Partage de responsabilité dans le cadre d’une convention d’assistance
La convention d’assistance bénévole ne cesse de fasciner les spécialistes du droit des contrats hier comme aujourd’hui (R. Bout, La convention dite d’assistance, in Mélanges en l’honneur de Pierre Kayser, Aix-en-Provence, PUAM, 1971, p. 157 s. ; A. Sériaux, L’œuvre prétorienne in vivo l’exemple de la convention d’assistance, in Mélanges en l’honneur de Michel Cabrillac, 1999, Litec, p. 299 s. ; T. Génicon, Variations sur la réalité du consentement : la convention d’assistance bénévole, RDC 2014. 16). Véritable contrat pour les uns, gestion d’affaire pour les autres, l’assistance demeure énigmatique en droit positif tant l’hésitation reste permise. L’une des principales interrogations récurrentes demeure la rencontre de cette figure avec la question de la responsabilité de l’assisté lorsque l’un des assistants subit un dommage. En somme, laquelle des responsabilités contractuelle ou délictuelle doit s’appliquer en pareille situation ? En d’autres termes encore, ceci se résume à savoir si l’assistance bénévole doit s’analyser véritablement en un contrat. L’arrêt rendu par la première chambre civile le 5 mai 2021 explore cette discussion dans un arrêt original par la rareté de la figure de l’assistance bénévole en jurisprudence.
Plusieurs personnes aident bénévolement une autre personne à trier des affaires au domicile de ce dernier. Lors du rangement, un des participants à l’opération jette un carton de 30 kilogrammes du haut de la fenêtre du deuxième étage. Le problème est le suivant : un autre assistant se trouvait juste en dessous. Il est grièvement blessé par le choc du carton très lourd et projeté à une certaine vitesse. L’assureur de la personne assistée accorde une provision à la victime avant de se retourner contre celui qui a projeté le carton. La cour d’appel de Nancy qualifie la situation entre la victime et la personne ayant bénéficié de l’aide de convention d’assistance bénévole. Elle acte ainsi un partage de responsabilité dans la réalisation du dommage : 70 % pour le donneur de l’ordre (le bénéficiaire du contrat d’assistance bénévole) et 30 % pour celui qui a jeté le carton effectivement du haut de la fenêtre. Selon les juges du fond, le premier avait manqué à un certain devoir de sécurité puisqu’il n’avait pas donné de consignes précises pour jeter les cartons du haut de la fenêtre tandis que le second a bien commis une faute délictuelle en ne faisant pas attention si des personnes se trouvaient en dessous de cette fenêtre. C’est dans ce contexte que l’assureur de la personne assistée se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation rejette le pourvoi qui présentait une argumentation intéressante, à savoir que la faute délictuelle devait empêcher de mettre en cause la responsabilité contractuelle de l’assisté. En refusant une telle lecture, la Haute juridiction confirme la vigueur de la qualification de la convention d’assistance bénévole tout en validant une répartition de la responsabilité délicate à gérer pour l’assureur se retournant après avoir indemnisé la victime.
La vigueur de la qualification de convention d’assistance
Aucune disqualification de la figure de la convention d’assistance n’apparaît dans cet arrêt. Le raisonnement des juges du fond dans la qualification est purement et simplement insusceptible d’ouverture à cassation pour violation de la loi. Certes, le rattachement à la figure contractuelle peut paraître artificiel mais il n’est pas ici discuté (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 2e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 103, n° 88). Dans un article resté célèbre, Roger Bout avait proposé une approche quasi-contractuelle de la question à travers la gestion d’affaires (R. Bout, La convention dite d’assistance, préc.). Mais cette proposition n’a pas emporté la conviction de la Haute juridiction qui n’a jamais véritablement changé de position à ce sujet.
