Licéité des pactes d’actionnaires conclus pour la durée de vie de la société
Une affaire à la procédure embrouillée débouche sur un arrêt de cassation qui contribue à poser de très utiles questions sur les pactes d’actionnaires.
La Socrim était une SAS de famille, dont le fondateur avait fait donation de l’essentiel des titres à ses cinq enfants, avec réserve d’usufruit. Un pacte entre les actionnaires avait été établi en 2010, pour déterminer la bonne marche de l’entreprise et en organiser les destinées au décès du fondateur, afin qu’elle demeure une société de famille. Pris de désirs d’indépendance, l’un des enfants s’était lancé dans des activités indépendantes en utilisant le nom de Socrim, sans autorisation. Y voyant une trahison du pacte, les membres de la famille décidèrent de le résilier unilatéralement – anéantissement contesté devant les tribunaux, qui aboutit à la présente décision.
L’arrêt commence par rejeter la première branche du pourvoi, qui soulevait un problème de pur droit civil. Au fil des demandes, certains membres de la famille avaient demandé la nullité du pacte en raison de la prohibition posée par l’article 722 du code civil : organisant le fonctionnement de la société pour la période suivant le décès du paterfamilias, il s’analysait en un pacte sur succession future, prohibé. Toutefois, la cour d’appel n’avait pas prononcé la nullité, ce dont la Cour de cassation l’approuve en rejetant le pourvoi. Sans jamais s’exprimer sur le caractère du pacte à cet égard, la Cour observe qu’il ressortait de l’examen mené en appel qu’un seul article était relatif à la destinée de biens futurs, article d’ailleurs détachable du reste du contrat. La Cour approuve donc l’arrêt d’appel de ne pas avoir prononcé la nullité totale du pacte, seule à lui être demandée. Par prétérition, elle estime être en présence d’une stipulation prohibée qui n’aurait pu être attaquée que par une demande de nullité partielle, la disposition contestée étant sans emport sur le reste du pacte.
En revanche, la cassation est prononcée sur la deuxième branche du moyen, qui intéresse bien plus directement la présente rubrique. En dépit de ce que l’arrêt est rendu par la première chambre civile, c’est la chambre commerciale qui a délibéré sur ce moyen, pratique en extension plus radicale que le simple recueil de l’avis d’une autre Chambre. La résiliation unilatérale du pacte supposait qu’il fût conclu pour une durée indéterminée. Était-ce le cas ? L’article 10 du pacte prévoyait une conclusion pour la durée de la société, au terme de laquelle le pacte serait renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée ; à l’occasion de chaque renouvellement, toute partie pourrait dénoncer le pacte en notifiant sa décision au moins six mois à l’avance aux autres parties. Selon l’article 11, le pacte devait lier et bénéficier aux héritiers, aux légataires, ayants droit, ayants cause de chacune des parties, et notamment leurs holdings familiales, ainsi que leurs représentants légaux. Dans ces conditions, la durée du pacte était-elle déterminée, indéterminée ou perpétuelle ? La cour d’appel n’avait pas tranché sur la qualification, se contentant d’estimer que « la première période de ce pacte expirera le 24 janvier 2068, et qu’en respectant ces dispositions, les descendants ne pourront sortir du pacte qu’à un âge particulièrement avancé, entre 79 et 96 ans selon les signataires du pacte. Cette durée excessive, qui confisque toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés, ouvre aux parties la possibilité de résilier ce pacte unilatéralement à tout moment ». L’arrêt est censuré sur ce point, au visa des articles 1134, alinéa 1, ancien et 1838 du code civil, en observant que « la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin...