Droit de visite médiatisé à l’égard d’un enfant placé : premières applications de l’article 1199-3 du c. pr. civ.

Les arrêts rendus le 15 janvier 2020 par la première chambre civile de la Cour de cassation, l’un de rejet sur ce point (arrêt n° 27, n° 18-25.313), l’autre de cassation (arrêt n° 28, n° 18-25.894), mettent en œuvre, pour la première fois à notre connaissance, l’article 1199-3 du code de procédure civile, issu du décret n° 2017-1572 du 15 novembre 2017 (sur lequel, L. Gebler, Encadrement du droit de visite des parents de l’enfant placé, AJ fam. 2017. 614 image ; A. Denizot, L’organisation insouciante des visites en présence d’un tiers, RTD civ. 2018. 230 image). À cette occasion, les juges de la Haute Cour, combinant l’article précité avec l’article 375-7 du code civil, se prononcent sur l’office du juge des enfants dans le domaine sensible du droit de visite médiatisé des parents dont l’enfant fait l’objet d’une mesure de placement au titre de l’assistance éducative.

Si les désordres familiaux ayant entraîné le déclenchement de la mesure éducative étaient évidemment propres à chaque espèce, les conséquences juridiques avaient un point commun : dans les deux cas, les enfants avaient été placés hors du milieu familial et le juge des enfants avait opté pour un droit de visite médiatisé (en alternance avec un « droit de visite libre » dans le premier arrêt, arrêt n° 27, v. infra). Dans les deux affaires, il s’agissait de savoir si le juge des enfants avait rempli son office dans la détermination des modalités d’exercice de ce droit, ce qui était contesté par les mères des enfants, demanderesses au pourvoi dans les deux procédures.

La question de la fixation des modalités d’exercice du droit de visite des parents à l’égard d’un enfant placé – et donc retiré à ses parents – en raison du danger qu’il court est une question hautement sensible (en ce sens, T. Fossier, Les droits des parents en cas de placement éducatif, AJ fam. 2007. 60 image). Ce droit de visite traduit en effet à la fois symboliquement et concrètement le maintien des attributs de l’autorité parentale qui continue d’être exercée par les parents (C. civ., art. 375-7, al. 1er : « Les père et mère de l’enfant bénéficiant d’une mesure d’assistance éducative continuent à exercer tous les attributs de l’autorité parentale qui ne sont pas inconciliables avec cette mesure ») et on sait que le législateur accorde une grande importance au maintien des liens entre l’enfant placé et sa famille (en ce sens, not., F. Terré, C. Goldie-Genicon et D. Fenouillet, Droit de la famille, Dalloz, coll. « Précis », 9e éd., Dalloz 2018, spéc. § 1047 ; S. Bernigaud in P. Murat (dir.), Droit de la famille, Dalloz Action, 2016, spéc. §§ 242-263).

Ce maintien repose essentiellement sur l’article 375-7 du code civil. Depuis la loi de 2016 relative à la protection de l’enfant (Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 ; sur laquelle, v. A. Denizot, Définition de l’inceste : peut mieux faire !, RTD civ. 2016. 462 image), cet article dispose dans son alinéa 4 que « S’il a été nécessaire de confier l’enfant à une personne ou un établissement, ses parents conservent un droit de correspondance ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement. Le juge en fixe les modalités […]. Il peut également, par décision spécialement motivée, imposer que le droit de visite du ou des parents ne peut être exercé qu’en présence d’un tiers qu’il désigne lorsque l’enfant est confié à une personne ou qui est désigné par l’établissement ou le service à qui l’enfant est confié. Les modalités d’organisation de la visite en présence d’un tiers sont précisées par décret en Conseil d’État ». Le code civil renvoie ainsi indirectement à l’article 1199-3 du code de procédure civile créé en application dudit décret et qui dispose : « La fréquence du droit de visite en présence d’un tiers est fixée dans la décision judiciaire sauf à ce que, sous le contrôle du juge, les conditions d’exercice de ce droit soient laissées à une détermination conjointe entre le ou les parents et la personne, le service ou l’établissement à qui l’enfant est confié » (que nous désignerons ci-après, pour plus de commodité, sous les termes de « gardien de l’enfant »).

