-Coz
Présidente du tribunal judiciaire de Pontoise

Monsieur le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux

Le tribunal de Pontoise vous accueille volontiers aujourd’hui pour une présentation du Bracelet Anti Rapprochement, nouvel instrument au service de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Les violences faites aux femmes sont un fait social. La justice en est saisi chaque jour et applique la loi en qualifiant pénalement les crimes et délits caractérisés.
■ Les juges, loin du vase clos et de l’entre soi, sont des professionnels immergés en permanence dans la réalité sociale, à l’écoute de la conversation mondiale nourrie par un nouveau vocabulaire, dont le mot féminicide fait partie pour aider à penser le caractère systémique.
■ Les juges, loin des pratiques archaïques ou des traditions surannées, s’interrogent, s’adaptent, se forment, pour mériter la confiance des citoyens. Beaucoup de dispositifs innovants, comme le téléphone grand danger, sont d’ailleurs nés dans les tribunaux.
■ Les juges, gardiens scrupuleux du contradictoire, écoutent les avocats de chaque partie et les victimes qui réclament au delà de la condamnation, une protection que le bracelet peut leur apporter.
■ Les juges, ni passéistes, ni empoussiérés, s’ancrent dans l’actualité de la prise de parole des femmes. Elles racontent les coups, l’emprise, la peur de la rupture, la destruction des enfants. Elles dénoncent le continuum des propos sexistes et des comportements violents, les assassinats présentés comme des drames conjugaux ou des crimes passionnels. Elles ne veulent plus être tuées. Depuis deux ans, elles décomptent les mortes au fil des mois.

Monsieur le ministre, pour agir les juges ont besoin de concepts auxquels adosser leurs pratiques. Pour lutter contre les violences conjugales, il faut penser l’égalité entre les femmes et les hommes, qui permet :
✔ de soulager les hommes des diktats de la virilité et les femmes des stéréotypes
de la féminité ;
✔ et ainsi de construire un monde apaisé où les destins des individus ne sont pas
assignés par leur genre, ni leurs relations dictées par les traditions patriarcales de domination.

Les juges sont garants de la loi républicaine, des principes constitutionnels qui énoncent solennellement l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Aucune mobilisation autour de cet objectif ne peut être qualifié d’excessive.

Vous avez devant vous des juges humbles, qui doutent, et veulent expérimenter un nouvel outil, pour en vérifier la pertinence. Une magistrature en action, sur le terrain, consciente des attentes à son égard. Des hommes et des femmes de justice qui affirment que l’indépendance n’est pas l’isolement, et que l’impartialité n’est pas l’indifférence.

Pontoise
le 24 septembre 2020

Une application (trop) mesurée de la déchéance du droit à remboursement de la caution

Il est souvent question de la déchéance des droits du créancier cautionné tant sont nombreuses les sanctions auxquelles ce dernier s’expose (v. à ce sujet M. Séjean, La bilatéralisation du cautionnement ?, préf. D. Houtcieff, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », 2011, t. 528). Les hypothèses de déchéance du droit à remboursement de la caution solvens sont plus rares en pratique. On sait pourtant que l’article 2308 du code civil en prévoit deux, l’alinéa 1er de ce texte disposant que « la caution qui a payé une première fois n’a point de recours contre le débiteur principal qui a payé une seconde fois lorsqu’elle ne l’a point averti du payement par elle fait ; sauf son action en répétition contre le créancier », et l’alinéa 2 du même article ajoutant que, « lorsque la caution aura payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal, elle n’aura point de recours contre lui dans le cas où, au moment du payement, ce débiteur aurait eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte ; sauf son action en répétition contre le créancier » (v. à ce sujet P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, n° 209, spéc. p. 203, spéc. n° 3, soulignant que « l’article 2308 ne paraît pouvoir faire échec qu’au recours personnel. Le recours subrogatoire se trouve en toute hypothèse exclu dans les deux hypothèses visées : dans la première, parce que le débiteur a lui-même payé sa dette, dans la seconde, parce que le débiteur dispose, par hypothèse, de moyens de faire déclarer la dette éteinte »). C’est cette dernière cause de déchéance, sanctionnant « l’excès de zèle de la caution » (pour reprendre l’expression de M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 7e éd., Sirey, 2019, n° 329), qui a donné lieu à l’arrêt rendu par la première chambre civile le 9 septembre 2020, à laquelle il faut prêter une attention particulière en raison de la rareté du contentieux en la matière (v. cependant Civ. 1re, 20 févr. 2019, n° 17-27.963, AJDI 2019. 292 image ; 1er oct. 2014, n° 13-20.457 ; Com. 28 janv. 2014, n° 12-28.728, D. 2014. 1610, obs. P. Crocq image).

En l’espèce, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs un prêt immobilier garanti par le cautionnement d’une société, devenue la Compagnie européenne de garanties et cautions. À la suite d’échéances impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme. Après avoir réglé à celle-ci les sommes réclamées, la caution a mis les emprunteurs en demeure de les lui rembourser. Ces derniers ont alors assigné la banque et la caution en nullité du contrat de prêt et du cautionnement et en paiement de dommages-intérêts et la caution a assigné les emprunteurs en remboursement. La nullité du contrat de prêt ayant été prononcée, en raison d’un démarchage irrégulier des emprunteurs, la cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 24 janvier 2019, a limité la condamnation des emprunteurs à payer à la caution le capital prêté, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement, déduction faite des sommes versées par les emprunteurs. L’arrêt constate en effet que la caution a désintéressé la banque à la suite de la présentation d’une lettre de sa part l’engageant à la tenir informée de sa décision à la suite d’impayés des emprunteurs, et qu’elle n’a pas averti de cette sollicitation ces derniers qui disposaient alors d’un moyen de nullité permettant d’invalider partiellement leur obligation principale de remboursement.

Un pourvoi principal est formé par la caution, reprochant à l’arrêt de limiter la condamnation des emprunteurs. Mais ce pourvoi est rejeté, la Cour de cassation considérant qu’« ayant ainsi procédé à la recherche prétendument omise, sans dénaturer la lettre adressée par la banque à la caution, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, qu’en l’absence d’information préalable des emprunteurs conformément aux dispositions de l’article 2308 du code civil, la caution avait manqué à ses obligations à leur égard et devait être déchue de son droit à remboursement à hauteur des sommes que ces derniers n’auraient pas eu à acquitter ». Mais un pourvoi incident est également formé par les emprunteurs, estimant que la caution, ayant payé sans être poursuivie et sans les avoir avertis, n’avait tout simplement pas de recours contre ces derniers, fût-ce à hauteur des sommes dont ils étaient toujours débiteurs. Le pourvoi est également rejeté par les hauts magistrats, considérant qu’« il résulte des constatations de l’arrêt qu’au moment du paiement effectué par la caution, les emprunteurs n’avaient pas de moyens de faire déclarer leur dette éteinte, mais disposaient de la possibilité d’obtenir l’annulation du contrat de prêt ». Et d’en conclure que, « dès lors que cette annulation conduisait à ce qu’ils restituent à la banque le capital versé, déduction faite des sommes déjà payées, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que leur obligation de remboursement à l’égard de la caution devait être limitée dans cette proportion ».

La solution est mesurée en ce qu’elle permet aux débiteurs d’obtenir une déchéance partielle des droits de la caution. En outre, elle est en parfaite adéquation avec l’article 1352-9 du code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, disposant que « les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution soit privée du bénéfice du terme » (ce texte a consacré une jurisprudence bien établie, v. par ex. Com. 17 nov. 1982, n° 81-10.757 : « Tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable, que dès lors le cautionnement en considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable n’est pas éteinte » ; rappr. Com. 12 janv. 2016, n° 14-17.215, ayant étendu cette solution à l’hypothèse de la résolution du contrat ; v. égal. Com. 5 juill. 2006, n° 03-21.142, D. 2006. 2126 image ; RTD com. 2006. 888, obs. D. Legeais image, en matière d’obligation solidaire : « Mais attendu que l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeurant valable tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, les coemprunteurs solidaires restent tenus de restituer chacun l’intégralité des fonds qu’ils ont reçus » ; Civ. 3e, 5 nov. 2008, n° 07-17.357, Dalloz actualité, 14 nov. 2008, obs. D. Chenu ; D. 2008. 2932 image ; RTD civ. 2009. 148, obs. P. Crocq image ; en matière hypothécaire : « l’obligation de restituer inhérente à un contrat de prêt annulé demeurant tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’hypothèque en considération de laquelle ce prêt a été consenti subsiste jusqu’à l’extinction de cette obligation »).

Il n’en demeure pas moins que la présente solution procède d’une interprétation particulièrement extensive de l’article 2308, alinéa 2, du code civil, ce texte prévoyant clairement que la caution « n’aura point de recours » contre le débiteur principal (une telle interprétation est surprenante au regard de l’opinion doctrinale couramment répandue selon laquelle une telle déchéance est d’interprétation stricte ; v. en ce sens P. Simler et P. Delebecque, op. cit., n° 209, p. 204 ; v. égal. A.-S. Barthez et Houtcieff, « Traité de droit civil, », in J. Ghestin [dir.], Les sûretés personnelles, LGDJ, 2010, n° 872, parlant d’une « interprétation restrictive » ; L. Bougerol et G. Mégret, Droit du cautionnement, préf. P. Crocq, Gazette du Palais/Lextenso, n° 239 : « La Cour de cassation l’interprète restrictivement »). C’est donc une déchéance totale qui doit normalement découler de sa mise en œuvre et non une déchéance partielle. Une application orthodoxe du texte en question aurait donc dû conduire à interdire à la caution d’exercer un quelconque recours à l’encontre des emprunteurs. Elle aurait pu, en revanche, conformément au même texte, agir en répétition contre le créancier.

Mais l’on peut, à la réflexion, se demander si c’est bien l’application de l’article 2308, alinéa 2, du code civil qui devait être faite en l’occurrence : la caution avait certes « payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal », la banque s’étant adressée à elle sans la poursuivre en justice. Mais le texte exige en outre que le débiteur ait « eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte », ce qui n’était pas le cas en l’occurrence, la première chambre civile affirmant d’ailleurs expressément que « les emprunteurs n’avaient pas de moyens de faire déclarer leur dette éteinte, mais disposaient de la possibilité d’obtenir l’annulation du contrat de prêt ». Dans ces conditions, la caution pouvait-elle vraiment être déchue de son droit à remboursement, fût-ce partiellement ?

Quoi qu’il en soit, cet arrêt constitue une illustration supplémentaire de la tendance actuelle de la Cour de cassation, qui n’hésite plus à moduler la déchéance (ce qui semble être dans l’air du temps, v. ord. n° 2019-740, 17 juill. 2019, relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global ; v. égal. Civ. 1re, 10 juin 2020, n° 18-24.287, D. 2020. 1440 image ; ibid. 1434, note J.-P. Sudre image ; ibid. 1441, note J.-D. Pellier image ; RDI 2020. 448, obs. H. Heugas-Darraspen image ; AJ contrat 2020. 387, obs. F. Guéranger image ; JCP 2020. 1019, note M. Roussille, la Cour ayant considéré que, « pour les contrats souscrits postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global dans un écrit constatant un contrat de prêt, le prêteur n’encourt pas l’annulation de la stipulation de l’intérêt conventionnel, mais peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l’emprunteur » et que, « dans ces conditions, pour permettre au juge de prendre en considération, dans les contrats souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l’emprunteur, il apparaît justifié d’uniformiser le régime des sanctions et de juger qu’en cas d’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de prêt, comme en cas d’erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge » ; v. égal. Civ. 1re, 10 juin 2020, n° 20-70.001, D. 2020. 1410, point de vue G. Biardeaud image ; RDI 2020. 446, obs. J. Bruttin image).

Distribution : office du juge de l’exécution, attention aux excès… de pouvoir

Cet arrêt, qui fera l’objet d’une large diffusion, est d’importance pour les praticiens de la procédure de saisie immobilière, qu’ils soient magistrats ou avocats.

Les faits sont les suivants : à l’issue de la procédure de saisie immobilière, un créancier poursuivant est déclaré adjudicataire pour le montant de la mise à prix, à défaut d’enchères (C. pr. exéc., art. L. 322-6, dernier al.).

Le créancier poursuivant élabore ensuite un projet de distribution (C. pr. exéc., art. R. 332-2) aux termes duquel y est inséré un paiement partiel du prix par compensation.

Ce projet, notifié aux avocats des parties, créanciers inscrits et débiteur saisi, ne fait l’objet d’aucune contestation dans le délai de quinze jours (C. pr. exéc., art. R. 332-4), de sorte qu’une requête aux fins d’homologation est présentée au juge de l’exécution pour lui voir conférer force exécutoire (C. pr. exéc., art. R. 332-6).

Le juge de l’exécution rejette la requête en homologation du projet de distribution du prix d’adjudication, en retenant que l’adjudicataire, malgré sa qualité de créancier poursuivant, qui s’est volontairement abstenu de payer le prix de la vente et les frais taxés, ne saurait valablement opposer la compensation de sa créance au stade de la distribution, alors même qu’il n’est pas partie à la procédure de distribution.

Le créancier a formé un pourvoi en cassation.

Deux questions sont ici à envisager :

1. Le pourvoi est-il recevable ?

Sur la recevabilité du pourvoi, la Cour de cassation avait déjà répondu dans un arrêt de la deuxième chambre civile du 18 octobre 2012 (Civ. 2e, 18 oct. 2012, n° 11-20.314, Dalloz actualité, 6 nov. 2012, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2012. 2529, obs. G. Antoine Sillard image ; ibid. 2013. 1574, obs. A. Leborgne image) en jugeant que l’ordonnance rendue en dernier ressort par laquelle le juge de l’exécution confère, en application de l’article R. 332-6 du code des procédures civiles d’exécution, force exécutoire au projet de distribution était une décision susceptible d’un pourvoi en cassation.

Elle le rappelle dans l’arrêt commenté mais précise les contours de la recevabilité de ce pourvoi, celui-ci n’est recevable que si l’ordonnance tranche une partie du principal ou met fin à l’instance relative à la procédure de saisie immobilière.

Si tel n’est pas le cas, le pourvoi ne sera pas recevable, sauf si un excès de pouvoir se trouve caractérisé.

2. Le juge de l’exécution pouvait-il refuser de conférer force exécutoire à un projet de distribution non contestée ?

La Cour de cassation avait déjà jugé que les débiteurs saisis qui n’avaient pas contesté le projet de distribution dans le délai de quinze jours à compter de la réception de sa notification étaient réputés l’avoir accepté.

Par suite, ils n’étaient pas recevables à élever devant la Cour de cassation un moyen contraire à l’accord qu’ils avaient donné par leur silence (Civ. 2e, 18 oct. 2012, n° 11-20.314, préc.).

Cette ordonnance du juge de l’exécution homologuant le projet de distribution du prix de vente est revêtue de l’autorité de chose jugée, quand bien même elle peut se retrouver fragilisée, même devenue irrévocable en l’absence de recours, lorsque survient une procédure collective et que le prix n’a pas encore été partagé (Com. 17 avr. 2019, n° 17-15.960, Dalloz actualité, 15 mai 2019, obs. J. CouturierRECUEIL/JURIS/2019/1924, note A. Touzain image ; RTD com. 2019. 991, obs. A. Martin-Serf image>).

Elle marque en outre le terme de l’effet interruptif de la prescription attachée la mise en œuvre de la saisie immobilière (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-21.337, Dalloz actualité, 1er oct. 2018, obs. G. Payan ; D. 2019. 1306, obs. A. Leborgne image ; AJDI 2019. 301 image, obs. F. de La Vaissière image), ce qui est logique puisque la saisie immobilière et la distribution constituent les deux phases d’une même procédure (Cass., avis, 16 mai 2008, n° 08-00.002, Dalloz actualité, 6 juin 2008, obs. L. Dargent ; D. 2008. 1631 image ; ibid. 2009. 1168, obs. A. Leborgne image).

Mais, quel est l’office du juge de l’exécution lorsque la requête en homologation lui est présentée et que le projet de distribution, régulièrement notifié, n’a pas été contesté ?

À cette question, la Cour de cassation répond sans ambiguïté au visa des articles 6 du code civil et R. 332-6 du code des procédures civiles d’exécution : « alors que le projet de distribution n’avait pas été contesté dans le délai imparti et que la faculté, qui y était insérée, d’un paiement partiel du prix de vente par compensation n’était pas contraire à l’ordre public, le juge de l’exécution, qui n’avait pas le pouvoir d’apprécier sur le fond le projet de distribution, a, excédant ses pouvoirs, violé le texte susvisé ».

En statuant de la sorte, la Cour de cassation apporte une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel relatif à la procédure de distribution.

En effet, étrangement, la pratique a parfois le défaut de rendre complexe ce qui est simple et à tordre la règle de droit jusqu’à la rendre incongrue alors que le bon sens voudrait que l’esprit l’emporte sur la lettre.

D’aucuns ont pu faire une mauvaise lecture des dispositions du premier alinéa de l’article L. 322-12 du code des procédures civiles d’exécution : « À défaut de versement du prix ou de sa consignation et de paiement des frais, la vente est résolue de plein droit ».

Tirant de la lecture de cet alinéa la conclusion que le versement du prix était incontournable, même pour le créancier poursuivant déclaré adjudicataire à défaut d’enchères, se retrouvant à la fois créancier (pour une créance dont le recouvrement avait engendré la poursuite d’une saisie immobilière) et en même temps débiteur de son débiteur pour le prix de vente.

Pourtant, plus que le versement, c’est le paiement qui importe.

Or, lorsque deux personnes se trouvent débitrices l’une envers l’autre, ne s’opère-t-il pas une compensation qui éteint les deux dettes ? (C. civ., art. 1289 dans sa rédaction antérieure l’ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations).

L’actuel article 1347 du code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, maintient cette conception : « la compensation est l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes ».

La compensation opère une forme de paiement simplifié : l’extinction ne se produit qu’à concurrence du montant le plus faible des créances. Lorsque l’une des parties est tenue de plusieurs dettes compensables, la détermination des dettes éteintes suit l’ordre établi par les règles d’imputation des paiements prévues par l’article 1342-10 du code civil (Rép. civ., v° Compensation, par A.-M. Toledo-Wolfsohn).

C’est la compensation légale.

Or, bien que la rédaction de l’article L. 322-12 du code des procédures civiles d’exécution soit un peu maladroite, il est permis d’affirmer que la présence du seul mot « versement » ne saurait exclure le paiement par compensation, qui est légale et issue des règles du code civil. C’est un paiement.

Retenir une position contraire reviendrait à une solution absurde, en contraignant le créancier poursuivant à verser le prix de vente entre les mains du séquestre ou de la caisse des dépôts et consignations, pour le récupérer ensuite dans la procédure de distribution, alors que le paiement par compensation lui permet de s’affranchir de ce versement en tout ou en partie en fonction du montant de sa créance, laquelle, de surcroît, aura préalablement été vérifiée par le juge de l’exécution dans le jugement d’orientation ayant autorité de chose jugée (Com. 13 sept. 2017, n° 15-28.833, Dalloz actualité, 3 oct. 2017, obs. G. Payan ; D. 2017. 1829 image ; ibid. 2018. 1223, obs. A. Leborgne image ; AJDI 2018. 295 image, obs. F. de La Vaissière image).

Certes, pour pouvoir se prévaloir d’un paiement par compensation, le créancier devra rapporter la preuve qu’il est créancier de premier rang et qu’il n’est pas primé par d’autres créanciers, car, dans ce cas, il sera contraint de verser la partie du prix d’adjudication qui doit revenir aux créanciers qui le priment (créancier de rang antérieur ou des art. 2374, 1°, bis, et 2375, C. civ.) avant de pouvoir se prévaloir d’un paiement par compensation pour le solde.

