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Notification des conclusions en appel : à fond la forme !

On ne le répétera jamais assez, pour maîtriser la procédure d’appel, l’avocat doit se départir de toute apparence de logique et raisonner froidement. C’est ce que fait d’ailleurs la deuxième chambre civile, qui applique avec rigueur les termes mêmes d’un article 911 du code de procédure civile (légèrement toiletté par le décret n°2017-891 du 6 mai 2017), sans égard à la déloyauté de l’avocat de l’intimé qui était pointée par l’avocat de l’appelant.

Une société relève appel d’un jugement du conseil de prud’hommes et remet le 30 juin 2017, dans son délai de trois mois imposé à peine de caducité par l’article 908 du code de procédure civile, ses conclusions au greffe. L’avocat de l’appelant les notifie alors à son confrère qui intervenait pour le salarié en première instance mais celui-ci ne constitue devant la cour d’appel que le 30 août 2017 et saisit le conseiller de la mise en état aux fins de caducité de la déclaration d’appel. Le conseiller de la mise en état retient la caducité faute de notification des conclusions à l’intimé non constitué et la cour d’appel de Paris, sur déféré, confirme l’ordonnance motif pris que l’appelant devait non seulement remettre ses conclusions au greffe dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel, mais aussi les signifier dans le délai supplémentaire d’un mois prévu par l’article 911 du code de procédure civile à l’intimé non constitué. Pour la cour, l’attitude de l’avocat de l’intimé, critiquée par le conseil de l’appelante comme étant sciemment orchestrée, ne pouvait caractériser ni la force majeure, ni l’atteinte au procès équitable. Devant la Cour de cassation, la société, qui avait donc vu sa déclaration d’appel jugée caduque, s’emparait de la violation de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la mesure où le défaut de notification des conclusions à l’intimé constituerait une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge et, définitivement, du droit de former un appel principal. Il était encore soutenu que le but poursuivi par les textes consistant à obliger l’appelant à faire connaître rapidement ses moyens à la partie qui n’avait pas constitué avocat était atteint dès lors que l’avocat de l’intimé, même non constitué, avait reçu les conclusions dans le délai légal de trois mois et avait même téléchargé les pièces par un lien Wetransfer le 7 juillet 2017 de sorte que la sanction de caducité était disproportionnée au regard de l’article 6, § 1, précité. Enfin, il était reproché à l’arrêt de s’être borné à écarter la force majeure en mentionnant que l’appelante ne pouvait ignorer qu’elle n’avait pas reçu l’avis de constitution de son adversaire.

Au visa de l’article 911 du code de procédure civile, dans son nouveau style direct, la deuxième chambre civile juge que « L’appelant est mis en mesure de respecter cette exigence dès lors qu’il doit procéder à la signification de ses conclusions à l’intimé lui-même, sauf s’il a, préalablement à cette signification, été informé, par voie de notification entre avocats, de la constitution d’un avocat par l’intimé », ajoute que « La notification de conclusions à un avocat qui n’a pas été préalablement constitué dans l’instance d’appel est entachée d’une irrégularité de fond et ne répond pas à l’objectif légitime poursuivi par le texte, qui n’est pas seulement d’imposer à l’appelant de conclure avec célérité, mais aussi de garantir l’efficacité de la procédure et les droits de la défense, en mettant l’intimé en mesure de disposer de la totalité du temps imparti par l’article 909 du code de procédure civile pour conclure à son tour. Il en découle que la constitution ultérieure par l’intimé de l’avocat qui avait été destinataire des conclusions de l’appelant n’est pas de nature à remédier à cette irrégularité ». Et pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation en déduit ainsi : « Ayant, d’une part, relevé que l’appelante n’avait notifié ses conclusions dans le délai prévu par l’article 911 du code de procédure civile qu’à l’avocat qui avait assisté l’intimé en première instance et que l’appelante ne pouvait ignorer qu’elle n’avait pas reçu l’avis de constitution de son adversaire dans le cadre de l’instance devant la cour d’appel, faisant ainsi ressortir par cette considération que l’appelante ne s’était heurtée à aucun événement insurmontable, caractérisant un cas de force majeure, et, d’autre part, exactement retenu qu’il importait peu que l’intimé ait, postérieurement à la notification des conclusions, constitué l’avocat qui en avait été destinataire, c’est à bon droit, sans méconnaître les exigences du droit à un procès équitable, que la cour d’appel a constaté la caducité de la déclaration d’appel ».

