Demande d’infirmation au dispositif des conclusions, la deuxième chambre civile poursuit son [I]opus magnum[/I]
Après le grand saut du 17 septembre 2020 et désormais selon la technique des petits pas, la Cour de cassation reste à la manœuvre pour qualifier les exigences du dispositif des conclusions d’appel. Le 28 juillet 2017, un salarié relève appel d’un jugement du conseil de prud’hommes devant la cour d’appel d’Orléans. Le dispositif des premières conclusions par lui déposées ne mentionnant pas l’infirmation du jugement, l’employeur souleva la caducité de la déclaration d’appel devant le conseiller de la mise en état qui écarta le moyen. Sur déféré, la cour déclara caduque la déclaration d’appel et l’appelante forma un pourvoi afin de se prévaloir d’une atteinte au droit à un procès équitable au regard de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020 qui prévoit un différé d’application, à cette même date, de sa jurisprudence sanctionnant la partie qui n’a pas précisé sa demande de réformation ou d’annulation dès ses premières conclusions. Selon arrêt du 9 juin 2022, la deuxième chambre civile annule l’arrêt en confirmant l’ordonnance du conseiller de la mise en état. La solution est la suivante :
« Vu les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
4. L’objet du litige devant la cour d’appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l’obligation faite à l’appelant de conclure conformément à l’article 908 s’apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l’article 954.
5. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l’appelant remises dans le délai de l’article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l’infirmation ou l’annulation du jugement frappé d’appel.
6. À défaut, en application de l’article 908, la déclaration d’appel est caduque ou, conformément à l’article 954, alinéa 3, la cour d’appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.
7. Ainsi, l’appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu’il demande l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement, ou l’annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d’office la caducité de l’appel. Lorsque l’incident est soulevé par une partie, ou relevé d’office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d’appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d’appel si les conditions en sont réunies (Civ. 2e, 4 nov. 2021, n° 20-15-766, publié).
8. Cette obligation de mentionner expressément la demande d’infirmation ou d’annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.
9. Pour déclarer caduque la déclaration d’appel, l’arrêt retient que le dispositif des conclusions, déposées dans le délai de trois mois suivant la déclaration d’appel par Mme [L], énonce diverses demandes mais ne comporte aucune formule indiquant qu’elle sollicite l’infirmation ou la réformation de la décision critiquée.
10. En statuant ainsi, la cour d’appel a donné une portée aux articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l’état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n’était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 28 juillet 2017, l’application de cette règle de procédure, qui instaure une charge procédurale nouvelle dans l’instance en cours, aboutissant à priver Mme [L] d’un procès équitable au sens de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Ne jamais avoir raison avant tout le monde
Encore une cour d’appel qui avait un sens aigu de l’anticipation ! La cour d’Orléans avait parfaitement observé que le dispositif des conclusions, déposées dans le délai imparti, qui énonce diverses demandes mais ne comporte aucune formule mentionnant l’infirmation ou la réformation de la décision critiquée, entraîne la caducité de la déclaration d’appel. Preuve peut-être que la règle dégagée par la Cour de cassation, qui avait surpris plus d’un juriste, était dans l’air du temps, d’autres cours d’appel avaient vu juste également en dégageant cette même exigence de mention de la réformation au dispositif des conclusions avant même le 17 septembre 2020. À nouveau donc, la deuxième chambre civile approuve le raisonnement d’une cour d’appel ayant anticipé sur le sien. La motivation est saluée, mais aussitôt censurée par une annulation de l’arrêt. La cour d’appel, sur déféré, avait raison de dire que l’absence d’infirmation au dispositif des premières conclusions pouvait être sanctionnée par une caducité, mais il était trop tôt pour le dire !
La Cour de cassation pouvant, en matière civile, statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le commande, elle approuve donc la motivation de l’arrêt de la cour, pour finalement l’annuler et confirmer l’ordonnance de son conseiller de la mise en état qui avait jugé que l’acte d’appel n’était pas caduc. C’est « l’effet 17 septembre 2020 » que d’approuver celui qui a tort aujourd’hui et de sanctionner celui qui a raison trop tôt ! Mais on sait avec les Mémoires d’Hadrien que c’est encore avoir tort que d’avoir raison trop tôt.
Le 1er d’entre tous
On finit par comprendre en tous cas où la deuxième chambre civile nous emmène depuis ce fameux arrêt du 17 septembre 2020 : la cour d’appel qui est saisie par un dispositif des premières conclusions qui ne sollicitent pas l’infirmation ou l’annulation du jugement ne peut que le confirmer. Pour la première fois, la Cour de cassation allait assimiler réformation et annulation à une prétention au fond qui doit donc nécessairement être concentrée dans le délai pour conclure (C. pr. civ., art. 910-4) mais encore être contenue au dispositif (C. pr. civ., art. 954). C’était la première fois qu’elle dégageait une telle solution et consacrait le très rare principe de modulation des effets temporels de la jurisprudence dès lors que la voie de recours était en question. Ainsi, seules seraient concernées les déclarations d’appel postérieures au 17 septembre 2020 puisque « l’application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l’interprétation nouvelle d’une disposition au regard de la réforme de la procédure d’appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n’a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable » (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, note C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020, p. 2046, comm. M. Barba ; RTD civ. 2021, p. 479, obs. N. Cayrol ; Procédures nov. 2020. Comm. 190, obs. R. Laffly).
C’était donc la première fois, et si l’étudiant en droit de première année sait qu’une fois n’est pas coutume, la situation allait vite devenir coutumière.
Jamais 2 sans 3
La solution fut en effet reprise par deux fois, mais comme en la présente espèce au visa cette fois de l’article 6, § 1, de la Convention EDH. L’accès au juge prenait alors une autre dimension. Dans le premier cas du côté de l’appelant (Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 19-22.316 et 20-13.210, F-B, Dalloz actualité, 4 juin 2021, obs. C. Lhermitte ; Dalloz 2021, p. 1217, comm. M. Barba ; Procédures, juill. 2021. Comm. 186, obs. R. Laffly), puis à l’égard de l’intimé qui forme appel incident. Ainsi, celui-ci a l’obligation de solliciter une demande de réformation au dispositif de ses premières écritures lorsqu’il forme appel incident (Civ. 2e, 1er juill. 2020, n° 20-10.694 F-B, Dalloz actualité, 23 juill. 2021, obs. C. Lhermitte ; Procédures, août-sept. 2021. Comm. 216, obs. R. Laffly). Débouté de sa prétention en première instance, c’est bien cette demande d’infirmation qui matérialise l’appel incident de l’intimé et l’on dira que cette solution était logique dans cette nouvelle logique. Et toujours avec le même report d’application au 17 septembre 2020.
