Appel sur appel ne vaut : retour vers le futur
Voilà un arrêt qui dessine sans doute le futur de la régularisation procédurale en cas de caducité ou d’irrecevabilité. Le 29 mars 2016, une société relève appel d’un jugement du conseil de prud’hommes d’Ajaccio devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence puis, selon acte en date du 4 mai 2016, interjette appel devant la cour d’appel de Bastia, cour d’appel territorialement compétente. Le 14 juin 2018, elle se désiste de son appel formé devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. L’intimé soulève alors l’irrecevabilité de l’appel devant la cour de Bastia, laquelle estime l’appel effectivement irrecevable dès lors qu’au jour où l’appel avait été formé devant elle, un premier appel était encore pendant devant la cour d’Aix-en-Provence. Au soutien de son pourvoi, la société arguait que l’adage selon lequel « appel sur appel ne vaut » ne s’applique que si la cour d’appel a été régulièrement saisie d’un premier appel et qu’elle avait donc intérêt à former un second appel afin de réparer cette irrégularité, et ce quand bien même elle avait sciemment saisi une première juridiction incompétente en raison de sa qualité de conseiller prud’homme dans le ressort bastiais. La demanderesse au pourvoi ajoutait que le refus de statuer au fond sur le second appel constituait un déni de justice et que la cour avait méconnu les exigences de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Au visa des articles 126 et 546 du code de procédure civile, et de l’article 6, § 1, de la Convention européenne, la deuxième chambre civile apporte la réponse suivante :
« Il résulte de ces textes que la saisine d’une cour d’appel territorialement incompétente donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée avant que le juge statue, à condition que le délai d’appel n’ait pas expiré.
La circonstance que le désistement de l’appel porté devant la juridiction incompétente n’était pas intervenu au jour où l’appel a été formé devant la cour d’appel territorialement compétente ne fait pas obstacle à la régularisation de l’appel.
Pour déclarer irrecevable l’appel interjeté le 4 mai 2016 devant la cour d’appel de Bastia, l’arrêt retient que l’appel formé devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence était encore pendant lorsque le second appel contre le même jugement a été interjeté devant la cour d’appel de Bastia, privant par là même la société Socodi d’intérêt à agir.
En statuant ainsi, alors que le second appel avait été formé avant l’expiration du délai d’appel, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
L’arrêt est donc cassé en toutes ses dispositions et l’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Lyon.
La cour de Bastia, pour juger irrecevable le second appel formalisé devant elle, qualifiait de « question essentielle » « celle de la recevabilité du second appel initié tandis qu’un premier appel est encore pendant ». Pour la cour d’appel, la société appelante, du fait de cet appel inscrit antérieurement et toujours en cours au jour du second appel, ne disposait pas d’un « intérêt à agir ». Le raisonnement est bien connu, mais il est mis à mal par la Cour de cassation. Les praticiens de la procédure d’appel savent en effet que la deuxième chambre civile a construit sa jurisprudence, notamment depuis les décrets Magendie, par différents arrêts qui sont venus interdire deux appels identiques, faisant revivre l’adage « appel sur appel ne vaut ».
La haute juridiction a souhaité dans un premier temps mettre un terme à la possibilité pour l’appelant de repousser indéfiniment son délai pour conclure puisque, avant l’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017, l’appelant qui ne concluait pas dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile pouvait réinscrire un appel frappé de caducité tant que le jugement n’était pas signifié. Ainsi, la seconde déclaration d’appel identique à la première comme ayant été formée à l’encontre du même jugement et désignant le même intimé est privée d’effet, et l’appelant est alors tenu de conclure dans le délai de trois mois à compter de sa première déclaration d’appel à peine de caducité de celle-ci (Civ. 2e, 21 janv. 2016, n° 14-18.631, Dalloz actualité, 16 févr. 2016, obs. R. Laffly ; D. 2016. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero ; 16 nov. 2017, n° 16-23.796, Dalloz actualité, 7 déc. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2018. 692, obs. N. Fricero ).
Puis la Cour de cassation a retenu l’intérêt à agir, comme a pu le faire la cour de Bastia, pour interdire un nouvel appel alors qu’un premier était en cours d’instruction. Pour la deuxième chambre civile, tant que la cour d’appel ne s’était pas prononcée, l’appelant n’avait pas d’intérêt à agir en formant un second appel identique au premier, l’intérêt à relever appel s’appréciant au jour de l’appel. Ainsi, dès lors que la cour d’appel est régulièrement saisie d’un appel dont la caducité n’a pas été constatée, le second appel formé à l’encontre du même jugement et des mêmes parties est irrecevable (Civ. 2e, 11 mai 2017, n° 16-18.464, Dalloz actualité, 7 juin 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1053 ).
