La prescription des créances entre époux indépendante du partage de l’indivision
Une indivision n’est pas une communauté ; une créance n’est pas une récompense. La différence de notion commandant la différence de régime, il faut se garder de soumettre les créances entre époux aux règles de l’inscription en compte de l’indivision, notamment celles gouvernant la prescription. C’est en substance ce que rappelle cet arrêt rendu le 18 mai 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation.
En l’espèce, deux époux mariés sous le régime de la séparation de biens se trouvaient en indivision. Un jugement du 22 octobre 2009 avait ordonné l’ouverture des opérations de compte liquidation et partage, et un jugement du 1er mars 2012 avait prononcé leur divorce et ordonné le partage de leurs intérêts patrimoniaux. Le 29 juin 2018 seulement, le projet d’acte notarié de partage avait été établi, faisant état d’une créance de 850 968,92 € détenue par l’ex-épouse à l’encontre de son ancien conjoint. Pour en obtenir le recouvrement, la créancière avait été autorisée, par ordonnance du 4 juillet 2018, à réaliser une saisie conservatoire, qui fut pratiquée quelques jours plus tard.
Le débiteur avait alors saisi le juge de l’exécution afin d’obtenir la mainlevée de la saisie, ce qui lui fut refusé par la cour d’appel d’Amiens au terme d’un arrêt rendu le 6 février 2000. Les juges du fond avaient en effet considéré que la créance était fondée et non prescrite car non seulement « dès l’ordonnance de non-conciliation, le régime matrimonial devient une indivision post-matrimoniale et […] l’action aux fins de partage est imprescriptible » mais de plus, « si une demande relative à une créance entre époux devait être considérée comme une demande connexe, le délai de prescription de cinq ans ne commencerait à courir qu’à compter du projet de partage […] qui a fait naître le principe de la créance ».
Le succombant forma un pourvoi en cassation et entreprit, avec succès, de convaincre les juges du droit que l’action en paiement de la créance était prescrite, ce qui justifiait la mainlevée de la saisie conservatoire. Dans cet arrêt du 18 mai 2022, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens en ce qu’il rejette la demande de mainlevée de la mesure. La première chambre civile fait sienne l’argumentation développée dans le moyen quant au point de départ du délai de prescription mais relève d’office au préalable un moyen tenant à la durée du délai de prescription.
La durée du délai de prescription de la créance entre époux
La Cour de cassation relève d’abord, conformément à l’article 620 du code de procédure civile, un moyen de pur droit justifiant à lui seul la cassation de l’arrêt d’appel. La cour d’appel avait en effet considéré que l’action aux fins de partage est imprescriptible, ce qui est vrai mais hors sujet. Cela est vrai car l’article 815 du code civil selon lequel « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué » laisse aux indivisaires toute latitude pour apprécier si la situation leur convient ou s’ils souhaitent y mettre fin. Partant, l’action tendant à obtenir le partage d’une indivision n’est soumise à aucun délai de prescription, même entre époux (Nancy, 16 nov. 1961, JCP 1964. II. 13477, note P. Voirin ; Civ. 1re, 22 oct. 1985, n° 84-11.468 P, D. 1986. 241, note A. Breton ; 5 nov. 1985, n° 83-16.738 P ; 14 nov. 2000, n° 98-22.936 P, D. 2001. 1755 , note P. Lipinski ; Dr. fam. 2001, n° 8, note Beignier). Cela est pourtant hors sujet car le partage de l’indivision ne se confond pas avec le règlement des créances entre indivisaires ou contre l’indivision. Le partage est une opération permettant de substituer à une concurrence de droits de même nature sur un ou plusieurs biens une pluralité de droits privatifs sur des biens déterminés. Il s’agit donc de réaliser le passage d’une propriété collective à plusieurs propriétés exclusives. Le règlement des créances a quant à lui pour objet l’exécution d’une obligation consistant dans le versement...