L’effet interruptif de péremption d’un acte de procédure irrégulier
Dans son étude d’ampleur des sanctions en procédure civile, Mme Chainais constate que l’on ne peut se satisfaire d’une approche simplement statique dans laquelle chacune serait prise isolément (C. Chainais, Les sanctions en procédure civile. À la recherche d’un clavier bien tempéré, in D. Fenouillet et C. Chainais (dir.), La sanction en droit contemporain, vol. 1, La sanction entre technique et politique, Dalloz, 2012, p. 357 s., spéc. nos 42 s. et p. 374 s.). Elle suggère d’y ajouter une approche dynamique consistant à replacer les sanctions procédurales dans l’environnement global du procès. À cette occasion, on peut y observer des phénomènes de « résonances » des sanctions les unes avec les autres. L’arrêt commenté relate justement la rencontre entre une péremption et une nullité pour irrégularité de fond ; une rencontre qui se montre sans conséquence pour l’issue du litige.
Une solution classique
Une rencontre… En l’espèce, l’acquéreur de biens immobiliers en l’état futur d’achèvement a interjeté appel d’un jugement déclarant parfaites des ventes. Un arrêt a confirmé le jugement sur le caractère parfait de la première vente et, avant-dire droit sur la seconde, ordonné une expertise. L’expert a déposé son rapport en septembre 2013 et l’acquéreur a conclu une dernière fois en janvier 2014. À la demande des parties, le conseiller de la mise en état a prononcé le retrait du rôle de l’affaire le 26 février 2014. Quelques mois plus tard, le 26 novembre 2015, l’acquéreur a été placé sous curatelle renforcée par décision du juge des tutelles, une association étant désignée en qualité de curateur. Mais négligeant les conséquences de son placement sous ce régime de protection, l’acquéreur a déposé et signifié sans l’assistance de son curateur des conclusions aux fins de rétablissement au rôle de l’affaire.
Pour la société venderesse, ces conclusions sont inopérantes à interrompre le délai de péremption. Décortiquons son raisonnement. Par la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, le législateur a introduit un nouvel alinéa 3 à l’article 468. Celui-ci impose l’assistance du curateur lorsque la personne sous curatelle est susceptible d’être partie, en demande ou en défense, et ce quelle que soit la nature de l’action (Civ. 1re, 8 juin 2016, n° 15-19.715, D. 2016. 1311 ; ibid. 2017. 1490, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro ; AJ fam. 2016. 390, obs. T. Verheyde ; RTD civ. 2016. 588, obs. J. Hauser ; JCP 2016. 741. obs. I. Maria. V. toutefois, Civ. 1re, 6 nov. 2013, n° 12-23.766, D. 2014. 467 , note G. Raoul-Cormeil ; ibid. 2259, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2013. 717, obs. T. Verheyde ; RTD civ. 2014. 84, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2014-1. Comm. 9. obs. I. Maria ; JCP 2014. 436. obs. R. Libchaber). À défaut, l’acte de procédure se trouve entaché d’une irrégularité dont la nature ne fait aucun doute. En effet, dans la liste limitative des hypothèses de nullité pour irrégularité de fond (sur ce caractère limitatif, v. Cass., ch. mixte, 7 juill. 2006, n° 03-20.026, D. 2006. 1984, obs. E. Pahlawan-Sentilhes ; RTD civ. 2006. 820, obs. R. Perrot ; Gaz. Pal. 22 juill. 2006, avis Domingo et 14 oct. 2006, note G. Deharo ; Procédures 2006. Comm. 200. obs. R. Perrot ; Dr. et proc. 2006. 346, obs. O. Salati ; JCP 2006. II. 10146. note E. Putman), le défaut de capacité d’exercice figure en première place (C. pr. civ., art. 117 ; pour une illustration récente, Civ. 1re, 11 oct. 2017, n° 16-24.869, D. 2017. 2102 ; ibid. 2018. 1458, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro ; AJ fam. 2017. 593, obs. V. Montourcy ). De cette sanction procédurale, dont on rappellera qu’elle entraîne en principe l’anéantissement rétroactif de l’acte irrégulier (sur le contenu en réalité variable de cet effet, Rép. pr. civ., v° Nullités, par L. Mayer, nos 264 s.), la société venderesse déduit une conséquence désastreuse pour l’issue du procès : puisque les conclusions irrégulières sont rétroactivement anéanties, elles n’ont pas pu interrompre le délai de péremption. La péremption doit donc provoquer l’extinction de l’instance (C. pr. civ., art. 389). Ce raisonnement a convaincu non seulement le conseiller de la mise en état, mais aussi la cour d’appel saisie sur déféré. Pour ces juges, dès lors que l’acquéreur a été placé sous curatelle renforcée, les conclusions aux fins de ré-enrôlement déposées ultérieurement sans l’assistance du curateur n’ont pu interrompre le délai de péremption. Au surplus, ils considèrent comme inopérant le fait que cette violation de la légalité ait été régularisée au moment où le conseiller de la mise en état a statué, dès lors que celle-ci est intervenue après l’expiration du délai de péremption. Faisant grief à l’arrêt de constater la péremption de l’instance d’appel et son extinction, le majeur protégé et son curateur ont formulé divers moyens à l’appui de leur pourvoi. Entre autres choses, ils dénoncent ce raisonnement qui consiste à conditionner l’effet interruptif de péremption d’une diligence à la validité de l’acte de procédure qui la matérialise. C’est précisément ce moyen qui va concentrer toute l’attention de la Cour de cassation.
