Nouvelle exigence devant le FGTI : la caractérisation d’une infraction constitutive d’un acte de terrorisme
Un arrêt récent de la Cour de cassation revient sur la question de la reconnaissance de la qualité de victime d’acte de terrorisme devant le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (le FGTI) et des éléments à établir par celle-ci pour relever de cette catégorie. En effet, « quelques affaires médiatisées ont attiré l’attention sur le phénomène des “fausses victimes”, lors des attaques terroristes de masse – ces personnes se rendent coupables d’escroquerie aggravée (C. pén., art. 313‐1 et 313‐2). Un processus d’identification et de recensement des victimes est organisé » (C. Quézel-Ambrunaz, L’indemnisation des victimes du terrorisme, RLDR 2020, n° 384-23).
En l’espèce, à la suite de l’attentat terroriste commis le 9 janvier 2015, dans le magasin Hyper Cacher, situé avenue de la Porte de Vincennes à Paris, durant lequel un homme a pris des clients en otage et tué quatre personnes avant d’être abattu par les forces de l’ordre lorsqu’elles ont donné l’assaut, une personne a été inscrite sur la liste unique des victimes d’actes de terrorisme établie par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris.
La victime, après avoir reçu des sommes provisionnelles du FGTI, l’a assigné aux fins d’expertise et en paiement d’une provision supplémentaire à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices psychologique et professionnel.
Par un premier arrêt rendu le 8 février 2018, la Cour de cassation a jugé que le versement de provisions, en vertu de l’article L. 422-2, alinéa 1, du code des assurances, « à la personne qui en fait la demande, à la suite d’un acte de terrorisme, ne prive pas le FGTI de la possibilité de contester ultérieurement sa qualité de victime » (Civ. 2e, 8 févr. 2018, n° 17-10.456, D. 2018. 350 ; ibid. 2153, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ). La doctrine en a déduit que l’inscription d’une personne sur la liste unique des victimes ne vaut cependant pas présomption irréfragable de sa qualité de victime (C. Lienhard, Contestation de la reconnaissance de la qualité de victime d’attentat par le FGTI, JCP 2018. 476). La doctrine considère que la précision apportée par cette décision « restaure au profit du fonds de garantie une liberté d’appréciation… que celui-ci n’avait en réalité jamais perdue » (J. Knetsch, La preuve de la qualité de victime d’acte de terrorisme devant le FGTI, RCA n° 6, juin 2018, étude 7, n° 17).
Cependant, le 10 janvier 2019, la cour d’appel de Paris, statuant en matière de référé, rendu sur renvoi après cassation (Civ. 2e, 8 févr. 2018, préc.), a condamné le FGTI à payer à la victime une indemnité provisionnelle complémentaire de 15 000 € (Paris, 10 janv. 2019).
Le Fonds de garantie a réalisé un second pourvoi en cassation. Il a reproché à l’arrêt de le condamner ainsi alors « que seuls constituent des actes de terrorisme, au sens des articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances, les infractions limitativement énumérées aux articles 421-1 et suivants du code pénal ; qu’en jugeant, pour allouer une provision de 15 000 € à [la justiciable], qu’elle n’avait pas à préciser la nature et les éléments matériels de l’infraction terroriste qu’elle retenait comme ayant été commise à son encontre, quand il lui appartenait au contraire, pour caractériser l’existence d’une obligation non sérieusement contestable justifiant l’allocation d’une provision, de motiver tout spécialement sa décision de ce chef, la cour d’appel a violé l’article 809 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances et 421-1 à 421-2-6 du code pénal ».
Par un arrêt du 20 mai 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel en ce qu’il condamne le FGTI à payer à la victime une indemnité provisionnelle complémentaire.
La décision a été rendue au visa de l’article 809, alinéa 2, devenu 835, alinéa 2, du code de procédure civile, des articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances, en leur rédaction applicable à l’espèce, et de l’article 421-1 du code pénal.
D’une part, l’article L. 126-1 du code des assurances tel qu’issu de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 dispose que « les victimes d’actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l’étranger de ces mêmes actes ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3. La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime ». L’alinéa 1er a été modifié par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, et prévoit désormais que « les victimes d’actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l’étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3 ». Les agents publics et les militaires peuvent donc bénéficier de ce régime.
D’autre part, l’article L. 422-1 du code des assurances, modifié par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, retient quel’article L. 422-1 du code des assurances: « Pour l’application de l’article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d’une atteinte à la personne est assurée par l’intermédiaire du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions.
Ce fonds, doté de la personnalité civile, est alimenté par un prélèvement sur les contrats d’assurance de biens dans les conditions suivantes.
