Le concubinage chasse le statut de tiers possesseur de travaux

L’affaire est terriblement classique et les faits rappellent nombre d’autres cas que la Cour de cassation a déjà eu à connaître. Deux personnes se sont aimées et ont décidé de construire un avenir à deux mais l’édifice n’a pas survécu au passage des ans. Le temps qu’a duré la romance, les concubins – devenus par la suite mari et femme avant de divorcer – se sont construit un foyer. Pour se faire, ils ont alors souscrit deux emprunts pour financer les travaux d’une maison d’habitation qu’ils ont édifiée sur le fonds et le terrain dont la femme était seule propriétaire. Mais, comme tant d’autres, leur histoire d’amour a mal fini. S’il ne pouvait prétendre à la propriété du logement acquis par voie d’accession par son ex-compagne, l’homme entendait bien récupérer ce qu’il avait investi dans le bien, tant en termes pécuniaires que de force de travail, soit près de 62 000 € sur cinq ans. Il décide alors d’assigner son ancienne concubine aux fins d’obtenir l’indemnisation de sa créance au titre de l’article 555 du code civil, considérant même qu’eu égard à la plus-value générée par ses bons offices, il pouvait exiger plus de 80 000 €. Cependant, les juges du fond (Toulouse, 1re ch., sect. 2, 16 oct. 2018) n’ont pas accueilli sa demande, considérant que les sommes qu’il avait engagées sur cette période constituaient une participation normale des charges de la vie commune. Certain de son droit au bénéfice de l’article 555 en l’absence de convention réglant le sort des constructions, le requérant forme un pourvoi, lequel est rejeté par la première chambre civile en des termes des plus clairs. En effet, au point 4, après avoir relevé les éléments retenus par les juges du fond pour le débouter, la Cour énonce que, « de ces énonciations et constatations, faisant ressortir la volonté commune des parties, la cour d’appel a pu déduire que M. S… avait participé au financement des travaux et de l’immeuble de sa compagne au titre de sa contribution aux dépenses de la vie courante et non en qualité de tiers possesseur des travaux au sens de l’article 555 du code civil, de sorte que les dépenses qu’il avait ainsi exposées devaient rester à sa charge ».

La solution se joue en deux temps : elle aborde la question de la nature de la dépense du concubin avant d’en déduire l’impossibilité pour lui d’invoquer le bénéfice de l’article 555.

D’une part, il est rappelé qu’à défaut de convention de concubinage prévoyant les modalités de contribution aux charges de la vie commune, chacun d’eux doit supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées. On le sait, à l’inverse de la situation des partenaires ou des époux, les concubins ne bénéficient pas d’un régime « primaire » sur la question des dettes ménagères (C. civ., art. 220, pour le mariage ; C. civ., art. 515-4, pour le PACS). Aussi, engagés dans une relation de fait et n’ayant pas décidé de la contractualiser au travers d’une convention de concubinage, ils doivent être regardés comme des étrangers malgré la stabilité et l’intimité inhérente à leurs liens sentimentaux. Chaque concubin doit assumer les dépenses qu’il a engagées dans sa vie conjugale et aucun texte ne vient prévoir une répartition ou des modalités de participation. Ayant rappelé ce principe, la Cour, pour retenir que ces sommes constituent la contribution du concubin aux dépenses de la vie courante qui ne doivent pas donner lieu à remboursement, va se fonder sur trois éléments. D’abord, si l’immeuble était la propriété exclusive de la concubine, elle relève que le couple y avait établi le logement de la famille pour eux et leurs enfants. Ensuite, la cour d’appel constate que les concubins ont tous deux participé au financement des travaux et au remboursement des emprunts y afférents dans la mesure de leurs revenus (représentant respectivement 45 % pour la défenderesse et 55 % pour le requérant). Enfin, les juges toulousains mettent en exergue que le concubin n’a pas eu de dépenses autres que ces sommes pour pourvoir au logement de sa famille et que celles-ci, rapportées à la période mentionnée, correspondent peu ou prou aux sommes qu’il aurait dû verser s’il avait dû payer un loyer. La conjonction de ces trois éléments conduit la juridiction à retenir que ces sommes ont été engagées au titre du concubinage afin de contribuer aux dépenses de la vie courante.

D’autre part, l’affirmation d’une telle nature permet à la première chambre civile de retenir que « non en qualité de tiers possesseur des travaux au sens de l’article 555 du code civil, de sorte que les dépenses qu’il avait ainsi exposées devaient rester à sa charge ». Ainsi, le simple fait d’agir comme concubin, dans une visée de financement de la vie familiale, conduit la haute juridiction à considérer qu’il ne peut être qualifié de tiers possesseur de travaux pouvant prétendre à une indemnisation du propriétaire qui conserve la construction sur son bien.

La solution est surprenante même si elle semble répondre à une volonté de ne pas permettre l’utilisation de l’article 555 dans l’objectif de se dérober à ses devoirs au sein du couple. La haute juridiction tente de définir les contours de la notion de tiers possesseur de travaux afin d’en exclure le concubin.