L’article 911 impose, à peine de caducité de la déclaration d’appel, une notification des conclusions aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour et offre un mois supplémentaire, à compter de l’expiration du délai de l’article 908 du code de procédure civile, pour les signifier à l’intimé non constitué. Les données du problème sont simples : soit l’avocat de l’intimé est constitué au jour de la notification des écritures de l’appelant au greffe et l’avocat de l’appelant doit, dans son délai de trois mois, les notifier à son confrère, soit l’intimé n’est pas constitué et il dispose alors du délai augmenté d’un mois à compter de l’expiration de son délai pour conclure pour les lui signifier par voie d’huissier. Dans les deux cas la sanction est identique : la caducité de la déclaration d’appel.

Mais il n’y a pas d’entre deux. Rien n’autorise l’avocat de l’appelant à notifier directement à son confrère ses conclusions à défaut de constitution, peu important le rôle qu’il a pu jouer en première instance voire, comme en l’espèce, en appel. Lorsque le texte vise une remise des conclusions à l’avocat de l’intimé « dans le délai de leur remise au greffe », cette exigence ne vaut qu’en présence d’une constitution de l’avocat de l’intimé. Si, avant même constitution de l’intimé, l’avocat de l’appelant souhaite adresser à son confrère ses écritures par mail ou par le Réseau privé virtuel des avocats (RPVA, ce qui est techniquement possible même en l’absence de constitution), il ne peut s’agir que d’une simple information, que l’on qualifiera de confraternelle, à l’instar de ce que prévoit le Règlement intérieur national de la profession d’avocat dans certaines hypothèses (RIN, art. 5). Mais la confraternité n’emporte pas de conséquence procédurale sur les délais d’appel contrairement au souhait de l’avocat de l’appelant. En effet celui-ci, qui avait donc notifié ses conclusions à son confrère non constitué, n’avait pas hésité à le mettre en cause directement pour dénoncer le stratagème visant à ne pas constituer dans l’espoir, peut-être, que la partie adverse commette une erreur. C’est ce qui se passa et cette situation est loin d’être inhabituelle. Mais peu importait que l’avocat de l’intimé soit déjà intervenu devant le conseil de prud’hommes, qu’il se soit constitué en limite de son délai « supposé » pour conclure et se soit même présenté avant dans l’instance en référé arrêt de l’exécution provisoire devant le Premier président de la Cour sur cet appel. Devant le premier président, faut-il le rappeler, la procédure est orale et il n’y a donc pas de constitution d’avocat quand bien la procédure au fond reposa sur un appel en représentation obligatoire et donc constitution d’avocat.

À vrai dire, cette position que d’aucuns pourront trouver sévère, n’étonne pas, s’inscrit dans la droite ligne de précédents arrêts et reste même source de sécurité juridique.

Ainsi, si l’avocat de l’appelant n’a pas à signifier la déclaration d’appel à l’intimé lorsque son avocat se constitue dans le mois de l’émission de l’avis émis par le greffe, il ne peut se dispenser, sous peine de caducité de son acte d’appel, de lui notifier ses conclusions à la suite de cette constitution quand bien même celles-ci lui avaient été communiquées antérieurement (Civ. 2e, 28 sept. 2017, n° 16-23.151, Dalloz actualité, 24 oct. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2018. 692, obs. N. Fricero image). Et comme l’a déjà jugé la Cour de cassation, il importe également peu que l’avocat a notifié ses conclusions, même dans le délai légal, à l’avocat « plaidant » de la partie adverse si celles-ci n’ont pas été notifiées à l’avocat « postulant » devant la Cour, seul habilité à la représenter (Civ. 2e, 4 sept. 2014, n° 13-22.654, RTD civ. 2015. 195, obs. N. Cayrol image ; Procédures, nov. 2014, obs. H. Croze). Tout était dit avec ces deux arrêts. Tout repose en effet sur les règles de représentation de la partie au litige, c’est-à-dire de la postulation devant la cour d’appel. C’est d’ailleurs pour cette raison que la deuxième chambre civile précise que « La notification de conclusions à un avocat qui n’a pas été préalablement constitué dans l’instance d’appel est entachée d’une irrégularité de fond ». Cette irrégularité de fond est un défaut de pouvoir par application de l’article 117 du code de procédure civile et bien évidemment pas une irrégularité de forme sur démonstration d’un grief, c’est-à-dire la connaissance effective, par l’intimé, des conclusions et des pièces de l’appelant. Mais puisque la formalité de signification n’est jamais intervenue en violation des dispositions de l’article 911, la Haute juridiction ne peut en tirer la sanction d’une quelconque nullité mais bien la caducité de la déclaration d’appel qui sanctionne l’absence d’accomplissement d’une formalité légale dans un temps imparti.