La question est donc celle de l’articulation du principe selon lequel le juge des enfants « fixe les modalités » du droit de visite accordé aux parents d’un enfant placé et les dispositions spéciales prévues lorsqu’un tel droit de visite doit être exercé en présence d’un tiers.

Le principe selon lequel le juge fixe les modalités du droit de visite des parents lorsque l’enfant est placé est ancien. Toutefois, certains juges ont été tentés de déléguer au gardien de l’enfant l’organisation du droit de visite, souvent dans le but de donner souplesse et adaptabilité à la solution à mettre en place en même temps que cela limitait les allers-retours devant le juge (sur ces pratiques, v. J. Hauser, obs. sous Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 98-05.008, RTD civ. 1999. 75 image ; M. Huyette, note sous Civ. 1re, 13 oct. 1998, D. 1999. 123 image ; J. Massip, note sous Civ. 1re, 13 oct. 1998, Defrénois 1999. 309). La Cour de cassation a donc dû affirmer qu’une telle délégation n’était pas acceptable car le juge méconnaissait ainsi l’étendue de ses pouvoirs (v. not., Civ. 1re, 13 oct. 1998, no 98-05.008, Defrénois 1999. 309, obs. Massip ; Dr. fam. 1998, no 168, note Murat). Pour autant, le contentieux ne s’est pas tari. Du reste, dans le premier arrêt (arrêt n° 27, préc.), la Cour de cassation a encore été obligée de rappeler que le juge ne pouvait pas fixer, en faveur de la mère, un « droit de visite libre », « dont les modalités seront fixées en concertation entre celle-ci et le service auquel les enfants sont confiés ». Sur ce point, elle casse donc l’arrêt d’appel pour violation de l’article 375-7, alinéas 4 et 5 au motif qu’il incombait au juge de définir la périodicité du droit de visite simple et qu’en prévoyant un droit de visite « libre », la cour d’appel avait méconnu l’étendue de ses pouvoirs. La solution, classique donc, n’appelle pas de plus amples développements à ce stade. Elle permet en revanche de mettre en perspective la différence avec l’hypothèse de la mise en place d’un droit de visite médiatisé qui était au cœur des deux arrêts.

L’intérêt des arrêts sous examen réside en effet dans le contrôle effectué par la Cour de cassation sur la répartition des pouvoirs entre le juge des enfants et le gardien de l’enfant quant aux modalités d’organisation de la visite en présence d’un tiers.
Il semble résulter de l’article 1199-3 du code de procédure civile précité que, lorsque le droit de visite est prévu en présence d’un tiers, le principe est que le juge fixe la fréquence de ces visites à moins qu’il ne délègue (même si le mot peut fâcher) l’ensemble des modalités de l’organisation de ce droit au gardien de l’enfant en collaboration avec le parent concerné et sous son contrôle. On pourrait y voir une hiérarchie, une préférence du législateur pour la fixation de la fréquence des visites par le juge. La mise en œuvre de l’article par la Cour de cassation semble plutôt faire état d’une simple alternative. Revenons sur les deux branches de celle-ci.

En ce qui concerne la fixation de la fréquence des visites par le juge, les commentateurs du décret ont pu souligner qu’elle semblait n’être qu’une modalité minimale qui n’excluait pas que le juge puisse fixer d’autres éléments (en ce sens, L. Gebler, Encadrement du droit de visite des parents de l’enfant placé, AJ fam. 2017. 614 image). Sur cet aspect, les arrêts sous examen ne nous éclairent guère. En effet, dans les deux cas, les juges du fond avaient opté pour une délégation totale de la fixation des modalités de la visite, sous le contrôle du juge des enfants. Il faudra attendre d’autres décisions pour en savoir un peu plus.

