Des causes d’exonération de la responsabilité de plein droit de l’article L. 211-16 du code du tourisme
On sait que la responsabilité des agences de voyages a pu évoluer depuis la loi du 11 juillet 1975 qui était plutôt souple à son sujet : l’agence n’était responsable de l’inexécution des obligations prévues au contrat conclu que s’il y avait démonstration d’une faute commise (Rép. com., v° Agence de voyages, par Y. Dagorne-Labbé, n° 63). La loi du 13 juillet 1992 puis celle du 22 juillet 2009 ont adopté des responsabilités de plein droit qui ont été codifiées postérieurement à l’article L. 211-16 du code du tourisme. Instituant donc une responsabilité objective pour les voyages à forfait, cet article a fait l’objet d’interprétations jurisprudentielles assez importantes en raison de son contentieux dynamique. Par exemple, sur les prestations supplémentaires s’ajoutant au contrat initial, la Cour de cassation a pu décider de n’inclure que les prestations incluses dans le forfait touristique principal. Si une prestation s’ajoute et est payée entre les mains d’un tiers, l’agence de tourisme n’est ainsi pas responsable (Civ. 1re, 15 janv. 2015, n° 13-26.446, Dalloz actualité, 28 janv. 2015, obs. N. Kilgus ; D. 2015. 204 ; ibid. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; JT 2015, n° 172, p. 15, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2015. 625, obs. P. Jourdain ; ou, plus récemment, Montpellier, 2 déc. 2020, n° 17/03886, JT 2021, n° 238, p. 13, obs. X. Delpech ). Mais des constantes existent, notamment sur la possibilité de s’exonérer de cette responsabilité de plein droit en apportant la preuve que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l’acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d’un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure. Pour être exact – et la citation aura son importance –, dans sa version applicable au litige, l’article L. 211-16 du code du tourisme précisait : « Toutefois, [l’agence] peut s’exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l’acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d’un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure ». Voici donc le principal axe de défense des agences de voyages attaquées sur ce fondement pour éviter une mise en jeu de leur responsabilité parfois très coûteuse. Sur la force majeure, l’éruption du volcan Eyjafjallajökull en 2010 avait pu donner lieu à quelques jurisprudences intéressantes mettant en jeu ce cas précis (v. not. Civ. 1re, 8 mars 2012, n° 10-25.913, Dalloz actualité, 16 mars 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 1304, obs. I. Gallmeister , note C. Lachièze ; JT 2012, n° 141, p. 11, obs. X.D. ; RTD civ. 2012. 533, obs. P. Jourdain ).
L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 17 février 2021 permet cette fois-ci de se pencher sur le fait de la victime lors d’un tel voyage à forfait. Deux personnes – une mère et son fils – contractent avec une agence de voyages pour réaliser une croisière sur le Rhin. Le soir de l’embarquement, l’un des deux voyageurs se blesse pendant la nuit en tombant sur sa table de chevet. Les faits détaillent une blessure assez importante qui en résulte au niveau de l’œil. Le voyageur assigne donc en responsabilité l’agence de voyages ayant vendu la croisière. En appel, les juges du fond condamnent cette dernière à indemniser la personne blessée sur le fondement de l’article L. 211-16 du code du tourisme. L’arrêt d’appel insistait notamment sur les éléments factuels ne permettant pas de mettre en jeu l’un des cas d’exonération : « son comportement ne peut être qualifié d’imprévisible ou insurmontable, une chute étant toujours possible, d’autant que Mme W… venait de prendre possession de sa cabine, qu’elle dormait dans ce lit pour la première fois et que la table de chevet, proche du lit et à hauteur de tête, présentait des arêtes anguleuses ». La réparation s’élevait à la coquette somme de plus de 390 000 € ; ce qui a pu encourager l’agence de croisières à se pourvoir en cassation en arguant des causes d’exonération ci-dessus rappellées.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel pour défaut de base légale. La motivation est lapidaire : « en se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi une chute survenue dans de telles circonstances était prévisible et aurait pu être évitée par la société A…C…, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». Que retenir de cette solution ?
