L’incidence du divorce sur les avantages matrimoniaux face à la garantie des droits : transmission d’une QPC

Plus de quinze ans après son entrée en vigueur, la conformité de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 aux droits constitutionnellement garantis est questionnée. Il y a quelques semaines déjà l’article 33-VI de cette loi était considéré comme potentiellement attentatoire aux articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789 en ce qu’il prévoit la possibilité de réviser, suspendre ou supprimer une prestation compensatoire fixée sous forme de rente viagère avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 (Civ. 1re, 15 oct. 2020, FS-P, n° 20-14.584, Dalloz actualité, 13 nov. 2020, obs. L. Gareil-Sutter). C’est à présent au tour des I et II de ce même article 33 d’être soumis au contrôle des Sages, la Cour de cassation pressentant que l’application immédiate des effets du divorce sur les avantages matrimoniaux est peut-être attentatoire à la garantie des droits.

En l’espèce, deux époux mariés en 1983 sous le régime de la communauté légale ont aménagé leur régime matrimonial par convention modificative reçue par notaire le 29 juin 2001. Au terme de cette nouvelle charte patrimoniale, l’épouse réalisait divers apports de biens propres avec dispense de récompense pour un montant total de 45 700 000 €. Le 5 février 2015 la cour d’appel de Versailles prononçait le divorce aux torts exclusifs de l’époux et refusait à l’épouse la possibilité de réaliser une reprise des apports. Le pourvoi formé contre cette décision fût rejeté.

La Première chambre civile de la Cour de cassation considéra en effet, au terme d’un arrêt rendu le 6 juillet 2016, que les dispositions de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 étaient applicables en la cause dans la mesure où l’assignation avait été délivrée après le 1er janvier 2005, conformément à l’article 33 I et II de cette loi : « la loi nouvelle a vocation à s’appliquer en toutes ses dispositions concernant les conséquences du divorce pour les époux, y compris celles afférentes au sort des avantages matrimoniaux, peu important la date à laquelle ceux-ci ont été stipulés « (Civ. 1re, 6 juill. 2016, n° 15-16.408 ; notons qu’au titre du rappel des faits, cet arrêt indique que les époux se sont soumis au régime de communauté universelle alors que, dans l’arrêt sous commentaire, il est indiqué qu’il s’agit d’un régime légal avec clause d’apport…).

Ayant épuisé tous les recours internes face à son ex-mari, la demanderesse assigna en responsabilité civile le notaire ayant instrumenté l’acte du 29 juin 2001. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 5 novembre 2019, fit droit à cette demande en retenant que le défendeur avait manqué à son devoir de conseil et de mise en garde, ce qui avait causé une perte d’une chance d’introduire, dans l’acte de changement de régime matrimonial, une clause de reprise des apports. Le défendeur succombant forma alors un pourvoi en cassation, à l’occasion duquel il sollicita le renvoi devant le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité ainsi formulée :

« Les dispositions des I et II de l’article 33 de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, en ce qu’elles disposent selon la portée que leur donne la jurisprudence constante de la Cour de cassation, que cette loi est applicable aux procédures introduites par une assignation délivrée après le 1er janvier 2005, date de son entrée en vigueur, et qu’en vertu de telles dispositions transitoires, la loi nouvelle a vocation à s’appliquer en toutes ses dispositions concernant les conséquences du divorce pour les époux, y compris celles afférentes au sort des avantages matrimoniaux, peu important la date à laquelle ceux-ci ont été stipulés, méconnaissent-elles la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en remettant en cause les effets qui pouvaient être légitimement attendus d’une situation légalement acquise ? ».

Ainsi interrogée sur la réunion des conditions permettant la transmission au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation juge la question sérieuse au motif « qu’en modifiant les conséquences du divorce sur les avantages matrimoniaux consentis avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, les dispositions contestées, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante, pourraient être de nature à remettre en cause des effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire des textes antérieurs et porter atteinte à la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

La question ainsi posée invite à préciser les difficultés soulevées par les dispositions incriminées afin d’expliquer en quoi un contrôle de constitutionnalité est ici pertinent (I) avant de s’interroger sur l’issue possible de ce contrôle (II).