Tout cela était traduit, souvent hâtivement, par l’adage « appel sur appel ne vaut », moyen que l’on voyait un peu trop vite brandi comme dans le cas présent, dérogatoire donc, et qui en offre une parfaite illustration. La première objection au raisonnement de la cour de Bastia réside sans doute dans le fait qu’il n’y avait pas d’identité exacte entre deux appels portés devant deux cours différentes, fût-ce à l’encontre du même jugement et de la même partie. La seconde tient au fait que, depuis quelque temps, la Cour de cassation prend soin d’approuver la possibilité pour les parties, exposées à la menace d’une irrecevabilité ou d’une caducité, de régulariser un acte affecté d’une irrégularité dès lors, bien sûr, qu’elles restent dans le délai pour ce faire. La réponse de la Cour de cassation est donc claire : « La circonstance que le désistement de l’appel porté devant la juridiction incompétente n’était pas intervenu au jour où l’appel a été formé devant la cour d’appel territorialement compétente ne fait pas obstacle à la régularisation de l’appel ».
L’avènement de l’article 911-1 du code de procédure civile, issu du décret du 6 mai 2017 (« La partie dont la déclaration d’appel a été frappée de caducité en application des articles 902, 905-1, 905-2 ou 908 ou dont l’appel a été déclaré irrecevable n’est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l’égard de la même partie »), n’y est certainement pas étranger et explique sans doute ce sens de l’anticipation dans une affaire qui concernait deux actes d’appel régularisés quelques mois avant l’entrée en vigueur de ce texte.
Car, si désormais l’appelant ne peut plus attendre la sanction, caractérisant son intérêt à agir, pour exercer un nouveau recours, la régularisation d’une erreur procédurale, dans le temps imparti, devrait toujours pouvoir être conduite. L’intérêt à agir naît, précisément, de la volonté de réparer une irrégularité procédurale. Comme l’illustre le contentieux des pratiques restrictives donnant compétence d’ordre public à la cour d’appel de Paris, différentes formations de la cour de Paris ont pu admettre ainsi la recevabilité d’un second appel formé devant elle alors qu’un premier appel – encourant l’irrecevabilité comme relatif par exemple à une rupture brutale des relations commerciales établies – avait été initialement relevé devant une cour incompétente, et souvent d’ailleurs sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, du droit d’accès au juge et à un procès équitable, comme du risque d’un déni de justice.
Cette prise de position de la deuxième chambre civile doit être saluée tant il est vrai que, si l’on suivait le raisonnement antérieur, aucune régularisation procédurale ne serait désormais possible : l’appelant n’aurait pas d’intérêt à agir en formant un second appel avant que la caducité ou l’irrecevabilité ne soit prononcée et, s’il décidait d’attendre le prononcé de la sanction afin de caractériser son intérêt à agir, il ne serait plus recevable à le faire par application de l’article 911-1 du code de procédure civile… Dit autrement, les parties n’auraient plus le droit à l’erreur, alors même qu’elles seraient encore dans le délai pour la régulariser.
C’est d’ailleurs le raisonnement adopté en matière de déchéance de pourvoi. Dans un arrêt destiné à la plus large publication rendu au visa de l’article 621 du code de procédure civile, la deuxième chambre civile vient en effet de juger que le second pourvoi est recevable lorsque l’ordonnance qui constate la déchéance du premier pourvoi est postérieure à la déclaration du second pourvoi (Civ. 2e, 27 juin 2019, n° 17-28.111, Dalloz actualité, 25 juill. 2019, obs. A. Bolze ; D. 2019. 1398 ; JCP 2019. Actu. 726). Or il n’échappera pas que l’article 621 est le pendant de l’article 911-1 (« Si le pourvoi en cassation est rejeté, la partie qui l’a formé n’est plus recevable à en former un nouveau contre le même jugement, hors le cas prévu à l’article 618. Il en est de même lorsque la Cour de cassation constate son dessaisissement, déclare le pourvoi irrecevable ou prononce la déchéance »).
Enfin, la Cour de cassation prend la peine de rappeler qu’en l’espèce, le second appel avait été formé avant l’expiration du délai d’appel et précise « que la saisine d’une cour d’appel territorialement incompétente donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée avant que le juge statue, à condition que le délai d’appel n’ait pas expiré ». C’est une précision d’importance car, si la régularisation doit intervenir dans le délai de l’appel, c’est que la sanction d’une saisine d’une cour d’appel territorialement incompétente est l’irrecevabilité et non la nullité. On sait en effet que le régime de nullité et d’irrecevabilité diffère, autorisant un effet interruptif du délai de forclusion dans le premier cas, non dans le second. On sait moins que celui relatif à la saisine d’une juridiction incompétente reste en marge en dépit de vives contestations de la doctrine. Alors que l’exception de procédure d’incompétence soulevée en première instance autorise un renvoi de greffe à greffe, l’incompétence cette fois de la cour d’appel débouche sur une fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel, et ce bien qu’il s’agisse de dispositions communes à toutes les juridictions (livre 1er, ss-sect. 5 : dispositions communes). La sanction de la saisine d’une cour d’appel incompétente est non la nullité mais bien l’irrecevabilité (pour une illustration, v. Civ. 2e, 21 mars 2019, n° 17-10.663, Dalloz actualité, 8 avr. 2019, obs. R. Laffly). L’effet interruptif ne joue donc pas et c’est pourquoi la deuxième chambre civile prend soin de rappeler que, si régularisation il peut y avoir – c’est déjà cela d’acquis –, encore faut-il que celle-ci intervienne dans le délai d’appel.