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Défaut d’objet illicite et pratique de l’épilation par lumière pulsée

On sait que la motivation dite « enrichie » des arrêts de la Cour de cassation accompagne les revirements de jurisprudence (Rép. civ., v° Jurisprudence, par P. Deumier, n° 75). Le contexte des arrêts rendus le 19 mai 2021 par la première chambre civile est celui d’une véritable fresque jurisprudentielle, laquelle repose sur plusieurs revirements en droit administratif, en droit civil et en droit pénal prenant comme point de départ un sujet original, l’épilation définitive par lumière pulsée. Rappelons-en brièvement le contexte, comme l’a d’ailleurs fait de manière très pédagogue la Cour de cassation dans les arrêts commentés. La pratique de l’épilation est, en tout état de cause, normalement réservée aux médecins depuis 1962 (art. 2, 5°, de l’arr. du 6 janv. 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins) sauf pour l’épilation à la pince et à la cire. Mais de nouveaux modes d’épilation définitive sont apparus à la fin du XXe siècle, notamment l’épilation laser et par lumière pulsée. Ce dernier mode consiste à ce que la lumière dirigée sur un poil brûle sa zone de croissance et empêche sa repousse. On comprend donc que le geste n’est pas forcément anodin et les médecins dermatologues ont alors défendu l’idée qu’il s’agissait d’un véritable acte nécessitant des connaissances aiguës de santé qu’ils étaient les seuls à posséder. Voici donc le point de départ de toute cette question puisque l’article L. 4161-1 du code de la santé publique implique que toute personne pratiquant l’un des actes professionnels prévus par l’arrêté susmentionné sans être titulaire du diplôme exerce illégalement la médecine.

Dans ce cadre, la Cour de cassation a pu déduire que la pratique de l’épilation au laser et à la lumière pulsée était un cas d’exercice illégal de la médecine (Crim. 8 janv. 2008, n° 07-81.193, Lebon image ; AJDA 2020. 713 image ; 13 sept. 2016, n° 15-85.046, D. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire image ; RSC 2016. 760, obs. Y. Mayaud image ; ibid. 2017. 353, obs. P. Mistretta image). Tout ceci n’était pas une difficulté tant que le Conseil d’État admettait que ces actes d’épilation étaient réservés aux médecins (CE 28 mars 2013, M. C…, req. n° 348089, Lebon image). Toutefois, le Conseil d’État a ensuite annulé la décision de refus implicite du ministre des Solidarités et de la Santé d’abroger les dispositions de l’article 2, 5°, de l’arrêté précédemment cité réservant aux médecins la possibilité d’épiler au laser et à la lumière pulsée (CE 8 nov. 2019, M. Z… et SELARL Docteur Dominique Debray, req. n° 424954, Lebon image ; AJDA 2020. 713 image). La Cour de cassation a alors pu retenir que les personnes pratiquant de telles épilations sans être médecins ne pouvaient pas être condamnées pour exercice illégal de la médecine (Crim. 31 mars 2020, n° 19-85.121, Dalloz actualité, 14 mai 2020, obs. A. Roques ; D. 2020. 881 image ; RSC 2020. 387, obs. P. Mistretta image). Sur le plan pénal, tout était réglé par cet important revirement de jurisprudence accueilli de manière bienveillante par la doctrine. Mais sur le plan civil, subsistait une question : pouvait-on toujours annuler les contrats ayant pour objet de telles épilations pour objet illicite ? L’interrogation pouvait subsister même si la négative semblait l’emporter.

