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Compétence dans l’Union et article 145 du code de procédure civile

L’article 145 du code de procédure civile dispose que, « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

L’article 35 du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose quant à lui que « les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond ». L’examen de la portée de l’article 35 en droit de l’Union a donné lieu à des études approfondies (M. Nioche, La décision provisoire en droit international privé européen, Bruylant, 2012 ; J.-F. Van Drooghenbroeck et C. De Boe, « Les mesures provisoires et conservatoires dans le règlement Bruxelles I bis », in E. Guinchard [dir.], Le nouveau règlement Bruxelles I bis, Bruylant, 2014, p. 167 ; D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, PUF, t. 1, 2017, nos 150 s. ; G. Payan [dir.], Espace judiciaire européen, Bruylant, 2020, p. 543 s.).

Du point de vue français, on peut se demander si les mesures envisageables en application de l’article 145 peuvent être qualifiées par principe de mesures provisoires ou conservatoires au sens de l’article 35. Il s’agit d’une difficulté récurrente, qui a retenu l’attention de la doctrine (par ex. H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd., LGDJ, 2018, nos 327 s. ; G. Cuniberti, L’expertise judiciaire en droit judiciaire européen, Rev. crit. DIP 2015. 519 image, spéc. nos 14 s.).

Il faut en effet souligner que les « mesures provisoires ou conservatoires » de l’article 35 constituent une notion autonome du droit européen, qui ne doit pas être interprétée au regard des conceptions du droit français et il appartient à la Cour de justice de l’Union européenne d’en déterminer les contours. Or la Cour de justice a développé une approche restrictive de cette notion. Par un arrêt du 26 mars 1992, elle a ainsi retenu qu’il y a lieu d’entendre par « mesures provisoires ou conservatoires » les mesures qui, dans les matières relevant du champ d’application du règlement, sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond (CJCE 26 mars 1992, aff. C-261/90, Reichert [Cts] c. Dresdner Bank AG, pt 34, D. 1992. 131 image ; Rev. crit. DIP 1992. 714, note B. Ancel image ; JDI 1993. 461, obs. A. Huet). La Cour de justice a par la suite, le 28 avril 2005, fourni une illustration de cette approche, en jugeant que ne relève pas de la notion de « mesures provisoires ou conservatoires » une mesure ordonnant l’audition d’un témoin dans le but de permettre au demandeur d’évaluer l’opportunité d’une action éventuelle, de déterminer le fondement d’une telle action et d’apprécier la pertinence des moyens pouvant être invoqués dans ce cadre (CJCE 28 avr. 2005, aff. C-104/03, St Paul Dairy Industries NV c. Unibel Exser BVBA, D. 2005. 1376 image ; ibid. 2006. 1495, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke image ; Rev. crit. DIP 2005. 742, note E. Pataut image ; ibid. 2007. 53, étude A. Nuyts image).

Pourtant, la Cour de cassation a paru s’abstraire de la perspective restrictive développée par la Cour de justice. Par un arrêt du 14 mars 2018, elle a ainsi retenu que la cour d’appel avait déduit à bon droit de l’article 35 du règlement, « sans avoir à déterminer la juridiction compétente pour connaître du fond, […] que la juridiction française était compétente pour ordonner, avant tout procès, une mesure d’expertise devant être exécutée en France et destinée à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige » (Civ. 1re, 14 mars 2018, n° 16-19.731, Dalloz actualité, 6 avr. 2018, obs. F. Mélin ; D. 2018. 623 image ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; ibid. 1016, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; Rev. sociétés 2018. 526, note M. Menjucq image ; Rev. crit. DIP 2019. 186, note G. Cuniberti image ; JDI 2018. Comm. 15, note H. Gaudemet-Tallon ; JCP 2018. 702, note F. Mailhé ; LPA 8 juin 2018, note P. Feng et H. Meur). Cet arrêt du 14 mars 2018 ne s’est pas en effet explicitement référé aux conditions, évoquées par la Cour de justice le 26 mars 1992, concernant la finalité de la mesure, de sorte que l’on a pu croire que pour la Cour de cassation, les mesures de l’article 145 s’insèrent par principe dans le régime de l’article 35.

L’arrêt du 27 janvier 2021 montre que cette interprétation était excessive, dans une affaire dans laquelle un contrat avait été conclu par une société française et une société allemande et prévoyait une clause attributive de compétence au juge allemand. La société allemande avait, par la suite, saisi un président de tribunal de commerce en France aux fins de procéder à des investigations informatiques et à la récupération de données. La cour d’appel avait refusé d’ordonner les mesures sollicitées au motif qu’elles avaient, selon elle, pour but de préparer un procès au fond et avaient donc un caractère probatoire et non pas provisoire ou conservatoire. La décision d’appel est toutefois cassée, faute pour les juges du fond d’avoir recherché si les mesures « n’avaient pas pour objet de prémunir la société [allemande] contre un risque de dépérissement d’éléments de preuve dont la conservation pouvait commander la solution du litige ».

L’arrêt du 27 janvier 2021 renoue ainsi avec une approche plus classique que celle retenue le 14 mars 2018, en imposant de confronter les mesures sollicitées au titre de l’article 145 du code de procédure civile aux critères dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne à propos de l’article 35 du règlement.

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