Cautionnement et Convention européenne des droits de l’homme
Il est rare que le cautionnement soit confronté aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme et de ses protocoles additionnels. Il convient donc de prêter une certaine attention à l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 21 octobre 2020. En l’espèce, par un acte sous seing privé du 7 juin 2004, une société de crédit a consenti à une société un prêt d’un montant de 100 000 €. Par un acte du même jour, deux personnes se rendues caution de ce prêt. La société débitrice ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 27 juillet et 23 novembre 2006, la créancière a assigné les cautions en exécution de leurs engagements. Celles-ci ont demandé, reconventionnellement, l’annulation desdits engagements sur le fondement des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016. La cour d’appel de Basse-Terre, dans un arrêt du 12 novembre 2018, fait droit à leur demande en raison de l’irrégularité des mentions manuscrites, ce qui motiva un pourvoi en cassation de la créancière.
L’annulation du cautionnement était toutefois inéluctable au regard de la mention rédigée par les cautions : « Bon pour engagement de caution solidaire et indivise à concurrence de la somme de cinquante mille euros (50 000 euros) en capital, augmentée des intérêts du prêt au taux de 5,85 %, commissions, intérêts moratoires, frais et accessoires quelconques y afférents ». On comprend donc parfaitement que la Cour de cassation ait considéré que « l’arrêt en déduit exactement que le formalisme des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, n’a pas été respecté, dès lors que la mention manuscrite litigieuse ne comporte ni la durée du cautionnement ni l’identité du débiteur principal, et ne précise pas le sens de l’engagement ni n’indique ce que signifie son caractère “solidaire”. L’arrêt retient, en outre, que l’adjectif “indivise” contribue à la confusion et à l’imprécision en ce qu’il constitue un ajout par rapport à la mention légale, et que, de plus, il est impropre, et, en tout état de cause, non défini. En l’état de ces éléments, la cour d’appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision » (pt 4). On sait en effet que le formalisme des anciens articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation (devenus les articles L. 331-1 et L. 331-2 à la faveur de l’ordonnance du 14 mars 2016) est sanctionné par la nullité du cautionnement (cette nullité étant relative, v. en ce sens Com. 5 févr. 2013, n° 12-11.720 : « Mais attendu que la violation du formalisme des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, qui a pour finalité la protection des intérêts de la caution, est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle elle peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l’affectant », Dalloz actualité, 21 févr. 2013, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2013. 1113, obs. V. Avena-Robardet , note R. Libchaber ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; Rev. sociétés 2013. 479, note D. Legeais ). Certes, ce formalisme a pu être quelque peu assoupli, mais certainement pas au point de faire l’impasse sur des éléments aussi importants que l’identité du débiteur principal ou encore la durée du cautionnement (v. à ce sujet P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés. la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, n° 118). On observera toutefois que l’adjectif « indivise », pour impropre qu’il soit, fait sans doute référence au caractère indivisible du cautionnement, caractère qui ne figure certes pas dans les mentions prévues par le code de la consommation, mais qui devrait sans l’ombre d’un doute pouvoir être stipulé au risque de brider la liberté contractuelle. L’intérêt d’une telle stipulation réside dans la possibilité de rendre le cautionnement indivisible à l’égard des héritiers de la caution (sur le caractère artificiel d’une telle stipulation en présence d’une obligation monétaire et l’intérêt du recours à la solidarité, v. M. Julienne, « Un contractant peut-il obliger solidairement ses héritiers ? », in Mélanges en l’honneur du professeur Michel Grimaldi. Liber amicorum, Defrénois, 2020).
Mais l’arrêt rendu par la chambre commerciale contient un autre enseignement : « la sanction de la nullité du cautionnement dont la mention manuscrite n’est pas conforme à celle prévue par la loi, qui est fondée sur la protection de la caution, ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit de l’établissement de crédit prêteur au respect de ses biens garanti par l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (pt 5). On sait que les créanciers tentent souvent de faire valoir le droit au respect de leurs biens sur le fondement de ce texte (v. égal. Com. 3 avr. 2019, n° 18-11.247 : « Attendu que la sanction de l’absence de revendication par le propriétaire d’un bien dans le délai prévu par l’article L. 624-9 du code de commerce ne consiste pas à transférer ce bien non revendiqué dans le patrimoine du débiteur mais à rendre le droit de propriété sur ce bien inopposable à la procédure collective, ce qui a pour effet d’affecter le bien au gage commun des créanciers, permettant ainsi, en tant que de besoin, sa réalisation au profit de leur collectivité ou son utilisation en vue du redressement de l’entreprise, afin d’assurer la poursuite de l’activité, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif ; que s’il en résulte une restriction aux conditions d’exercice du droit de propriété de celui qui s’est abstenu de revendiquer son bien, cette atteinte est prévue par la loi et se justifie par un motif d’intérêt général, dès lors que l’encadrement de la revendication a pour but de déterminer rapidement et avec certitude les actifs susceptibles d’être appréhendés par la procédure collective afin qu’il soit statué, dans un délai raisonnable, sur l’issue de celle-ci dans l’intérêt de tous ; que ne constitue pas, en conséquence, une charge excessive pour le propriétaire l’obligation de se plier à la discipline collective générale inhérente à toute procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaires, en faisant connaître sa position quant au sort de son bien, dans les conditions prévues par la loi et en jouissant des garanties procédurales qu’elle lui assure quant à la possibilité d’agir en revendication dans un délai de forclusion de courte durée mais qui ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir », Dalloz actualité, 20 juin 2019, obs. X. Delpech ; D. 2019. 758 ; ibid. 1801, obs. N. Reboul-Maupin et Y. Strickler ; ibid. 1903, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; RTD civ. 2019. 617, obs. W. Dross ; RTD com. 2019. 490, obs. A. Martin-Serf ; ibid. 2020. 176, obs. A. Martin-Serf ). Mais l’argument ne pouvait prospérer : il y a certainement une atteinte à ce droit dans la mesure où le cautionnement se trouve annulé, ce qui anéantit la créance contre la caution, mais cette atteinte est justifiée par la protection de cette dernière, objectif cher au législateur, comme en témoigne l’habilitation délivrée au gouvernement par l’article 60, I, 1°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, qui prévoit de « réformer le droit du cautionnement, afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique » (l’avant-projet de réforme du droit des sûretés sous l’égide de l’association Henri-Capitant, piloté par le professeur Michel Grimaldi, prévoit d’abroger les dispositions du code de la consommation et de les remplacer par un article 2298 du code civil ainsi rédigé : « La caution personne physique appose elle-même, à peine de nullité de son engagement, la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. En cas de cautionnement solidaire, la caution reconnaît dans ladite mention être tenue solidairement et ne pouvoir exiger du créancier ni qu’il poursuive d’abord le débiteur ni, le cas échéant, qu’il divise ses poursuites entre les cautions. Le mandat de se porter caution est soumis aux mêmes dispositions ». Pour une proposition alternative, consistant à généraliser à l’ensemble des garants personnes physiques l’exigence d’une telle mention, v. J.-D. Pellier, in L. Andreu et J.-D. Pellier, « L’incidence de la réforme du droit des obligations sur les sûretés personnelles », in L. Andreu et M. Mignot [dir.], Les contrats spéciaux et la réforme du droit des obligations, LGDJ/Institut universitaire Varenne, 2017, p. 499, n° 27). Au demeurant, à quoi bon prévoir un formalisme informatif si aucune sanction n’est encourue ?