C’est dans ce contexte que les deux arrêts commentés interviennent, lesquels ont le même point de départ. Une personne souhaitait ouvrir un institut d’esthétique pour pratiquer notamment des épilations. Elle a ainsi conclu un contrat de franchise avec la société D…, laquelle proposait des méthodes d’épilation par lumière pulsée. Le droit d’entrée s’élevait à 28 400 € dans la première espèce, 52 800 € dans la seconde. Coup de théâtre : le franchisé décide d’attaquer le franchiseur pour nullité du contrat pour objet illicite et indemnisation du préjudice subi. En réalité, la demande de nullité était liée à un problème de financement que le franchisé n’avait pas pu obtenir. La nullité était un moyen de sortir du lien contractuel. Dans la première affaire (pourvoi n° 19-25.749), le tribunal de commerce de Nice refuse de faire droit à la demande, si bien que le franchisé interjette appel de ce jugement. La cour d’appel d’Aix-en-Provence refuse d’annuler le contrat à son tour. Le franchisé se pourvoit alors en cassation en s’appuyant sur l’article L. 4161-1 du code de la santé publique. Dans la seconde affaire (pourvoi n° 20-17.779), la même cour d’appel annule les contrats de franchise intéressés par ce mode d’épilation au motif « qu’en 2014, l’épilation à la lumière pulsée exercée par des non-médecins, proposée par le franchiseur, était une activité illicite relevant d’un exercice illégal de la médecine, tout mode d’épilation, sauf à la pince ou à la cire, étant interdit aux non-médecins ». C’est donc la société D… qui se pourvoit en cassation en l’espèce.

Dans une longue motivation, dite enrichie, la Cour de cassation confirme sa nouvelle position en refusant d’annuler les contrats de franchise pour objet illicite, alignant ainsi les jurisprudences civiles et pénales eu égard au revirement de jurisprudence intervenu en mars 2020 applicable aux contrats en cours. Elle rejette, ce faisant, le pourvoi n° 19-25.749 et elle casse et annule l’arrêt des juges du fond dans l’affaire n° 20-17.779. Les solutions convergent vers une nouvelle ligne directrice, source de clarté pour le droit positif des franchises en matière d’épilation définitive par lumière pulsée.

L’alignement opportun des jurisprudences en matière civile et pénale

La société D… – présente dans les deux arrêts – avec laquelle la personne physique exploitant l’institut d’esthétique a conclu son contrat de franchise était la même société qui avait été demanderesse au pourvoi dans l’important revirement de jurisprudence en matière pénale cité précédemment (Crim. 31 mars 2020, n° 19-85.121, préc.). En décidant qu’« il y a lieu de revenir sur la jurisprudence antérieure et de considérer que l’interdiction de l’épilation à la lumière pulsée par des personnes autres que des médecins est contraire aux articles précités du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) [art. 49 et 56, ndlr] », la chambre criminelle avait fondé sa motivation sur la liberté d’établissement et la libre prestation des services. Un auteur avait pu noter qu’« il faut certainement saluer la clairvoyance et le réalisme ayant animé les magistrats de la chambre criminelle qui permettent enfin de redéfinir un tant soit peu les contours d’une incrimination très complexe et tarabiscotée » (P. Mistretta, Exercice illégal de la médecine et épilation au laser : un revirement à rebrousse-poil, RSC 2020. 387 image, dernier paragraphe). Bien évidemment, la solution n’avait rien d’évident à l’époque et un revirement était essentiel pour clarifier la question remise en cause jusqu’au niveau de l’exécutif qui envisageait un décret pour encadrer la pratique de telles épilations par des instituts d’esthétique. L’exercice illégal de la médecine était donc bien éloigné du sujet. 

La solution retenue dans ces deux arrêts rendus par la première chambre civile du 19 mai 2021 tire les constats sur le plan civil en refusant d’annuler les contrats passés dans l’optique de la pratique de telles épilations par des personnes qui ne sont pas médecins. En refusant l’annulation du contrat de franchise, la Cour de cassation aligne ainsi de manière opportune les jurisprudences en tirant toutes les conséquences de son revirement de jurisprudence antérieur. L’objet du contrat – ou son contenu – n’est pas illicite puisqu’aucune infraction d’exercice illégal de la médecine n’est constituée en l’état eu égard à la jurisprudence de mars 2020. La lecture de l’arrêt d’appel dans la première affaire est instructive sur le refus de la nullité demandée par le franchisé. L’un des piliers de l’argumentation des juges du fond était que, « d’ailleurs, de nombreux centres d’épilations à lumière pulsée sont ouverts sans que les pouvoirs publics en interdisent l’activité et des appareils d’épilation à lumière pulsée sont en vente libre auprès du public » (nous soulignons). L’argumentation sur l’objet illicite était donc très difficile à tenir dans ce cadre précis, en dépit d’une notion d’objet du contrat « protéiforme » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 586, n° 505).

