Chronique d’arbitrage : la cour d’appel de Paris entre en résistance
C’est à l’occasion de l’affaire Hémisphère, portant sur le retrait litigieux, que la cour refuse de suivre la première chambre civile (Paris, 7 déc. 2021, nos 18/10217, 18/10220, 21/04238 et 21/04236 [quatre arrêts] ; deux de ces arrêts concernent le refus de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur le caractère constitutionnel du retrait litigieux, ils ne seront pas commentés). Il faut dire que la Cour de cassation a semé la confusion par une décision difficilement compréhensible et abondamment critiquée. La cour d’appel de Paris ne se laisse pas impressionner et donne une véritable leçon à la Cour de cassation. On en redemande !
Au-delà de cette affaire, plusieurs arrêts marquants ont été rendus en fin d’année 2021 ou, déjà, en début d’année 2022. Le lecteur ne devra pas passer à côté de l’arrêt Rio Tinto (Paris, 11 janv. 2022, n° 19/19201) portant sur la révélation. Surtout, l’arrêt Guess augure d’un bouleversement dans l’analyse des lois de police, en ouvrant la voie à ce que des lois de police françaises n’intègrent pas l’ordre public international (Paris, 23 nov. 2021, n° 19/15670). On mentionnera également, en matière d’investissement, les arrêts Garcia (Civ. 1re, 1er déc. 2021, n° 20-16.714) et Maessa (Paris, 14 déc. 2021, n° 19/12417).
On profitera de cette introduction pour une simple remarque. Sur la grosse quinzaine d’arrêts examinés de la 5-16, on constate une déflation importante du montant des articles 700 accordés au vainqueur. Alors que l’on a été habitué pendant longtemps à des sommes à six chiffres, tous les arrêts (sauf un) donnent lieu à une condamnation à cinq chiffres (et plutôt dans la première moitié). Est-ce le fruit du hasard ou une tendance de fond ? Il faudra y être attentif dans les mois à venir !
I. L’arrêt Hémisphère
On ne boudera pas notre plaisir à la lecture de l’arrêt Hémisphère (Paris, 7 déc. 2021, nos 18/10217 et 18/10220). Pour mémoire, l’affaire oppose une société de gestion de placements de droit américain (la société Hémisphère) à la République démocratique du Congo. À l’origine, deux sentences arbitrales rendues il y a près de vingt ans dans des litiges relatifs à la construction d’une ligne de transport d’énergie électrique à haute tension et d’un aménagement hydraulique. Depuis, le créancier originel a cédé ses créances à la société Hémisphère. C’est donc le cessionnaire qui en poursuit l’exécution. Dans le cadre de deux recours contre les sentences (une rendue en France, l’autre à l’étranger), la République démocratique du Congo invoque le retrait litigieux. Dans un premier arrêt d’appel (Paris, 12 avr. 2016, n° 11/20732, Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 24, obs. D. Bensaude), la cour a rejeté le moyen, au motif que « la mission de la cour d’appel, saisie en application de l’article 1520 du code de procédure civile, est limitée à l’examen des vices énumérés par ce texte ». Las, la Cour de cassation a, dans un arrêt très remarqué, cassé la décision, au visa de l’article 1699 du code civil (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-22.112, Dalloz actualité, 20 mars 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 516 ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; AJ contrat 2018. 187, obs. J. Jourdan-Marques ; RTD civ. 2018. 411, obs. H. Barbier ; ibid. 431, obs. P.-Y. Gautier ; Rev. arb. 2018. 389, note M. Laazouzi ; Procédures 2018, n° 5, obs. L. Weiller ; JCP 2018. 1111, note P. Casson ; RDC 2018. 354, note R. Libchaber ; JDI 2018. 1202, note P. Pinsolle). La motivation de l’arrêt de cassation est succincte, la Cour se limitant à énoncer que « l’exercice du retrait litigieux affecte l’exécution de la sentence ». Cette solution pose d’immenses difficultés. En jugeant ainsi, la Cour de cassation fait voler en éclat le caractère limitatif des cas d’ouverture du recours.
