Le juge des référés et le préliminaire légal de conciliation
L’existence d’un préliminaire de conciliation obligatoire légalement prévu fait-il obstacle à la saisine du juge des référés afin qu’il ordonne une mesure destinée à prévenir un dommage imminent ou à faire cesser un trouble manifestement illicite ?
Telle est la question à laquelle a répondu la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 13 juillet 2022.
Par lettre du 28 mai 2020, la Fédération française de taekwondo et disciplines associées avait convoqué une assemblée générale ordinaire qui devait se tenir du 26 au 30 juin suivant. Plusieurs personnes, sans doute membres de la fédération, avaient alors pris l’initiative de saisir un juge des référés afin qu’il annule la convocation et qu’il ordonne diverses mesures liées à l’organisation du vote. Le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon et la cour d’appel, saisie d’un recours dirigé contre son ordonnance, ont déclaré les prétentions irrecevables dès lors que n’avait pas été mise en œuvre, avant l’introduction de l’instance, le préliminaire de conciliation prévu par l’article R. 141-5 du code du sport. Il est vrai que ce texte prévoit que « la saisine du comité à fin de conciliation constitue un préalable obligatoire à tout recours contentieux, lorsque le conflit résulte d’une décision, susceptible ou non de recours interne, prise par une fédération dans l’exercice de prérogatives de puissance publique ou en application de ses statuts » (le soulignement est ajouté).
Mais la troisième chambre civile de la Cour de cassation n’a pas partagé cette manière de voir les choses et a doublement censuré l’arrêt rendu par la juridiction lyonnaise. Elle a commencé par juger, au visa des articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des libertés fondamentales, L. 141-4 et R. 141-5 du code du sport et 835 du code de procédure civile, que « en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent, les dispositions de l’article R. 141-5 du code du sport instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable ne font pas obstacle à la saisine du juge des référés ». Elle a encore censuré l’arrêt rendu par la cour d’appel au visa de l’article R. 141-5 du code du sport car « une convocation, qui a le caractère d’un acte préparatoire aux délibérations de l’assemblée générale, ne constitue pas une décision ».
Le juge des référés et les préalables de conciliation
Que les dispositions qui imposent, avant tout recours judiciaire, de mettre en œuvre un processus de conciliation ne fassent pas obstacle à la saisine d’un juge des référés en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent ne surprend pas. La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 24 novembre 2021, l’avait déjà clairement affirmé (Civ. 1re, 24 nov. 2021, n° 20-15.789 P, D. 2022. 856, chron. C. Dazzan, I. Kloda, X. Serrier, S. Vitse, E. Buat-Ménard, A. Feydeau-Thieffry et C. Azar ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. B. Gorchs-Gelzer ; RTD civ. 2022. 126, obs. H. Barbier ; ibid. 200, obs. N. Cayrol ). Si la conclusion de l’arrêt rendu par la troisième chambre civile n’innove pas, le chemin emprunté pour y parvenir est en revanche original. Pour justifier sa solution, la troisième chambre civile prend le soin de rappeler que chacun a droit à un recours effectif au juge, mais également de se référer à l’arrêt rendu par la première chambre civile le 24 novembre 2021 et à l’arrêt Alassini rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 18 mars 2010 qui avait énoncé que le principe de protection juridictionnelle effective ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui impose la mise en œuvre préalable d’une procédure de conciliation extrajudiciaire, pour autant que des mesures provisoires sont envisageables dans les cas exceptionnels où l’urgence de la situation l’impose. La solution doit être pleinement approuvée et il convient de renvoyer le lecteur au commentaire de l’arrêt rendu 24 novembre 2021 (Dalloz actualité, 9 déc. 2021, obs. N. Hoffschir).
Il est certain qu’un préliminaire légal ou conventionnel de conciliation ne constitue pas un obstacle à ce qu’un juge des référés soit saisi afin d’ordonner une mesure dictée par l’urgence : la chose paraît évidente lorsque l’urgence constitue une condition explicite du prononcé de la mesure (C. pr. civ., art. 834) ; elle est également vraie, et l’arrêt commenté en témoigne, lorsque l’urgence constitue une condition implicite de mise en œuvre des pouvoirs du juge, comme ce peut être le cas lorsque le juge des référés est saisi afin de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble manifestement illicite. Mais, en dehors de toute idée d’urgence, il n’est pas encore certain que la prétention formulée devant le juge des référés soit recevable (v. sur ces points,ÂÂ N. Hoffschir, obs. préc.).
L’interprétation stricte du champ d’application de la conciliation préalable
Le préliminaire obligatoire de conciliation, qu’il trouve son origine dans la loi ou dans une convention, constitue un obstacle, sinon une restriction, à la recevabilité des prétentions soumises au juge des référés. Parce qu’il constitue une restriction à l’exercice d’un droit fondamental, cela n’invite pas nécessairement à en apprécier extensivement le champ d’application.
Lorsque la limitation a une origine contractuelle, il faut tenter d’apprécier la volonté des parties en analysant des clauses qui, bien souvent, n’ont pas constitué le cœur du processus de négociation. La clause qui prévoit qu’une tentative de règlement amiable doit être menée avant tout saisine d’un juge « en cas de litige » ne comporte aucune distinction quant à la nature des litiges devant être soumis à un conciliateur préalablement à toute instance judiciaire (Civ. 3e, 20 sept. 2011, n° 10-20.990,ÂÂ inédit, AJDI 2011. 871 ). Mais il y a des cas où il est douteux que les parties, en rédigeant une clause visant simplement tout litige, aient entendu subordonner la recevabilité d’une prétention à un préliminaire de conciliation : c’est pourquoi une déclaration expresse de volonté est requise s’il s’agit de faire obstacle à la recevabilité d’une demande reconventionnelle (Com. 24 mai 2017, n° 15-25.457 P, D. 2017. 1131 ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; AJ contrat 2017. 396, obs. N. Dissaux ; RTD civ. 2017. 653, obs. H. Barbier ) ou d’une demande formée devant le juge de l’exécution à l’occasion d’une saisie immobilière (Civ. 2e, 21 févr. 2019, n° 18-14.773ÂÂ inédit, D. 2019. 1306, obs. A. Leborgne ; AJDI 2019. 381 ; RTD civ. 2019. 578, obs. H. Barbier ; 22 juin 2017, n° 16-11.975 P, D. 2017. 1369 ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; RTD civ. 2017. 653, obs. H. Barbier ; ibid. 2018. 478, obs. P. Théry ).
Ces principes d’interprétation, qui ne paraissent pas viscéralement attachés à la matière contractuelle, peuvent guider l’interprète lorsqu’il s’agit de déterminer le champ d’application d’un préliminaire obligatoire de conciliation qui trouve sa source dans la loi. L’article R. 141-5 du code du sport exige qu’un préliminaire de conciliation soit suivi « lorsque le conflit résulte d’une décision ». La restriction du droit au juge ne concerne donc pas tous les litiges et, en conséquence, il n’y a pas lieu d’appliquer la clause lorsque le conflit n’est pas né d’une décision, mais, comme c’était le cas dans la présente affaire, d’une simple convocation. Les mots ont un sens…