Adaptation de la garantie légale de conformité pour les biens et les contenus et services numériques
L’adaptation du code de la consommation aux impératifs de la modernité est un objectif si ce n’est fondamental, au moins nécessaire pour la mise en jeu de la protection du consommateur notamment en droit de l’Union européenne (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Dépincé, Droit de la consommation, Dalloz, coll. « Précis », 10e éd., 2020, sur la construction européenne, p. 47, nos 43 s.). L’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 sur la garantie légale de conformité vient à la fois moderniser et adapter les règles existantes pour tenir compte de cet objectif. Rappelons que cette ordonnance est la suite logique de la transposition de la directive (UE) 2019/770 sur les contrats de fourniture de contenus numériques ou de services numériques (v. J.-D. Pellier, Le droit de la consommation à l’ère du numérique, RDC 2019, n° 4, p. 86 s.) ainsi que de la directive (UE) 2019/771 concernant les contrats de vente de biens. L’ordonnance a été prise sur le fondement de la loi n°2020-1508 du 3 décembre 2020. Le Rapport remis au Président de la République indique que cette transposition obéit à « un souci de modernisation du cadre juridique de la protection des consommateurs, tenant compte de l’accroissement des ventes de produits connectés (tels que « l’internet des objets »), ainsi que de la fourniture de contenus et services numériques sous différentes formes ». Les nouvelles règles concernant la garantie légale de conformité s’appliquent aux contrats conclus à partir du 1er janvier 2022 ainsi qu’aux contenus et services numériques fournis à compter de cette date. Cette étape finale permettra aux directives précédemment citées de déployer tous leurs effets en droit positif et d’assurer une protection plus importante du consommateur à une époque où le numérique est omniprésent. Le parcours reste toutefois semé d’obstacles. Les dispositions introduites sont d’une certaine complexité et il faudra composer avec quelques doutes sur le sens de certaines dispositions jusqu’à des interprétations jurisprudentielles prochaines. Ceci n’empêche pas le texte d’être plutôt bien mené et respectueux, dans l’ensemble, des directives transposées avec quelques mois de retard sur la date initialement convenue (à savoir le 1er juill. 2021 avant la pandémie de covid-19).
Nous étudierons les traits caractéristiques de l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 afin de les examiner et de percevoir les changements majeurs en droit positif. À titre préliminaire, notons immédiatement que plusieurs dispositions sont touchées de manière incidentes par les modifications opérées par l’ordonnance. Ainsi en est-il particulièrement de l’article liminaire du code de la consommation dont nous verrons que sa refonte peut laisser perplexe certains auteurs. Les principaux changements opérés par l’ordonnance sont sur le volet de la vente de biens et sur le volet de la fourniture de contenus et de services numériques, lequel dépend étroitement du précédent. Tel est le plan de notre étude.
Une modification substantielle de l’article liminaire
L’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 vient, en premier lieu, bousculer l’architecture de l’article liminaire du Code de la consommation. Le mot « bousculer » est employé à dessein puisqu’on assiste à une certaine hypertrophie de cet article liminaire avec l’ordonnance nouvelle. On sait que les définitions données avant le 1er octobre 2021 n’étaient pas forcément entièrement satisfaisantes (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, Dalloz, coll. « Cours », p. 19, n°11). L’ordonnance du 14 mars 2016 ratifiée par la loi n° 2017-203 du 21 février 2017 a pu apporter toutefois un éclairage intéressant en proposant un article unifiant trois définitions fondamentales à la matière pour l’application des règles du code de la consommation. La définition du professionnel, absente dans un premier temps, a pu à ce titre clarifier quelques discussions doctrinales en posant de nouvelles questions qui ne sont pas réglées par l’ordonnance n° 2021-1247 (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, Dalloz, coll. « Précis », p. 4, nos 3 s.).
Désormais, l’article liminaire du Code de la consommation accueille dix nouveaux venus au rang des définitions apportées : le producteur, les biens comportant des éléments numériques, le contenu numérique, le service numérique, le support durable, la fonctionnalité, la compatibilité, l’interopérabilité, la durabilité et les données à caractère personnel. Il reste assez intéressant de voir la technique à l’œuvre : la définition donnée de ces termes à l’orée du Code de la consommation donne un tempo bien différent de celui du Code civil, par exemple. On sait que certains juristes ont pu s’interroger sur l’utilité et le risque de définir dans la loi (G. Cornu, Les définitions dans la loi, Mélanges dédiés au doyen Jean Vincent, Dalloz LexisNexis, 1981, § 1er à la fois un « trésor de définitions » et § 36 « dogmatique, elle est plus rigide »). Les définitions introduites dans l’ordonnance n° 2021-1247 multiplient, probablement un peu trop, les délimitations légales pour mieux encadrer les transpositions des deux directives (UE) 2019/770 et (UE) 2019/771. Mais il n’en reste pas moins que l’article perd probablement un peu en clarté au profit d’une délimitation certaine des notions évoquées par l’ordonnance (v. en ce sens, J.-D. Pellier, La dénaturation de l’article liminaire du code de la consommation (à propos de l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques), à paraitre au Recueil).
