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[i]Dark Waters[/i], de Todd Haynes

Ce qui fascine chez Todd Haynes, c’est sa capacité, à chaque film, à se réinventer, cette facilité qu’il a, au gré des œuvres qu’il propose, de filmer différemment, de faire quelque chose de radicalement neuf. Cette qualité indiscutable, qui fait la marque des grands cinéastes américains des dernières années – James Gray, Jeff Nichols, etc. –, se révèle avec éclat si l’on compare Dark Waters avec l’un de ses précédents films, Carol (2015), magistrale ode à la femme des années 1950, sublimée par une Cate Blanchett enfermée dans les liens d’un mariage bourgeois de l’époque, mais surtout par les frontières tragiques de l’homophobie et de la bienséance du temps. Dark Waters est totalement différent, la rupture est franche. Le nouveau film de Todd Haynes, tout juste sorti sur les écrans, s’attaque à un thème majeur : celui d’un scandale écologique de grande ampleur. Cela étant, comme Carol, là aussi, Mark Ruffalo, incarnant un avocat d’affaires qui voit sa vie transformée en raison d’un dossier environnemental qu’il peine pourtant à prendre en charge, se heurte à un mur : le mur de l’argent, de l’industrie chimique et du pouvoir, tout cela étant, en un certain sens, lié. Et il y a une forme de condescendance dans la réponse que l’on oppose à cet avocat, une condescendance qui pourtant ne saurait manquer de s’effriter au fur et à mesure que les preuves s’amoncellent.

Pourtant, avec Dark Waters, on bascule dans un tout autre univers que le road movie de Carol dans l’Amérique puritaine. Rob Bilott, excellemment campé par Mark Ruffalo, est un avocat plutôt corporate, c’est-à-dire spécialisé en droit des affaires, tout juste promu au rang d’associé dans une prestigieuse firme de Cincinnati, Taft. Bilott est, de ce point de vue, sur les rails. Une belle carrière s’ouvre à lui. Argent, reconnaissance, respectabilité : tout semble s’ordonner de manière admirable, sans heurt, le tout autour d’un foyer remarquablement tenu par son épouse, ici jouée par Anne Hathaway. C’était sans compter sur sa rencontre, un peu forcée, avec Tennant, un fermier peu amène de Virginie-Occidentale, un endroit dont Bilott est lui-même en partie originaire par sa grand-mère. En lui déposant un dossier, quelque peu virulemment, Tennant le renvoie à ses « champs meurtriers » de Virginie, pour reprendre l’expression du New York Times (M. Dargis, Dark Waters Review : The Killing Fields of West Virginia, New York Times, 21 nov. 2019), là où son bétail devient fou et meurt progressivement, emmenant avec lui tout espoir de faire repartir sa ferme qui tombe elle-même dans une déliquescence financière inexorable. Tennant met cela sur le compte du comportement de DuPont, une des plus grandes compagnies chimiques et, surtout, l’un des plus gros employeurs de la région. Il demande à Bilott de l’aider. Pour l’avocat, le dossier est complexe. La firme à laquelle il appartient est au cœur des jeux de pouvoir de cette industrie chimique. Envers et contre tout, au moins au début, il en fait l’affaire de sa vie, le combat de son existence, supporté par l’aide bienveillante de l’un de ses mentors et un associé influent au sein du cabinet (joué par Tim Robbins, excellent). Bilott dévoile sans nul doute l’un des plus grands scandales écologiques des dernières années : l’eau se trouve polluée parce la compagnie y déverse un produit chimique dangereux, dont la diffusion est d’ailleurs bien plus large, en raison de la présence de ce composant dans d’autres produits de consommation de grande ampleur. Le film se révèle ensuite la relation fidèle et sincère, dynamique et prenante, du long combat juridique que mène Bilott contre le grand groupe chimique. Les arguties de droit et les audiences défilent. L’affaire de l’avocat se confond avec sa vie.

L’approche de Todd Haynes est saisissante de vérité. D’abord, elle est évidemment basée sur des faits réels et s’inspire d’un article du New York Times Magazine, de Nathaniel Rich, publié en janvier 2016, au titre prometteur : The Lawyer Who Became DuPont’s Worst Nightmare. Mais la vérité du film, qui accentue plus encore la sincérité du combat, procède surtout de la caméra de Todd Haynes. Avec une certaine virtuosité, le film revêt presque des accents de documentaire, la plupart des scènes ayant été tournées sur site. L’image semble affectée d’un certain grain, dans la photographie, qui confère aux premiers temps du film cette atmosphère un peu passéiste des premiers moments du combat de Bilott. De manière ingénieuse, on perçoit que le cours de la justice, dans ce dossier, est long, au gré des nouvelles versions des logiciels dont se sert Bilott avec son ordinateur. Et c’est précisément là l’une des premières injustices que pointe judicieusement Todd Haynes. Les êtres moraux, firmes et compagnie, ont une longévité que n’ont pas les personnes physiques. Le combat est bien loin d’être à armes égales, et Todd Haynes parvient à restituer cette asymétrie qui marque le conflit entre la compagnie et les plaignants.

D’une manière générale, sans artifice, la mise en scène ne dépasse jamais le propos et, sans surjouer, les acteurs restent au service de ce qui est, surtout, une cause (oui, Mark Ruffalo est « admirable d’abnégation », T. Sotinel, Dans Dark Waters, de Todd Haynes, le voyage d’hiver d’un avocat héroïque, Le Monde, 25 févr. 2020). Dark Waters offre des plans tragiquement magnifiques de cette campagne désertée, de cette campagne déchirée, détruite et sinistrée. Les petits monticules en dessous desquels repose le bétail de Wilbur Tennant demeurent à l’esprit longtemps. Dans la droite ligne d’Erin Brockovich (Steven Soderberg, 1999) ou de Révélations (Michael Mann, 2000), le réalisateur offre un film majeur pour l’histoire environnementale et écologique mondiale et poursuit, avec brio, cette série de films « lanceurs d’alerte » qui sont nécessaires. C’est une autre façon d’agir. Et Todd Haynes le fait bien.

 

Todd Haynes, Dark Waters, sorti en France le 26 février 2020.

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