La Cour des comptes sévère sur le plan de transformation numérique de la Justice
Le plan de transformation numérique est une priorité de ce quinquennat. La remise à niveau de la justice était indispensable, tant le retard était important. La France était classée vingt et unième sur vingt-sept pays européens en ce qui concerne la numérisation des procédures.
Première interrogation de la Cour : les moyens alloués au plan. Elle n’a pas retrouvé les 530 millions d’euros de crédits d’investissement annoncés en 2017. Car il n’existe pas dans les outils financiers du ministère une méthode fiable pour distinguer les crédits du plan des autres. Le budget prévisionnel du plan est aujourd’hui arrêté à 470 millions d’euros, dont les deux tiers en investissement. Pour le reste, les crédits ont été plutôt exécutés, même si, fin 2020, il a fallu hiérarchiser entre les projets.
Ce plan a été heurté par la crise sanitaire. Elle a permis le renforcement des infrastructures et des équipements. Mais en avril 2021, il restait 35 000 postes fonctionnant sous Windows 7 (dont le support n’est plus assuré par Microsoft). Mais la crise a aussi mis en évidence les lacunes en matière de sécurité. Le ministère a notamment été contraint d’ouvrir l’accès à distance par VPN de l’application Winci « alors qu’il s’y opposait auparavant pour des raisons – justifiées – de sécurité informatique ».
Un choix contestable de prioriser les besoins du citoyen
La Cour juge contestable que le ministère ait choisi de prioriser l’ouverture de fonctionnalité en ligne pour les justiciables plutôt que de consolider d’abord les applicatifs utilisés par les magistrats et fonctionnaires. En début de quinquennat, le gouvernement s’est concentré sur les « objets de la vie quotidienne » (OVQ), qui devaient avoir un impact concret sur le quotidien des Français. Or, pour la Cour, « en règle générale, le citoyen se retrouve rarement […] en lien avec la justice ».
Difficile de faire de Portalis l’équivalent du portail des impôts ou de l’assurance maladie, surtout que de nombreuses procédures passent par l’avocat.
Les premiers résultats sont d’ailleurs décevants : la Cour note la faible utilisation du Portail du justiciable (26 000 inscriptions en deux ans quand la justice civile traite 1,7 million d’affaires nouvelles par an) ou du site justice.fr. De même, la saisine numérique, rendue possible depuis janvier 2021 sur quelques contentieux, démarre timidement : sur six mois, seules 1 001 requêtes ont été envoyées (508 saisines JAF, 293 tutelles et 200 constitutions de partie civile). Une partie de ces requêtes étaient hors sujet et, pour les autres, loin de faire gagner du temps aux greffes, elles nécessitent du travail supplémentaire, faute d’interface avec les outils existants.
La Cour regrette la faible implication des utilisateurs finaux dans les instances de pilotage. Elle déplore également l’insuffisante coordination avec les avocats. Il a fallu attendre la crise sanitaire pour que le Conseil national des barreaux soit associé. Auparavant, « la tension des relations entre la chancellerie et le CNB était à un niveau tel » qu’en novembre 2019, le CNB avait acté la rupture des relations sur ce sujet. Néanmoins, le déploiement de Portalis reste insuffisamment concerté, alors que, parallèlement, le CNB modernise sa plateforme « e-barreau ».
Les difficultés des grands projets
Autre problème, les dérapages financiers : « Les coûts prévisionnels de réalisation des six principaux projets ont augmenté de 60 % en moyenne par rapport à leur évaluation initiale. » Le rapport revient en détail sur trois d’entre eux : Cassiopée, Portalis et la procédure pénale numérique (PPN).
Concernant Cassiopée, « l’application connaît des défauts de fonctionnement récurrents, obligeant ses utilisateurs à quitter l’application et à se reconnecter ». Elle souffre également des évolutions permanentes liées aux modifications législatives et réglementaires, qui déstabilisent l’existant. Ainsi, la création du code de la justice pénale des mineurs a eu de forts impacts : Cassiopée est structurée autour du dossier, quand le nouveau code raisonne en termes de personne. Le rapport est plus optimiste sur la PPN, même si certaines difficultés doivent être rapidement résolues.
Pour Portalis, la Cour met en cause la stratégie du projet, en « fluctuation permanente ». Les questions de protection des données personnelles et de sécurité des systèmes ont été tardivement prises en compte. Le ministère de la Justice a indiqué que l’organisation du projet venait d’être revue avec une gouvernance resserrée.
La Cour regrette que certaines questions techniques restent non résolues, évoquant l’éditique : le logiciel WordPerfect reste utilisé alors que ce traitement de texte est largement obsolète. Le ministère a hésité, pour le remplacement, entre trois solutions. « Il existe une tendance à aborder la question projet par projet », quand ce sujet est transverse.
Autre problème : la difficulté à recruter et à fidéliser ses effectifs, au moins jusqu’en 2020. La situation s’est apparemment améliorée. L’externalisation « est massive et critiquable ». Mais le ministère reste dépendant des prestataires extérieurs, même pour certains postes essentiels. Les clauses contractuelles permettant le déclenchement de pénalités ne sont d’ailleurs que rarement mises en œuvre. Ainsi, « aucune pénalité n’a été identifiée dans l’exécution des marchés relatifs à Cassiopée ». La gestion des marchés est jugée défaillante. Il arrive aussi qu’une absence de suivi des marchés publics entraîne des ruptures non anticipées.
Une note d’optimisme : la Cour note que des « mesures de redressement récentes » devraient « améliorer la connaissance et la maîtrise des coûts des projets ». Il faudra voir dans le prochain rapport.