C’est d’ailleurs ce que stipule l’annexe 1 du Règlement intérieur national des avocats dans le dernier alinéa de son article 15 (ayant valeur normative, JO 7 mars 2019 ; v. Dalloz actualité, 22 mars 2019, obs. F. Kieffer) : « Le créancier poursuivant de premier rang devenu acquéreur, sous réserve des droits des créanciers privilégiés pouvant le primer, aura la faculté, par déclaration au séquestre désigné et aux parties, d’opposer sa créance en compensation légale totale ou partielle du prix, à ses risques et périls, dans les conditions des articles 1347 et suivants du code civil ».

Cette décision du 17 septembre 2017 ne fait donc que rappeler que, si le juge doit appliquer la règle de droit, il doit le faire avec bon sens.

Pourtant, il y a huit ans, dans son commentaire de l’arrêt du 18 octobre 2012 (préc.), Gilles-Antoine Sillard alertait déjà les juges de l’exécution sur ce risque d’excès de pouvoir et indiquant : « Cet arrêt sous-entend l’interdiction, à peine d’encourir la cassation, pour le juge qui ne dispose pas de plus de droits que les parties elles-mêmes, de modifier le texte du projet soumis à son homologation, sauf s’il constate une violation d’une disposition d’ordre public, auquel cas il devra refuser de l’homologuer ».

La Cour de cassation le rappelle à nouveau, notamment en précisant que le paiement partiel du prix de vente par compensation n’est pas contraire à l’ordre public, mais qui a pu penser le contraire ?

Pas de rapport successoral ni de sanction du recel successoral en dehors d’une instance en partage

Une nouvelle fois, la Cour de cassation a été amenée à rappeler que les demandes tendant à obtenir un rapport successoral ou la sanction d’un recel successoral ne peuvent être formées qu’à l’occasion d’une instance en partage.

En l’espèce, un homme avait réalisé une donation-partage d’un bien immobilier au profit de ses deux fils avant de décéder. L’un de ses fils, ainsi que le conjoint survivant, avaient renoncé à la succession, tandis que son second fils l’avait acceptée sous bénéfice d’inventaire (devenu à concurrence de l’actif net). Deux litiges se sont alors noués autour de deux instances distinctes qui ont été jointes par la suite.

Dans un premier temps, le fils renonçant a assigné son frère en partage de l’indivision portant sur le bien immobilier ayant fait l’objet de la donation-partage, laquelle est d’ailleurs sujette à requalification puisqu’elle a créé une indivision entre les donataires. En effet, la donation-partage est incompatible avec la création d’une indivision car elle a précisément pour objet de réaliser un partage anticipé entre plusieurs héritiers présomptifs et suppose donc une répartition matérielle de ses biens (en ce sens, v. Civ. 1re, 6 mars 2013, n° 11-21.892, D. 2013. 706 image ; AJ fam. 2013. 301, obs. C. Vernières image ; RTD civ. 2013. 424, obs. M. Grimaldi image ; 20 nov. 2013, n° 12-25.681, D. 2013. 2772 image ; ibid. 2014. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2014. 54, et les obs. image, concl. P. Chevalier image). C’est donc d’une donation simple qu’il s’agissait, et non d’une donation-partage à proprement parler.

Dans un second temps, le fils acceptant sous bénéfice d’inventaire a assigné son frère afin de le voir condamner à rapporter à la succession de leur père des donations déguisées dont il aurait bénéficié et de faire appliquer les sanctions du recel successoral. En revanche, il n’a pas assorti ces prétentions d’une demande en partage des biens figurant dans la succession du père. Il a pourtant obtenu gain de cause devant les juges du fond, qui ont retenu l’existence d’un recel successoral à la charge du renonçant.

Ce dernier s’est pourvu en cassation et a invoqué devant la haute juridiction un moyen nouveau mais de pur droit, tiré de la violation des articles 822, 843, et 792 du code civil, dans leur rédaction applicable à la cause, antérieure à la réforme du 23 juin 2006. Le premier de ces textes est relatif à l’action en partage ; le deuxième,...

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L’héritier qui n’était ni associé ni légataire

Le droit des sociétés tient parfois en échec le droit des successions. L’héritier de parts sociales en fait notamment les frais chaque fois qu’il ne revêt pas la qualité d’associé.

Dans cette affaire, deux époux mariés sous un régime de communauté de biens avaient constitué une société civile immobilière (SCI) avec deux autres associés (lesquelles étaient par ailleurs les frères de l’époux). Sur les 4 002 parts sociales, 634 étaient communes aux deux époux et 700 constituaient des biens propres de l’époux, le reste étant détenu par les autres associés. Au décès de l’époux, survenu le 5 janvier 2010, les 1 334 parts du couple ont été réparties entre le patrimoine du conjoint survivant (la moitié des parts communes, soit 317 parts) et la succession (la moitié des parts communes et l’intégralité des parts propres, soit un total de 1 017 parts). Un testament instituait les deux frères associés légataires particuliers de la pleine propriété des 1 017 parts attribuées à la succession.

L’épouse est à son tour décédée le 18 mars 2011, en l’état d’un testament désignant les deux associés survivants légataires des 217 parts restantes. L’intégralité des parts revenait ainsi, in fine, aux deux associés survivants. Mais l’épouse laissait également pour lui succéder un neveu qui, voyant les parts sociales lui échapper, a quelque peu rechigné à délivrer les legs (cette délivrance est finalement intervenue les 22 et 26 novembre 2012). Il a également assigné les légataires. D’une part, en sa qualité d’ayant droit du conjoint survivant titulaire d’une réserve héréditaire, il sollicitait la réduction des legs consentis par l’époux à ses deux frères, car ils excédaient la quotité disponible. D’autre part, en qualité d’héritier saisi, il revendiquait le paiement de diverses sommes correspondant au versement de dividendes réalisé entre le second décès et la délivrance des legs, ainsi que l’allocation de dommages-intérêts pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive.

Dans un arrêt du 22 février 2019, la cour d’appel fait droit à la demande en réduction des legs mais rejette les demandes au titre de l’appréhension des dividendes par les légataires.

Le demandeur succombant forme un pourvoi en cassation, articulé en six moyens. La Cour de cassation procède à une cassation partielle de l’arrêt d’appel au visa de l’article 4 du code de procédure civile. Seul le cinquième moyen, relatif à l’évaluation des biens pour le calcul de l’indemnité de réduction, la convainc de censurer la décision d’appel : les parties s’étant exclusivement référées à la déclaration de succession, les juges du fond ne pouvaient, sans modifier l’objet du litige, se déterminer d’après le projet d’état liquidatif établi par le notaire.

Les cinq autres moyens sont rejetés. Les deux premiers moyens et deux des quatre branches du sixième moyen n’étaient pas de nature à entraîner la cassation. Le troisième moyen manque en fait. La portée des branches restantes du sixième moyen dépend quant à elle du sort du quatrième moyen, sur lequel porte tout l’intérêt...

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La prescription d’une action en responsabilité ne court qu’à compter de la réalisation du dommage

Le 7 juin 2005, une personne acquiert un immeuble à usage d’habitation dont l’assise foncière se répartit sur trois parcelles. Sur l’une d’elles, l’acte authentique mentionne qu’il existe un « passage commun au profit d’autres propriétaires », alors que, durant la phase de négociation qui avait précédé l’opération, l’acquéreur avait été informé par le notaire que les parcelles lui appartiendraient en totalité. Le 2 août 2006 (première date à retenir), les voisins de l’acquéreur l’assignent aux fins de voir juger la parcelle en cause soumise au régime de l’indivision. Confirmant les premiers juges, la cour d’appel accueille cette demande à l’occasion d’un arrêt du 20 février 2014, devenu irrévocable le 29 septembre 2015 (seconde date importante ici) par suite du rejet du pourvoi en cassation formé contre lui. Presque un an plus tard, l’acquéreur assigne le notaire en responsabilité et indemnisation.

L’affaire est portée devant la cour d’appel de Besançon qui, par un arrêt (infirmatif) du 16 octobre 2018, déclare l’action irrecevable comme prescrite. Pour ce faire, l’arrêt retient que, bien que le caractère indivis de la parcelle ne soit devenu définitif qu’en vertu de l’arrêt de la Cour de cassation du 29 septembre 2015, l’acte notarié est contesté depuis que l’acquéreur a été assigné par ses voisins, soit depuis le 2 août 2006. Pour la cour d’appel, le point de départ de la prescription est la date de l’assignation. Là est le débat judiciaire, car l’acheteur ne l’entend pas ainsi et forme un pourvoi en cassation. Dans son moyen, il argue que « le dommage constitué par la déclaration judiciaire des droits reconnus aux voisins n’est réalisé que par la décision de justice reconnaissant ces droits et non par l’assignation des voisins, qui ne crée qu’une éventualité de dommage ». Ainsi, il estime « qu’en faisant courir la prescription dès le jour de l’assignation du...

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Action en référé d’une organisation internationale : application du règlement Bruxelles I [I]bis[/I]

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été saisie d’une affaire originale.

Le 20 décembre 2001, le conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies a autorisé la création de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), en vue de renforcer la sécurité en Afghanistan. À compter du 11 août 2003, l’OTAN a assuré le commandement stratégique et la direction de la FIAS.

Dans le cadre d’accords conclus en 2006 et 2007, trois sociétés, établies en Suisse, en Allemagne et aux Émirats arabes unis ont fourni des carburants, pour les missions de la FIAS, au Commandement suprême des forces alliées en Europe (SHAPE), qui est l’un des deux états-majors militaires stratégiques de l’OTAN et qui est situé à Mons en Belgique. Le SHAPE est une organisation internationale et dispose à Brunssum, aux Pays-Bas, d’un quartier général régional, le commandement des forces interarmées Brunssum (JFCB).

Les accords de 2006 et 2007 venant à leur terme en 2014, les trois sociétés et le JFCB ont signé une convention de séquestre pour garantir le paiement des frais résultant de ces accords.

En raison d’un trop-perçu, les trois sociétés devaient rembourser une somme de 122 millions de dollars à l’OTAN, montant qui a été versé sur un compte séquestre ouvert à Bruxelles.

Les trois sociétés ont ensuite assigné, au fond, le SHAPE et le JFCB devant un juge néerlandais, en faisant valoir qu’ils n’avaient pas respecté leurs obligations de paiement. Le SHAPE et le JFCB ont alors soulevé une exception d’incompétence devant ce juge, en se prévalant d’une immunité de juridiction.

Parallèlement, les trois sociétés ont saisi le juge néerlandais en référé et obtenu l’autorisation de pratiquer une saisie-arrêt conservatoire sur le compte ouvert à Bruxelles.

Invoquant son immunité d’exécution, le SHAPE a alors saisi le juge des référés néerlandais afin d’obtenir la mainlevée de cette saisie ainsi que l’interdiction pour les trois sociétés de procéder à une nouvelle saisie conservatoire.

La Cour de justice a, quant à elle, été saisie, au regard des dispositions du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Il s’agissait de déterminer si l’action en référé relevait bien de la notion de matière civile et commerciale, qui est utilisée par l’article 1, § 1, du Règlement pour définir son champ d’application : « le règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii) ».

La particularité de l’affaire tenait au fait qu’il s’agissait d’une action en référé engagée par une organisation internationale invoquant son immunité d’exécution, ce qui devait conduire à qualifier l’objet de cette action et à déterminer si l’existence d’une telle immunité avait ou non une incidence.

Sur le premier point, l’arrêt relève que l’objet de l’action est, en l’espèce, l’obtention de mesures provisoires et qu’il y a donc lieu de considérer qu’elle porte sur les mesures visées par l’article 35 du Règlement, qui dispose que « les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond ». À ce sujet, il est utile de rappeler qu’il a déjà été jugé qu’il convient d’entendre par « mesures provisoires ou conservatoires » les mesures qui, dans les matières relevant du champ d’application du règlement, sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est, par ailleurs, demandée au juge du fond (CJCE 26 mars 1992, Reichert et Kockler, aff. C-261/90, pt 34, D. 1992. 131 image ; Rev. crit. DIP 1992. 714, note B. Ancel image ; JDI 1993. 461, obs. A. Huet). On sait également qu’il est acquis que, pour déterminer si des mesures provisoires ou conservatoires relèvent du champ d’application du Règlement, il faut prendre en considération non pas leur nature propre mais la nature des droits dont elles assurent la sauvegarde (CJCE 27 mars 1979, de Cavel, aff. C-143/78, pt 8, Rev. crit. DIP 1980. 614, note Droz ; JDI 1979. 681, obs. Huet ; 26 mars 1992, préc., pt 32).

Sur le second point, il a déjà été jugé que si certains litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé peuvent relever de la matière civile et commerciale au sens du Règlement lorsque le recours juridictionnel porte sur des actes accomplis iure gestionis, il en est autrement lorsque l’autorité publique agit dans l’exercice de la puissance publique (CJUE 7 mai 2020, Rina, aff. C-641/18, pt 33, Dalloz actualité, 28 mai 2020, obs. F. Mélin ; AJDA 2020. 1652, chron. P. Bonneville, C. Gänser et S. Markarian image ; D. 2020. 1039 image). La Cour considère, en l’espèce, que cette jurisprudence est transposable dans le cas où le privilège tiré de l’immunité est invoqué par une organisation internationale, peu important que les immunités des organisations internationales soient, en principe, conférées par leurs traités constitutifs (arrêt, pt 61).

Au regard de ces éléments, la Cour retient qu’une action en référé, introduite devant une juridiction d’un État membre, dans le cadre de laquelle une organisation internationale invoque son immunité d’exécution afin d’obtenir tant la mainlevée d’une saisie-arrêt conservatoire, exécutée dans un État membre autre que celui du for, que l’interdiction de pratiquer de nouveau une telle saisie sur le fondement de mêmes faits, et engagée parallèlement à une procédure au fond portant sur une créance résultant d’un non-paiement allégué de carburants fournis pour les besoins d’une opération de maintien de la paix assurée par cette organisation, relève de la notion de « matière civile ou commerciale », pour autant que cette action n’est pas exercée en vertu de prérogatives de puissance publique.

Enfant né d’une personne transgenre : [I]exit[/I] le « parent biologique »

Les faits de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de la première chambre civile du 16 septembre 2020 sont bien connus tant l’arrêt de la cour d’appel (Montpellier, 14 nov. 2018, n° 16/06059, Dalloz actualité, 28 nov. 2018, obs. V.-O. Dervieux), qui l’a précédé, avait fait couler beaucoup d’encre (D. 2019. 110, obs. A. Dionisi-Peyrusse image, note S. Paricard image ; ibid. 663, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 856, obs. RÉGINE image ; AJ fam. 2018. 684, obs. G. Kessler image ; ibid. 641, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; JCP 2019. 95, note F. Vialla et J.-P. Vauthier ; Dr. fam. 2019. Comm 6, par H. Fulchiron ; adde S. Paricard, L’enfant biologique de la personne ayant changé de sexe : quand les magistrats comblent le silence coupable du législateur, D. 2019. 110 image ; L. Brunet et P. Reigné, De la difficulté d’être mère… pour une femme transidentitaire, JCP 2019. 91 ; J.-R. Binet, Transsexualisme et filiation : brouillage de (re)pères !, Dr. fam. 2018. Repère 11).

Il est néanmoins crucial de les rappeler. M. Benjamin V… est marié avec Mme D… et le couple a eu deux garçons quand, en 2011, Benjamin V… obtient la rectification de son état civil (sexe et prénom) pour devenir Clarisse V…. Toutefois, même s’il se présente sous une apparence féminine, il a conservé son appareil reproductif masculin. C’est ainsi que le couple conçoit naturellement une petite fille qui naît en 2014. Mme D… ayant accouché de l’enfant, elle figure sur l’acte de naissance de celle-ci en qualité de mère en vertu de l’article 311-25 du code civil. De son côté, Mme V… avait fait une reconnaissance de maternité prénatale dont elle demande la transcription à l’état civil.

L’officier de l’état civil, sur instruction du procureur, refusa de procéder à la transcription car l’enfant avait déjà une filiation maternelle établie (v. C. civ., art. 320). Ce refus fut confirmé par le tribunal de grande instance de Montpellier saisi par Mme V…. Le tribunal rappela les solutions qui s’offraient à cette dernière, dans l’absolu, en l’état du droit positif : admettre l’inscription d’une filiation paternelle – ce qui lui imposerait de se replacer pour un instant dans son « état » d’homme en établissant une reconnaissance de paternité – ou prendre pleinement en compte sa nouvelle identité féminine et en passer par une adoption de l’enfant du conjoint qui, seule, permet d’établir deux liens de filiation de même sexe sur un enfant. Mme V… fit appel.

La cour d’appel de Montpellier releva alors l’existence d’un vide juridique découlant du fait que, si l’article 61-8 du code civil règle le sort des enfants nés avant la conversion sexuelle (« la modification de la mention du sexe dans les actes de l’état civil est sans effet […] sur les filiations établies avant cette modification »), le législateur n’a rien prévu pour les enfants nés après la conversion. Afin de combler ce vide, la cour d’appel, soupesant les intérêts en présence, a cherché une solution conforme à l’intérêt – supérieur – de l’enfant et aux textes internationaux invoqués par les parties. De façon tout à fait inédite, elle décida in fine d’établir judiciairement la filiation de Mme V… à l’égard de l’enfant et ordonna l’inscription de Mme V… comme « parent biologique » sur l’acte de naissance de ce dernier. L’inventivité des juges d’appel ne rencontra toutefois pas l’effet sans doute escompté puisque Mme V… comme le procureur général décidèrent de former un pourvoi en cassation, pourvois qui sont joints dans l’arrêt rendu ce 17 septembre.

Le pourvoi formé par Mme V… reposait sur un moyen unique divisé en huit branches. En substance, pour elle, une seule solution est acceptable et préserve à la fois l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de la vie privée de ce dernier comme la sienne : la transcription de sa reconnaissance maternelle prénatale. En effet, on ne saurait la forcer à établir une filiation paternelle alors qu’elle est désormais de sexe féminin et la voie de l’adoption intraconjugale lui est fermée du fait du refus de Mme D… d’y consentir. Selon elle, le refus de transcrire sa reconnaissance est, en outre, discriminatoire. Enfin, le droit français ne connaît pas les termes de « parent biologique ». Elle invoquait au soutien de ses prétentions la violation des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, 3, § 1, et 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et enfin 34 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Le pourvoi du procureur rejoignait le moyen de Mme V… sur un point : il n’était pas possible d’inscrire les termes « parent biologique » sur l’acte de naissance de l’enfant. Le procureur invoquait ainsi la violation de l’article 57 du code civil au motif que seuls peuvent être mentionnés sur l’acte de naissance les « père » et « mère » de l’enfant, et que le juge ne peut pas créer une nouvelle catégorie de l’état civil. 

La réponse de la Cour de cassation est ferme. Son raisonnement se fait par étapes.

Tout d’abord, elle affirme que les articles 311-25 et 320 du code civil « s’opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l’égard d’un même enfant, hors adoption ». Ensuite, elle précise qu’en application des articles 313 et 316, alinéa 1er, du code civil, « une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père ».

Se livrant alors à un contrôle de conventionnalité, elle considère que ces dispositions « poursuivent un but légitime », au sens du second paragraphe de l’article 8 de la Convention européenne, « en ce qu’elles tendent à assurer la sécurité juridique et à prévenir les conflits de filiation ». D’après la Cour, elles sont en outre conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant, « en ce qu’elles permettent l’établissement d’un lien de filiation à l’égard de ses deux parents, élément essentiel de son identité […] garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles » et évitent des « discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seront élevés par deux mères, tout en ayant à l’état civil l’indication d’une filiation paternelle à l’égard de leur géniteur ». Elle ajoute que la possibilité offerte à une personne transgenre MtF d’établir par la reconnaissance de paternité un lien de filiation conforme à la réalité biologique avec son enfant concilie « l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale de cette personne, droit auquel il n’est pas porté une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, dès lors qu’en ce qui la concerne, celle-ci n’est pas contrainte par là même de renoncer à l’identité de genre qui lui a été reconnue ». Enfin, la Cour de cassation écarte le grief de la discrimination entre les femmes selon qu’elles ont ou non donné naissance à l’enfant, « dès lors que la mère ayant accouché n’est pas placée dans la même situation que la femme transgenre ayant conçu l’enfant avec un appareil reproductif masculin et n’ayant pas accouché ». Ainsi, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Mme V….