En ce qui concerne l’autre branche de l’alternative posée par le texte, qui prévoit donc que, « sous le contrôle du juge, les conditions d’exercice de ce droit soient laissées à une détermination conjointe entre le ou les parents » et le gardien de l’enfant, les arrêts sont plus intéressants.

Dans le premier arrêt (arrêt n° 27, préc.), le juge des enfants avait décidé d’un « droit de visite médiatisé dont les modalités seront fixées en concertation entre le service auquel les enfants sont confiés et la mère ». Or, pour critiquer l’arrêt d’appel, cette dernière fondait clairement son pourvoi sur la jurisprudence constante rappelée plus haut et rendue sur le fondement de l’article 375-7 du code civil. Elle soutenait en effet que la cour d’appel avait méconnu l’étendue de ses pouvoirs au regard de cet article en ne déterminant pas elle-même la nature et la fréquence du droit visite médiatisé qu’elle avait ordonné. Or, la Cour de cassation, après avoir rappelé les textes des articles 375-7, alinéa 4, du code civil et 1199-3 du code de procédure civile, estime que le moyen n’est pas fondé au motif qu’en accordant à Mme C. « un droit de visite médiatisé, dont ils ont prévu que les modalités, notamment la périodicité, seraient déterminées selon l’accord des parties, et dit qu’il en serait référé au juge en cas de difficulté, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes susvisés ».

Il en ressort clairement que, selon la Cour de cassation et conformément aux articles visés, deux situations doivent être distinguées. Soit le droit de visite s’exerce sans la présence d’un tiers et le juge doit en fixer les modalités d’exercice (C. civ., art. 375-7, al. 4) ou à tout le moins la nature et la fréquence (C. civ., art. 375-7, al. 5) : c’est ce qui vaut à l’arrêt d’appel la cassation concernant le droit de visite simple qui ne saurait être « libre » (v. supra). Soit le droit de visite est médiatisé et le juge peut déléguer, sous son contrôle, son entier pouvoir d’organisation des visites au gardien de l’enfant… sous réserve toutefois d’un accord entre ce dernier et le parent bénéficiaire du droit de visite. C’est là l’apport du second arrêt.

En effet, dans le second arrêt (arrêt n° 28, préc.), le juge des enfants avait accordé aux deux parents « un droit de visite médiatisé qui s’exercera sous le contrôle du service gardien, sauf à en référer au juge en cas de difficultés ». Ici, non seulement le juge des enfants n’avait pas fixé la périodicité du droit de visite mais il avait confié la fixation de ces modalités, certes sous son contrôle, au seul gardien de l’enfant sans la subordonner à un accord entre ce dernier et les parents bénéficiaires. Aucune des branches de l’alternative posée par l’article 1199-3 du code de procédure civile n’était ainsi remplie. La cassation était donc inévitable. Au visa, là encore, des articles 375-7, alinéa 4, du code civil et 1199-3 du code de procédure civile, la Cour de cassation affirme « Qu’en statuant ainsi, alors qu’il incombait au juge de définir la périodicité du droit de visite accordé, ou de s’en remettre, sous son contrôle, à une détermination conjointe des conditions d’exercice de ce droit entre les parents et le service à qui les enfants étaient confiés, la cour d’appel a méconnu l’étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés ».

Ainsi, on peut conclure que ces arrêts font une stricte application des textes et notamment de l’article 1199-3 du code de procédure civile. Il est du reste heureux que la Cour de cassation veille à ce que le juge ne se dessaisisse de son pouvoir/devoir de fixer les modalités du droit de visite médiatisé qu’il ordonne, uniquement dans l’hypothèse où le gardien de l’enfant et les parents bénéficiaires parviennent à se mettre d’accord, ce qui laisse espérer une solution souple et adaptée aux besoins de l’enfant et aux contraintes de chacun. La large diffusion (FS-P+B+I) promise à ces deux arrêts démontre sans doute la volonté pédagogique de la Cour de cassation qui entend bien faire respecter une exacte répartition des rôles dans ce domaine si sensible.

  

 SYMBOLE GRIS