Alors la réponse de la Cour de cassation est-elle aussi sévère qu’elle pourrait paraître à première lecture ? Disons-le, en préservant la forme sur le fond, elle est plutôt emprunte de sécurité juridique.

Bien heureusement, la deuxième chambre civile ne tombe pas dans le piège de l’appréciation de la bonne information de l’intimé et d’une célérité inhérente à la procédure d’appel, effective en l’espèce, par la prise de connaissance par l’intimé des conclusions adverses. La deuxième chambre indique sur ce point que le but du texte « n’est pas seulement d’imposer à l’appelant de conclure avec célérité, mais aussi de garantir l’efficacité de la procédure et les droits de la défense, en mettant l’intimé en mesure de disposer de la totalité du temps imparti par l’article 909 du code de procédure civile pour conclure à son tour ».

Déjà, au regard de ses précédentes décisions, l’argumentation au visa de l’article 6 de la Convention n’avait que peu de chance d’aboutir (pour de précédentes illustrations, Civ. 2e, 26 juin 2014, n° 13-20.868, n° 13-22.011, n° 13-22.013, n° 13-17.574, Dalloz actualité, 18 juill. 2014 ; ibid. 21 juill. 2014 ; ibid. 28 juill. 2014, obs. M. Kebir ; 11 mai 2017, n° 16-14.868, Dalloz actualité, 6 juin 2017, obs. R. Laffly ; 1er juin 2017, n° 16-18.212, Dalloz actualité, 29 juin 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 2192 image, note G. Bolard image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image) et l’on cherchera en vain quelle pouvait être l’événement de force majeure auquel avait été confronté l’appelant, c’est-à-dire celui revêtant un caractère imprévisible et irrésistible, l’événement brutal et imprévisible, revêtant un caractère incontrôlable dans sa survenance et ses conséquences comme le rappelle la circulaire du 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. Depuis son premier arrêt publié et l’entrée en vigueur de l’article 910-3 du code de procédure civile, on sait en effet quel sort est réservé à la force majeure par la Cour de cassation, même dans des hypothèses beaucoup plus significatives que le cas d’espèce (Civ. 2e, 14 nov. 2019, n° 18-17.839, Dalloz actualité, 6 déc. 2019, obs. R. Laffly ; D. 2019. 2255 image ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero image ; Procédures, févr. 2020, obs. H. Croze). Et si l’on pouvait regretter l’absence de définition posée par la Haute cour avec cet arrêt, on peut en savoir un peu plus avec l’arrêt du 27 février 2020 dont l’adjectif retiendra l’attention : « l’appelante ne s’était heurtée à aucun événement insurmontable, caractérisant un cas de force majeure ».

Mais l’intérêt de l’arrêt n’est, assurément, ni celui de l’atteinte supposée à l’accès au juge ou au procès équitable, ni celui de la force majeure. C’est ce qu’il ne dit pas, ou moins : le mandat de l’avocat et la sécurité juridique.

En effet, la nouvelle forme de motivation développée adoptée par la Cour de cassation, plus explicite donc, mérite tout de même explication. Si la Cour de cassation a très récemment utilisé le principe de sécurité juridique au secours de l’appelant, et même de manière que l’on pourrait qualifier de discutable (Civ. 2e, 14 nov. 2019, n° 18-23.631, Dalloz actualité, 4 déc. 2019, obs. R. Laffly ; Procédures, févr. 2020, obs. H. Croze), c’est ce même principe qui doit aussi s’imposer pour l’intimé, et cette fois sans discussion. Bien sûr, l’on pourrait objecter que l’intimé était en possession des conclusions de l’appelant et des pièces téléchargées par son avocat – ce n’était pas contesté – et que l’intimé avait donc disposé de la totalité de son délai pour conclure en réponse. Mais plus que le délai stricto sensu, admettre que le point de départ du délai de l’article 909 du code de procédure civile pour conclure pourrait courir sur simple remise de conclusions à un avocat non constitué, non seulement s’avérerait parfois complexe à calculer, mais serait surtout source d’insécurité juridique, voire d’iniquité.