Quoiqu’il en soit, l’ordonnance vient donc modifier de manière importante le cadre de l’article liminaire du Code de la consommation afin de procéder à des renvois réguliers pour mieux cerner les notions introduites, notamment sous l’angle des éléments numériques que sous-tend la transposition de la directive (UE) 2019/770.
Outre ce changement d’architecture de l’article liminaire, c’est bien évidemment la garantie légale de conformité qui occupe la place centrale de l’ordonnance éponyme.
La métamorphose de la garantie légale de conformité
Comme le note le compte-rendu du Conseil des ministres du 29 septembre 2021, « la garantie légale de conformité couvre désormais également les produits numériques tels qu’un abonnement à une chaîne numérique ou l’achat d’un jeu vidéo en ligne. Elle est également applicable aux relations contractuelles des consommateurs avec les opérateurs de réseaux sociaux ».
L’ordonnance entend séparer dans deux sections distinctes la garantie légale de conformité pour la vente de biens (art. L. 217-1 à L. 217-32) et pour la fourniture des contenus et services numériques (art. L. 224-25-1 à L. 224-25-32) tous deux frappés du sceau de l’ordre public (art. L. 219-1 et L. 224-25-32) afin d’éviter tout contournement par le contrat ; ce qui réduirait la protection à une peau de chagrin (en ce sens, v. l’art. 22 de la dir. (UE) 2019/770 qui permet bien évidemment d’aller au-delà de la protection offerte par le législateur).
Une constante quel que soit le type de contrat envisagé doit immédiatement attirer l’attention. Les dispositions concernées sont applicables aux contrats conclus entre professionnels et consommateurs mais aussi aux contrats conclus entre professionnels et non professionnels (C. consom., nouvel art. L. 217-32 pour la vente de biens et nouvel art. L. 224-25-31 pour la fourniture de contenus numériques ou de services numériques). C’est une modification substantielle qui élargit la protection à de nouveaux horizons, de manière fort bienvenue puisque le non-professionnel est, peu ou prou, dans une situation comparable à celui du consommateur dans le cadre de la vente de biens ou de fournitures de contenus numériques puisque, par définition, n’agissant pas à des fins professionnels (v. art. liminaire).
Afin de dissuader toute pratique des professionnels faisant obstacle à l’application des règles introduites, l’ordonnance cite une myriade de sanctions civiles (C. consom., art. L. 241-5 à L. 241-7 pour la vente de biens ; art. L. 242-18-1 à L. 242-18-3 pour la fourniture de contenus numériques) et de sanctions administratives (C. consom., art. L. 241-8 à L. 241-15 pour la vente de biens ; art. L. 242-18-4 à L. 242-18-9 pour la fourniture de contenus numériques) afin d’assurer au texte une application raisonnée et, par l’effet comminatoire, empêcher toute inapplication à titre préventif.
Est ajouté un article L. 112-4-1 ainsi libellé : « lorsque le contrat de vente de biens ou le contrat de fourniture de contenus numériques ou de services numériques ne prévoit pas le paiement d’un prix, le professionnel précise la nature de l’avantage procuré par le consommateur au sens des articles L. 217-1 et L. 224-25-2 ». L’addition permet un gain de clarté pour les consommateurs qui sauront à quoi s’en tenir quand un contrat de vente ou de fournitures est offert sans le paiement d’un prix, ce qui se distingue assez souvent d’une complète gratuité par ailleurs puisque parfois des données personnelles peuvent être récoltées par le professionnel.
Afin de mieux cerner les nouveautés, nous diviserons le propos en deux sous-parties. Le texte utilise un modèle, celui de la vente de biens pour parachever la protection en adaptant celui-ci aux fournitures de contenus numériques et de services numériques.
Le modèle de la protection : la vente de biens
En ce qui concerne le domaine de la garantie légale de conformité, l’ordonnance n° 2021-1247 vient réécrire de manière substantielle l’article L. 217-2 du code de la consommation afin de procéder à des exclusions déjà présentes dans la loi (biens vendus par autorité de justice et enchères publiques) et pour expressément exclure les contrats de vente d’animaux. Sur ce point, le Rapport remis au président de la République vient rappeler que des dispositions spécifiques du Code rural sont applicables à ces derniers contrats (p. 2, par renvoi en réalité aux dispositions des vices cachés à certaines conditions).
Les recours demeurent les mêmes qu’auparavant en cas de défaut de conformité : la réparation ou le remplacement du bien comme solution de principe (sans frais, évidemment) avec un délai maximum pour le professionnel de trente jours. Si ceci n’est pas possible, le consommateur obtient la réduction du prix ou la résolution du contrat comme par le passé. La durée de cette garantie reste de deux ans à compter de la délivrance du bien (art. L. 217-3).
Se créent souvent des discussions autour de ce qu’est la conformité du produit. L’article L. 217-4 issu de l’ordonnance vient, sans réelle surprise, faire référence à la conformité au contrat et l’article L. 217-5 donne des critères de conformité que l’ordonnance liste de manière in abstracto comme l’usage habituellement attendu d’un bien de même type ou la conformité à un échantillon ou à un modèle. Il faudra, bien souvent, préférer l’approche contractuelle car les critères objectifs peuvent laisser perplexes tant il sera difficile pour le consommateur d’y faire référence utilement.
La présomption d’antériorité survit également à l’ordonnance n° 2021-1247 à l’article L. 217-7 lequel subit une réécriture assez importante, par ailleurs, pour y inclure le cas où la vente de biens comporte des éléments numériques prévoyant une fourniture continue de contenus. Notons que pour les biens d’occasion, le délai passe de six actuellement à douze mois au 1er janvier 2022 (art. L. 217-7, al. 2 nouv.).
La construction d’un régime de la garantie légale de conformité pour les contenus numériques et les services numériques s’adosse à ce régime en l’adaptant ponctuellement dans une section dédiée.
Le parachèvement de la protection à travers la fourniture de contenus et services numériques
Sur les contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques, deux définitions (celles de l’environnement numérique et de l’intégration) sont données à l’article L. 224-25-1 nouveau, ce qui renforce l’idée selon laquelle les définitions se sont multipliées dans le Code de la consommation afin de respecter au mieux le champ des transpositions notamment de la directive (UE) 2019/770 (sur ce point, v. J.-D. Pellier, Le droit de la consommation à l’ère du numérique, préc., spéc. n° 6).
La garantie légale de conformité applicable aux contenus numériques et aux services numériques ressemble peu ou prou à celle que nous connaissons pour la vente de biens. On y retrouve les traits caractéristiques de l’attente contractuelle avec la conformité du contenu au contrat conclu (C. consom., art. L. 224-25-12 nouv.). Les remèdes offerts par la directive (UE) 2019/770 aux problèmes de conformité se retrouvent aux articles L. 224-25-17 et suivants opérant comme pour la vente de biens pour un choix hiérarchisé. En premier lieu, il s’agit de la mise en conformité du contenu numérique, si possible. En second lieu, le consommateur peut obtenir la réduction du prix ou la résolution du contrat. Cette structure hiérarchisée se déduit des articles L. 224-25-18 à L. 224-25-23 nouveaux du Code de la consommation. On notera l’application possible de l’exception d’inexécution de l’article 1219 du Code civil : le consommateur peut suspendre le paiement de tout ou partie du prix jusqu’à ce que le professionnel ait satisfait aux obligations qui lui incombent dans la mise en conformité du contenu. Voici un renvoi au droit commun fort intéressant montrant que le droit de la consommation reste du droit spécial des contrats.
Le délai retenu est celui de deux ans à partir de la fourniture. Quand le service est fourni de manière continue, le professionnel est tenu des défauts apparaissant au cours de la période de fourniture, ceci n’étant que l’adaptation du délai précédent au type particulier de fourniture pendant un temps précis. La règle permet de prendre acte de manière dynamique des abonnements continus de type abonnement à un cloud (de sauvegarde de données, par exemple) ou de streaming. La présomption d’antériorité est d’une année à compter de la fourniture du service (C. consom., art. L. 224-25-16-I nouv.), là où elle est de deux ans à compter de la délivrance du bien comme nous l’avons étudié précédemment. La présomption est simple, le professionnel peut rapporter la preuve contraire s’il y parvient.
L’ordonnance n° 2021-1247 fait une place de choix aux mises à jour des contenus numériques, à travers les articles L. 224-25-24 nouveaux du code de la consommation avec, une fois de plus, une définition de ce qu’est une mise à jour dont le critère est le maintien, l’adaptation ou l’évolution des fonctionnalités ou des services numériques souscrits. Le consommateur dispose d’un droit à l’information de la disponibilité de ces mises à jour ainsi qu’à leur réception sur le produit concerné. Le Rapport remis au président de la République (p. 3) rappelle, à ce titre, que l’ordonnance reprend les innovations de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 sur la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Ceci se traduit par l’ajout d’une information du consommateur sur la durée des fournitures de mise à jour. L’ajout est important, par exemple, pour les logiciels systèmes qui cessent peu à peu d’être mis à jour quand une nouvelle version payante est disponible.
Conclusion
Voici donc une ordonnance qui entend accompagner le Code de la consommation dans une société du tout-numérique qui évite le gaspillage par ailleurs (v. par ex., l’extension automatique de six mois de la garantie légale en cas de réparation, art. L. 217-3 nouv.). Certains regretteront des définitions à foison et des règles trop nombreuses, parfois qualifiées de peu digestes par la doctrine. Mais le contenu final est une transposition assez fidèle des directives (UE) 2019/770 et (UE) 2019/771 qui permettent une protection intéressante du consommateur. Le modèle de la vente de biens est tantôt calqué, tantôt adaptée pour éviter des écueils notamment sur les spécificités du numérique et la volatilité de son contenu. Ce premier pas doit être accueilli avec bienveillance et des adaptations se feront au fur et à mesure, notamment en premier lieu avec une loi de ratification.