La juste évaluation du préjudice réparable
Le 3 juillet 2009, le passager d’un train a été victime d’un accident causé par une collision avec une remorque agricole immobilisée sur la voie ferrée. Cet accident a causé de nombreux préjudices à la victime dont, notamment, son placement sous le régime de la tutelle.
Sa tutrice a saisi le tribunal de grande instance pour obtenir réparation de ses préjudices.
Deux arrêts ont été rendus, le 4 avril 2019 et le 26 septembre 2019 et les pourvois ont été joints devant la Cour de cassation en raison de leur connexité.
Seules les premières et deuxièmes banches du moyen sont développées par la Haute juridiction.
Dans la première branche du moyen, les demandeurs reprochent aux juges du fond de ne pas avoir respecté l’article 455 du code de procédure civile. Plus exactement, ils considèrent que la cour d’appel n’a pas évalué le préjudice de la victime en prenant en compte sa situation à la date la plus proche de l’accident. Les juges n’auraient pas analysé les dernières pièces versées au débat et ont retenu un salaire moyen de 2 840 € par mois au lieu de 3 134 € ce qui, dans le calcul de la perte de salaire, a une incidence très importante.
La Cour de cassation opère un contrôle normatif de motivation et fait droit à la demande de la victime. Elle considère, en effet, que l’arrêt ne comporte pas les motifs propres à justifier sa décision. Les juges du fond auraient donc dû analyser les nouvelles pièces communiquées par les parties afin de calculer de façon optimale le préjudice subi par la victime au regard de sa situation à la date la plus proche de l’accident.
Dans la deuxième branche du moyen, les demandeurs reprochent à la cour d’appel de ne pas avoir entièrement pris en compte le préjudice lié à l’incidence professionnelle subie par la victime.
Ils rappellent que ce poste de préjudice est différent de celui compris au titre du déficit fonctionnel permanent et comprend la perte d’identité sociale ainsi que le préjudice lié au désœuvrement social qu’entraîne l’impossibilité d’exercer toute activité professionnelle.
La Cour de cassation vise le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime pour juger que la cour d’appel a privé sa décision de base légale. Plus précisément, la cour d’appel n’a pas pris en compte l’existence du préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail. Ce préjudice est inclus dans le poste de préjudice lié à l’incidence professionnelle et doit donc faire l’objet d’une réparation.
Concernant le premier moyen, la cassation semblait inévitable, car il est difficile de comprendre pourquoi les juges du fond n’ont pas voulu inclure les derniers bulletins de salaire afin de calculer le préjudice en toute connaissance de cause. Ils ont étudié la situation de la victime en prenant en compte les éléments versés lors du premier jugement en adoptant les motifs des premiers juges. Il est pourtant constant que le juge doit se placer au jour de la décision pour déterminer l’étendue du préjudice subi. La situation économique de la victime doit donc être analysée à la date la plus proche de l’accident. C’est l’état de la jurisprudence depuis 1942 (Cass., req., 24 mars 1942, DA 1942. 118 ; Civ. 2e, 11 oct. 2001, n° 99-16.760, D. 2001. 3093, et les obs. ; Civ. 1re, 19 nov. 2009, n° 08-19.790 ; Civ. 2e, 12 mai 2010, n° 09-12.056 NP, RCA 2010. Comm. 211, obs. H. Groutel ; Crim. 8 mars 2011, n°10-81.741, D. 2011. 1075 ; 1er mars 2011, n° 10-85.965 ; 20 nov. 2012, n° 12-80.93 ; 13 nov. 2013, n° 12-84.838, D. 2013. 2695 ; RCA 2014. Comm. 44, obs. C. Corgas-Bernard ; 12 sept. 2018, n° 17-82.122 NP, D. 2018. 2217 , note A. Dejean de la Bâtie ; ibid. 2019. 1858, obs. C. Mascala ; RTD com. 2018. 1045, obs. L. Saenko , citées in P. le Tourneau [dir.],...