Chronique d’arbitrage : l’assemblée plénière fait de l’arbitrage sans le savoir
Au-delà de cette décision, il est difficile de passer à côté de l’arrêt rendu le 18 février 2020 par la cour d’appel de La Haye dans l’affaire Loukos. Condamnant la Fédération de Russie à payer 50 milliards de dollars aux actionnaires de cet ancien groupe pétrolier par un tribunal arbitral, la sentence avait été annulée devant le tribunal du district de La Haye. La décision a été réformée par la cour d’appel et la sentence réhabilitée. La discussion portait en particulier sur la compétence du tribunal arbitral pour trancher le litige, un doute existant sur l’applicabilité du traité sur la charte de l’énergie à la Russie. C’est donc une réponse positive qui est donnée, dans l’attente d’un éventuel pourvoi (l’arrêt étant en néerlandais, nous ne nous hasarderons pas à le commenter). On signalera également que le premier arrêt de la CICAP relatif à un recours en annulation a été rendu (Paris, 7 janv. 2020, n° 19/07260, République Démocratique du Congo c. Divine Inspiration) et que la frégate l’Hermione pourrait ne pas avoir la chance de faire l’objet d’un arbitrage (Poitiers, 21 janv. 2020, n° 19/01458, l’Hermione).
Action extracontractuelle et arbitrage
La question des liens entre arbitrage et action extracontractuelle fait l’objet d’une jurisprudence foisonnante (v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, Rev. arb. 2019. 685). Deux situations différentes peuvent être à l’origine des interrogations : d’une part, entre deux parties à un contrat, il est possible que des actions contractuelles et extracontractuelles se cumulent ; d’autre part, un tiers au contrat peut exercer une action présentant un lien avec celui-ci. C’est ce second cas de figure qui se retrouve au cœur de l’arrêt rendu par l’assemblée plénière le 13 janvier 2020 (Cass., ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, QBE Insurance c. Sucrerie de Bois rouge, Dalloz actualité, 24 janv. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 416, et les obs. , note J.-S. Borghetti ; ibid. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 394, point de vue M. Bacache ; AJ contrat 2020. 80 , obs. M. Latina ; Gaz. Pal. 2020, n° 5, p. 15, obs. D. Houtcieff).
Les faits sont relativement simples. La société Industrielle sucrière de Bourbon, devenue la société Sucrerie de Bois rouge (la société de Bois rouge), et la société Sucrière de la Réunion (la société Sucrière) ont conclu un protocole aux fins de concentrer le traitement industriel de la production cannière de l’île de la Réunion sur deux usines, celle de Bois rouge appartenant à la société de Bois rouge et celle du Gol appartenant à la société Sucrière. Elles ont par ailleurs conclu une convention d’assistance mutuelle en période de campagne sucrière entre les deux usines de Bois rouge et du Gol « en cas d’arrêt accidentel prolongé de l’une des usines ». Un incendie s’est déclaré dans une usine électrique de la centrale thermique exploitée par la société Compagnie thermique de Bois rouge (la Compagnie thermique) qui alimentait en énergie l’usine de Bois rouge, entraînant la fermeture de cette usine pendant quatre semaines. L’usine du Gol a assuré une partie du traitement de la canne qui aurait dû l’être par l’usine de Bois rouge. La société QBE, assureur de la société Sucrière, ayant indemnisé son assuré de ses pertes d’exploitation, a, dans l’exercice de son action subrogatoire, saisi un tribunal à l’effet d’obtenir la condamnation de la Compagnie thermique à lui rembourser l’indemnité versée.
Dans le cadre de cette action, le demandeur se prévalait d’un manquement contractuel de la Compagnie thermique au soutien de son action extracontractuelle. À l’occasion de cet arrêt, la question du maintien de la très fameuse jurisprudence Bootshop était posée (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255, Bull. ass. plén., n° 9 ; D. 2006. 2825, obs. I. Gallmeister , note G. Viney ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2007. 295 , obs. N. Damas ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier ; ibid. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 123, obs. P. Jourdain ; JCP 2006. II. 10181, avis A. Gariazzo et note M. Billiau ; ibid. 2007. I. 185, n° 4, obs. P. Stoffel-Munck ; CCC 2007, n° 63, obs. L. Leveneur). La Cour de cassation confirme cette jurisprudence en énonçant dans une formule dépourvue d’ambiguïté que « le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu’il subit n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement ». Elle casse l’arrêt d’appel au motif « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, la cour d’appel, qui a constaté la défaillance de la Compagnie thermique dans l’exécution de son contrat de fourniture d’énergie à l’usine de Bois rouge pendant quatre semaines et le dommage qui en était résulté pour la société Sucrière, victime de l’arrêt de cette usine, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ».
Si la solution est d’envergure pour les spécialistes du droit des obligations, dans quelle mesure intéresse-t-elle les arbitragistes ? À première vue, aucunement. Toutefois, une analyse un peu plus approfondie de la décision permet d’en tirer des conséquences en droit de l’arbitrage. En effet, la relation contractuelle unissant la Compagnie thermique à la société de Bois rouge contenait une clause compromissoire. Dans l’instance d’appel, la Compagnie thermique avait tenté d’opposer à l’assureur cette clause (Saint-Denis, 5 avr. 2017, n° 15/00876, QBE Insurance c. Sucrerie de Bois rouge). La cour s’y opposa, dans une formule éclairante : « l’action du tiers au contrat est ainsi soumise à un régime propre et la clause limitative de responsabilité ou les clauses compromissoires contenues au contrat ne peuvent lui être valablement opposées ».