Il faut bien avouer que la motivation des juges du fond pouvait étonner. En excluant la faute de la victime, ces derniers avaient tout de même énoncé que son fait (sa chute pendant la nuit) n’était ni imprévisible ni insurmontable. Or, quand l’article L. 211-16 utilise ces qualificatifs, ce n’est pas pour parler du fait de la victime mais de celui du tiers. Pourquoi alors une telle recherche ? Il faut, en effet, bien distinguer la faute de la victime du fait du tiers même non fautif. Comme l’énonce M. Dagorne-Labbé, « à la différence du fait de la victime, celui du tiers n’a pas besoin d’être fautif pour produire un effet exonératoire » (Rép. com., v° Agence de voyages, par Y. Dagorne-Labbé, n° 72). Aucun élément textuel ne vient parler d’un fait de la victime qui serait imprévisible et insurmontable au moins dans la version du texte applicable au litige. Le fait du tiers imprévisible et insurmontable recouvre, en tout état de cause, des réalités diverses. Mais les magistrats veillent à ne pas qualifier ainsi n’importe quel événement. Par exemple, dans l’affaire des otages de Jolo, une prise d’otages en Malaisie pouvait ne pas être qualifiée d’imprévisible compte tenu des circonstances locales où des attaques terroristes avaient lieu de manière régulière (Paris, 23 janv. 2009, n° 06/14472, Dalloz actualité, 18 févr. 2009, note X. Delpech ; JCP 2009. II. 10083, note C. Lachièze). Dans cet exemple, le fait du tiers est facilement identifiable et il n’a aucune espèce de rapport avec le fait de la victime.
La nouvelle formulation de l’article L. 211-16 du code du tourisme pourrait peut-être expliquer cette interprétation assimilant les qualificatifs : « Toutefois, le professionnel peut s’exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que le dommage est imputable soit au voyageur, soit à un tiers étranger à la fourniture des services de voyage compris dans le contrat et revêt un caractère imprévisible ou inévitable, soit à des circonstances exceptionnelles et inévitables » (nous soulignons). Dans cette nouvelle mouture, on pourrait comprendre que la faute de la victime ou le fait du tiers soient nécessairement conjugués, l’un comme l’autre, avec les caractères « imprévisible ou inévitable ». La version de 2009, seule applicable au litige, ne devrait toutefois pas interférer avec ce changement de formulation dont il ne faut peut-être pas extrapoler le sens mais qui, selon nous, explique l’hésitation interprétative dans le raisonnement des juges du fond. En somme, une utilisation du texte de 2009, mais interprété à la lumière de sa formulation de 2019. Il faut bien avouer que le système n’est pas de la plus grande des simplicités.
Mais la réponse donnée par la Cour de cassation peut elle-même surprendre car elle ne semble pas disqualifier cette interprétation mixte entre le fait du voyageur (et donc sa faute) et le fait du tiers même non fautif mais imprévisible et insurmontable. Il faut noter que le type de cassation – un défaut de base légale – n’aide que peu à ramener de l’ordre dans ce désordre textuel. En exigeant de la part des juges du fond la démonstration du caractère prévisible de la chute et de la possibilité qu’avait la société de l’éviter, la Cour de cassation durcit les effets du texte au profit d’une mise en jeu simplifiée des causes d’exonération. Certes, l’agence de voyages avait avancé l’idée selon laquelle elle n’était pas responsable en raison de la chute de la victime. Mais les juges du fond avaient rejeté sa faute. On pourrait songer au rôle actif de la victime comme cause d’exonération prétorienne mais même sur ce terrain (v. Rép. com., v° Agence de voyages, par Y. Dagorne-Labbé, n° 76), la motivation peut surprendre car le voyageur dormait pendant sa chute en l’espèce. Le doute perdure.
La solution reste donc – sous l’angle littéral – assez intrigante. Assimiler – comme dans la présente affaire – le fait du tiers à la fourniture des prestations et le fait de la victime semble quelque peu aventureux puisque rien dans la version du texte de 2009 ne permet d’opérer une telle assimilation. La Cour de cassation confirmera-t-elle cette analyse ? Affaire à suivre.