Formalisme de la demande d’infirmation : appelant et intimé, mêmes… dégâts

Dans le cadre d’un litige de succession, une partie, déboutée notamment de sa demande de rapport à la succession, interjette appel, par acte du 16 mai 2018.

L’appelant conclut dans son délai, et l’intimé, débouté en première instance de sa demande reconventionnelle, forme appel incident de ce chef.

L’appelant saisit le conseiller de la mise en état d’un incident d’irrecevabilité de l’appel incident, duquel il est débouté par ordonnance du 5 mai 2019. Sur déféré, par arrêt du 8 novembre 2019, la cour d’appel infirme l’ordonnance et déclare irrecevables les demandes au motif que l’appel incident n’aurait pas été valablement formé.

Sur pourvoi, la Cour de cassation annule l’arrêt sur déféré, l’interprétation nouvelle qui est faite des articles 542 et 954 ne s’appliquant pas aux procédures antérieures au 17 septembre 2020, date à laquelle est née cette nouvelle obligation procédurale mise à la charge des parties.

Relevons que le pourvoi est déclaré recevable, alors même qu’il n’est pas mis fin à l’instance la cour d’appel ayant tranché une partie du principal, ouvrant ainsi le pourvoi.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets…

Le 17 septembre 2020, la Cour de cassation, sous couvert d’une « interprétation nouvelle » des articles 542 et 954, a instauré une nouvelle obligation procédurale consistant à imposer à la partie appelante qu’elle précise dans le dispositif de ses conclusions qu’elle demande l’annulation ou l’infirmation du jugement (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626 P, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046 image, note M. Barba image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne image ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet image ; D. avocats 2020. 448 et les obs. image ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, Anne-Isabelle Gregori, Rudy Laher et A. Provansal image ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol image ; Gaz. Pal. 27 oct. 2020, p. 9, note P. Gerbay ; ibid. 8 déc. 2020, p. 41, note Ansault ; ibid. 26 janv. 2021, p. 79, note N. Hoffschir ; ibid. 26 janv. 2021, p. 82, note Lauvergnat ; Defrénois 2021, n° 3, p. 13, note Mazure).

Mais, tempérant la portée de cette jurisprudence qui pouvait se révéler dévastatrice sur les procédures d’appel en cours, la Cour de cassation a décidé de n’appliquer cette nouvelle obligation que pour les appels formés à compter du 17 septembre 2020.

Outre la question de l’éventuelle régularisation, la question s’est posée des parties concernées par cette jurisprudence, l’arrêt du 17 septembre 2020 et les arrêts du 21 mai 2021 (Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 19-22.316 ; 20 mai 2021, n° 20-13.210, Dalloz actualité, 4 juin 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1217 image, note M. Barba image ; AJ fam. 2021. 317, édito. V. Avena-Robardet image ; ibid. 381, édito. V. Avena-Robardet image), ne visant que « l’appelant ».

Nous avions pu considérer qu’il n’y avait aucune raison que cette obligation procédurale soit cantonnée au seul appelant, sans l’étendre à l’appelant incident. Nous estimions alors que « l’appel incident est regardé comme constituant l’exercice d’une voie de recours » et que « l’appelant incident se trouve donc dans la même situation que l’appelant à titre principal ».

Si la Cour de cassation annule l’arrêt sur déféré, en raison du différé d’application de la nouvelle jurisprudence, elle prend soin de profiter de ce pourvoi pour compléter son arrêt du 17 septembre 2020, sur ce point particulièrement attendu.

Après avoir repris l’attendu de principe selon lequel « il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que, lorsque l’appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement », la haute juridiction rappelle que « l’appel incident n’est pas différent de l’appel principal par sa nature ou son objet », de sorte que les conclusions de l’appelant principal ou de l’appelant incident « doivent déterminer l’objet du litige porté devant la cour d’appel » et comporter en conséquence dans le dispositif une demande d’infirmation ou de réformation du jugement attaqué.

Soulignons à ce propos que la Cour de cassation utilise les termes infirmation et réformation, en réponse probablement aux réactions parfois inquiètes des avocats, alors que les deux termes peuvent être indifféremment usités.

Nonobstant un attendu visant l’appelant, il faudra désormais comprendre que l’appelant dont il est question est l’appelant principal mais également l’appelant incident.