En revanche, la Cour de cassation va casser l’arrêt sur le pourvoi du procureur général. Au visa des articles 57 du code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle affirme qu’en ordonnant l’inscription de Mme V… en qualité de parent biologique « alors qu’elle ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l’état civil et que, loin d’imposer une telle mention sur l’acte de naissance de l’enfant, le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressées y faisait obstacle », la cour d’appel a violé les textes visés.

Elle casse donc l’arrêt d’appel « sauf en ce qu’il rejette la demande de transcription sur les registres de l’état civil de la reconnaissance de maternité » de Mme V… à l’égard de l’enfant, « remet, sur les autres points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse ». C’est donc un retour à la décision du tribunal de grande instance de Montpellier qui, rappelons-le, n’avait pas prononcé de second lien de filiation à l’égard de l’enfant…

Le format de cette rubrique ne permet pas d’aller plus loin dans l’exposé de la solution retenue. Il nous semble tout de même important de préciser que l’arrêt est rendu sur avis contraire de l’avocat général, Mme Caron-Déglise. En effet, celle-ci, après un exposé très riche relatif à l’évolution des données et connaissances sur le genre et l’identité ainsi qu’à l’état du droit positif et prospectif de la filiation, préconisait une absence de renvoi et une transcription de la reconnaissance maternelle anténatale de Mme V….

La Cour de cassation, en décidant tout l’inverse, montre sans doute sa détermination à ne pas faire œuvre prétorienne en la matière. Peut-on réellement lui en vouloir alors même que le législateur a pris soin de ne pas tirer lui-même les conséquences de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 autorisant le changement de sexe à l’état civil sans réassignation sexuelle ou stérilisation (v. A. Marais, Le sexe (si) que je veux, quand je veux !, JCP 2016. 1164, qui considère qu’en omettant de fixer les règles de la filiation applicables à la suite d’un changement de sexe, le législateur s’est placé dans une situation d’« incompétence négative ») ? C’est peut-être même un appel à bon entendeur.

En attendant, la cour d’appel de renvoi devra faire avec ce qu’elle a (et n’a pas…) en se demandant où se situe l’intérêt supérieur de cet enfant, qui n’a toujours qu’un parent aux yeux de la loi…

Le concubinage chasse le statut de tiers possesseur de travaux

L’affaire est terriblement classique et les faits rappellent nombre d’autres cas que la Cour de cassation a déjà eu à connaître. Deux personnes se sont aimées et ont décidé de construire un avenir à deux mais l’édifice n’a pas survécu au passage des ans. Le temps qu’a duré la romance, les concubins – devenus par la suite mari et femme avant de divorcer – se sont construit un foyer. Pour se faire, ils ont alors souscrit deux emprunts pour financer les travaux d’une maison d’habitation qu’ils ont édifiée sur le fonds et le terrain dont la femme était seule propriétaire. Mais, comme tant d’autres, leur histoire d’amour a mal fini. S’il ne pouvait prétendre à la propriété du logement acquis par voie d’accession par son ex-compagne, l’homme entendait bien récupérer ce qu’il avait investi dans le bien, tant en termes pécuniaires que de force de travail, soit près de 62 000 € sur cinq ans. Il décide alors d’assigner son ancienne concubine aux fins d’obtenir l’indemnisation de sa créance au titre de l’article 555 du code civil, considérant même qu’eu égard à la plus-value générée par ses bons offices, il pouvait exiger plus de 80 000 €. Cependant, les juges du fond (Toulouse, 1re ch., sect. 2, 16 oct. 2018) n’ont pas accueilli sa demande, considérant que les sommes qu’il avait engagées sur cette période constituaient une participation normale des charges de la vie commune. Certain de son droit au bénéfice de l’article 555 en l’absence de convention réglant le sort des constructions, le requérant forme un pourvoi, lequel est rejeté par la première chambre civile en des termes des plus clairs. En effet, au point 4, après avoir relevé les éléments retenus par les juges du fond pour le débouter, la Cour énonce que, « de ces énonciations et constatations, faisant ressortir la volonté commune des parties, la cour d’appel a pu déduire que M. S… avait participé au financement des travaux et de l’immeuble de sa compagne au titre de sa contribution aux dépenses de la vie courante et non en qualité de tiers possesseur des travaux au sens de l’article 555 du code civil, de sorte que les dépenses qu’il avait ainsi exposées devaient rester à sa charge ».

La solution se joue en deux temps : elle aborde la question de la nature de la dépense du concubin avant d’en déduire l’impossibilité pour lui d’invoquer le bénéfice de l’article 555.

D’une part, il est rappelé qu’à défaut de convention de concubinage prévoyant les modalités de contribution aux charges de la vie commune, chacun d’eux doit supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées. On le sait, à l’inverse de la situation des partenaires ou des époux, les concubins ne bénéficient pas d’un régime « primaire » sur la question des dettes ménagères (C. civ., art. 220, pour le mariage ; C. civ., art. 515-4, pour le PACS). Aussi, engagés dans une relation de fait et n’ayant pas décidé de la contractualiser au travers d’une convention de concubinage, ils doivent être regardés comme des étrangers malgré la stabilité et l’intimité inhérente à leurs liens sentimentaux. Chaque concubin doit assumer les dépenses qu’il a engagées dans sa vie conjugale et aucun texte ne vient prévoir une répartition ou des modalités de participation. Ayant rappelé ce principe, la Cour, pour retenir que ces sommes constituent la contribution du concubin aux dépenses de la vie courante qui ne doivent pas donner lieu à remboursement, va se fonder sur trois éléments. D’abord, si l’immeuble était la propriété exclusive de la concubine, elle relève que le couple y avait établi le logement de la famille pour eux et leurs enfants. Ensuite, la cour d’appel constate que les concubins ont tous deux participé au financement des travaux et au remboursement des emprunts y afférents dans la mesure de leurs revenus (représentant respectivement 45 % pour la défenderesse et 55 % pour le requérant). Enfin, les juges toulousains mettent en exergue que le concubin n’a pas eu de dépenses autres que ces sommes pour pourvoir au logement de sa famille et que celles-ci, rapportées à la période mentionnée, correspondent peu ou prou aux sommes qu’il aurait dû verser s’il avait dû payer un loyer. La conjonction de ces trois éléments conduit la juridiction à retenir que ces sommes ont été engagées au titre du concubinage afin de contribuer aux dépenses de la vie courante.

D’autre part, l’affirmation d’une telle nature permet à la première chambre civile de retenir que « non en qualité de tiers possesseur des travaux au sens de l’article 555 du code civil, de sorte que les dépenses qu’il avait ainsi exposées devaient rester à sa charge ». Ainsi, le simple fait d’agir comme concubin, dans une visée de financement de la vie familiale, conduit la haute juridiction à considérer qu’il ne peut être qualifié de tiers possesseur de travaux pouvant prétendre à une indemnisation du propriétaire qui conserve la construction sur son bien.

La solution est surprenante même si elle semble répondre à une volonté de ne pas permettre l’utilisation de l’article 555 dans l’objectif de se dérober à ses devoirs au sein du couple. La haute juridiction tente de définir les contours de la notion de tiers possesseur de travaux afin d’en exclure le concubin.

Jusqu’alors, la Cour de cassation nous avait habitués à traiter les concubins comme des étrangers comme les autres. Ainsi, elle avait affirmé que le concubin ayant concouru à la construction d’ouvrage sur le terrain d’autrui avait droit à indemnisation à défaut de convention particulière réglant le sort des constructions, même en l’absence de caractère exclusif de sa participation (Civ. 3e, 2 oct. 2002, n° 01-00.002, D. 2001. 2362, et les obs. image ; RJPF 2003-3/31, obs. F. Vauvillé ; 3 mars 2003, n° 01-16.033, AJDI 2003. 297 image ; 16 mars 2017, n° 15-12.384, Dalloz actualité, 5 avr. 2017, obs. A. Gailliard ; D. 2017. 760 image ; ibid. 1068, chron. A.-L. Méano et A.-L. Collomp image ; ibid. 1789, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin image ; ibid. 2018. 1104, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; RJPF 2017-5/25, p. 29, obs. M. Jaoul ; 15 juin 2017, n° 16-14.039, D. 2017. 1789, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin image ; ibid. 2018. 1104, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; 5 oct. 2017, n° 16-20.946).

Dans chacune de ces affaires, les juges ont eu à cœur de rappeler que « les concubins demeurent des tiers dans leurs rapports patrimoniaux ». Et c’est sur ce point que se concentre le débat car l’article 555 conditionne son applicabilité à la qualité de tiers des parties (M. Farges, De l’application des règles relatives à la construction sur le terrain d’autrui de l’article 555 du code civil aux concubins, Dr. famille 2002. Chron. 23). La question est alors de déterminer ce qu’est un tiers au sens de l’article 555 du code civil et si un concubin peut réellement être qualifié de tiers possesseur de travaux.

Les juges ne cessent de tergiverser sur la question tant la situation au confluent du droit des biens et du droit du couple – ou plutôt du non-droit du couple en concubinage est complexe. Tiers sur le plan patrimonial, étrangers au sens du droit des biens, les concubins n’en sont pas moins un couple qui a des dépenses communes pour l’entretien de leur famille.

L’article 555 est le fruit d’une volonté de maintenir l’équilibre entre les droits du propriétaire d’un bien et les droits du tiers qui a investi sur celui-ci. Si l’on ne peut ni priver le propriétaire de sa propriété ni l’obliger à subir la dégradation ou modification apportée par un tiers à son bien, on ne saurait admettre qu’il en tire bénéfice sans indemniser l’auteur de la plus-value dont il bénéficie en cas de conservation d’une construction. C’est une question de justice et d’équilibre que l’article 555 du code civil arrive à préserver magnifiquement. Le tiers possesseur de travaux a droit à l’indemnisation de ce qu’il a contribué à édifier sur le terrain en question dès lors qu’il n’est pas tenu, vis-à-vis du propriétaire du sol, d’une obligation conventionnelle de construire (en ce sens, v. Civ. 3e, 6 nov. 1970, n° 69-11.900). Le concubin est alors classiquement considéré comme un tiers à l’égard du bien quand il n’est pas copropriétaire (indivision) et qu’il n’a pas conclu de contrat en vue de la construction (bail constitutif de droits réels par exemple) ou de prise en charge d’une partie des frais de construction aux titres des dépenses communes (convention de concubinage).

Ici, la haute juridiction vient valider l’appréciation des juges toulousains qui considèrent que le requérant a payé ses sommes non en qualité de tiers possesseur des travaux mais en qualité de compagnon qui assume sa contribution aux dépenses de la vie courante. Ainsi, il semble que l’appréciation de la qualité de tiers glisse d’une appréciation objective – absence de lien de propriété ou d’une convention sur la prise en charge des travaux – vers une appréciation plus subjective : l’existence d’un concubinage et l’établissement du domicile familial dans le bien impliquent que les sommes versées soient causées par le statut matrimonial. Si cela aboutit à une solution juste sur le plan de l’opportunité – car il serait déloyal que le concubin ait pu jouir des années durant gratuitement du domicile et donc ne prendre aucune part à l’entretien du foyer –, on peut s’interroger sur sa rigueur du point de vue juridique.

Le concubin n’est lié sur le plan juridique ni au bien ni au propriétaire. N’aurait-il pas été plus judicieux de traiter le concubin pour ce qu’il est au regard de la propriété, à savoir un tiers, afin d’indemniser la dépense opérée et dans le même temps de retenir une indemnisation pour l’occupation du bien de son ex-concubine ? Là encore, le fait que le concubinage soit une union de fait pourrait conduire à rendre difficile une indemnisation pertinente. Cette solution montre une fois de plus les limites du droit face au concubinage. Les concubins épris de liberté ignorent le droit et demandent à ce dernier de les sauver d’eux-mêmes quand l’heure n’est plus à l’amour.

Cette solution originale doit-elle être vue comme une volonté de faire évoluer la notion de tiers comme sa publication nous invite à le penser (notons tout de même qu’il s’agit d’un arrêt de la première chambre civile quand, habituellement, c’est la troisième qui a à connaître de l’application de l’article 555 du code civil) ou doit-elle être vue comme conjoncturelle, les concubins ayant apparemment été mariés par la suite et ayant vu leurs rapports patrimoniaux postérieurs régis par le jeu des textes relatifs au mariage ?

Il conviendra d’être vigilant et, en attendant de futures décisions notamment de la troisième chambre civile, inviter les concubins à opter pour une convention de concubinage.

Action directe et compétence territoriale : la victime n’est pas l’assuré

Depuis 1926 (Civ. 1re, 14 juin 1926), la jurisprudence reconnaît à la victime d’un dommage le droit d’exercer une action directe contre l’assureur de responsabilité de l’auteur du dommage, action fondée sur le droit propre dont dispose la victime, en vertu de la loi, contre l’assureur de responsabilité. C’est à l’article L. 124-3 du code des assurances qu’a été codifié, au profit de la victime, ce droit propre sur l’indemnité d’assurance, interdisant à l’assureur de « payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n’a pas été désintéressé, jusqu’à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l’assuré » : c’est aujourd’hui l’alinéa 2 du texte. En effet, la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 a ajouté un alinéa 1er à l’article L. 124-3, qui confère expressément à la victime une action directe (J.-Cl. Procédures formulaires, v° Assurances, par S. Ben Hadj Yahia, fasc. 20, spéc. n° 103 ; B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., Lextenso, coll. « Précis Domat », 2018, n° 754). La Cour de cassation rappelle régulièrement que cette action directe est autonome (Civ. 3e, 15 déc. 2010, n° 09-68.894 P, Dalloz actualité, 14 janv. 2011, obs. C. Dreveau ; RDI 2011. 171, obs. C. Dreveau image). En conséquence, il a été notamment jugé que la recevabilité de l’action directe est indépendante de toute saisine préalable du conseil de l’ordre des architectes (Civ. 3e, 10 nov. 2016, n° 15-25.449 NP, RTD civ. 2017. 148, obs. H. Barbier image ; Procédures 2017. Chron. 3, n° 1, art. C. Bléry ; 18 déc. 2013, n° 12-18.439 P, Dalloz actualité, 14 janv. 2014, art. A. Portmann ; D. 2014. 78 image ; RDI 2014. 105, obs. B. Boubli image ; Procédures 2014. Chron. 2, n° 3, obs. C. Bléry) ou que l’action directe de la victime n’est pas placée sous la dépendance de l’action en garantie de l’assuré (Civ. 2e, 3 mai 2018, n° 16-24.099, Dalloz actualité, 31 mai 2018, J.-D. Pellier ; D. 2018. 1009 image ; ibid. 2048, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle image ; RTD civ. 2018. 668, obs. H. Barbier image ; ibid. 685, obs. P. Jourdain image) : dès lors qu’il y a un contrat d’assurance de responsabilité (Civ. 28 mars 1939, Bull. civ. 1939, n° 87), la responsabilité de l’assuré (Civ. 2e, 4 nov. 2010, n° 09-69.780 NP) et l’existence d’une garantie de l’assureur, l’action directe peut être exercée.

De manière générale, l’action directe contre l’assureur de responsabilité suscite un contentieux assez nourri (v. C. Bléry, Procédures 2019. Chron. 5, nos 2 et 3, Procédures 2018. Chron. 4, nos 2 et 3 ; Procédures 2017. Chron. 3, nos 1, 2 et 3 ; Procédures 2016. Chron. 3, n° 1, Procédures 2015. Chron. 2, n° 1, etc.). Témoin encore l’arrêt rendu par la Cour de cassation qui traite des règles de compétence territoriale régissant l’action directe en indemnisation de ses préjudices exercée par la victime d’un accident de la circulation contre l’assureur du véhicule impliqué : il est de « jurisprudence constante » (v. l’arrêt n° 5) que la victime dispose d’options de compétence territoriale offertes par plusieurs textes. Pour autant, la victime ne peut choisir son juge d’une manière totalement libre. L’arrêt rappelle quelles sont ces options. Surtout, il affirme leur caractère limitatif, d’où la grande diffusion à laquelle il est destiné.

Un conducteur est victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule assuré auprès de la société Macif Centre Europe (l’assureur) ; l’accident se produit dans le ressort du tribunal de grande instance (TGI) de Saverne. La victime et ses proches assignent l’assureur en indemnisation de leurs préjudices devant le TGI de Strasbourg – tribunal du domicile de la victime. L’assureur-défendeur soulève devant le juge de la mise en état (JME) l’incompétence territoriale de la juridiction saisie. Le JME fait droit à la demande : il déclare le TGI de Strasbourg incompétent territorialement et renvoie devant le TGI de Mulhouse – en tant que tribunal du siège du défendeur – pour continuation de la procédure. Sur appel des consorts victimes, la cour d’appel de Colmar confirme.

La juridiction du second degré juge que la victime exerçant l’action directe peut se prévaloir, soit des règles de compétence issues des articles 42 et suivants du code de procédure civile – en réalité, l’article 46 –, soit de celles de l’article R. 114-1 du code des assurances. Or aucun texte ne permettait de retenir la compétence territoriale de la juridiction dans le ressort de laquelle demeurait la victime.

Les consorts victimes se pourvoient et la Cour de cassation rejette ce pourvoi.

Ainsi que le rappellent la cour d’appel et la Cour de cassation, les juridictions territorialement compétentes sont les suivantes :

celle du lieu où demeure le défendeur ;
  celle du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;
  celle du domicile de l’assuré.

L’article 46 du code de procédure civile prévoit l’option entre la règle de principe (domicile du défendeur) et une autre juridiction en matière délictuelle, de sorte que le passage par l’article 42, effectué par les deux juridictions n’est même pas nécessaire. Tout au plus peut-on rappeler que cet article 42 est à combiner avec l’article 43 qui prévoit notamment que, lorsque le défendeur est une personne morale, est compétent le tribunal du lieu où cette personne morale est établie. Il s’agit en principe du siège social mais éventuellement d’une succursale qui répond aux conditions de la jurisprudence dite « des gares principales » (req. 19 juin 1876) – hypothèse hors sujet ici. Il faut aussi rappeler que, si les deux chefs « lieu du fait dommageable » et « lieu où le dommage a été subi » se distinguent parfois (par exemple, en cas de déversement de produits toxiques dans une rivière, qui cause une pollution dont les effets sont ressentis en aval), le plus souvent, les deux se confondent : c’est tout particulièrement vrai dans le cas d’un accident de la circulation.

L’assureur-défendeur avait son siège dans le ressort du TGI de Mulhouse et l’accident s’était produit/le dommage avait été subi dans le ressort du TGI de Saverne (adde J. Héron, Droit judiciaire privé, 7e éd., 2019, par T. Le Bars et K. Sahli, n° 982).

L’article R. 114-1 du code des assurances, de son côté, donne compétence au tribunal du domicile de l’assuré, par faveur pour celui-ci. Plus précisément, ce texte pose un principe et des exceptions. Il dispose que, « dans toutes les instances relatives à la fixation et au règlement des indemnités dues, le défendeur est assigné devant le tribunal du domicile de l’assuré, de quelque espèce d’assurance qu’il s’agisse sauf en matière d’immeubles ou de meubles par nature, auquel cas le défendeur est assigné devant le tribunal de la situation des objets assurés. / Toutefois, s’il s’agit d’assurances contre les accidents de toute nature, l’assuré peut assigner l’assureur devant le tribunal du lieu où s’est produit le fait dommageable ». Dans les hypothèses relatives à l’exécution par l’assureur de son obligation de garantie, la règle est impérative entre les parties au contrat ; autonomie de l’action directe oblige, elle est en revanche facultative à l’égard des tiers, de sorte que la victime exerçant cette action est en droit de s’en prévaloir seulement si elle le souhaite (jurisprudence constante depuis Civ. 1re, 14 déc. 1983, n° 82-13.385 P). Le domicile de l’assuré-conducteur était situé dans le ressort du TGI de Saverne.

