La nullité d’un acte de procédure et son appréciation
Dans un arrêt rendu le 9 juin 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise les modalités d’appréciation de la nullité des actes de procédure. Dans les faits, la société Victor Heinrich a commandé à la société Dam, l’étude et la réalisation d’un moule permettant la fabrication en série de lampadaires avec réflecteurs aluminisés. La société Dam a alors fait appel à trois sous-traitants. Finalement, la production de pièces conformes à la commande n’a pas été possible et la société Victor Heinrich n’a pas été en mesure d’honorer ses commandes. Des expertises judiciaires ont été ordonnées, et une seconde société, la société Heinrich Éclairage est intervenue volontairement à l’instance. C’est alors que la société Dam, deux de ses sous-traitants et leurs assureurs respectifs ont été assignés en responsabilité par… la société Victor Heinrich Éclairage. Les défendeurs soulèvent une exception de nullité entachant les assignations délivrées au nom d’une société qui n’est ni la société Victor Heinrich, ni la société Heinrich Éclairage. Le juge de la mise en état rejette cette exception de procédure. Appel est interjeté et la cour d’appel déclare toutes les assignations délivrées par la société Victor Heinrich Éclairage nulles pour irrégularité de fond en raison de l’inexistence légale de la société Victor Heinrich Éclairage. La société Heinrich Éclairage forme un pourvoi en cassation. Elle prétend que la régularité des assignations devait être appréciée au jour de leur délivrance, sans pouvoir s’appuyer sur des écritures ultérieures. En outre, elle reproche à la cour d’appel de s’être fondée sur les moyens soulevés en première instance, violant le principe selon lequel, la cour d’appel statue exclusivement au vu des prétentions et des moyens énoncés dans les dernières conclusions d’appel des parties. La deuxième chambre civile devait alors se prononcer sur les modalités d’appréciation de la nullité des actes de procédure. Elle affirme que « Si la nullité d’un acte de procédure doit être appréciée à la date de ce dernier, cette appréciation peut se fonder sur des éléments de preuve extérieurs à cet acte » (§ 10). La formule d’apparence limpide ne se comprend pleinement qu’à la lumière du régime des nullités.
L’incident rappel de la dichotomie des nullités des actes de procédure
Quand aucune personne morale n’existe sous une raison sociale, c’est qu’il s’agit soit d’une erreur de dénomination, soit d’un problème d’existence de ladite personne. En l’espèce, la première hypothèse semblait acquise, mais c’est pourtant l’irrégularité de fond que les juges ont retenu.
La mise à l’écart de l’apparente erreur de dénomination
Cette espèce impliquant deux sociétés ayant des noms commerciaux proches (Victor Heinrich et Heinrich Éclairage), il semblait évident que l’assignation délivrée par la société Victor Heinrich Éclairage résultait d’une erreur de dénomination. Or, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que l’erreur de dénomination « ne constitue qu’un vice de forme, lequel ne peut entrainer la nullité́ de l’acte que sur justification d’un grief » (Civ. 2e, 4 févr. 2021, n° 20-10.685, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. Maugain ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero ; Rev. prat. rec. 2021. 7, chron. D. Cholet, O. Cousin, E. Jullien et R. Laher , de l’erreur relative à la dénomination d’une partie dans un acte de procédure). C’est sans doute faute de grief que le juge de la mise en état a rejeté l’exception de nullité. Quant à la cour d’appel qui infirme la décision de première instance, elle ne nie pas l’existence d’une dénomination erronée. Seulement, l’arrêt retient que « cette assignation n’est pas seulement affectée d’un seul vice de forme ».
La retenue de l’inexistence de la personne morale distincte
Ce n’est pas la même chose d’être mal dénommé et de ne pas être. Une personne juridique qui n’existe pas, ou plus, n’a pas la capacité d’agir en justice. C’est une irrégularité de fond qui affecte la validité de ses actes (C. pr. civ., art. 117). En l’espèce, la cour d’appel a pu constater qu’au-delà de la maladresse rédactionnelle affectant l’assignation, la société Victor Heinrich et la société Heinrich Éclairage avaient adopté, dans leurs conclusions de première instance, des positions procédurales qui ne laissaient aucun doute quant au fait que ni l’une ni l’autre n’était la société à l’origine des assignations. La première d’entre elles y est présentée comme demanderesse principale, comme si elle était venue aux droits de la société Victor Heinrich Éclairage. La seconde, intervenue volontairement, y allègue explicitement agir distinctement de la société Victor Heinrich Éclairage. Il est alors évident que « l’assignation, selon la propre présentation des intéressées, a été délivrée au nom d’une société distincte ». Mais cette dernière n’existe pas. Les assignations sont donc frappées de nullité pour irrégularité de fond. Cette nullité qui ne nécessite pas la démonstration d’un grief et sanctionne plus sûrement des parties qui ont fait preuve de négligence.