…Sans conséquence. Lorsqu’une diligence prend la forme d’un acte de procédure, son effet interruptif de péremption est-il en lien avec la validité de cet acte ? À cette question, la Cour de cassation répond sans la moindre équivoque. Au visa de l’article 386 du code de procédure civile, et après avoir rappelé son contenu, elle juge que « l’effet interruptif d’une diligence, lorsqu’elle consiste en un acte de la procédure, est sans lien avec la validité de cet acte ». Ainsi, un acte de procédure irrégulier peut tout à fait interrompre un tel délai, s’il exprime par ailleurs la volonté du plaideur de poursuivre l’instance (sur la notion de diligence, Rép. pr. civ., v° Péremption d’instance, par L. Veyre, n° 32). Or, en statuant comme elle l’a fait, alors que les conclusions aux fins de rétablissement au rôle prises par le majeur protégé traduisaient justement cette volonté, la Cour d’appel a violé le texte susvisé. Attention, il serait faux de voir dans cet arrêt un renversement de la jurisprudence qui dénie à la seule demande de réinscription de l’affaire au rôle une intention de faire « progresser le litige vers sa solution » (sur cette jurisprudence, Rép. pr. civ., v° Péremption d’instance, par L. Veyre, nos 40 s.). En effet, en l’espèce, la demande de ré-enrôlement semble avoir été accompagnée de conclusions au fond qui démontraient une telle intention (pour une proposition innovante de dépassement de ce questionnement systématique par la création d’un « acte de poursuite d’instance », Y. Strickler, obs. sous Civ. 2e, 11 avr. 2019, n° 18-14.223, Procédures 2019. Comm. 182, in fine).
Finalement, si la rencontre entre la péremption et la nullité pour irrégularité de fond a bien lieu, celle-ci n’a aucune conséquence sur l’issue du litige. À vrai dire, cette solution est classique. Énoncée une première fois en 1999 (Civ. 2e, 3 juin 1999, n° 97-19.378, D. 1999. 185 ; RTD civ. 1999. 695, obs. R. Perrot ), elle a depuis été rappelée à deux reprises par la Cour de cassation (Civ. 1re, 14 févr. 2006, n° 05-14.757, D. 2006. 604 ; Procédures 2006. Comm. 71, obs. R. Perrot ; Gaz. Pal. 6-7 juill. 2007, p. 29, note E. du Rusquec ; Civ. 2e, 28 juin 2012, nos 11-19.615 et 11-19.616). Résistance ou simple erreur des juges du fond ? La lecture de l’arrêt ne permet pas de le dire. Néanmoins, ce questionnement invite à mener une brève appréciation critique de cette solution classique.
Appréciation critique
Une conséquence de la libéralisation des formes. Fût un temps, la question du maintien de l’effet interruptif de péremption d’un acte nul occupa la doctrine (Aix-en-Provence, 9 juin 1959, D. 1960. 376, note Y. Lobin ; RTD civ. 1968. 583, obs. P. Raynaud. Adde, E. D. Glasson, A. Tissier et R. L. Morel, Traité théorique et pratique d’organisation judiciaire, de compétence et de procédure civile, t. 2, p. 623). Le code de procédure civile de 1806 se montrait alors particulièrement rigoureux puisqu’il semblait subordonner son maintien à l’accomplissement d’un acte valable (C. pr. civ. anc., art. 399 : « La péremption n’aura pas lieu de droit. Elle se couvrira par les actes valables faits par l’une ou l’autre des parties avant la demande en péremption »). L’exigence a totalement disparu dans le nouveau code de procédure civile de 1975. À n’en pas douter, les rédacteurs ont exprimé là leur souhait de voir advenir une « libéralisation des formes » de la diligence (R. Perrot, obs. sous Civ. 3e, 20 déc. 1994, n° 92-21.536, RTD civ. 1995. 683 . Adde, B. Boval, Observations sur la péremption, in L. Cadiet et D. Loriferne (dir.), La réforme de la procédure d’appel, 2011, IRJS, p. 85 s., spéc. p. 89-90). Concrètement, celle-ci ne se limite plus aux seuls actes formalistes de la procédure. Sa forme n’importe plus ; seul compte le fait qu’elle contribue à donner une « impulsion processuelle » à l’instance (pour de multiples illustrations, Rép. pr. civ., v° Péremption d’instance, par L. Veyre, nos 35 s.). Or, à l’instant où l’on considère que l’essence d’une diligence ne se trouve plus dans sa forme mais dans l’intention de son auteur, il n’est plus concevable de conditionner son effet interruptif à l’accomplissement d’un acte de procédure valable. Voilà la justification de la solution rappelée dans l’arrêt commenté. Et tant que l’on continuera à privilégier l’intention sur la forme, cette solution doit être maintenue.