Divorce prononcé à l’étranger et ordre public international : un arrêt surprenant

Pour bien comprendre la portée de cet arrêt, il est nécessaire d’indiquer la teneur de quelques-unes des dispositions du code algérien de la famille relatives à la dissolution du mariage, sans volonté d’exhaustivité.

L’article 48 de ce code dispose que « le divorce est la dissolution du mariage (…) » et qu’il intervient par la volonté de l’époux, par consentement mutuel des deux époux ou à la demande de l’épouse dans la limite des cas prévus aux articles 53 et 54 de la présente loi ».

L’hypothèse d’un divorce prononcé à la demande de l’époux a donné lieu, en France, à une jurisprudence aujourd’hui bien établie, sous l’angle de l’exequatur. Par exemple, un arrêt de la Première chambre civile du 4 juillet 2018 (Civ. 1re, 4 juill. 2018, n° 17-16.102, AJ fam. 2018. 469, obs. C. Roth image ; Dr. fam. 2018. Comm. 270, note M. Farge) a énoncé qu’un « jugement algérien, fondé sur le droit pour le mari de mettre fin de façon discrétionnaire au mariage, est contraire au principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage que la France s’est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction, et donc à l’ordre public international, dès lors que les époux de nationalité algérienne sont domiciliés sur le territoire d’un Etat contractant, même s’ils sont séparés » (V. égal., Civ. 1re, 23 oct. 2013, n° 12-21.344, Dalloz actualité, 7 nov. 2013, obs. R. Mésa ; D. 2013. 2518 image ; AJ fam. 2013. 709, obs. A. Boiché image ; RTD civ. 2014. 94, obs. J. Hauser image ; Dr. fam. 2014. Comm. 31, note M. Farge ; RLDC 2014, n° 5387, note D. Thévenet-Montfrond ; RJPF 2013-12/13, p. 21, note T. Garé ; RIDC 2013/110, n° 5320, p. 44, note K. Ducrocq-Pauwels).

L’affaire jugée le 17 mars 2021 ne concernait toutefois pas un jugement de divorce prononcé en Algérie à l’initiative de l’époux sur le fondement de l’article 48 du code algérien de la famille mais un jugement obtenu par l’épouse, en application de l’article 54 de ce même code, qui énonce que « l’épouse peut se séparer de son conjoint, sans l’accord de ce dernier, moyennant le versement d’une somme à titre de "khol’â". En cas de désaccord sur la contrepartie, le juge ordonne le versement d’une somme dont le montant ne saurait dépasser la valeur de la dot de parité "sadaq el mithl" évaluée à la date du jugement ».

La difficulté était en l’espèce de déterminer si un jugement algérien de divorce rendu à la demande de l’épouse et sans l’accord du mari devait être considéré comme régulier en France ou devait, au même titre que le jugement de répudiation obtenu par l’époux, être considéré comme contraire à l’ordre public international français.

La Cour de cassation énonce à ce propos que « lorsqu’une décision de divorce a été prononcée à l’étranger en application d’une loi qui n’accorde pas à l’un des époux, en raison de son appartenance à l’un ou l’autre sexe, une égalité d’accès au divorce, sa reconnaissance ne heurte pas l’ordre public international, dès lors qu’elle est invoquée par celui des époux à l’égard duquel sont prévues les règles les moins favorables, que la procédure suivie n’a pas été entachée de fraude et que l’autre époux a pu faire valoir ses droits ».

Cette formule, qui exprime un principe général, est très novatrice. Si l’on s’en tient à ses termes, sans considérer les circonstances de l’espèce, elle signifie qu’un jugement étranger de divorce peut être considéré conforme à l’ordre public international français même s’il a été prononcé en application d’un droit étranger qui ne respecte pas l’égalité d’accès au divorce des époux, dès lors, notamment, qu’il est invoqué en France par l’époux qui pâtit de l’absence d’égalité.