Ainsi, l’enjeu du litige n’est pas seulement de déterminer la faculté du tiers à se prévaloir d’un manquement contractuel dans le cadre de son action extracontractuelle. Il est également de se positionner sur la question de l’opposabilité des clauses contractuelles au tiers, au premier rang desquelles la clause compromissoire. L’avis de l’avocat général dans cette affaire met en relief cette problématique. Celui-ci reprend la solution de l’article 1234, alinéa 2, du projet de réforme de la responsabilité civile du 23 mars 2017. Il propose d’autoriser le demandeur à établir que le seul manquement contractuel lui a causé un dommage, à la condition de respecter les conditions et limites de la responsabilité prévues au contrat (J.-R. de la Tour, avis ss Cass., ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, préc.). Autrement dit, si le demandeur peut établir une faute extracontractuelle en apportant la preuve d’un manquement contractuel, c’est à la condition d’accepter de se voir opposer les clauses contractuelles. Cette solution n’est pourtant pas retenue par la Cour. Contrairement à l’avis de son avocat général, elle confirme – implicitement du moins – la position avantageuse dans laquelle se trouve le tiers, lequel peut se prévaloir du manquement contractuel sans se voir opposer les clauses. La formule sibylline selon laquelle « il importe de ne pas entraver l’indemnisation de ce dommage » pourrait d’ailleurs refléter cette approche. Dès lors, la solution de la cour d’appel tendant à écarter la clause compromissoire est confortée.
Il faudra être vigilant à la confirmation d’une telle solution. Devant la cour d’appel, l’incompétence des juridictions étatiques au profit des juridictions arbitrales était soulevée. Malheureusement, comme souvent, le principe compétence-compétence n’était pas invoqué au soutien de cette exception. L’articulation entre les deux principes peut être discutée. Faut-il faire primer la solution de l’assemblée plénière et écarter la clause compromissoire ou privilégier le principe compétence-compétence et renvoyer à l’arbitre pour qu’il statue prioritairement sur sa compétence ? En faveur de la première solution, deux approches sont envisageables. D’une part, comme en droit du travail interne, écarter purement et simplement le principe compétence-compétence (Soc. 30 nov. 2011, nos 11-12.905 et 11-12.906, D. 2011. 3002 ; ibid. 2012. 2991, obs. T. Clay ; Dr. soc. 2012. 309, obs. B. Gauriau ; RTD com. 2012. 351, obs. A. Constantin ; ibid. 528, obs. E. Loquin ; Rev. arb., 2012 [1re décis.], p. 333, note M. Boucaron-Nardetto ; JCP G 2012. 843, § 2, obs. C. Seraglini ; ibid. 2011. 2518, obs. N. Dedessus-Le-Moustier ; JCP S 2012, n° 5, p. 42, note S. Brissy ; Procédures 2012. Comm. 42, obs. L. Weiller ; ibid. 2012. Comm. 75, obs. A. Bugada ; RDC 2012. 539, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). Toutefois, l’hypothèse est radicale et l’on voit mal ce qui justifierait de l’étendre au tiers. D’autre part, il est possible de voir dans la solution de l’assemblée plénière un cas d’inapplicabilité manifeste de la clause. Le principe compétence-compétence est préservé, mais le tiers peut se prévaloir de l’exception prévue à l’article 1448 du code de procédure civile pour soumettre son litige directement aux juridictions judiciaires.
Simples en apparence, aucune de ces approches n’est satisfaisante. Deux raisons peuvent au moins être avancées. D’abord, il est difficilement explicable qu’un tiers se prévalant d’un manquement contractuel dans le cadre d’une action extracontractuelle puisse bénéficier d’un régime plus favorable que des tiers dans des situations proches. Par exemple, dans un arrêt récent, la Cour de cassation a retenu que l’action directe d’une victime contre l’assureur du responsable était soumise à la clause contenue dans le contrat d’assurance (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.951, Dalloz actualité, 28 févr. 2019, obs. V. Chantebout ; ibid., 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; DMF 2019, n° 810, p. 114, obs. P. Delebecque ; RGDA 2019, n° 2, p. 39, note R. Schulz ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude). On peut évidemment objecter que la nature de l’action a une incidence sur la solution. Il n’en demeure pas moins que l’action directe, supposément instaurée au bénéfice du tiers, devient une contrainte par rapport à celui qui n’en bénéficie pas. Ensuite, et plus fondamentalement, une telle solution se heurte à la diversité des cas de figure dès lors que le litige est international, ce qui conduit à rechercher la loi applicable à l’action. Une discrimination entre les actions de tiers soumises à la loi française et celles soumises à une loi étrangère pourrait apparaître.
Dès lors, il est préférable de retenir la seconde solution, à savoir donner effet au principe compétence-compétence et renvoyer à l’arbitre les questions de compétence. En effet, dès lors qu’un tiers agit contre une partie à un contrat en se prévalant d’une violation contractuelle, l’action présente un lien avec la clause compromissoire et la compétence doit être tranchée prioritairement par l’arbitre (v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, art. préc., nos 20 s.). Ce n’est pourtant pas la voie dans laquelle semble s’engager la Cour de cassation, et on peut regretter que le régime de la clause compromissoire soit sacrifié.
La clause compromissoire
La notion de clause compromissoire
La clause compromissoire doit être rédigée avec soin, faute de quoi elle sera inefficace, voire pathologique. On retrouve régulièrement dans les contrats des clauses selon lesquelles les parties contractantes doivent se consulter pour examiner l’opportunité de soumettre leur différend à un arbitrage ou pour refuser l’arbitrage. Cette clause est doublement inefficace. D’une part, elle n’est pas une clause compromissoire et n’impose aucunement de recourir à l’arbitrage. D’autre part, elle n’institue même pas un préalable obligatoire à la saisine du juge, dont le non-respect entraînerait l’irrecevabilité de la demande, à l’image de ce qui est prévu pour la clause de conciliation préalable (Bordeaux, 23 janv. 2020, n° 16/02240, Hôtel Merle).
Les effets de la clause compromissoire
Le principe compétence-compétence
Dans la lignée de l’arrêt d’assemblée plénière du 13 janvier 2020, et comme à chaque livraison de cette chronique, on perçoit la difficulté d’appropriation du principe compétence-compétence par les praticiens non spécialisés. D’abord, on peut regretter que l’article 1448 du code de procédure civile ne soit pas systématiquement invoqué par l’auteur de l’exception d’incompétence. Ensuite, les juridictions commerciales ont tendance à refuser de faire droit à l’exception d’incompétence, en violation du droit positif. Enfin, quand bien même l’appel permet souvent d’y remédier, c’est le plus souvent au prix d’approximations, le juge ayant une tendance à forte à trancher positivement la question de la compétence arbitrale.
Ceci étant, il n’est pas non plus rare de tomber sur une application scrupuleuse du principe. Un bel exemple est donné par la cour d’appel d’Aix (Aix-en-Provence, 16 janv. 2020, n° 19/06759, Patri Invest). Plusieurs actes de cession avaient été conclus, lesquels comportaient une clause compromissoire identique. Pour renvoyer au tribunal arbitral, la cour constate sobrement que « le tribunal de commerce de Nice ne pouvait statuer sur sa compétence en appréciant les clauses compromissoires par rapport à la nature délictuelle des demandes des parties, à l’étendue de la saisine du tribunal arbitral déjà saisi et au lien avec les procédures de sauvegarde, et ainsi statuer sur la compétence ou l’incompétence du tribunal arbitral ». Le raisonnement est simple et efficace : la clause compromissoire interdit au juge judiciaire, même en présence d’une action délictuelle, de se prononcer sur la compétence, en particulier lorsque le tribunal est déjà saisi, et impose de renvoyer aux arbitres.
Un autre exemple est offert par la cour d’appel de Toulouse (Toulouse, 8 janv. 2020, n° 18/01609, Airbus). Pour s’opposer à l’application de la clause, le demandeur ayant saisi les juridictions commerciales arguait que « l’inapplicabilité manifeste d’une clause d’arbitrage doit s’apprécier à l’aune de la commune intention des parties, l’inapplicabilité étant manifeste en cas d’absence de nécessité d’un examen approfondi de leurs relations contractuelles ». Il y avait de quoi rester perplexe face à cette argumentation. La cour y répond de façon parfaitement rigoureuse en décidant qu’« il ne peut être sérieusement soutenu que sans qu’il soit nécessaire de se livrer à un examen approfondi des relations contractuelles, la volonté des parties était manifestement d’exclure son application dans le cadre d’un litige concernant l’exigibilité des commissions ». Elle renvoie les parties à mieux se pourvoir en se limitant à considérer que la clause n’est pas manifestement inapplicable, et donc sans se prononcer sur l’applicabilité de la clause.
Ces exemples sont malheureusement trop rares. Le juge est souvent tenté de trancher la question de la compétence pour asseoir son incompétence. Dans un arrêt du 6 février 2020, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait à se prononcer sur l’action exercée par un consultant dans le milieu aéronautique (Aix-en-Provence, 6 févr. 2020, n° 19/14154, Airbus Helicopters). Une exception d’incompétence avait été soulevée par le défendeur devant le tribunal de commerce saisi de l’action. En première instance, l’exception avait été rejetée au motif que « la résiliation des contrats entraîne l’extinction de l’ensemble des dispositions prévues par lesdits contrats et que par conséquent [le défendeur] ne peut donc se prévaloir des conditions prévues par les clauses compromissoires desdits contrats ». La motivation était doublement fantaisiste, en ce qu’elle faisait échec cumulativement au principe compétence-compétence (C. pr. civ., art. 1448) et au principe d’indépendance matérielle de la clause compromissoire (C. pr. civ., art. 1447). C’est tout naturellement que la cour d’appel corrige l’erreur du juge consulaire, mais uniquement partiellement. Sur l’indépendance de la clause, le demandeur ne faisait plus état de la résiliation du contrat principal, mais de sa novation. La question de l’effet d’une novation sur une convention d’arbitrage est d’une particulière complexité (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., Lextenso éditions/Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2019, n° 78 ; P. Ancel, Arbitrage et novation, Rev. arb. 2002. 3). Le moyen est ici écarté. Toutefois, la cour ne respecte pas le principe compétence-compétence dans sa pureté. En effet, pour renvoyer les parties à l’arbitrage, elle constate, premièrement, qu’« il ne ressort aucunement de ce document une volonté de nover de la société appelante, la lettre de résiliation ne pouvant être considérée comme une volonté d’effectuer une novation », et, deuxièmement, que « les clauses insérées dans les deux contrats sont applicables et notamment celles relatives aux clauses compromissoires précitées ». Par conséquent, la cour a déjà tranché la question de la compétence arbitrale, privant l’arbitre de sa priorité.
Un autre exemple est donné par la cour d’appel de Paris – dans une chambre non spécialisée (Paris, 5 févr. 2020, n° 19/11015, Euro Disney). En première instance, l’exception d’incompétence avait été écartée. Le jugement est infirmé et les parties sont renvoyées à mieux se pourvoir. Si la solution finale est satisfaisante, le raisonnement pour y aboutir contient des d’approximations. D’une part, la cour ne se limite pas à un examen du caractère manifestement nul ou inapplicable de la clause et se prononce directement sur son applicabilité au litige. D’autre part, alors que le régime de la clause compromissoire est prévu par l’article 2061 du code civil, la cour se fonde sur les articles 1103 et 1104 du code civil pour établir la validité de la clause. Une fois de plus, la solution manque de rigueur.
Enfin, il faut faire état d’une affaire un peu particulière, car elle s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence discutable de la Cour de cassation (Poitiers, 21 janv. 2020, n° 19/01458, préc.). Le litige porte sur la reconstruction de la frégate « l’Hermione » et oppose l’association portant ce projet et l’entrepreneur chargé de la fabrication des « ensembles propulsifs pour navires ». L’arrêt est remarquable à deux titres. D’abord, il traite de la question, assez rare finalement, de l’activité professionnelle d’un signataire de la clause ; ensuite, il ouvre la discussion de son articulation avec le principe compétence-compétence.
Sur la première interrogation, l’article 2061 du code civil, dans sa version antérieure à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21e siècle, énonçait que, « sous réserve des dispositions législatives particulières, la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus à raison d’une activité professionnelle ». La formule était malheureuse, en ce qu’elle laissait en suspens une question : fallait-il que la clause soit conclue à raison de deux activités professionnelles, ou suffisait-il qu’une seule partie s’engage à ce titre (T. Clay, « Une erreur de codification dans le code civil : les dispositions sur l’arbitrage », in 1804-2004. Le code civil, un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 693, spéc. nos 54 s. ; P. Fouchard, La laborieuse réforme de la clause compromissoire par la loi du 15 mai 2001, Rev. arb. 2001. 397) ? Assez logiquement, la Cour de cassation a tranché en faveur de la première solution, à l’occasion d’un litige relatif à la cession d’un fonds de commerce par des retraités (Civ. 1re, 29 févr. 2012, n° 11-12.782, D. 2012. 1312, obs. X. Delpech , note A.-C. Rouaud ; ibid. 2991, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2012. 359, note M. de Fontmichel ; JCP 2012. Act. 310, obs. J. Béguin ; JCP E 2012. 1314, note J. Monéger ; ibid. 2012. 1498, obs. J. Ortscheidt ; Procédures 2012, n° 4, p. 21, obs. L. Weiller ; LPA 2012, n° 102, p. 11, note V. Legrand ; ibid. n° 135, p. 7, note A.-S. Courdier-Cuisinier ; ibid. n° 187, p. 14, note E. Faivre). Dans l’espèce soumise à la cour d’appel de Poitiers, il s’agissait de savoir si l’association Hermione - La Fayette exerçait une activité professionnelle. Pour exclure cette qualification, elle énonce en particulier que « le projet à vocation historique de l’association est la reconstruction d’une frégate ancienne. Cette association n’est pas un professionnel de la construction maritime ni de la propulsion motorisée des navires ». Sous toutes réserves, la solution semble conforme à l’article liminaire du code de la consommation.
Néanmoins, la Cour se hasarde ensuite sur le terrain de l’acceptation de la clause. Ce passage n’était pas indispensable, dès lors que la nullité était constatée, faute d’activité professionnelle d’une partie. Il l’était d’autant moins que la Cour retient la nullité de la clause au motif que les conditions générales n’ont pas été « annexées » à l’offre. Une telle motivation est insusceptible de caractériser une nullité de la clause. La clause compromissoire par référence est valable et il suffit que le contrat principal renvoie au document qui la contient (X. Boucobza, La clause compromissoire par référence en matière d’arbitrage international, Rev. arb. 1998. 495 ; B. Oppetit, La clause d’arbitrage par référence, Rev. arb. 1990. 551).
C’est en revanche sur la deuxième question que l’appréciation de la cour d’appel est discutable. Le principe compétence-compétence n’est pas évoqué par la cour – faute peut-être d’avoir été invoqué par les parties. Or le raisonnement tendant à déterminer si l’une des parties s’est engagée à la clause au titre d’une activité professionnelle ne devrait pas relever d’un cas d’inapplicabilité manifeste de la clause. Pour autant, il est difficile d’en vouloir à la cour d’appel de Poitiers. En effet, le (mauvais) exemple avait été montré par la Cour de cassation dans son arrêt du 29 février 2012. Cette erreur méthodologique avait d’ailleurs été signalée (T. Clay, note ss Civ. 1re, 29 févr. 2012, n° 11-12.782, préc. ; pour une approbation de la solution, v. M. de Fontmichel, note ss Civ. 1re, 29 févr. 2012, Rev. arb. 2012. 359, n° 7 ; pour une remise en cause plus générale de la rigueur du principe compétence-compétence, qui pourrait être particulièrement adaptée en ce genre de circonstances, v. J. Clavel, Le déni de justice économique dans l’arbitrage international. L’effet négatif du principe de compétence-compétence, thèse, ss la dir. de G. Khairallah, Paris 2, 2011, nos 331 s.). Au final, s’il est tout à fait envisageable que la clause ne soit pas valable, cette décision devrait revenir à prioritairement à l’arbitre, sous le contrôle du juge de l’annulation. On peut espérer un pourvoi sur cette question, afin de donner l’occasion à la Cour de cassation de se prononcer à nouveau sur la combinaison entre le principe compétence-compétence et l’examen de l’activité professionnelle d’une partie.
La désignation d’un arbitre par le juge d’appui
En cas de difficulté de constitution du tribunal arbitral, et à défaut d’institution chargée d’organiser la procédure, il revient au juge d’appui de procéder à la désignation. La seule exception est prévue à l’article 1455 du code de procédure civile, qui énonce que, « si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable, le juge d’appui déclare n’y avoir lieu à désignation ». La caractérisation de cette nullité ou inapplicabilité manifeste ne peut résulter du comportement des parties. C’est ce que rappelle un arrêt, en retenant que la mauvaise volonté, la procrastination et la déloyauté ne sont pas suffisantes pour faire échec à la désignation d’un arbitre (Poitiers, 11 févr. 2020, n° 19/01756, Pharmacie du Géant Casino).
Le régime auquel la décision du juge d’appui est soumise dépend ensuite de la réponse apportée. L’article 1460, alinéa 3, du code de procédure civile prévoit que l’ordonnance n’est pas susceptible de recours en cas de désignation. En revanche, elle peut être frappée d’appel « lorsque le juge déclare n’y avoir lieu à désignation pour une des causes prévues à l’article 1455 ». Néanmoins, cette disposition ne prévoit pas le cas où le juge d’appui refuse de désigner l’arbitre pour un autre motif que ceux énumérés à l’article 1455. C’est ce qui s’est produit dans une espèce soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 12 févr. 2020, n° 19/04488, La Sécurité). Le juge d’appui avait refusé la désignation au motif que le demandeur ne justifiait d’aucun litige. Quelle est alors la voie de recours ouverte ? La cour reprend une solution bien ancrée en jurisprudence : l’appel étant fermé, un appel-nullité peut être formé pour faire sanctionner l’excès de pouvoir du juge (v. par ex. Civ. 1re, 13 déc. 2017, n° 16-22.131, Garoubé, D. 2018. 18 ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 39, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2017. 701, note H. Barbier ; Procédures 2018, n° 2, p. 18, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 370, note V. Chantebout ; JDI 2019. 627, note K. Mehtiyeva ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, op. cit., n° 787). Logiquement, l’ordonnance refusant de désigner l’arbitre est annulée.
Les mesures provisoires étatiques en cas d’expiration du délai d’arbitrage
Le plus souvent, les questions relatives au délai d’arbitrage sont invoquées devant le juge du recours, l’une des parties reprochant à l’arbitre d’avoir rendu sa sentence hors délai. C’est donc une discussion relativement inédite à laquelle était confrontée la cour d’appel de Versailles, puisqu’elle devait trancher une difficulté relative à l’expiration du délai pour un arbitrage non terminé (Versailles, 16 janv. 2020, n° 19/04609). En effet, la cour était saisie d’une demande de mesure provisoire. L’article 1449 du code de procédure civile prévoit à cet égard que les juridictions judiciaires sont compétentes pour en connaître « tant que le tribunal n’est pas constitué ». L’argument du demandeur était de se prévaloir de l’expiration du délai d’arbitrage pour établir une compétence « retrouvée » du juge étatique. L’argument fait mouche, puisque la cour constate que le délai a expiré et qu’elle recouvre par conséquent sa compétence. En effet, malgré plusieurs prorogations consécutives, le tribunal arbitral avait laissé filer le délai. Cette erreur s’explique sans doute dans la croyance erronée que la désignation d’un expert est susceptible d’entraîner une suspension de l’instance. Néanmoins, cette possibilité offerte par l’article 1472 du code de procédure civile nécessite une décision du tribunal arbitral, laquelle faisait défaut. Dès lors, le juge constate l’expiration du délai et précise qu’il n’est pas « nécessaire qu’une décision du tribunal arbitral le constate expressément ».
À première vue, la décision est solide. Elle l’est d’autant plus que l’expiration du délai entraîne des conséquences limitées : elle permet, comme en l’espèce, au juge de prononcer des mesures provisoires ; en revanche, elle n’autorise pas le juge à se déclarer compétent sur le fond, l’expiration du délai n’entraînant pas l’anéantissement de la clause compromissoire (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, op. cit., n° 324). Cependant, il n’est pas impossible que le tribunal arbitral ait une perception différente de la situation. Rien n’exclut qu’il entende mener la procédure à son terme et rendre une sentence. Le recours en annulation conduira à discuter de nouveau de l’expiration du délai, avec le risque d’une décision contradictoire ! D’ailleurs, une éventuelle annulation de la sentence pourra donner lieu à une action en responsabilité contre les arbitres et à un nouvel examen du délai par un nouveau juge. Autrement dit, aucune de ces quatre décisions (juge des référés, tribunal arbitral, juge de l’annulation et juge de la responsabilité) n’a autorité de la chose jugée sur les autres. L’expiration du délai peut ainsi faire l’objet de discussions sans fin !
Clause compromissoire et arbitrage du bâtonnier
C’est une affaire résolument complexe qu’avait à résoudre la Cour de cassation dans sa décision du 15 janvier 2020 (Civ. 1re, 15 janv. 2020, n° 18-20.102, Fiacre La Bâtie Hoffman). L’arrêt est inédit, mais les questions posées sont essentielles. Un avocat au barreau du Val-de-Marne a conclu avec une société d’avocats inscrite au barreau de Paris une structure commune de moyens. Leur « convention d’exercice groupée » comportait une clause compromissoire stipulant, en cas de différend, la compétence ordinale du bâtonnier de Paris. Celle-ci n’a toutefois pas été signée. À l’occasion d’un litige, en 2005, chaque partie à la convention a saisi son propre bâtonnier. Puis… plus rien jusqu’en 2013. Finalement, le président du Conseil national des barreaux a désigné en 2014 le bâtonnier des Hauts-de-Seine comme tiers arbitre. Celui-ci a déclaré l’action prescrite.
Le raisonnement du bâtonnier est essentiel pour la compréhension de l’affaire. Il considère que, n’ayant pas été signée, la convention d’arbitrage n’est pas valable. Dès lors, la saisine du bâtonnier de Paris ne peut être assimilée à une citation en justice interruptive de prescription au sens de l’article 2244 (ancien) du code civil. En conséquence, la prescription est acquise. La cour d’appel valide en substance ce raisonnement (Versailles, 25 mai 2018, n° 16/05613) et le pourvoi est rejeté. La motivation ne convainc pourtant pas, à plusieurs titres.
D’abord, il est fait état du défaut de consentement des parties à la clause. Il n’est pas discuté que la convention d’exercice groupée contenait une clause compromissoire. Simplement, celle-ci n’a pas été signée. Afin de rechercher si les parties ont entendu s’y soumettre, le bâtonnier et la cour d’appel s’étaient logiquement attachés à leur comportement. Alors que la convention a fait l’objet d’une exécution continue par les parties – et que les demandes respectives sont fondées sur celle-ci – le bâtonnier considère qu’il en allait différemment de la clause compromissoire. En effet, en vertu de l’« autonomie juridique » de la clause, il conviendrait de rechercher une acceptation distincte. On s’étouffe. D’une part, ce n’est pas tant l’autonomie juridique que l’autonomie matérielle de la clause qui est concernée. D’autre part, cette autonomie vise justement à préserver la clause des vices pouvant affecter le contrat. Elle ne peut être utilisée pour exiger un consentement dissocié entre le contrat et la clause. À suivre un tel raisonnement, il faudrait exiger des parties une signature distincte entre le contrat et la clause. C’est pourtant une solution validée par la cour d’appel de Versailles. La Cour de cassation se retranche quant à elle derrière l’appréciation souveraine des juges du fond.
Ensuite, une fois qu’est constatée l’absence de clause compromissoire liant les parties, la question qui se pose est celle de l’effet interruptif de la prescription de la demande formée en 2005. Là encore, le raisonnement est discutable. Pour l’essentiel, la cour d’appel de Versailles valide le raisonnement du bâtonnier selon lequel « une demande d’arbitrage ne saurait être considérée comme interruptive de prescription et assimilée à une citation en justice que si elle intervient conformément à la clause compromissoire insérée dans le contrat et dans les formes prévues par le règlement d’arbitrage ». Or, faute de clause compromissoire, le demandeur a saisi une personne dépourvue de pouvoir juridictionnel et n’a donc pas interrompu la prescription. La Cour de cassation énonce, par un contrôle plein, que « la saisine [du bâtonnier] était dépourvue d’effet interruptif de prescription, faute d’être intervenue en exécution de la clause d’arbitrage stipulée au contrat qui, seule pouvait, alors, entraîner sa compétence ». Il ne faut absolument pas sous-estimer cette difficulté, dont les enjeux dépassent très largement ce litige. La question est simple : la saisine à tort d’une juridiction arbitrale interrompt-elle la prescription ? Le problème peut être envisagé sous plusieurs angles. Comme l’ont fait le bâtonnier, la cour d’appel et la Cour de cassation, on peut estimer que la demande adressée à une personne dépourvue de pouvoir juridictionnel n’est pas interruptive de prescription. La solution est séduisante. Elle est toutefois impraticable. À la suivre, il faudrait considérer que chaque fois que le tribunal arbitral se déclare incompétent, la prescription n’a pas été interrompue, en l’absence de saisine d’une juridiction par le demandeur. Pourquoi pas, diront certains. N’est-ce pas une bonne façon d’éviter les manœuvres dilatoires ? C’est cependant oublier que le principe compétence-compétence impose de faire constater par l’arbitre son incompétence avant de se présenter devant les juridictions étatiques. On ne peut sérieusement envisager que dans ces hypothèses, la saisine du tribunal arbitral ne soit pas interruptive de prescription. En conséquence, il n’est pas possible de faire autrement que de considérer qu’une demande en justice fondée sur une clause compromissoire défectueuse est bien une demande en justice au sens de l’article 2241, alinéa 1er, du code civil. À ce titre, la solution retenue nous paraît mal fondée.
Pour autant, le constat ne suffit pas à préserver la prétention du couperet de la prescription. En effet, il convient de s’assurer que la sentence d’incompétence n’a pas pour effet d’anéantir l’acte interruptif de prescription. Deux approches sont envisageables. Premièrement, on peut considérer que l’article 2241, alinéa 2, du code civil s’applique et qu’il s’agit d’une demande portée « devant une juridiction incompétente », préservant ainsi l’effet interruptif. Deuxièmement, on peut au contraire préférer l’article 2243 du code civil, tel qu’interprété par la jurisprudence (Civ. 2e, avis, 8 oct. 2015, n° 14-17.952 et Com. 26 janv. 2016, n° 14-17.952, D. 2016. 310 ; Procédures 2016. Comm. 2, obs. H. Croze ; Procédures 2016, n° 5, p. 26, obs. B. Rolland ; Gaz. Pal. 2016, n° 14, p. 62, obs. N. Fricero ; JCP E 2016, n° 7, p. 37, note B. Brignon), qui considère que l’irrecevabilité d’une prétention anéantit l’effet interruptif de prescription. Assez simplement, il s’agit de savoir si l’arbitre qui rend une sentence d’incompétence se prononce, au sens du droit français, sur une exception de procédure ou une fin de non-recevoir. D’un point de vue théorique, la résolution de cette question est particulièrement complexe. Aucune des deux solutions n’est choquante, aucune n’est parfaitement satisfaisante. En revanche, d’un point de vue pratique, on ne peut envisager, pour les raisons évoquées auparavant, autre chose qu’un rattachement à l’alinéa 2 de l’article 2241 du code civil (sauf à supprimer l’art. 2243 C. civ., ce qui pourrait finalement être la solution la plus pertinente, v. J. Jourdan-Marques, Faut-il abroger l’article 2243 du code civil ?, Procédures 2016, n° 7, étude 7). En définitive, cette décision, si elle est juridiquement fort discutable, présente le mérite de mettre en lumière une difficulté rarement envisagée : celle de l’effet interruptif de la demande d’arbitrage.
L’arrêt révèle également la difficile articulation entre arbitrage du bâtonnier prévu par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et arbitrage du bâtonnier prévu par les parties. Selon l’avis n° 2010-032 du Conseil national des barreaux, « le recours désormais obligatoire au bâtonnier rend par conséquent sans effet les clauses compromissoires pour les litiges non encore soumis à une juridiction à la date de publication du décret d’application de la loi de 2009 » (l’avis n’est pas accessible sur le site du Conseil national des barreaux, mais est reproduit dans l’arrêt de la cour d’appel de Versailles). Cette solution est problématique. On imagine mal la loi défaire la volonté des parties sans justifier d’un motif impérieux d’ordre public. D’ailleurs, dans un arrêt récent, la cour d’appel de Lyon a fait prévaloir la clause contractuelle sur l’arbitrage légal (Lyon, 11 avr. 2019, n° 18/05597, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques). Une telle clause devrait, en toute rigueur, interdire que la mission du bâtonnier désigné soit déléguée et imposer l’application des articles 1491 et suivants du code de procédure civile pour l’exercice des recours contre la décision du bâtonnier-arbitre.
Les cas d’ouverture du recours contre la sentence
L’indépendance et l’impartialité de l’arbitre
Le devoir de révélation n’est pas l’alpha et l’oméga de l’obligation d’indépendance. Il est vrai que l’immense majorité du contentieux se cristallise désormais autour du caractère exhaustif de la déclaration. Il n’en demeure pas moins qu’une déclaration d’indépendance peut être parfaitement complète et l’impartialité du tribunal sujette à discussion. En réalité, le droit de l’arbitrage a tendance à ne pas distinguer les notions d’indépendance et d’impartialité, là où elles doivent l’être soigneusement. L’indépendance renvoie aux liens pouvant exister entre l’arbitre et les parties, conseils ou coarbitres alors que l’impartialité vise une disposition de l’arbitre de ne pas faire preuve de préjugé (en ce sens, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, op. cit., n° 739). C’est précisément cette seconde acception qui était en cause dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 17 déc. 2019, n° 17/23073, Laser). À cet égard, la cour énonce dans une définition ciselée que « l’indépendance d’esprit est indispensable à l’exercice du pouvoir juridictionnel, quelle qu’en soit la source, et constitue l’une des qualités essentielles de l’arbitre qui assure à chaque partie un traitement égal ». La formule n’est pas tout à fait nouvelle, mais est rarement utilisée (Civ. 2e, 13 avr. 1972, n° 70-12.774 ; 18 déc. 1996, n° 94-10.573, RTD com. 1997. 435, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1997. 361, note A. Hory). On peut sans doute regretter la référence à « l’indépendance », qui maintient la confusion entre les notions d’impartialité et d’indépendance.
