Nécessité et proportionnalité : illustration par la Cour de cassation en matière de preuve illicite ou déloyale
Le droit à la preuve est consacré par la jurisprudence (Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177 P, Dalloz actualité, 23 avr. 2012, obs. J. Marrocchella ; D. 2012. 1596 , note G. Lardeux ; ibid. 2826, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; ibid. 2013. 269, obs. N. Fricero ; ibid. 457, obs. E. Dreyer ; RTD civ. 2012. 506, obs. J. Hauser ) comme constituant une émanation du droit au procès équitable tel qu’il résulte de l’article 6, §, 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH 13 mai 2008, XX c/ Belgique, n° 65097/01, D. 2009. 2714, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur ; RTD civ. 2008. 650, obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 2008. I. 167, n° 13, obs. Sudre).
Il n’est cependant pas absolu.
Pour exemple, l’admissibilité de la preuve illicite est conditionnée au maintien du caractère équitable de la procédure (CEDH 17 oct. 2019, López Ribalda et autres c/ Espagne, nos 1874/13 et 8567/13, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2019. 2039, et les obs. ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJ pénal 2019. 604, obs. P. Buffon ; Dr. soc. 2021. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; RDT 2020. 122, obs. B. Dabosville ; Légipresse 2020. 64, étude G. Loiseau ; RTD civ. 2019. 815, obs. J.-P. Marguénaud ). Cette preuve doit également se montrer nécessaire (CEDH 10 oct. 2006, n° 7508/02, L. L. c/ France, D. 2006. 2692 ; RTD civ. 2007. 95, obs. J. Hauser ).
Concernant la preuve déloyale, les juridictions faisaient preuve d’une plus grande sévérité puisque le principe de loyauté (Cass., ass. plén., 7 janv. 2011, nos 09-14.316 et 09-14.667 P, Dalloz actualité, 12 janv. 2011, obs. E. Chevrier ; D. 2011. 562, obs. E. Chevrier , note F. Fourment ; ibid. 618, chron. V. Vigneau ; ibid. 2891, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin ; RTD civ. 2011. 127, obs. B. Fages ; ibid. 383, obs. P. Théry ; RTD eur. 2012. 526, obs. F. Zampini ) n’avait pas vocation à s’effacer lorsqu’il se trouvait confronté au droit à la preuve (C. Radé, note ss. Soc. 6 sept. 2023, n° 22-13.783 B, Dr. soc. 2023. 922 ). Dès lors, la preuve déloyale ne pouvait être admise.
Reste que la distinction entre preuve illicite et preuve déloyale était malaisée (C. Radé, préc.). La Cour de cassation a finalement procédé à un alignement entre ces deux régimes considérant que « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats […] » (Cass., ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648 B, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. Hoffschir ; D. 2024. 15 ; AJ fam. 2024. 8, obs. F. Eudier ; AJ pénal 2024. 40, chron. ).
Désormais donc, la preuve illicite et la preuve déloyale sont admises à condition de satisfaire aux contrôles de nécessité et de proportionnalité. L’arrêt commenté illustre parfaitement ce propos.
Dans les faits, un salarié avait été engagé par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 5 janvier 2010. Il saisissait le conseil des prud’hommes aux fins de voir constater la résiliation de son contrat de travail, invoquant des faits de harcèlement moral de la part de son employeur.
La preuve rapportée par le salarié était querellée car il s’agissait de la retranscription de son entretien avec les membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Le salarié avançait que « le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’autres salariés à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ». La cour d’appel avait, quant à elle, écarté cette preuve au visa de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour cette raison, un pourvoi était formé devant la Cour de cassation.
On l’aura compris, le particularisme de l’affaire résultait de la production, par un salarié, d’éléments de preuve soit illicites, soit déloyales. Habituellement, le contentieux rapporte des situations lors desquelles, l’employeur faisant preuve de déloyauté ou par le biais de procédés illicites, porte lui-même atteinte à la vie privée de ses salariés (Soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.058 P, Dalloz actualité, 21 oct. 2020, obs. M. Peyronnet ; D. 2020. 2383 , note C. Golhen ; ibid. 2312, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; JA 2021, n° 632, p. 38, étude M. Julien et J.-F. Paulin ; Dr. soc. 2021. 14, étude P. Adam ; RDT 2020. 753, obs. T. Kahn dit Cohen ; ibid. 764, obs. C. Lhomond ; Dalloz IP/IT 2021. 56, obs. G. Haas et M. Torelli ; Légipresse 2020. 528 et les obs. ; ibid. 2021. 57, étude G. Loiseau ; Rev. prat. rec. 2021. 31, chron. S. Dorol ).
La Cour de cassation était donc appelée à se prononcer sur l’admissibilité de la preuve illicite ou déloyale, rapportée par le salarié.
Pour la première fois, la Cour fait application de la méthode devant être employée après avoir rappelé la règle selon laquelle « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans...