Mesures d’instruction : le juge chargé du contrôle ne peut statuer sur requête

FS-P+B+R+I : la lecture de cette combinaison de lettres qui accompagne la présente décision suggère d’emblée qu’elle n’est pas anodine. Il faut dire qu’elle mêle deux aspects importants : un sujet particulièrement pratique – les mesures d’instruction – et un principe fondamental de notre procédure – le contradictoire. La décision est accompagnée d’une note explicative publiée sur le site internet de la Cour régulatrice qui souligne qu’elle parachève, selon les termes employés par la juridiction, une évolution jurisprudentielle entamée depuis plusieurs années.

Il s’agissait, pour la haute juridiction, de se prononcer sur la question du suivi de la mesure d’instruction obtenue sur requête et plus précisément sur l’application de l’article 168 du code de procédure civile qui prévoit que, lorsqu’une difficulté survient au cours d’une opération à laquelle le juge chargé du contrôle de la mesure d’instruction ne procède ou n’assiste pas, il « fixe la date pour laquelle les parties et, s’il y a lieu, le technicien commis seront convoqués par le greffier de la juridiction ». Or la mesure d’instruction in futurum peut être demandée sur requête, c’est-à-dire en dérogeant au principe du contradictoire afin que le requérant puisse agir par surprise, sans appeler la personne visée par la mesure, afin d’éviter le risque de dépérissement des preuves.

La question posée par le pourvoi était de savoir si le juge chargé du contrôle peut ou non statuer par une ordonnance sur requête malgré les termes l’article 168 précité ?

En l’occurrence, une société suspectait un détournement  de  clientèle  commis  par  un ancien  salarié et une autre société dont il était le gérant.  Elle a saisi le président d’un tribunal  de  grande  instance  d’une  requête afin  de  voir  ordonner  une  mesure  d’instruction  sur  le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Après avoir favorablement accueilli cette demande, ce même président a autorisé un huissier de justice, sur  requête  de  ce  dernier  agissant  en  qualité  de mandataire de la société requérante, à conserver un disque dur saisi au domicile de l’ancien salarié. Ce dernier et la société dont il était devenu le gérant ont assigné le requérant en rétractation des deux ordonnances. Leur demande a été rejetée par une ordonnance dont ils ont interjeté appel mais la cour d’appel a confirmé cette décision.

Devant la Cour de cassation, le débat portait sur le respect du contradictoire. Les demandeurs reprochaient à la juridiction d’appel de s’être abstenue de convoquer les parties pour étendre la mission confiée à l’huissier de justice, ce qu’aucun texte ne lui permettait de faire. En l’occurrence, pour confirmer l’ordonnance de référé qui a rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête, la cour d’appel a retenu que si l’ordonnance avait été effectivement rendue sans convocation des parties, le principe du contradictoire a été respecté dès  lors  que  ces  parties,  et  tout particulièrement l’ancien salarié, avaient été convoquées et entendues à l’audience statuant sur la demande de rétractation.

Les demandeurs faisaient valoir que, lorsque survient une difficulté au cours de l’exécution d’une mesure d’instruction, le juge saisi sans forme fixe la date pour laquelle les parties et, s’il y a lieu, le technicien commis seront convoqués par le greffier de la juridiction. Aucune disposition ne dispenserait le juge de cette contradiction que la seule audience sur rétractation ne saurait suffire à rétablir.

La Cour de cassation leur donne raison en censurant la décision d’appel. Elle énonce au visa des articles 14, 16, 166, 167 et 168 du code de procédure civile que lorsque le juge chargé du contrôle d’une mesure d’instruction exerce les pouvoirs prévus par les trois derniers  de  ces  textes,  il  doit  respecter  le principe de la contradiction et statuer, les parties entendues ou appelées. Elle souligne qu’en l’espèce, le juge chargé du contrôle de la mesure d’instruction avait statué par ordonnance sur requête.

La haute juridiction se prononce donc clairement pour une prohibition de la requête saisissant le juge chargé de régler les difficultés d’exécution de la mesure d’instruction. Ce faisant, elle impose le contradictoire au stade de la contestation de la mesure devant le juge chargé des difficultés d’exécution. Elle applique ainsi l’article 168 du code de procédure civile qui traduit en filigrane la volonté de faire naître un débat sur la difficulté soumise entre les parties opposées et éventuellement le technicien.

Si la solution semble désormais claire (v. déjà Civ. 2e, 27 juin 2019, n° 18-12.194, Dalloz actualité, 31 juill. 2019, obs. M. Kebir ; D. 2019. 1397 image), elle n’interroge pas moins sur sa compatibilité avec l’esprit de la requête fondée sur les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile dont le propre est d’écarter le contradictoire pour permettre au demandeur de se ménager un effet de surprise et ainsi préserver ses chances de se constituer une preuve dans l’optique d’un futur litige potentiel. La cour d’appel a estimé qu’au stade de la difficulté d’exécution, il n’y avait pas lieu de rétablir cette contradiction dès lors que c’est déjà l’objet de la procédure de référé-rétractation. La haute juridiction souligne toutefois dans l’arrêt rapporté que c’est dès le stade de cette contestation devant le juge chargé du contrôle de la mesure que le principe du contradictoire doit être rétabli. La décision, qui semble contredire de précédents arrêts (Civ. 2e, 24 avr. 1989, n° 88-10.941, Bull. civ. II, n° 98 ; RTD civ. 1990. 143, obs. R. Perrot image ; JCP 1990. II. 21472, obs. L. Cadiet ; 4 juill. 2007, n° 05-20.075, Rev. crit. DIP 2007. 840, note H. Muir Watt image), doit selon nous être approuvée car elle n’affecte aucunement l’efficacité du mécanisme de la requête, en particulier lorsque celle-ci est fondée sur les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile. L’effet de surprise qui conduit à une mise au ban du contradictoire doit exister pour permettre au requérant de se constituer la preuve qu’il estime nécessaire, mais dans un premier temps seulement, c’est-à-dire au stade de la recherche des preuves avant d’éviter que la personne visée par la mesure ne puisse les faire disparaître. Dans un second temps, c’est-à-dire une fois lorsqu’une fois cette preuve obtenue, si des difficultés apparaissent, il est nécessaire que chacun des intérêts en présence puissent être discutés entre les parties : celui qui a sollicité la mesure et celui qui a soulevé la difficulté devant le juge chargé du contrôle. On pourrait estimer, comme l’a fait la juridiction d’appel, que ces difficultés peuvent être traitées contradictoirement devant le juge de la rétractation mais en réalité, ce sont deux problèmes distincts. C’est une chose de vouloir discuter de la rétractation de l’ordonnance sur requête, c’en est une autre de vouloir discuter des difficultés d’exécution apparues au cours de la mesure. Dans les deux cas, la contradiction doit être respectée.

Au-delà de son apport pratique, cet arrêt rappelle qu’au fond, la procédure sur requête est une anomalie en ce qu’elle conduit à une mise à l’écart d’un principe essentiel du procès équitable, le droit de pouvoir discuter contradictoirement des demandes soumises au juge. C’est un mal nécessaire, car il permet de garantir l’efficacité de la mesure, mais un mal quand même. Il est sans doute raisonnable de cantonner cette anomalie au strict nécessaire et de permettre au contradictoire de retrouver toute sa place lorsque survient une difficulté liée à l’exécution de la mesure d’instruction.

  

 SYMBOLE GRIS