Or la victime a préféré ici saisir le TGI de Strasbourg et donc « plaider à domicile ». La Cour de cassation a donc dû, à la suite des juridictions du fond, se demander si la victime d’un accident de la circulation, exerçant son action directe, pouvait, également assigner en indemnisation l’assureur devant la juridiction de son propre domicile ? Ne fallait-il pas au contraire se contenter des possibilités offertes par les articles 46 et R. 114-1 ?

Souvent, la Cour de cassation fait preuve de souplesse pour permettre aux victimes d’exercer l’action directe. Pour autant, elle ne veut pas laisser les victimes s’affranchir des règles de droit. La victime n’est pas l’assuré. Si elle peut bénéficier de la règle dérogatoire de l’article R. 114-1 par la grâce de la jurisprudence (possibilité de saisine du tribunal du domicile de l’assuré), cette même jurisprudence, issue de l’arrêt sous commentaire, ne lui permet pas de faire comme si elle était l’assuré et de saisir le tribunal de son propre domicile.

Dont acte. On comprend que la Cour de cassation n’a pas voulu consacrer la « douleur ambulatoire » de la victime, subie non pas là où le dommage s’est produit ou a été subi, mais où il est subi (la rédaction de l’article 46, issue du décret n° 81-500 du 12 mai 1981, a condamné la jurisprudence et la doctrine qui admettaient cette douleur ambulatoire, v. J. Héron, op. cit.). On comprend qu’elle ne veut pas trop déroger à la règle de principe qui repose sur l’idée que celui qui prend l’initiative d’un procès doit plaider chez son adversaire (la solution contraire ferait présumer que le défendeur est dans son tort, ce qui est une mauvaise solution). Sans doute l’autonomie de l’action directe est-elle également le support de ce raisonnement. Pour autant, la position de la victime n’était pas absurde et on pourrait considérer qu’elle mérite la même faveur que l’assuré… peut-être a fortiori puisqu’elle est victime (contra S. Choisez, Action directe en assurance et clause compromissoire. Quelles règles du jeu ?, JCP 2019. 792)… Une nouvelle fois, l’arrêt ne s’oriente pas dans ce sens et la victime ne pourra donc plaider à domicile que si elle se situe dans le ressort d’un tribunal désigné, soit par l’article 46 du code de procédure civile, soit par l’article R. 114-1 du code des assurances.

Pour finir :

• rappelons que la Cour de cassation a récemment statué à propos de l’option de compétence de l’article 46, mais cette fois en matière contractuelle (Civ. 2e, 27 juin 2019, n° 18-19.466, Dalloz actualité, 18 juill. 2019, obs. N. Reichling ; D. 2019. 1398 image ; AJ contrat 2019. 446, obs. C. Bléry image ; RTD civ. 2020. 456, obs. N. Cayrol image). La cour avait jugé que l’option de compétence territoriale prévue en matière contractuelle à l’article 46, alinéa 2, du code de procédure civile ne concerne que les contrats impliquant la livraison d’une chose ou l’exécution d’une prestation de services. Sans doute fallait-il y voir un retour à une lecture plus rigoureuse de l’article 4,6 alinéa 2, qui nous semblait bienvenu, tout autant que la fin (espérée) des divergences jurisprudentielles en matière contractuelle… C’est la matière délictuelle qui a retenu l’attention de la haute juridiction un an plus tard : la rigueur nous paraît moins appréciable ici ;

• précisons que, pour la compétence d’attribution, ce serait aujourd’hui le tribunal judiciaire (TJ) qu’il faudrait saisir, en tant qu’il statue en matière d’action civile personnelle ou mobilière, quel que soit le montant de la demande. En revanche, là où il y a une chambre de proximité – dénommée « tribunal de proximité (TP) » –, c’est ce TP qui serait compétent jusqu’à 10 000 € et le TJ au-delà de ce taux de compétence (sur cette nouvelle organisation judiciaire, v. Dalloz actualité, 7 oct. 2019, obs. C. Bléry ; D. avocats 2020. 17, obs. C. Bléry image).

Justice : la leçon de Robert Badinter aux députés

L’ancien garde des Sceaux interpelle d’abord les députés sur l’intitulé de la commission d’enquête, qui évoque le « pouvoir judiciaire », comme le souhaitait son président, le député insoumis Ugo Bernalicis.

Pour Robert Badinter, le pouvoir procède de l’élection : « Je ne conçois pas que l’on puisse parler de « pouvoir judiciaire » dans la France d’aujourd’hui. Le pouvoir judiciaire appartenait au monarque du temps où il recevait à Reims l’épée de justice, apanage de la souveraineté absolue ; il s’entend aujourd’hui aux États-Unis où le système de juges, de procureurs et de chefs de police élus n’apparaît pas comme la formule la plus démocratique. En évoquant un « pouvoir judiciaire », vous faites sauter les républicains au plafond ! »

« Aujourd’hui, ce sont les hommes et les femmes politiques qui tremblent devant les magistrats »

L’ancien ministre se livre alors à un rappel historique : « Lorsque j’arrivai au Palais comme jeune avocat, il y a de cela soixante-dix ans, la guerre, l’Occupation, le régime de Vichy étaient encore très présents dans les esprits. L’atmosphère judiciaire était empreinte des années terribles de l’Occupation. N’oublions pas que les juges appliquèrent les lois de Vichy et prêtèrent serment de fidélité au maréchal Pétain, à l’exception d’un seul, Paul Didier ! Le corps judiciaire se rua dans la servitude, le positivisme juridique autorisant les magistrats à appliquer sans état d’âme les législations d’exception, notamment les mesures organisant la spoliation des juifs. En 1950, alors que l’épuration n’était pas tout à fait achevée, le malaise de la magistrature était encore présent et ses doutes sur elle-même étaient considérables. On avait jugé sous Vichy – cela laissait des traces profondes.

La magistrature d’avant, celle de la IIIe République, était habituée à courir demander au député une lettre de recommandation et favoriser ainsi son avancement. Le garde des Sceaux était le patron, à l’autorité certes tempérée par la brièveté du mandat – certains duraient un an, d’autres quelques jours.

La IVe République soumit la magistrature à une autre épreuve morale, celle de la décolonisation, de la guerre d’Algérie et des lois d’exception. Si celles-ci s’appliquèrent de façon distincte sur le territoire algérien, où le ministre résident disposait de tous les pouvoirs, il demeure que cette législation, et les pratiques effrayantes qui en découlèrent, meurtrirent profondément la magistrature.

La création de l’École nationale de la magistrature (ENM) et l’apparition du syndicalisme judiciaire constituent un tournant majeur de l’histoire de la magistrature. Suscitant chez les éléments conservateurs obsession et hantise des « juges rouges », ces évolutions firent émerger le magistrat nouveau.

Arrivé au terme de ma vie, j’observe avec un intérêt non dénué d’ironie la façon dont la relation de pouvoir s’est inversée. Jadis, les magistrats considéraient le pouvoir politique avec déférence – je ne dirai pas que le garde des Sceaux était tout-puissant, mais il avait de grands pouvoirs – ; aujourd’hui, ce sont les hommes et les femmes politiques qui tremblent devant les magistrats.

L’exercice du pouvoir par les magistrats et les liens qui unissent médias et magistrature – sur lesquels une commission d’enquête pourrait utilement se pencher – font que tout homme ou femme politique peut voir sa carrière brisée comme verre, dès lors que la justice pointe en sa direction un doigt accusateur. La présomption d’innocence, bien qu’inscrite dans la loi, n’est pas la dominante dans l’opinion publique : tout homme ou femme politique, s’il fait l’objet d’une enquête et d’une mise en examen, en ressortira politiquement blessé, sinon mort. Qu’il s’agisse de faits de corruption ou d’agression sexuelle, la publication de procès-verbaux prétendument couverts par le secret de l’instruction est à même de ruiner n’importe quelle carrière ; on ne s’en relève que très difficilement ! Ce renversement est encore favorisé par le fait majeur que constitue le triomphe des réseaux sociaux, un espace où les droits de la défense sont inexistants.

En ce qui concerne les institutions, l’évolution a été longue, difficile. Il ne reste plus qu’un petit pas à franchir, avec l’adoption des dispositions relatives au statut du parquet, pour que le système donne satisfaction. Je crois savoir que le Parlement y est prêt. »

« Nous n’avons pas à rougir de notre justice »

Interpellé ensuite sur la défiance envers la justice, l’ancien ministre répond : « Je suis frappé de voir à quel point aujourd’hui on attend tout de la justice et combien on la critique. Le recours à l’institution est constant, mais la défiance va croissant. Est-ce l’ignorance ?

Pourtant, nous n’avons pas à rougir de notre justice. Lorsque l’on a fait beaucoup de tourisme judiciaire – je ne visite jamais une capitale sans me rendre au palais de justice – on sait que la justice française occupe un des meilleurs rangs européens. La formation par l’ENM, la féminisation, le recrutement ont sensiblement amélioré l’institution judiciaire. Mais le rapport de la nation aux juges est mauvais. Il faut dire que toute décision de justice fait au moins un mécontent… »

Le rapporteur Didier Paris : « Certaines voix, lors de nos auditions, se sont élevées en faveur d’un procureur général de la Nation. Qu’en pensez-vous ? »

Robert Badinter : « Je n’ai jamais cessé de le dire : ce n’est pas concevable. Le propre d’une démocratie, c’est la responsabilité de l’exécutif. Or le procureur général de la Nation aurait le pouvoir de diriger l’action publique sans être responsable devant le Parlement. Nommé par le CSM pour cinq ans, il pourrait faire ce qu’il voudrait sans avoir de comptes à rendre à personne, sauf peut-être à sa propre conscience – la responsabilité du magistrat n’est que morale. Vous auriez ainsi un super ministre, avec plus de pouvoirs encore.

Que nul ne soit responsable de l’exercice de l’action publique est inimaginable. C’est pourquoi j’ai toujours dit que la suppression des instructions individuelles était une erreur. Dans le cadre d’une affaire impliquant des intérêts nationaux, on peut concevoir que le garde des Sceaux prenne position, à condition que ce soit écrit et joint au dossier.
Imaginez une émeute dans une ville de province, des paysans en colère, juchés sur leur tracteur, faisant le siège de la préfecture. Le procureur, comme le préfet, sont dans les transes… Le ministre de l’intérieur téléphone au garde des Sceaux : requérir le placement en détention de quelques-uns des manifestants pourrait pousser les autres à incendier le bâtiment. Ce n’est pas au procureur général de décider de telles réquisitions. C’est une responsabilité politique et nationale. Je ne dis pas que le garde des Sceaux doit téléphoner au magistrat instructeur, mais c’est bien de la Chancellerie que doit venir l’indication sur les réquisitions.

[…] Je demeure très hostile à l’idée d’un grand inquisiteur, procureur général de la Nation. Ce ministre de la justice bis exercerait le pouvoir le plus important, celui de l’action publique, tout en étant irresponsable. Je sais bien que les grands parquetiers, de tout temps, en ont rêvé, mais Dieu merci, il y a pour les grands magistrats des postes internationaux à pourvoir ! »

« Je pense qu’un modèle judiciaire européen unique s’imposera »

Didier Paris : « Une pression assez forte s’exerce pour que la part de l’accusatoire, dans notre système intermédiaire, se renforce. »

Robert Badinter : « L’influence de la Cour européenne a été importante à cet égard. Je pense qu’un modèle judiciaire européen unique s’imposera et que le système français complexe, mixte, cédera la place devant l’accusatoire. Certes, la jurisprudence de Strasbourg laisse encore cela en filigrane, mais la séparation entre le parquet et le siège est inévitable.

Je considère que, dans le système actuel, le tronc commun des magistrats est une bonne chose, mais qu’au bout de dix ans, il ne devrait plus être possible de passer du siège au parquet et inversement. Pour des raisons d’européanisation et de dimension internationale de la justice, le système doit aller vers un accusatoire plus marqué, avec un contrôle par le siège, celui de la chambre d’instruction. La masse du contentieux et l’augmentation des pouvoirs d’administration judiciaire du parquet poussent à cette solution. Le juge d’instruction instruit à peine 3 % des affaires, de plus en plus d’affaires s’arrêtent au niveau du parquet : autant que les choses soient claires. Nous sommes à un moment de transition, difficile, mais cette ouverture vers l’avenir est passionnante. »

Le député Ugo Bernalicis l’interroge ensuite : « Qui assume la responsabilité de la décision en matière d’opportunité des poursuites ? »

Robert Badinter : « Le principe demeure : dans une démocratie, pas de pouvoir sans responsabilité. Certes, ce n’est pas l’état d’esprit dominant… Le CSM s’est beaucoup amélioré mais les écueils, la politisation et le corporatisme, restent les mêmes. Le modèle italien séduit beaucoup, mais il est dominé par le corporatisme. Et lorsque l’on entend réclamer que l’institution judiciaire gère ses propres ressources – alors que ce n’est pas aux magistrats de déterminer ce que sera la part de la justice dans le budget de la Nation –, on peut redouter une dérive. »

« L’éloquence judiciaire est un art voué à disparaître pour l’essentiel. »

L’ancien garde des Sceaux a une préoccupation : « La justice numérisée, la relation entre le traitement informatique des affaires et les grands principes de notre justice est la nouvelle question posée à votre génération. »

« Ce que je tiens pour essentiel, c’est le triomphe de la technologie. Face à l’immensité des contentieux, elle ne pourra que s’imposer. […] Il faut bien répondre à la demande de justice : nous ne sommes pas aux États-Unis, où la Cour suprême, qui choisit les quatre-vingts affaires qu’elle juge chaque année. Nous avons l’obligation de rendre des décisions dans un délai raisonnable. Pour traiter le contentieux de masse, nous ne pourrons pas échapper au traitement numérique. L’audience ne sera plus ce qu’elle était, c’est terminé ! L’éloquence judiciaire est un art voué à disparaître pour l’essentiel. »

« Je ne crois pas que réformer le statut de la magistrature soit à notre avantage… »

Didier Paris le relance ensuite sur l’idée de changer l’ENM, portée par le rapport Thiriez.

Robert Badinter : « À mon arrivée à la Chancellerie, je souhaitais conduire une réforme profonde de la magistrature. Je m’en ouvris au Président de la République, qui posait sur la magistrature un regard qui n’était pas exactement celui de Chimène… Il me fit valoir que le Sénat s’opposerait à toute réforme constitutionnelle proposée par la gauche, ajoutant qu’il me faudrait avoir, pour un projet d’une telle portée, le soutien de la majorité de la magistrature : « Si vous recueillez son accord – ce dont je doute – nous en reparlerons. » Nous décidâmes avec Claude Jorda, le directeur des services judiciaires, d’adresser à tous les magistrats, individuellement, un questionnaire composé de 42 questions. Les résultats furent sans équivoque : 85 % d’entre eux répondirent « oui » à la première question – faut-il une réforme du statut de la magistrature ? –, mais aucune des propositions suivantes ne reçut la majorité ! Avec l’ironie dont il était coutumier, François Mitterrand, après s’être enquis des résultats, me glissa : « je ne crois pas que réformer le statut de la magistrature soit à notre avantage… » 

Atteinte à la vie privée par révélation des circonstances d’un crime : l’article 9 du code civil est applicable

En 2007, la société 17 juin média produisit pour France Télévisions un numéro de l’émission Faites entrer l’accusé, qui fut diffusé les 27 novembre 2007 et 3 février 2009 sur la chaîne France 2. La demanderesse, qui fut victime des faits ayant donné lieu à l’affaire criminelle relatée, constata que son avocate avait participé à l’émission et relaté, sans son accord, les faits dont elle avait été victime. Elle assigna celle-ci, ainsi que France Télévisions et la société de production, pour obtenir réparation de l’atteinte portée au respect dû à sa vie privée. Les instances furent jointes. Soutenant que l’action engagée relevait des dispositions de l’article 39 quinquies de la loi sur la presse, l’avocate et les deux sociétés défenderesses sollicitèrent sa requalification et soulevèrent la nullité de l’assignation et la prescription de l’action.

Estimant que l’atteinte au respect de la vie privée dont se prévalait la demanderesse avait nécessairement supposé la révélation de son identité (spécialement protégée par l’art. 39 quinquies de la loi sur la presse), les juges du fond (Bordeaux, 14 juin 2018) accueillirent la demande de requalification, déclarèrent l’action irrecevable comme prescrite et, en conséquence, rejetèrent les demandes tendant à obtenir le paiement de dommages-intérêts et l’interdiction de diffuser l’émission. Dans son pourvoi, la demanderesse prétendait au contraire que l’atteinte au respect de la vie privée résultant de la révélation d’informations précises et de détails sur les circonstances du crime dont elle avait été victime ouvrait droit à réparation, indépendamment de la révélation de son identité en tant que victime d’une agression ou d’une atteinte sexuelle.

Statuant au double visa des articles 9 du code civil et 39 quinquies de la loi sur la presse, la première chambre civile énonce que, « si la diffusion de l’identité d’une personne et de la nature sexuelle des crimes ou délits dont elle a été victime est poursuivie sur le fondement de l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881, la divulgation, sans le consentement de l’intéressée, d’informations relatives aux circonstances précises dans lesquelles ces infractions ont été commises est un fait distinct constitutif d’une atteinte à sa vie privée, qui peut être sanctionné sur le fondement de l’article 9 du code civil ». L’arrêt d’appel, qui avait retenu que l’entier préjudice invoqué par la demanderesse au titre de l’atteinte à sa vie privée tenait à la révélation de son identité, alors que celle-ci dénonçait la révélation d’informations précises et de détails sordides sur les circonstances des crimes dont elle avait été victime, est cassé et annulé, l’affaire et les parties renvoyées devant la cour d’appel de Toulouse.

La multiplicité des dispositions protégeant les droits de la personnalité peut rendre difficile la détermination du fondement de l’action en cas d’atteinte à l’un de ces droits (v. Rép. civ., v° Droits de la personnalité, par A. Lepage, nos 204 s.) et la présente affaire en est une illustration. Se posait la question de savoir s’il fallait appliquer aux faits de l’espèce et à l’atteinte alléguée à la vie privée l’article 9 du code civil qui protège le droit au respect de la vie privée ou les dispositions de l’article 39 quinquies de la loi sur la presse qui incriminent « le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, des renseignements concernant l’identité d’une victime d’une agression ou d’une atteinte sexuelles ou l’image de cette victime lorsqu’elle est identifiable ». La qualification pénale attirait avec elle toutes les spécificités procédurales prévues par la loi sur la presse (dont la prescription trimestrielle de l’art. 65, applicable à l’action civile), comme n’ont pas manqué de le soulever l’avocate et les deux sociétés mises en cause.

Si certains juges du fond ont pu admettre, en cas d’atteinte alléguée à la vie privée, une option entre la loi sur la presse et l’article 9 du code civil (TGI Paris, 3 déc. 2001, Légipresse 2002. I. 29), la tendance est aujourd’hui à l’éviction du texte du code civil au profit de l’application de la loi du 29 juillet 1881, qui constitue le régime le plus protecteur de la liberté de la presse (v. Rép. civ., préc., nos 209 et 210). Mais cette règle ne vaut que lorsque l’atteinte dont il est demandé réparation correspond exactement au champ du délit de presse considéré. Or ce n’était pas le cas ici, la demanderesse invoquant un préjudice résultant de la divulgation d’informations précises portant sur les circonstances du crime commis à son encontre, ce que la Cour de cassation qualifie de « fait distinct » de la révélation de son identité. Dès lors, elle était fondée à en demander réparation sur le fondement de l’article 9 du code civil, sans solliciter la réparation du préjudice subi du seul fait de la divulgation de son nom (jugeant que les abus de la liberté d’expression qui portent atteinte à la vie privée peuvent être réparés sur le fondement de l’art. 9 C. civ., v. Civ. 1re, 7 févr. 2006, n° 04-10.941, D. 2006. 605 image ; RTD civ. 2006. 279, obs. J. Hauser image ; JCP 2006. II. 10041, note Loiseau ; Gaz. Pal. 2006. 1912, avis Sainte-Rose ; ibid. 2007. Somm. 1378, obs. Marino).

L’ENM, sujet d’intérêt national, selon EDM

Femme et avocate à la tête de l’ENM, c’est une double première. Depuis sa création en 1958, l’école a toujours été dirigée par un magistrat, de genre masculin. Choisir une avocate pour diriger l’école qui forme les magistrats, voilà qui est disruptif. C’est encore dans l’air du temps.

« Quel est le message que veut faire passer le ministre ? » s’interroge l’ancien procureur général près la Cour de cassation, Jean-Claude Marin. « La question m’interroge. Est-ce à dire qu’il n’y a pas dans la magistrature de femme apte à diriger l’école ? Est-ce un signe donné aux avocats que l’école sera plus conforme à leurs attentes ? »

Lorsqu’il était avocat, Éric Dupond-Moretti plaidait pour la suppression de l’ENM et la remplacer par une école de formation commune des magistrats et avocats. « J’ai exprimé depuis longtemps l’idée que ce corporatisme, qui éloigne la justice des citoyens, prenait corps pour une part à l’école nationale de la magistrature », a déclaré lundi matin celui qui depuis a enfilé les habits de garde des Sceaux.

L’heure est donc à l’ouverture. Et au contradictoire. « L’ouverture c’est d’abord rompre avec des traditions surannées, c’est rompre avec la tentation du vase clos et de l’entre-soi », a poursuivi le ministre. Si, a-t-il reconnu, des efforts ont déjà été faits ces dernières années, il faut encore forcer l’huis de cette forteresse, « vivier de la justice de demain ».

Quitte à faire grincer les gonds. « L’ouverture c’est encore, renforcer l’apprentissage chez les futurs magistrats, d’une vraie culture du contradictoire, étant ici rappelé que la justice ne peut se forger que dans le contradictoire ».

Des propos provocateurs qui ne pouvaient que faire réagir les deux principales organisations syndicales. « Le ministre procède par affirmations dénuées de fondements. C’est déplorable d’avoir un discours aussi démagogique sur un sujet aussi important », tempête Céline Parisot, la présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM).

« C’est un coup de comm. Une mesure symbolique, quasi cosmétique. Le ministre n’aura pas le temps de réformer l’ordonnance de 1958 [relative au statut de la magistrature, ndlr] », relativise Nils Monsarrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature (SM). « La justice n’appartient pas aux magistrats », rappelle le secrétaire national dont l’organisation n’est pas opposée à la nomination d’un non-magistrat.

Les deux syndicats s’accordent à dire que cette désignation intervient à point nommé pour détourner l’attention sur la polémique concernant l’enquête disciplinaire sur trois magistrats du parquet national financier.

Cette nomination est un « signal fort. Une femme et une avocate », souligne Jean-Claude Marin. Elle intervient « dans un contexte qui s’est tendu au fil des ans », regrette l’ancien procureur général, pour qui les « magistrats sont avec les avocats les éléments d’un puzzle dont chacun est indispensable », affirme-t-il.

Quoi qu’il en soit, personne ne connaît pour l’instant la feuille de route de Mme Roret. Le ministre a juste donné l’impulsion. Pour la suite, « rien ne sera fait sans un dialogue indispensable et constructif avec le conseil d’administration, le conseil pédagogique et l’ensemble du corps enseignant », a-t-il indiqué. Le conseil d’administration de l’école est présidé par la première présidente de la Cour de cassation, Chantal Arens, et vice-présidé par le procureur général François Molins.

Dans un communiqué, dont chaque mot a été pesé au trébuchet, les personnels de l’ENM prennent acte de la nomination de Mme Roret. Ils soulignent « que la formation des magistrats privilégie et entretient au quotidien les échanges interprofessionnels avec l’ensemble de leurs partenaires, au premier rang desquels les avocats, en formation initiale comme en formation continue ».

L’ENM « est une école de dialogue et de débats contradictoires sur les grands enjeux sociétaux, et d’ouverture sur le monde […] ouverte aux autres professions, qui composent un quart de ses publics en formation continue, et multiplie les partenariats avec les écoles de formation des barreaux, celles de la fonction publique, les universités, et les autres instituts de formation pour former des professionnels amenés à travailler ensemble ».

Les conférences nationales des premiers présidents (dont le président, Xavier Ronsin, est un ancien directeur de l’ENM) et des procureurs généraux, dans un communiqué conjoint, se sont « réjouis » du choix de Me Roret tout en « s’inquiétant » des « propos inutilement polémiques du garde des Sceaux sur la prétendue « culture de l’entre soi », « du vase clos » ou des « traditions surannées ». Ils s’interrogent « sur la finalité de tels propos qui divisent et stigmatisent au lieu de réunir et de construire ».

Me Roret n’a pas répondu à nos sollicitations. Sur Twitter, hier, elle a déclaré « mesurer l’honneur qui m’est fait par Éric Dupond-Moretti en proposant mon nom à Emmanuel Macron pour prendre la direction de l’ENM France. Je le vis comme une mission majeure dans l’intérêt de la justice et des justiciables qui permettra de renforcer le lien entre avocats et magistrats ».

Effet dévolutif de l’appel ou l’art du copier-coller

CTRL-C – CTRL-V. Voilà bien la manière la plus sûre de s’assurer de l’effet dévolutif auprès de la cour d’appel. Il suffit, pour se faire, de reprendre le dispositif de la décision attaqué et non pas ses demandes. À défaut, c’est bien l’appel qui restera collé comme l’illustre cet arrêt publié.

Une société relève appel d’un jugement du tribunal de commerce et la société intimée soulève devant la cour d’appel de Rouen l’absence d’effet dévolutif dès lors que l’appelante aurait visé, sur sa déclaration d’appel, ses demandes au lieu et place des chefs de jugement critiqués. La cour constate l’absence d’effet dévolutif de l’appel, motif pris qu’elle n’est saisie d’aucune demande tendant à voir réformer ou infirmer telle ou telle disposition du jugement entrepris et dire n’y avoir lieu à statuer. Le moyen du pourvoi soutenait que « la déclaration d’appel de la société Normafi indiquait expressément que ce dernier tendait à la « réformation et/ou annulation de la décision sur les chefs » relatifs aux demandes qu’elle énumérait, de sorte que l’appel avait déféré à la cour la connaissance de ces chefs du jugement ; qu’en retenant qu’elle n’aurait été saisie d’aucune demande de la société Normafi tendant à voir réformer « telle ou telle disposition du jugement entrepris », la cour d’appel a violé les articles 4 et 562 du code de procédure civile ». La demanderesse au pourvoi arguait encore qu’il ne pouvait s’agir que d’une nullité de forme conditionnée à la preuve d’un grief et que la cour d’appel avait fait « une application excessivement formaliste de l’article 562 » puisque l’acte d’appel ne laissait pas de place au doute sur l’objet d’appel. La réponse de la deuxième chambre civile pour rejeter le moyen mérite d’être citée in extenso :
« 5. En vertu de l’article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s’opérant pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
6. En outre, seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.
7. Il en résulte que lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d’appel n’aurait pas été sollicitée par l’intimé.
8. Par ailleurs, la déclaration d’appel affectée d’une irrégularité, en ce qu’elle ne mentionne pas les chefs du jugement attaqués, peut être régularisée par une nouvelle déclaration d’appel, dans le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond conformément à l’article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile.
9. Ces règles encadrant les conditions d’exercice du droit d’appel dans les procédures dans lesquelles l’appelant est représenté par un professionnel du droit, sont dépourvues d’ambiguïté et concourent à une bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique de cette procédure. Elles ne portent donc pas atteinte, en elles-mêmes, à la substance du droit d’accès au juge d’appel.
10. Dès lors, la cour d’appel, ayant constaté que la déclaration d’appel se bornait à solliciter la réformation et/ou l’annulation de la décision sur les chefs...

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Pas de pression de l’exécutif sur le PNF, dit le Conseil supérieur de la magistrature

À la suite des propos tenus par Éliane Houlette, ancienne procureure nationale financier, à propos de l’affaire Fillon, le président de la République a saisi le conseil supérieur de la magistrature (CSM) dans sa formation plénière, afin de savoir si le parquet national financier (PNF) « a pu exercer son activité en toute sérénité, sans pression, dans le cadre d’un dialogue normal et habituel avec le parquet général ». Il lui a demandé de prendre en compte le cadre institutionnel du « parquet à la française » c’est-à-dire un « parquet indivisible, hiérarchisé, sans instruction du garde des Sceaux dans les affaires individuelles. »

À propos de l’affaire Fillon et des remontées d’informations (13 en 1 mois, en phase préliminaire) : « La fréquence de ces remontées d’informations, certes importantes, a été jugée par l’ensemble des personnes entendues parfaitement conforme à celle qui a cours dans les affaires les plus sensibles », dit le CSM. « Un nombre non négligeable de ces transmissions n’a visé qu’à confirmer ou infirmer des informations préalablement parues dans la presse. » « La majorité des informations ont été remontées spontanément par le parquet général », dit aussi le CSM.

Au sujet des relations entre le PNF et le parquet général, le CSM rappelle le contexte de « grande effervescence médiatique », et donc la tension en découlant. Le CSM rappelle que les échanges entre les deux parquets ont été nombreux. « La chronologie des échanges de mails révèle à cet égard des moments sensibles ». Le CSM cite longuement ces échanges, dans lesquels le parquet général fait montre d’une certaine autorité.

Mais, souligne l’avis, « ces tensions interpersonnelles et oppositions juridiques ne sauraient distraire aujourd’hui l’attention du constat fondamental d’un exercice de l’action publique indépendant par le PNF, ce qu’aucune des personnes entendues n’a d’ailleurs remis en cause. » Ainsi, la procureure nationale financier a décidé seule de l’ouverture de l’enquête préliminaire, et pris toutes les initiatives procédurales, jusqu’à l’ouverture de l’information judiciaire.

L’avis se penche ensuite sur la rationalisation des remontées d’informations entre les parquets et le ministère de la Justice, prévues et encadrées par la loi du 25 juillet 2013, mais dont les critères de choix sont généralement déterminés par les circulaires. « Si les auditions réalisées ont confirmé qu’il y a « un avant et un après » la loi de 2013, l’information du pouvoir exécutif sur les affaires pénales individuelles constitue toutefois un important ferment de soupçon sur l’interventionnisme supposé du ministère de la Justice, surtout lorsque des personnages publics de premier plan sont mis en cause. » Ce qui fut le cas dans l’affaire Fillon. Aussi, le CSM recommande d’encadrer plus strictement la remontée d’informations sur les affaires signalées aux parquets généraux et suivies par la DACG.

Ces conclusions, qui douchent les spéculations polémiques ressassées dans la presse après l’intervention de Mme Houlette, sont accompagnées de plusieurs recommandations, notamment l’interdiction par la loi de la transmission de pièces de procédure.

S’agissant de la sempiternelle question de « l’évolution du statut du ministère public » et de son indépendance, que le ministre Éric Dupond-Moretti s’est promis de mener à bien, les constatations du CSM relèvent d’une rengaine connue (lire par exemple cet avis du CSM de décembre 2014). Le doute sur l’indépendance naît des liens hiérarchiques qui l’unit au pouvoir exécutif, et le CSM, après maintes auditions, a relevé un large consensus en faveur d’une réforme du parquet. « Mettre un terme au soupçon de manque d’indépendance du ministère public à l’égard du pouvoir exécutif passe par une modification du processus de nomination et de la procédure disciplinaire applicables à ses membres. »

Cette réforme devra, pour le CSM, permettre un alignement complet de la procédure de recrutement et de nomination des procureurs sur celle applicable aux premiers présidents et présidents. Le CSM propose, enfin, que le pouvoir de proposition revienne au CSM et non à l’exécutif, tandis qu’un simple pouvoir d’opposition à un choix de l’exécutif serait, au sens du CSM, insuffisant.

Lira aussi Inspection du PNF : un rapport mitigé

Mesure d’instruction [I]in futurum[/I] : précision sur la compétence territoriale

Le présent arrêt se prononce sur la compétence territoriale du juge saisi sur le fondement de l’article 145 du code de procédure, une question essentielle en pratique sur laquelle ce code reste étonnamment silencieux.

Une société souhaitait céder sa participation au sein d’un groupe. Elle a pour cela organisé un appel d’offres auprès de divers acquéreurs potentiels, dont une société et une banque. Suspectant des irrégularités dans la procédure d’appel d’offres qui a abouti au choix de la banque, la société candidate au rachat a fait assigner devant le président du tribunal de commerce de Lyon la société cédante, dont le siège social est à Paris, afin que soit ordonnée, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, une mesure d’instruction.

La société cédante a soulevé une exception d’incompétence territoriale et le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon s’est déclaré incompétent.

La société candidate a interjeté appel de cette ordonnance. L’appelante avançait que l’une des mesures sollicitées en point huit de la mission, en l’occurrence des auditions menées par expert, devait être exécutée dans le ressort du tribunal de commerce de Lyon. Elle en tirait argument pour affirmer qu’elle était fondée à saisir le président du tribunal du lieu de l’exécution de l’une au moins des mesures sollicitées. Rejetant cet argument, la cour d’appel a considéré que les règles de compétence territoriale ne devaient pas dépendre des seules intentions stratégiques exprimées par la société candidate alors que la société cédant a fait tout intérêt à relever de son juge naturel dont la proximité géographique entraînait pour elle des frais moindres, notamment en ce qui concerne les modalités d’exécution de la mesure et de leur contrôle.

Devant la Cour de cassation, la société candidate à l’acquisition arguait que le juge territorialement compétent pour statuer sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile est le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d’instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées.

La haute juridiction rejette le pourvoi. Elle observe qu’il résulte des articles 42, 46 et 145 du code de procédure civile que le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur le troisième de ces textes est le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d’instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées.

En l’occurrence, le siège social de la société cédante était situé à Paris et seul l’un des points de la mission sollicitée était susceptible d’être exécuté dans le ressort du tribunal de commerce de Lyon. Les autres points pouvant l’être par l’expert au lieu qu’il choisit. Elle a, ensuite, retenu que l’audition par l’expert des directeurs du groupe n’avait pas à être effectuée nécessairement au siège social de cette société comme le demandait la requérante.

Le président du tribunal de commerce de Lyon était donc bien incompétent pour statuer sur la requête formée par la demanderesse. En matière de mesures d’instruction in futurum, la jurisprudence a comblé les silences des textes en précisant la compétence territoriale : est compétent pour connaître d’une demande fondée sur l’article 145 soit le président de la juridiction appelé à statuer au fond, soit celui du lieu où devait être exécutée la mesure (v., en matière de référé, Civ. 2e, 10 juill. 1991, n° 90-11.815, Bull. civ. II, n° 223 ; 17 juin 1998, n° 95-10.563, Bull. civ. II, n° 200 ; D. 1998. 194 image). Techniquement, il est ainsi reconnu une option de compétence au demandeur. Cette solution s’applique en matière de référé mais aussi en matière de requête. La Cour de cassation considère qu’il résulte des articles 42, 46, 145 et 493 du code de procédure civile que le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur le troisième de ces textes est le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d’instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées (Civ. 2e, 15 oct. 2015, nos 14-17.564 et 14-25.654, Bull. civ. II, n° 233 ; D. 2015. 2133 image ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero image ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati image ; ibid. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; v. aussi Com. 13 sept. 2017, n° 16-12.196, Bull. civ. IV, n° 113 ; Dalloz actualité, 20 sept. 2017, obs. L. Dargent ; D. 2017. 1767 image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; AJ contrat 2017. 540, obs. E. Duminy image ; Rev. sociétés 2018. 19, note J. Heinich image ; Civ. 1re, 14 mars 2018, n° 16-27.913 P, Dalloz actualité, 6 avr. 2018, obs. F. Mélin ; D. 2018. 623 image ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; ibid. 1016, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; Rev. crit. DIP 2019. 186, note G. Cuniberti image). En pratique, l’intérêt de cette position est d’offrir une alternative au demandeur qui peut, selon les besoins de la cause (célérité, proximité, efficacité ou effectivité de la mesure, etc.), saisir l’une ou l’autre de ces juridictions.

En l’occurrence, la difficulté provenait du fait que seul l’un des points de la mission sollicitée devant le juge relevait du ressort du tribunal de commerce de Lyon. Il existait donc une pluralité de lieux d’exécution. D’où l’interrogation sur le point de savoir si cela suffisait à rendre ce tribunal compétent pour l’ensemble, ce que soutenait le demandeur à la cassation en se référant purement et simplement aux critères de compétence dégagés par la jurisprudence. En rejetant le pourvoi, la Cour de cassation apporte une réponse négative à cette question. Il résulte de la formulation de la décision commentée que la haute cour s’appuie pour cela sur le fait que la mesure en question n’avait pas « nécessairement » à être effectuée dans un lieu particulier. Elle était simplement susceptible de l’être dans le ressort du tribunal de commerce de Lyon, sans que cela soit imposé. L’expert pouvait choisir à sa guise le lieu où pouvaient être effectués les autres points de la mission. Partant, il n’était pas possible de saisir la juridiction lyonnaise en se fondant sur la compétence alternative façonnée par la jurisprudence qui évoque le ressort dans lequel les mesures « doivent », même partiellement, être exécutées.

Il faut par ailleurs noter que la haute juridiction ne mentionne pas dans sa décision l’argument de la cour d’appel tenant de la nécessité de ne pas faire dépendre les règles de compétence territoriale des seuls choix stratégiques du demandeur. Pour autant, cet aspect découle de la solution retenue. Celle-ci limite le risque de voir le requérant insérer un chef de mission dans le seul but d’imposer une compétence territoriale qui lui est exclusivement favorable. De ce point de vue, l’intérêt de l’arrêt rapporté est aussi de rappeler que ce sont les besoins liés à l’exécution de la mesure qui doivent primer dans la détermination de la compétence territoriale et non la simple volonté du requérant. Les règles de compétence territoriale sont liées à la bonne administration de la justice, y compris lorsqu’il s’agit de solliciter une mesure d’instruction in futurum.

L’effet interruptif de péremption d’un acte de procédure irrégulier

Dans son étude d’ampleur des sanctions en procédure civile, Mme Chainais constate que l’on ne peut se satisfaire d’une approche simplement statique dans laquelle chacune serait prise isolément (C. Chainais, Les sanctions en procédure civile. À la recherche d’un clavier bien tempéré, in D. Fenouillet et C. Chainais (dir.), La sanction en droit contemporain, vol. 1, La sanction entre technique et politique, Dalloz, 2012, p. 357 s., spéc. nos 42 s. et p. 374 s.). Elle suggère d’y ajouter une approche dynamique consistant à replacer les sanctions procédurales dans l’environnement global du procès. À cette occasion, on peut y observer des phénomènes de « résonances » des sanctions les unes avec les autres. L’arrêt commenté relate justement la rencontre entre une péremption et une nullité pour irrégularité de fond ; une rencontre qui se montre sans conséquence pour l’issue du litige.

