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De la qualité pour agir du liquidateur judiciaire en fraude paulienne

Les amateurs de droit des entreprises en difficulté savent à quel point le contenu de l’article L. 622-20 du code de commerce est décisif quant à l’articulation des logiques gouvernant la matière. Ce texte – applicable en liquidation judiciaire par le renvoi de l’article L. 641-4 du même code – dispose notamment que le mandataire judiciaire (ou le liquidateur) a exclusivement qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers.

Du reste, cette habilitation incarne la logique d’une procédure collective : à compter de l’ouverture de la procédure, les créanciers soumis à la discipline collective perdent, sauf exception, leur droit d’agir individuellement contre leur débiteur au profit du mandataire judiciaire qui a donc qualité pour défendre leur intérêt. C’est notamment en cela que la procédure est dite… collective !

Las, les contours de la qualité pour agir du mandataire ne sont pas aisés à déterminer. Au vrai, les questions susceptibles de se poser se cristallisent, substantiellement, autour de ce qu’il faut entendre par la notion « d’intérêt collectif des créanciers » et, procéduralement, par ce qu’est ou non une action tendant à la défense d’un tel intérêt. En somme, ces éléments sont d’autant plus importants qu’il est bien acquis que le mandataire judiciaire ne peut agir dans l’intérêt d’un seul ou d’un groupe particulier de créanciers (Com. 7 janv. 2003, n° 99-10.781 P, D. 2003. 274 image, obs. A. Lienhard image ; RTD com. 2003. 564, obs. A. Martin-Serf image).

Qu’en est-il de l’exercice d’une action paulienne ; action destinée à combattre l’appauvrissement anormal du débiteur par l’obtention de l’inopposabilité de l’acte litigieux (C. civ., art. 1341-2 ; L. Sautonie-Laguionie, La fraude paulienne, LGDJ, 2008) ? Doit-elle s’analyser en une action tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers ou, au contraire, les créanciers pris individuellement conservent-ils la qualité pour l’exercer ?

Sans être tout à fait novateur, l’arrêt ici rapporté permet de répondre à ces interrogations et, surtout, de revenir utilement sur les discussions inhérentes à la notion d’intérêt collectif des créanciers.

L’affaire

Les faits à l’origine de l’arrêt sous commentaire sont relativement complexes et nous n’en retiendrons que l’essentiel. Deux sociétés sont devenues les créancières d’une autre en raison d’opérations de cession portant sur des terrains qui ne se sont finalement pas réalisées. Or, les sociétés créancières avaient respectivement versé à la société venderesse une indemnité d’immobilisation et un acompte, tous deux garantis par deux hypothèques.

En marge de ces contentieux, la société venderesse a constitué avec la fille de son gérant une autre société au sein de laquelle elle a effectué un apport en nature des terrains litigieux. Par la suite, les parts de cette société ont progressivement été cédées à la fille du gérant et à son épouse.

Courant 2013, l’une des sociétés créancières a assigné la société venderesse et celle « nouvellement » créée en inopposabilité de l’apport en société fait par la première à la seconde sur le fondement de la fraude paulienne.

Las, la société venderesse a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires les 5 avril et 5 juillet 2016 et le liquidateur a lui aussi assigné la société bénéficiaire de l’apport sur le fondement de la fraude paulienne.

L’affaire est portée en appel et les juges du second degré vont faire droit à la demande du mandataire et déclarer l’apport litigieux inopposable à la procédure collective.

Plus précisément, la cour d’appel a relevé que la société débitrice avait transférait, sous le couvert d’un apport en nature, son patrimoine immobilier dans celui d’une autre société, puis s’était dépouillée progressivement de l’ensemble de ses parts sociales au bénéfice des parents de son gérant au moyen d’une compensation fictive et dénuée de contrepartie. Ce faisant, pour les juges du fond, la débitrice avait effectivement accompli un acte en fraude des droits de ses créanciers, ce qui justifiait, selon eux, de déclarer l’apport inopposable à la procédure collective, et ce, peu important que cette inopposabilité ne profitait pas à l’ensemble des créanciers, mais seulement à deux d’entre eux.

Ce dernier élément est décisif à la compréhension de la solution commentée et était au cœur du pourvoi soumis à la Cour de cassation par la société débitrice.

En effet, selon la demanderesse, le liquidateur n’était pas recevable à exercer l’action paulienne, faute de pouvoir prétendre agir dans l’intérêt collectif des créanciers, dans la mesure où seule une partie des créanciers avait intérêt à voir juger que l’acte attaqué leur était inopposable pour cause de fraude paulienne.

La solution

Fort logiquement à notre sens – mais nous y reviendrons – la Cour de cassation rejette ce pourvoi.

Pour cela, elle retient que le liquidateur – représentant l’intérêt collectif des créanciers (C. com., art. L. 622-20 et L. 641-4) – a qualité pour exercer l’action paulienne contre un acte frauduleux ayant eu pour effet de soustraire un bien du patrimoine du débiteur soumis à la liquidation judiciaire et de réduire ainsi le gage commun des créanciers, y compris lorsque la répartition des dividendes profite exclusivement à certains d’entre eux.

Que devons-nous en penser ?

Au vrai, cette solution ne surprend guère : elle confirme une jurisprudence désormais bien établie et qui mérite d’être approuvée.

Reste qu’à y regarder de plus près, l’arrêt est sans doute plus intéressant à raison des mots qu’il emploie que pour la solution qu’il pose. Si nous formulons cette remarque, c’est que nous reconnaissons dans les termes utilisés par la Cour de cassation une certaine approche des actions tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers – à l’œuvre depuis maintenant quelques années – et se concentrant sur la finalité de l’action comme clé de détermination de la qualité pour agir ou non du mandataire.

Finalement, nous sommes donc en présence d’une solution classique qui se dote, par cet arrêt, d’un raisonnement moderne (comp. pour l’observation de la même tendance, Com. 8 mars 2023, n° 21-18.677 F-B, Dalloz actualité, 24 mars 2023, obs. M. Guastella) !

Une solution classique

Avant d’évoquer à proprement parler le classicisme de la solution commentée, un bref retour sur le régime de l’action paulienne dans le contexte d’une procédure collective est d’abord nécessaire, tant celui-ci est particulier et quelque peu en contradiction avec la logique inhérente aux actions tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers et avec celle de la répartition de la qualité pour agir dans le contexte d’une procédure collective (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 12e éd., Dalloz Action, 2023-2024, n° 621.311).

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