Ce prélèvement est assis sur les primes ou cotisations des contrats d’assurance de biens qui garantissent les biens situés sur le territoire national et relevant des branches 3 à 9 de l’article R. 321-1, dans sa rédaction en vigueur à la date de publication de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, et souscrits auprès d’une entreprise mentionnée à l’article L. 310-2.
Le montant de la contribution, compris entre 0 € et 6,50 €, est fixé par arrêté du ministre chargé des assurances.
Cette contribution est perçue par les entreprises d’assurance suivant les mêmes règles et sous les mêmes garanties et sanctions que la taxe sur les conventions d’assurance prévue à l’article 991 du code général des impôts. Elle est recouvrée mensuellement par le fonds de garantie.
Il est subrogé dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage.
Le fonds est également alimenté par des versements prévus au II de l’article 728-1 du code de procédure pénale. Lorsque ces versements sont effectués, la victime est alors directement indemnisée par le fonds à hauteur, le cas échéant, des versements effectués et, à hauteur de ces versements, l’avant-dernier alinéa du présent article n’est pas applicable ».
Enfin, l’article 421-1 du code pénal, tel que modifié par la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016, dispose que : « Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes :
1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, définis par le livre II du présent code ;
2° Les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique définis par le livre III du présent code ;
3° Les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous définies par les articles 431-13 à 431-17 et les infractions définies par les articles 434-6 et 441-2 à 441-5 ;
4° Les infractions en matière d’armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires définies par les articles 222-52 à 222-54, 322-6-1 et 322-11-1 du présent code, le I de l’article L. 1333-9, les articles L. 1333-11 et L. 1333-13-2, le II des articles L. 1333-13-3 et L. 1333-13-4, les articles L. 1333-13-6, L. 2339-2, L. 2339-14, L. 2339-16, L. 2341-1, L. 2341-4, L. 2341-5, L. 2342-57 à L. 2342-62, L. 2353-4, le 1° de l’article L. 2353-5 et l’article L. 2353-13 du code de la défense, ainsi que les articles L. 317-7 et L. 317-8 à l’exception des armes de la catégorie D définies par décret en Conseil d’État, du code de la sécurité intérieure ;
5° Le recel du produit de l’une des infractions prévues aux 1° à 4° ci-dessus ;
6° Les infractions de blanchiment prévues au chapitre IV du titre II du livre III du présent code ;
7° Les délits d’initié prévus aux articles L. 465-1 à L. 465-3 du code monétaire et financier ».
La haute juridiction a préalablement rappelé qu’« il résulte des deuxième et troisième de ces textes que la réparation intégrale des dommages résultant d’une atteinte à la personne subis par les victimes d’infractions constitutives d’actes de terrorisme, visées par le dernier de ces textes, est assurée par l’intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme » (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-12.780, D. 2020. 1105 ).
La deuxième chambre civile a ensuite souligné que « l’arrêt, après avoir relevé qu’il est constant que l’attentat commis le 9 janvier 2015 dans le magasin Hyper Cacher à Paris constitue un acte de terrorisme au sens des articles L. 126-1 du code des assurances et 421-1 du code pénal et qu’il incombe à [la justiciable] de faire la preuve qu’elle est victime de cet attentat, retient, d’une part, que celle-ci démontre s’être trouvée dans la zone de danger au moment de l’attentat et, d’autre part, que ce dernier lui a causé un traumatisme psychologique d’une exceptionnelle intensité, constaté par l’expert judiciaire, en lien direct, certain et exclusif avec les faits. La décision en déduit que la demanderesse a été, avec l’évidence requise en référé, victime de l’attentat, sans qu’il soit besoin que la juridiction précise la nature et les éléments matériels de l’infraction qu’elle retient comme ayant été commise au préjudice de cette victime, contrairement à ce que le FGTI demande » (ibid.).
Cependant, la Cour de cassation a conclu que la cour d’appel a privé sa décision de base légale en se déterminant ainsi, « alors qu’il lui appartenait de caractériser une infraction constitutive d’un acte de terrorisme prévue par l’article 421-1 du code pénal, ouvrant droit de manière non sérieusement contestable à l’indemnisation sollicitée du FGTI » (ibid.).
