Articulation des compétences du juge des enfants et du juge aux affaires familiales : revirement de jurisprudence

Parce qu’ils interviennent tous deux dans la sphère familiale, le juge des enfants et le juge aux affaires familiales ont des compétences qui, entrant en concurrence, peuvent parfois s’entrecroiser. La notion de danger auquel est exposé le mineur (C. civ., art. 375), qui est classiquement présentée comme un critère de distinction entre ces deux juridictions, ne règle pas toujours la difficulté.

Dans cet arrêt du 20 octobre 2021, aux enjeux pratiques considérables et donc assez largement diffusé (FS-B+R ; v. la présentation de l’arrêt dans la lettre de la première chambre civile du 4 octobre 2021), la première chambre civile adopte une solution qu’elle qualifie elle-même de revirement de jurisprudence en ce qu’elle modifie la répartition du contentieux jusqu’ici adoptée.

Les faits d’espèce étaient des plus classiques : un juge aux affaires familiales a prononcé le divorce et fixé la résidence de l’enfant au domicile de son père, accordant à sa mère un droit de visite et d’hébergement. Quelques mois plus tard, un juge des enfants a ordonné une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert au bénéfice de l’enfant et, par jugement ultérieur, a confié ce dernier à son père en accordant à sa mère un droit de visite médiatisé jusqu’à la prochaine décision du juge aux affaires familiales. En appel, le jugement a été infirmé au motif que seul le juge aux affaires familiales pouvait statuer sur le droit de visite et d’hébergement de la mère.

Un pourvoi en cassation a été formé. Il posait la question suivante : lorsque, postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales sur la résidence de l’enfant, le juge des enfants qui constate une situation de danger pour l’enfant peut-il décider de placer ce dernier chez le parent qui bénéficie déjà de la résidence habituelle ? Cette question en entraîne nécessairement une autre, plus générale, qui consiste à savoir si le juge des enfants est compétent pour modifier les droits de visite et d’hébergement fixés par le juges aux affaires familiales.

La Cour de cassation répond à cet argument de façon à la fois complète et pédagogue.

Elle commence par énoncer les dispositions de l’article 375-3 du code civil qui prévoit que « si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier, notamment à l’autre parent (1°) ». Le texte ajoute : « toutefois, lorsqu’une demande en divorce a été présentée ou un jugement de divorce rendu entre les père et mère ou lorsqu’une demande en vue de statuer sur la résidence et les droits de visite afférents à un enfant a été présentée ou une décision rendue entre les père et mère, ces mesures ne peuvent être prises que si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s’est révélé postérieurement à la décision statuant sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou confiant l’enfant à un tiers. Elles ne peuvent faire obstacle à la faculté qu’aura le juge aux affaires familiales de décider, par application de l’article 373-3, à qui l’enfant devra être confié (…) ».

La Haute juridiction poursuit en énonçant qu’ aux termes de l’article 375-7, alinéa 4, du même code, s’il a été nécessaire de confier l’enfant à une personne ou un établissement, ses parents conservent un droit de correspondance ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement. Le juge en fixe les modalités et peut, si l’intérêt de l’enfant l’exige, décider que l’exercice de ces droits, ou de l’un d’eux, est provisoirement suspendu. Il peut également, par décision spécialement motivée, imposer que le droit de visite du ou des parents ne peut être exercé qu’en présence d’un tiers qu’il désigne lorsque l’enfant est confié à une personne ou qui est désigné par l’établissement ou le service auquel l’enfant est confié.

Elle mentionne ensuite sa jurisprudence antérieure selon laquelle lorsqu’un fait de nature à entraîner un danger pour l’enfant s’était révélé ou était survenu postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales ayant fixé la résidence habituelle de celui-ci chez l’un des parents et organisé le droit de visite et d’hébergement de l’autre, le juge des enfants, compétent pour tout ce qui concernait l’assistance éducative, pouvait, à ce titre, modifier les modalités d’exercice de ce droit, alors même qu’aucune mesure de placement n’était ordonnée (Civ. 1re, 26 janv. 1994, n° 91-05.083, Bull. civ. I, n° 32 ; D. 1994. 278 image, note M. Huyette image ; RDSS 1995. 179, note F. Monéger image ; 10 juill. 1996, n° 95-05.027, Bull. civ. I, n° 313 ; D. 1996. 205 image ; RTD civ. 1997. 410, obs. J. Hauser image). Ce faisant, le juge des enfants pouvait intervenir sur le « terrain » du juge aux affaires familiales en l’absence de placement de l’enfant. Elle rappelle cependant la limite à ce principe, celui de l’urgence puisqu’en pareil cas, le juge aux affaires familiales peut être saisi en qualité de juge des référés, par les parents ou le ministère public, sur le fondement de l’article 373-2-8 du code civil, en vue d’une modification des modalités d’exercice de l’autorité parentale.

La Cour régulatrice explique par ailleurs qu’en conférant un pouvoir concurrent au juge des enfants, quand l’intervention de celui-ci, provisoire, est par principe limitée aux hypothèses où la modification des modalités d’exercice de l’autorité parentale est insuffisante à mettre fin à une situation de danger, la solution retenue jusqu’alors a favorisé les risques d’instrumentalisation de ce juge par les parties (v. sur ce point, M. Huyette, D. 1994. 278 image). De quels risques s’agit-il ? Sans doute l’arrêt évoque-t-il la tentation, pour certaines parties, de solliciter l’intervention du juge des enfants sur la question de la résidence de l’enfant en appréhendant cette juridiction comme une sorte de voie de secours pour la partie insatisfaite d’une décision rendue par le juge aux affaires familiales.

La Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence sur ce point, en limitant, sur le fondement de l’article 375-7 du code civil, la compétence du juge des enfants, s’agissant de la détermination de la résidence du mineur et du droit de visite et d’hébergement, à l’existence d’une décision de placement ordonnée en application de l’article 375-3 du même code. Ainsi, il a été jugé, en premier lieu, qu’il résulte des articles L. 312-1 et L. 531-3 du code de l’organisation judiciaire, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006, et des articles 373-2-6, 373-2-8, 373-4 et 375-1 du code civil que la compétence du juge des enfants est limitée, en matière civile, aux mesures d’assistance éducative et que le juge aux affaires familiales est seul compétent pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et la résidence de l’enfant, de sorte qu’en cas de non-lieu à assistance éducative, le juge des enfants ne peut remettre l’enfant qu’au parent chez lequel la résidence a été fixée par le juge aux affaires familiales (Civ. 1re, 14 nov. 2007, n° 06-18.104, Bull. civ. I, n° 358 ; D. 2009. 53, obs. M. Douchy-Oudot image ; RTD civ. 2008. 289, obs. J. Hauser image). En second lieu, il a été jugé que le juge aux affaires familiales est compétent pour fixer, dans l’intérêt de l’enfant, les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, sauf à ce que juge des enfants ait ordonné un placement sur le fondement de l’article 375-3 du code civil (Civ. 1re, 9 juin 2010, n° 09-13.390, Bull. civ. I, n° 130 ; D. 2010. 2343 image, note M. Huyette image ; ibid. 2092, chron. N. Auroy et C. Creton image ; ibid. 2011. 1995, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; AJ fam. 2010. 325, obs. E. Durand image ; RTD civ. 2010. 546, obs. J. Hauser image).

La Haute juridiction en conclut qu’il apparaît nécessaire de revenir sur la jurisprudence antérieure et de dire qu’il résulte de la combinaison des articles 375-3 et 375-7, alinéa 4, du code civil que, lorsqu’un juge aux affaires familiales a statué sur la résidence de l’enfant et fixé le droit de visite et d’hébergement de l’autre parent, le juge des enfants, saisi postérieurement à cette décision, ne peut modifier les modalités du droit de visite et d’hébergement décidé par le juge aux affaires familiales qu’à deux conditions :

s’il existe une décision de placement de l’enfant au sens de l’article 375-3, laquelle ne peut conduire le juge des enfants à placer l’enfant chez le parent qui dispose déjà d’une décision du juge aux affaires familiales fixant la résidence de l’enfant à son domicile ; si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s’est révélé postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales.

C’est donc à raison que la cour d’appel a estimé, d’une part, que, le juge aux affaires familiales ayant fixé, lors du jugement de divorce, la résidence habituelle de l’enfant au domicile de son père, le juge des enfants n’avait pas le pouvoir de lui confier l’enfant, l’article 375-3 du code civil, ne visant que « l’autre parent » et, d’autre part, qu’en l’absence de mesure de placement conforme aux dispositions légales, le juge des enfants n’avait pas davantage le pouvoir de statuer sur le droit de visite et d’hébergement du parent chez lequel l’enfant ne résidait pas de manière habituelle. Il s’en déduit que seul le juge aux affaires familiales pouvait en l’occurrence modifier le droit de visite et d’hébergement de la mère de l’enfant.

La solution a le mérite de respecter la lettre des textes cités, en particulier l’article 375-7 du code civil qui conditionne la fixation, par le juge des enfants, du droit de visite et d’hébergement à une mesure de placement. De façon plus générale, la Cour de cassation livre ainsi une solution claire permettant d’appréhender de façon lisible les compétences respectives du juge des enfants et du juge aux affaires familiales s’agissant d’un sujet pour lequel les cours d’appels et les juges de première instance, des enfants notamment, se montraient relativement divisées. En opérant une nette distinction entre les compétences de chacun, la décision rapportée montre que les compétences de ces deux juges ne sont pas concurrentes mais complémentaires.

  

 SYMBOLE GRIS