Indépendance de la justice : la place de la police
« À chacun son métier ! »
Les relations entre magistrats, policiers et gendarmes sont complexes. Chacun dépend de l’autre, et si policiers et gendarmes relèvent de l’intérieur, ils travaillent sous le contrôle des magistrats. L’un des points sensibles est la question des effectifs : les magistrats ont parfois des difficultés pour obtenir suffisamment d’agents et officiers sur leurs dossiers. Pour l’allocation de ces moyens, Frédéric Veaux, le directeur de la police nationale insiste : « les échanges sont constants, permanents entre la police nationale – la police judiciaire en particulier – et les différentes strates de la magistrature, de la DACG jusqu’aux plus petits parquets. »
Et d’insister sur ce dialogue qui se noue entre magistrats et policiers : « Je peux témoigner que je n’ai jamais reçu d’instruction pour étouffer ou ralentir une enquête. Certains continuent pourtant de proposer le rattachement de la police judiciaire au ministère de la justice. Ce n’est pas une bonne idée selon moi. À chacun son métier ! » Le général Christian Rodriguez poursuit : « Depuis que je suis entré en gendarmerie, j’entends dire qu’il serait bien que la police judiciaire soit dans les mains du ministère de la justice. Si demain on me dit : vos sections de recherche dépendent désormais des magistrats, cela signifierait que les affaires judiciaires du haut du spectre ne me concernent plus. Quand les magistrats souhaiteront alors avoir davantage de moyens, vers qui se tourneront-ils ? La gendarmerie a tellement de sujet à traiter, qu’alors les magistrats devront prendre leur ticket et attendre leur tour ».
Quels remontées d’information à l’intérieur ?
Une autre question occupe les députés depuis le début de leurs travaux : les remontées d’information. Connues et encadrées au sein du ministère de la justice, leur circuit reste obscur à l’intérieur.
Pour le DGGN, « sur le secret de l’enquête et de l’instruction, les choses sont clairement écrites à l’article 11 du code de procédure pénale. Tant dans l’esprit que dans la lettre, l’idée est de n’informer une autorité qui n’a pas à connaître de l’enquête judiciaire que s’il y a un risque de trouble à l’ordre public ou si quelque chose risque de rejaillir sur son périmètre. C’est vrai pour les préfets, pour le ministre ou le DGGN. Il y a un certain nombre d’affaires où l’on sait que, derrière, il y aura un sujet d’ordre public à traiter ou un sujet à réguler. Chacun s’astreint à mettre le curseur au bon endroit pour ne pas dévoiler des choses qu’il ne devrait pas dévoiler. […] Concrètement, on travaille sur des fiches, qui me remontent et avec lesquelles je peux discuter avec le cabinet du ministre dans l’esprit de l’article 11 du code de procédure pénale. Sur le plan national, on doit avoir trois ou quatre fiches par jour ».
Il insiste sur ce point : ces fiches sont factuelles, et ne sont prospectives que si elles peuvent avoir un impact sur l’ordre public. « Je ne fais remonter au ministre que des choses qui peuvent avoir un impact à son niveau. » Mais le nom des personnes à interpeller n’y figurera pas.
Pour son homologue de la police nationale, « il peut nous arriver de devoir confirmer ou non la réalité d’informations diffusées sur la presse ou les réseaux sociaux ». « Au-delà, il n’y a pas de volonté de connaître ce qui se passe dans les enquêtes, sauf quand cela concerne directement la police nationale. J’ai le souvenir d’un jeune homme qui s’est tué à moto à Argenteuil. C’est important pour tout le monde de savoir les conditions dans lesquelles il s’est tué, savoir ce que cela pourrait avoir comme conséquence en termes d’ordre public ou de discipline en interne. » Mais il insiste : « En trente années de police judiciaire, je n’ai jamais reçu aucune instruction ni subi aucune pression pour faire évoluer d’une manière différente le déroulement de l’enquête qui m’avait été confiée. »