Qu’à cela ne tienne. La société Heinrich Éclairage, demanderesse au pourvoi, va alors s’appuyer sur le droit de la preuve pour tenter de faire échec à la nullité des assignations.
La précision des modalités d’appréciation de la nullité d’un acte de procédure
Devant l’évidence de l’irrégularité de fond, la société Heinrich Éclairage – qui ne soulève le vice de forme qu’à titre subsidiaire – s’appuie sur un principe jurisprudentiel bien établi pour lier le moment où doit être appréciée la nullité d’un acte de procédure et la date des éléments de preuve qui peuvent être utilisés. La Cour de cassation balaie l’amalgame dans une réponse qui doit être précisée.
La distinction entre moment et fondements de l’appréciation de la nullité d’un acte de procédure
L’article 121 du code de procédure civile prévoit que la nullité pour irrégularité de fond « ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue », à condition que la nullité soit susceptible d’être couverte. Or la Cour de cassation énonce depuis longtemps que le défaut de capacité dû au défaut d’existence ne peut être régularisé. Ainsi n’est pas régularisable l’assignation délivrée par une société en participation (Civ. 2e, 26 mars 1997, n° 94-15.528), par une société en formation (Com. 30 nov. 1999, n° 97-14.595, Progressif (Sté) c/ Ugo (Sté), D. 2000. 627 , note E. Lamazerolles ; ibid. 37, obs. M. B. ; Rev. sociétés 2000. 512, note M. Beaubrun ; RTD com. 2000. 368, obs. C. Champaud et D. Danet ; et Civ. 2e, 4 mars 2021, n° 19-22.829, Dalloz actualité, 17 mars 2021, obs. G. Maugain ; Rev. sociétés 2022. 180, note V. Thomas ) ou encore par une société ayant disparu dans une fusion-absorption (Civ. 2e, 27 sept. 2012, n° 11-22.278, Rev. sociétés 2013. 30, obs. S. Prévost 0). Partant de là, la demanderesse au pourvoi affirme que les conditions de validité de fond d’une assignation non susceptible de régularisation doivent être appréciée au jour de sa délivrance et non au vu des écritures ultérieures. Mais ce raccourci n’a pas trompé la Cour de cassation. Si la nullité d’un acte de procédure insusceptible de régularisation doit être appréciée à la date de ce dernier, la date des éléments de preuve sur lesquels fonder cette appréciation n’a en revanche aucune importance. Ce qui importe c’est que ces éléments prouvent la nullité ou non existant à la date de l’appréciation de la validité de l’acte. En l’espèce, les conclusions de première instance, reprises en partie par les dernières conclusions d’appel de la société Heinrich Éclairage – le principe énoncé à l’article 954 était sauf – prouvaient qu’au moment de l’assignation, la société Victor Heinrich Éclairage était une société distincte, dépourvue d’existence. La non reprise par la Cour de cassation de l’adjectif « ultérieurs » montre sa volonté de se départir d’une appréciation temporelle des éléments de preuve. En lui préférant l’adjectif « extérieurs », elle insiste sur la distinction entre moment et fondements de l’appréciation de la nullité de l’acte de procédure.
De la distinction à la dissociation
Cette distinction est-elle suffisante ? Une lecture un peu rapide du paragraphe 10 pourrait laisser penser qu’il existe toutefois une corrélation entre les deux. Le caractère automatique de l’appréciation de la nullité d’un acte de procédure à la date de ce dernier entraine la faculté de se fonder sur des éléments de preuve extérieurs à ce acte. Il n’en est rien. Tout d’abord, la nullité d’un acte de procédure ne s’apprécie pas toujours à la date de ce dernier. L’article 121 du code de procédure civile énonce que « la nullité [tenant à une irrégularité de fond] ne sera pas prononcée que si sa cause a disparu au moment où le juge statue ». Ainsi, pour toutes les nullités fondées sur des irrégularité de fond autre que l’inexistence, c’est au moment où le juge statue qu’il faut se placer. Pour l nullités pour vice de forme, elle doit être appréciée soit à la date de la forclusion, soit à la date où le juge statue (C. pr. civ., art. 115). Dans tous les cas, l’appréciation de la nullité de l’acte de procédure peut se fonder sur des éléments de preuve extérieurs à cet acte. Par exemple, un jugement peut permettre d’apprécier la validité d’un acte de procédure du point de vue du pouvoir ad agendum du représentant de la partie. Moment et fondements de l’appréciation de la nullité de l’acte de procédure doivent être dissociés. La réponse de la Cour de cassation doit être comprise de la manière suivante : même dans l’hypothèse où la nullité d’un acte de procédure doit être appréciée à la date de ce dernier, cela n’empêche pas que cette appréciation puisse se fonder sur des éléments de preuve extérieurs à cet acte.