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Pertes d’exploitation : condamnation de l’assureur pour résistance abusive

Après la première décision, relative aux pertes d’exploitation à la suite de la pandémie de covid-19, rendue par le tribunal de commerce de Paris le 12 mai 2020, qui avait qualifié de « fantaisiste » l’allégation de l’assureur qui « ne s’appuie sur aucune disposition légale d’ordre public mentionnant le caractère inassurable d’une conséquence d’une pandémie » et en avait déduit qu’il lui incombait « d’exclure conventionnellement ce risque » – ce qui n’avait pas été le cas dans le contrat en cause – (R. Bigot, Le caractère inassurable du risque pandémique : une « allégation fantaisiste » d’AXA, obs. sur T. com. Paris, 12 mai 2020, n° 2020017022, Dalloz actualité, 28 mai 2020 ; JT 2020, n° 232, p. 12, obs. X. Delpech image), de nombreuses autres décisions de juges du fond sont intervenues en à peine un an, apportant des réponses variables en fonction des stipulations du contrat d’assurance concerné (A. Zaroui, Covid-19 et pertes d’exploitations : analyses des premiers jugement rendus au fond, Editions législatives 25 sept. 2020). « Chaque décision est liée aux circonstances de l’espèce et à la rédaction du contrat qui lui est soumis » (D. Houtcieff, La garantie des pertes d’exploitation résiste-t-elle à la covid-19 ?, Gaz. Pal. 5 janv. 2021, p. 29).

L’ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire de Paris le 11 février 2021 (première décision rendue par ce tribunal judiciaire sur ce sujet) condamne l’assureur à couvrir les pertes d’exploitation du fait des stipulations claires du contrat en ce sens, une résistance abusive de sa part étant en outre retenue (TJ Paris, ord. réf., 11 févr. 2021, n° 21/50243, Stés S., I. et S. c/ Groupama).

En l’espèce, trois sociétés exploitant des restaurants à Paris ont fait assigner leur assureur (Groupama) devant la juridiction des référés du tribunal judiciaire de Paris pour demander la prise en charge, par provision, de leurs pertes d’exploitation, ainsi que la désignation d’un expert et la condamnation de l’assureur à leur verser une indemnisation du fait de sa résistance abusive.

Rappelons que « plusieurs obstacles se présentent au professionnel souhaitant être indemnisé par l’assurance privée de ses pertes d’exploitations. Il doit avoir souscrit, primo, une garantie pertes d’exploitation, laquelle n’est que facultative dans les polices multirisques entreprises. Secundo, cette garantie pertes d’exploitations doit pouvoir s’appliquer sans dommage matériel préexistant. Tertio, aucune exclusion relative à un fait générateur de type épidémie ou pandémie ne doit figurer dans la police » (R. Bigot, Le caractère inassurable du risque pandémique : une « allégation fantaisiste » d’AXA, préc.). C’est essentiellement ce troisième point qui donne actuellement lieu à contentieux, les assurés tentant d’obtenir la nullité de telles clauses pour vice de forme ou de fond. Ces dernières doivent en effet figurer en caractères très apparents dans la police (C. assur., art. L. 112-4, al. 3), mais aussi être formelles et limitées (C. assur., art. L. 113-1, al. 1).

En premier lieu, les clauses d’exclusion doivent se détacher du reste du texte (par leur couleur, la taille des caractères…) afin d’« attirer spécialement l’attention de l’assuré » (Civ. 2e, 15 avr. 2010, n° 09-11.667, D. 2011. 1926, obs. H. Groutel image) : elles doivent « sauter aux yeux » (M. Picard et A. Besson, Les assurances terrestres, t. 1, Le contrat d’assurance, LGDJ, 1982, n° 55). Les juges du fond, dont l’appréciation est souveraine (Civ. 1re, 27 mai 1998, n° 95-19.967), se montrent particulièrement exigeants. Ainsi, le tribunal de commerce d’Annecy a condamné, dans un jugement du 22 décembre 2020 (n° 2020R00066) l’assureur Axa à indemniser un hôtelier-restaurateur de ses pertes d’exploitation en écartant la clause d’exclusion de garantie aux motifs que « la typographie de cette clause est identique à celle de la clause d’extension, donc qu’elle ne satisfait pas aux prescriptions de l’article L. 112-4 du code des assurances » et doit ainsi être déclarée nulle.

