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Justice et grève des avocats : « Pourra-t-on résister à une explosion nucléaire et une tempête tropicale ? »

Voici venu le temps de l’enlisement. Les avocats entament leur septième semaine de grève, les négociations avec le gouvernement n’ont guère avancé, les magistrats et les greffiers tirent la langue, les incidents d’audience ont émaillé la chronique judiciaire, la justice – malmenée par des années de moyens insuffisants – est « au bord de l’implosion », comme l’a déclaré l’USM dans un communiqué du 13 février, ou le syndicat de la magistrature dans plusieurs textes, évoquant « l’asphyxie » des tribunaux.

Les renvois s’enchaînent, les stocks de dossiers s’aggravent, les réponses pénales sont inadaptées et le contentieux familial malmené par l’absence des avocats. À Paris, les audiences correctionnelles – trois cents par mois, actuellement une centaine, selon le parquet de Paris – sont renvoyées à 2021. Le président du tribunal judiciaire de Bobigny, Renaud Le Breton de Vannoise, estime qu’il « est certain que ces renvois, représentant 30 à 40 % de nos audiences pénales et peut-être un peu moins au civil, vont peser très lourd dans les mois qui viennent et obèrent l’action de déstockage que nous menons notamment avec l’aide d’un contrat d’objectif passé avec la cour d’appel ». Concernant les décriées demandes de mise en liberté massives, Sophie Legrand, du syndicat de la magistrature, reconnaît que la pratique peut « crisper » les collègues.

À la cour d’appel de Paris, un magistrat de cours d’assises ne peut nier l’évidence : « je subis de plein fouet l’immense désorganisation que ce mouvement cause et c’est voulu. Aux assises, peut-être plus qu’ailleurs, nous sommes obligés de prendre en considération le fait que l’avocat est nécessaire même si l’accusé peut, en théorie, être assisté par quelqu’un d’autre. Nous pourrions également commettre d’office un autre avocat mais il s’agit ici d’une grève, c’est différent. » La semaine dernière, un procès d’une semaine a dû être renvoyé, ce qui, à Paris, est une gageure organisationnelle.

Le procureur de la République de Dijon, Éric Mathais, président de la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR), estime que l’impact sur les services pénaux « est massif ». « À Dijon, on renvoie 80 % des dossiers et, au civil, c’est à près au même niveau. Les situations sont très différentes selon les juridictions mais le stock de certaines d’entre elles va avoir du mal à s’en remettre », prévoit-il à l’instar de nombre de ses collègues. Pour résumer, « la situation est relativement préoccupante pour les greffiers et les magistrats, avec un service public gravement perturbé et des effets durables difficilement rattrapables ».

Au tribunal judiciaire de Laval, sa présidente fait en fonction des circonstances locales et de l’état de la juridiction. « Les critères évoluent chaque semaine. Nous pouvons renvoyer un gros dossier correctionnel et le refuser pour un autre dossier si, matériellement et procéduralement, par exemple, c’est impossible. Je laisse chaque président d’audience décider. Il est évident que nous ne raisonnons pas de la même manière la sixième semaine que la première ». À Laval, 80 % des dossiers JAF ont sauté, les affaires civiles et mineurs ont été totalement renvoyées. Les correctionnelles collégiales pourront être audiencées à nouveau en avril, détaille Sabine Orsel, mais pas les audiences à juge unique. Pour ces dernières, il faudra attendre septembre. « C’est en train de nous anéantir, ajoute-t-elle, en un mois, on perd un an. Nous n’avons pas les moyens de doubler les audiences. Par exemple, pour les contentieux non régulés, comme les référés, nous prendrons ce qui est prêt. Au lieu de trois ou quatre dossiers, nous en aurons vingt d’un coup. Soit nous imposerons le renvoi, soit nous jouerons sur les dates de délibérés, parce que, vous l’aurez compris, la grève des avocats, ce n’est pas comme une grève SNCF. Le train repart et c’est oublié. Là, c’est un peu différent. Sur l’état des stocks des dossiers, cette situation met à néant les efforts que nous avons fournis pendant plus d’un an. »

Des réactions « officielles » de chefs de juridictions ont crispé des relations parfois déjà tendues. Le 21 janvier, à Lille, le président déplorait certaines formes du mouvement, notamment « des prises à partie personnelle ». Même son de cloche le 29 janvier à Toulouse. Le 12 février, le tribunal judiciaire de Tours, dans un « communiqué » (et non une motion) faisant suite à une assemblée générale extraordinaire, le président, le procureur de la République et le directeur de greffe « s’inquiétaient » de la poursuite du mouvement, de certaines « modalités d’action », « regrettaient les inutiles tensions récemment apparues », notamment les manifestations au sein du palais et « s’émouvaient » aussi de la présence massive des avocats en audience. Interrogé, Christophe Régnard, président du tribunal, explique : « Nous avons été très coulants les quinze premiers jours de la grève, nous avons beaucoup renvoyé mais, au bout de six semaines, cela commence à poser des problèmes. Nous avons été obligés de resserrer un peu, nous avons expliqué aux avocats et avons décidé, quand la loi nous l’autorisait, de juger sans avocat. Quand les désignations ont repris, nous avons eu bon espoir, et voilà que la grève reprend avec des demandes de mise en liberté en masse, des plaidoiries sans aucun rapport avec le fond, les applaudissements de dizaines d’avocats en pleine audience… Je vous assure qu’avoir trente à quarante avocats en permanence quand vous jugez, avec certains d’entre eux qui s’approchent, c’est une pression redoutable. » Le magistrat est en contact permanent avec le bâtonnier pour éviter « que l’irréparable soit commis, d’un côté comme de l’autre ». Bref, « on ne va pas attendre le vote du projet de loi pour renvoyer le moins possible. Tout cela est très inconfortable pour nous aussi. Nous n’avons qu’une envie, que cela s’arrête ». Plus virulents, le président du tribunal de Paris et le procureur de Paris qui ont proclamé à l’unisson au Monde et au Figaro, « ça suffit ! ». Un chef de cour d’appel est excédé. « En réalité, tout le monde est excédé mais peu osent le dire. »

Le gouvernement invité à prendre « enfin la mesure du désarroi »

Et pourtant, dans ce fatras judiciaire, dans cet emballement vers « l’implosion », l’exaspération de certains chefs de juridiction ne suffit pas à écraser une communauté, certes désordonnée et terriblement épuisée. Il est indéniable que la grève a provoqué des tensions entre professions, que « ce ne sont pas les avocats qui sont comptables devant le ministère de l’activité des juridictions », cingle une parquetière, que les avis ne sont pas invariablement uniformes. Un chef de cour d’appel dit « son ulcération » face au discours des avocats « prétendant ces blocages pour nous aider et dénoncer notre manque de moyens alors que seuls leurs intérêts les préoccupent. Ce sont des pompiers pyromanes dans toute leur splendeur ».  Mais les magistrats contactés savent que « leurs inquiétudes » ne sont pas toutes nées il y a six semaines, quand les barreaux se sont mis en grève. Cette dernière est la cerise maudite. Car, cela a été dit de nombreuses fois, le mouvement des avocats est aussi l’occasion de montrer de façon désespérante au ministère de la justice, au-delà des statistiques qu’il garde jalousement, que la machine va mal. En prend-il la mesure alors que la septième semaine de grève débute, que les instances de la profession le disent toujours aussi « sourd » à tout dialogue ?

L’USM, syndicat majoritaire, a appelé, cette semaine, « le gouvernement à prendre enfin la mesure du désarroi exprimé par l’ensemble des acteurs de la chaîne judiciaire et à trouver rapidement la voie d’une sortie de crise ». Le syndicat de la magistrature a, lui aussi, dans plusieurs textes, officiellement soutenu le mouvement et rappelé que « l’exaspération et l’inquiétude des avocats » intervenaient dans un contexte « d’asphyxie des juridictions liée à la charge de travail » et « l’absence totale de moyens d’anticipation ». Pour Sabine Orsel, « on sent la détresse des avocats. J’espère qu’ils s’en relèveront tous, ce mouvement, c’est la mesure de leur désespoir ». « Nous souhaitons avec le bâtonnier que cette grève n’entraîne pas dans les rapports avec les avocats une dégradation qu’il serait ensuite difficile de surmonter car nos missions respectives n’ont pas de sens sans une vision convergente et respectueuse de nos valeurs professionnelles. Je formule le vœu que cette grève, qui, j’imagine, doit aussi fragiliser les avocats qui sont dans des situations précaires, trouve au plus vite une issue », a également espéré le président du tribunal de Bobigny.

Comme à Laval, « on ne dédoublera pas les audiences », prévient Christophe Régnard, à Tours. Hervé Bonglet, secrétaire général de l’Union nationale des syndicats autonomes – services judiciaires, abonde, « dans six ou huit mois, qu’on ne vienne pas nous mettre une pression impossible du fait du retard pris. Ce qui nous fait peur, ce n’est pas tellement le retard mais les situations humaines derrière tout cela… Et ce n’est pas que du fait des avocats. Nous sommes un collectif ». Et puis, selon Christophe Régnard, « nous sommes laissés tout seuls, il n’y a aucune instruction, aucune information sur les avancées des négociations. On se débrouille alors que la Chancellerie nous demande des remontées hebdomadaires – au début du mouvement, c’était quotidien !» « Le château s’écroule. Essayer de nous faire croire que la situation n’était pas déjà catastrophique avant cette grève, c’est de la foutaise. Pourra-t-on résister à une explosion nucléaire et une tempête tropicale ? »

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