Sur ce point, il faut noter que la vigueur de la qualification, aussi discutable soit-elle, aboutit nécessairement à pouvoir prendre en compte une responsabilité contractuelle de l’assisté. Il aurait fallu que ce dernier prouve avoir donné des consignes strictes de sécurité pour y échapper. Or, les juges fond ont simplement relevé que celui qui a lancé le carton avait crié « Attention » au moment de projeter l’objet à travers la fenêtre. Mais du côté de l’organisateur du rangement ayant profité de l’assistance bénévole, aucune preuve d’une quelconque consigne de sécurité ou, du moins, d’ordres susceptibles d’éviter ce genre d’accidents n’avait été produite. C’est une bien délicate preuve à rapporter puisque les consignes dans ce genre d’évènements sont bien souvent verbales d’autant plus dans le cadre d’une assistance bénévole. Dans un courrier postérieur à l’accident, la personne assistée avait reconnu avoir donné l’ordre de jeter les cartons du haut de la fenêtre ; ce qui a facilité encore plus la reconnaissance de sa responsabilité contractuelle sans qu’il rapporte corrélativement des consignes de sécurité données au moment du rangement.
La difficulté d’une telle qualification repose sur une conséquence directe dans l’affaire étudiée, un partage de responsabilité reposant sur des fondements juridiques différents.
L’originalité du partage de responsabilité
La lecture de l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy frappé de pourvoi est très instructive. On peut y lire notamment que « la convention d’assistance bénévole emporte nécessairement l’obligation pour l’assisté de garantir l’assistant de la responsabilité par lui encourue, sans faute de sa part, à l’égard de la victime d’un accident éventuel, que cette victime soit ou non un assistant. […] Il résulte de ces éléments que si M. B. a commis une faute en jetant un carton de trente kilogrammes sans s’assurer préalablement qu’il pouvait le faire sans danger pour les personnes, parmi lesquelles M. V., qui se trouvaient au rez-de-chaussée, M. P. a lui-même, en tant qu’assisté et organisateur des travaux entrepris dans son intérêt, commis une faute en donnant à M. B. un ordre dont les conséquences pouvaient être dangereuses pour les personnes, et sans l’accompagner d’une quelconque consigne de sécurité. » (nous soulignons).
Tout ceci devait donc aboutir à un partage de responsabilité dont le fondement juridique devait différer nécessairement. Celui qui a lancé le carton engage sa responsabilité délictuelle envers la victime puisqu’il n’existe aucun contrat entre ces deux personnes ayant aidé bénévolement l’assisté. Mais dans les rapports entre ce dernier et la victime, la convention d’assistance impose – non-cumul ou plutôt plus exactement non-option oblige – le recours à la responsabilité contractuelle. En plus d’une qualification délicate à justifier sous l’angle du contrat d’assistance bénévole, la faute repose sur un forçage du contrat puisqu’il s’agit de la violation d’un devoir de sécurité. Le raisonnement du demandeur au pourvoi reposait sur la faute délictuelle de celui qui a projeté le carton qui devait, selon lui, éluder la responsabilité contractuelle de l’assisté qu’il assurait.
La Cour de cassation refuse une telle lecture. C’est un triomphe d’une prise en compte individualisée des rapports d’obligation entre les différents acteurs de cet accident fort malheureux. Puisque sans la convention d’assistance le dommage ne serait pas né, la cour d’appel avait considéré que la faute de l’assisté avait été à l’origine de 70 % de la réalisation du dommage en ce qu’un défaut de sécurité transparaissait tandis que la faute délictuelle de celui projetant le carton n’y avait concouru qu’à hauteur de 30 %. Il reste possible de critiquer une telle lecture de la situation qui fait une part-belle au forçage du contrat et qui fait reposer une grande partie du partage de responsabilité sur la personne ayant été assistée. Mais il faut bien avouer que cette solution reste parfaitement logique à la suite de la qualification contractuelle de l’assistance bénévole ou du moins inévitable en tout état de cause. Il ne resterait plus qu’à, peut-être, envisager une qualification en dehors de la sphère contractuelle. Mais, dans le contexte d’une qualification prétorienne, seule la Cour de cassation peut gérer sa propre création ; à moins de la codifier prochainement.