En second lieu, ces clauses doivent être formelles et limitées. « Avec l’exigence d’une exclusion formelle, le législateur veut que la portée ou l’étendue de l’exclusion soit nette, précise, sans incertitude, pour que l’assuré sache exactement dans quels cas et dans quelles conditions il n’est pas garanti » (Civ. 1re, 8 oct. 1974, D. 1975. 513, note C.-J. Berr et H. Groutel). « Une clause d’exclusion de garantie doit être à la fois claire et précise afin de pouvoir être considérée comme « formelle ». D’une part, la clause doit être suffisamment explicite pour que l’assuré puisse connaître l’étendue de la garantie (Civ. 2, 18 janv. 2006, n° 04-17.279). Ainsi, « une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée » (Civ. 1, 22 mai 2001, n° 98-10.849). D’autre part, la clause doit délimiter de façon particulièrement nette le champ dans lequel la garantie n’est pas due. Toute imprécision conduit la Cour de cassation à l’écarter, notamment lorsque « la clause excluant la garantie (…) ne se réfère pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées » (Civ. 2, 6 oct. 2011, n° 10-10.001). Depuis 1987 (Civ. 1re, 18 févr. 1987), la Cour de cassation a en outre érigé le caractère « limité » de la clause en condition autonome de validité. Pour être « limitée », la clause ne doit pas vider la garantie de sa substance (Civ. 2e, 9 févr. 2012, n° 10-31.057, RDI 2012. 290, obs. D. Noguéro image) : le juge est donc tenu de vérifier « l’étendue de la garantie subsistant après application de la clause litigieuse » (Civ. 1re, 9 mars 2004, n° 00-21.974). Également dégagée en droit commun des contrats par la jurisprudence concernant les clauses limitatives de responsabilité (Com. 22 oct. 1996, n° 93-18.632, D. 1997. 121 image, note A. Sériaux image ; ibid. 145, chron. C. Larroumet image ; ibid. 175, obs. P. Delebecque image ; RTD civ. 1997. 418, obs. J. Mestre image ; ibid. 1998. 213, obs. N. Molfessis image ; RTD com. 1997. 319, obs. B. Bouloc image), une telle solution a été consacrée et généralisée par l’ordonnance du 10 février 2016. L’article 1170 du code civil dispose désormais que « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». Tel est sans conteste le cas d’une clause d’exclusion vidant le contrat de son contenu en réduisant la garantie à néant » (A. Cayol, Le principe de la détermination conventionnelle des garanties, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 120. Comp. D. Noguéro, L’obligation essentielle de l’assureur non vidée de toute substance, sous Civ. 2e, 24 sept. 2020, n° 19-15.375, Gaz. Pal. 2 mars 2021, n° 9, 398e5, p. 46 s. ; D. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki  image ).

Dernièrement, l’assureur AXA a vu sa condamnation (T. com. Marseille, 15 octobre 2020, n° 2020F00893) pour la première fois confirmée en appel, par un arrêt du 25 février 2021 (Aix-en-Provence, ch. 1-4, 25 févr. 2021, n° 20/10357, S.A. AXA France IARD c/ S.A.S. LE P, Dalloz actualité, 11 mars 2021, obs. S. Andjechaïri-Tribillac ; RGDA mars 2021, n° 118h7, p. 1, obs. J. Kullmann). L’assureur déniait toute garantie en invoquant la clause d’exclusion suivante : « Sont exclues - les pertes d’exploitations, lorsque, à la date de décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ». Selon la cour d’appel, « L’exclusion ainsi définie n’est nullement limitée puisqu’elle vise : - tout autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, - faisant l’objet d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique, - sur un territoire particulièrement vaste, puisque dépassant le simple cadre d’un village ou d’une ville. L’application pure et simple de cette clause d’exclusion aboutirait donc à ne pas garantir l’assuré des pertes d’exploitation subies en raison de la fermeture administrative de son restaurant pour épidémie de coronavirus, et donc, à priver de sa substance l’obligation essentielle de garantie. […] C’est donc avec raison que les premiers juges ont estimé que la clause d’exclusion litigieuse ne satisfait pas aux conditions de l’article L. 113-1 du code des assurances et qu’elle devait être réputée non écrite. Leur décision doit ici être confirmée ».

 De telles discussions supposent toutefois en principe d’introduire une action au fond et non en référé. Comme le rappelle l’ordonnance rendue le 11 février 2021 par le tribunal judiciaire de Paris, le juge des référés ne peut accorder une provision que « dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable » (C. pr. civ., art. 835). Dès lors, « le juge des référés, statuant sur le caractère sérieusement contestable d’une obligation contractuelle ne peut, sans excéder son office, interpréter les termes du contrat, se devant toutefois d’appliquer ses dispositions claires et précises ne nécessitant pas d’interprétation ».

Ceci explique, par exemple, la remise en cause, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 3 décembre 2020 (n° 20/07308), de l’ordonnance de référé rendue par le tribunal de commerce de Marseille le 23 juillet 2020 (T. com. Marseille, ord. réf., 23 juill. 2020, n° 2020R00131, Sté X c/ Axa France IARD), aux motifs que « La question de savoir si une épidémie peut ou non, de par sa définition même, entraîner la fermeture administrative d’un seul établissement dans un département ou si elle a pour conséquence nécessaire d’en entraîner la fermeture de plusieurs, ne relève pas de l’évidence, et donc des pouvoirs du juge des référés ; c’est dès lors en excédant ses pouvoirs que le premier juge a estimé que la clause d’exclusion invoquée par l’assureur avait manifestement pour effet de vider la garantie de sa substance, et en a déduit que l’obligation pour l’assureur de verser une indemnisation au titre du contrat n’était pas sérieusement contestable ». Dès lors, une provision pour pertes d’exploitation ne peut être octroyée en référé que lorsque la garantie de ces dernières résulte clairement du contrat d’assurance. Ceci n’est effectivement pas le cas du contrat proposé par AXA, lequel a donné lieu à la majorité des décisions rendues à ce jour concernant la garantie des pertes d’exploitation. Ce contrat comprend en effet une clause d’exclusion de garantie lorsque « au moins un autre établissement » du département « fait l’objet d’une mesure administrative pour une cause identique ».

De nombreux juges des référés ont ainsi refusé de faire droit à des demandes de provisions aux motifs que « les pouvoirs juridictionnels du juge des référés lui permettent de faire application d’un contrat mais pas de l’interpréter afin d’éviter qu’une décision provisoire et exécutoire rendue par un juge unique puisse remettre en cause la loi des parties ». Ainsi, une ordonnance de référé rendue par le tribunal de commerce de Lyon le 10 juin 2020 (T. com. Lyon, ord. réf., 10 juin 2020, n° 2020R00303, Le Bacchus / Axa France Iard, RGDA 2020, n° 7, juill., p. 1, obs. L. Mayaux ; Lexbase Hebdo édition privée, n° 829, 25 juin 2020, note D. Krajeski) souligne que « le juge des référés peut éventuellement considérer une clause comme non écrite mais seulement si cet élément est non sérieusement contestable », ce qui n’était pas le cas selon lui dans le contrat en cause (« l’exclusion n’étant pas totale et illimitée, il convient d’analyser si l’essentiel de l’obligation a été retiré (…) ce pouvoir n’appartient pas au juge des référés mais au juge du fond »). Il en est de même, par exemple, du tribunal de commerce de Bordeaux (T. com. Bordeaux, ord. réf., 23 juin 2020, n° 2020R00408, Chez Aldo / Axa France IARD), invitant le restaurateur à agir au fond aux motifs que s’évince de la clause litigieuse « une contradiction de lecture et donc d’analyse des parties, qu’il ne ressort pas de l’office du juge des référés de trancher ».

Au contraire, le contrat proposé par Groupama dans l’affaire donnant lieu à commentaire prévoyait expressément l’indemnisation des pertes d’exploitation. Comme le relève l’ordonnance, « Les contrats en litige comportent tous une clause identique rédigée ainsi : « Perte d’exploitation / A - Evènements Assurés : la garantie du présent contrat porte exclusivement sur les conséquences des dommages ayant donné lieu à indemnisation et causés par : incendie ; explosion (…) Ainsi que l’impossibilité de poursuivre les activités par suite de la survenance : - fermeture de l’établissement sur l’ordre des autorités administratives lorsqu’elle est motivée par la seule survenance effective des évènements suivants : (…) de maladie contagieuse ou d’épidémies ». Cette même clause précise « objet de la garantie le présent contrat a pour objet de garantir les pertes de bénéfice brut et salaires (appointements ou service) subies par la société assurée pendant la période d’indemnisation par suite : de la baisse du chiffre d’affaires causés par l’interruption ou la réduction des activités de l’assuré ; des intérêts de découverts bancaires et / ou le remboursement des prêts entraînés par le sinistre, de l’engagement de frais supplémentaires d’exploitation qui sont la conséquence des dommages matériels causés par les évènements garantis. A l’exclusion des sinistres de responsabilité, de vol, de détournements ». Une clause supplémentaire nommée « dispositions particulières à la garantie perte d’exploitation » indique « Mesures administratives. Si à la suite d’un événement assuré, la durée de la période d’interruption ou de réduction des activités se trouve allongée par une mesure administrative (telle que la mise sous scellés pour enquête, risques de pollution, risques d’accidents, etc.) la garantie perte d’exploitation s’exercera en tenant compte de cet allongement, sans pouvoir excéder 24 mois » (TJ Paris, ord. réf., 11 févr. 2021, n° 21/50243, Sociétés S., I. et S. c/ Groupama, p. 3). Le tribunal judiciaire de Paris en déduit que « Les dispositions précitées supposent, à l’évidence et sans qu’il soit besoin de les interpréter, l’indemnisation des pertes d’exploitation générées par les confinements décidés par les autorités sanitaires ainsi que celles générées par la fermeture administrative des restaurants dans les limites des stipulation contractuelles » (ibid.). L’octroi d’une provision en référé était donc parfaitement possible, dès lors que les conditions posées par le contrat étaient bien remplies.

Par ailleurs, le tribunal judiciaire condamne, en l’espèce, l’assureur à une provision de 15 000 € sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil, aux termes duquel « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ». Le tribunal retient en effet la résistance abusive de l’assureur pour avoir refusé tout versement d’indemnité provisionnelle à un restaurateur en exigeant, au préalable, les justificatifs des ventes à emporter réalisées pendant le premier confinement, alors même qu’une telle activité « n’a pu générer, en raison des circonstances, que des revenus sporadiques insusceptibles de modifier substantiellement son droit à indemnisation ».  

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