Appréciation de la disproportion du cautionnement : des précisions, encore et toujours…
À l’heure du confinement, les repères sont modifiés… Mais il demeure tout de même des îlots de certitudes, à l’abri des bouleversements d’habitudes. Ainsi en va-t-il du contentieux relatif à l’exigence de proportionnalité du cautionnement souscrit par la personne physique qui, se prolongeant sans cesse, reste hermétique à la pandémie et au changement. Par un arrêt de la chambre commerciale en date du 11 mars 2020, c’est à propos des engagements devant être appréhendés que la Cour de cassation a dû, encore, fournir des précisions.
En l’espèce, une personne physique s’est engagée en qualité de caution en faveur d’une banque, pour la garantie de deux prêts souscrits par une EURL. Suite au placement de la débitrice principale en sauvegarde, puis en liquidation judiciaire, la banque a assigné la caution. Pour se soustraire au paiement, la caution a invoqué un engagement disproportionné. En effet, le cautionnement ayant été souscrit par une personne physique en faveur d’un créancier professionnel, il entrait dans le champ d’application de l’ancien article L. 341-4 du code de la consommation (C. consom., nouv. art. L. 332-1), lequel libère la caution d’un engagement « manifestement disproportionné à ses biens et revenus ». Cependant, faut-il encore, pour obtenir cette libération, caractériser la disproportion manifeste. Or, ni les premiers juges ni ceux d’appel ne l’ont retenue, motivant un pourvoi de la caution. Pour l’appuyer, celle-ci avançait principalement deux arguments. D’abord, elle contestait le choix des juges d’appel d’avoir apprécié la proportionnalité des engagements litigieux sans les prendre en compte, se limitant à considérer les seuls engagements de caution antérieurs. Par ailleurs, la caution invoquait une violation de base légale dès lors que les juges d’appel avaient apprécié la disproportion du cautionnement, non pas à l’aune du montant du propre engagement de la caution, mais au seul regard de la charge mensuelle générée par les échéances des crédits garantis en cas de défaillance des débiteurs principaux.
Finalement, deux interrogations découlaient de l’espèce : d’une part, l’appréciation de la disproportion d’un cautionnement suppose-t-elle de prendre en considération l’engagement litigieux ? D’autre part, un engagement peut-il être valablement jugé proportionné en seule considération des échéances mensuelles générées par les obligations garanties, indifféremment du montant de l’engagement propre de la caution ?
Pour chacune de ces deux interrogations, les solutions retenues par les juges du fond sont erronées de sorte que la cassation est prononcée. Plus précisément, la motivation de la Cour de cassation met en exergue des erreurs de méthode de la cour d’appel. Ce faisant, l’arrêt fournit deux précisions importantes : en premier lieu, il rappelle qu’il s’impose, évidemment, de prendre en compte l’engagement litigieux dans le cadre de l’appréciation de la disproportion manifeste d’un cautionnement ; en second lieu, il précise que la disproportion manifeste, pour pouvoir être valablement écartée, suppose de scruter le montant du propre engagement de la caution.
Nécessaire prise en compte de l’engagement litigieux
Si la cour d’appel a soigneusement identifié les multiples engagements antérieurs de la caution pour apprécier la proportionnalité des deux nouveaux cautionnements souscrits, elle a curieusement écarté ceux-ci des éléments pris en considération. La chambre commerciale en tire logiquement motif à cassation dès lors que les « cautionnements antérieurement souscrits » devaient « s’ajouter aux deux nouveaux cautionnements ». Aussi, faute d’avoir « tenu compte du montant de ces deux cautionnements litigieux, auxquels devaient être ajoutés celui des cinq cautionnements antérieurs », les juges d’appel ont nécessairement privé leur décision de base légale.
Incontestablement, la forêt des engagements à prendre en compte pour apprécier la disproportion du cautionnement souscrit par la personne physique en faveur du créancier professionnel est un dédale dans le lequel il est aisé de se perdre. Il faut prendre en considération les engagements de caution antérieurs (Com. 22 mai 2013, n° 11-24.812, Bull. civ. IV, n° 84 ; D. 2013. 1340, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2551, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou, F. Arbellot et J. Lecaroz ; RTD civ. 2013. 607, obs. H. Barbier ), même s’ils sont finalement déclarés disproportionnés (Com. 29 sept. 2015, n° 13-24.568, publié au bulletin, D. 2015. 2004 ; ibid. 2016. 1955, obs. P. Crocq ; Defrénois 2016, p. 814, obs. S. Cabrillac ; JCP 2015. I. 1222, n° 8, obs. P. Simler ; Gaz. Pal. 10 déc. 2015, p. 18, obs. C. Albiges ; RD banc. fin. 2015. Comm. 188, obs. D. Legeais). En revanche, les engagements antérieurs finalement annulés doivent être écartés (Com. 21 nov. 2018, n° 16-25.128, publié au bulletin, Dalloz actualité, 5 déc. Y. Blandin ; D. 2018. 2356 ; AJ contrat 2019. 43, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2019. 152, obs. P. Crocq ; ibid. 153, obs. P. Crocq ; RTD com. 2019. 485, obs. A. Martin-Serf ; Gaz. Pal. 19 févr. 2019, p. 24, obs. M.-P. Dumont-Lefrand et p. 64, obs. M. Bourassin ; JCP E 2019. 1007, obs. D. Legeais), de même que les engagements postérieurs, même prévisibles (Com. 3 nov. 2015, nos 14-26.051 et 15-21.769, Bull. civ. IV, n° 150 ; D. 2015. 2316, obs. V. Avena-Robardet ; Rev. sociétés 2016. 146, note C. Juillet ; Gaz. Pal. 9-10 déc. 2015, p. 18, obs. C. Albiges ; 22 sept. 2015, n° 14-17.100, inédit, D. 2016. 1955, obs. P. Crocq ; Defrénois 2016. 814, obs. S. Cabrillac). En dépit des complexités réelles de maniement, il demeure que l’erreur commise en l’espèce par la cour d’appel est relativement grossière.
S’il faut retenir les engagements de caution antérieurs, l’examen de la proportionnalité impose également et surtout de prendre en compte l’engagement litigieux, c’est-à-dire le cautionnement donnant lieu à appréciation de la disproportion. En effet, cette appréciation s’ancre nécessairement dans une approche patrimoniale générale, au regard de l’ensemble des ressources et des engagements de la caution au moment de la souscription. Or, l’engagement de caution litigieux doit évidemment figurer au titre du passif à prendre en considération, dès lors qu’il constituera nécessairement une dette pour la caution en cas de défaillance du débiteur principal. En somme, il s’agit d’un élément de passif connu, n’ayant rien d’éventuel et devant systématiquement être pris en compte. Et puisque cet élément du passif ne peut être ignoré du créancier, il n’est pas nécessaire, comme en l’espèce, que la caution en fasse état dans sa fiche de renseignements relatifs à ses éléments patrimoniaux. En bonne méthode, le créancier bénéficiaire – tout comme les juges saisis du contrôle de proportionnalité – doivent évidemment les ajouter à l’assiette des engagements à prendre en compte. En définitive, l’erreur des juges du fond découle donc d’un défaut de méthode, sur le terrain de la délimitation du passif à appréhender.
Il semble que l’erreur soit encore de méthode lorsque la cour d’appel s’égare à nouveau, en omettant d’apprécier la disproportion à l’aune du propre engagement de la caution.
Appréciation à l’aune du montant du propre engagement de la caution
Pour décider l’absence de disproportion des engagements litigieux, les juges du fond ont retenu que la charge mensuelle générée par les échéances des prêts garantis, en cas de défaillance simultanée des différents débiteurs principaux, n’était pas manifestement disproportionnée aux biens et revenus de la caution. Il est vrai que le total avoisinait les 3 000 €, pour un revenu mensuel de la caution d’environ 5 000 € complété par un patrimoine d’environ 300 000 €. Cependant, en statuant ainsi, « alors que la disproportion manifeste du cautionnement s’apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l’obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, c’est-à-dire, en l’espèce, aux mensualités des prêts, mais au montant de son propre engagement », la cour d’appel a violé l’ancien article L. 341-4 du code de la consommation (C. consom., nouv. art. L. 332-1). Cette affirmation constitue la confirmation d’une solution désormais établie, en parfaite adéquation avec la ratio legis.
L’affirmation constitue la confirmation d’une solution établie au regard d’un arrêt antérieur de la chambre commerciale, ayant déjà proclamé que la disproportion manifeste du cautionnement s’apprécie nécessairement au regard de la capacité de la caution à faire face à son propre engagement et « non à l’obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci » (Com. 6 mars 2019, n° 17-27.063, inédit, RDBF 2019, n° 80, obs. D. Legeais). Il est vrai que cette position est solidement fondée, ce qui commande son prolongement. En effet, elle s’inscrit en parfaite adéquation avec la ratio legis de l’ancien article L. 341-4 du code de la consommation, devenu l’article L. 332-1. Celui-ci commande une approche d’ensemble de l’endettement de la caution quant à l’exigence de proportionnalité de l’engagement. Conformément au dispositif légal, il s’impose d’appréhender le montant total que la caution devra supporter, in fine, en cas de défaillance du débiteur principal. En somme, il s’agit d’appréhender l’endettement global de la caution, uniquement mais entièrement, en détachement des modalités de l’obligation garantie. Partant, une simple appréciation partielle est proscrite, ainsi de celle limitée à la considération de la charge mensuelle représentée par les échéances des prêts garantis. Cette approche ne permet pas d’éprouver les capacités de la caution à faire face à son propre engagement. Même s’il apparaît que la caution peut isolément supporter ces mensualités, cela n’établit en rien qu’elle pourra pareillement supporter le montant total de l’engagement. Les éléments de son patrimoine, qu’il s’agisse de ses revenus ou de ses biens, peuvent finalement venir à manquer, au fil de la répétition des mensualités, si le montant total de son engagement dépasse de beaucoup ses ressources. Dès lors, l’appréciation de la disproportion ne peut être menée qu’à l’aune du propre engagement de la caution, pour son ensemble, indifféremment de la charge mensuelle correspondant à l’échelonnement des obligations garanties.