Mentions des chefs critiqués dans la déclaration de saisine après cassation : portée

La déclaration de saisine n’est pas une déclaration d’appel

Aux termes de l’article 625 du code de procédure, la cassation replace les parties dans la situation dans laquelle elles se trouvaient avant la décision cassée.

Il en résulte qu’après une cassation, les parties n’ont pas à introduire une nouvelle instance mais poursuivent l’instance ayant abouti à la décision cassée, à charge pour la partie qui y a intérêt de saisir la juridiction désignée, par une déclaration de saisine, comme le prévoit l’article 1032.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 14 janvier 2021, rappelle que la déclaration de saisine n’est pas une déclaration d’appel.

À notre connaissance, la haute juridiction n’avait jamais eu l’occasion d’apporter cette précision dont nous ne doutions pas (C. Lhermitte, Procédures d’appel, Dalloz, coll. « Delmas express », n° 1610 : « la déclaration de saisine n’est pas un acte d’appel et elle ne se substitue pas à l’acte d’appel qui demeure, dans le cadre du renvoi de cassation, l’acte introductif de l’instance d’appel »). Sauf que cela est parfois oublié.

La déclaration de saisine est un acte de procédure à part entière qui n’a pas pour objet d’introduire une instance d’appel, mais bien de poursuivre celle déjà engagée.

Cela a des conséquences sur le plan procédural.

Par exemple, en matière prud’homale, si la déclaration d’appel est antérieure au 1er août 2016, et quelle que soit la date de la déclaration de saisine, la procédure sur renvoi en appel relèvera de la procédure orale sans représentation obligatoire (C. trav., art. R. 1461-2 ; décr. n° 2016-660, 20 mai 2016, relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail) et l’article 1037-1 fixant les règles de la procédure sur renvoi de cassation sera écarté au profit de l’article 1036.

Pour la même raison, le timbre fiscal de l’article 1635 bis P du code général des impôts n’est pas dû sur renvoi de cassation s’il a déjà été réglé dans le cadre de l’appel (C. Lhermitte, La taxe fiscale de 150 € est-elle due pour les procédures d’appel après renvoi de cassation ?, Gaz. Pal. 24-25 janv. 2014).

L’obligation de porter dans la déclaration de saisine les chefs de dispositif critiqués mentionnés dans l’acte d’appel

L’article 1033, qui précise les mentions devant être portées dans l’acte de saisine de la juridiction de renvoi après cassation, renvoie aux « mentions exigées pour l’acte introductif d’instance devant cette juridiction ».

En appel, ces mentions sont prévues à l’article 901 – qui lui-même renvoie au demeurant aux articles 57 et 54 – dont le 4° concerne les « chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible ».

Par application des articles 1033 et 901, la déclaration de saisine doit donc mentionner les chefs expressément critiqués.

Cette obligation procédurale, sur l’intérêt de laquelle nous pouvons nous interroger, est confirmée par l’arrêt qui souligne « l’obligation prévue au dernier de ceux-ci (C. pr. civ., art. 901 et 1033) de faire figurer dans la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation, qui n’est pas une déclaration d’appel les chefs de dispositif critiqués de la décision entreprise tels que mentionnés dans l’acte de l’appel ».

Mais la Cour de cassation, sans remettre en question cette obligation résultant du renvoi de l’article 1033 au 4° de l’article 901, prend soin aussi de rappeler que la déclaration de saisine n’est pas une déclaration d’appel, précision qui n’est pas anodine. En effet, n’étant pas un acte d’appel, cette mention dans l’acte de saisine « ne peut avoir pour effet de limiter l’étendue de la saisine de la cour d’appel de renvoi ».

Effet dévolutif et portée de la cassation

En apportant la précision selon laquelle la mention des chefs critiqués « ne peut avoir pour effet de limiter l’étendue de la saisine de la cour d’appel de renvoi », la Cour de cassation distingue l’effet dévolutif (de l’appel) et la portée de la cassation (par l’arrêt de cassation).

Cette distinction est importante pour permettre de comprendre que l’éventuel manquement quant aux chefs critiqués ne conduit pas à la même sanction selon qu’est concerné la déclaration de saisine ou l’acte d’appel.

