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Feu la « signification faite au parquet » des actes destinés à des personnes résidant à l’étranger

Lorsqu’elle est accomplie à destination d’une personne résidant à l’étranger, la notification faite sur support papier est bien souvent plus longue et périlleuse que la notification faite à une personne résidant en France. Cela est particulièrement vrai lorsque la notification s’opère en vertu du droit commun des notifications internationales prévu par le code de procédure civile (dont il faut distinguer les notifications soumises à des conventions internationales et celles soumises au droit de l’Union européenne) : alors, l’acte est remis au parquet puis chemine via différents acteurs jusqu’à parvenir idéalement à son destinataire (pour une identification précise de ces acteurs, v. la version consolidée de la circulaire CIV/20/05 du 1er févr. 2006, p. 6 s.). Dès lors, de quel moment précis dater la notification, spécialement afin de faire courir certains délais à l’encontre du destinataire de l’acte ? Faut-il prendre en compte la remise de l’acte au parquet, première étape du processus qu’est la notification internationale de droit commun ? Faut-il au contraire s’attacher à la remise de l’acte au destinataire, qui peut constituer la dernière étape de ce processus ? Ou bien encore une étape intermédiaire doit-elle être retenue ? Schématiquement, plus la date sélectionnée se rapprochera de celle à laquelle le destinataire a effectivement eu connaissance de l’acte, plus ce dernier sera protégé ; plus elle s’en éloignera, plus les intérêts de celui qui fait procéder à la notification seront préservés.

Longtemps, la solution la plus sévère à l’égard du destinataire de l’acte a été retenue. Ainsi, sous l’empire de l’ancien code de procédure civile, la date de la remise de l’acte au parquet par l’huissier de justice était prise en compte, qui était parfois éloignée de plusieurs années de la réception de l’acte par son destinataire : « injustice, extravagance, absurdité, seule la courtoisie retenait les auteurs d’exprimer en termes plus véhéments la réprobation que suscitait l’application de l’article 69, 10°, du code de procédure civile » (J  Normand, La délivrance des actes à l’étranger et les délais de distance dans le décret n° 65-1006 du 26 nov. 1965, RCDIP 1966. 387 s., spéc. p. 388). En dépit de ces critiques virulentes, durant une longue période, la solution fut maintenue sous l’empire du nouveau code de procédure, en application de son article 684. Précisément, dans l’affaire soumise à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 30 janvier 2020, elle fut appliquée par les juges de fond.

En l’espèce, une société était assignée devant le tribunal de grande instance de Nanterre en contrefaçon de droit d’auteur et concurrence déloyale. Triomphant en première instance, le défendeur prit l’initiative de notifier le jugement rendu aux deux sociétés ayant succombé. Le siège de l’une d’elles se situant à l’étranger (à Taïwan, pays avec lequel la France n’est pas liée par une convention relative à la notification), l’acte fut remis au parquet le 21 septembre 2016, en vue de sa notification, en application de l’article 684 du code de procédure civile. Ayant eu connaissance de la décision à une date dont on ignore tout à la lecture de l’arrêt, son destinataire interjeta appel plusieurs mois après la remise de l’acte au parquet, le 20 juin 2017. Le 27 décembre de la même année, un appel provoqué fut formé par la seconde société succombante. Trop tardivement, pour le conseiller de la mise en état : le 22 février 2018, il les déclara irrecevables en leurs appels. Un déféré fut formé contre cette ordonnance ; il fut rejeté par la cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 26 juin 2018. Or, ce rejet est fondé sur la date de la notification à prendre en compte, pour ce qui concerne le destinataire de l’acte résidant à l’étranger. Pour la cour d’appel, la date qui devait être prise en compte était celle de la signification régulièrement faite au parquet et non celle de la remise à l’intéressé d’une copie de l’acte par les autorités étrangères, si bien que le délai d’appel devait être considéré comme écoulé au jour où l’appel principal a été effectivement interjeté. La Cour de cassation désapprouve nettement les juges du fond : au visa de l’article 684 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 alors applicable aux faits de l’espèce, elle casse l’arrêt d’appel pour violation de la loi car, « en application de ce texte, la date à laquelle est effectuée la remise à parquet de la décision à notifier ne constitue pas le point de départ du délai pour interjeter appel de cette décision ».

En vérité, cette solution n’est pas tout à fait surprenante. Elle s’inscrit dans le prolongement des changements initiés par le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 relatif à la procédure civile, à certaines procédures d’exécution et à la procédure de changement de nom. En vertu de ce décret, d’une part, l’expression de signification « faite au parquet » a été supprimée de l’article 684 du code de procédure civile, laissant entendre qu’il n’était plus question de considérer que, fictivement, la notification se terminait et devait prendre date lors de la remise de l’acte au parquet ; d’autre part, ce même texte a créé un article 647-1 dans le même code précisant que la date de notification d’un acte judiciaire à l’étranger est « à l’égard de celui qui y procède, la date d’expédition de l’acte par l’huissier de justice ou le greffe, ou, à défaut, la date de réception par le parquet compétent », laissant ouverte la possibilité qu’à l’égard du destinataire de l’acte, une date différente puisse être prise en compte. Il revint alors à la Cour de cassation de parachever l’évolution. Dans un arrêt de la première chambre civile rendu le 23 juin 2011, s’agissant d’une notification internationale effectuée selon les modalités de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, il fut précisé que la date de la signification d’un arrêt à l’adresse indiquée dans celui-ci « est, à l’égard de son destinataire, celle à laquelle l’autorité étrangère compétente lui a remis l’acte ; que, lorsque cet acte n’a pu lui être remis, la signification est réputée faite à la date à laquelle l’autorité étrangère compétente a tenté de remettre l’acte ou, lorsque cette date n’est pas connue, à celle à laquelle l’autorité étrangère a avisé l’autorité française » (Civ. 1re, 23 juin 2011, n° 09-11.066 P ; D. 2011. 1831 image ; ibid. 2140, chron. B. Vassallo et C. Creton image ; Rev. crit. DIP 2012. 102, note F. Cornette image). La solution semblait transposable à une notification effectuée selon les modalités du droit commun des notifications internationales car, la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 ne prévoyant pas de règle concernant la date des notifications internationales, c’est déjà le droit commun que l’on appliquait sur ce point et rien dans celui-ci n’invitait à distinguer selon que la notification ait été effectuée au titre du droit commun ou au titre d’une convention internationale (en ce sens, v. F. Cornette, note préc.). Par la suite, plusieurs arrêts s’inscrivirent dans cette lignée, l’un relatif à une notification effectuée en application de la Convention de La Haye du 1er mars 1954 relative à la procédure civile (Civ. 1re, 18 déc. 2014, n° 13-25.745, Bull. civ. I, n° 214 ; rappr. Civ. 1re, 24 juin 2015, n° 14-21.382, Bull. civ. I, n° 155 ; Dalloz actualité, 23 juill. 2015, obs. M. Kebir), l’autre concernant une notification réalisée en application de l’article 684, alinéa 2, du code de procédure civile, c’est-à-dire à la notification d’un acte destiné à un État étranger, à un agent diplomatique étranger en France ou à tout autre bénéficiaire de l’immunité de juridiction (Civ. 2e, 2 juin 2016, n° 14-11.576, Bull. civ. II, n° 147 ; Dalloz actualité, 21 juin 2016, obs. F. Mélin ; D. 2016. 1261 image ; ibid. 1886, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, O. Becuwe et N. Touati image ; Gaz. Pal. 2016, n° 29, p. 71, obs. E. Piwnica). Toutefois, par la suite, la première chambre civile précisa sa position et vint troubler la ligne claire qui se dessinait jusqu’alors, n’excluant pas la prise en compte de la date de la remise de l’acte au parquet. Dans deux arrêts rendus le même jour, elle affirma en effet qu’« à l’égard des parties domiciliées à l’étranger, le délai de pourvoi de deux mois augmenté de deux mois court du jour de la remise régulièrement faite au parquet et non de la date de la remise aux intéressés d’une copie de l’acte par les autorités étrangères, sauf dans les cas où un règlement communautaire ou un traité international autorise l’huissier de justice ou le greffe à transmettre directement cet acte à son destinataire ou à une autorité compétente de l’État de destination » (Civ. 1re, 10 oct. 2018, nos 17-14.401 et 16-19.430, Dalloz actualité, 24 oct. 2018, obs. F. Mélin ; D. 2019. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; RDSS 2018. 1105, obs. J. Peigné image ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. F. Rocheteau image).

En indiquant très nettement dans son arrêt du 30 janvier 2020 que « la date à laquelle est effectuée la remise à parquet de la décision à notifier ne constitue pas le point de départ du délai pour interjeter appel de cette décision », la deuxième chambre civile s’oppose à une telle distinction : y compris lorsque le droit commun des notifications internationales s’applique (comme en l’espèce), la date de la notification ne peut plus être celle de la remise de l’acte au parquet et l’on peut raisonnablement penser que la solution vaut pour tout type de délai de recours. En cela, toutes les conséquences sont tirées de la suppression par le législateur, en 2005, de l’expression de signification « faite au parquet » : la notification internationale est pleinement considérée comme une action qui se déploie dans le temps et dans l’espace jusqu’à ce qu’elle se termine sur le territoire de l’État de destination et on ne la réduit plus par une fiction à sa toute première étape qu’est la remise de l’acte au parquet (sur cette évolution, v. not. S. Jobert, L’organisation de la connaissance des actes du procès civil, LGDJ, 2019, nos 437  s., p. 360 s.). D’un point de vue notionnel, la solution est donc heureuse. Mais elle l’est également du point de vue de la protection des intérêts du destinataire de l’acte. De longue date, les travers de la prise en compte de la date de remise de l’acte au parquet ont été dénoncés, tant il est contestable qu’un délai puisse courir à l’encontre du destinataire d’un acte à un instant souvent très éloigné de la date à laquelle il en aura effectivement connaissance. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme n’a de cesse d’affirmer depuis un arrêt Miragall Escolano relatif à la question du point de départ des délais que « le droit d’action ou de recours doit s’exercer à partir du moment où les intéressés peuvent effectivement connaître les décisions judiciaires qui leur imposent une charge ou pourraient porter atteinte à leurs droits ou intérêts légitimes » (CEDH 25 janv. 2000, Miragall Escolano et autres c. Espagne, req. n° 38366/97, § 37 ; RFDA 2001. 1250, chron. H. Labayle et F. Sudre image). On peut penser que, sur ce fondement, l’application du droit antérieur français aurait pu être condamnée (S. Jobert, op. cit., n° 442, p. 363-364).

Tout au plus peut-on regretter que l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile se borne, négativement, à indiquer en des termes généraux ce qui ne constitue pas le point de départ du délai. Positivement, il aurait été intéressant de connaître concrètement les étapes de la notification en l’espèce et d’avoir quelques indications générales sur le point de départ du délai d’appel à retenir. Rien de tel ici : il ressort seulement de la décision de la cour d’appel qu’il y a eu « remise à l’intéressé d’une copie de l’acte par les autorités étrangères ». Cela laisse quelques questions sans réponse : quelle a été précisément la forme de cette remise ? Est-ce d’elle qu’il faut dater la notification pour la Cour de cassation ? Or ce sont sur ces points que les difficultés vont se focaliser à l’avenir. En effet, le visa ne doit pas tromper : viser l’article 684 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 ne signifie pas que, depuis, la date de la remise de l’acte au parquet est de nouveau prise en compte. Tout au contraire : depuis le décret n° 2019-402 du 3 mai 2019 portant diverses mesures relatives à la communication électronique en matière civile et à la notification des actes à l’étranger, le législateur est venu indiquer plus clairement quelle date de la notification prendre en compte à l’égard du destinataire (répondant ainsi au vœu formulé par Mme Cornette dans sa thèse dès 2011 et s’inspirant en partie de la proposition d’article qu’elle y formulait ; v. F. Cornette, La notification internationale des actes, BoD, 2016, n° 606, p. 378), et la date de la remise au parquet n’est pas mentionnée. Ainsi, en vertu de l’article 687-2 du code de procédure civile. :

« La date de notification d’un acte judiciaire ou extrajudiciaire à l’étranger est, sans préjudice des dispositions de l’article 687-1, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date à laquelle l’acte lui est remis ou valablement notifié.

Lorsque l’acte n’a pu être remis ou notifié à son destinataire, la notification est réputée avoir été effectuée à la date à laquelle l’autorité étrangère compétente ou le représentant consulaire ou diplomatique français a tenté de remettre ou notifier l’acte, ou lorsque cette date n’est pas connue, celle à laquelle l’une de ces autorités a avisé l’autorité française requérante de l’impossibilité de notifier l’acte.

Lorsqu’aucune attestation décrivant l’exécution de la demande n’a pu être obtenue des autorités étrangères compétentes, nonobstant les démarches effectuées auprès de celles-ci, la notification est réputée avoir été effectuée à la date à laquelle l’acte leur a été envoyé ».

De la sorte, bien qu’en application de l’alinéa 3 de cet article, une notification pourra semble-t-il être datée d’un moment proche de la remise de l’acte au parquet, ce ne sera que faute de mieux et, en toute hypothèse, la date de la notification sera désormais variable, au gré des diligences qui auront été accomplies pour faire connaître l’acte à son destinataire et dont on aura gardé la trace. Ainsi, de façon générale, se manifeste la tendance du droit contemporain à prendre en compte davantage la réalité de la connaissance de l’acte par son destinataire (S. Jobert, op. cit., spéc. n° 787, p. 605-606). Plus spécialement, il se confirme que la « signification faite au parquet » a fait son temps.

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