I - La pertinence du contrôle

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 16 mai 2004, le sort des avantages matrimoniaux (c’est-à-dire, concrètement, les modalités de liquidation du régime matrimonial) dépendait de la cause du divorce. Si le divorce était prononcé sur demande conjointe, les époux décidaient eux-mêmes du sort des donations et avantages qu’ils s’étaient consentis (C. civ., art. 268 anc.). Lorsqu’il était prononcé sur demande acceptée chacun des époux pouvait révoquer tout ou partie des donations et avantages qu’il avait consentis à l’autre (C. civ., art. 268-1 anc.). S’agissant du divorce pour faute, une logique punitive faisait dépendre les avantages et donations entre époux de la répartition des torts. S’ils étaient partagés, chacun pouvait révoquer tout ou partie des donations et avantages consentis à l’autre (C. civ., art. 267-1 anc.). En revanche, lorsque le divorce était prononcé aux torts exclusifs d’un époux, celui-ci perdait de plein droit toutes les donations et tous les avantages matrimoniaux que son conjoint lui avait consentis (C. civ., art. 267 anc.). Telle était la situation de la demanderesse en l’espèce. Le divorce ayant été prononcé aux torts exclusifs de son époux, elle aurait pu se prévaloir de la déchéance qu’il subissait pour réaliser une reprise des apports à la communauté, si tant est que l’ancien article 267 du code civil fut applicable en la cause. Il est en effet acquis que l’apport d’un bien propre à la communauté constitue un avantage matrimonial (Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-11.967, Bull. civ. I, n° 179 ; Dalloz actualité, 17 oct. 2013, obs. R. Mésa ; D. 2013. 2273 image ; AJ fam. 2013. 635, obs. S. Thouret image ; RTD civ. 2013. 887, obs. B. Vareille image ; RJPF 2013, n° 12, p. 27 ; JCP N 2014. Comm. 1169 J. Massip ; de même que l’adoption d’une communauté universelle, Civ. 1re, 1er déc. 2010, n° 09-70.138, Bull. civ. I, n° 250 ; AJ fam. 2011. 48, obs. S. David image ; RTD civ. 2011. 112, obs. J. Hauser image ; JCP 2011. 1371, § 10, obs. A. Tisserand-Martin ; JCP N 2011, 17, 35, note J. Massip ; Defrénois, 30 avr. 2011, n° 8, p. 828, obs. J. Massip ; Gaz. Pal. 5 févr. 2011, n° 36, p. 16, note J. Casey ; RLDC 2011, n° 79, p. 56).

Cependant ce système complexe a été supprimé par la loi du 26 mai 2004 qui lui a substitué, aux termes du nouvel article 265 du code civil, un mécanisme très différent. Dorénavant, la cause du divorce importe peu. Une distinction doit être réalisée entre les avantages prenant effet au cours du mariage (qui sont maintenus en cas de divorce) et les avantages prenant effet au décès de l’un des époux ou à la dissolution du régime matrimonial (qui sont révoqués de plein-droit, sauf maintien constaté lors du prononcé du divorce). Or l’apport à la communauté, en ce qu’il modifie l’équilibre des masses, prend effet au jour de l’acte qui le stipule. Contrairement aux clauses liquidatives (préciput, parts inégales, attribution intégrale, etc.), il se réalise bien avant le partage, au seuil de l’entrée en vigueur de la convention matrimoniale : il doit donc être considéré comme maintenu malgré le prononcé du divorce pour faute.

Ainsi la situation de l’épouse apporteuse était-elle bien plus favorable à la veille de la réforme du 26 mai 2004 qu’à son lendemain. L’article 265 du code civil lui interdit désormais de réaliser la reprise, et elle n’avait, en 2001, pas...

  

 SYMBOLE GRIS