Décision médicale d’arrêt des traitements de survie prodigués à un enfant : un sursis mais pas de QPC

Il est des décisions, quoique rendues avant dire droit, qui résonnent d’une importance particulière et celle rapportée du Conseil d’État, rendue en référé, en est une. Elle n’est toutefois pas la première rendue par la Haute juridiction administrative à propos de l’application du dispositif législatif permettant, sur une décision médicale prise au terme d’une procédure collégiale, d’arrêter les traitements de survie prodigués à un enfant et de conduire à sa mort. Déjà, le Conseil d’État, dans une affaire mettant en cause l’arrêt de tels traitements prodigués à une mineure âgée de quatorze ans avait, par une ordonnance de référé du 5 janvier 2018, admis qu’un enfant mineur et inconscient entrait dans la notion de « personne hors d’état d’exprimer sa volonté » au sens du code de la santé publique et qu’il pouvait donc être l’objet d’une décision médicale de fin de vie malgré l’opposition des parents (CE, réf., 5 janv. 2018, n° 416689, Dalloz actualité, 11 janv. 2018, ob. E. Maupin ; Lebon image ; AJDA 2018. 8 image ; ibid. 578 image, note X. Bioy image ; D. 2018. 71, obs. F. Vialla image ; ibid. 765, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; ibid. 1664, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; ibid. 2019. 505, obs. M. Douchy-Oudot image ; AJ fam. 2018. 117, obs. C. Kurek image ; ibid. 68, obs. A. Dionisi-Peyrusse image). L’on comprend le malaise que peut nourrir cette lecture du droit et en tout cas le ressenti des parents confrontés à une décision médicale conduisant à la mort de leur enfant. L’affaire rapportée en donne une nouvelle illustration d’autant plus sensible que la fillette concernée n’avait même pas deux ans au moment des faits tragiques ayant conduit à sa situation médicale.

En l’espèce, une fillette, née le 2 mars 2021, est victime le 31 juillet 2022 d’un accident dans une piscine entraînant un arrêt cardio-respiratoire de longue durée. Réanimée, elle est transférée, en état de coma, dans un centre hospitalier marseillais puis intubée et ventilée. Des examens neurologiques révèlent un ralentissement diffus et persistant de l’activité cérébrale ainsi que des lésions graves et irréversibles. Le 9 août 2022, confrontée à l’évolution défavorable de l’état général de la petite fille, l’équipe médicale conclut à une décision de soins palliatifs en vue d’une future décision d’arrêt des thérapeutiques actives. Les parents de l’enfant font part de leur opposition. La fillette est alors transférée dans une unité de réanimation néonatale et pédiatrique d’un hôpital de l’AP-HP pour une poursuite des soins et un rapprochement du domicile des parents. Le 22 août 2022, une extubation de la fillette est opérée mais elle entraîne une aggravation rapide de son état de santé, avec des détresses respiratoires et un arrêt cardio-vasculaire hypoxique. L’équipe médicale décide alors, en collégialité, de ne pas procéder à une réintubation jugée déraisonnable au vu des lésions cérébrales significatives et irréversibles ainsi que des risques accrus de séquelles neurologiques importantes et des douleurs et inconforts attendus. Les parents s’opposent à une telle décision et demandent la poursuite des thérapeutiques actives. Finalement, une réintubation est effectuée mais l’équipe médicale, sur la base d’examens complémentaires et de ses observations cliniques, décide, au terme d’une procédure collégiale du 15 septembre 2022, l’arrêt des thérapeutiques actives et l’orientation vers une prise en charge palliative. Les parents de la petite fille sont informés de cette décision annoncée comme devant être effective le 27 septembre 2022.

Saisi par ces derniers, le juge des référés du tribunal administratif de Paris décide, par une ordonnance avant dire droit du 23 septembre 2022, de suspendre l’exécution de la décision du 15 septembre 2022 dans l’attente des résultats d’une expertise ayant pour mission de décrire l’état clinique de l’enfant. L’expertise est confiée à deux médecins disposant des compétences appropriées dont l’un toutefois se trouve déchargé de sa mission à la demande des parents. Puis, au vu du rapport d’expertise rendu par le praticien restant mais à l’encontre d’un rapport de contre-expertise réalisé à la demande des parents par un autre médecin, le juge de référés du tribunal administratif de Paris décide, par une ordonnance du 29 novembre 2022, de rejeter la requête des parents, ouvrant ainsi la voie à l’exécution de la décision médicale contestée.

C’est sur l’appel interjeté contre cette ordonnance que le Conseil d’État se prononce dans la décision rapportée : les parents de la fillette lui demandant en substance d’annuler l’ordonnance du premier juge, la décision médicale du 15 septembre 2022 et, titre subsidiaire, de subordonner sa mise en œuvre à leur accord. Par un mémoire distinct, ils demandent également à ce que soit transmise au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) tirée de ce que les dispositions des articles L. 1110-5-1, alinéa 1er, L. 1110-5-2, alinéa 4, et L. 1111-4, alinéa 6, du code de la santé publique, et en particulier la phrase « personne hors d’état d’exprimer sa volonté », telles qu’interprétées par le Conseil d’État comme pouvant concerner l’enfant mineur, méconnaissent les droits et libertés que la Constitution garantit.

Ce dernier chef de demande est écarté par le Conseil d’État qui se prononce ensuite sur les autres demandes des parents.

Pas de renvoi de QPC pour juger du pouvoir donné au médecin d’arrêter des traitements de survie prodigués à un enfant

Ce n’est pas la première fois que le Conseil d’État se prononce sur l’arrêt des traitements de survie prodigués à un enfant mineur et inconscient pour admettre que la notion de « personne hors d’état d’exprimer sa volonté » englobe l’enfant dans son champ d’application. Il l’avait déjà fait en 2018 (CE 5 janv. 2018, préc.). Il s’était alors retranché derrière la décision du Conseil constitutionnel du 2 juin 2017 qui a considéré conformes à la Constitution les dispositions législatives autorisant, au terme d’une procédure collégiale, l’arrêt des traitements, notamment la nutrition et l’hydratation artificielles, d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté (Cons. const., déc., 2 juin 2017, n° 2017-632 QPC, Dalloz actualité, 9 juin 2017, obs. M-C. de Montecler ; AJDA 2017. 1143 image ; ibid. 1908 image, note X. Bioy image ; D. 2017. 1194, obs. F. Vialla image ; ibid. 1307, point de vue A. Batteur image ; ibid. 2018. 765, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; ibid. 1344, obs. E. Debaets et N. Jacquinot image ; AJ fam. 2017. 379, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RDSS 2017. 1035, note D. Thouvenin image ; Constitutions 2017. 342, Décision image). Le Conseil d’État avait également estimé, en 2018, que les règles applicables en la cause n’étaient pas incompatibles avec les stipulations de l’article 6, § 2, de la Convention européenne d’Oviedo du 4 avril 1997 prévoyant que lorsqu’un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, « celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou d’une personne ou instance désignée par la loi ». Le Conseil d’État avait également considéré que les prescriptions réglementaires du code de la santé publique ne méconnaissaient pas davantage les dispositions de l’article 371-1 du code civil relatives à l’autorité parentale.

Dans l’ordonnance rapportée du 12 janvier 2023, l’on retrouve sous la plume du Conseil d’État, après le rappel des dispositions législatives et réglementaires contestées en la cause, une motivation analogue pour rejeter la requête des parents en renvoi de QPC au Conseil...

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