Une solution classique

Une rencontre… En l’espèce, l’acquéreur de biens immobiliers en l’état futur d’achèvement a interjeté appel d’un jugement déclarant parfaites des ventes. Un arrêt a confirmé le jugement sur le caractère parfait de la première vente et, avant-dire droit sur la seconde, ordonné une expertise. L’expert a déposé son rapport en septembre 2013 et l’acquéreur a conclu une dernière fois en janvier 2014. À la demande des parties, le conseiller de la mise en état a prononcé le retrait du rôle de l’affaire le 26 février 2014. Quelques mois plus tard, le 26 novembre 2015, l’acquéreur a été placé sous curatelle renforcée par décision du juge des tutelles, une association étant désignée en qualité de curateur. Mais négligeant les conséquences de son placement sous ce régime de protection, l’acquéreur a déposé et signifié sans l’assistance de son curateur des conclusions aux fins de rétablissement au rôle de l’affaire.

Pour la société venderesse, ces conclusions sont inopérantes à interrompre le délai de péremption. Décortiquons son raisonnement. Par la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, le législateur a introduit un nouvel alinéa 3 à l’article 468. Celui-ci impose l’assistance du curateur lorsque la personne sous curatelle est susceptible d’être partie, en demande ou en défense, et ce quelle que soit la nature de l’action (Civ. 1re, 8 juin 2016, n° 15-19.715, D. 2016. 1311 image ; ibid. 2017. 1490, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro image ; AJ fam. 2016. 390, obs. T. Verheyde image ; RTD civ. 2016. 588, obs. J. Hauser image ; JCP 2016. 741. obs. I. Maria. V. toutefois, Civ. 1re, 6 nov. 2013, n° 12-23.766, D. 2014. 467 image, note G. Raoul-Cormeil image ; ibid. 2259, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy image ; AJ fam. 2013. 717, obs. T. Verheyde image ; RTD civ. 2014. 84, obs. J. Hauser image ; Dr. fam. 2014-1. Comm. 9. obs. I. Maria ; JCP 2014. 436. obs. R. Libchaber). À défaut, l’acte de procédure se trouve entaché d’une irrégularité dont la nature ne fait aucun doute. En effet, dans la liste limitative des hypothèses de nullité pour irrégularité de fond (sur ce caractère limitatif, v. Cass., ch. mixte, 7 juill. 2006, n° 03-20.026, D. 2006. 1984, obs. E. Pahlawan-Sentilhes image ; RTD civ. 2006. 820, obs. R. Perrot image ; Gaz. Pal. 22 juill. 2006, avis Domingo et 14 oct. 2006, note G. Deharo ; Procédures 2006. Comm. 200. obs. R. Perrot ; Dr. et proc. 2006. 346, obs. O. Salati ; JCP 2006. II. 10146. note E. Putman), le défaut de capacité d’exercice figure en première place (C. pr. civ., art. 117 ; pour une illustration récente, Civ. 1re, 11 oct. 2017, n° 16-24.869, D. 2017. 2102 image ; ibid. 2018. 1458, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro image ; AJ fam. 2017. 593, obs. V. Montourcy image). De cette sanction procédurale, dont on rappellera qu’elle entraîne en principe l’anéantissement rétroactif de l’acte irrégulier (sur le contenu en réalité variable de cet effet, Rép. pr. civ., v° Nullités, par L. Mayer, nos 264 s.), la société venderesse déduit une conséquence désastreuse pour l’issue du procès : puisque les conclusions irrégulières sont rétroactivement anéanties, elles n’ont pas pu interrompre le délai de péremption. La péremption doit donc provoquer l’extinction de l’instance (C. pr. civ., art. 389). Ce raisonnement a convaincu non seulement le conseiller de la mise en état, mais aussi la cour d’appel saisie sur déféré. Pour ces juges, dès lors que l’acquéreur a été placé sous curatelle renforcée, les conclusions aux fins de ré-enrôlement déposées ultérieurement sans l’assistance du curateur n’ont pu interrompre le délai de péremption. Au surplus, ils considèrent comme inopérant le fait que cette violation de la légalité ait été régularisée au moment où le conseiller de la mise en état a statué, dès lors que celle-ci est intervenue après l’expiration du délai de péremption. Faisant grief à l’arrêt de constater la péremption de l’instance d’appel et son extinction, le majeur protégé et son curateur ont formulé divers moyens à l’appui de leur pourvoi. Entre autres choses, ils dénoncent ce raisonnement qui consiste à conditionner l’effet interruptif de péremption d’une diligence à la validité de l’acte de procédure qui la matérialise. C’est précisément ce moyen qui va concentrer toute l’attention de la Cour de cassation.

…Sans conséquence. Lorsqu’une diligence prend la forme d’un acte de procédure, son effet interruptif de péremption est-il en lien avec la validité de cet acte ? À cette question, la Cour de cassation répond sans la moindre équivoque. Au visa de l’article 386 du code de procédure civile, et après avoir rappelé son contenu, elle juge que « l’effet interruptif d’une diligence, lorsqu’elle consiste en un acte de la procédure, est sans lien avec la validité de cet acte ». Ainsi, un acte de procédure irrégulier peut tout à fait interrompre un tel délai, s’il exprime par ailleurs la volonté du plaideur de poursuivre l’instance (sur la notion de diligence, Rép. pr. civ., v° Péremption d’instance, par L. Veyre, n° 32). Or, en statuant comme elle l’a fait, alors que les conclusions aux fins de rétablissement au rôle prises par le majeur protégé traduisaient justement cette volonté, la Cour d’appel a violé le texte susvisé. Attention, il serait faux de voir dans cet arrêt un renversement de la jurisprudence qui dénie à la seule demande de réinscription de l’affaire au rôle une intention de faire « progresser le litige vers sa solution » (sur cette jurisprudence, Rép. pr. civ., v° Péremption d’instance, par L. Veyre, nos 40 s.). En effet, en l’espèce, la demande de ré-enrôlement semble avoir été accompagnée de conclusions au fond qui démontraient une telle intention (pour une proposition innovante de dépassement de ce questionnement systématique par la création d’un « acte de poursuite d’instance », Y. Strickler, obs. sous Civ. 2e, 11 avr. 2019, n° 18-14.223, Procédures 2019. Comm. 182, in fine).

Finalement, si la rencontre entre la péremption et la nullité pour irrégularité de fond a bien lieu, celle-ci n’a aucune conséquence sur l’issue du litige. À vrai dire, cette solution est classique. Énoncée une première fois en 1999 (Civ. 2e, 3 juin 1999, n° 97-19.378, D. 1999. 185 image ; RTD civ. 1999. 695, obs. R. Perrot image), elle a depuis été rappelée à deux reprises par la Cour de cassation (Civ. 1re, 14 févr. 2006, n° 05-14.757, D. 2006. 604 image ; Procédures 2006. Comm. 71, obs. R. Perrot ; Gaz. Pal. 6-7 juill. 2007, p. 29, note E. du Rusquec ; Civ. 2e, 28 juin 2012, nos 11-19.615 et 11-19.616). Résistance ou simple erreur des juges du fond ? La lecture de l’arrêt ne permet pas de le dire. Néanmoins, ce questionnement invite à mener une brève appréciation critique de cette solution classique.

Appréciation critique

Une conséquence de la libéralisation des formes. Fût un temps, la question du maintien de l’effet interruptif de péremption d’un acte nul occupa la doctrine (Aix-en-Provence, 9 juin 1959, D. 1960. 376, note Y. Lobin ; RTD civ. 1968. 583, obs. P. Raynaud. Adde, E. D. Glasson, A. Tissier et R. L. Morel, Traité théorique et pratique d’organisation judiciaire, de compétence et de procédure civile, t. 2, p. 623). Le code de procédure civile de 1806 se montrait alors particulièrement rigoureux puisqu’il semblait subordonner son maintien à l’accomplissement d’un acte valable (C. pr. civ. anc., art. 399 : « La péremption n’aura pas lieu de droit. Elle se couvrira par les actes valables faits par l’une ou l’autre des parties avant la demande en péremption »). L’exigence a totalement disparu dans le nouveau code de procédure civile de 1975. À n’en pas douter, les rédacteurs ont exprimé là leur souhait de voir advenir une « libéralisation des formes » de la diligence (R. Perrot, obs. sous Civ. 3e, 20 déc. 1994, n° 92-21.536, RTD civ. 1995. 683 image. Adde, B. Boval, Observations sur la péremption, in L. Cadiet et D. Loriferne (dir.), La réforme de la procédure d’appel, 2011, IRJS, p. 85 s., spéc. p. 89-90). Concrètement, celle-ci ne se limite plus aux seuls actes formalistes de la procédure. Sa forme n’importe plus ; seul compte le fait qu’elle contribue à donner une « impulsion processuelle » à l’instance (pour de multiples illustrations, Rép. pr. civ., v° Péremption d’instance, par L. Veyre, nos 35 s.). Or, à l’instant où l’on considère que l’essence d’une diligence ne se trouve plus dans sa forme mais dans l’intention de son auteur, il n’est plus concevable de conditionner son effet interruptif à l’accomplissement d’un acte de procédure valable. Voilà la justification de la solution rappelée dans l’arrêt commenté. Et tant que l’on continuera à privilégier l’intention sur la forme, cette solution doit être maintenue.

Simplification : des amendements cavaliers à surveiller

À la suite du fait divers de Théoule-sur-Mer, le rapporteur Guillaume Kasbarian a déposé un amendement précisant le régime d’expulsion des squatteurs d’un domicile. Il précise que la notion de domicile englobe les résidences secondaires et qu’un préfet aura quarante-huit heures pour prononcer la mise en demeure à réception de la demande d’expulsion.

Par un amendement cavalier, le gouvernement souhaite modifier le régime de comparution de visioaudience des personnes détenues. Cette réforme fait suite à une question prioritaire de constitutionnalité (v. Dalloz actualité, 18 mai 2020, obs. D. Goetz), le Conseil constitutionnel ayant fixé une date butoir au 31 octobre 2020. La modification était initialement prévue dans le projet de loi sur le parquet européen, qui ne devrait finalement pas revenir à l’Assemblée nationale avant décembre.

Le gouvernement porte des amendements au code des marchés publics. Il souhaite notamment créer un régime de circonstances exceptionnelles, qui pourra être déclenché par décret, en cas de guerre, pandémie ou crise économique majeure. Il veut aussi étendre la possibilité de réserver une partie des marchés publics aux PME et artisans, aux marchés de conception-réalisation et marchés globaux de performance ou sectoriels.

Le gouvernement modifie les procédures des accords d’intéressement, de participation et d’épargne salariale : l’agrément se ferait au niveau de l’administration centrale, avec un contrôle des fonds par l’URSSAF.

Par ailleurs, le gouvernement souhaite supprimer l’article 46 bis, introduit par surprise au Sénat, qui instaurait une confidentialité des correspondances entre avocats et conseils en propriété industrielle.

Droit environnemental

Les députés de la majorité ont déposé un amendement pour limiter strictement les recours contre des projets de création de retenues d’eau. Un autre propose d’alléger la réglementation des travaux de prévention des inondations (compétence GEMAPI).

Un amendement du gouvernement souhaite réduire de quatre à deux mois le délai dans lequel il est possible de demander une concertation préalable pour un projet ayant fait l’objet d’une déclaration d’intention.

En réponse à Lubrizol, un amendement prévoit la transparence des documents étudiés dans les conseils départementaux de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST), sauf exception. Le groupe LREM souhaite également amender les règles de modification d’un parc naturel marin.

Notification de la déclaration d’appel entre avocats, [I]ter repetita[/I] placent

La cour de cassation fait sien le célèbre aphorisme d’Horace, plus la chose est répétée plus elle plait, et rejoint Alexandre Dumas, si bis plait, à plus forte raison ter…

Dans une procédure fixée à bref délai par application de l’article 905 du code de procédure civile, la cour d’appel de Toulouse retient le moyen de caducité de la déclaration d’appel faute pour l’appelant d’avoir notifié la déclaration d’appel à l’avocat de l’intimé préalablement constitué dans le délai de dix jours de réception de l’avis de fixation adressé par le greffe. Le demandeur au pourvoi invoquait la violation tant de l’article 905-1 du code de procédure civile que de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Au visa de ces articles, la deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt de la cour d’appel et renvoie les parties devant la cour de Bordeaux en rappelant, et cela devient une habitude, que « l’obligation faite à l’appelant de notifier la déclaration d’appel à l’avocat que l’intimé a préalablement constitué, dans le délai de dix jours, de la réception de l’avis de fixation adressé par le greffe, n’est pas prescrite à peine de caducité de cette déclaration d’appel ».

Bien que destiné à une nouvelle publication, cet arrêt n’est finalement qu’une redite de son précédent avis du 12 juillet 2018 et de son arrêt du 14 novembre 2019 rendus respectivement dans des procédures à bref délai et en circuit classique (Cass, civ, 2ème, avis du 12 juillet 2018 n°15010, Dalloz actualité, 12 sept. 2018 ; Cass, Civ. 2ème, 14 novembre 2019, n°18-22.167, Dalloz actualité, 4 déc. 2019, obs. R. Laffly).

C’est une redite alors redisons-le : qu’il s’agisse d’une procédure à bref délai imposant un délai de dix jours ou d’une procédure dite classique fixant un délai d’un mois à compter de l’avis du greffe pour notifier l’acte d’appel à l’avocat de l’intimé constitué, l’injonction visée par les textes n’est pas soumise à peine de caducité.

L’article 905-1, alinéa 1er, dispose : « Lorsque l’affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre, l’appelant signifie la déclaration d’appel dans les dix jours de la réception de l’avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d’appel relevée d’office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président ; cependant, si, entre-temps, l’intimé a constitué avocat avant signification de la déclaration d’appel, il est procédé par voie de notification à son avocat ».

Rappelons en effet qu’en raison de l’emploi combiné d’un point-virgule, censé séparer des propositions indépendantes dans une phrase, et de l’utilisation de l’adverbe cependant qui pouvait se rapporter à la sanction de caducité visée en début de phrase, les cours apparaissaient divisées. Pour certaines, la structure générale du texte faisait que l’absence de cette diligence devait entraîner la caducité à l’instar de la motivation de cet arrêt de la cour de Toulouse, pour d’autres la sanction ne concernait que le défaut de signification et non celui de notification entre avocats, pour d’autres enfin si la notification à l’avocat de l’intimé devait être accomplie à titre informatif, elle ne devait pas l’être nécessairement dans un délai précis. Et sur ce dernier point, la deuxième chambre estime d’ailleurs, par un arrêt du même jour mais non publié, qu’une cour d’appel ne peut retenir la caducité lorsque l’avocat notifie l’acte d’appel au-delà du délai imparti (Cass, Civ. 2ème, 2 juillet 2020, n°19-13.440).

Si ce nouvel arrêt, qui n’étonnera donc pas les praticiens, ne livre pas la raison d’une clémence apparente, c’est que le raisonnement avait déjà été donné dans son précédent avis. L’interprétation de la deuxième chambre civile s’explique en effet par le fait que, quand bien même l’avocat de l’appelant ne notifierait pas l’acte d’appel à son confrère déjà constitué, il y a bien eu une information préalable de l’intimé de cette déclaration d’appel puisqu’il reçoit du greffe la déclaration d’appel, par application de l’article 902 du code de procédure civile, l’informant de la nécessité de constituer avocat. Aussi, si l’acte de signification par voie d’huissier de justice assure une nouvelle remise de l’acte d’appel dans l’hypothèse seule où l’intimé n’a pas constitué avocat, l’objectif recherché, comme le dit la cour de cassation, est atteint dès lors que l’avocat de l’intimé s’est constitué dans le mois de la réception de l’avis du greffe. C’est dire que l’exigence de notification d’une déclaration d’appel par l’avocat de l’appelant à l’avocat de l’intimé qui, par définition puisqu’il se constitue, en a déjà connaissance, ne présente aucun intérêt. Il eut fallu en réalité prévoir non pas la notification de l’acte d’appel entre avocats, déjà en possession de l’avocat de l’intimé qui se constitue, mais plutôt celle de l’avis de fixation à bref délai qui précise notamment les dates de clôture et de plaidoirie et qui est souvent ignoré de l’intimé lorsqu’il n’a été adressé par le greffe qu’à l’avocat de l’appelant. Partant, la Cour de cassation vise l’atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge si cette notification, inutile donc, était assortie d’une sanction de caducité, ce d’autant plus que depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, le nouvel article 911-1 du code de procédure civile dispose en son alinéa 3 que « la partie dont la déclaration d’appel a été frappée de caducité en application des articles 902, 905-1, 905-2 ou 908 ou dont l’appel a été déclaré irrecevable n’est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l’égard de la même partie ».

Appel sur appel ne vaut : retour vers le futur

Voilà un arrêt qui dessine sans doute le futur de la régularisation procédurale en cas de caducité ou d’irrecevabilité. Le 29 mars 2016, une société relève appel d’un jugement du conseil de prud’hommes d’Ajaccio devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence puis, selon acte en date du 4 mai 2016, interjette appel devant la cour d’appel de Bastia, cour d’appel territorialement compétente. Le 14 juin 2018, elle se désiste de son appel formé devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. L’intimé soulève alors l’irrecevabilité de l’appel devant la cour de Bastia, laquelle estime l’appel effectivement irrecevable dès lors qu’au jour où l’appel avait été formé devant elle, un premier appel était encore pendant devant la cour d’Aix-en-Provence. Au soutien de son pourvoi, la société arguait que l’adage selon lequel « appel sur appel ne vaut » ne s’applique que si la cour d’appel a été régulièrement saisie d’un premier appel et qu’elle avait donc intérêt à former un second appel afin de réparer cette irrégularité, et ce quand bien même elle avait sciemment saisi une première juridiction incompétente en raison de sa qualité de conseiller prud’homme dans le ressort bastiais. La demanderesse au pourvoi ajoutait que le refus de statuer au fond sur le second appel constituait un déni de justice et que la cour avait méconnu les exigences de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Au visa des articles 126 et 546 du code de procédure civile, et de l’article 6, § 1, de la Convention européenne, la deuxième chambre civile apporte la réponse suivante :

« Il résulte de ces textes que la saisine d’une cour d’appel territorialement incompétente donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée avant que le juge statue, à condition que le délai d’appel n’ait pas expiré.

La circonstance que le désistement de l’appel porté devant la juridiction incompétente n’était pas intervenu au jour où l’appel a été formé devant la cour d’appel territorialement compétente ne fait pas obstacle à la régularisation de l’appel.

Pour déclarer irrecevable l’appel interjeté le 4 mai 2016 devant la cour d’appel de Bastia, l’arrêt retient que l’appel formé devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence était encore pendant lorsque le second appel contre le même jugement a été interjeté devant la cour d’appel de Bastia, privant par là même la société Socodi d’intérêt à agir.

En statuant ainsi, alors que le second appel avait été formé avant l’expiration du délai d’appel, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

L’arrêt est donc cassé en toutes ses dispositions et l’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Lyon.

La cour de Bastia, pour juger irrecevable le second appel formalisé devant elle, qualifiait de « question essentielle » « celle de la recevabilité du second appel initié tandis qu’un premier appel est encore pendant ». Pour la cour d’appel, la société appelante, du fait de cet appel inscrit antérieurement et toujours en cours au jour du second appel, ne disposait pas d’un « intérêt à agir ». Le raisonnement est bien connu, mais il est mis à mal par la Cour de cassation. Les praticiens de la procédure d’appel savent en effet que la deuxième chambre civile a construit sa jurisprudence, notamment depuis les décrets Magendie, par différents arrêts qui sont venus interdire deux appels identiques, faisant revivre l’adage « appel sur appel ne vaut ».