Heureusement, la cour d’appel de Paris est là pour remettre l’église au milieu du village. On sent même la malice de la cour, qui n’hésite pas à dispenser à la Cour de cassation une leçon sur les prérogatives du juge du recours. La cour juge que « l’exercice du droit de retrait litigieux devant le juge du contrôle de l’exequatur n’a pas pour effet de modifier et d’étendre les pouvoirs de ce juge au-delà des cas prévus par la loi ». Surtout, elle ajoute, en prenant soin de souligner elle-même, qu’il « convient de rappeler que dans le cadre de ce contrôle, en application de l’article 1525 du code civil, la “cour d’appel ne peut refuser la reconnaissance ou l’exequatur de la sentence arbitrale que dans les cas prévus à l’article 1520” (souligné par la Cour) ». Elle conclut, après avoir recopié l’intégralité de l’article 1520, qu’« il ressort de ces dispositions que ne figure pas dans les cas de refus possibles de l’exequatur l’exercice d’un droit au retrait litigieux ».
Comment peut-on signifier plus clairement à la Cour de cassation qu’en imposant au juge du recours de vérifier l’existence d’un retrait litigieux, elle l’invite à entrer en violation frontale avec son office ? La cour s’y refuse et il faut la soutenir. C’est à juste titre qu’elle rappelle le caractère limitatif des cas d’ouverture du recours, pilier fondamental du droit français de l’arbitrage. Il en va, pour les sentences étrangères, du respect de la Convention de New York. En cela, la solution de la cour d’appel n’est pas seulement bonne ; elle est salutaire.
Pour autant, il convient d’être honnête et, pour cela, de faire une légère digression avec un autre arrêt. Peut-on dire, sans aucune réserve, que l’annulation ou le refus d’exequatur est limité aux cinq cas d’ouverture du recours ? La réponse n’est pas tout à fait positive. La cour d’appel de Paris en donne un exemple dans la présente livraison (Paris [formation interne], 23 nov. 2021, n° 19/19007, HD Holding). Dans cette affaire, deux recours concomitants sont exercés : l’un contre la sentence partielle sur la compétence, l’autre contre la sentence finale. Les deux arrêts sont rendus le même jour. Le premier (Paris [formation interne], 23 nov. 2021, n° 18/22099, HD Holding, v. infra) annule la sentence partielle. Quelle est la conséquence de l’annulation de la sentence partielle sur la sentence finale ? La réponse ne fait aucun doute : l’annulation de la première emporte avec elle l’annulation de la seconde. Sur quel fondement ? C’est là que réside la difficulté. En effet, si certains griefs affectent de façon identique les deux sentences (par exemple la compétence ou l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral), d’autres peuvent n’affecter que la première. C’est par exemple le cas d’une violation de la contradiction qui touche uniquement la phase de la procédure sur la compétence. Pour cette raison, il est justifié de se détacher des cinq cas d’ouverture du recours. C’est ce que fait la cour d’appel de Paris dans l’affaire HD Holding, en énonçant, indépendamment de tout cas d’ouverture du recours, que « l’annulation par un autre arrêt […] de la sentence partielle du 10 septembre 2018, statuant sur la compétence du tribunal arbitral, a privé nécessairement celui-ci de tout pouvoir pour statuer sur le fond. En conséquence, la sentence finale du 6 septembre 2019 est annulée ». En somme, les cas d’ouverture ne sont pas parfaitement limitatifs.
