La CEDH valide la possibilité de contestation de reconnaissance d’un enfant issu d’une assistance AMP avec tiers donneur
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) estime que les juridictions françaises n’ont pas excédé leur marge d’appréciation en jugeant, dans un arrêt du 8 juin 2023, que l’intérêt supérieur de l’enfant ne se trouvait pas dans le maintien d’une reconnaissance d’un enfant issu d’une AMP avec tiers donneur qui ne reposait ni sur un lien biologique ni sur un lien identitaire ou familial. Elle conclut à l’absence de violation de l’article 8 garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant.
C’est l’épilogue d’une affaire dont il convient de rappeler les circonstances. Un couple français, marié le 8 septembre 2012, avait bénéficié en Espagne d’un double don de sperme et d’ovocytes dont il ne pouvait à l’époque bénéficier en France (outre qu’ils n’étaient plus en âge de procréer). Le 1er novembre 2012, le mari avait donné en Espagne son consentement à une fécondation in vitro. Le 12 mai 2013, un transfert d’embryon a été effectué, donnant naissance à un enfant six mois plus tard, le 10 novembre 2013. Or, la communauté de vie avait cessé entre les époux depuis le 29 mars 2013 et le 3 mai 2013, quelques jours avant le transfert d’embryon, les époux avaient présenté une requête en divorce par consentement mutuel, laquelle a abouti à un jugement de divorce prononcé le 11 juin 2013, homologuant une convention du 30 avril 2013 portant règlement des effets du divorce (c’était avant le divorce sans juge). Pourtant, le 12 novembre 2013, l’ex-mari a reconnu l’enfant (probablement parce que l’enfant, bien que conçu pendant le mariage, avait été déclaré à l’état civil sans indication du nom du mari et que la présomption de paternité se trouvait écartée ; l’article 315 du code civil permet alors au mari de reconnaître l’enfant). Puis, se ravisant, l’ex-mari introduit deux ans plus tard, le 20 janvier 2015, une action en contestation de paternité.
Annulation de la reconnaissance de paternité par les juridictions françaises
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence ayant annulé la reconnaissance de paternité, sur le fondement de l’article 311-20 (anc.) du code civil (abrogé par la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021, mais dont les termes sont repris aujourd’hui par l’art. 342-10 du même code), la mère et l’administrateur ad hoc désigné à l’enfant se sont pourvus en cassation, soutenant en particulier dans l’un des moyens, que les juges auraient dû rechercher concrètement si la mise en œuvre des dispositions de l’article 311-20 du code civil (dont on aurait pu se demander s’il était applicable en l’espèce, puisque les conditions de mise en œuvre de l’AMP au sens du droit français n’avaient pas été respectées) ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant, au regard d’un juste équilibre à ménager entre les intérêts en présence. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi, estimant que la cour d’appel a bien procédé au contrôle de proportionnalité qui lui était demandé, mais qu’elle avait pu considérer in concreto que l’intérêt supérieur de l’enfant résidait avant tout dans l’accès à ses origines, que la destruction du lien de filiation avec le mari n’excluait pas pour l’avenir l’établissement d’un nouveau lien de filiation, et que l’annulation de la reconnaissance ne portait donc pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant (Civ. 1re, 14 oct. 2020, nos 19-18.791 et 19-12.373, Dalloz actualité, 28 oct. 2020, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2020. 2065 ; ibid. 2021. 657, obs. P. Hilt ; ibid. 923, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2020. 670, obs. M. Saulier ; ibid. 546, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2021. 112, obs. A.-M. Leroyer ; DP Santé, Bulletin n° 319/320, nov.-déc. 2020, p. 1 ; Dr. fam. 2021. Comm. 3, note C. Siffrein-Blanc ; LEFP déc. 2020, n° 113e9, p. 1, obs. A. Batteur ; RJPF 2020-12/17, obs. J. Garrigue et A. Gouëzel).
Recours devant la Cour européenne des droits de l’homme
La mère et l’enfant (désormais majeure) ont saisi la CEDH d’une requête en invoquant la violation de l’article 8 de la Convention. Elles ont soutenu que « le juge interne a fait une application automatique de l’article 311-120, alinéa 3, du code civil » sans rechercher si, concrètement, cela portait une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée...