Comment magistrats et greffiers ont survécu à une nouvelle semaine noire de l’informatique de la justice
Un sérieux dysfonctionnement informatique a plombé, la semaine dernière, l’activité judiciaire pénale. De nombreux magistrats ou greffiers s’en sont fait l’écho sur les réseaux sociaux, dénonçant des arrêts intempestifs de Cassiopée, inutilisable pendant plusieurs jours. Pourtant, selon le ministère de la Justice, le logiciel pour les services pénaux n’était pas à l’origine des ratés. Pour la Place Vendôme, c’est une saturation de l’accès au réseau informatique de l’État permettant un accès sécurisé à internet qui a entraîné en cascade des problèmes de connexion au centre de données ministériel de Nantes. Une explication amère pour les personnels concernés. Car quelque soit l’origine de la panne, de nombreuses juridictions n’ont pas pu travailler normalement pendant plusieurs jours. Trois jours, par exemple au tribunal judiciaire de Pontoise, avec plusieurs logiciels défaillants, une durée « déjà connue, mais assez rare », remarque Stéphanie Caprin, secrétaire nationale de l’USM.
Gêne majeure
A Paris, la gêne a également été « majeure » au pénal, remarque ainsi la greffière principale Fadila Taieb, la représentante de l’Unsa-services judiciaires. « Une journée de travail avec des dysfonctionnements informatiques, c’est déjà une catastrophe, alors imaginez trois jours d’arrêt du logiciel », remarque-t-elle. Même constat à Bobigny, deuxième tribunal de France. Les incidents ont là aussi eu des conséquences fortes sur le travail du greffe, à l’arrêt sur deux jours à cause de l’impossibilité d’enregistrer des trames judiciaires ou de fusionner des jugements, détaille Alexandra Vaillant, la déléguée locale de l’USM dans cette juridiction. La permanence pénale du parquet a également été entravée: la vérification des antécédents des personnes en garde à vue n’était plus possible, par exemple.
Pour réussir à s’en sortir, les greffiers et magistrats ont eu recours au système D. « Les collègues bidouillent, en travaillant à partir de trames déjà enregistrées sur leur poste de travail, mais c’est une perte de temps importante car c’est une saisie très chronophage », remarque Fadila Taieb. Sans Cassiopée, les greffiers doivent en effet rentrer manuellement, par exemple dans le cas d’un jugement, une série d’informations, telles que l’identité, les textes visés, habituellement importées par le logiciel. « Pour les comparutions immédiates, les mandats de dépôts ne sortaient plus, il fallait donc le faire manuellement, au risque d’oublier un article qui devait être visé », complète Alexandra Vaillant. Quant au travail non urgent, comme le post-sentenciel, il a tout simplement été repoussé, soit autant de retard pris sur la formalisation des jugements ou du rôle. « On le fera plus tard, mais on se met alors en difficulté, car cela rajoute de la masse à la masse », observe Fadila Taieb.
Des problèmes récurrents
Des problèmes récurrents qui exaspèrent les personnels judiciaires. « Nous sommes rompus aux dysfonctionnements informatiques, mais d’habitude, cela ne dure que quelques heures », indique Stéphanie Caprin. Dans un mail à la presse le syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires dénonçait récemment des incidents informatiques multiples et hebdomadaires. Ainsi, un deuxième incident informatique, cette fois-ci lié au pare-feu, a été également déploré en milieu de semaine dernière. Mais il est passé presque inaperçu après la galère des premiers jours.
« L’informatique dysfonctionne souvent, que ce soit le réseau ou les logiciels métiers, résume Alexandra Vaillant. Ces pannes usent les agents alors qu’on leur dit que nous allons passer au tout numérique ». Dans un récent rapport, les magistrats de la Cour des comptes avaient relevé les attentes très fortes du personnel du ministère de la Justice sur la transformation numérique de leurs outils de travail, « tout en appréhendant » leur déploiement. Ce qui s’explique aisément: selon la dernière enquête de satisfaction consultée par les magistrats financiers, qui date de janvier 2020, seul un quart des agents du ministère se déclare « très satisfait » du système d’information.