[I]Marriage Story[/I]
Présenté à la Mostra de Venise, sorti au tout début du mois de décembre dernier sur Netflix, qui s’est chargé de sa production, ce qui en limite malheureusement la diffusion, Marriage Story est un film exceptionnel en tous points. C’est sans doute l’un des meilleurs tributs payés, ces dernières années, par le cinéma américain à la figure du couple, un couple en déliquescence, un couple qui se déchire, et qui se retrouve, par touches, comme par une sorte de pointillisme affectif. Il y a du tragique dans cette figure, et quelque chose de grandiose dans la façon de mettre en scène, comme le fait Noah Baumbach, les rapports difficiles entre Nicole et Charlie Barber, admirablement incarnés par Scarlett Johansson et Adam Driver, tous deux au meilleur de leur jeu. Les deux acteurs constituent l’un de ces duos contemporains que l’on ne risque pas d’oublier, à l’image de celui constitué par Leonardo DiCaprio et Kate Winslet, dans Les Noces rebelles, de Sam Mendes. Dans Marriage Story, les personnages principaux sont eux-mêmes dans le monde du théâtre. Lui est un metteur en scène new-yorkais dont la célébrité tend à s’asseoir. Elle est actrice, probablement l’âme de sa troupe, que l’on voit comme une petite famille et au sein de laquelle tout départ se vit comme un déchirement. Et précisément, Nicole s’en va, de son couple comme du théâtre. Elle retourne à Los Angeles, d’où elle était originaire, ayant décroché un rôle dans une série. Elle se sépare de Charlie et emmène avec elle leur fils unique Henry. Nicole se réinsère dans sa vie d’avant, assez facilement. Tel est, en substance, le point de départ de ce film qui n’en finit pas d’enchanter la critique.
Marriage Story est un film de l’entre-deux. Entre deux époques, d’abord. Il s’agit ici d’analyser le temps d’après, cette période qui va de la décision de se séparer au prononcé du divorce, c’est-à-dire qui mène du fait au droit. Le divorce, aux États-Unis comme en France, n’est pas instantané. À défaut de cohabiter, il faut au moins coexister. Film entre deux lieux, ensuite. La séparation est en effet physique, Charlie étant sans cesse entre New York et Los Angeles, soucieux tout à la fois de voir son fils et de mener à bien la pièce qu’il est en train de monter à Broadway. Entre deux personnes, enfin. Car le film est la chronique d’un face à face, entre Nicole, qui s’installe dans sa vie nouvelle, et Charlie, qui se raccroche à l’ancienne sans voir, au moins au début, qu’elle n’est plus qu’un souvenir, peut-être une chimère. Et c’est là, dans cet antagonisme très fort, qu’intervient la perspective juridique avec laquelle on peut aborder ce film. Marriage Story plonge au cœur du système judiciaire californien, pour ce qui a trait au droit de la famille, ce qui est somme toute assez rare dans le cinéma contemporain. Et une première impression se dégage, lorsque l’on voit s’opposer les avocats de chacun des époux : le divorce est quelque chose qui se gagne. Il y aura nécessairement, semble-t-il, un perdant. Ce n’était pourtant pas l’approche initialement retenue par les époux Barber. Les choses devaient se dérouler sans accroc. Mais un glissement s’opère, à compter du moment où Nicole prend fort justement un avocat pour représenter ses intérêts, ce qui surprend Charlie. Était-ce la bonne personne ? C’est une autre question. Il demeure que les époux Barber deviennent un case. Le droit s’engouffre ; une audience se tient. Des négociations se déroulent. Les enjeux ? Le sort de Henry, bien sûr. Mais surgissent aussi les prétentions financières, qu’il faut trancher.
Les avocats, dans ce film, sont particulièrement intéressants. Ils sont identiques, issus des mêmes clubs, et fréquentent les mêmes galas de charité. À la ville, ils se sourient. Au palais, ils s’affrontent virulemment. D’ailleurs, les choix de Charlie, pour le représenter, sont très significatifs. Au fur et à mesure que son attitude évolue, il change d’avocat. Au début, il semble subir le divorce, dans ce qu’il a de juridique, plus préoccupé par la séparation et ses conséquences concrètes, avec ses va-et-vient constants entre New York et Los Angeles. Puis, cette passivité première – sans doute liée aux chimères qu’il nourrissait initialement – se transforme en une posture plus agressive, rebelle à l’idée de concession. Tandis que son premier défenseur était conciliant et enclin à transiger, le second est offensif, à l’image de son contradicteur. Et, progressivement, le divorce échappe au couple. L’appareil judiciaire, avec ses représentants, s’occupe de l’affaire. En revanche, il reste toujours la séparation, magistralement jouée, admirablement filmée.
Marriage Story, Noah Baumbach, 2019.
Disponible en VOD