Si l’on en revient à l’arrêt Hemisphère, pourquoi ne pas considérer que l’exercice du retrait litigieux entre dans ce type de réserve ? En réalité, la réponse figure déjà dans l’arrêt de la Cour de cassation : le retrait litigieux affecte l’exécution de la sentence. L’exécution n’est pas l’exequatur, encore moins la validité. C’est ce que met en lumière l’arrêt d’appel, qui souligne que « l’exercice du droit de retrait litigieux est susceptible d’affecter indirectement l’exécution de la sentence en ce qu’il affecte directement le montant de la créance fixée par celle-ci ». Est-ce à dire que personne ne pourra connaître de ce moyen ? Là encore, la motivation de la cour d’appel est précieuse : « dans ces conditions, cette demande, impropre à faire obstacle à un tel exequatur sera rejetée, sans préjudice du débat qui pourrait naître à l’occasion de l’exécution forcée de cette sentence devant le juge compétent ». C’est donc au juge de l’exécution (JEX) qu’il convient de renvoyer le débat. On peut s’interroger s’il entre dans l’office du JEX de se prononcer sur cette question. Implicitement, la jurisprudence a déjà répondu positivement, mais dans le cas particulier de l’exécution forcée d’un acte authentique (Civ. 2e, 4 déc. 2014, n° 13-25.433, en l’espèce, l’offre est déclarée irrecevable au motif qu’elle est soulevée en appel… ce qui implique qu’elle l’aurait été en première instance devant le juge de l’exécution). Pour notre part, nous avons tendance à penser que cette question relève en réalité d’un juge du fond, qui peut être l’arbitre. Toutefois, c’est une autre discussion.
La fin de l’arrêt recèle d’ailleurs une autre pépite, toujours sur le retrait litigieux. La République démocratique du Congo allègue de l’existence d’une fraude, caractérisée par le « “montage juridique complexe” qui a eu pour effet d’occulter la réalité de la cession de créance ». Si elle écarte le moyen, faute de preuve, elle ajoute qu’« il n’est pas justifié que l’exercice de ce droit de retrait était applicable alors que le contrat initial était régi par le droit suisse, qui ne connaît pas ce mécanisme, de sorte qu’aucune fraude à la loi française, qui n’était pas applicable à la cession de créance, ne peut être caractérisée ». C’est en effet une question complexe que de déterminer la loi applicable au retrait litigieux. La Cour de cassation s’est bien gardée de se poser la question, sauf à considérer qu’elle a consacré une sorte de règle matérielle. En jugeant que le droit français n’est pas applicable, la cour d’appel met les pieds dans le plat : comment la Cour de cassation peut-elle à nouveau casser l’arrêt d’appel sans s’assurer préalablement que le droit français est applicable ? On a hâte de connaître la suite !
II. Les effets de la convention d’arbitrage
A. Le principe compétence-compétence
Comme de coutume, on dira quelques mots sur les arrêts rendus en matière de compétence-compétence.
Un premier arrêt soulève – de façon implicite et sans la trancher – la question intéressante de la distinction chronologique entre la phase où le tribunal arbitral est déjà saisi et celle où il n’est pas encore saisi (Montpellier, 23 nov. 2021, n° 21/03721). On sait que l’article 1448 du code de procédure civile tire des conséquences très importantes de cette distinction, puisque, antérieurement à la saisine du tribunal arbitral, le juge peut contrôler la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la clause, alors que postérieurement, il n’a d’autre choix que de se déclarer incompétent. Le point de savoir à quelle date le tribunal arbitral est saisi fait l’objet d’une littérature abondante (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., Lextenso éditions/Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2019, n° 176). En substance, il faut retenir que c’est la date de constitution du tribunal arbitral, réalisée par l’acceptation de sa mission par le dernier arbitre.
En revanche, un point n’a – à notre connaissance – jamais été discuté, alors que son importance est capitale. Il s’agit de savoir si l’événement « saisine du tribunal arbitral » doit s’examiner à la date de saisine du juge étatique ou à la date à laquelle ce dernier se prononce. On signalera que, dans le cadre de la mise en œuvre de la compétence du juge des référés, un arrêt a déjà énoncé que « la compétence du juge des référés s’appréciant au jour de sa saisine […] la constitution d’un tribunal arbitral postérieurement à cette saisine […] n’a pu avoir pour effet de dessaisir le juge des référés » (Paris, 25 oct. 2012, n° 12/07285). Si la situation est proche, une transposition ne s’impose pas nécessairement. D’une part, car les articles ont une rédaction différente : l’article 1448 tend à faire obstacle à la compétence du juge étatique, alors que l’article 1449 fait obstacle à la saisine du juge étatique (« ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, à ce qu’une partie saisisse »). D’autre part, car la concurrence entre les juridictions n’est pas la même : trancher le fond d’un côté, se prononcer sur une simple mesure provisoire de l’autre. Le débat reste entier.