Jusqu’alors, la Cour de cassation nous avait habitués à traiter les concubins comme des étrangers comme les autres. Ainsi, elle avait affirmé que le concubin ayant concouru à la construction d’ouvrage sur le terrain d’autrui avait droit à indemnisation à défaut de convention particulière réglant le sort des constructions, même en l’absence de caractère exclusif de sa participation (Civ. 3e, 2 oct. 2002, n° 01-00.002, D. 2001. 2362, et les obs. image ; RJPF 2003-3/31, obs. F. Vauvillé ; 3 mars 2003, n° 01-16.033, AJDI 2003. 297 image ; 16 mars 2017, n° 15-12.384, Dalloz actualité, 5 avr. 2017, obs. A. Gailliard ; D. 2017. 760 image ; ibid. 1068, chron. A.-L. Méano et A.-L. Collomp image ; ibid. 1789, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin image ; ibid. 2018. 1104, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; RJPF 2017-5/25, p. 29, obs. M. Jaoul ; 15 juin 2017, n° 16-14.039, D. 2017. 1789, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin image ; ibid. 2018. 1104, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; 5 oct. 2017, n° 16-20.946).

Dans chacune de ces affaires, les juges ont eu à cœur de rappeler que « les concubins demeurent des tiers dans leurs rapports patrimoniaux ». Et c’est sur ce point que se concentre le débat car l’article 555 conditionne son applicabilité à la qualité de tiers des parties (M. Farges, De l’application des règles relatives à la construction sur le terrain d’autrui de l’article 555 du code civil aux concubins, Dr. famille 2002. Chron. 23). La question est alors de déterminer ce qu’est un tiers au sens de l’article 555 du code civil et si un concubin peut réellement être qualifié de tiers possesseur de travaux.

Les juges ne cessent de tergiverser sur la question tant la situation au confluent du droit des biens et du droit du couple – ou plutôt du non-droit du couple en concubinage est complexe. Tiers sur le plan patrimonial, étrangers au sens du droit des biens, les concubins n’en sont pas moins un couple qui a des dépenses communes pour l’entretien de leur famille.

L’article 555 est le fruit d’une volonté de maintenir l’équilibre entre les droits du propriétaire d’un bien et les droits du tiers qui a investi sur celui-ci. Si l’on ne peut ni priver le propriétaire de sa propriété ni l’obliger à subir la dégradation ou modification apportée par un tiers à son bien, on ne saurait admettre qu’il en tire bénéfice sans indemniser l’auteur de la plus-value dont il bénéficie en cas de conservation d’une construction. C’est une question de justice et d’équilibre que l’article 555 du code civil arrive à préserver magnifiquement. Le tiers possesseur de travaux a droit à l’indemnisation de ce qu’il a contribué à édifier sur le terrain en question dès lors qu’il n’est pas tenu, vis-à-vis du propriétaire du sol, d’une obligation conventionnelle de construire (en ce sens, v. Civ. 3e, 6 nov. 1970, n° 69-11.900). Le concubin est alors classiquement considéré comme un tiers à l’égard du bien quand il n’est pas copropriétaire (indivision) et qu’il n’a pas conclu de contrat en vue de la construction (bail constitutif de droits réels par exemple) ou de prise en charge d’une partie des frais de construction aux titres des dépenses communes (convention de concubinage).

Ici, la haute juridiction vient valider l’appréciation des juges toulousains qui considèrent que le requérant a payé ses sommes non en qualité de tiers possesseur des travaux mais en qualité de compagnon qui assume sa contribution aux dépenses de la vie courante. Ainsi, il semble que l’appréciation de la qualité de tiers glisse d’une appréciation objective – absence de lien de propriété ou d’une convention sur la prise en charge des travaux – vers une appréciation plus subjective : l’existence d’un concubinage et l’établissement du domicile familial dans le bien impliquent que les sommes versées soient causées par le statut matrimonial. Si cela aboutit à une solution juste sur le plan de l’opportunité – car il serait déloyal que le concubin ait pu jouir des années durant gratuitement du domicile et donc ne prendre aucune part à l’entretien du foyer –, on peut s’interroger sur sa rigueur du point de vue juridique.

Le concubin n’est lié sur le plan juridique ni au bien ni au propriétaire. N’aurait-il pas été plus judicieux de traiter le concubin pour ce qu’il est au regard de la propriété, à savoir un tiers, afin d’indemniser la dépense opérée et dans le même temps de retenir une indemnisation pour l’occupation du bien de son ex-concubine ? Là encore, le fait que le concubinage soit une union de fait pourrait conduire à rendre difficile une indemnisation pertinente. Cette solution montre une fois de plus les limites du droit face au concubinage. Les concubins épris de liberté ignorent le droit et demandent à ce dernier de les sauver d’eux-mêmes quand l’heure n’est plus à l’amour.

Cette solution originale doit-elle être vue comme une volonté de faire évoluer la notion de tiers comme sa publication nous invite à le penser (notons tout de même qu’il s’agit d’un arrêt de la première chambre civile quand, habituellement, c’est la troisième qui a à connaître de l’application de l’article 555 du code civil) ou doit-elle être vue comme conjoncturelle, les concubins ayant apparemment été mariés par la suite et ayant vu leurs rapports patrimoniaux postérieurs régis par le jeu des textes relatifs au mariage ?

Il conviendra d’être vigilant et, en attendant de futures décisions notamment de la troisième chambre civile, inviter les concubins à opter pour une convention de concubinage.

  

 SYMBOLE GRIS