Jamais 3 sans 4
Mais alors que l’on commençait précisément à s’accoutumer, par un quatrième arrêt publié, la Haute juridiction allait pour la première fois approuver la sanction de caducité de la déclaration d’appel et la compétence du conseiller de la mise en état pour la prononcer, ajoutant que « cette sanction, qui permet d’éviter de mener à son terme un appel irrémédiablement dénué de toute portée pour son auteur, poursuit un but légitime de célérité de la procédure et de bonne administration de la justice » ; « Par ailleurs, cette règle ne résulte pas de l’interprétation nouvelle faite par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 septembre 2020 (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626 P+B+I, JurisData n° 2020-013427), imposant que l’appelant demande dans le dispositif de ses conclusions, l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ou l’annulation du jugement. Il en résulte que cette règle n’entre pas dans le champ du différé d’application que cet arrêt a retenu en vue de respecter le droit à un procès équitable » (Civ. 2e, 9 sept. 2021, n° 20-17.263 F-B, Dalloz actualité, 24 sept. 2021, obs. R. Laffly ; D. 2021, p. 1848, obs. M. Barba ; JCP 22 nov. 2021, p. 1228, obs. D. D’Ambra ; Procédures 2021. comm. 288, obs. S. Amrani-Mekki). La sanction dégagée comme l’apparition du conseiller de la mise en état, qui laissaient sans voix l’ensemble des commentateurs (ils s’empressèrent donc de la faire entendre) étaient-elles l’amorce d’une autre voie ? Pas nécessairement, car l’arrêt rendu cette fois au visa des articles 908 et 954 du code de procédure civile, s’inscrivait dans un contexte particulier : l’appel avait été formé avant l’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017 et donc de la rédaction nouvelle de l’article 542 qui fit apparaître la nécessaire « critique du jugement ». Mais la situation ante, quoique plus souple, n’était bien sûr par exempte d’obligations procédurales, à commencer par l’énoncé de prétentions au dispositif des conclusions. Or, la lecture de l’arrêt d’appel qui donna lieu à celui du 9 septembre 2021 enseignait que les conclusions ne sollicitaient, outre une condamnation à un article 700 du code de procédure civile et aux dépens, que la confirmation du jugement en ce que le grief d’insuffisance professionnelle et le licenciement sans cause réelle et sérieuse n’étaient pas établis, pour mentionner ensuite et seulement : « faire droit à l’ensemble des demandes ».
Aussi, si l’on peut s’interroger sur l’intérêt de mentionner au dispositif de conclusions une réformation ou une annulation que l’on imagine volontiers consubstantielle à l’appel, sur l’idée habilement disruptive de les assimiler à une prétention au fond, le dispositif reste bien le lieu de prétentions par application de l’article 954. Or, si la confirmation est encore une prétention, l’appel principal ne peut être la voie seule de la confirmation. Dit autrement, on ne forme pas appel pour demander la confirmation pure et simple de la décision attaquée ! L’appel est bien la voie de la réformation ou de l’annulation, selon les termes d’un article 542 qui, ici, n’a pas varié. La justification de l’apparition du conseiller de la mise en état, par le biais de la caducité, reposait alors sur l’évidence de conclusions défaillantes ou « vides » qui ne faisaient apparaître ni réformation, ni annulation, ni prétentions.
Jamais 4 sans 5
Il fallait un cinquième arrêt pour clarifier les choses, et il intervint, le 4 novembre suivant, au visa des articles 542 et 954 du code de procédure civile, et 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme.
Ainsi, toujours avec le même différé d’application au 17 septembre 2020, l’appelant doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu’il demande l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ou l’annulation (Civ. 2e, 4 nov. 2021, n° 20-15.757, 20-15.776, 20-15.778, 20-15.787 F-B, Dalloz actualité, 18 nov. 2021, obs. C. Lhermitte ; Procédures, janv. 2022. Comm. 2, obs. R. Laffly). Mais alors que les trois premiers posait le principe que seule la confirmation pouvait être prononcée par la cour d’appel statuant au fond, que le quatrième dégageait la sanction de caducité, compétence partagée par la cour et le conseiller de la mise en état (sans différé d’application mais avec la réserve énoncée), l’arrêt du 4 novembre précisait « En cas de non-respect de cette règle, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d’office la caducité de l’appel. Lorsque l’incident est soulevé par une partie, ou relevé d’office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d’appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d’appel si les conditions en sont réunies ». À la Cour statuant au fond la possibilité de sanctionner par une confirmation ou une caducité, au conseiller de la mise en état et à la cour sur déféré celle de prononcer la seule caducité.
Jamais 5 sans 6
L’arrêt du 9 juin 2022, sixième arrêt de la deuxième chambre civile sur le sujet, vise cette fois, outre l’article 6, § 1er, de la Convention, tous les articles de l’arsenal procédural et notamment l’article 908 au côté des articles 542 et 954.