Autant nous pouvions être critique quant à l’instauration de cette charge procédurale, autant nous saluons le fait que cette jurisprudence soit ainsi étendue à l’intimé appelant incident, tant l’avocat est en pratique souvent confronté à des dispositifs indigestes, comme l’était d’ailleurs celui de l’intimé dans l’espèce ayant donné lieu à cet arrêt.

Il résulte en conséquence de cet arrêt que, pour les appels formés à compter du 17 septembre 2020, toute partie qui poursuit l’annulation ou l’infirmation du jugement devra impérativement le préciser, dans le dispositif de ses conclusions, sous peine d’être sanctionné. Évidemment, l’intimé ne sera concerné par cette obligation que si l’appel incident tend à l’infirmation du jugement, ce qui ne sera pas toujours le cas : il peut, par exemple, demander la garantie d’une partie dans le cadre d’un appel incident (provoqué), chef sur lequel le tribunal peut ne pas avoir eu à se prononcer.

Mais si la Cour de cassation étend opportunément sa jurisprudence, la livraison de ce que sera la jurisprudence aboutie est encore partielle, dès lors que nous restons dans l’expectative quant à la sanction, pour l’appelant incident, et quant à une éventuelle régularisation qui néanmoins nous paraît exclue.

La confirmation du chef de l’appel incident ?

La sanction quant à l’appelant principal est connue : la cour d’appel confirme le jugement. C’est l’appel non soutenu.

La cour d’appel est effectivement saisie d’un appel régulier qui a produit son effet dévolutif, mais les conclusions remises sont vides de toutes prétentions.

Dès lors que la Cour de cassation nous dit que l’appel incident n’est pas différent de l’appel principal, nous devrions considérer que la sanction sera identique, à savoir que la cour d’appel ne peut que confirmer du chef de l’appel incident.

Cependant, cet appel incident n’a pas nécessairement élargi la dévolution fixée par l’acte d’appel et les conclusions de l’appelant. Tant l’appelant que l’intimé peuvent demander la réformation du même chef : l’épouse demande la réformation du chef de la prestation compensatoire à laquelle elle a été condamnée à hauteur de 40 000 € tandis que l’époux, intimé, se porte appelant incident pour demander la réformation et la condamnation de l’appelant à payer la somme de 60 000 € à ce titre.

Une confirmation du chef de la prestation compensatoire ne sera certainement pas du goût de l’appelant.

Plutôt que de parler de confirmation du jugement, il serait probablement plus opportun de retenir que les conclusions ne contiennent aucun appel incident.

La cour d’appel ne serait pas saisie de cet appel incident, sur lequel elle ne statuera donc pas.

Une irrecevabilité des demandes ou de l’appel incident ?

L’autre option serait d’aller sur le terrain de l’irrecevabilité. C’est au demeurant l’objet de l’incident devant la cour d’appel de Bordeaux, la cour d’appel ayant déclaré irrecevables les demandes. Sans nous attarder sur ce point, nous pouvons nous étonner que ni l’avocat ni les juges se ne sont questionnés sur les pouvoirs d’un conseiller de la mise en état pour statuer sur une irrecevabilité de demandes, au regard des termes de l’article 914 et surtout de l’article 771 devenu depuis l’article 789.

Mais l’irrecevabilité crée toutefois une différence de traitement avec l’appelant principal, et surtout une différence de régime.

Et de quelle irrecevabilité s’agit-il ? Celle des demandes ou de l’appel incident ?

Si l’on reprend la note explicative de la Cour de cassation, selon laquelle « la cour d’appel ne peut statuer sur les aspects du litige tranchés par le jugement qu’en raison de son infirmation ou son annulation préalable » (note explicative relative à l’arrêt du 17 sept. 2020 [n° 18-23.626]), nous pouvons en retirer que les prétentions ne prennent vie que s’il est préalablement demandé l’infirmation. À défaut, les prétentions n’existent pas, et les conclusions sont alors des conclusions de confirmation sans appel incident.

Il n’est donc pas question, à ce stade, d’introduire un incident d’irrecevabilité des demandes ou de l’appel incident.

Pour autant, il est vraisemblable que l’appelant, intimé sur l’appel incident, devra néanmoins envisager un incident d’irrecevabilité. Et il en ira de même de l’intimé, si c’est l’appelant qui a omis de demander l’infirmation dans ses conclusions.

En effet, dès qu’il va découvrir son erreur de procédure, l’appelant incident ne manquera pas de compléter ses conclusions, pour y ajouter la demande d’infirmation omise. Il aura d’autant plus intérêt à le faire qu’à ce jour, la Cour de cassation n’a pas encore posé que toute régularisation sera impossible, même si nous nous doutons bien que la Cour de cassation n’a pas érigé cette nouvelle obligation procédurale stricte, à application différée, en ayant à l’esprit une régularisation possible à tout moment.

Après cette tentative de régularisation, les conclusions de l’intimé contiendront alors des prétentions réputées inexistantes dans les premières conclusions.

Sur le plan procédural, c’est à la date de remise de ces conclusions que sera formé (tardivement) cet appel incident.

L’irrecevabilité sera encourue en application des articles 909 (irrecevabilité de l’appel incident) et 910-4 (irrecevabilité des prétentions formées après le délai pour conclure) du code de procédure civile.

L’appelant n’aurait donc pas d’autres choix que d’envisager un incident en irrecevabilité de cet appel incident, en application de l’article 909, pour tardiveté, qui relève du pouvoir du conseiller de la mise en état en circuit ordinaire, en application de l’article 914. Et l’appelant pourra également se prévaloir de l’irrecevabilité, des prétentions cette fois, en application de l’article 910-4, sachant que c’est désormais le conseiller de la mise en état qui connaît de cette fin de non-recevoir, conformément aux articles 907 et 789, 6° (Civ. 2e, avis, 3 juin 2021, n° 21-70.006, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly ; ibid. 18 juin 2021, chron. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 1139 image). En circuit court, il sera possible de saisir le président en irrecevabilité de l’appel incident, l’appelant pouvant parallèlement conclure devant la cour d’appel à l’irrecevabilité des demandes au visa de l’article 910-4, cette disposition échappant au pouvoir du président de la chambre.

En l’état de la jurisprudence, à construire, il semblerait que la partie pourra difficilement échapper à un incident d’irrecevabilité dès lors que la partie en difficulté tentera une régularisation de son erreur. Il serait pourtant opportun que cette nouvelle obligation puisse se régler autrement, sans qu’il faille saisir et la cour d’appel, et le conseiller de la mise en état du même problème de procédure.

Si l’appelant principal et l’appelant incident ont tous deux reçu cette nouvelle charge procédurale, force est de constater que le régime n’est pas strictement identique, et se pose dans des conditions un peu différentes concernant l’intimé appelant incident.

Rappelons que, si l’appelant néglige de soulever cette difficulté de procédure, l’intimé appelant incident ne sera pas pour autant perché.

En effet, l’appel incident étant l’exercice d’une voie de recours, la cour d’appel devra relever d’office son irrecevabilité (Civ. 2e, 28 sept. 2017, n° 16-23.497 P, Dalloz actualité, 10 oct. 2017, obs. M. Kebir ; D. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, p. 58, obs. N. Hoffschir). Et si elle ne le fait pas, ce moyen pourra être soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation.

Au regard de la pratique trop courante devant les cours d’appel, il est vraisemblable que les conséquences de cet arrêt du 1er juillet 2021 seront plus dévastatrices que ne l’aurait été celui du 17 septembre 2020 s’il s’était limité au seul appelant principal. S’il est relativement peu courant qu’un appelant néglige de demander l’infirmation dans le dispositif de ses conclusions, même si cela n’est pas un cas d’école, tant s’en faut, il est en revanche plus courant qu’un intimé appelant incident fasse l’impasse d’une demande de réformation dans ses conclusions.

Les cours d’appel et les avocats des parties appelantes vont désormais devoir surveiller la rédaction des conclusions de l’intimé, étant précisé que certains appelants s’étaient déjà emparés de la jurisprudence du 17 septembre 2020 pour l’appliquer à l’intimé appelant incident.

Décidément, la procédure d’appel est un fleuve tumultueux dont on n’a de cesse de détourner le cours pour le rendre toujours plus palpitant.

  

 SYMBOLE GRIS