L’établissement de la filiation par possession d’état : nouvelles perspectives ?

Aux termes de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent solliciter l’avis de la Cour de cassation avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges. Faisant usage de cette possibilité, le tribunal judiciaire de Mulhouse a formé le 18 août 2022 une demande d’avis dans les termes suivants : « Dans la mesure où l’article 311-1 du code civil prévoit que la réunion suffisante de faits caractérisant la possession d’état est censée « révéler » le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir, une filiation à l’égard d’un demandeur dont il est constant qu’il n’est pas le père biologique de l’enfant peut-elle être établie dans le cadre de l’action en constatation de la possession d’état prévue à l’article 330 du code civil ? ».

La possession d’état était déjà connue au Moyen Âge. Elle permettait aux juridictions ecclésiastiques alors compétentes de présumer la filiation à l’égard du père en l’absence de mariage ou de paralyser la contestation de la filiation (v. Rép. civ., v° Filiation : généralités – Notion de filiation, par C. Labrusse-Riou, n° 79). Alors que l’établissement et la conservation des actes de naissance étaient sujets à un certain aléa, la possession d’état a conservé dans le code civil de 1804 sa valeur de preuve de la filiation à défaut d’acte de naissance, quoi que sa portée ait été restreinte à la preuve de la filiation légitime (ibid). La réforme portée en 1972 par le doyen Carbonnier a renforcé le rôle de la possession d’état, le législateur « ayant voulu tenir compte du fait que le lien de filiation n’est pas seulement biologique, mais qu’il est aussi un lien affectif et sociologique » (ibid.).

C’est ainsi qu’aujourd’hui encore, la possession d’état permet, si elle est constatée dans un acte de notoriété, l’établissement d’un lien de filiation. Encore faut-il que toutes les conditions et les caractères de la possession d’état soient réunis. Et c’est bien sur ce point que le tribunal de Mulhouse est venu interroger la Cour de cassation. Saisi d’une action en constatation de la possession d’état de père d’un homme à l’égard d’une enfant mineure placée dans une maison d’enfants à caractère social, le tribunal entendait être éclairé sur le point de savoir si l’absence de lien biologique notoire entre l’homme et l’enfant constituait un obstacle dirimant à l’établissement d’un lien de filiation par possession d’état.

La Cour de cassation, après avoir rappelé les dispositions de l’article 311-1 du code civil énumérant les principaux faits révélant un lien de filiation (fama, tractatus et nomen) et celles de l’article 311-2 du code civil précisant que la possession d’état doit être continue, paisible, publique et non équivoque, affirme que « la possession d’état constitue un mode d’établissement de la filiation prévu au titre VII du livre premier du code civil. Fondée sur l’apparence d’une réalité biologique, elle correspond à une réalité affective, matérielle et sociale. La circonstance que le demandeur à l’action en constatation de la possession d’état ne soit pas le père biologique de l’enfant ne représente pas, en soi, un obstacle au succès de sa prétention ».

L’affirmation peut surprendre, elle est pourtant parfaitement cohérente au regard du droit positif. Reste à déterminer quelles pourraient en être les conséquences.

Une affirmation surprenante… ou pas

En premier lieu, en ce qu’elle comprend en elle l’idée que l’absence de paternité biologique est notoire. En l’occurrence elle est au moins connue de l’administration, l’enfant étant placée. Qu’en est-il alors de l’un des faits essentiels à la révélation d’un lien de filiation à savoir que la relation filiale soit reconnue comme telle par l’autorité publique ? L’objection cède néanmoins facilement. Tout d’abord parce que « la possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits » et ne suppose donc pas que tous les éléments énumérés à l’article 311-1 du code civil soient réunis ; ensuite parce qu’il est tout à fait possible que la condition soit remplie en l’espèce à l’égard d’autres administrations.

L’affirmation peut également surprendre au regard du caractère non équivoque que doit, selon l’article 311-2 du code civil, présenter la possession d’état. Cette condition, prévue de longue date par la jurisprudence en miroir de la possession d’état en matière de droit des biens, a été entérinée par l’ordonnance du 4 juillet 2005 qui entendait ainsi éviter le contournement des règles régissant l’adoption ou encore la prohibition de l’établissement de la filiation incestueuse. Plus généralement, la jurisprudence exige expressément que la possession d’état ne soit pas contraire à l’ordre public (v. en part. en matière de gestation pour autrui, Civ. 1re, 6 avr. 2011, n° 09-17.130, Dalloz actualité, 14 avr. 2011, obs. C. Siffrein-Blanc ; D. 2011. 1522, et les obs. image, note D. Berthiau et L. Brunet image ; ibid. 1001, édito. F. Rome image ; ibid. 1064, entretien X. Labbée image ; ibid. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 1995, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; ibid. 2012. 308, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; ibid. 1033, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2011. 262 image ; ibid. 265, obs. B. Haftel image ; ibid. 266, interview M. Domingo image ; AJCT 2011. 301, obs. C. Siffrein-Blanc image ; Rev. crit. DIP 2011. 722, note...

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