On peut en déduire, au-delà de l’affaire jugée le 17 mars 2021, que dans une hypothèse classique de répudiation, l’épouse répudiée peut elle-même demander et obtenir la reconnaissance ou l’exequatur en France du jugement étranger de répudiation s’il en va de son intérêt. Cela conduit à admettre que l’exception d’ordre public international français a une portée très relative, qui peut varier non seulement au regard des mécanismes classiques de l’ordre public atténué ou de proximité (pour une appréciation critique de ces mécanismes, L. Gannagé, Les méthodes du droit international privé à l’épreuve des conflits de cultures, Rec. cours Académie de La Haye, 2013, vol. 357, nos 125 s.) mais aussi de la qualité de l’époux qui invoque le jugement en France. Cette nouvelle approche n’est pas sans rappeler la possibilité en matière interne de renoncer dans certains cas, à une règle appartenant à l’ordre public de protection, même s’il est certain que les notions d’ordre public international et d’ordre public interne sont bien distinctes (sur ce, P. de Vareilles-Sommières, L’exception d’ordre public et la régularité substantielle internationale de la loi étrangère, Rec. cours Académie de La Haye, 2015, vol. 371, nos 62 s.) et que cette comparaison vaut plus par son caractère explicatif que par sa rigueur conceptuelle. On est alors loin de l’approche promue par la Cour de cassation dans son Rapport annuel 2013 (L’ordre public, La Documentation française, 2014, p. 456), selon laquelle l’exception d’ordre public international vise à protéger l’intérêt général, de sorte qu’il est impossible de se prévaloir d’une décision étrangère qui ne serait pas conforme à cet ordre.

Toutefois, même si le principe qui est ainsi formulé mérite, à notre sens, l’approbation, l’examen des circonstances jugées par la Cour de cassation le 17 mars 2021 conduit en réalité à s’interroger, avec scepticisme, sur son application en l’espèce.

Pour retenir que la décision algérienne de divorce ne heurte pas l’ordre public international français, la Cour de cassation a implicitement mais nécessairement retenu que l’épouse était, selon la formule utilisée par le principe précité, « celui des époux à l’égard duquel (étaient) prévues les règles les moins favorables ».

Pourtant, l’épouse avait pris l’initiative de la procédure de divorce en Algérie et de la procédure en France au cours de laquelle elle a invoqué à son profit le jugement algérien de divorce pour obtenir l’expulsion de son ex-époux d’une maison, située en France, qu’elle avait achetée en propre. Il est donc difficile de considérer que l’épouse était ici dans une situation défavorable par rapport à l’époux au regard des circonstances procédurales.

Mais alors, comment concilier cette idée de situation défavorable de l’épouse, retenue par la Cour de cassation, avec les circonstances d’espèce qui démontrent qu’elle était au contraire bénéficiaire des procédures ?

Il nous semble que la seule explication tient au fait que la Cour de cassation a retenu, en filigrane, que la situation – favorable ou défavorable – de l’épouse ne devait pas être appréciée au regard des seules dispositions de l’article 54 du code algérien de la famille appliquées par le juge algérien, mais au regard d’une appréciation globale du droit du divorce algérien, avec le sous-entendu selon lequel ce droit est, de manière générale, globalement moins favorable à l’épouse compte tenu de la possibilité ouverte au mari de rompre unilatéralement le mariage. C’est ce qui expliquerait que l’épouse ait pu se prévaloir en France du jugement de divorce obtenu en Algérie de manière unilatérale.

Or, cette façon de raisonner – à supposer qu’elle soit bien au fondement de l’arrêt – nous semble contestable sur le plan de la méthode, même si le principe énoncé par l’arrêt est à notre sens opportun. Il est surprenant d’apprécier la situation (favorable ou défavorable) de l’épouse à l’égard du droit algérien considéré globalement, y compris au regard de certaines de ses dispositions qui n’étaient pourtant pas applicables dans le litige, et ce d’autant plus qu’en l’espèce, il ne s’agissait pas d’un problème de conflit de lois conduisant à l’application du droit algérien par le juge français mais de l’appréciation de la régularité internationale d’un jugement étranger. L’exception d’ordre public international n’aurait dû, selon la méthode classique, être mise à œuvre qu’en considération de la situation juridique créée par le jugement étranger ayant appliqué le seul article 54 du code algérien de la famille et non pas en considération d’une appréciation globale des règles juridiques algériennes, y compris de celles qui n’ont pas été appliquées par le jugement algérien.

L’approche consacrée par la Cour de cassation nous semble d’autant plus surprenante, sur le plan de la méthode, qu’il n’était sans doute pas nécessaire d’en passer par le principe général, précité, pour arriver à une solution identique. La Cour de cassation a en effet approuvé les juges du fond d’avoir retenu que le divorce prévu par l’article 54 du code algérien de la famille ne peut pas être assimilé à la répudiation prévue par l’article 48 (pour une analyse du droit algérien à ce sujet, J.-Cl. Droit comparé, v° Algérie, Droit de la famille, Mariage, Divorce, Filiation, Capacité », par K. Saidi, fasc. 20, nos 73 s.). Par suite, il pouvait être considéré comme un « quelconque » divorce prononcé à l’étranger, dont la régularité aurait pu être simplement appréciée au regard des critères habituels, après avoir notamment contrôlé que le principe du contradictoire avait été respecté devant le juge étranger et qu’il n’y avait pas eu fraude.

  

 SYMBOLE GRIS