La haute juridiction a souhaité dans un premier temps mettre un terme à la possibilité pour l’appelant de repousser indéfiniment son délai pour conclure puisque, avant l’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017, l’appelant qui ne concluait pas dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile pouvait réinscrire un appel frappé de caducité tant que le jugement n’était pas signifié. Ainsi, la seconde déclaration d’appel identique à la première comme ayant été formée à l’encontre du même jugement et désignant le même intimé est privée d’effet, et l’appelant est alors tenu de conclure dans le délai de trois mois à compter de sa première déclaration d’appel à peine de caducité de celle-ci (Civ. 2e, 21 janv. 2016, n° 14-18.631, Dalloz actualité, 16 févr. 2016, obs. R. Laffly ; D. 2016. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati image ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero image ; 16 nov. 2017, n° 16-23.796, Dalloz actualité, 7 déc. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2018. 692, obs. N. Fricero image).

Puis la Cour de cassation a retenu l’intérêt à agir, comme a pu le faire la cour de Bastia, pour interdire un nouvel appel alors qu’un premier était en cours d’instruction. Pour la deuxième chambre civile, tant que la cour d’appel ne s’était pas prononcée, l’appelant n’avait pas d’intérêt à agir en formant un second appel identique au premier, l’intérêt à relever appel s’appréciant au jour de l’appel. Ainsi, dès lors que la cour d’appel est régulièrement saisie d’un appel dont la caducité n’a pas été constatée, le second appel formé à l’encontre du même jugement et des mêmes parties est irrecevable (Civ. 2e, 11 mai 2017, n° 16-18.464, Dalloz actualité, 7 juin 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1053 image).

Tout cela était traduit, souvent hâtivement, par l’adage « appel sur appel ne vaut », moyen que l’on voyait un peu trop vite brandi comme dans le cas présent, dérogatoire donc, et qui en offre une parfaite illustration. La première objection au raisonnement de la cour de Bastia réside sans doute dans le fait qu’il n’y avait pas d’identité exacte entre deux appels portés devant deux cours différentes, fût-ce à l’encontre du même jugement et de la même partie. La seconde tient au fait que, depuis quelque temps, la Cour de cassation prend soin d’approuver la possibilité pour les parties, exposées à la menace d’une irrecevabilité ou d’une caducité, de régulariser un acte affecté d’une irrégularité dès lors, bien sûr, qu’elles restent dans le délai pour ce faire. La réponse de la Cour de cassation est donc claire : « La circonstance que le désistement de l’appel porté devant la juridiction incompétente n’était pas intervenu au jour où l’appel a été formé devant la cour d’appel territorialement compétente ne fait pas obstacle à la régularisation de l’appel ».

L’avènement de l’article 911-1 du code de procédure civile, issu du décret du 6 mai 2017 (« La partie dont la déclaration d’appel a été frappée de caducité en application des articles 902, 905-1, 905-2 ou 908 ou dont l’appel a été déclaré irrecevable n’est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l’égard de la même partie »), n’y est certainement pas étranger et explique sans doute ce sens de l’anticipation dans une affaire qui concernait deux actes d’appel régularisés quelques mois avant l’entrée en vigueur de ce texte.

Car, si désormais l’appelant ne peut plus attendre la sanction, caractérisant son intérêt à agir, pour exercer un nouveau recours, la régularisation d’une erreur procédurale, dans le temps imparti, devrait toujours pouvoir être conduite. L’intérêt à agir naît, précisément, de la volonté de réparer une irrégularité procédurale. Comme l’illustre le contentieux des pratiques restrictives donnant compétence d’ordre public à la cour d’appel de Paris, différentes formations de la cour de Paris ont pu admettre ainsi la recevabilité d’un second appel formé devant elle alors qu’un premier appel – encourant l’irrecevabilité comme relatif par exemple à une rupture brutale des relations commerciales établies – avait été initialement relevé devant une cour incompétente, et souvent d’ailleurs sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, du droit d’accès au juge et à un procès équitable, comme du risque d’un déni de justice.

Cette prise de position de la deuxième chambre civile doit être saluée tant il est vrai que, si l’on suivait le raisonnement antérieur, aucune régularisation procédurale ne serait désormais possible : l’appelant n’aurait pas d’intérêt à agir en formant un second appel avant que la caducité ou l’irrecevabilité ne soit prononcée et, s’il décidait d’attendre le prononcé de la sanction afin de caractériser son intérêt à agir, il ne serait plus recevable à le faire par application de l’article 911-1 du code de procédure civile… Dit autrement, les parties n’auraient plus le droit à l’erreur, alors même qu’elles seraient encore dans le délai pour la régulariser.

C’est d’ailleurs le raisonnement adopté en matière de déchéance de pourvoi. Dans un arrêt destiné à la plus large publication rendu au visa de l’article 621 du code de procédure civile, la deuxième chambre civile vient en effet de juger que le second pourvoi est recevable lorsque l’ordonnance qui constate la déchéance du premier pourvoi est postérieure à la déclaration du second pourvoi (Civ. 2e, 27 juin 2019, n° 17-28.111, Dalloz actualité, 25 juill. 2019, obs. A. Bolze ; D. 2019. 1398 image ; JCP 2019. Actu. 726). Or il n’échappera pas que l’article 621 est le pendant de l’article 911-1 (« Si le pourvoi en cassation est rejeté, la partie qui l’a formé n’est plus recevable à en former un nouveau contre le même jugement, hors le cas prévu à l’article 618. Il en est de même lorsque la Cour de cassation constate son dessaisissement, déclare le pourvoi irrecevable ou prononce la déchéance »).

Enfin, la Cour de cassation prend la peine de rappeler qu’en l’espèce, le second appel avait été formé avant l’expiration du délai d’appel et précise « que la saisine d’une cour d’appel territorialement incompétente donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée avant que le juge statue, à condition que le délai d’appel n’ait pas expiré ». C’est une précision d’importance car, si la régularisation doit intervenir dans le délai de l’appel, c’est que la sanction d’une saisine d’une cour d’appel territorialement incompétente est l’irrecevabilité et non la nullité. On sait en effet que le régime de nullité et d’irrecevabilité diffère, autorisant un effet interruptif du délai de forclusion dans le premier cas, non dans le second. On sait moins que celui relatif à la saisine d’une juridiction incompétente reste en marge en dépit de vives contestations de la doctrine. Alors que l’exception de procédure d’incompétence soulevée en première instance autorise un renvoi de greffe à greffe, l’incompétence cette fois de la cour d’appel débouche sur une fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel, et ce bien qu’il s’agisse de dispositions communes à toutes les juridictions (livre 1er, ss-sect. 5 : dispositions communes). La sanction de la saisine d’une cour d’appel incompétente est non la nullité mais bien l’irrecevabilité (pour une illustration, v. Civ. 2e, 21 mars 2019, n° 17-10.663, Dalloz actualité, 8 avr. 2019, obs. R. Laffly). L’effet interruptif ne joue donc pas et c’est pourquoi la deuxième chambre civile prend soin de rappeler que, si régularisation il peut y avoir – c’est déjà cela d’acquis –, encore faut-il que celle-ci intervienne dans le délai d’appel.

Renouvellement d’une mesure d’hospitalisation forcée : point de départ du délai

Les mesures d’hospitalisation sans consentement sont sujettes à des contrôles procéduraux extrêmement importants de la part de la Cour de cassation. Le contentieux récurrent soumis à la haute juridiction concerne toutefois finalement assez peu le point de départ du renouvellement des mesures (v. toutefois dernièrement Civ. 1re, 5 juin 2020, n° 19-25.540, Dalloz actualité, 16 juin 2020, obs. C. Hélaine). Cet arrêt attire donc l’attention car il règle une difficulté originale. L’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique évoque les modalités de poursuite d’une hospitalisation complète sans consentement ou à la suite d’une décision d’irresponsabilité pénale. Pour ce faire, le juge des libertés et de la détention (JLD) doit être saisi par le directeur d’établissement ou par le représentant de l’État (en pratique, le préfet) dans un jeu de délais différents selon l’origine de la mesure. Dans cet arrêt du 8 juillet 2020, le JLD devait être saisi initialement quinze jours au moins avant l’expiration du délai de six mois à compter de la décision judiciaire ordonnant l’hospitalisation. Or l’hospitalisation n’a été effective que deux semaines après la décision judiciaire. Fallait-il alors prendre en compte la date de la décision ou celle de sa mise en œuvre ? Voici tout le nœud du problème présenté devant la première chambre civile.

Les faits ne présentent guère d’originalité. Une personne est reconnue irresponsable pénalement après avoir été poursuivie des chefs de tentative d’homicide volontaire sur ascendant et de menaces de mort réitérées. Sur le fondement des articles 722-1 du code pénal et 706-135 du code de procédure pénale, son admission en soins psychiatriques sans consentement a été décidée. La décision actant cette hospitalisation a été prise le 5 octobre 2018. L’intéressé a été accueilli dans la structure concernée le 23 octobre 2018. Par requête du 3 avril 2019, le préfet a saisi le JLD sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique afin de renouveler la mesure. Or l’hospitalisation complète d’un patient ne peut se poursuivre sans que le JLD statue sur cette mesure avant l’expiration d’un délai de six mois à compter soit de la décision judiciaire prononçant l’hospitalisation. Un rapide calcul donnait une expiration du délai de six mois pour le 5 avril 2019, et une saisine du JLD prévue au maximum deux semaines avant cette date soit le 22 mars 2019. Mais l’hospitalisation ayant été mise en œuvre le 23 octobre seulement, le préfet pensait pouvoir saisir le JLD en refaisant un calcul à partir de cette date-là. Le délai de six mois étant porté dans ce raisonnement au 23 avril 2019 et la saisine maximale du JLD quinze jours plus tôt au 8 avril 2019. Voici donc tout le hiatus. L’intéressé évoque cette difficulté pour tenter d’obtenir l’absence de renouvellement de la mesure. L’ordonnance du premier président de la cour d’appel retient que le JLD a bien été saisi quinze jours au moins avant l’expiration du délai de six mois. Pour ce faire, la cour d’appel retient que le délai a commencé à courir le 23 octobre 2018, date d’accueil de la personne dans l’établissement hospitalier et donc de l’application de la mesure par le préfet. Or la décision d’hospitalisation avait été rendue le 5 octobre 2018 et non le 23 avril. Ainsi, dix-huit jours de retard ont été reprochés par l’intéressé qui demande maintenant à la haute juridiction de casser cet arrêt. La Cour de cassation répond très simplement : c’est bien la date de la décision et non la date de sa mise en œuvre qui doit servir de point de départ pour savoir quand saisir le juge. Ainsi, la saisine étant trop tardive, la cassation pour violation de la loi intervient.

Que penser d’une telle solution ? Sa sévérité pourrait étonner car la mise en œuvre de la mesure n’était pas si éloignée de la décision. Le texte ne fait pourtant pas de différence entre la décision et sa mise en œuvre qui est censée être immédiate ; là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer. L’irresponsabilité pénale et l’hospitalisation qui y est attachée en l’espèce prennent effet immédiatement au jour de leur prononcé et une effectivité plus tardive n’a pas à jouer dans le comptage du délai afin de renouveler la mesure. En soi, l’argument qui consistait à retenir la mise en œuvre comme référentiel du point de départ était tout de même intéressant. Cette idée traduit une réalité qui imposerait peut-être de retoucher l’article concerné du Code de la santé publique visant à prendre en compte un retard éventuel de l’hospitalisation. Il ne faut pas oublier que ce type de mesures est pris dans une optique de protection de l’ordre public. L’absence de renouvellement pour une simple raison procédurale pourrait donc surprendre. C’est sous l’angle des droits fondamentaux que la solution se comprend. Les droits de la personne placée en hospitalisation complète priment une éventuelle défaillance dans le comptage humain du délai ; exactement comme l’arrêt que nous avions analysé dans ces colonnes en juin (Civ. 1re, 5 juin 2020, n° 19-25.540, préc.). Le couperet procédural peut paraître tout de même très dur dans cette situation. En pratique, elle doit inciter à la plus grande rigueur quant à la saisine du JLD. Nul retard, nul délai supplémentaire. En somme, le texte et rien que le texte. Les décisions sur l’hospitalisation sans consentement peinent toutefois à dégager une ligne directrice assez claire. Cet arrêt s’insère, certes, dans la dimension de protection des droits de la personne hospitalisée. Mais la Cour de cassation ne fait pas toujours primer ce versant ; par exemple en précisant que le JLD n’est jamais tenu de relever d’office un moyen pris de l’irrégularité de la procédure au regard des dispositions du code de la santé publique (Civ. 1re, 5 mars 2020, n° 19-23.287, Dalloz actualité, 7 avr. 2020, obs. C. Hélaine ; RTD civ. 2020. 351, obs. A.-M. Leroyer image). En somme, le délicat équilibre entre procédure civile et droits de la personne hospitalisée nécessite encore que la Cour de cassation précise pas à pas ce régime original retouché régulièrement depuis 2011.

Mesures d’instruction [I]in futurum[/I] : impossibilité d’ordonner une nouvelle expertise en référé

Largement diffusée, cette décision du 2 juillet 2020 éclaire utilement les dispositions souvent jugées « elliptiques » (RTD civ. 1995. 429, obs. J. Normand image) de l’article 145 du code de procédure civile, un texte qui donne à tout intéressé la possibilité de se constituer un élément de preuve dans l’optique d’un futur procès potentiel (v., sur la nécessité d’une théorie générale de la mesure d’instruction préventive pour pallier les silences de l’article 145, RTD civ. 2008. 724, obs. R. Perrot image).

Dans cette affaire, il s’agissait d’une action intentée à la suite d’un accident de la circulation subi par une victime dont la particularité était d’être un virtuose du trombone d’un grand Opéra français. Par ordonnance, le juge des référés d’un tribunal de grande instance a ordonné une mesure d’expertise médicale et a condamné in solidum un conducteur et son assureur à payer au demandeur une certaine somme à titre de provision. Contestant ce rapport sur certains points relatifs notamment à l’incidence professionnelle de l’accident, le demandeur a saisi le juge des référés d’un tribunal de grande instance afin de voir ordonner une nouvelle mesure d’expertise médicale judiciaire. Le juge des référés a dit n’y avoir lieu à référé et a débouté le demandeur de ses demandes. Ce dernier a alors interjeté appel de cette ordonnance. Pour ordonner cette nouvelle expertise médicale, le juge d’appel a retenu que les conclusions du premier rapport apparaissaient insuffisantes au regard des spécificités de la profession du demandeur et de l’incidence professionnelle qui pouvait découler de ses séquelles. L’activité professionnelle de la victime nécessitait des gestes techniques très spécifiques, mobilisant son épaule avec un port de charge d’environ 6 kg plusieurs heures par jour. La juridiction avait ajouté qu’un médecin, a priori non doté de capacités techniques musicales particulières, ne saurait évaluer seul la spécificité de cette situation à sa juste mesure, de sorte que la mesure d’expertise ordonnée ne saurait s’analyser en une contre-expertise.

Sur pourvoi du responsable, l’arrêt est cassé au visa de l’article 145 précité. La Cour de cassation souligne qu’il résulte de ce texte que la demande de désignation d’un nouvel expert, motivée par l’insuffisance des diligences accomplies par l’expert précédemment commis en référé, relève de la seule appréciation du juge du fond. Partant, le juge des référés qui ordonne une nouvelle expertise dans de telles circonstances méconnaît les pouvoirs qu’il tient de ce texte.

Cet arrêt ne rappelle pas que le juge des référés apprécie souverainement la nécessité d’ordonner une expertise in futurum. Il énonce que la liberté dont il dispose d’ordonner une telle mesure n’est pas sans borne. Lorsqu’il a ordonné une première expertise, ses pouvoirs sont limités. La jurisprudence estime classiquement qu’il ne peut remettre en cause les conclusions de l’expert qu’il a désigné en ordonnant une contre-expertise. Une telle demande serait irrecevable (Civ. 2e, 15 juin 1994, n° 92-18.186 P, RTD civ. 1995. 429, obs. J. Normand image). La Cour de cassation estime également que ce juge ne saurait ordonner une nouvelle mesure d’instruction lorsque la demande est fondée sur des irrégularités ou des insuffisances de la première expertise. Cette solution est techniquement justifiée par l’étendue des pouvoirs de ce juge lorsqu’il intervient sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. En ordonnant une première expertise, le juge des référés épuise sa saisine (Civ. 2e, 24 juin 1998, n° 97-10.638 P, D. 1998. IR 223 image ; D. affaires 1998. 1398, obs. S.P. ; v. aussi Civ. 2e, 6 juin 2013, n° 12-21.683, Procédures 2013. Comm. 235, obs. R. Perrot) en ce sens que, par hypothèse, lorsqu’il a répondu positivement à une demande fondée sur l’article 145, il ne reste plus aucune demande pendante devant lui. Pour le dire autrement, après avoir fait droit à la demande, « il n’y a plus rien à juger » (J. Normand, art. préc.). Il ne lui appartient donc pas de remettre en cause les conclusions de l’expert qu’il a précédemment désigné en ordonnant une nouvelle mesure car, en pareil cas, il méconnaîtrait les pouvoirs qu’il tient de ce texte. Il faut donc distinguer ce qui relève d’un complément d’expertise destiné à parfaire la première mesure – ce qui est possible (v., pour un cas d’extension de la mission de l’expert, Com. 22 sept. 2016, n° 15-14.449) – et ce qui relève d’une correction de celle-ci qui apparaîtrait lacunaire ou insuffisante – ce qui n’est pas possible. En somme, toute demande de nouvelle mesure d’instruction motivée par l’insuffisance des diligences du technicien commis ne peut relever que de l’appréciation du juge saisi au fond et non du juge des référés (Civ. 2e, 22 févr. 2007, n° 06-16.085).

La solution adoptée permet d’éviter le renouvellement d’un contentieux probatoire fondé sur les dispositions de l’article 145. Le juge des référés peut faire droit à une demande d’expertise mais il ne saurait multiplier les mesures dans le but de pallier les lacunes des précédentes. Ni les contestations qui s’élèvent sur la régularité de la mesure ni celles qui auraient trait à la qualité de la prestation fournie ne permettent d’étendre les pouvoirs du juge des référés. Il dispose seulement, durant l’exécution de la mesure initiale, des pouvoirs que lui reconnaît l’article 245 du code de procédure civile, en vertu duquel il peut demander au technicien de compléter ou expliciter son travail.

Affaire [I]Volkswagen[/I] sur la fraude aux gaz d’échappement : compétence dans l’Union

L’affaire examinée par la Cour de justice le 9 juillet 2020 constitue la conséquence, sous l’angle du droit international privé, de la découverte de la pratique mise en oeuvre par le constructeur Volkswagen pour manipuler, par l’intermédiaire d’un logiciel placés dans les véhicules, les données relatives aux rejets des gaz d’échappement.

Une association de consommateurs située en Autriche ayant agi en responsabilité contre ce constructeur, la question de la compétence du juge dans l’Union européenne s’est posée.

En substance, il s’agissait de déterminer si les consommateurs installés en Autriche pouvaient saisir un juge autrichien en faisant valoir qu’ils ont subi un préjudice dans cet État.

On sait qu’en application de l’article 7, point 2, du règlement Bruxelles II bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. Cette notion vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou de l’autre de ces deux lieux (par ex., CJUE 29 juill. 2019, Tibor-Trans, aff. C-451/18, pt 25, D. 2019. 1656 image ; ibid. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; Rev. crit. DIP 2020. 129, note L. Idot image ; RTD eur. 2019. 907, obs. L. Idot image).

Au regard de ces principes, l’arrêt du 9 juillet 2020 retient que le lieu de l’événement causal se trouve dans l’État membre sur le territoire duquel les véhicules automobiles en cause ont été équipés d’un logiciel manipulant les données relatives aux rejets des gaz d’échappement, à savoir en Allemagne (arrêt, pt 24).

