La portée de la réparation du préjudice écologique pur
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par des associations de défense de l’environnement, d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité de l’article 1247 du code civil aux droits et libertés que la Constitution garantit. Les principaux griefs concernaient la formulation de cet article qui dispose qu’« est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». Plus exactement, ce sont les mots « non négligeable » qui posaient problème. Selon les associations, en ne prenant pas en compte les atteintes « négligeables », le législateur aurait méconnu les quatre premiers articles de la Charte de l’environnement de 2004 ainsi que le principe de responsabilité résultant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Elles reprochaient, par ailleurs, le caractère amphigourique du standard juridique « non négligeable ».
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel se contente, tout d’abord, d’affirmer que le législateur n’a pas méconnu le principe posé par l’article 4 de la Charte de l’environnement (« Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi »). Les juges expliquent ensuite que l’article 1247 du code civil n’a pas pour objet de limiter la réparation qui peut être accordée aux personnes qui subissent un préjudice du fait d’une atteinte à l’environnement.
Il faut d’emblée préciser qu’à la suite d’une décision de 2010 du Conseil constitutionnel (décis. n° 2010-4/17 QPC, Dalloz actualité, 28 juill. 2010, obs. E. Royer ; AJDA 2010. 1508 ; ibid. 2262 , note M. Chauchat ; RDSS 2010. 1061, étude L. Gay ), l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 n’est pas invocable en QPC. Privées de ce moyen, les prétentions des parties avaient peu de chance d’aboutir. Cependant, il faut ajouter que le recours à un standard juridique n’est pas forcément une mauvaise chose pour les défenseurs de l’environnement. Puisqu’elle est, par nature, une notion floue et malléable, l’expression « atteinte non négligeable » pourra être utilisée dans la jurisprudence judiciaire pour permettre des réparations qui peuvent dès aujourd’hui nous paraître (ou même apparaître à ces associations) négligeables. C’est justement la flexibilité de la notion et son caractère malléable qui permettra de la faire évoluer pour l’adapter aux enjeux sociologiques et écologiques de son temps. Il ne paraît pas non plus insensé de limiter le champ de la réparation à des atteintes importantes aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. Il faut imaginer des atteintes très mineures à des fonctions d’un écosystème qui justifieraient l’application de l’adage de minimis non curat praetor. Un rapport d’information déposé par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire parle volontiers d’« encadrement » pour justifier que tous dommages écologiques purs ne puissent ouvrir droit à réparation : « Compte tenu de son caractère récent et de son encadrement (nécessité d’une atteinte non négligeable), il n’apparaîtrait pas surprenant que le préjudice écologique n’ait pas encore donné lieu à des procédures à ce stade » (N. Bassire et F. Tuffnell, Rapport d’information, n° 1096).
Le Conseil constitutionnel refuse, par ailleurs, de considérer que l’article 1247 du code civil aurait pour objet ou pour effet de limiter la réparation qui peut être accordée aux personnes qui subissent un préjudice du fait d’une atteinte à l’environnement (§ 9). Il faudrait comprendre, aux termes de ce paragraphe, que l’article 1247 du code civil ne portant que sur les atteintes portées à l’environnement, il ne contreviendrait pas à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme duquel on tire le principe de responsabilité général pour faute et qui concerne autrui (C. civ., art. 1240). Dit autrement, l’environnement et autrui sont deux choses différentes et invoquer l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’aurait pas de sens puisque ce dernier vise les préjudices personnels causés à autrui et non les préjudices collectifs causés à l’environnement.
La consécration du préjudice collectif avait pour principal objectif de permettre de réparer efficacement les atteintes portées à l’environnement. Cependant, voilà que c’est son caractère justement collectif qui est utilisé ici comme argument, par les Sages, pour considérer que la disposition visée du code civil ne contrevient pas au principe de responsabilité découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Comme l’a écrit très justement le professeur Dubois, « finalement, en étant le préjudice de tous, il n’est le préjudice de personne » (C. Dubois, La responsabilité civile pourrait-elle voler au secours de la culture ?, RTD civ. 2020. 275 ).
Le raisonnement opéré est juste et implacable même si on oublie souvent de regarder dans nos forêts ou nos cours d’eau un peu d’autrui, rappelant ainsi que « nous sommes une partie de la terre », selon les mots prononcés en 1854 par le chef indien Seathl.