Congé délivré par LRAR : l’irrégularité ne fait pas un pli !
« Baux d’habitation : bannissez la lettre recommandée ! » Cette supplique adressée par la doctrine à la fin du siècle dernier aux contractants et à leurs conseils n’a pas pris une ride (J.-P. Blatter, AJDI 1997. 192 ).
Remise de la lettre à son destinataire
La raison de cette défiance envers ce mode de remise est à rechercher à l’alinéa 3 de l’article 669 du code de procédure civile, qui dispose que « la date de réception d’une notification faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception est celle qui est apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire » (pour des décisions rendues au visa de cet article en matière de bail d’habitation, v. Civ. 3e, 14 déc. 1994, n° 93-12.481, AJDI 1997. 209 ; ibid. 192, obs. J.-P. Blatter ; 10 janv. 1996, n° 93-17.725, D. 1996. 369 , obs. CRDP Nancy II ; AJDI 1997. 209 ; ibid. 192, obs. J.-P. Blatter ; refusant de prendre en considération la date d’arrivée de la lettre au bureau de poste, v. aussi, Civ. 3e, 10 janv. 1996, n° 93-21.097, AJDI 1997. 209 ; ibid. 192, obs. J.-P. Blatter ; v. encore not., Civ. 3e, 7 janv. 1998, n° 96-10.326, D. 1998. 35 ; AJDI 1998. 272 , obs. J.-P. Blatter ; RDI 1998. 305, obs. F. Collart-Dutilleul ; 2 févr. 2005, n° 04-10.219, AJDI 2005. 463 , obs. Y. Rouquet ; 24 sept. 2020, n° 19-16.838, D. 2021. 1048, obs. N. Damas ).
Partant, le destinataire de l’envoi à qui la lettre n’est pas « remise » (parce que, absent lors du passage du préposé, il ne va pas retirer le pli à La Poste ou parce qu’il refuse de signer l’avis de réception) est réputé ne pas l’avoir reçue. Et le délai que le courrier est censé faire courir reste … lettre morte.
Stratégies de contournement
Devant cette fragilité consubstantielle de la lettre recommandée avec demande d’avis de réception, les législations spéciales ont adopté diverses stratégies de contournement.
Ainsi, la loi du 6 juillet 1989 permet-elle, en son article 15, que les notifications prennent la forme, certes d’une « LRAR », mais aussi d’une remise en main propre contre récépissé ou émargement, voire d’un acte d’huissier (forme qui, soit dit en passant, aux termes de l’art. 651 du c. pr. civ. est envisageable alors même qu’elle n’est pas expressément prévue ; concernant la sécurité juridique que confère le recours à un huissier, V. Fradin, Dr. et patr. 1/2010. 66). Le texte précise par ailleurs que le délai court « à compter du jour de la réception de la lettre recommandée, de la signification de l’acte d’huissier ou de la remise en main propre » (assimilant la notion de « réception » à celle de « remise effective au locataire », v. Civ. 3e, 13 juill. 2011, n° 10-20.478, Dalloz actualité, 31 août 2011, obs. Y. Rouquet ; D. 2011. 2037, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2012. 1086, obs. N. Damas ; AJDI 2012. 121 , obs. N. Damas ).
Plus radicale est l’approche adoptée par les textes en matière de copropriété et de délai de rétractation dans le cadre d’une vente immobilière, puisque tant l’article 64 du décret du 17 mars 1967 (en copropriété) que l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation (relatif à la vente) considèrent que le destinataire a reçu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception le lendemain du jour de sa première présentation.
Pli avisé et non réclamé
Au cas particulier, le locataire signataire d’un bail d’habitation estimait être délié de tout engagement à l’égard de son cocontractant à l’issue du congé qu’il avait adressé au bailleur via une LRAR, alors même que la lettre lui était revenue avec la mention « pli avisé et non réclamé ».
En appel, il a obtenu gain de cause, le juge ayant estimé que le congé avait été régulièrement donné pour la date mentionnée dans l’acte.
Si, au regard de ce qui vient d’être exposé, on ne saurait être surpris de la censure opérée par le juge du droit (au visa de l’art. 15 de la loi de 1989), en revanche, on a du mal à s’expliquer comment un tel contentieux a, une fois encore, pu encombrer les prétoires.