La cour d’appel de Montpellier se prononce implicitement en faveur de l’événement « saisine du juge étatique ». Elle énonce que le tribunal arbitral « ayant été saisi, c’est-à-dire définitivement constitué lors de l’acceptation par le dernier arbitre de sa mission le 16 octobre 2020, alors que le tribunal de commerce de Perpignan a été saisi par actes d’huissier en date des 8 et 10 juillet 2020, remis au greffe le 13 juillet 2020 », il ne fait donc aucun doute que le tribunal arbitral était saisi à la date à laquelle la cour d’appel a rendu son arrêt, mais déjà à la date à laquelle le tribunal de commerce a rendu son jugement (le 1er juin 2021). En conséquence, c’est la date de saisine du juge étatique qui est prise en compte.
Une telle solution peut sans doute se prévaloir d’un argument de texte. L’article 1448 du code de procédure civile énonce que « lorsqu’un litige […] est porté devant une juridiction de l’État […] sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi ». On peut estimer que la conjonction temporelle « lorsque » combinée au verbe « porter » renvoie à la date de saisine du juge étatique. Pour autant, une telle interprétation ne s’impose pas nécessairement. Il n’est pas rare d’examiner certains arguments à la date à laquelle le juge statue. C’est le cas par exemple pour certaines fins de non-recevoir, sur le fondement de l’article 126 du code de procédure civile.
On peut imaginer qu’il en aille de même pour la saisine du tribunal arbitral. Il ne faudrait alors pas que le tribunal arbitral soit saisi au moment où l’est le juge étatique, mais au moment où il statue. Ce faisant, on renforcerait une fois encore l’effet négatif du principe de compétence-compétence (ce qui ne plaira pas à tout le monde). C’est bien vers une telle solution que devrait militer l’esprit du texte. Elle aurait pour principale vertu d’éviter qu’une affaire fasse l’objet de plusieurs décisions (première instance, appel, cassation) avant un renvoi inéluctable à l’arbitrage alors qu’un tribunal arbitral est déjà constitué (et a potentiellement déjà tranché le litige, comme dans l’affaire sous commentaire).
Un deuxième arrêt est intéressant par sa situation factuelle (Versailles, 4 nov. 2021, n° 21/04943). La clause figure dans un pacte d’associés. Elle énonce que le tribunal arbitral est composé « de deux arbitres choisis […]. Les deux arbitres pourront, s’ils le jugent utile, compléter le collège arbitral en désignant un troisième arbitre choisi sur la même liste ». En matière interne, l’article 1451, alinéa 1er, du code de procédure civile impose l’imparité. Pour sauver la clause et renvoyer aux arbitres, la cour juge que la faculté offerte, par la clause, aux arbitres de désigner un troisième arbitre préserve la clause, en ce qu’elle « correspond exactement à la solution préconisée par le troisième alinéa [de l’article 1451 du code de procédure civile] ». Il nous semble, à rebours de la cour d’appel, que telle n’est pas le sens de la clause. La clause prévoit bien un tribunal pair, la faculté de désigner un troisième arbitre reposant sur une volonté discrétionnaire (« s’ils le jugent utile ») des arbitres. Pour autant, la solution retenue reste bonne. Elle s’explique par le fait que, depuis le décret du 13 janvier 2011, reprenant une jurisprudence antérieure (Civ. 2e, 25 mars 1999, n° 97-13.448, D. 1999. 107 ; RTD com. 1999. 370, obs. J.-C. Dubarry ; Rev. arb. 1999.807, note P. Level), la clause n’est pas nulle ou réputée non écrite. Elle doit être complétée, par l’effet de l’alinéa 2 de l’article 1451 du code de procédure civile. En définitive, indépendamment de son contenu, la clause suffit à renvoyer les parties à l’arbitrage, sous réserve de réunir un tribunal impair.
Un troisième arrêt mérite d’être signalé en ce que la cour commet, à première vue, une erreur de droit grossière (Pau, 23 nov. 2021, n° 19/00619). Pour refuser de renvoyer les parties à l’arbitrage, la cour constate que le défendeur a renoncé à la clause compromissoire « en saisissant elle-même, par acte d’huissier du 9 août 2018, le juge des référés aux fins de désignation d’un expert judiciaire ». Si le fondement de l’action est vague, la saisine du juge des référés dans le cadre d’une mesure d’instruction, prévue par l’article 1449 du code de procédure civile, n’est, en principe, pas de nature à constituer une renonciation à la clause compromissoire.
B. La compétence du juge d’appui
L’article 1459 du code de procédure civile prévoit – et on peut se demander si c’est heureux (v. sur ce débat T. Clay et M. de Fontmichel, Code de l’arbitrage commenté, 2e éd., LexisNexis, 2021, ss art. 1459) – la possibilité pour les parties de désigner le président du tribunal de commerce comme juge d’appui. Simplement, cette faculté conduit à des difficultés de répartition. En effet, le président du tribunal de commerce ne sera jamais qu’un juge d’appui « imparfait » ou « incomplet ». C’est à cette difficulté qu’est confrontée la cour d’appel de Paris (Paris, 14 déc. 2021, n° 21/17792, Fadis). La clause contractuelle prévoit la compétence du président du tribunal de commerce de Paris. Ce dernier est saisi dans le cadre d’une demande de prorogation du délai d’arbitrage. La cour répond sur la clause, plutôt que sur le code de procédure civile. Elle constate que la rédaction de la clause ne permet pas d’aller au-delà d’une compétence portant sur la désignation du président du tribunal arbitral.
La solution aurait été mieux fondée sur le code de procédure civile. En effet, la faculté de désigner le président du tribunal de commerce est limitée par l’article 1459 aux seules demandes visées aux articles 1451 à 1454 du code de procédure civile, soit la désignation des arbitres et les difficultés de constitution. Le texte ne renvoie pas à l’article 1463 du code de procédure civile, relatif à la prorogation des délais. Une clause, même exprès (mais cela n’a pas encore été jugé par la Cour de cassation) ne permet pas d’étendre les prérogatives du président du tribunal de commerce.
III. Les recours contre les sentences arbitrales
A. Aspects procéduraux du recours
1. La recevabilité du déféré (nullité) contre un refus d’exequatur
L’arrêt iXblue apporte des précisions importantes sur le régime des ordonnances rendues par le conseiller de la mise en état (Paris, 23 nov. 2021, n° 21/03754, le lecteur est informé que le rédacteur de cette chronique a été impliqué dans le recours). La société iXblue, demandeur au recours en annulation, a saisi le conseiller de la mise en état, conformément à l’article 1521 du code de procédure civile, d’une demande en exequatur. Pour coordonner ses deux demandes, la société iXblue avance que le recours en annulation porte sur une partie des chefs décisoires de la sentence et la demande d’exequatur sur une autre partie. Par ordonnance, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d’exequatur partiel au motif que « l’exequatur partiel ne peut être ordonné sur la partie du chef décisoire n° 7 demandé, qui est indissociable des dispositions soumises au recours ». À elle seule, cette ordonnance mérite un commentaire. En effet, un refus d’exequatur de la sentence est rare. Il l’est encore plus lorsqu’il est fondé sur l’indissociabilité des chefs décisoires dont l’exécution est demandée et ceux pour lesquels l’annulation est demandée. La question est de savoir si ce constat entre dans les prérogatives du conseiller de la mise en état, notamment au regard de l’article 1514 du code de procédure civile.
C’est pour contester cette solution que la société iXblue a déféré l’ordonnance du conseiller de la mise en état à la cour. Pour autant, avant de se prononcer sur le bien-fondé du recours, encore faut-il qu’il soit recevable. C’est une réponse négative qui est donnée par le présent arrêt.