Pour la Cour de cassation, « la portée de la cassation [est] déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce ».

C’est l’application des articles 624 et 625 du code de procédure civile au visa desquels intervient la cassation.

Rappelons que l’indication des chefs critiqués dans l’acte d’appel (C. pr. civ., art. 901, 4°) permet de déterminer la dévolution de l’appel (C. pr. civ., art. 562), c’est-à-dire la portée de l’appel (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs R. Laffly ; D. 2020. 288 image ; ibid. 576, obs. N. Fricero image ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon image ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry image ; ibid. 458, obs. N. Cayrol image ; 2 juill. 2020, n° 19-16.954 P, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; Soc. 14 oct. 2020, n° 18-15.229 P, Dalloz actualité, 3 nov. 2020, obs. C. Lhermitte ; D. 2020. 2071 image).

Mais comme cela a été vu, la déclaration de saisine n’est pas un acte d’appel et, surtout, la déclaration d’appel reste l’acte de procédure qui a introduit l’instance d’appel.

La déclaration de saisine n’est pas un acte introductif d’instance et n’opère pas dévolution. C’est un acte de procédure permettant de saisir la juridiction de renvoi de manière à poursuivre une instance existante. Et, comme l’a précisé la Cour de cassation, c’est l’acte d’appel, et seulement l’acte d’appel, qui fixe la dévolution de l’appel (v. Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, préc. : « seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement »).

Dans le cadre d’un renvoi de cassation, la dévolution est opérée par la déclaration d’appel, lequel acte d’appel, selon la date à laquelle il a été régularisé, à savoir si l’appel a été formé avant ou après le 1er septembre 2017 (décr. n° 2017-891, 6 mai 2017, relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile), renverra ou non à la nouvelle rédaction de l’article 562 du code de procédure civile.

La cour d’appel, sur renvoi de cassation, sera tenue par l’effet dévolutif opéré par l’acte d’appel, dans la limite toutefois du dispositif de l’arrêt de cassation, qui marque la portée de la cassation. C’est ce que nous confirme la Cour de cassation par cet arrêt.

Il en résulte que, même si l’appel portait sur tous les chefs du jugement dont appel, la cour d’appel de renvoi n’aura pas à connaître des chefs sur lesquels la cassation ne portait pas, soit parce qu’ils n’ont pas été soumis dans le cadre d’un pourvoi à la Cour de cassation, soit en raison du rejet du moyen concernant ces chefs.

Manifestement, l’indication des chefs dans la déclaration de saisine ne présente aucun intérêt particulier, que ce soit pour la cour d’appel ou pour la « partie adverse » qui sera destinataire de cet acte.

La Cour de cassation aurait pu considérer en conséquence qu’elle était sans objet.

Pour autant, la Cour de cassation fait une stricte application des textes et retient l’obligation de mentionner les chefs critiqués, mais sans que cette mention ait le moindre effet sur le plan procédural et notamment sur la dévolution.

C’est purement formel, et inutile sur le plan pratique.

Nullité de la déclaration de saisine ?

L’article 1033 ne précise pas que les mentions sont prescrites à peine de nullité. Toutefois, pour la Cour de cassation, « l’irrégularité des mentions de la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation ne constitue pas une cause d’irrecevabilité de celle-ci, mais relève des nullités pour vice de forme » (Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-11.266 P, Dalloz actualité, 21 nov. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 2157 image).

En conséquence, l’absence des chefs critiqués dans l’acte de saisine pourrait aboutir à une nullité, pour vice de forme.

En pratique, dès lors que cette mention ne répond à une aucune utilité, nous ne voyons pas que cette nullité, qui suppose de démontrer un grief, et qui ne peut pas être relevée d’office, pourrait effectivement aboutir à une nullité.

Le grief sera impossible à démontrer.

Et si l’acte est nul, reste à savoir si cette nullité permettrait à la partie de se prévaloir de l’interruption de l’article 2241 du code civil, ce dont nous pouvons douter, et ce sur quoi la Cour de cassation n’a pas eu l’occasion de se prononcer.

