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De la portée du réputé non écrit dans le contentieux des clauses abusives

Les renvois préjudiciels concernant les clauses abusives sont nombreux et ils donnent lieu à des arrêts toujours très instructifs sur la portée de la protection du dispositif selon la Cour de justice de l’Union européenne (v. par ex., CJUE 21 déc. 2021, aff.C-243/20, Dalloz actualité, 24 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 5 image). Le 8 septembre 2022, une nouvelle décision a été rendue dans la même veine en s’accompagnant d’un communiqué de presse finissant de signer son intérêt particulier. Elle concerne une question délicate, celle de la portée de la sanction des clauses abusives dans les droits nationaux. Hasard de calendrier, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu une décision proche de cette thématique la veille de sa publication (Civ. 1re, 7 sept. 2022, n°Â 20-20.826, à paraître au Dalloz actualité ; D. 2022. 1557 image). Reprenons les faits ayant permis d’aboutir à cet arrêt du 8 septembre 2022 qui concernait, encore une fois, les prêts libellés en devise étrangère.

Des consommateurs concluent des contrats de crédit hypothécaire avec un établissement bancaire pour financer notamment des logements situés en Pologne. Les prêts sont enregistrés en francs suisses mais mis à la disposition des emprunteurs en zlotys polonais avec un cours d’achat du franc-suisse par rapport à la monnaie polonaise comme prix de conversion. Toutefois, lors du remboursement des mensualités, le prix de conversion correspond au cours de vente du franc-suisse par rapport au zlotys polonais. Les consommateurs saisissent la justice, et notamment le tribunal de Varsovie-Śródmieście en se fondant sur les dispositions issues du Code de la consommation concernant les clauses abusives. Dans ces différentes affaires, le tribunal de district de Varsovie-Śródmieście s’interroge s’il est possible pour une juridiction nationale de constater la nullité de la clause abusive et substituer à cette clause une disposition de droit national à caractère supplétif alors que le consommateur ne souhaite pas maintenir le contrat conclu. Est ainsi décidé de transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne quatre questions préjudicielles disséminées dans les affaires où elle décide de surseoir à statuer. Ces questions sont assez proches les unes des autres, mis à part la dernière portant sur la prescription de la sanction des clauses abusives.

Nous les reproduisons ci-dessous pour plus de clarté pour le lecteur :

1°) Faut-il interpréter l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle de la législation nationale selon laquelle le juge constate le caractère abusif, non pas de l’intégralité d’une clause contractuelle, mais uniquement de la partie de la clause qui rend celle‑ci abusive, de sorte que la clause reste partiellement effective ?

2°) Faut-il interpréter l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle de la législation nationale selon laquelle le juge peut, après avoir constaté le caractère abusif d’une clause contractuelle sans laquelle le contrat ne saurait être exécuté, modifier le reste du contrat en interprétant les déclarations de volonté des parties afin d’éviter l’annulation du contrat, lequel est favorable au consommateur ? »

3°) Faut-il interpréter l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle de la législation nationale selon laquelle le juge peut, après avoir constaté le caractère abusif d’une clause contractuelle qui entraîne la nullité du contrat, compléter ce contrat par une disposition supplétive du droit national afin d’éviter l’annulation du contrat alors que le consommateur accepte la nullité du contrat ? »

4°) « L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE ainsi que les principes d’équivalence, d’effectivité et de sécurité juridique doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle de la législation nationale selon laquelle l’action du consommateur tendant à obtenir la restitution de sommes indûment versées en exécution d’une clause abusive d’un contrat conclu avec un professionnel se prescrit par dix ans à compter de la date de chaque prestation exécutée par le consommateur, même lorsque ce dernier n’avait pas connaissance du caractère abusif de ladite clause ? »

Nous diviserons le commentaire en plusieurs thématiques, l’arrêt étant long de plus de cent paragraphes.

Le juge national et le caractère abusif d’une partie seulement de la clause

La première question posée dans l’affaire C-80/21 implique de se demander s’il est possible pour les juridictions nationales de ne pas anéantir la totalité de la clause abusive mais seulement une partie de celle-ci quand c’est seulement cette fraction qui présente le caractère illicite reproché. On perçoit immédiatement que la Cour de justice de l’Union européenne émet des réserves quant à la pratique de la révision judiciaire dans ce contexte. Le paragraphe n° 60 rappelle, en ce sens, qu’une telle faculté diminuerait drastiquement l’effet dissuasif qui s’exerce sur les professionnels « dans la mesure où ceux-ci demeureraient tentés d’utiliser lesdites clauses, en sachant que, même si celles-ci devaient être invalidées, le contrat pourrait néanmoins être complété, dans la mesure du nécessaire, par le juge national, de sorte à garantir ainsi l’intérêt desdits professionnels ».

