Devoir de vigilance : irrecevabilité des demandes des associations contre Total
En 2019, Mme Boursier écrivait au Recueil Dalloz que « la multiplication des règles de compliance suscite aujourd’hui des interrogations quant à leur articulation et à la sécurité juridique des entreprises assujetties à ce foisonnement de règles sanctionnées » (M.-E. Boursier, Qu’est-ce que la compliance ? Essai de définition, D. 2020. 1419 ). Les deux jugements rendus le 28 février 2023 par le tribunal judiciaire de Paris viennent probablement continuer à alimenter ce questionnement en ce qu’ils sont les premières applications du devoir de vigilance – outil de compliance ex ante – issu de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre codifiant deux nouveaux articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce. Le décret permettant de préciser le contour de ces textes n’est, par ailleurs, jamais sorti si bien que des questions persistent sur le contour de ces textes mais une loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 est venue donner compétence au tribunal judiciaire de Paris pour connaître des actions relatives à ce devoir de vigilance (sur ce point, v. Rép. sociétés, v° Responsabilité sociale des entreprises : entreprise et éthique environnementale, par F. Guy-Trebulle, n° 42-1). L’affaire en question oppose la société TotalEnergies SE à diverses associations, à savoir Les amis de la terre France, The National Association Of Professionnal Environmentalists (NAPE), Africa Institute For Energy Governance (AFIEGO), Survie, Civic response to Environment and Development, Navigators of development association (NAVODA).
Les faits sont connus : une des filiales de la société TotalEnergies SE, la société TotalEnergies EP Uganda, est l’opérateur d’un projet de grande envergure pour le développement d’une usine de traitement en Ouganda réalisée en coopération avec une société chinoise, l’État ougandais ayant autorisé une licence d’exploitation à chacune de ces deux sociétés. Dans le même temps, la société EACOP est l’opérateur d’un second projet mené avec la même société chinoise afin de construire une canalisation enterrée pour le transport d’hydrocarbures sur 1 147 kilomètres entre l’Ouganda et la Tanzanie. Le 20 mars 2019, la société TotalEnergies SE publie son document d’enregistrement universel pour l’exercice 2018 avec un plan de vigilance pour cette même année. Par courrier du 24 juin 2019, les six associations précédemment citées dénoncent ce plan de vigilance et ont mis en demeure la société opératrice de satisfaire à ses obligations en matière de vigilance eu égard tant aux insuffisances de son plan que de sa mise en œuvre effective, ainsi que de sa publication. Le 24 septembre 2019, la société TotalEnergies défend son plan, argue que celui-ci contient les éléments nécessaires à l’information de chacun et expose les moyens concrets mis en œuvre pour réduire les risques liés. Les six associations ont donc, par acte d’huissier du 29 octobre 2019, fait assigner la société TotalEnergies SE devant le président du tribunal judiciaire de Nanterre en référé pour enjoindre la société à respecter ses obligations en matière de vigilance. Toute cette affaire a commencé par une assez savante question autour du tribunal compétent : est-ce le tribunal de commerce ou tribunal judiciaire ? Rappelons qu’à l’époque, la compétence exclusive du tribunal judiciaire de Paris n’était pas encore insérée dans la loi. Le 30 janvier 2020, la juridiction saisie se déclare incompétence au profit du tribunal de commerce de Nanterre. Un arrêt confirmatif de la cour d’appel de Versailles se prononce sur cette question le 10 décembre 2020. La chambre sociale de la Cour de cassation, par arrêt du 15 décembre 2021 (Soc. 15 déc. 2021, n° 21-11.882, D. 2022. 826 , note R. Dumont ; ibid. 963, obs. V. Monteillet et G. Leray ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno ; JA 2022, n° 652, p. 10, obs. X. Delpech ; Rev. sociétés 2022. 173, note A. Reygrobellet ; RTD com. 2022. 33 et les obs. ; v. O. Douvreleur, « Compliance et juge du...