Engagement de la masse commune et cautionnement des époux

La communauté réduite aux acquêts est un régime matrimonial nuancé où le créancier doit composer avec des règles protectrices de la masse commune qui viennent limiter le principe d’engagement des biens communs de l’article 1413 du code civil au stade de l’obligation à la dette (P. Malaurie, L. Aynès et N. Peterka, Droit des régimes matrimoniaux, 8e éd., Paris, LGDJ, coll. « Droit civil », nos 512 s.). C’est ainsi que l’article 1415 vient restreindre le gage des créanciers d’un cautionnement ou d’un emprunt pour un époux agissant seul. En pareille situation, seule la masse propre de l’époux caution ou emprunteur ainsi que ses revenus peuvent être saisis, le reste de la masse commune étant mise à l’abri par le législateur. Pour pouvoir saisir les biens communs, le créancier doit avoir recueilli le « consentement exprès » de l’autre époux, ce qui n’est pas chose aisée. La jurisprudence a pu interpréter très largement cet article afin de maximiser la protection offerte à l’époux n’ayant pas consenti le cautionnement (F. Terré et P. Simler, Droit des régimes matrimoniaux, Dalloz, coll. « Précis », 2019, 8e éd., p. 429, n° 403). L’arrêt rendu par la chambre commerciale le 29 septembre 2021 vient poser un nouveau jalon dans l’approche de l’article 1415 du code civil quand les cautionnements des époux communs en biens ont été recueillis dans le même acte mais que l’un d’entre-eux est annulé.

Les faits sont classiques : un établissement bancaire a consenti à une société un prêt d’un montant de 175 000 € remboursable sur 84 mensualités. Le prêt est garanti par un acte unique du 30 janvier 2013 dans lequel des époux mariés sous la communauté réduite aux acquêts – dirigeants de ladite société – se sont rendus cautions solidaires de l’engagement souscrit. La banque consent, par la suite, un nouveau prêt à l’automne 2013 à la même société. La seconde opération est garantie par un nouveau cautionnement solidaire des époux dirigeants.

L’emprunteur est mis en liquidation judiciaire si bien que le créancier assigne les cautions solidaires. Les époux opposent la disproportion de l’engagement et la nullité du cautionnement de l’époux car celui-ci n’avait pas rédigé la mention manuscrite prévue par l’article L. 341-2 du code de la consommation, applicable au litige. Seule la mention manuscrite de son épouse apparaissait sur l’acte de cautionnement qu’il avait signé le 30 janvier 2013.

En cause d’appel, une discussion se noue autour de l’article 1415 du code civil après la nullité prononcée de l’engagement de l’époux pour défaut de mention manuscrite. La banque pensait pouvoir contourner la restriction du gage des créanciers en se servant de l’engagement de l’épouse signé, en bas de document, par son conjoint. La cour d’appel de Colmar précise que « l’acte de cautionnement du 30 janvier 2013 est de nul effet en ce qui concerne un quelconque engagement de M. X., il ne saurait être tiré de la présence de sa signature dans les conditions précitées sur le document qui valide le cautionnement de son épouse, qu’il a expressément accepté un tel cautionnement ». Ainsi, la masse commune ne pouvait pas être saisie. Seuls les biens propres et les revenus de l’épouse étaient saisissables.

C’est sur ce point précisément que toute la discussion porte pour le demandeur au pourvoi incident, à savoir la banque prêteuse de deniers. Nous ne reviendrons pas sur le pourvoi principal des cautions qui s’attardait sur un moyen n’ayant pas entraîné une décision spécialement motivée car n’étant pas de nature à entraîner la cassation (il s’agissait de la disproportion manifeste de l’engagement).

La Cour de cassation rejette le pourvoi incident de la banque : la seule signature de l’autre époux ne suffit pas à valoir consentement exprès au sens de l’article 1415 du code civil. La masse commune est donc à l’abri dans cette situation. Il s’agit d’une lecture exigeante qui implique, avant d’en comprendre la portée et les limites, de rappeler l’importance de la nullité de l’engagement de l’un des époux faisant que la situation ne correspond plus à un cautionnement simultané mais à un cautionnement de l’un des époux seulement.

L’importance de la nullité de l’engagement de l’un des époux

L’argumentation du demandeur au pourvoi incident était simple : si la signature de l’époux ne pouvait valoir cautionnement pour son propre engagement en raison de la nullité prononcée, elle était toutefois suffisante pour démontrer un consentement exprès au sens de l’article 1415 du code civil pour le cautionnement de son conjoint.