La Cour tempère en rappelant qu’elle a déjà jugé que le juge national peut supprimer l’élément abusif de la clause seulement quand l’effet dissuasif des clauses abusives est assuré par des dispositions législatives nationales qui en réglementent l’utilisation tant que cet élément consiste en une obligation contractuelle qui peut faire l’objet d’un examen « individualisé de son caractère abusif ». Mais la limite est immédiatement rappelée : le juge national ne peut pas supprimer uniquement l’élément abusif d’une clause lorsque la suppression aboutit à réviser le contenu de la clause en modifiant sa substance. En somme, la Cour de justice de l’Union européenne plaide pour une non-immixtion dans la sphère contractuelle en préférant la nullité pure et simple (en France, un réputé non écrit pour être exact eu égard à la transposition de la directive).

La réponse à la question préjudicielle est donc donnée au n° 64 de l’arrêt : le juge national ne peut pas constater le caractère abusif d’une partie de la clause quand une telle suppression aboutit à réviser la stipulation contractuelle et à changer son sens. La juridiction nationale devra vérifier ce point pour déterminer si elle peut annuler partiellement la clause, ce qui paraît extrêmement douteux dans le contentieux des prêts libellés en devise étrangère.

Le juge national et la substitution de la clause abusive par une disposition supplétive

Nous analyserons deux questions dans cette sous-partie qui est le point névralgique de l’arrêt.

Dans l’affaire C-81/21, le tribunal de district de Varsovie-Śródmieście interroge la Cour, en substance, sur la possibilité de constater la nullité de la clause abusive mais de sauvegarder le contrat dans son ensemble en substituant à la clause litigieuse une disposition de droit national supplétive. Dans cette situation, la Cour de justice rappelle qu’il est parfaitement possible de maintenir le contrat sans la clause litigieuse (la nullité n’est alors que partielle) au paragraphe n° 66 de l’arrêt. Mais elle en limite la portée : il faut que le contrat puisse subsister sans aucune autre modification que celle résultant dans la suppression de la clause abusive. Ceci rejoint les développements précédents.

La Cour de justice de l’Union évoque, au n° 67, la possibilité « exceptionnelle » de procéder à une substitution de la clause abusive par une disposition nationale quand le consommateur est exposé à des conséquences particulièrement préjudiciables dont il pâtirait en raison de la nullité totale du contrat.

La réponse donnée est donc simple : à chaque fois que le contrat peut subsister sans les clauses abusives, il convient de ne pas leur substituer des dispositions nationales supplétives dont la portée est proche. Ceci permet, là-encore, de ne pas sacrifier la force obligatoire choisie par les parties sur l’autel du contrôle des clauses abusives outre mesure. Quand une clause abusive est détectée, elle est supprimée et le contrat survit sans ladite clause lorsqu’une telle survivance est possible. La substitution n’intervient que dans des cas exceptionnels qui sont d’une grande rareté en pratique puisqu’il est assez peu fréquent que le consommateur pâtisse de la disparition d’un contrat vicié par des clauses abusives. C’est toutefois tout à fait possible et la limite portée par la Cour est donc très justement rappelée.

Dans les affaires C-80/21 et C-81/21, il était question de la possibilité pour le juge , tout en annulant la clause abusive devant normalement entraîner la nullité du contrat entier par indivisibilité de substituer à cette clause soit une interprétation de la volonté des parties pour éviter l’annulation du contrat, soit une disposition de droit national à caractère supplétif quand le consommateur a été informé des conséquences de la nullité et en a accepté le principe.

La Cour rappelle donc la réponse précédemment apportée, notamment sur les circonstances exceptionnelles de la substitution de la clause abusive par une disposition légale supplétive et analyse le cas d’espèce sur les conséquences particulièrement préjudiciables (nos 71 à 78 de l’arrêt étudié). Ce n’est pas le cas dans les espèces analysées selon la Cour de justice mais il faudra le vérifier par la juridiction de renvoi.