Le droit des contrats s’en trouve alors précisé puisque cette nouvelle interprétation s’applique immédiatement aux contrats en cours.

Application aux contrats en cours de la licéité de l’opération

Dans le paragraphe n° 11 commun aux deux affaires, l’arrêt rendu par la première chambre civile précise ainsi que « cette évolution de jurisprudence s’applique immédiatement aux contrats en cours, en l’absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d’un droit d’accès au juge » (nous soulignons). On reconnaît l’expression de plusieurs arrêts désormais bien connus du droit privé (Civ. 1re, 9 oct. 2001 n° 00-14.564, D. 2001. 3470, et les obs. image, rapp. P. Sargos image, note D. Thouvenin image ; RTD civ. 2002. 176, obs. R. Libchaber image ; ibid. 507, obs. J. Mestre et B. Fages image ; 21 mars 2000, n° 98-11.982, D. 2000. 593 image, note C. Atias image ; RTD civ. 2000. 592, obs. P.-Y. Gautier image ; ibid. 666, obs. N. Molfessis image ; RTD com. 2000. 707, obs. B. Bouloc image ; plus récemment, Civ. 1re, 12 nov. 2020, n° 19-16.964, Dalloz actualité, 14 déc. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 2284 image ; RDI 2021. 143, obs. H. Heugas-Darraspen image). Véritable profession de foi de la Cour de cassation (Rép. civ., v° Jurisprudence, art. préc., n° 120), l’expression permet de justifier l’application aux contrats en cours du revirement posé par la haute juridiction. Ceci explique notamment la présence de l’article 6, § 1er, de la Convention dans le visa de l’arrêt de cassation commenté. C’est une solution bienvenue puisque le contentieux opposant les cocontractants, dont l’un agit en nullité pour objet illicite, sait depuis l’acte introductif d’instance que l’hésitation est telle qu’un revirement était tout à fait envisageable par la Cour de cassation tant le fondement juridique de l’exercice illégal de la médecine était discuté.

L’absence d’annulation par les juges du fond pour objet illicite était ainsi clairvoyante dans la première affaire de ce changement de position inéluctable pour aligner les solutions entre le droit administratif et le droit civil, puis entre le droit pénal et le droit privé. Il faudra un certain temps toutefois pour purger le droit des situations où une demande de nullité avait été introduite antérieurement aux revirements intervenus, comme c’est le cas dans la seconde espèce. Quand la Cour de cassation voyait dans ces pratiques un cas d’exercice illégal de la médecine, la nullité pour objet illicite du contrat de franchise était tout à fait pertinente, dans le même esprit d’harmonisation des jurisprudences. L’application immédiate permettra d’aligner les solutions en la matière, ce qui est garant d’un droit interprété de manière uniforme. L’uniformité de la jurisprudence est, en ce sens, un des rôles de la Cour de cassation (M.-N. Jobard-Bachellier, X. Bachellier et J. Buk Lament, La technique de cassation, 9e éd., Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 2018, p. 113).

On sait qu’antérieurement à l’ordonnance n° 2016-131, l’objet et la cause étaient les instruments du contrôle de la licéité de l’opération contractuelle désormais assuré par l’article 1162 nouveau (F. Chénedé, Le nouveau droit des obligations et des contrats, 2e éd., Dalloz, coll. « Référence », 2018, p. 68, n° 123.193). Avant ou après la réforme, la solution sera donc la même en dépit du remplacement de vocables précisant les contours de la notion (M. Latina et G. Chantepie, Le nouveau droit des obligations, 2e éd., Dalloz, coll. « Hors collection », 2018, p. 348, n° 402). Voici donc une solution commune qui permet de sauvegarder des conventions et donc leur force obligatoire en l’absence de toute violation d’une norme légale. Bien évidemment, la solution inverse aurait été maintenue si l’exercice illégal de la médecine était toujours de mise. Tout est ici une question d’équilibre, quelque peu délicat à maintenir compte tenu des enjeux d’une question sujette à controverse entre les médecins et les instituts d’esthétique. Sur le plan du droit, toutefois, ces solutions sont garantes d’uniformité.

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