Pour rappel, le système d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme résulte d’une lente évolution (A. Cayol et R. Bigot, L’influence du terrorisme sur l’assurance du dommage corporel, RGDA, déc. 2019, n° 12, 116z2, p. 1-7). Désormais, le FGTI « intervient dans la prise en charge des dommages corporels générés par un acte de terrorisme dont la preuve peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes. Les victimes susceptibles d’être prises en charge par ce Fonds doivent simplement se trouver sur le territoire national ou détenir la nationalité française si l’acte de terrorisme a été commis à l’étranger. Les dommages corporels sont seuls indemnisés y compris le préjudice spécifique constitué par le “syndrome post-traumatique spécifique”. L’obligation du Fonds n’est pas subsidiaire, ce qui permet à la victime de s’adresser directement à lui pour obtenir une indemnisation de son préjudice. De plus, son obligation de réparation est intégrale. La procédure d’indemnisation suppose que le Fonds soit informé de l’acte terroriste par le parquet, la victime, l’autorité consulaire, etc. La victime doit le saisir d’une demande sans condition de délai, hormis celui de dix années prévu par l’article 2226 du code civil. Lorsque le dossier est complet, le Fonds est tenu de présenter une offre d’indemnité dans un délai de trois mois. Si la victime accepte cette offre, la transaction est conclue et le règlement doit intervenir dans le mois qui suit l’expiration le délai de quinze jours accordé à la victime pour renoncer. Elle peut cependant la refuser et envisager une action en justice. Dans tous les cas de figure, le Fonds est subrogé dans les droits de la victime qu’il aura indemnisée » (P. Casson, « L’indemnisation des victimes de dommages intentionnels », in A. Cayol et R. Bigot [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, 1re éd., Ellipses, 2020, à paraître).
S’il a pu être souligné que le droit de la réparation du dommage corporel n’a pas à nécessairement suivre dans toute sa rigueur le droit pénal dans sa définition de l’acte de terrorisme (G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, 4e éd., LGDJ, 2017, n° 287), il s’avère toutefois que « l’imbrication des réactions des différents acteurs consécutivement à un acte de terrorisme, telle que précisée dans la circulaire du premier ministre du 10 novembre 2017, n° 5979/SG, relative à la prise en charge des victimes d’actes de terrorisme, amène à relativiser l’autonomie respective du répressif et de l’indemnitaire » (C. Quézel-Ambrunaz, art. préc., n° 384-3).
Cette dernière analyse de la doctrine prend toute sa force dans l’affaire sous commentaire qui impose à la victime de caractériser une infraction constitutive d’un acte de terrorisme prévue par l’article 421-1 du code pénal. Le champ d’application du régime d’indemnisation en fonction des incriminations visées est donc circonscrit par le renvoi opéré par l’article L. 126‐1 du code des assurances à la définition pénale de l’acte de terrorisme.
Une liste limitative est ainsi constituée par l’article 421‐1 du code pénal. En résumé, la qualification d’actes de terrorisme concerne « des infractions prévues et réprimées par ailleurs » (des atteintes à la vie aux délits d’initiés en passant notamment par le détournement d’aéronefs, le vol, et les infractions de blanchiment – soit finalement la plupart des infractions), qui révèlent un élément moral particulier : intentionnel, mais surtout dans une relation « avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » (ibid. ; adde Y. Mayaud, Regard sur les qualifications terroristes, AJ pénal 2017. 478 ; O. Décima, Terreur et métamorphose, D. 2016. 1826 ). N’oublions pas toutefois les dispositions qui suivent immédiatement. Elles prévoient d’autres incriminations.
D’une part, on trouve à l’article 421‐2 du code pénal « le fait d’introduire dans l’atmosphère, sur le sol, dans le sous‐sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel ». D’autre part, l’article 421‐2‐1 du même code retient que « constitue également un acte de terrorisme le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents ».
En définitive, le présent arrêt ne fait que combler les lacunes de la loi. Il s’inscrit parfaitement dans ce qu’avait souhaité le législateur. Certes, le code des assurances ne dit mot sur les contours exacts la notion d’acte de terrorisme. Mais « le silence des textes relatifs aux dommages corporels ne doit cependant pas être surinterprété. À en croire les travaux préparatoires de la loi du 9 septembre 1986, il s’agirait d’un simple oubli législatif, les parlementaires ayant fait état de leur volonté de faire de l’acte de terrorisme une notion non pas à géométrie variable, mais unitaire. Dès lors, les “actes de terrorisme” visés par l’article L. 126-1 du code des assurances doivent être déterminés par référence au droit pénal » (J. Knetsch, art. préc.).
À cet effet, toute personne se considérant victime d’un tel acte sera tenue, à l’avenir, de caractériser une infraction constitutive d’un acte de terrorisme prévue par l’article 421-1 du code pénal, si elle souhaite que son droit à compensation de son dommage ne soit pas réfuté par le Fonds de garantie.
Faisons le vœu cependant que cette règle indemnitaire relative aux conséquences de cette forme de guerre moderne (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, Lextenso, coll. « Précis Domat », 2018, n° 537 ; Y. Mayaux, Le terrorisme, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 1997 ; M.-H. Gozzi, Le terrorisme, thèse, Toulouse, 1997) n’ait plus l’occasion d’être invoquée.