Si la Cour de cassation a fait entrer la déclaration d’appel dans le champ d’application de cette disposition (Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-22.088 P, Dalloz actualité, 28 oct. 2014 obs. N. Kilgus ; D. 2015. 287, obs. Fricero ; JCP 2014. 1271, note Auché), cela peut se comprendre dès lors que l’acte d’appel introduit une instance (d’appel), ce que ne fait pas la déclaration de saisine. Nous penchons donc plutôt pour une exclusion de la déclaration de saisine du domaine de l’article 2241 (C. Lhermitte, Procédures d’appel, op. cit., nos 1613, 1618).

Quels chefs dans la déclaration de saisine ?

Avec son arrêt du 14 janvier 2021, la Cour de cassation livre des précisions quant aux chefs à faire apparaître dans l’acte de saisine, ce qui pouvait constituer un véritable casse-tête pour l’avocat auteur de la déclaration de saisine.

Nous aurions pu penser qu’il devait s’agir des chefs issus de la cassation, mais cela aurait conduit à considérer que la déclaration de saisine pouvait avoir un effet dévolutif, ce qui serait absurde, et d’ailleurs précisément écarté par la Cour de cassation.

Selon l’arrêt rendu, il suffit de porter dans la déclaration de saisine « les chefs de dispositif critiqués de la décision entreprise tels que mentionnés dans l’acte d’appel ».

Il conviendrait donc de mentionner dans l’acte de saisine les chefs qui figuraient dans l’acte d’appel.

Et si l’appel est antérieur au 1er septembre 2017, date d’entrée en application du décret du 6 mai 2017 ayant modifié les articles 901 et 562, nous pourrions considérer que ces chefs n’ont pas à être mentionnées sur l’acte de saisine dès lors qu’ils n’ont pas à figurer sur l’acte d’appel, et la dévolution opérant pour le tout à défaut d’être limitée.

Il pourra être opportun, s’il y a lieu, de ne pas reprendre les chefs pour lesquels l’arrêt de la cour d’appel est irrévocable, puisque la cour de renvoi n’aura pas à les connaître.

Mais si néanmoins ils apparaissent, cela sera sans conséquence.

De même, l’auteur de la déclaration de saisine n’aura pas à s’inquiéter outre mesure s’il a omis des chefs, puisque la déclaration de saisine n’opère pas effet dévolutif, et la juridiction de renvoi étant en tout état de cause saisie dans la limite de l’arrêt de cassation.

Une solution de bon sens

Même si l’arrêt n’est pas allé jusqu’à écarter l’obligation consistant à faire mention des chefs critiqués, nous ne pouvons que saluer la solution donnée par la Cour de cassation qui permettra d’éviter des dérives déjà constatées.

En effet, il apparaît qu’il a pu être oublié que la déclaration de saisine n’est pas une déclaration d’appel et que les deux actes de procédure, même s’ils doivent contenir les mêmes mentions, ne peuvent produire les mêmes effets.

Et c’est ainsi que des cours d’appel ont pu donner un effet dévolutif à une déclaration de saisine, et ont considéré que l’absence des chefs critiqués dans l’acte de saisine permettait à la juridiction de se dire non saisie de chefs de demandes (Rennes, 3e ch. com., 25 févr. 2020, n° 19/04483 : « La saisine de la cour de renvoi en date du 4 juillet 2019 ne contient aucune critique des chefs du jugement (sic). Aucune déclaration d’appel rectificative (sic) n’a été régularisée dans le délai imparti pour conclure au fond. Il en résulte que la cour n’est saisie d’aucune demande », JS 2020, n° 208, p. 10, obs. J. Mondou image ; Paris, pôle 5, ch. 9, 9 janv. 2020, n° 19/07776).

Cet arrêt coupera court à toute discussion à cet égard et permet en outre à l’avocat de savoir précisément quelles mentions doivent figurer dans son acte de saisine et quel risque il prend en cas d’omission ou d’oubli.

Dans une procédure d’appel rigoureuse et stressante, les praticiens accueilleront favorablement un arrêt qui, tout en étant conforme aux textes, allège opportunément les obligations procédurales mises à leur charge.

  

 SYMBOLE GRIS