C’est sur l’interprétation judiciaire par la volonté des parties que la Cour de justice fait preuve de plus de fermeté. Elle rappelle que celle-ci doit être purement et simplement exclue (n° 79). Pour en arriver à ce constat, elle rappelle que le mécanisme des clauses abusives ne fait que de tenir les magistrats comptables de la suppression des clauses sans pouvoir s’immiscer dans le contenu contractuel en le modifiant. La question montre à quel point les systèmes juridiques régis par les dispositions de l’Union peuvent être différents : là où la juridiction polonaise s’interroge, son pendant français n’aurait probablement même pas effleuré la question en raison de la détermination du contenu contractuel par les parties seules en France. Certes, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a permis de faire évoluer ce constat mais les solutions de révision judiciaire sont rares et strictement limitées (v. par ex. sur la genèse de l’introduction de la révision judiciaire pour imprévision : M. Latina et G. Chantepie, Le nouveau droit des obligations et des contrats - Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 13, nos 16 s.).

En somme, voici donc une réponse simple : le juge ne peut pas substituer à la clause abusive une interprétation de la volonté des parties afin d’éviter l’annulation du contrat entier alors que le consommateur a accepté les conséquences de la nullité.

Sur la prescription de l’action visant à obtenir la restitution de sommes indûment versée

La juridiction polonaise s’était, enfin, demandée si la directive des clauses abusives s’oppose à une jurisprudence nationale selon laquelle le délai de dix ans de l’action visant à obtenir restitution des sommes indûment versées à un professionnel en raison d’une clause abusive commence à courir à la date de chaque prestation exécutée par le consommateur quand ce dernier n’était pas en mesure d’apprécier ledit caractère abusif ou quand il n’en avait pas connaissance. La question était particulièrement importante puisque le contrat avait une durée de remboursement de trente ans alors que la prescription n’était que de dix ans.

On comprend immédiatement le lien avec l’imprescriptibilité du réputé non écrit sanctionnant les clauses abusives en France que nous avons déjà eu l’occasion de rencontrer à de multiples reprises dans ces colonnes au sujet des arrêts de la Cour de cassation (Civ. 1re, 30 mars 2022, n° 19-17.996 FS-B<, Dalloz actualité, 4 avr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 974 image, note J. Lasserre Capdeville image ; RDI 2022. 382, obs. J. Bruttin image ; Rev. prat. rec. 2022. 31, chron. K. De La Asuncion Planes image ; RTD civ. 2022. 380, obs. H. Barbier image ; RTD com. 2022. 361, obs. D. Legais image). La Cour de justice rappelle donc, au n° 90 de son arrêt, sa jurisprudence BNP Paribas également commentée dans ces colonnes (CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, Dalloz actualité, 9 juill. 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 2288 image, note C. Aubert de Vincelles image ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; ibid. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RDI 2021. 650, obs. J. Bruttin image ; RTD com. 2021. 641, obs. D. Legeais image). Mais la question est légèrement différente quand il s’agit d’une restitution des sommes indûment versée en raison de cette clause abusive.

On retiendra de l’argumentation de la Cour deux points essentiels : un délai de prescription peut être compatible avec le principe d’effectivité si et seulement si le consommateur a pu connaître ses droits avant que le délai ne commence à courir ou ne s’écoule entièrement (n° 98 de l’arrêt). La réponse se trouvait donc dans la question : puisque le consommateur ne connaissait pas le caractère abusif de la clause, il ne percevait pas que le délai de prescription s’écoulait. Le couperet tombe au n° 99 : « un tel délai rend, partant, excessivement difficile l’exercice des droits que ce consommateur tire de la directive 93/13/CEE et méconnaît, dès lors, le principe d’effectivité ».

Il faut bien rappeler que la Cour de justice ne sanctionne pas tout délai de prescription puisqu’elle estime que ce délai ne paraît aps de nature à rendre pratiquement impossible l’exercice des droits conférés par la directive (n° 93 de l’arrêt). Elle ne fait que de tenir compte de la situation d’infériorité du consommateur (n° 94). C’est de la confrontation de ces deux arguments contradictoires que la solution s’impose, notamment en raison de la grande différence entre le délai de prescription (dix ans) et la durée du remboursement du triple (30 ans).

 

Voici donc plusieurs réponses allant dans le même sens. Le juge national est tenu de supprimer les clauses abusives sans s’immiscer dans le contenu contractuel, à moins que l’intérêt du consommateur le commande. Quant à la prescription, on retrouve le motif du principe d’effectivité faisant planer le spectre de l’imprescriptibilité sur les conséquences du réputé non écrit (ici, une action en restitution d’un prêt remboursable sur trente ans). La Cour ne l’énonce pas aussi abruptement : le délai de prescription est possible quand le consommateur connaît ses droits ou a la possibilité de les connaître avant que ce délai ne commence à courir ou ne s’écoule entièrement. En somme, c’est le cas dans assez peu de situations… Il faudra veiller sur le développement de cette jurisprudence à l’avenir. Affaire à suivre !

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