Au titre du déféré « simple », la cour juge que l’ordonnance de refus d’exequatur n’entre pas dans les hypothèses prévues par l’article 916 du code de procédure civile. Pour le justifier, elle qualifie la demande d’exequatur devant le conseiller de la mise en état « d’incident d’instance ». Elle considère que son rejet ne met pas fin à l’instance, qui se poursuit devant le juge de l’annulation. À cet égard, elle ajoute que l’attribution de numéros de RG distincts n’affecte pas l’unicité de l’instance.
Au titre du déféré-nullité, elle considère que ce recours ouvert à titre exceptionnel par la voie prétorienne, en cas d’excès de pouvoir, n’est pas conditionné au caractère immédiat ou non du recours, mais à l’existence ou à l’absence de tout recours. Or elle estime qu’il existe un recours contre la décision du conseiller de la mise en état, dès lors que l’issue du recours en annulation confère de plein droit l’exequatur à la sentence. Enfin, elle refuse tout parallèle entre les voies de recours contre la décision du conseiller de la mise en état sur l’exequatur, et celle du tribunal judiciaire. En effet, pour ce dernier, l’article 1523 du code de procédure civile prévoit un recours contre la décision refusant l’exequatur, alors que l’article 1524 l’écarte.
En définitive, la cour aligne le régime des ordonnances d’exequatur rendues par le conseiller de la mise en état, en excluant, quel que soit le sens de la décision, tout déféré ou déféré-nullité (Paris, 29 oct. 2019, n° 19/12047, Bouygues bâtiment Île-de-France, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques).
2. La compétence du juge de l’annulation pour connaître d’une tierce opposition
Dans le cadre d’un recours en annulation contre une sentence interne, le juge est saisi d’une intervention volontaire aux fins de tierce opposition (Paris [formation interne], 7 déc. 2021, n° 19/03844, Oxygène). Si l’article 1501 du code de procédure civile ouvre cette voie de recours aux tiers, c’est uniquement devant « la juridiction qui eut été compétente à défaut d’arbitrage ». En aucun cas cela ne peut être le juge de l’annulation. Même si, par hasard, la compétence territoriale du juge compétent à défaut de clause correspond au ressort de la cour d’appel, le tiers ne peut se dispenser de saisir le juge de première instance. C’est donc logiquement que la tierce opposition est écartée.
B. Aspects substantiels du recours
1. La compétence
a. La clause de médiation préalable
L’arrêt HD Holding (Paris [formation interne], 23 nov. 2021, n° 18/22099) est difficilement compréhensible au regard de la jurisprudence récente. Il porte sur la question classique de l’articulation d’une clause de médiation préalable avec une clause compromissoire. Si les arbitres sont tenus par une telle clause, la question est de savoir si elle peut faire l’objet d’un débat devant le juge de l’annulation, au titre de la compétence ou du respect de la mission par le tribunal arbitral. La réponse ne fait en principe aucun doute : elle est négative (Paris, 28 juin 2016, n° 15/03504, Rev. arb. 2016. 1157, note J. Barbet ; Gaz. Pal. 2016, n° 40, p. 37, obs. D. Bensaude ; 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; JDI 2020. 199, note H. Ascencio ; Gaz. Pal. 2019, n° 24, p. 21, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; ibid. 584, note M. Laazouzi ; 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; plus ambigu, Paris, 1er déc. 2020, n° 19/08691, Qatar c. Keppel Seghers Engineering Singapore, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Cela s’explique par la qualification de fin de non-recevoir de la clause, qui échappe au contrôle de la compétence.
C’est pourtant une réponse opposée que donne la formation interne de la 5-16. Alors que la clause contractuelle n’a rien d’original, elle énonce que, « s’il est vrai, d’une manière générale, qu’une clause d’un contrat instituant une procédure de médiation obligatoire et préalable constitue une fin de non-recevoir, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, le tribunal arbitral s’est déclaré compétent, alors pourtant que les demandeurs au recours en annulation ont soutenu devant lui qu’une médiation préalable et obligatoire s’imposait en vertu de l’article 12 du protocole, qu’il a lui-même relevé que le litige relevait du champ d’application de la clause de médiation et qu’il a de surcroît invité les parties à mettre en œuvre une procédure de médiation parallèle à la procédure d’arbitrage. Or le tribunal arbitral ne pouvait pas se reconnaître compétent, alors que la procédure de médiation préalable prévue par l’article 12 du protocole n’avait pas été mise en œuvre. Le non-respect de la clause de médiation n’est donc pas en l’espèce une fin de non-recevoir ne relevant pas de l’appréciation de la cour d’appel mais constitue une circonstance de l’espèce qui doit être prise en compte pour apprécier la violation de l’article 1492, 1°, du code de procédure civile ». En résumé, la clause de médiation préalable reste en principe exclue du contrôle du juge, sauf lorsque les faits d’espèce transforment la question en grief sur la compétence. Un tel raisonnement ne tient pas debout. Le comportement des parties et la teneur des débats devant le tribunal arbitral n’est, en aucune manière, de nature à transformer une question de recevabilité en question de compétence au stade du recours en annulation.
En réalité, dans cette affaire, c’est un mal jugé et une éventuelle contradiction de motifs que la cour sanctionne. Néanmoins, ce grief n’est pas de nature à entraîner l’annulation, et ce en vertu d’une jurisprudence acquise (Civ. 1re, 11 mai 1999, n° 95-18.190, RTD com. 2000. 336, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 1999. 811, note E. Gaillard).
L’arrêt ajoute une précision intéressante, que l’on oublie parfois. Puisqu’il s’agit d’une sentence interne, l’article 1493 du code de procédure civile prévoit en principe que la cour « statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire des parties ». Toutefois, la sentence est annulée sur le fondement de la compétence. La jurisprudence en déduit que l’annulation fondée sur l’incompétence bloque la saisine de la cour qui ne peut alors trancher le fond du litige (Civ. 1re, 6 mars 2013, n° 12-15.375, D. 2013. 716 ; ibid. 2936, obs. T. Clay ; RTD civ. 2013. 662, obs. P. Théry ; Rev. arb. 2013. 404, note J. Pellerin ; Procédures 2013. Comm. 151, obs. L. Weiller). En effet, l’absence de juridiction du tribunal arbitral empêche la cour d’être investie. C’est ce que constate la cour d’appel, en énonçant que « l’annulation de la sentence étant prononcée en raison de l’incompétence du tribunal arbitral, la cour doit s’abstenir de statuer au fond et les parties doivent être renvoyées à mieux se pourvoir sans qu’il y ait lieu à désigner la juridiction devant être saisie ». Une telle solution implique en principe de saisir les juridictions judiciaires compétentes en lieu et place des arbitres. En l’espèce, tel n’est pas être le cas, puisque l’incompétence a été prononcée pour violation de la clause de médiation préalable. En toute logique, la clause survit à l’annulation et les parties doivent être renvoyées à la médiation puis, éventuellement, à l’arbitrage.
b. La notification d’arbitrage
L’affaire Maessa est particulière (Paris, 14 déc. 2021, n° 19/12417). Un rappel des faits est nécessaire pour la comprendre. Le 1er juillet 2015, le Consorcio GLP et les sociétés Maessa et Tesca ont adressé à la République de l’Équateur, sur le fondement d’un TBI, une notification intitulée « Notificación de Arbitraje ». Deux mois plus tard, après un changement de conseils, le Consorcio GLP et des sociétés Tesca et Maessa ont écrit à la République de l’Équateur en précisant que la notification du 1er juillet 2015 était une notification de l’existence d’un différend en vertu du TBI. Quelque temps plus tard, le défendeur puis le demandeur ont chacun désigné un arbitre. Le 19 mai 2016, après la désignation des coarbitres, mais avant le choix du président, les sociétés Maessa et Semi ont adressé à la République de l’Équateur et aux arbitres désignés, une seconde notification dénommée « Notificación de Arbitraje ».
En résumé, deux notifications d’arbitrage se sont succédé. Trois parties figurent dans la première, seulement deux (une identique et une différente) dans la seconde. Pour le demandeur, la première notification est une notification de...