Il se penche par ailleurs de manière approfondie sur la détermination du lieu de matérialisation du dommage, qui s’est manifesté postérieurement à l’achat des véhicules en Autriche. Il rappelle (arrêt, pt 26) qu’il est de jurisprudence constante que la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit » ne saurait être interprétée de façon extensive au point d’englober tout lieu où peuvent être ressenties les conséquences préjudiciables d’un fait ayant déjà causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu ; et qu’elle ne saurait être interprétée comme incluant le lieu où la victime prétend avoir subi un préjudice patrimonial consécutif à un dommage initial survenu et subi par elle dans un autre État (CJCE 19 sept. 1995, Marinari, aff. C-364/93, pts 14 et 15 ; CJUE 29 juill. 2019, préc., pt 28).

La Cour de justice prend toutefois soin de qualifier précisément les circonstances d’espèce en retenant que :

le dommage allégué consiste en une moins-value des véhicules, résultant de la différence entre le prix que l’acquéreur a payé pour un tel véhicule et la valeur réelle de celui-ci en raison de l’installation d’un logiciel manipulant les données relatives aux rejets des gaz d’échappement ; même si les véhicules étaient affectés d’un vice dès l’installation de ce logiciel, le dommage invoqué ne s’est matérialisé qu’au moment de l’achat, en raison de l’acquisition du véhicule à un prix supérieur à sa valeur réelle ; ce préjudice ne constitue pas un préjudice purement patrimonial, bien qu’il vise à obtenir une compensation de la réduction de la valeur du véhicule. Il ne s’agit pas en effet, comme dans des affaires déjà jugées, d’une diminution du montant d’avoirs financiers suite à des investissements financiers sans aucun lien avec des biens matériels (par ex., CJUE 28 janv. 2015, Kolassa, aff. C-375/13, D. 2015. 770 image, note L. d’Avout image ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; Rev. crit. DIP 2015. 921, note O. Boskovic image ; RTD eur. 2015. 374, obs. E. Guinchard image ; 12 sept. 2018, Löber, aff. C-304/17, D. 2018. 1761 image ; ibid. 2019. 1016, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; Rev. crit. DIP 2019. 135, note H. Muir Watt image ; RTD com. 2019. 255, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast image). La demande de dommages et intérêts trouve en effet son origine dans un vice affectant un véhicule, qui est un bien matériel. « Ainsi, plutôt que d’un préjudice purement patrimonial, il s’agit en l’occurrence d’un dommage matériel résultant en une perte de valeur de chaque véhicule concerné et découlant du fait que, avec la révélation de l’installation du logiciel manipulant les données relatives aux rejets des gaz d’échappement, le paiement effectué pour l’acquisition d’un tel véhicule a pour contrepartie un véhicule affecté d’un vice et, partant, ayant une valeur moindre » ; par ailleurs, il faut considérer que le préjudice, qui n’existait pas avant l’achat du véhicule par l’acquéreur final s’estimant lésé, constitue un dommage initial et n’est donc pas une conséquence indirecte du préjudice éprouvé initialement par d’autres personnes au sens de la jurisprudence précédemment rappelée.

Au regard de ces différents éléments, la Cour de justice retient le principe énoncé en tête de ces observations. Ce principe peut être approuvé, en particulier du point de vue de l’opportunité. L’effectivité du recours des consommateurs imposait que le recours soit ouvert dans l’État dans lequel le véhicule a été acheté et qui est, dans la plupart des cas, l’État du lieu du domicile des consommateurs. Par ailleurs, l’importance de la fraude commise par le constructeur automobile concerné pendant plusieurs années, dans le monde entier et sur de nombreux modèles de véhicules, imposait sans doute que la sanction ne soit pas seulement d’ordre pénal mais prenne également place sur le plan civil, par le biais d’actions en responsabilité pouvant réellement être engagées malgré les difficultés liées à la mise en oeuvre des règles du droit international privé. La solution consacrée par la Cour de justice aura à l’évidence un effet dissuasif pour tout constructeur automobile qui envisagerait d’adopter un comportement frauduleux en matière de normes environnementales.

Fait d’un animal : conditions du transfert de la garde

L’article 1243 du code civil dispose que « le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé ; soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé ». « Ce texte, d’une importance capitale en 1804, n’a plus qu’un rôle secondaire, par suite de la diminution des tâches confiées aux animaux dans la vie économique, et surtout de “l’invention” de l’article 1242, alinéa 1er, in fine » (J. Julien, Responsabilité spéciale du fait des animaux, in P. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2018-2018, n° 2222.12).

La responsabilité du fait des animaux et la responsabilité du fait des bâtiments en ruine sont les premières responsabilités du fait des choses consacrées par le code civil de 1804. La responsabilité dite générale du fait des choses découverte dans l’ancien article 1384, alinéa 1er, par le juge leur est postérieure (Civ. 16 juin 1896, Teffaine). Au départ pour faute, la responsabilité du fait des animaux est désormais de plein droit (jand’heur). Son particularisme est aujourd’hui « très relatif » (P. Brun, Responsabilité extracontractuelle, 5e éd., Lexisnexis, 2018, n° 401, p. 272) puisqu’elle n’est plus qu’une application particulière de l’article 1242, alinéa 1er. Ce qui explique d’ailleurs que le projet de réforme de la responsabilité civile rendu public le 13 mars 2017 ne la maintienne pas dans le code civil.

Variante de la responsabilité générale du fait des choses, pour être engagée, cette responsabilité requiert la présence du triptyque classique : un gardien, une chose, et rôle actif (sur cette responsabilité, v. J.-P. Marguénaud, L’animal en droit privé, Puf, 1992 ; S. Antoine, Le droit et l’animal : évolutions et perspectives, D. 1996. 126 image ; J.-P. Marguénaud, La personnalité juridique des animaux, D. 1998. 205 image).

Si parfois, la condition du rôle actif est discutée (v. Civ. 2e, 17 janv. 2019, n° 17-28.861, Dalloz actualité, 17 févr. 2019, obs. A. Hacene ; D. 2019. 126 image ; ibid. 2020. 40, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; JS 2019, n° 195, p. 8, obs. F. Lagarde image ; RTD civ. 2019. 351, obs. P. Jourdain image) en l’espèce, le litige porte sur celle de la garde.

Au cours d’une manade consistant en un lâcher de taureaux entourés de cavaliers, un des chevaux s’est emballé, blessant un spectateur. La victime assigne en réparation de ses préjudices le propriétaire du cheval, l’association organisatrice et le manadier qui supervisait le défilé.

La cour d’appel de Nîmes condamne in solidum l’association et le manadier. Elle considère que ce dernier, sans être le propriétaire du cheval, en était devenu le gardien par le biais d’un transfert de garde découlant des instructions et directives qu’il donnait au cavalier. Sans revêtir la qualité de commettant des cavaliers, le manadier les sélectionne ainsi que les chevaux, leur assigne une place dans l’escorte et établit le parcours de l’abrivado. C’est ce pouvoir qui entraînerait le transfert de la garde des chevaux montés par ces cavaliers à la charge du manadier et en ferait un responsable de plein droit sur le fondement de l’ancien article 1385 devenu article 1243.

Contestant la décision d’appel et la reconnaissance de sa responsabilité, le manadier s’est pourvu en cassation, remettant en cause ce transfert de garde. Il affirme qu’il n’aurait pu s’opérer que s’il avait reçu les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle de l’animal – pouvoirs caractérisant la notion de garde – mais pas dans le cas où ce pouvoir se limite à donner de simples directives au cavalier, lequel conserve seul la maîtrise de sa monture. Selon lui, malgré les instructions données au cavalier, ce dernier reste le gardien de l’animal.

Saisie du pourvoi, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation était amenée à s’interroger sur la détermination du gardien du cheval à l’origine du dommage entre le propriétaire de l’animal et le manadier qui supervisait l’organisation animalière de la manifestation. Concrètement, elle devait se prononcer sur les conditions du transfert de la garde d’un animal à l’origine d’un dommage entre le propriétaire présumé gardien et un tiers.

La Haute juridiction censure l’arrêt confirmatif rendu par la cour d’appel de Nîmes au visa de l’ancien article 1385, devenu 1243 d’une part, en rappelant que la garde est le critère de détermination du responsable du fait d’un animal et, d’autre part, en reconnaissance l’absence de  de transfert de celle-ci.

La garde, critère de détermination du responsable du fait d’un animal

La deuxième chambre civile rappelle que la responsabilité édictée par l’article 1243 du code civil s’applique au propriétaire d’un animal ou à celui qui s’en sert et qu’elle est fondée sur l’obligation de garde corrélative aux pouvoirs de direction, de contrôle et d’usage qui la caractérisent (Civ. 2e, 5 mars 1953, D. 1953. 473, note R. Savatier ; 17 mars 1965, JCP 1965. 656, obs. R. Rodière). En somme, elle ne fait que confirmer que le responsable du fait d’un animal est celui qui, au moment de la survenance du dommage, en est le gardien y compris lorsqu’il n’en est pas le propriétaire (Civ. 2e, 8 juill. 1970, D. 1970. 704 ; 20 nov. 1970, Gaz. Pal. 1971. 1. 179).

La garde d’un animal obéit à la même définition que celle d’une chose au sens de l’article 1242, alinéa 1er, du code civil. Pour déterminer le gardien, il convient de vérifier qui a l’usage de la chose ou de l’animal, son contrôle et sa direction (Cass., ch. réun., 2 déc. 1941, Franck, GAJC, 11e éd., n° 94). La Cour de cassation a fait le choix de consacrer une conception matérielle et non juridique de la notion de garde, conception qui invite à rechercher quelle personne exerce un pouvoir effectif sur l’instrument du dommage et a, de ce fait, la possibilité d’éviter qu’il se produise. Autrement dit, est gardien de l’animal celui qui en a la maîtrise et le commandement au moment de la réalisation du dommage.

La condition de garde revêt une importance particulière précisément parce qu’elle permet de désigner le responsable du fait d’une chose et de le lui imputer. Pour identifier le débiteur de la dette de réparation sur le fondement de l’article 1243, il convient de déterminer la personne qui détient ce pouvoir de garde. Si la définition matérielle de la garde est acquise de longue date et ne soulève guère de difficultés, son éventuelle scission est à l’origine d’un important contentieux. La garde d’une chose ou d’un animal n’est pas figée dans le temps. Il arrive que celui qui est gardien à un instant « t » ne le soit plus à un autre moment en raison d’un transfert de garde, volontaire (prêt ou dépôt) ou non (vol). Et c’est à cette épineuse question que la Cour de cassation est confrontée dans l’arrêt du 16 juillet 2020.

L’absence du transfert de la garde du propriétaire de l’animal à un tiers

Parce que souvent les deux coïncident, le propriétaire de l’animal est présumé en être le gardien. Cette présomption découle directement de la lettre de l’article 1243, lequel désigne comme responsable en premier lieu le propriétaire (v. pour un rappel, Civ. 2e, 15 févr. 2007, n° 05-21.287, inédit). Toutefois, ce dernier n’est pas responsable lorsque l’animal se trouve sous la garde d’une autre personne (Civ. 2e, 5 mars 1953, D. 1953. 473, note R. Savatier). Il peut renverser cette présomption simple par la preuve d’un transfert de garde. Puisque le gardien est la personne qui détient un pouvoir concret et effectif sur l’animal au moment de la survenance du dommage, pouvoir qui s’acquiert principalement par l’usage de la chose, le propriétaire n’est pas toujours le gardien.

Il arrive cependant, par dérogation, que la présomption de garde perdure même si le propriétaire n’est pas celui qui a l’usage de la chose instrument du dommage. Il en va notamment ainsi lorsque le propriétaire se sert de son animal par le biais de ses préposés. La Cour de cassation considère, depuis longtemps et avec constance, que les qualités de préposé et de gardien sont incompatibles (Civ., 27 févr. 1929, DP 1929. I. 129 ; 30 déc. 1936, DP 1937. I. 5, rapp. L. Josserand, note R. Savatier ; S. 1937. I. 137, note H. Mazeaud ; 23 nov. 1972, n° 71-12.368 ; Civ. 2e, 15 mars 2001, RCA 2001. Comm. 183, obs. H. Groutel ; v. M.-A Péano, L’incompatibilité entre les qualités de gardien et de préposé, D. 1991. 51 image). Sauf abus de fonction du préposé, lorsque ce dernier utilise un animal qui cause un dommage, le commettant engage sa responsabilité sur le fondement de les articles 1242, alinéa 1er ou 1243 (Civ. 2e, 26 oct. 2000, n° 98-19.387, Bull. civ. II, n° 145 ; 20 juin 2002, n° 00-17.081, Bull. civ. II, n° 143). Dans cette situation, c’est le commettant qui est gardien, donc responsable sur le fondement de l’article 1243 du code civil.

En agissant pour le compte de son commettant le préposé ne pourrait pas exercer de pouvoir autonome et indépendant sur la chose ou l’animal. Le juge judiciaire estime que sans pouvoir de direction, lequel reste entre les mains du commettant, le préposé n’est que le détenteur matériel de la chose ou de l’animal qu’il manipule. Faut-il pour autant en conclure que les trois conditions de la garde ne sont pas cumulatives ? certainement pas. Cette incohérence s’explique en raison de la particularité de la responsabilité du commettant du fait de son préposé et le refus du cumul des responsabilités du fait d’autrui (art. 1242, al. 5) et du fait des choses (art. 1242, al. 1er) ou d’un animal (art. 1243). Les trois pouvoirs qui constituent la garde matérielle ne peuvent pas être réunis sur la tête du préposé, ni sur celle du commettant. Pour ne pas laisser la victime sans responsable et sans indemnisation, le juge retient la responsabilité du commettant par le biais d’une conception juridique de la garde.

Du fait de la dangerosité de l’utilisation des animaux et du risque encouru par le public dans le cadre de manades, férias et autres manifestations équestres, le manadier, en tant qu’organisateur du défilé des animaux, est considéré responsable des dommages qui en résultent. Il a été reconnu qu’en matière d’abrivados et de bandidos, le manadier propriétaire des animaux conserve leur garde, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses préposés (Nîmes, 10 mars 1980, D. 1981. IR 482, obs. F. Alaphilippe et J.-P. Karaquillo ; TGI Tarascon, 2 oct. 1980, D. 1981. IR 482, obs. F. Alaphilippe et J.-P. Karaquillo ; Montpellier, 8 nov. 2016, n° 14/09585). Dans cette hypothèse, la responsabilité du manadier se justifie d’une part parce qu’il est propriétaire des animaux utilisés au cours de la manade – donc présumé gardien –, d’autre part, parce qu’il revêt la qualité de commettant et que ce sont ses préposés qui en ont l’usage. L’engagement de sa responsabilité en qualité de gardien n’a rien de surprenant.

Or, en l’espèce, le manadier n’est ni le propriétaire du cheval à l’origine de l’accident, ni le commettant du cavalier qui le montait. On comprend donc que sa responsabilité puisse être exclue sans qu’il faille pour autant conclure à l’abandon de la règle précédemment évoquée, laquelle n’est pas transposable à l’espèce. À situation différente, solution différente.

Pour justifier l’absence de responsabilité du manadier, la deuxième chambre civile relève dans un premier temps que le cavalier n’était pas le préposé du manadier et que le seul pouvoir dont ce dernier disposait est un pouvoir d’instruction qui ne suffit pas à entraîner un transfert de garde. Le fait que le manadier ne soit pas commettant ne lui confère pas un pouvoir d’instruction assez fort pour que la garde ait pu être transférée. Elle relève, dans un second temps, que le cavalier est à la fois le propriétaire du cheval et celui qui s’en sert. Il revêt deux qualités – propriétaire et usager – qui permettent de déterminer le responsable sur le fondement de l’article 1243 du code civil. Le cumul de ces deux qualités lui confère, au moins, l’usage et le contrôle de l’animal. En tant que propriétaire du cheval, il est présumé en être le gardien et puisqu’il n’est pas préposé, rien ne s’oppose à ce qu’il le soit véritablement. D’ailleurs, il a été reconnu que le cavalier, même s’il n’était pas propriétaire du cheval qu’il monte, en était le gardien (Aix-en-Provence, 3 oct. 2006, JurisData n° 330204 ; Rouen, 16 nov. 2017, n° 16/03376).

La Cour de cassation n’avait pas encore eu l’occasion de se prononcer sur des faits identiques. La plupart des décisions rendues à propos de manades et de férias émanent de juridictions du fond et concernent des situations dans lesquelles le manadier a la qualité de propriétaire des animaux et/ou celle de commettant. On sait désormais que lorsqu’il se contente de donner certaines directives, et qu’il n’est ni propriétaire ni commettant, le manadier ne dispose pas d’un pouvoir effectif sur l’animal instrument du dommage. En revanche, le cavalier, propriétaire du cheval qu’il monte, en a la garde juridique et matérielle. Parce qu’il est le plus à même d’éviter l’emballement de son cheval, ce qui n’est toutefois pas chose aisée, ce dernier est responsable des dommages qu’il cause sur le fondement de l’article 1243. 

Règlement du 20 décembre 2010 sur la loi applicable au divorce : notion de loi qui ne prévoit pas le divorce

Le règlement n° 1259/2010 du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps prévoit, par son article 5, que les époux peuvent convenir de désigner la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, pour autant qu’il s’agisse de l’une des lois suivantes : la loi de l’État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention; ou la loi de l’État de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l’un d’eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention ; ou la loi de l’État de la nationalité de l’un des époux au moment de la conclusion de la convention; ou la loi du for.

Par son article 8, il précise qu’à défaut de choix conformément à l’article 5, le divorce et la séparation de corps sont soumis à la loi de l’État : de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction; ou, à défaut, de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux réside encore dans cet État au moment de la saisine de la juridiction; ou, à défaut, de la nationalité des deux époux au moment de la saisine de la juridiction; ou, à défaut, dont la juridiction est saisie.

L’article 10 ajoute, notamment, que lorsque la loi applicable en vertu des articles 5 ou 8 ne prévoit pas le divorce, la loi du for s’applique.

Ce sont précisément sur ces dispositions que la Cour de justice de...

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Règlement Bruxelles I [I]bis[/i] : à propos de la notion de « matière civile et commerciale »

En Belgique, la Direction générale de l’inspection économique, qui a notamment pour mission d’assurer le maintien de la loyauté de la concurrence, a agi devant le tribunal de commerce d’Anvers à l’encontre de plusieurs sociétés établies dans d’autres Etats membres, en faisant valoir qu’elles avaient des pratiques commerciales déloyales. Il leur était reproché de revendre à des consommateurs résidant en Belgique, par le biais de sites Internet, des billets d’accès à des événements à un prix supérieur au prix initial, en contravention avec les dispositions d’une loi belge.

Cette action devant le juge belge souleva toutefois un problème de compétence au regard des dispositions du Règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Il s’agissait, dans un premier temps, de déterminer si ce texte avait vocation à s’appliquer en l’espèce, alors qu’il vise la « matière civile et commerciale » (art. 1, § 1). Les sociétés concernées faisaient en effet valoir que la Direction générale de l’inspection économique avait agit dans l’exercice de la puissance publique.

La Cour de Justice est périodiquement saisie de cette notion de matière civile et commerciale. Elle rappelle régulièrement qu’il s’agit d’une notion dite autonome qu’il faut interpréter en se référant, d’une part, aux objectifs et au système du règlement ainsi que, d’autre part, aux principes généraux qui se dégagent de l’ensemble des ordres juridiques nationaux (par ex., CJUE 7 mai 2020, Rina, aff. C-641/18, pt 30, Dalloz actualité, 28 mai 2020, obs. F. Mélin). Elle a également énoncé que, si certains litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé peuvent relever du champ d’application du règlement n° 1215/2012, il en est autrement lorsque cette autorité agit...

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Avances exceptionnelles sur l’aide juridictionnelle: prolongation du dispositif

par Laurent Dargentle 4 septembre 2020

Décr. n° 2020-1001, 7 août 2020, JO 8 août

Le décret ouvre un nouveau délai de dépôt de la demande d’avance exceptionnelle fixée par le décret du 29 mai 2020. Celle-ci peut être déposée à compter du 8 août et jusqu’au...

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