Un manquement à cette obligation est particulièrement délicat à établir. La cour signale que « le défaut d’impartialité doit résulter de faits précis et vérifiables de nature à faire naître un doute raisonnable sur cette impartialité ». C’est à la partie qui allègue un défaut d’impartialité d’en rapporter la preuve. Or il est impossible de sonder les reins et les cœurs. Il est donc indispensable que la partialité de l’arbitre ait fait l’objet d’une matérialisation qui puisse être établie (dans le même sens, v. M. Kebir, obs. ss CEDH 22 oct. 2019, req. n° 42010/06, Deli c. République de Moldavie, Dalloz actualité, 20 nov. 2019). Il suffit, à l’inverse, que l’arbitre conscient de sa partialité dissimule soigneusement son état d’esprit pour ne pas faire l’objet d’une sanction. C’est ce qui explique sans doute la sécheresse de la jurisprudence en la matière, quand bien même la Cour européenne des droits de l’homme a depuis longtemps mis en garde contre ce type de partialité (v. déjà CEDH 1er oct. 1982, Piersack c. Belgique, § 30, série A n° 53, AFDI 1985. 415, obs. Coussirat-Coustère ; JDI 1985. 210, obs. Rolland et Tavernier ; plus récemment CEDH 22 oct. 2019, req. n° 42010/06, Deli c. République de Moldavie, Dalloz actualité, 20 nov. 2019, obs. M. Kebir, préc.). Le plus souvent, c’est dans la décision du juge que ce manquement est identifié. Le défaut d’impartialité peut être caractérisé par une reproduction intégrale des conclusions d’une partie au titre de la motivation (Civ. 3e, 18 nov. 2009, n° 08-18.029, Procédures 2010, n° 1, p. 18, obs. B. Rolland ; Annales des loyers 2010. 936, obs. F. Bérenger) ou encore dans une motivation vexatoire à l’égard des parties (Civ. 2e, 14 sept. 2006, n° 04-20.524, D. 2006. 2346 ; ibid. 2007. 896, chron. V. Vigneau ; AJDI 2006. 932 , obs. F. Bérenger ; Procédures 2006, n° 11, p. 14, obs. R. Perrot ; JCP 2006. 2177, note R. Kessous).
C’est précisément dans la motivation de la sentence que le requérant a cherché à établir le manquement des arbitres. Toutefois, l’argumentation était acrobatique. La difficulté portait sur un rapport d’expertise et la confidentialité de sa motivation. Il semble que les experts se soient, dans un premier temps, abrités derrière la confidentialité pour ne pas communiquer la motivation avant, dans un second temps, d’exciper de l’absence d’obligation de motivation de leur rapport. Or il est reproché aux arbitres de s’être contredits. Dans la sentence, le tribunal arbitral a fait état de sa conviction selon laquelle aucune motivation n’existait, alors qu’ils auraient penché pour une solution inverse lors de l’instance arbitrale. Après une (très) longue motivation, la cour d’appel rejette le grief au motif qu’« il ne résulte pas en conséquence du rapprochement, d’une part, des écrits et du comportement procédural des arbitres, d’autre part, des termes de la sentence rendue, la marque manifeste d’un parti pris du tribunal arbitral susceptible de créer un doute légitime sur son impartialité, devant conduire à l’annulation de la sentence ». Si la conclusion est heureuse, on peut s’interroger sur la pertinence d’approfondir autant la motivation. En effet, la question essentielle à se poser est de savoir si une prise de position de l’arbitre durant l’instance arbitrale est de nature à faire douter de son impartialité. Il nous semble qu’il convient de répondre avec d’infinies précautions, sous peine de murer dans le silence les arbitres. L’arbitre ne doit pas faire état d’un préjugé – voire un préjugement – sur l’affaire qui lui est soumise. En revanche, il doit pouvoir exprimer librement des positions sur des aspects relatifs à l’instance et conserver la possibilité de faire évoluer sa position. Aussi, plutôt que de se lancer immédiatement dans une analyse de l’éventuelle contradiction des arbitres, il aurait été préférable de s’interroger sur la vocation de ce grief à faire douter de l’impartialité du tribunal. Potentiellement, la réponse pouvait être positive en l’espèce. Néanmoins, il convient de s’en assurer, afin de ne pas ouvrir une voie supplémentaire à la contestation des sentences arbitrales.
La mission de l’arbitre
Enfin ! Elle était attendue, la première décision de la toute nouvelle chambre internationale de la cour d’appel de Paris (CICAP) rendue sur un recours contre une sentence arbitrale (Paris, 7 janv. 2020, n° 19/07260, République démocratique du Congo c. Divine Inspiration). En effet, c’est désormais le pôle 5, chambre 16 qui connaît de l’intégralité des recours contre les sentences internationales. En revanche, le pôle 1, chambre 1 conserve sa compétence pour les recours contre les sentences internes, ce qui ne manquera pas de soulever des difficultés de coordination entre la jurisprudence de ces deux chambres.
Pour ce « crash-test », la question posée était relativement facile, tant le grief formulé à l’encontre de la sentence était fantaisiste. Il était reproché aux arbitres d’avoir violé leur mission et l’ordre public international en ne tenant pas compte d’une décision de la Cour suprême congolaise, le droit congolais étant applicable au fond. Le recours est rejeté, le moyen n’étant susceptible d’entraîner l’annulation de la sentence sur aucun des deux fondements. Ce que cherche à obtenir le demandeur, c’est une révision au fond de la sentence, interdite au juge de l’annulation.
On peut toutefois regretter que la motivation de la cour n’aille pas à l’essentiel. La bonne ou la mauvaise application d’un droit étranger n’est jamais un cas d’ouverture du recours en annulation. La seule obligation pesant sur les arbitres est de statuer en droit et de respecter, s’il a lieu, le choix des parties de voir un droit spécifique s’appliquer au litige (Paris, 10 mars 1988, Rev. arb. 1989. 269, note P. Fouchard). C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle arrive la cour, à la suite d’un raisonnement largement superfétatoire : « si le tribunal arbitral est tenu d’appliquer le droit de la République démocratique du Congo, il ne s’écarte pas de sa mission en se livrant à une interprétation de celui-ci ».
L’ordre public international
Une question originale était posée à la Cour de cassation (Civ. 1re, 15 janv. 2020, n° 18-18.088, Ministère de la justice de la République d’Irak c. Finmeccanica), faisant suite à un arrêt d’appel passé relativement inaperçu (Paris, 16 janv. 2018, n° 16/05996, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ). L’arbitrage portait sur une demande dont il était allégué qu’elle était soumise à une mesure d’embargo. Le tribunal arbitral avait par conséquent déclaré les prétentions irrecevables. Le recours invoquait la contrariété de la sentence à l’ordre public international et un déni de justice. Le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation – comme la cour d’appel – raisonne en deux temps. Dans un premier temps, elle reprend l’analyse du tribunal arbitral quant au champ d’application des mesures d’embargo. Dans un second temps, elle constate que les parties ont été mises en mesure de discuter de la portée de ces sanctions devant le tribunal arbitral. Elle en déduit que la décision n’est pas contraire à l’ordre public international ni entachée de déni de justice.
La solution de la Cour de cassation n’est pas dépourvue d’ambiguïtés. Elle mêle deux aspects de l’ordre public, sans véritablement les dissocier. D’une part, la question se pose de savoir si la mauvaise application d’une mesure d’embargo par le tribunal arbitral est constitutive d’une violation de l’ordre public international. En creux, il s’agit de savoir si une loi d’embargo peut être considérée comme relevant de l’ordre public international de fond (pourquoi pas) et si une application trop extensive de cette loi est une violation de l’ordre public international (très incertain, v. not. Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via, Dalloz actualité, 14 janv. 2020, obs. V. Chantebout ; ibid., 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques). D’autre part, il est nécessaire d’examiner si l’irrecevabilité de la demande est constitutive d’un déni de justice. Cette fois, le débat est placé sur le terrain de l’ordre public procédural.
Ceci étant, on peine à percevoir l’argument décisif. On aurait aimé savoir précisément si les lois d’embargo sont bel et bien une composante de l’ordre public international et l’intensité du contrôle réalisé. Certes, la cour d’appel a énoncé que la sentence « ne comporte aucune violation manifeste, effective et concrète de l’ordre public international ». Elle se rattache ainsi à une jurisprudence désormais bien implantée (Paris, 27 sept. 2016, n° 15/12614, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. somm. 325 ; ibid. 824, E. Gaillard ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; 16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine ; 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 , note M. Audit ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard ; 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. somm. 299 ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard), mais à laquelle la Cour de cassation refuse d’apporter sa bénédiction. Les deux cours reprennent in extenso la motivation de la sentence. Toutefois, on comprend mal la méthodologie utilisée. Il s’agit de savoir si le juge de l’annulation valide le raisonnement du tribunal arbitral ou s’il se limite à s’assurer de l’existence d’un débat sur cette question. L’enjeu est pourtant immense, à l’heure où le contrôle du juge étatique sur la conformité de la sentence à l’ordre public international subit de profondes mutations.
La responsabilité de l’avocat
Voilà une décision tout à fait originale, qui confirme la créativité des parties quand il s’agit d’engager la responsabilité d’un tiers à la suite d’une déception judiciaire. Après la responsabilité des arbitres, la responsabilité des institutions, le temps est venu de la responsabilité des conseils. Dans cette affaire, l’avocat avait omis de se prévaloir de la clause compromissoire lors de la saisine des juridictions étatiques par la partie adverse (Pau, 7 janv. 2020, n° 18/01797). La faute est établie et ne souffre pas véritablement de discussion : en omettant d’envisager la possibilité pour son client de se prévaloir d’une clause compromissoire, le conseil commet une faute de nature à engager sa responsabilité. En revanche, la question du préjudice est plus complexe. La victime en invoquait deux : d’une part, une perte de chance de voir un tribunal arbitral statuer différemment de la cour d’appel ; d’autre part, d’engager des frais irrépétibles moins élevés. Les deux sont rejetés, faute de preuve. On voit mal comment il aurait pu en aller différemment. Pour le premier, il est délicat d’établir que le tribunal arbitral aurait rendu une décision différente. Pour le second, on peine à voir comment une procédure arbitrale – même avec une renonciation à l’appel – peut être moins onéreuse qu’une procédure judiciaire. Il n’en demeure pas moins que cette procédure doit attirer l’attention des praticiens : le droit de l’arbitrage est un droit complexe et une erreur dans son maniement ouvre la voie à une action en responsabilité.
La réécriture de certains articles du code de procédure civile
Deux décrets de fin d’année ont eu un impact sur le droit de l’arbitrage. Il s’agit d’abord du décret n° 2019-966 du 18 septembre 2019 qui prend acte de la création du tribunal judiciaire et modifie l’ensemble du code de procédure civile sur ce point (C. pr. civ., art. 1449, 1459, 1469, 1487, 1505 et 1516). Ensuite, le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 est plus important, puisqu’il conduit à supprimer la procédure « en la forme des référés » pour la remplacer par une procédure accélérée au fond. Cette réforme affecte la procédure devant le juge d’appui (C. pr. civ., art. 1460) et la procédure de demande de communication d’une pièce détenue par un tiers (C. pr. civ., art. 1469). Elle vise à mettre un terme à la confusion opérée par l’ancienne appellation, alors que la décision rendue n’a rien de provisoire (v. Dalloz actualité, 13 janv. 2020, obs. M. Kebir).