Il faut ici comprendre qu’il n’y avait qu’un seul acte de cautionnement pour la garantie prise le 30 janvier 2013 dans lequel les époux se portaient cautions solidaires du premier emprunt. Il n’existait donc pas deux actes séparés de cautionnement de chacun des époux. La différence est importante car on sait que dans cette situation où les actes sont distincts, la Cour de cassation veille à un consentement exprès de chaque époux pour engager la communauté conformément à l’article 1415 du code civil (Civ. 1re, 8 mars 2005, n° 01-12.734, D. 2005. 1048 image ; AJ fam. 2005. 238, obs. P. Hilt image). Par jeu de miroir, la Haute juridiction a pu préciser pour un même acte réunissant les deux cautionnements que « ces derniers (les époux) se sont engagés en termes identiques sur le même acte de prêt en qualité de caution pour la garantie de la même dette ; qu’ayant ainsi fait ressortir qu’ils s’étaient engagés simultanément, la cour d’appel en a exactement déduit que l’article 1415 du code civil n’avait pas vocation à s’appliquer » (Com. 5 févr. 2013, n° 11-18.644, D. 2013. 1253, obs. V. Avena-Robardet image, note A. Molière image ; ibid. 1706, obs. P. Crocq image ; AJ fam. 2013. 187, obs. P. Hilt image ; Rev. sociétés 2013. 507, note I. Dauriac image). Ce régime de la simultanéité a pu conduire certains auteurs à critiquer la solution retenue (M. Mignot, Le cautionnement unique des époux hors du champ d’application de l’article 1415 du code civil, Gaz. Pal. 7 mars 2013).

Quelle particularité alors pour l’arrêt rendu le 29 septembre 2021 qui prône la solution inverse ? L’engagement de l’un des époux avait été annulé par la cour d’appel de Colmar car ce dernier n’avait pas reporté la mention manuscrite de l’article L. 341-2 du code de la consommation. Par conséquent, exit le cautionnement souscrit par chacun des époux puisque celui-ci ne respectait pas le formalisme exigé en la matière (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2021, p. 223, n° 171). C’est précisément sur ce point que la nuance porte car si la nullité n’avait pas été prononcée, l’article 1415 du code civil n’aurait pas trouvé application ; chacun des époux ayant été partie à la sûreté personnelle dans le même acte. Il n’y a donc pas ici cautionnement simultané des deux époux mais un seul cautionnement, de l’épouse en l’espèce.

L’article 1415 du code civil retrouve alors tout son empire puisque seul un époux s’est porté caution : la nullité de l’engagement de l’autre implique de faire comme s’il n’avait jamais été garant ; retour au statu quo ante oblige.

Un retour à une application exigeante de l’article 1415 du code civil

La chambre commerciale opte pour une motivation lapidaire mais néanmoins efficace selon laquelle « lorsque les cautionnements d’époux communs en biens ont été recueillis au sein du même acte pour garantir la même dette et que l’un des cautionnements est annulé, la seule signature au pied de cet engagement ne vaut pas consentement exprès au cautionnement de l’autre conjoint, emportant engagement des biens communs en application de l’article 1415 du code civil » (nous soulignons). En somme, une simple signature n’est pas le « consentement exprès » dont parle la lettre de l’article 1415 du code civil. C’est un retour à une solution exigeante en terme probatoire.

Qu’aurait-il fallu de plus, alors ? Un arrêt rendu en 2017 (Com. 17 mai 2017, n° 15-24.184 et n° 15-24.187) avait pu préciser dans le même contexte d’une nullité de l’engagement de l’autre époux que la signature accompagnée de la mention « lu et approuvé. Bon pour caution solidaire du montant du prêt en principal augmenté des intérêts au taux conventionnel stipulé à l’article modalités, commissions, frais et accessoires » était un consentement exprès au sens de l’article 1415 du code civil. On connaît la portée probatoire quasi-nulle des mentions « lu et approuvé » mais rien n’empêche le juge d’en tirer des conclusions sur le consentement à l’acte et donc sur l’engagement des biens communs qui en résulte.

Tout reste donc dépendant d’une appréciation très fine pour déterminer si, malgré la nullité, le consentement exprès a été donné ou non. Une certitude toutefois : on ne peut pas se servir de la partie de l’acte annulé (le consentement du conjoint n’ayant pas recopié la mention manuscrite) pour justifier que ce dernier a voulu donner son consentement exprès. Ce serait une solution de facilité qui méconnaîtrait la portée de la nullité qui consiste à faire comme si cette partie de l’acte n’avait jamais existé. L’article 1415 du code civil retrouve sa fonction de cran de sécurité pour protéger la communauté en pareille situation à travers la recherche d’un consentement exprès.

En revenant donc à ce qui est explicitement dans l’acte, la seule signature ne suffit pas. La solution est exigeante voire sévère pour le créancier qui a obtenu une sûreté qu’il pensait particulièrement efficace. L’arrêt commenté n’est donc pas un revirement de jurisprudence mais une simple nuance à la construction opérée par la Cour de cassation en cas de nullité de l’un des cautionnements recueillis au sein du même acte. Gare donc au consentement exprès qui nécessite une clause à lui seul !

  

 SYMBOLE GRIS