D’une part en effet, la signification de conclusions par l’huissier de justice à l’avocat non constitué apporte bien sûr cette garantie de datation de leur remise, laquelle est bien moins certaine en cas d’envoi par courrier du palais, ou par mail et télécopie, deux procédés électroniques certes, mais qui n’offrent pas la même garantie de signature électronique de l’expéditeur formalisée par la clé ebarreau de l’avocat.

Quant à l’envoi, via le RPVA, de conclusions d’appel à un confrère non constitué, qui présente les garanties requises (un envoi horodaté doublé d’une signature électronique), n’est-ce pas le procédé similaire qui est utilisé lorsque tous les avocats sont constitués ? Et bien non, c’est sans doute mieux, mais pas suffisant ! Car en la matière, la constitution fait tout et c’est sans doute là l’enseignement essentiel de cet arrêt. En l’absence de constitution, l’avocat de l’intimé ne peut avoir acquis le pouvoir de représenter son client en appel, il est peut-être même dépourvu de mandat. S’il assiste et représente ses clients en justice et qu’à l’égard de l’administration ou d’une personne chargée d’une délégation de service public, il n’a pas à justifier d’un mandat écrit, encore faut-il qu’il soit mandaté par son client pour le représenter en justice. Et l’article 420 du code de procédure civile précise que l’avocat remplit son mandat, sans nouveau pouvoir, jusqu’à l’exécution du jugement. En outre, l’avocat de l’intimé peut aussi vouloir s’assurer les services, comme souvent, d’un confrère spécialiste de procédure d’appel pour intervenir à ses côtés et postuler. Et son client a aussi le droit, en appel, de changer d’avocat !

Le code de procédure civile, encore, pose aussi cette garantie : « Les parties choisissent librement leur défenseur soit pour se faire représenter, soit pour se faire assister suivant ce que la loi permet ou ordonne » (C. pr. civ., art. 19). On le voit, les obstacles viennent tant de l’avocat que du client et la validité d’une notification directe, à défaut de constitution, nierait ces garanties.

Bien plus, le code de procédure civile, toujours lui, pose des exigences formelles à la constitution de l’avocat. Bien que la Cour de cassation ne se soit pas placée sur ce terrain, la forme assure aussi la sécurité du fond. On l’oublierait presque avec l’avènement de la communication par voie électronique, mais l’article 960 du code de procédure civile impose la dénonciation de la constitution aux autres parties par notification entre avocats, et les actes de procédure doivent donc être notifiés aux seuls avocats régulièrement constitués. Il ne suffit pas seulement pour l’intimé de dénoncer sa constitution au greffe, mais aussi d’en informer l’avocat de l’appelant. C’est là encore une garantie d’information, comme de sécurité et de loyauté des échanges. Car si l’appelant avait posé dans le débat la déloyauté de son confrère, elle ne pouvait qu’être appréciée à l’aune des règles du code de procédure civile qui, comme le rappelle la Cour de cassation, doivent aussi garantir l’efficacité de la procédure et les droits de la défense. Que penser d’un système dans lequel il serait possible de s’affranchir des règles du mandat et de la représentation, d’une procédure dans laquelle l’appelant, sur simple envoi des conclusions et pièces à un confrère supposé mandaté, nécessairement supposé, déclencherait contre lui un délai pour conclure à peine d’irrecevabilité ?

Il faut parfois savoir choisir entre deux maux le moindre. Et la forme n’est pas l’ennemie du fond. Il existe suffisamment de règles discutables en appel pour s’attacher à préserver celles qui, elles, ont une véritable utilité. À l’heure où la procédure civile est parfois malmenée, où la forme semble parfois, inutilement, s’imposer sur le fond, il faut se souvenir que les deux se rejoignent souvent. La forme, c’est le fond qui remonte à la surface. Ce n’est ni d’un juriste, ni d’un sportif, mais de Victor Hugo.

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