Six arrêts, six points pour dégager une synthèse qui pourrait être celle-ci :
1. L’objet du litige devant la cour d’appel est déterminé par les prétentions des parties. 2. La réformation ou l’annulation est une prétention au fond. 3. Cette prétention au fond doit être expressément mentionnée au dispositif des premières conclusions. 4. Cette règle de procédure qui instaure une charge procédurale nouvelle ne peut être appliquée dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure au 17 septembre 2020. 5. La sanction de caducité peut cependant être prononcée par le conseiller de la mise en état ou la cour si l’appel a été interjeté avant le 17 septembre 2020 dès lors qu’aucune demande de réformation ou d’annulation ni même de prétention n’apparaît au dispositif qui saisit la cour. 6. Si dans une instance introduite après le 17 septembre 2020 le dispositif des conclusions ne mentionne pas expressément la réformation ou l’annulation dans le délai imposé pour la remise des premières conclusions, la cour, au fond, peut confirmer la décision dont appel ou prononcer la caducité de la déclaration d’appel et le conseiller de la mise en état et la cour sur déféré peuvent prononcer sa caducité.Et comme un pont jeté vers ce sixième arrêt du 9 juin, l’observateur attentif aura vu que la 2ème chambre civile a entretemps rappelé qu’une cour d’appel, qui constate que l’appelant a sollicité au dispositif de ses conclusions la réformation du jugement sur les chefs du dispositif critiqués et formulé ses prétentions, ne peut confirmer la décision motif pris que ne s’y trouvent pas détaillés les chefs de jugement critiqués (Civ. 2e, 3 mars 2022, n°20-20.017 F-B, Dalloz actualité, 12 mars 2022, obs. C. Lhermitte ; Procédures mai 2022. Comm. 117, obs. R. Laffly). On qualifiera cet arrêt de moment de respiration pour l’appelant qui avait « coché toutes les cases ». Dans l’attente d’une confirmation, on retiendra cependant sa respiration. L’acte d’appel avait été effectué avant le 17 septembre 2020.
Alors si le parti-pris de la Cour de cassation n’emporte pas tous les suffrages et a livré de nombreux débats et commentaires critiques, on donnera la parole en dernier à la défense. Par la voix de sa très complète « Lettre de la deuxième chambre civile » (Hors série n° 2, Procédure de l’appel civil, juin 2022), la deuxième chambre civile vient de livrer une conclusion en forme de guide :
« De la présentation commentée des avis et arrêts qui précédent, appréhendés en leur ensemble, se dessinent les traits dominants, les contours, et les articulations essentielles d’une jurisprudence qui, au fil des cinq années embrassées par ce panorama, s’est fixée, précisée, affinée.
Si, bien évidemment, elle est, par construction, tributaire, non sans aléas, des espèces à l’occasion desquelles elle s’affirme, cette jurisprudence n’en revendique pas moins, par-delà son inévitable complexité, une cohérence globale.
La politique juridictionnelle à laquelle elle donne forme, peut et doit être lue, interprétée et comprise en suivant moins un fil conducteur unique que plusieurs lignes directrices qui, croisant leurs trajectoires respectives, ont vocation à l’ordonner et à lui donner sens ».
Et de poursuivre s’agissant du différé d’application initié avec son arrêt du 17 septembre 2020 : le recours à ce mécanisme original, sinon inédit, du différé d’application dans le temps permet ainsi d’assurer une conciliation équilibrée, proportionnée, entre le but légitime de célérité et de bonne administration de la justice que poursuivent les règles de procédure civile en cause, issues, en particulier, du décret du 6 mai 2017, telles qu’interprétées et affirmées par la jurisprudence de la Cour de cassation, et les exigences de prévisibilité de la norme et de liberté d’accès au juge, découlant du principe du droit à un procès équitable, garanti par l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ».
Plus qu’un fil conducteur, la complexité du propos offre donc des lignes directrices. Guidé par le droit d’accès au juge, reste à les entrecroiser. Car sur un fil, tout est notion d’équilibre. Voilà sans doute la conclusion de cet opus magnum.